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"SCIENCE DE LA DURABILITÉ : SISYPHE ÉTAIT-IL HEUREUX ?"

RENCONTRE AVEC OLIVIER DANGLES


Directeur de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement et actuellement directeur délégué adjoint à la Science, en charge de la science de la durabilité, Olivier Dangles est basé au Centre d'Écologie Fonctionnelle et Évolutive de Montpellier où il codirige un Laboratoire International entre l'Équateur, la Colombie et la France qui réalise des recherches interdisciplinaires sur la préservation de la Biodiversité et l'agriculture durable dans les Andes tropicales. Il est intervenu au colloque Vers une nouvelle alliance sciences-sociétés ?, qui s'est déroulé du 19 au 25 septembre 2023, sous la codirection de Pierre-Benoit Joly et Alain Kaufmann pour y exposer les principes de cette "science de la durabilité" et le positionnement qu'elle implique pour le chercheur, au regard des incertitudes dont le monde est semé. Où il est question de la possibilité d'un "Sisyphe heureux", mais aussi des vivants non humains dont il a fait connaissance en arpentant le parc de Cerisy…

Photo de groupe du colloque


Vous êtes intervenu sur les enjeux de la "science de la durabilité". Que recouvre-t-elle exactement ?

Olivier Dangles : Cette science de la durabilité est née d'un constat : la science en général est confrontée à de nombreux défis et enjeux, complexes, globaux et interconnectés. À l'image de ceux de l'eau, par exemple, qu'on ne peut plus prétendre traiter indépendamment de ceux de la biodiversité, de la santé et de bien d'autres encore. S'engager dans une science de la durabilité est une manière de prendre acte de cette complexité en affichant une double ambition : croiser les disciplines et savoirs non académiques pour parvenir à une meilleure compréhension globale des grands enjeux de durabilité de nos sociétés tout en cherchant à apporter des éléments de réponse opérationnels aux objectifs de développement durable.

Au cours de votre intervention, vous avez convoqué la métaphore de Sisyphe. Une manière de suggérer que la démarche ne va pas de soi au point de pouvoir décourager le chercheur…

Olivier Dangles : En effet. Face aux enjeux du développement durable, le chercheur se sent parfois face à des défis insurmontables, tel Sisyphe qui pousse sa pierre au sommet d'une montagne, avec la fatalité qu'elle finit toujours par retomber. Et ce, de la faute des politiques, des décisionnaires plus généralement qui n'en feraient pas assez ou ne tiendraient tout simplement pas compte des connaissances scientifiques. Plutôt que de se résigner, on pourrait se dire — c'est en tout cas ce à quoi j'invite mes collègues — que le plus important n'est pas tant de savoir jusqu'où l'on va pouvoir pousser sa "pierre", mais de réfléchir aux raisons qui pourraient la faire retomber — ce que nous autres chercheurs, scientifiques, ne prenons peut-être pas toujours le temps de faire. Plutôt que de focaliser sur la pierre, ne devrions-nous pas examiner le chemin que nous lui faisons emprunter, la montagne sur laquelle on prétend la faire rouler ? Bref, ne pourrions-nous pas être plus réflexifs par rapport aux difficultés que nous rencontrons pour proposer des trajectoires plus durables ? Et ainsi être ce Sisyphe dont nous parle Camus : un Sisyphe heureux parce que justement il ne se résigne pas, mais se révolte contre l'absurdité de sa condition. La science de la durabilité peut avoir cette ambition : faire du chercheur un Sisyphe heureux !

À cette simple évocation de Camus, je ne peux m'empêcher de songer à cette célèbre citation qu'on lui doit : "Mal nommer les choses ajoute à la misère du monde"…

Olivier Dangles : Vous faites bien de rappeler cette citation tant le mot même de durabilité fait débat au sein du monde académique comme à l'extérieur. Ne faudrait-il pas parler plutôt de "soutenabilité" ? En admettant que la durabilité ait un sens, ne faudrait-il pas ensuite la qualifier de faible ou de forte comme le font les économistes ? Des questions qui sont au centre de débats intenses et rien que de plus normal : mal nommer les choses peut effectivement compromettre la possibilité d'embarquer le maximum de gens avec nous. Donc, autant être vigilant dans le choix des mots qu'on utilise. Cela étant dit, veillons aussi à ne pas différer le temps de l'action. Face à l'urgence de la situation, à la rapidité des changements en cours, face aux attentes des jeunes générations, il faut agir, être force de propositions concrètes. Et c'est aussi la vocation d'une science de la durabilité qui assume en cela un certain pragmatisme. D'accord, ce mot de durabilité fait débat, mais que cela ne nous empêche pas d'agir ! En cela, la science de la durabilité tient des sciences de l'ingénieur. C'est une science encline à l'action tout en restant réflexive et c'est en cela qu'elle m'intéresse.

Nous réalisons l'entretien au terme du colloque. En quoi vous a-t-il conforté dans votre démarche ? Quels enseignements en tirez-vous, qui soient susceptibles de conforter cette science de la durabilité ?

