Publication 2024 : un des ouvrages


Poésie et politique dans les mondes nordiques et normands médiévaux (IXe-XIIIe siècle)

POÉSIE ET POLITIQUE DANS LES MONDES NORDIQUES ET NORMANDS MÉDIÉVAUX (IXe-XIIIe SIÈCLE)


Alban GAUTIER, Marie-Agnès LUCAS-AVENEL, Laurence MATHEY-MAILLE (dir.)


Le volume réunit les actes du colloque qui s'est tenu à Cerisy-la-Salle du 29 septembre au 3 octobre 2021. Les rapports entre poésie et politique ont été interrogés par des historiens et des spécialistes des littératures latines et vernaculaires des mondes nordiques et normands du IXe au XIIIe siècle. Les poèmes étudiés ont été composés dans différentes langues parlées sur un vaste territoire, celui des diasporas vikings et normandes, qui va de l'Islande à la Scandinavie, aux îles Britanniques, à la Normandie et jusqu'à l'Italie méridionale. Les contributions sont rassemblées autour de trois thématiques, le pouvoir et les armes, le pouvoir et les dieux, le pouvoir et les lettres. Elles étudient la manière dont la poésie s'inspire d'un contexte politique particulier ou l'éclaire, peut véhiculer des valeurs ou promouvoir une idéologie au service du pouvoir et, par un effet de réciprocité, comment les rapports du pouvoir fournissent l'occasion ou le prétexte de la composition poétique.


Ouvrage issu d'un colloque de Cerisy (2021) [en savoir plus]
Disponible à Cerisy aux Amis de Pontigny-Cerisy [n°683]

CARACTÉRISTIQUES

Éditeur : Presses universitaires de Caen

Collection : Symposia

ISBN : 978-2-38185-223-2

Nombre de pages : 336 p.

Prix public : 18 €

Année d'édition : 2024

Témoignage

Tous les témoignages


"CERISY, UNE MICRO-SOCIÉTÉ INTELLECTUELLE HÉRITÉE DE PONTIGNY"

RENCONTRE AVEC CATERINA ZAMBONI RUSSIA


Du 21 au 27 septembre dernier, s'est déroulé le colloque La performance comme méthode. Quand les arts vivants rencontrent les sciences sociales. En voici un écho à travers le témoignage d'une auditrice italienne, Caterina Zamboni Russia, qui a consacré son mémoire de master de philosophie… à Pontigny. Mémoire, qui a déjà donné lieu, en Italie, à une publication sous le titre de La plus petite République d'Europe (traduction du titre italien). Forcément, nous avons voulu en savoir plus sur ce mémoire ainsi que sur la manière dont elle avait vécu cette seconde expérience cerisyenne — elle avait assisté en 2022 au colloque L'historien sur le métier : conversations avec Carlo Ginzburg.

Sean Hardy, Théo Heugebaert, Catarina Zamboni Russia,
Luca Chantemerle, Alice Barbaza


Vous avez publié un mémoire de master sur Pontigny. Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à ce lieu ?

Caterina Zamboni Russia : Avant de rédiger ce mémoire, j'en avais consacré un à Rachel Bespaloff, une écrivaine et philosophe franco-américaine, qui se trouve avoir découvert l'existence des Décades de Pontigny lors de son exil aux États-Unis, dans les années 1940. C'est ce que j'ai moi-même découvert en lisant un de ses textes où une note de bas de page les mentionnait. Or, moi, à l'époque, j'ignorais tout de Pontigny et de ses Décades. Portée par la curiosité, j'ai donc voulu en savoir plus. C'est ainsi que j'ai découvert l'existence de ce lieu si important dans l'histoire intellectuelle et culturelle française, mais aussi européenne, ainsi que les entretiens qui avaient été organisés aux États-Unis, pendant la Seconde Guerre mondiale, par des intellectuels en exil qui y avaient séjourné.

Quelles ont été vos sensations en découvrant que ce qui n'était qu'une note de bas de page était une abbaye où s'étaient déroulées plusieurs Décades de 1910 à 1939, hormis quelques années d'interruption durant la Première Guerre mondiale ?

Caterina Zamboni Russia : J'ai été et suis encore très impressionnée par la richesse des échanges produits par un collectif qui était à l'avant-garde des débats intellectuels touchant aussi bien à la littérature, à la philosophie qu'à des enjeux de société. Je crois que c'est unique dans l'histoire culturelle européenne comme dans le reste du monde. Je n'ai pas manqué non plus d'être surprise en découvrant la figure de Paul Desjardins et son ambition de créer une "République des idées", ouverte à des esprits d'horizons différents. Et je trouve incroyable que cela se soit perpétué jusqu'à nos jours, dans le cadre, désormais, de Cerisy.

Avant d'en venir à Cerisy, j'aimerais savoir si vous avez poussé la curiosité jusqu'à vous rendre à l'Abbaye de Pontigny en plus de consulter des archives…

Caterina Zamboni Russia : Oui, bien sûr ! Je m'y suis rendue il y a deux ans, en 2022. J'ai été un peu peinée de découvrir que le lieu n'accueillait plus la moindre activité — j'ai appris depuis que la propriété a été acquise par un industriel qui en fera un centre dédié à la Terre. Cela dit, on peut imaginer tous ces débats, tous ces échanges, qui y eurent lieu il y a plusieurs décennies. C'était d'autant plus émouvant pour moi d'être là que jusqu'alors j'avais étudié l'histoire de Pontigny à partir d'archives, de manuscrits. Cette fois, le lieu m'apparaissait tel que Gide et tant d'autres avaient pu le percevoir, dans sa matérialité. D'autant que l'abbaye est encore en très bon état.

Depuis ce mémoire, vous avez poursuivi en thèse. Sur quel sujet ?

Caterina Zamboni Russia : Sur les micro-sociétés intellectuelles, en Italie, mais aussi en France et dans le reste de l'Europe, l'enjeu étant de voir comment se construisent des conditions favorables aux échanges, à un dialogue, à une sociabilité intellectuelle, comme cela a été le cas à Pontigny. Par micro-société intellectuelle j'entends au fond ce que Derrida disait à propos de Cerisy : une "contre-institution philosophique", au sens où elle ne s'inscrit pas dans le milieu académique, universitaire, mais en dehors de lui, et où néanmoins des universitaires, des académiques, de différentes disciplines peuvent se rencontrer, dialoguer, en dehors de toute relation hiérarchique, dans une certaine spontanéité. C'est précisément en cela que le principe des micro-sociétés intellectuelles m'intéresse et m'intrigue, car leur fonctionnement va à rebours du fonctionnement habituel, "normal", d'une société. Comment est-ce néanmoins possible, à quelles conditions ? C'est ce que je m'emploie à comprendre en comparant différents cas italiens, français et d'autres pays européens.