Olivier Dangles : J'en retiens au moins deux. Au plan de l'interdisciplinarité, d'abord. Les participants à ce colloque étaient majoritairement issus des sciences humaines et sociales, et ce qui intéresse l'écologue que je suis, a priori plus tourné vers les sciences de l'environnement, c'est de prendre la mesure de la diversité qui peut exister en leur sein, une diversité bien plus grande que l'idée que je m'en faisais. Quand on évoque l'interdisciplinarité, c'est dans le sens d'une articulation de ces sciences à d'autres sciences, dont celles de l'environnement. Or, au fil des communications, j'ai pu constater que cette interdisciplinarité gagnerait à être déjà renforcée au sein de ces seules SHS.
Second enseignement : le poids de l'histoire dans la manière dont un territoire est vécu. C'est ressorti avec évidence lors de visite au Parc Naturel Régional des Marais du Cotentin et du Bessin où a été évoqué jusqu'au souvenir du débarquement de juin 1944 et les traces qu'il a laissées : la libération de la population, mais aussi des bombardements, des plages mutilées… Une illustration s'il en était besoin de ce qu'on gagne à connaître l'héritage du passé : il peut expliquer la complexité des rapports des habitants à leur territoire.

Je comprends mieux la complicité qui est ressorti du débat organisé entre vous et l'historien Pierre Cornu…

Olivier Dangles : Pierre a justement une façon stimulante d'éclairer le poids du passé, de redonner jusqu'à l'épaisseur historique des sciences, en faisant redécouvrir des auteurs méconnus qui ont pourtant influencé la manière d'envisager la recherche, marqué son organisation institutionnelle, comme celle de l'Inra par exemple, auquel il a consacré des ouvrages [La Systémique agraire à l'Inra, histoire d'une dissidence, 2021 ; L'Histoire de l'Inra, entre science et politique, 2018, chez Quæ éditions]. Les sciences de l'environnement gagneraient à revisiter elles aussi leur passé, ne serait-ce que pour convaincre les étudiants qu'elles n'ont pas attendu les défis actuels pour se constituer, qu'elles aussi ont une histoire et des auteurs qui gagnent à être (re)découverts.

Un mot sur le dispositif même du colloque de Cerisy que vous découvriez à cette occasion…

Olivier Dangles : Il tranche avec les colloques scientifiques auxquels j'ai l'habitude de participer. D'abord, au regard du temps : ici, on échange toute la journée, durant près d'une semaine. On n'a de cesse de s'entendre dire ou de se dire à soi-même : je n'ai pas le temps (de faire ceci ou cela). Et bien, ici, à Cerisy, on prend le temps, justement. Ce qui correspond à une exigence de la science de la durabilité : pour être dans la démarche réflexive que j'évoquais, il faut nécessairement prendre du recul et, donc, s'inscrire dans la durée. La réflexivité ne se décrète pas.
Ensuite, au regard du cadre, de l'environnement : le parc du château ! Ici, on peut se connecter à des humains, bien sûr — les colloquants —, mais aussi à des vivants non humains. À l'heure où je vous parle, j'ai pu en identifier une quarantaine !

Pouvez-vous nous en donner quelques exemples ?

Olivier Dangles : Des non humains aux noms poétiques tels que la lucilie soyeuse ou l'hélophile suspendu (des insectes), le nombril de vénus ou le polystic à soies (des plantes). Eux comme les autres sont désormais répertoriés sur une carte de l'application de science citoyenne iNaturalist (https://shorturl.at/eprGV). Le plus drôle, c'est la réaction des participants quand je leur ai fait découvrir cette diversité, au cours de mon intervention. Ils semblaient prendre conscience que, plusieurs jours durant, ils avaient cohabité avec autant d'espèces, sans le savoir. Beaucoup avaient pris le temps de se promener dans le parc, mais manifestement sans prêter attention aux autres vivants. Quelque chose d'inconcevable pour le naturaliste que je suis, dont le premier réflexe est, où que j'aille, d'aller voir de près quelles sont les espèces végétales ou animales avec lesquelles je vais être amené à cohabiter, voire à dialoguer. C'est dire le défi auquel nous faisons face, notamment dans la manière d'envisager l'objet d'étude des sciences. Pour en revenir aux sciences humaines et sociales, elles se sont constituées historiquement en portant leur attention sur nous autres les humains. En réponse aux exigences de durabilité, il leur faut maintenant porter davantage leur attention à nos rapports avec ces vivants non humains. Car ils nous apportent une ressource indispensable pour penser notre avenir : la poésie.

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

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"UNE SECONDE FOIS SUR LA ROUTE MENANT À CERISY"

RENCONTRE AVEC MARIE DÉGREMONT


C'est la deuxième fois que nous la rencontrions à Cerisy. La fois précédente, c'était en 2019 à l'occasion du colloque La pensée aménagiste en France : rénovation complète ?. Cette fois, c'était à l'occasion du colloque Comprendre la route : entre imaginaires, sens et innovations, codirigé par Mathieu Flonneau et Frédéric Monlouis-Félicité du 8 au 14 septembre 2023, à l'initiative de la Fabrique de la Cité, qu'elle a rejointe en mai dernier au titre de directrice adjointe des études. Elle témoigne ici de son plaisir à retrouver Cerisy, un cadre qu'elle trouve propice au croisement de regards d'experts de différents horizons professionnels et disciplinaires.

Photo de groupe du colloque


C'est le deuxième entretien que vous m'accordez à Cerisy [entretien en ligne sur le site L'EPA Paris-Saclay]. La première fois, c'était à l'occasion du colloque La pensée aménagiste en France : rénovation complète ? auquel vous aviez participé au titre de cheffe de projet au Département Développement durable et numérique de France Stratégie. Cette fois, c'est à l'occasion du colloque Comprendre la route : entre imaginaires, sens et innovations, au titre de directrice adjointe des études à La Fabrique de la Cité, membre du Cercle des partenaires de Cerisy et à l'initiative de ce colloque…

Marie Dégremont : En effet. J'ai rejoint la Fabrique de la Cité en mai dernier au terme d'un cheminement fait de méandres tout autant que de lignes droites ! Ce qui rend d'ailleurs l'expérience cerisyenne d'autant plus savoureuse : on a beau avoir fait beaucoup de route (au sens figuré comme au sens propre) entre deux colloques, on retrouve ce lieu tel qu'on l'avait quitté.

Quel a été votre parcours depuis votre précédente intervention à Cerisy ?

Marie Dégremont : J'ai quitté France Stratégie pour rejoindre le Haut-commissariat au Plan au titre de conseillère auprès de François Bayrou sur des sujets variés — l'énergie, mon terrain d'expertise initial, mais aussi la démographie et la réindustrialisation. Travailler auprès d'une telle personnalité politique a été une expérience enrichissante. Dans la foulée de l'élection présidentielle de 2022, j'ai intégré le cabinet de la ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires, Amélie de Montchalin puis de son successeur, Christophe Béchu. Ironie de l'histoire : en 2013-2014, je m'étais lancée dans un projet de thèse, mais sans parvenir à disposer d'un financement. Or, il portait sur les rapports entre écologie et territorialisation, qui se trouvent désormais, dix ans plus tard, au cœur de l'action d'un ministère et non des moindres. C'est dire si cela avait du sens pour moi de rejoindre ce ministère — en tant que plume et chargée de la prospective. Une autre expérience d'autant plus stimulante qu'elle a permis à la spécialiste des politiques publiques que je suis de vivre de l'intérieur le processus de décision qui préside à leur élaboration, de surcroît sur des enjeux majeurs. Je n'ai pas souvenir d'avoir vécu une expérience professionnelle aussi intense ! Au bout de huit mois, j'ai eu envie de disposer de plus de profondeur de champ dans mon analyse des sujets. Le temps de me soumettre aux procédures de prévention des conflits d'intérêts, j'ai pu rejoindre la Fabrique de la Cité en tant que directrice adjointe des études. Tout en continuant à suivre mes sujets de prédilection, l'énergie et les mobilités, j'ai l'opportunité d'en investiguer d'autres. Au cours de ce colloque, vous avez pu apprécier l'engagement de l'équipe de la Fabrique de la Cité, pour imaginer le plaisir que j'ai à écrire cette nouvelle page de mon parcours professionnel.

Sans avoir su que cette nouvelle page vous donnerait l'occasion de revenir à Cerisy…

Marie Dégremont : Non, en effet ! J'ignorais, au moment de poser ma candidature, que la Fabrique de la Cité avait programmé ce colloque. La surprise n'en fut que plus agréable. Sans que nous le sachions, nos esprits s'étaient déjà rencontrés autour de cet intérêt commun pour Cerisy !

Nous réalisons l'entretien à l'issue de ce colloque que vous avez rejoint "en cours de route" en y étant restée cependant assez de temps pour en avoir un large aperçu. Quel enseignement principal en tirerez-vous sur le fond, la route, ses enjeux et ses défis ? Qu'a-t-il permis de dire d'original sur cet "objet" qu'on croit connaître pour l'emprunter tous les jours, d'une façon ou d'une autre ?

Marie Dégremont : Ce que j'en retiens, c'est d'abord la richesse des éclairages apportés par le croisement des regards : ici, les intervenants viennent d'horizons très divers, tant au plan disciplinaire que professionnel. De prime abord, on a tendance à voir la route comme une question d'ingénieurs — au prétexte qu'elle serait une affaire d'enrobés, d'infrastructures… En réalité, c'est l'affaire de bien d'autres professionnels et de chercheurs, y compris en sciences humaines et sociales, qui n'en partagent pas tous la même vision, y compris au sein d'une même discipline. Ce qui rend les discussions d'autant plus intéressantes.
C'est que la route revêt de multiples dimensions, aussi bien techniques, économiques et sociétales qu'esthétiques. Invitation au voyage, elle est une source d'inspiration pour les écrivains, les poètes et d'autres artistes. Autant de facettes que le colloque a su donner à voir au fil des communications en explorant jusqu'à son imaginaire. Si on croyait tout savoir de la route, force est d'admettre qu'on avait encore beaucoup à en apprendre. Forcément, les visions des uns et des autres sont loin d'être toujours convergentes. Pour autant, les désaccords n'ont pas empêché la discussion de se poursuivre. Ici, à Cerisy, les gens font preuve de beaucoup de tolérance, d'un réel esprit d'ouverture et c'est aussi pour cela qu'on ne demande qu'à y revenir.

Un mot sur le cadre : le château, son parc, la durée du colloque…

Marie Dégremont : A priori, ce cadre paraît à des années-lumière de notre sujet : nous sommes dans un château comme posé au milieu des pâtures. Pour autant, la route n'est pas totalement absente. On l'emprunte d'ailleurs pour venir jusqu'ici depuis Paris ou d'une gare des environs, pour aller au village ou se promener tout simplement. De sorte qu'on peut éprouver concrètement les difficultés de la cohabitation entre usagers de la route. À l'image du chemin qu'il nous reste à parcourir pour la décarbonation des mobilités !

La cloche sonne ! Vous savez ce que cela signifie…

Marie Dégremont : (Rire) Oui, bien sûr ! Que les communications vont reprendre et que nous devons regagner la bibliothèque toute affaire cessante !