Qu'est-ce qui vous a motivée à venir en ce mois de septembre 2024 à Cerisy pour ce colloque ?

Caterina Zamboni Russia : Je précise que ce n'est pas la première fois que je me rendais à Cerisy. J'y étais déjà venue, en 2022, à l'occasion du colloque en forme de conversations avec Carlo Ginzburg.

Quelle fut votre impression en entrant dans le hall où on peut découvrir, juste à gauche, un grand portrait de Paul Desjardins ? En voyant comment "la plus petite République d'Europe" avait perduré d'un lieu (en Bourgogne) à un autre (en Normandie) ? Y avez-vous vu la démonstration du fait qu'une micro-société intellectuelle peut voyager dans le temps comme dans l'espace ?

Caterina Zamboni Russia : C'est une caractéristique importante que j’'avais déjà soulignée en pointant la capacité des Décades de Pontigny à se déplacer de l'autre côté de l'Atlantique, à l'initiative d'intellectuels exilés. J'aime beaucoup cette idée d'une micro-société qui puisse évoluer, y compris dans ses modalités d'organisation, tout en préservant l'esprit d'un lieu originel et ce, dans la durée. Car, faut-il le rappeler ? Pontigny-Cerisy, c'est désormais plus d'un siècle d'existence. C'est bien la preuve qu'il y a quelque chose qui nous dépasse et qu'il faut valoriser, préserver au fil des générations.

Malgré les bouleversements affectant les moyens de transport, de télécommunication…

Caterina Zamboni Russia : En effet. Mais justement, ce qui fait la force d'une micro-société intellectuelle comme Cerisy, c'est qu'elle s'incarne dans un lieu bien défini, chargé d'histoire. Et le fait que ce soit dans un milieu rural joue paradoxalement en sa faveur : quand on a fait l'effort de s'y rendre, on y reste aussi longtemps que possible. J'aime aussi cette idée que des personnes décident de s'y rendre tous, en même temps, et d'y rester tout ou partie le temps d'un colloque. Car c'est quelque chose d'assez rare de nos jours.

En revenant à Cerisy avez-vous eu la sensation de retrouver un lieu familier ?

Caterina Zamboni Russia : Oui, même si je perçois une différence d'un colloque à l'autre. Le premier avait une tonalité plus académique dans son organisation et le profil des participants : il réunissait pour l'essentiel des historiens, pour la plupart italiens. Ce colloque-ci, avec ses ateliers, la volonté des directeurs d'être plus dans le faire que dans le dire, est différent et fut une agréable surprise pour moi. Je trouve intéressant de voir comment Cerisy parvient à se renouveler tout en préservant l'essentiel, sa sociabilité, sa capacité à favoriser l'échange par-delà les disciplines.

Qu'est-ce qui vous a motivée à y revenir : la perspective de travailler sur des archives conservées à Cerisy ? La possibilité d'éprouver la sociabilité cerisyienne, d'en saisir les ressorts in situ, dans une démarche d'observation participante ?

Caterina Zamboni Russia : Les deux ! La perspective de me plonger dans les archives du Centre, mais aussi de revivre l'expérience de Cerisy.

Y avez-vous fait une découverte ?

Caterina Zamboni Russia : Oui !

Laquelle ?

Caterina Zamboni Russia : J'ai découvert un texte de Desjardins dans lequel il témoigne de sa visite de l'Abbaye de Port-Royal des Champs et de l'envie qu'elle lui a inspiré de créer un lieu d'échange… Ce que devait devenir plus tard l'Abbaye de Pontigny.

Merci pour cette révélation ! Pourquoi avoir choisi de revenir à l'occasion du colloque La performance comme méthode. Quand les arts vivants rencontrent les sciences sociales

Caterina Zamboni Russia : Il m'a paru le plus adapté pour comprendre les ressorts de la sociabilité cerisyenne. Dans la présentation qui en était faite, un mot a particulièrement retenu mon attention : celui de "coprésence". Or il me semble que c'est cette coprésence, au milieu de personnes venant de disciplines scientifiques ou artistiques différentes, qui fait la particularité du lieu, des échanges qui s'y produisent. J'ai eu la sensation d'éprouver ce qu'a pu être Pontigny du temps de Desjardins. J'ai pu échanger avec des universitaires de différentes disciplines, des chercheurs, des doctorants, ainsi qu'avec des artistes, scénographes, qui sont eux-mêmes dans une démarche de recherche. J'ai pu aussi apprécier leur envie de s'inscrire dans une démarche collective, même si les colloquants étaient invités à se répartir dans des ateliers différents — il y eut néanmoins des séances communes, sans compter les repas qu'on prend ensemble. S'il y a donc un autre mot à mettre en avant, c'est celui du "partage" — des idées, des connaissances, des expériences…

À Cerisy, on prend effectivement les repas ensemble. Est-ce quelque chose à laquelle vous reconnaissez une vertu particulière ?

Caterina Zamboni Russia : Oui, absolument, car cela est propice à des échanges informels, naturels, sans formalisme. À Cerisy, on s'attable sans connaître par avance ses voisins. On peut se retrouver devant des spécialistes de tel ou tel domaine, dans telle ou telle discipline, étrangers aux siens, mais avec lesquels on peut partager le plaisir de manger ce qu'il y a dans nos assiettes. Cela aide à entrer dans des rapports conviviaux, qui se prolongent dans les moments de communication ou dans le cadre des ateliers que j'évoquais.

Un mot encore sur votre mémoire. Quel en a été la réception en Italie ?

Caterina Zamboni Russia : Depuis sa parution à la fin de l'année 2023, j'ai eu l'occasion de le présenter en diverses occasions. Il y a quelques jours encore, j'ai participé, en Italie, à un festival, "Il rumore del lutto" (Le bruit du deuil), où j'ai évoqué le fait que l'un des fils de Paul Desjardins était enterré au cimetière de Pontigny — ce qui avait été d'ailleurs un des motifs de la création des Décades à cet endroit. J'y vois, ainsi que je l'ai souligné lors de cette intervention, la capacité de Paul Desjardins à créer quelque chose de l'ordre du partage, à partir d'une expérience dramatique comme celle, pour un père, de perdre un fils.

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

Témoignage

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"RESSENTIS D'UNE STAGIAIRE AU SEIN DU CCIC"

RENCONTRE AVEC THERESA BARTINGER


Autrichienne, Theresa Bartinger étudie le latin et le français qu'elle enseigne déjà en parallèle, dans un lycée privé de Graz. Elle a fait le choix de mettre à profit l'été pour faire un stage au Centre culturel international de Cerisy. À quelques jours de son départ (et de sa double rentrée "scolaire"), elle a bien voulu témoigner de son expérience.

Fabienne Peyrou, Theresa Bartinger, Edith Heurgon


Si vous deviez vous présenter ?

Theresa Bartinger : J'étudie le latin et le français dans la perspective de devenir enseignante. En parallèle, j'enseigne déjà le latin dans un lycée de Graz. La rentrée y débute d'ailleurs dès le lendemain de mon départ de Cerisy, le 6 octobre prochain — je ferai entretemps une escale à Paris.

Nous faisons l'entretien à une semaine de ce départ, et donc un mois après votre arrivée. Comment l'idée vous-est-elle venue de faire un stage à Cerisy ?

Theresa Bartinger : Je dois à la vérité de dire que je ne connaissais pas Cerisy avant de postuler pour un stage. C'est mon professeur de littérature qui m'a incitée à le faire : il connaissait le lieu pour y être déjà allé, et il avait vu l'annonce que Cerisy avait diffusée dans ses réseaux. Naturellement, j'ai été intéressée et ai donc postulé. La suite vous la connaissez !

La première fois que je vous ai vue, c'était à l’occasion du colloque Ports et portes. Je pensais que vous étiez arrivée depuis déjà plusieurs semaines, tant vous paraissiez familière avec le lieu. En réalité, vous y étiez arrivée la veille… Comment expliquez-vous le fait de ne pas avoir semblé plus impressionnée que cela ?

Theresa Bartinger : Impressionnée, je l'étais — je n'ai pas eu souvent l'occasion de vivre dans un château ! Mais en arrivant la veille du jour de démarrage du colloque, j'ai eu le temps de le découvrir en me baladant autour, de visiter aussi chacune des pièces, chacune des chambres. Tant et si bien que, dès le lendemain, le jour de l'arrivée des colloquants, le lieu m'a paru déjà un peu familier.

Qu'avez-vous fait au cours de ce stage ?

Theresa Bartinger : J'ai travaillé directement avec l'équipe du secrétariat du CCIC. Une de mes premières missions consistait, comme je l'ai dit, à accueillir les participants des colloques — en plus de répondre à leurs questions, je gérais le planning des arrivées et des départs, m'occupais du règlement de leur séjour. J'ai été aussi en charge de la gestion des publications du CCIC (les actes de colloque, pour l'essentiel). À la suite des stagiaires précédentes et avec l'aide d'autres personnes, j'ai participé au réaménagement complet du lieu de stockage des publications en vente. Enfin, à l'occasion de chaque colloque, avec le concours d'Edith (Heurgon), j'organisais les désormais fameuses "bibliothèques éphémères" à l'occasion desquelles sont exposés les actes en rapport avec la thématique du colloque en cours. De temps à autres, j'ai assisté à des communications. Une chance ! De même le fait de pouvoir partager les repas avec les colloquants.

Au-delà de cela, quels souvenirs gardez-vous de ce stage ? Des moments vous ont-ils particulièrement marquée ?

Theresa Bartinger : Deux me reviennent spontanément à l'esprit. Le premier a à voir avec le premier colloque auquel j'ai assisté : Ports et portes. Un doctorant suisse y participait. Il se trouve que mon propre compagnon a grandi en Suisse et que son frère n'était autre qu'un très bon ami de ce doctorant suisse !

"Le monde est décidément petit !"

Theresa Bartinger : C'est ce que je me suis dit, mais en trouvant que c'était particulièrement le cas à Cerisy ! La suite devait me confirmer que c'est un lieu particulier où peuvent se rencontrer des gens qui ne se connaissent pas forcément, mais qui se découvrent des liens improbables !

Et le deuxième moment vous ayant marquée, quel est-il ?

Theresa Bartinger : C'est la soirée organisée dans les caves du château, à l'issue du colloque La performance comme méthode. Quand les arts vivants rencontrent les sciences sociales (rires). Les colloquants y dansaient ou jouaient au ping-pong. C'était comme la version in du colloque off, à l'image du Festival d'Avignon. Personnellement, j'ai eu l'impression de faire plus ample connaissance avec les colloquants à ce moment-là, mais sans avoir, cette fois, besoin de recourir à la parole !

Qu'en est-il de votre impression quant au rapport de Cerisy au monde, à son actualité. Parleriez-vous d'un temps de déconnexion ou, au contraire, d'un autre mode de connexion avec eux ? Personnellement, j'ai l'impression que son actualité continue à s'inviter, ne serait-ce qu'à travers les journaux, et les commentaires qu'en font les colloquants, lors de communications ou des échanges plus informels.

Theresa Bartinger : Oui, en effet, à Cerisy, je n'ai pas eu l'impression d'avoir été coupée du reste du monde. Et cela ajoute encore au caractère paradoxal de Cerisy, car il faut rappeler que le CCIC se trouve dans un village d'à peine un millier d'habitants. D'ailleurs, des proches se sont inquiétées de savoir si je ne craignais pas de me retrouver seule, enfermée dans un château, tributaire des autres pour me déplacer — je n'ai pas de voiture. En fait, je n'ai pas eu ce sentiment. C'est même tout le contraire ! Et je crois que ça tient à la magie de Cerisy : les colloques s'enchaînent avec, à chaque fois, des groupes de personnes différentes, qui arrivent avec leur vécu, leurs questionnements, leur regard sur l'actualité, le monde. Bref, ici, nous sommes dans un changement perpétuel, dans un lieu qui, lui, reste le même. Ce qui est plutôt rassurant.

Repartez-vous avec le sentiment d'être transformée ?

Theresa Bartinger : Transformée ? Non, je ne dirai pas cela. Je n'ai pas le sentiment d'être devenue une autre personne ! En revanche, je pense avoir évolué dans ma manière d'aborder les gens, de faire connaissance avec eux en commençant déjà par apprendre à retenir leurs noms et prénoms ! Mais aussi en cherchant à établir un lien. Mieux à en découvrir un, direct ou indirect — comme avec cet étudiant suisse.

Y-a-t-il un équivalent au CCIC en Autriche ?