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

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"CERISY À L'HEURE D'UNE EUROPE POLYGLOTTE"

RENCONTRE AVEC KRISTIN ENGELHARDT, JAN FISCHER, FREDERIKE LIEVEN,
MARIUS MASSON, JONAS NICKEL, NATALIE SCHWABL, MARIIA SHEPSHELEVITCH ET FRIEDER SMOLNY


Étudiantes et étudiants français, allemands, croate et russe, ils sont venus à Cerisy, dans le cadre de l'école d'été de l'université franco-européenne, portée par Wolfgang ASHOLT, professeur émérite de Littératures romanes à l'université d'Osnabrück, et Johann CHAPOUTOT, professeur d'histoire contemporaine à la Sorbonne, pour contribuer au colloque L'Europe : héritages, défis et perspectives, codirigé par le premier et Corine PELLUCHON, du 19 au 27 août 2023. C'est la première fois qu'ils se rendaient à Cerisy. Comment s'y sont-ils retrouvés ? Connaissaient-ils ce lieu avant d'y venir ? Comment caractériseraient-ils cette expérience cerisyenne ? Éléments de réponse à travers cet entretien choral auquel ils ont bien voulu se livrer.

Frieder Smolny, Jan Fischer, Wolfgang Asholt, Corine Pelluchon,
Jonas Nickel, Frederike Lieven, Natalie Schwabl,
Mariia Shepshelevich, Kristin Engelhardt, Marius Masson


Comment vous êtes-vous retrouvés à participer à ce colloque ? Connaissiez-vous Cerisy avant d'y venir ?

Natalie Schwabl : Allemande d'origine croate par ma mère, je suis étudiante en thèse à Sorbonne Université, sous la direction du professeur Johann Chapoutot. C'est la première fois que je me rends à Cerisy. C'est aussi la première fois que je participe activement à un colloque à travers une communication, en l'occurrence sur "Le rôle des Églises dans les luttes pour l'indépendance" en Croatie et d'autres pays de l'Europe des Balkans. J'ai été très heureuse des réactions suscitées par mon intervention, des échanges qui s'en sont suivis. Je ne suis encore que doctorante et ne pensais donc pas qu'on prendrait autant au sérieux mes propos !

Jonas Nickel : Doctorant à l'université Humboldt de Berlin, j'avais déjà entendu parler de Cerisy dans le cadre de l'école d’été et d'autres programmes universitaires portés par le professeur Asholt ou des collègues de l'Institut für Romanistik. J'étais donc très enthousiaste à l'idée de pouvoir m'y rendre à mon tour et pour une durée aussi longue (huit jours) une durée atypique par rapport aux colloques universitaires qui, en principe, ne durent que deux, trois jours au plus. Et d'être en plus invité à y faire une communication — sur les "Enjeux de la réédition critique d'écrits antisémites".

Jan Fischer : Comme Jonas, je suis doctorant à l'université Humboldt. J'ai beau m'appeler Jan Fischer, ici on me prénomme François Rabelais au prétexte que je fais une thèse sur son œuvre [rire]. Jusqu'alors, Cerisy était pour moi comme un mythe : un de mes professeurs, Helmut Pfeiffer, y était venu il y a quelques années. Il m'avait parlé de l'histoire du lieu, de l'ambiance qui y régnait. Naturellement, je n'ai demandé qu'à pouvoir y venir à mon tour. J'y suis enfin, à l'invitation du professeur Asholt, pour y faire moi aussi une communication sur "Nous, les Lumières et l'autre". La thématique du colloque est éloignée de mon sujet de thèse mais, après tout, je suis tout autant concerné par l'Europe. Ce n'est pas mon premier colloque, mais ici, cela n'a rien à voir. Les communications se succèdent du matin au soir ; les échanges se prolongent durant les repas et au-delà. Bref cela ne s'arrête pas ! Les discussions sont passionnantes et passionnées.

Marius Masson : Je ne connaissais pas Cerisy avant d'y venir. Je me suis donc renseigné en allant voir sur le site. J'ai vu que cela se passait dans un château. Je me suis dit qu'aller passer quelques jours dans un tel cadre, ce ne devait pas être déplaisant [rire]. Je me suis dit aussi qu'un colloque sur l'Europe était un moment pertinent pour revenir sur l'historiographie du fascisme, objet de ma communication. Certes, ce n'est pas la face la plus glorieuse de l'Europe, mais on ne peut escamoter cette part d'ombre de notre histoire européenne. Il nous faut pouvoir y revenir en y posant un regard critique.

Frederike Lieven : Pour ma part, je suis arrivée ici sur un malentendu ! Il y a cinq mois, j'ai reçu un email d'une personne que je ne connaissais pas, mais qui m'a informée de la tenue d'un colloque qui se tiendrait à Cerisy — un lieu dont je n'avais jamais entendu parler avant —, et que j'étais invitée à y participer ! Sur l'instant, je n'avais pas réagi, pensant que ce devait être une erreur, jusqu'à ce que l'invitation me soit confirmée à l'approche du colloque, avec en plus celle d'y faire une communication. Pourtant, l'Europe n'est pas à proprement parler mon sujet de recherche. Mais, bon, si cela me permettait de passer quelques jours dans un château, pourquoi pas… J'ai donc réfléchi à ce que je pourrais bien dire. Finalement, ma communication porte sur les "Mathématiques modernes et [l']esprit des Lumières". Les participants pourront juger de la pertinence du propos [Frédérik devait intervenir le surlendemain de l'entretien qu'elle nous a accordé]. C'est ainsi que j'ai appris que la personne qui m'avait donné l'opportunité de me rendre à Cerisy n'était autre que Wolfgang Asholt, qui s'était rapproché de mon directeur de thèse, lequel lui avait communiqué mon email.