Theresa Bartinger : Des colloquants m'ont posé la question. La réponse est non, autant que je sache. J'ignore donc si je pourrai revivre cette expérience dans mon propre pays. Mais j'en garde l'espoir.

C'est un lieu où on peut faire l'expérience unique, dans la durée d'un colloque de plusieurs jours, de se confronter à l'altérité au travers de ces colloquants qui viennent des quatre coins de France et même de l'étranger, de différentes disciplines ou professions, de différentes générations et qui pratiquent des langues différentes, qu'elles soient maternelles, professionnelles, disciplinaires… On apprend en conséquence à y avoir des "égards ajustés" (selon la formule du philosophe Baptiste Morizot). Ces propos font-il sens pour vous ?

Theresa Bartinger : Oui, je suis tout à fait d'accord et sensible à cette idée de prendre en considération toutes les langues : étrangères, mais aussi universitaires, professionnelles et autres.

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

Publication 2024 : un des ouvrages


FRANCISCO VARELA

UNE PENSÉE ACTUELLE


Natalie DEPRAZ (dir.)


Francisco Varela a contribué de manière significative au développement du champ des sciences cognitives en proposant, dès les années 1970, avec son professeur Humberto Maturana, la formulation de sa théorie du vivant, l'autopoïèse, dont la résonance a été déterminante, au-delà même du champ de la biologie, dans les domaines artistiques et éducatifs. Dans les années 80-90, du sein des théories de l'émergence, il a construit une nouvelle théorie : l'énaction. Au contact de la phénoménologie, il a forgé une approche novatrice de la conscience à partir de la dynamique neuronale tout en lui étant irréductible : la neurophénoménologie. Parallèlement, il fondait le Mind and Life Institute, lieu de dialogue avec le Dalaï Lama et de réflexion sur les liens possibles entre sciences et pratiques contemplatives, notamment la méditation.
Vingt ans après sa disparition, il est essentiel de revisiter sa pensée et de mesurer son influence dans les nombreux champs et disciplines actuels qui font fructifier sa pensée. Ce colloque tenu à Cerisy en 2022 propose un dialogue entre sciences naturelles et sciences humaines, art et science, science et philosophie. Il sera aussi l'occasion, grâce à diverses performances artistiques, de réfléchir à une mise en pratique de l'interdisciplinarité.


Ouvrage issu d'un colloque de Cerisy (2022) [en savoir plus]
Disponible à Cerisy aux Amis de Pontigny-Cerisy [n°682]

CARACTÉRISTIQUES

Éditeur : Hermann Éditeurs

Collection : Colloque de Cerisy

ISBN : 979-1-0370-3954-5

Nombre de pages : 344 p.

Prix public : 35 €

Année d'édition : 2024

Publication 2024 : un des ouvrages


JULIA KRISTEVA

RÉVOLTE ET RELIANCE


Sarah-Anaïs CREVIER GOULET, Keren MOCK, Nicolas RABAIN, Beatriz SANTOS (dir.)


Toujours en acte, la pensée de Julia Kristeva est à l'écoute des bouleversements de l'histoire, des théories et des disciplines, tout comme des enjeux contemporains et des questions éthiques. Conçue dans les mouvements de révolte et de reliance, elle prend ancrage au cœur de ce qui relie l'intime et le social-historique : là se trouve la force créative d'une œuvre protéiforme, dont le rayonnement dépasse cultures et disciplines.
L'exigence de la vision humaniste de l'autrice oblige à suivre l'héritage des Lumières : c'est en confrontant les points de vue que, dans le vaste ensemble de leurs enchevêtrements, la complexité se dévoile. De la signifiance au récit intertextuel, de l'inscription inconsciente aux limites de la vie, de la révolte adolescente à la violence des pouvoirs de l'horreur, des portraits littéraires aux expressions esthétiques et artistiques, du besoin de croire à la pulsion de savoir, les trois volets de cet ouvrage, issu du colloque de Cerisy tenu en 2021 (humanités, littérature, psychanalyse), permettront de considérer à sa juste mesure la singularité du parcours kristévien.
Sans pour autant prétendre à l'exhaustivité, les réflexions éclairées par le débat avec de nombreux penseurs, tant français qu'étrangers, permettront d'entretenir un dialogue privilégié avec celle qui se définit comme un "monstre de carrefours" et qui est assurément non seulement une personnalité hors pair, mais aussi l'une des intellectuelles les plus importantes de notre temps.


Ouvrage issu d'un colloque de Cerisy (2021) [en savoir plus]
Disponible à Cerisy aux Amis de Pontigny-Cerisy [n°681]

CARACTÉRISTIQUES

Éditeur : Hermann Éditeurs

Collection : Colloque de Cerisy

ISBN : 979-1-0370-2282-0

Nombre de pages : 548 p.

Prix public : 35 €

Année d'édition : 2024

Publication 2024 : un des ouvrages


RÉÉDITION


EDGAR MORIN

LES CENT PREMIÈRES ANNÉES


Claude FISCHLER, Pascal ORY de l'Académie française (dir.)

Avec la participation d'Edgar MORIN


Le 8 juillet 2021, Edgar Morin célébrait son centième anniversaire. Quelques jours auparavant, Cerisy accueillait un colloque qui lui était consacré : pendant huit jours, avec sa participation à distance, on a débattu de sa biographie et de son œuvre, examiné la réputation et l'influence d'un chercheur-penseur prolifique, d'un intellectuel présent dans les grands remous de l'histoire et les grands débats de société des années 30 jusqu'aux années 2020. Collègues, amis et collaborateurs mais aussi lecteurs inspirés ou critiques, interprètes ou analystes ont évoqué et discuté, entre eux ou avec lui, l'itinéraire et la pensée, les événements qui les ont influencés et instruits, qu'il s'agisse du livre Autocritique, de la revue Arguments, des ouvrages sur le cinéma et la culture de masse, de Chronique d'un été et de L'Esprit du temps, des enquêtes de terrain de Plozévet et de La rumeur d'Orléans, du Paradigme perdu et de La Méthode, d'Introduction à la pensée complexe ou de Pour une politique de civilisation… Un auteur transdisciplinaire, au point d'en être inclassable.


Ouvrage issu d'un colloque de Cerisy (2021) [en savoir plus]
Disponible à Cerisy aux Amis de Pontigny-Cerisy [n°666bis]

CARACTÉRISTIQUES

Éditeur : Hermann Éditeurs

Collection : Colloque de Cerisy

ISBN : 979-1-0370-3952-1

Nombre de pages : 350 p.