Frieder Smolny : Je poursuis des études à Berlin en littératures européennes. Comme beaucoup, j'ai été invité à venir ici par le professeur Asholt pour une communication sur le thème "Littérature et décolonisation". Une invitation dans laquelle j'ai vu d'abord la possibilité d'améliorer mon français, de le pratiquer et de l'entendre. J'apprécie beaucoup les discussions qui se déroulent ici : des discussions très vivantes, qui peuvent être assez vives, les participants donnant parfois l'impression de se disputer. Ce à quoi nous ne sommes pas forcément habitués en Allemagne. Mais, personnellement, j'aime bien ça, d'autant que ces disputes ne vont jamais très loin : les gens savent aussi s'écouter. Je précise que je ne connaissais pas Cerisy avant d'y venir.

Mariia Shepshelevich : Je poursuis un master en arts, cultures romanes, à l'université Humboldt de Berlin. J'ai été invitée par le professeur Asholt. Étant Russe, je ne suis bien évidemment pas indifférente à ce qui se passe en Europe et dans mon pays en particulier. En parallèle à mes études, je suis engagée politiquement. Ma communication portera d'ailleurs sur les "Formes de résistance en Russie". J'aime le format de ce colloque car il m'offre l'occasion d'écouter des hommes et des femmes qui ont une réelle expertise sur les sujets dont ils parlent. Cela change tant avec ces personnes qui passent leur temps à donner leur opinion mais sans la moindre expertise [rire].

Kristin Engelhardt : Avant de me lancer dans une thèse, j'ai, dans le cadre du Master Européen en Études Françaises et Francophones à l'université Humboldt de Berlin fait un mémoire sur le surréalisme en RDA, donc, oui, j'avais entendu parler de Cerisy : je connaissais Karl-Heinz Barck l'éditeur d'une anthologie en langue allemande sur le surréalisme français, qui avait assisté ici à plusieurs colloques. Depuis, je me faisais de Cerisy l'idée d'un lieu magique, imprégné de l'esprit de grands penseurs et intellectuels. Naturellement, je ne demandais qu'à y venir à mon tour. Un vœu qui a été exaucé par mon professeur Wolfgang Asholt, ce dont je lui suis reconnaissante. D'autant qu'il m'a aussi offert l'occasion d'y faire une communication, "Mode et politique — Politique de la mode. La mode européenne entre refus et adaptation".

Comment caractériseriez-vous votre expérience cerisyenne ?

Jonas Nickel : Ce colloque nous a donné une chance unique de pouvoir échanger avec des politiques ou d'autres intervenants expérimentés (je pense à Pierre Vimont), qu'on n'a pas l'occasion de fréquenter dans la vie de tous les jours. J'apprécie aussi la dimension multidisciplinaire des points de vue, ce qui peut aussi faire parfois question : cela nous expose à des fractures épistémologiques et, donc, à des risques de malentendus, certains allant jusqu'à voir l'histoire comme une puissance politique qui suivrait son cours indépendamment des volontés humaines. J'observe aussi que les participants sont de toutes les générations, ce qui est un plus, mais aussi source possible d'autres fractures, plus générationnelles celles-là.

La durée du colloque ne permet-elle pas de donner le temps de dissiper des malentendus à défaut de surmonter les fractures ?

Jonas Nickel : C'est ce que l'on espère ! Il nous reste encore plusieurs jours pour nous en assurer [rire].

Jan Fischer : Ce qui m'a le plus surpris, c'est d'abord la beauté du cadre, la possibilité de me lever le matin au son de la cloche et de l'entendre de nouveau à l'approche des repas ou pour la reprise des communications… Tiens la voilà qui sonne ! Comme c'est drôle ! Il me suffit maintenant d'en parler pour qu'elle se fasse entendre [rire]. Ce que j'apprécie également, ici, c'est l'importance qu'on accorde aussi bien aux nourritures intellectuelles qu'aux nourritures terrestres. Nul doute que ce lieu aurait plu à Pantagruel ! J'apprécie aussi la qualité des discussions. C'est si différent de mes expériences de colloques, en Allemagne comme en France. Cela étant dit, la vie ici est si intense qu'hier, au bout du deuxième jour donc, j'ai eu comme des troubles cognitifs ne sachant plus si ce que je vivais était vrai ou si c'était un rêve !

Natalie Schwabl : Ce que j'apprécie beaucoup, c'est la structuration du colloque autour de communications réparties entre le matin et l'après-midi avec des débats ou interventions artistiques le soir. Alors oui, cela fait des journées bien chargées, mais le fait de partager les repas, de se côtoyer toute la journée, rend l'expérience unique. Cela tranche avec les colloques auxquels j'ai assistés jusqu'alors : non seulement je n'y intervenais qu'au titre d'auditrice, mais encore ils se déroulaient sur un laps de temps trop court pour faire plus ample connaissance.

Marius Masson : Ici, la moindre conversation est intense car on n'hésite pas à confronter ses points de vue en toute cordialité, mais aussi en toute franchise. Et cela me va très bien. Je ne suis pas sûr d'ailleurs de vouloir me donner la priorité d'essayer de dépasser les conflits. Après tout, le dissensus, c'est bien aussi !

Au moins, la durée du colloque laisse-t-elle le temps d'expliciter ce dissensus sinon de s'assurer qu'on a de réels motifs d'être en désaccord…

Marius Masson : Tout à fait, même si on reste à la merci de malentendus — je doute en effet qu'on puisse toujours les dissiper, y compris au cours d'un colloque de huit jours [durée du présent colloque]. Cela étant dit, dans un premier temps, je l'ai appréhendé comme un colloque scientifique. Mais très vite, je me suis rendu compte qu'il n'en était rien. Ce qui est tout sauf une mauvaise surprise. Cela permet de sortir des carcans disciplinaires et d'éviter l'excès de formalisme des colloques universitaires.