Prix public : 35 €

Année d'édition : 2024

ÉDITION D'ORIGINE

Edgar Morin : les cent premières annéesÉditeur : Hermann Éditeurs

Collection : Colloque de Cerisy

ISBN : 979-1-0370-2931-7

Nombre de pages : 350 p.

Prix public : 35 €

Année d'édition : 2023

Disponible à Cerisy aux Amis de Pontigny-Cerisy [n°666]


Publications associées


Rapport d'étonnement

Tous les rapports d'étonnement


"UNE EXPÉRIENCE ENRICHISSANTE ENTRE PORTS ET PORTES"

PAR LÉO CUSIN


Du 4 au 10 septembre 2024, s'est tenu à Cerisy le colloque Ports et portes, sous la direction de Sabine Chardonnet-Darmaillacq, Pauline Detavernier, Perig Pitrou et Arnaud Serry. Voici le ressenti d'une "expérience enrichissante" selon Léo Cusin, étudiant en dernière année de bachelor Arts visuels (École de design et haute école d'art du Valais, ÉDHÉA à Sierre).

Léo Cusin, Theresa Bartinger, Nils Le Bot,
Roman Solé-Pomies, Damien Chardonnet

Assister à ce colloque interdisciplinaire m'a beaucoup intéressé car cela touchait à de nombreux domaines cousins se superposant avec une expertise certaine. Il est en outre impressionnant de découvrir à quel point la thématique "Ports et portes" met en lumière les crises et tensions politiques d'aujourd'hui.

Concernant l'ordre des présentations, je me suis demandé pour qui il était important de pouvoir discuter avec qui sur ces sujets de friction-clés. Cela a entraîné en moi une réflexion sur la forme idéale pour permettre aux personnes qui le souhaiteraient de se confronter à d'autres (présentation individuelle, table-ronde, débat, …). De plus, la densité du programme ne m'a pas empêché de tenir le rythme des présentations en restant concentré. Ce rythme élevé m'a tenu en haleine sans divagations.

Il aurait toutefois été agréable de disposer de temps supplémentaire pour bénéficier des ressources offertes par les lieux, notamment les publications passées et d'éventuelles promenades d'échanges. Par exemple, faire une présentation de la bibliothèque éphémère en plénière aurait peut-être permis d'étoffer les discussions connexes. À cet égard, c'est intéressant d'avoir l'opportunité de consulter toutes les publications à l'Est@minet à tout moment du colloque.

Aussi, j'ai apprécié l'éventail des dimensions portuaires abordées. Il m'intéresserait d'en savoir davantage sur la manière dont le port est réfléchi sur les continents éloignés, étant donné sa nature mondiale. Les perspectives de l'Océanie, l'Asie et l'Amérique, ont été notamment assez peu développées durant l'événement. Il m'a également manqué de pouvoir obtenir le point de vue des personnes qui travaillent directement à la base des lieux dont nous parlions (docks, navires, …).

Autrement, à mon arrivée, faisant partie de l'auditoire libre, il m'a fallu un petit moment avant de me sentir légitime pour prendre la parole ouvertement dans le cadre des présentations. J'ai de ce fait d'autant plus apprécié les moments de convivialité qui ont permis un échange naturel et spontané ainsi que de découvrir d'autres facettes des personnalités présentes.

En conclusion, ce séjour très agréable me permet de m'informer sur un sujet éloigné de manière globale et d'en comprendre les principales implications. Cela élargit toujours plus mes horizons de connaissances et m'aide à comprendre un peu plus la manière dont le monde fonctionne.

Je remercie donc chaleureusement toute l'équipe impliquée dans la réalisation de ce colloque qui me restera en mémoire.

Rapport d'étonnement

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"UNE RENCONTRE IMPROBABLE POUR DÉCOUVRIR LES CYCLES DE L'EAU"

PAR THÉOPHILE GERVAIS


Du 16 au 21 mai 2024, s'est tenu à Cerisy le colloque Vers des politiques des cycles de l'eau, sous la direction de Mathias Rollot et Marin Schaffner. Voici le retour d'un étudiant de la Fondation suisse d'études avec laquelle le CCIC a engagé un partenariat : Théophile Gervais, originaire de la région lausannoise et actuellement en cursus d'ingénierie mécanique à l'École Polytechnique de Zurich.

Théophile Gervais, Edith Heurgon

Il convient en premier lieu de remercier Edith Heurgon, sa famille et toute l'équipe d'organisation pour leur accueil qui est pour beaucoup dans l'agrément de ces quelques jours à Cerisy. Un grand merci à Marin Schaffner et Mathias Rollot ainsi qu'à tous les intervenants pour la richesse des interventions proposées durant ce colloque. Enfin je souhaite remercier la Fondation suisse d'études pour avoir rendu possible ma participation à cet événement.

Dans la continuité d'une tradition de plus d'un siècle, l'Association des Amis de Pontigny-Cerisy organise, dans le cadre magnifique du château de Cerisy-la-Salle (France), les Colloques de Cerisy. Ces rencontres s'articulent autour de sujets variés et réunissent à la fois des experts spécialisés sur le thème du colloque, des artistes, des chercheurs et, dans une moindre mesure, des auditeurs, venus par curiosité ou toute autre raison, comme cela a été mon cas.

Le colloque

Le colloque était dirigé par Marin Schaffner et Mathias Rollot. Marin Schaffner, ethnologue de formation, auteur et traducteur, codirige la collection de poche des éditions Wildproject. Il est aussi le fondateur du collectif pluridisciplinaire Hydromondes, inspiré par les idées biorégionalistes et dont le travail gravite autour des thèmes de l'eau et des bassins versants. Mathias Rollot est docteur en architecture, enseignant-chercheur à l'École nationale supérieure d'architecture de Grenoble, auteur et traducteur. Il a notamment traduit en français Dwellers in the Land : The Bioregional Vision de Kirkpatrick Sale qu'il considère comme l'ouvrage de référence du mouvent biorégionaliste. La toile de fond du colloque faisait largement écho au travail des deux directeurs, aux publications des éditions Wildproject et plus largement au mouvement biorégionaliste ainsi qu'à certains de ses penseurs-clés, notamment le poète américain Gary Snyder et la militante indienne Vandana Shiva. Plus spécifiquement, les différentes interventions étaient axées sur les thèmes des cycles de l'eau et des bassins versants. Bien que liées par un sujet commun, les natures des présentations étaient diverses allant de l'anthropologie à la géochimie, de l'architecture à l'ethnologie, sans oublier différentes performances artistiques. Une des caractéristiques partagées par la plupart des participants était un haut niveau d'éducation supérieure, ainsi qu'une certaine familiarité avec les concepts liés au biorégionalisme. Étaient représentés parmi les participants les environnements académique, artistique, militant, étudiant et associatif, les absents notables étant les entreprises et autres parties prenantes issues de l'industrie privée.


Retour d'expérience

La structure de colloque, alternant conférences-débats et excursions dans les alentours de Cerisy était très agréable et l'investissement que demande l'organisation et la coordination d'activités très diverses mérite d'être souligné. Les excursions en particulier ont eu un double effet positif sur le colloque, d'abord en appuyant le propos de ce dernier d'encourager un ancrage des individus et des communautés au sein de leur environnement naturel, et donc d'en connaître les particularités et les richesses, mais aussi d'éviter une approche trop scolaire permettant "d'aérer les esprits" et d'éviter le désengagement du public que risque d'apporter aux activités une constance de format et le lieu. Comme de nombreux participants, j'ai eu le sentiment que davantage de temps aurait pu être alloué aux échanges informels, mais j'estime que souvent dans ces circonstances, une forme de contrainte (dans ce cas-ci temporelle) oblige à une meilleure structuration des idées et mène à des discussions de meilleure qualité. Un autre aspect intéressant du colloque du point de vue des membres de la Fondation est de se confronter à la manière de réfléchir "à la française" qui présente des différences claires avec l'approche "suisse" des choses (par exemple dans le degré de pragmatisme et l'importance accordée à la faisabilité et à l'efficacité).

La diversité des approches soulevées vis-à-vis de l'intitulé du colloque représente selon moi la force mais aussi une forme de limitation de ces quelques jours à Cerisy. Une force puisqu'elle augmente la probabilité que des auditeurs puissent s'identifier au moins à un des propos avancés ou expériences partagées par les intervenants. Une force également dans la mesure où, au même titre que celle qui caractérisait la forme et le lieu des activités, la diversité du contenu permet d'éviter l'installation d'une routine et d'un éventuel ennui. Une faiblesse parce que le large éventail d'idées empêche dans une certaine mesure de progresser dans une direction définie (donnant le sentiment que, plutôt que d'avancer vers des politiques des cycles de l'eau, les idées irradiaient dans de nombreuses directions depuis les notions de cycles de l'eau). Nonobstant, et en dépit de l'intitulé du colloque, je ne pense pas que l'intention était d'arriver à des conclusions définissant une marche à suivre ferme et claire à propos desdits cycles de l'eau. Ainsi, cette "faiblesse" pourrait tout aussi bien être considérée comme une force (it's not a bug, it's a feature).

Les idées biorégionalistes m'étant inconnues, elles font donc partie des découvertes que m'a offert ce colloque. Je retiendrai en outre les différences drastiques de comportement entre un lit de rivière en fonction de son degré d'aménagement, ainsi que la mesure dans laquelle cet aménagement a été systématisé en Europe au point de faire oublier à une partie significative sinon majoritaire de la population à quoi ressemble un lit de rivière vierge de toute construction humaine.

Cependant, la leçon centrale de ces quelques jours reste pour moi la notion selon laquelle tenter d'analyser une idée au travers du prisme de son propre paradigme et de son propre ensemble de valeurs alors qu'il n'en est pas issu mène à l'incompréhension, l'approche davantage enrichissante étant de tenter de concevoir quel paradigme a conduit à l'éclosion de cette idée, en ayant comme but non de tomber d'accord avec l'autre, mais de le comprendre. Ces idées peuvent paraître évidentes au premier abord, mais seule l'expérience de la contradiction permet de les ancrer dans un esprit et une approche d'analyse des philosophies qui nous sont étrangères.

Conclusion

Ces quelques jours en Normandie ont été une expérience très enrichissante. La combinaison de la découverte d'un domaine de réflexion avec lequel je n'avais à titre personnel aucune familiarité, d'un contenu riche et varié ainsi que du cadre aussi splendide qu'accueillant, a donné tout son intérêt à ce colloque, et je recommande vivement aux membres de la Fondation en ayant la possibilité de participer à ceux qu'elle propose.

Témoignage

Tous les témoignages


"UN PLONGEUR À CERISY, UNE PREMIÈRE !"

RENCONTRE AVEC HERVÉ BERNARD


Du 4 au 10 septembre 2024 s'est déroulé le colloque Ports et portes sous la direction de Sabine Chardonnet-Darmaillacq, Pauline Detavernier, Perig Pitrou et Arnaud Serry. En voici un écho à travers le témoignage de Hervé Bernard, directeur de projets dans une agence d'architecture (CALQ), qui s'adonne à titre bénévole à la plongée sous-marine dans les bassins du port du Havre dans le cadre de l'association "Port Vivant", pour en faire découvrir la biodiversité et les subtils équilibres.

Hervé Bernard, Amelia Curd,
Sabine Chardonnet-Darmaillacq, Denis Corthésy


Vous êtes intervenu au cours du colloque, au titre de plongeur. C'est bien la première fois que j'en entendais un à Cerisy ! Pouvez-vous commencer par rappeler dans quel cadre vous pratiquez la plongée sous-marine ?

Hervé Bernard : J'en fais dans les bassins du port du Havre dans le cadre de "Port Vivant", une association créée en 2005 avec pour mission principale d'observer la biodiversité sous-marine et d'en dresser un inventaire et ce, durant toute l'année. Nous pouvons ainsi — c'est important de le préciser — en avoir une connaissance fine et saisonnière.