Jan Fischer : Comme l'indique son étymologie, le colloque recouvre une diversité de formes. Voyez ceux de la tradition grecque au cours desquels on mangeait, on buvait ensemble, on discutait sans se restreindre dans le temps.

Kristin Engelhardt : Ce qui me frappe, c'est la variété des points de vue disciplinaires qu'on peut y entendre, avec un réel souci des participants de nourrir le débat. Quelque chose d'assez exceptionnel, à laquelle je n'avais encore jamais assisté que ce soit au sein de l'université ou ailleurs. Rien à voir non plus avec les débats intellectuels ou politiques que j'ai pu suivre et où on échange mais sans avoir toujours un vrai débat. Certes, il y a des divergences, des malentendus mais, comme cela été dit, la durée du colloque laisse le temps de les surmonter, si besoin. Mais un colloque de Cerisy, c'est aussi une épreuve physique ! Le programme est dense et rester assis aussi longtemps à écouter des communications, ce n'est pas simple, ce peut même être fatiguant [rire]. La prochaine fois, je songerai à prendre le temps d'aller marcher davantage lors des pauses. d'autant plus qu'ici la nature est idyllique et propice au ressourcement.

Mariia Shepshelevich : Je me retrouve dans les propos de Kristin ! Cela étant dit, j'apprécie le fait de pouvoir écouter des personnes maîtrisant bien leur sujet. Encore une fois, cela change avec les débats qu'on peut entendre dans lesquels chacun livre son opinion, mais sans expertise ni s'écouter.

Frieder Smolny : Comme Kristin, j'insisterai sur la multidisciplinarité, mais aussi sur la densité du programme. Suivre des interventions aussi nombreuses, dans une langue qui n'est pas la sienne, forcément, cela finit pas fatiguer ! D'autant que, comme cela a été dit, les échanges se poursuivent jusqu'à tard le soir. Mais ce que j'apprécie, c'est qu'on puisse aborder aussi facilement les intervenants, qu'il n'y ait pas de barrière entre eux et nous, les étudiants ; que nous soyons considérés comme des participants à part entière — tous ont d'ailleurs été invités à faire une communication.

Frederike Lieven : Pour moi, le colloque, c'est comme une chambre de résonance : les exposés sont tous intéressants en eux-mêmes et, en même temps, ils se font écho, résonnent les uns avec les autres. En en écoutant un, on fait aussitôt le lien avec ce qu'on a entendu précédemment, lors d'un autre exposé, ou avec ouvrage ou un article qu'on a lu... C'est cette accumulation de liens, de références que je trouve intéressante. Une autre image me vient à l'esprit, c'est celle de Loft Story

Pardon ???

Frederike Lieven : Oui, Loft Story, vous avez bien entendu, cette émission de téléréalité du début des années 2000 — elle s'appelait Big Brother en Allemagne. Elle consistait à réunir en un même lieu, durant un certain temps, des personnes qui ne se connaissent pas et on regarde pour voir ce qui se passe ! À Cerisy, il y a un peu de cela : la plupart des participants ne se connaissaient pas, y compris, nous, les étudiants qui venons pourtant pour plusieurs d'entre nous de la même université. Finalement, les échanges les plus intéressants qu'on peut avoir sont ceux que l'on a pendant les repas. On retrouve une sociabilité dont on avait été privés suite à la crise sanitaire liée à la Covid-19 et au recours de plus en plus fréquent aux visioconférences. Je suis reconnaissante à Cerisy de préserver cette possibilité de pouvoir échanger, en vrai, "en présentiel" comme on dit aujourd'hui. De permettre aussi à des jeunes de s'exprimer, de donner leur avis, bien que nous ne soyons encore qu'étudiants et, donc, a priori sans réelle expérience. C'est, comment dire ?… gratifiant !

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

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"CERISY VU DE TUNISIE"

RENCONTRE AVEC HAZEM BEN AISSA, ASMA BACCOUCHE ET AMINA NADIA MNASRI


Ils sont tous les trois Tunisiens. Hazem Ben Aissa est docteur en ingénierie et gestion et enseignant-chercheur en Management, au Larime, un laboratoire de recherche en sciences économiques et de gestion, de l'ESSECT, l'université de Tunis. Asma Baccouche et Amina Nadia Mnasri, sont deux de ses doctorantes. Ils livrent ici leurs impressions suite à leur première expérience à Cerisy lors du colloque L’action collective peut-elle être créatrice ? (autour des travaux d’Armand Hatchuel).

Asma Baccouche, Hazem Ben Aissa, Armand Hatchuel,
Amina Nadia Mnasri, Lucienne Hatchuel


Si vous deviez commencer par vous présenter ?

Hazem Ben Aissa : Enseignant chercheur en gestion, je suis un ancien du Centre de Gestion Scientifique (CGS), de l'École des Mines. J'ai été invité à ce colloque par Armand Hatchuel pour y faire une communication sur un modèle émergent de gouvernance des entreprises familiales tunisiennes à travers le cas du groupe Sotupa. Lequel aspire à adopter un modèle inclusif et inspiré d'initiatives éprouvées à l'étranger telles que la société à mission en France.