Vous nous avez donné à voir cette biodiversité à travers une communication illustrée de photos et une exposition. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, elle est d'une étonnante richesse…

Hervé Bernard : En effet ! Les bassins portuaires constituent des milieux à part entière. Des milieux eux-mêmes très divers puisqu'on distingue le milieu de l'herbier, le milieu rocheux, le milieu des éboulis, le milieu de la plaine océanique, le coralligène, etc. Sans oublier, bien sûr, le milieu portuaire, qui fait partie de ce qu'on appelle le paralique, le milieu marginal intermédiaire entre le milieu marin franc et le milieu continental. Bien qu'artificiel, un port est comme tout autre milieu riche d'une biodiversité spécifique. Sa richesse tend cependant à devenir "cosmopolite" sous l'effet des vidanges de ballast (le réservoir de navire rempli d'eau de mer pour lui permettre de naviguer la cale à vide, et qu'on libère dans le port quand on le charge de cargaisons) ou du fouling (la colonisation, d'un port à l'autre, de la coque des bateaux par des organismes vivants). Étant entendu qu'en sens inverse, le milieu portuaire exporte par les mêmes mécanismes des espèces endémiques. Ainsi des espèces du monde entier viennent s'y brasser, s'y mélanger. Notre inventaire ne peut donc être définitif ni prétendre à l'exhaustivité. De là les plongées que nous effectuons à intervalles réguliers, l'enjeu étant aussi de comprendre comment les nouvelles espèces vont s'insérer dans la chaîne alimentaire locale, le rôle que chacune va y jouer — un rôle qui peut être selon le cas négatif, positif ou neutre…


Ce faisant, vous avez mis en exergue une notion qui me semble avoir été reléguée au second plan (au profit notamment de celles de résilience ou d'adaptation), alors que, sous son apparence ordinaire, elle ouvre des perspectives intéressantes : celle d'"équilibre", qui était au cœur notamment de cette "physique œconomique" exhumée par l'historien Arnaud Orain, dans son ouvrage
Les savoirs perdus de l'économie. Contribution à l'équilibre du vivant (Gallimard, 2023) — une science soucieuse de maintenir un juste équilibre entre les ressources d'un milieu naturel et l'exploitation qu'en font les hommes, et dont il nous a parlé ici-même à Cerisy à l'occasion du colloque Université et créativité. L'idéal et l'impératif, qui s'est tenu du 5 au 11 juillet 2023. Je ne résiste donc pas à l'envie de vous faire réagir non sans m'amuser de constater que cette notion refait en quelque sorte surface depuis l'observation de milieux sous-marins…

Hervé Bernard : Cette notion est toute sauf anodine pour les naturalistes que nous sommes : notre mission est d'observer les espèces, animales et végétales, qui peuplent un milieu, qu'il soit terrestre ou marin. Naturellement, cette observation nous amène à comprendre ce milieu, son fonctionnement, et, à partir de là, les conditions de son équilibre. Qu'entend-on par là ? Un rapport de forces qui s'est stabilisé, en somme, jusqu'à ce que le milieu soit de nouveau perturbé avant de trouver un nouvel équilibre, et ainsi de suite. Donc oui, cette notion est importante. Elle nous paraît évidente quand on observe la nature sous l'eau, car on perçoit bien les bouleversements qui affectent la chaîne alimentaire, l'écosystème avant de déboucher sur de nouvelles formes d'équilibre. Naturellement, ces bouleversements proviennent de l'arrivée de nouvelles espèces exotiques, des activités portuaires — lesquelles ne sont pas étrangères à cette arrivée — au travers notamment des ballasts et du fouling que j'ai évoqués. À travers l'équilibre des écosystèmes, c'est celui entre l'homme et la nature qui se joue. À ce propos, je suis pour ma part resté fidèle à des lectures de jeunesse, qui pourront paraître désuètes, mais qui ne m'en ont pas moins marqué dans ma perception des choses.

De quelles œuvres littéraires s'agit-il ?

Hervé Bernard : Je pense en premier lieu au roman d'Ernest Hemingway, Le Vieil Homme et la Mer (publié en 1952), qui décrit merveilleusement ce terrible rapport de forces entre l'homme et la nature, ici l'océan, à travers la figure d'un vieux pêcheur cubain, Santiago, en lutte avec un gigantesque marlin au large du Golf Stream. Dans un premier temps, c'est lui qui semble devoir l'emporter. En réalité, il n'en est rien. La nature finit par renvoyer l'homme à sa vanité et son orgueil en le dépouillant du trophée de sa pêche : le marlin finit dévoré par des requins — étant trop grand, il n'avait pu être embarqué dans le bateau de Santiago. Bien plus, Hemingway met en exergue l'incompréhension des hommes entre eux, à travers ce couple de touristes, qui va à la rencontre de Santiago à son arrivée au port de pêche, après plusieurs jours de lutte avec les requins ; il lui demande ce qui a bien pu se passer avec son poisson. À quoi le pêcheur répond juste par un : "tiburon !", qui signifie requin en espagnol. Un des touristes n'a pas d'autre réaction qu'un : "Ah, je ne savais pas que les requins avaient un rostre", soit le prolongement pointu qui caractérise en réalité le marlin… Une manière subtile d'illustrer le fait que non seulement les hommes ne se comprennent pas, se méconnaissent, mais encore n'ont pas la même connaissance de la biodiversité.
Je ne résiste pas à évoquer une autre référence qui me tient à cœur : Le Petit Prince, d'Antoine de Saint-Exupéry. De quoi est-il question ? D'un enfant qui veut apprivoiser la nature à travers la figure du renard, lequel ne manque pas d'objecter que cela engagera la responsabilité de son maître. Manière de dire que nous autres humains ne pouvons prétendre en faire autant avec la nature en général, sans assumer nos responsabilités à son égard. Je pourrais encore citer les Fables de La Fontaine.
Toutes ces références littéraires vous paraîtront peut-être bien naïves, innocentes. Pour ma part, je trouve qu'elles délivrent des messages qui restent d'actualité, aujourd'hui plus que jamais à l'heure où les atteintes à la biodiversité n'ont jamais été aussi grandes. Mais après tout, n'est-ce pas à cela qu'on reconnaît des chefs-d'œuvre de la littérature, à cette capacité à traverser le temps, à être indémodables ? À parler à toutes les générations tout simplement parce qu'en définitive la nature humaine ne change pas, reste la même avec ses qualités et ses défauts dans ses rapports à la nature ?
Quel rapport avec la plongée sous-marine, me direz-vous ? Je dirai que cette littérature m'aide à prendre de la hauteur, en tout cas du recul par rapport à ce qui se joue dans ce rapport de forces entre les activités humaines, portuaires en particulier, et la biodiversité sous-marine.

Au cours de votre intervention, vous nous avez donné à voir cette biodiversité, mais aussi à entendre un florilège de noms et de mots précis pour désigner et décrire la moindre espèce… Non sans me remettre en mémoire le livre de Romain Bertrand, Le Détail du monde. L'art perdu de la description de la nature (Seuil, 2019), qui nous invite à réapprendre à bien nommer les choses, à nous re-familiariser avec la langue précise des botanistes et autres entomologistes, si on veut préserver la biodiversité — la solution ne pouvant reposer seulement sur des politiques publiques, des mesures ou des innovations techniques ; elle requiert aussi la capacité à bien nommer et décrire cette biodiversité…

Hervé Bernard : C'est exactement ça ! C'est parfois en observant la nature dans le détail, ses organismes vivants jusqu'aux plus petits, aux plus minuscules que l'on trouve des clés de compréhension de la vie. Aussi nous attachons-nous, mes amis plongeurs et moi, à observer le petit, le microscopique, en le considérant avec la même attention que le macro, l'énorme, autrement dit ce qu'on voit de prime abord, toujours dans ce souci de rendre justice à ce besoin d'équilibre qui caractérise le fonctionnement des milieux.