Un défi s'il en est, ainsi que vous l'avez rappelé…

Hazem Ben Aissa : C'est en effet un défi qu'on pourrait même qualifier d'énorme. Il s'agit ni plus ni moins de passer d'une action collective impossible [dans le contexte Tunisien où prime le modèle actionnarial de la gouvernance d'entreprise] à l'action collective possible. Un défi que nous nous employons à relever depuis un an dans le cadre d'un programme de recherche collaborative initié par le Larime et plusieurs industriels en Tunisie.

En ayant d'ores et déjà obtenu des résultats prometteurs…

Hazem Ben Aissa : Oui, et il faut en remercier Armand Hatchuel qui nous a accompagnés depuis le début. Nous avons d'ores et déjà signé une quinzaine de conventions de recherche et lancé six doctorats en entreprise. D'autres projets vont suivre pour soutenir une recherche de qualité en Tunisie, sur des enjeux socio-économiques : outre les gouvernances d'entreprises, la gestion du turnover des ingénieurs, de l'innovation, la digitalisation, …

Preuve du dynamisme de ce projet : Asma et Amina, deux jeunes chercheuses de votre équipe, qui ont également assisté à ce colloque…

Asma Baccouche : Je suis doctorante, en 3e année de thèse en sciences de gestion, spécialité management, à l'université de Tunis, sous la direction d'Hazem. Je le remercie lui comme Armand de m'avoir invitée à ce colloque.

Amina Nadia Mnasri : Je suis aussi doctorante sous la direction de Hazem — la première à avoir entamé une thèse avec lui, ayant été déjà son étudiante en master. Nous échangeons depuis quatre ans sur les enjeux de la recherche collaborative avec des entreprises. Des champs nouveaux en Tunisie où on compte encore peu de doctorants en sciences de gestion, mais aussi d'entreprises disposées à travailler avec des chercheurs de ce domaine. Ma thèse porte plus spécifiquement sur la gestion des ingénieurs en informatique.

Qu'est-ce que cela vous fait-il d'être des pionnières ? Que votre directeur de thèse "investisse" en vous pour lancer une nouvelle génération de chercheurs en sciences de gestion ? N'est-ce pas beaucoup de responsabilité ?

Amina Nadia Mnasri : Si, bien sûr ! Je ne dois pas décevoir la confiance qu'il me fait. En même temps, étant sa toute première doctorante, j'ai la chance d'être bien entourée, de sorte que j'ai d'ores et déjà l'impression de participer à une action collective dont seul le meilleur pourra ressortir !

Nous réalisons l'entretien à la fin du colloque. Six jours se sont écoulés depuis votre arrivée. Comment les avez-vous vécus ? Quels enseignements en tirez-vous ?

Hazem Ben Aissa : En venant ici, je voulais approfondir la dimension conceptuelle et méthodologique de nos travaux de recherche collaborative. La richesse des communications, très différentes les unes des autres, et les débats auxquels elles ont donné lieu m'ont permis de consolider divers acquis et d'ouvrir de nouvelles perspectives. Au-delà de cela, j'ai apprécié la manière dont a été organisé le colloque, la diversité des intervenants et des disciplines convoquées. C'est précieux. J'en repars convaincu que l'action collective peut être abordée à partir d'un large éventail de pratiques, de méthodes, de secteurs d'activité, de collectivités et que c'est en cela qu'elle peut être créative. C'est dire si ce colloque a été fécond et ne pourra qu'avoir des prolongements encore insoupçonnés.

Les organisateurs ne vous ont-ils pas néanmoins compliqué la tâche en vous programmant le dernier jour avec, donc, le risque pour vous d'avoir à remanier en permanence votre communication pour intégrer ce qui se disait au fil des journées ?

Hazem Ben Aissa : (rire) Ce fut une contrainte que j'ai prise d'abord comme une opportunité. Comme j'aime à le dire à mes étudiants, un bon exposé est toujours en cours de construction/reconstruction. Et cela vaut pour un professeur et pour quiconque dont on peut penser qu'il maîtrise son sujet.

Asma Baccouche : En cela, on peut dire qu'un exposé est aussi le fruit d'une action collective : il s'enrichit des discussions et des remarques d'autrui.

Hazem Ben Aissa : En effet, un exposé est le fruit d'une activité que je qualifierais même de sociale, au sens où il se nourrit des interactions avec des acteurs de la société elle-même, sinon d'une communauté de personnes réunies le temps d'un colloque. Je ne pouvais donc pas prétendre faire l'exposé prévu à mon arrivée. Finalement, c'était même une chance que de devoir passer le dernier jour. Et pas seulement parce que l'auditoire était aussi suffisamment fatigué pour ne pas percevoir tout ce que je ne maîtrise pas encore (rire).

Amina Nadia Mnasri : Je reprendrai à mon compte la formule utilisée par Jean-François Chanlat [un des intervenants] : ici, c'est un foyer de création intellectuelle, grâce justement à cette diversité des profils et des disciplines évoquées par Hazem, et qui loin de rester à distance convergent progressivement à mesure que le colloque avance.

Quels enseignements en tirez-vous au plan théorique ?

Asma Baccouche : Pour ma part, je repars enrichie des discussions qui ont eu lieu sur l'action collective à l'heure du numérique. Elles me seront particulièrement précieuses pour mes travaux de recherche sur la transformation digitale. Je repars aussi avec d'autres pistes de réflexion et même ce sentiment d'avoir vécue cette "transformation" dont a parlé Armand Hatchuel à propos du chercheur "transformé" à mesure qu'il avance dans l'exploration de son objet de recherche.