Qu’est-ce qui vous a personnellement prédisposé à vous lancer dans cette activité bénévole de plongeur ?

Hervé Bernard : Au sein de "Port Vivant", nous sommes effectivement tous des bénévoles, c'est important de le souligner. Si j'ai parlé jusqu'ici à la première personne, c'est d'abord en tant que membre d'un collectif que je tiens à témoigner…

D'ailleurs, vous n'êtes pas venu seul à Cerisy…

Hervé Bernard : Non, en effet, je suis venu avec Denis Corthésy, le président de l'association, à qui je veux au passage rendre hommage : il tient le flambeau à bout de bras. L'association a été créée à son initiative et à celle de Gérard Breton, qui nous a malheureusement quitté en 2020. Pour ma part, je l'ai rejointe en 2019 avec l'envie de m'inscrire dans leurs pas à tous deux. Je ne suis pas scientifique, encore moins biologiste — je travaille dans un cabinet d'architecture. Mais depuis que je suis petit, je suis passionné par la nature. J'ai trouvé dans la plongée sous-marine quelque chose que j'aime par dessus tout, à savoir la possibilité de traiter d'une question sans pouvoir prétendre en faire le tour. Avec la plongée sous-marine, j'ai le sentiment d'apprendre tous les jours. C'est aussi cela que je trouve formidable.

Un mot sur l'exposition que l'ancienne étable du château de Cerisy a accueillie et que vous avez présentée lors de son vernissage…

Hervé Bernard : C'est une exposition itinérante conçue en partenariat avec l'Inserm et Haropa, afin d'illustrer la diversité des écosystèmes que l'on rencontre dans les différents bassins du port du Havre, en fonction de leur salinité, leur éclairement et leur niveau d'eau.
Un panneau d'introduction rappelle l'importance historique et contemporaine de ce port créé sous François 1er. Les panneaux suivants font plonger le visiteur dans les bassins du port pour lui faire découvrir les caractéristiques de l'eau, des quais et de la vase environnante, ainsi que l'écosystème du plancton et des organismes fixés sur les quais. Ils rendent compte également des stratégies alimentaires des mollusques ainsi que de la diversité des crustacés et poissons qui habitent les eaux portuaires. D'autres panneaux présentent les associations écologiques et les populations humaines, passées et présentes, qui ont influencé et continuent d'influencer la vie autour du port. À travers cette exposition, nous espérons bousculer l'image négative associée habituellement à un port — un lieu où les eaux seraient polluées, mortes et, donc, dépourvues de biodiversité. En réalité, c'est bien un lieu vivant.

Un mot encore sur le cadre dans lequel s'est déroulé le colloque, un cadre éloigné des bassins portuaires… Je ne résiste pas néanmoins à l'envie de savoir si vous l'avez vécu comme un lieu propice à une autre forme de plongée, cette fois dans d'autres disciplines, d'autres pratiques professionnelles…

Hervé Bernard : Le parallèle est pertinent car, effectivement, j'ai eu l'impression d'avoir plongé dans un milieu pluridisciplinaire, où il s'est agi de se confronter à d'autres disciplines sinon d'autres points de vue, que le mien. On a aussi pu entendre une diversité d'acteurs du monde portuaire, dont je ne soupçonnais pas l'étendue. Cela étant dit, où que je sois, j'ai le sentiment d'être connecté à la nature, qu'elle soit sous l'eau ou à sa surface. Donc, non, je n'ai pas eu le sentiment d'avoir plongé dans un milieu totalement étranger. D'autant moins qu'ici, nous sommes environnés de nature. À peine vous sortez du château, vous vous retrouvez dans un parc magnifique. C'est dire si je me suis senti dans mon élément. Même en ville, j'arrive d'ailleurs à trouver dans le spectacle d'une simple toile d'araignée ou des poissons d'argent de nos salles de bain, des motifs d'émerveillement. Que voulez-vous, quand on est connecté à la nature, on l'est 24 h sur 24, 7 jours sur 7, par tous les temps, en tout lieu.

La cloche sonne… Vous savez désormais ce que cela signifie…

Hervé Bernard : Oui, la séance reprend et il nous faut donc regagner la bibliothèque (rire).

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

Publication 2024 : un des ouvrages


L'Écriture du malaise

L'ÉCRITURE DU MALAISE


Houria ABDELOUAHED, Jean-François CHIANTARETTO, Jean-Michel HIRT (dir.)


Comment de nos jours rester freudiens dans notre réflexion sur les maux de la civilisation ?
Seule aujourd'hui une écriture reliée à celle de Freud — mais sous quelle forme ? — nous permettrait-elle de questionner le système de pensées, étayé sur le langage de l'histoire, qui conditionne notre penser ? Et d'interroger dans le même mouvement ce qui dans l'état actuel de la culture, et donc de la psychanalyse, nous empêche de penser ?
Mais alors qu'en est-il lorsque l'écriture prend le malaise pour motif ? Comment le malaise dans la culture est-il articulé au malaise dans la cure ? Et en quoi cela viendrait-il spécifier l'écriture de l'analyste, par rapport à celle de l'écrivain ?
Des psychanalystes sont ainsi conviés à partager les questions de l'écriture quand celles-ci sont envisagées sous l'angle du travail de culture — comme possible transformation de la destructivité et de l'autodestructivité — et de ses empêchements.
Différentes figures du malaise contemporain sont ainsi abordées, notamment : dans l'identité (du sexe au genre), dans l'emprise du virtuel sur l'intime, la parole et les liens, dans la formation psychanalytique, dans le transfert et son écriture…


Ouvrage issu d'un colloque de Cerisy (2023) [en savoir plus]
Disponible à Cerisy aux Amis de Pontigny-Cerisy [n°680]

CARACTÉRISTIQUES

Éditeur : Les Éditions d'Ithaque

Collection : Hors collection

ISBN : 978-2-490350-48-3

Nombre de pages : 286 p.

Prix public : 26,00 €

Année d'édition : 2024