Amina Nadia Mnasri : Pour ma part, je repars convaincue de l'intérêt de la multidisciplinarité. À Cerisy, comme Hazem et Asma l'ont dit, nous avons pu discuter avec des chercheurs de différentes disciplines, en sciences humaines et sociales, mais aussi en sciences exactes. Les points de vue peuvent ainsi se croiser. Or, c'est précisément comme cela, en croisant les approches qu'on peut éclairer une thématique. Ce qui n'allait pas de soi avant de venir ici. Quand j'ai vu le programme, j'ai même été très surprise de voir que le mot ingénieur, qui m'est particulièrement familier, était accolé à celui de poète [dans l'intitulé de la communication de Georges Amar]. Loin de me dissuader d'y venir, cela n'a fait qu'aiguiser ma curiosité. Maintenant, pour avoir assisté à tout le colloque, je mesure à quel point cette multidisciplinarité enrichit la science en général et les sciences de gestion en particulier.

Avec peut-être la sensation d'être confrontée à plusieurs langues : disciplinaires, professionnelles, artistiques, mais aussi maternelles : l'anglais ou même l'arabe à travers le film de Nabil Ayouch, Haut et Fort [2021], projeté en soirée. Qu'en est-il du cadre même de Cerisy, son château, ses dépendances, son parc, ses cloches… Sans oublier la durée du colloque…

Amina Nadia Mnasri : Ce colloque n'avait rien à voir avec ceux auxquels nous avons l'habitude d'assister en Tunisie ou à l'étranger, au Maroc, en France… J'avoue m'être demandé si une cloche suffirait à battre le rappel, à nous réunir pour commencer à l'heure. En fait, c'est très efficace. Tout au plus commencions-nous avec une ou deux minutes de retard. Autant dire rien, comparé à ce qu'on peut enregistrer chez nous ! Mais assez ici pour presser les "retardataires" ! Et puis, c'est un lieu qui force le respect : après avoir entendu Edith Heurgon nous rappeler l'histoire du lieu, forcément, on se doit de se montrer respectueux à son égard. Et je trouve cela tout sauf intimidant, mais, comment dire… magnifique !

Asma Baccouche : À Cerisy, j'ai eu la sensation d'être dans un processus continu de création collective, du matin jusqu'au soir, et de nouveau le lendemain jusqu'au dernier jour, que ce soit au moment des communications ou des repas que nous partageons ensemble et qui sont propices à des échanges informels mais tout aussi riches. J'ai été agréablement surprise de voir à quel point les gens sont disposés à échanger, à partager leur vision, leur idée avec vous, sans chercher à vous convertir à leur point de vue.

Hazem Ben Aissa : Comme Amina et Asma, j'ai beaucoup aimé ce lieu. C'est un cadre exceptionnel propice aux rencontres, à des débats d'une grande richesse. J'ai particulièrement apprécié le simple fait de partager ensemble les repas, le fait d'être servi, à l'ancienne, pour nous permettre de nous consacrer pleinement à nos échanges et nos réflexions.

Asma Baccouche : Il faut féliciter les cuisinières pour leur repas, que je trouve particulièrement équilibrés. C'est important quand le séjour dure plusieurs jours !

Hazem Ben Aissa : Que dire du cadre, de la bibliothèque, de la cave, autre lieu de socialisation où on peut se distraire, jouer au ping pong. C'est important pour s'aérer l'esprit ! Le lieu a beau être exceptionnel, on s'y sent en famille. Pouvoir y suivre un colloque durant toute une semaine, c'est une chance. Bravo à l'équipe qui maintient ce lieu vivant. Je ne demanderais bien sûr qu'à pouvoir y faire venir des étudiants, des doctorants, des collègues pour faire davantage connaître Cerisy en Tunisie. Maintenant, si quelqu'un pouvait venir le présenter chez nous, à l'ESSECT, nous ne demanderions qu'à l'y accueillir.

Asma Baccouche : Je me souviens de ce qu'Edith a dit le premier soir du colloque, lors de la présentation des participants : "Nous espérons bien que le Château sera content à l'issue du colloque". Dans l'instant, je n'ai pas trop compris ce que cela pouvait bien vouloir dire. Comment un château pouvait-il être content ? De quoi ? De qui ? Maintenant, je comprends : cela signifie que le colloque se sera déroulé en respectant l'esprit du lieu, ses rites, le temps rythmé au son des cloches, sans oublier le personnel qui nous permet de nous consacrer à nos échanges.

Comprenez-vous maintenant pourquoi Armand le fréquente depuis si longtemps, en quoi ce lieu a été inspirant pour sa théorie de l'action collective et sa contribution à la promotion de l'entreprise à mission ?

Hazem Ben Aissa : Je connais Armand depuis une vingtaine d'années. En venant ici pour la première fois, je comprends mieux son cheminement intellectuel, comment il a pu concevoir ses théories et ses modèles, qu'il a présentés au cours du colloque d'une manière si claire. Se rendre ici autant de fois qu'il l'a fait depuis quarante ans, forcément, ça ne peut que façonner son mode de pensée. Déjà, un seul colloque suffit à vous ouvrir de nouveaux horizons, à vous transformer — je reprends le mot !

Asma Baccouche : Le simple fait de voir les photos dans le hall d'entrée, les personnalités qui se sont rendues à Cerisy et Pontigny, les thèmes qui y ont été traités, forcément, c'est intimidant, mais c'est aussi très inspirant. Tout comme le cadre avec sa verdure, ses arbres et ce calme… Tout cela paraît exceptionnel pour la Tunisienne que je suis, mais aussi, manifestement, pour les Français qui découvrent le lieu pour la première fois, comme cela a été le cas à l'occasion de ce colloque.

Amina Nadia Mnasri : J'observe aussi qu'ici, la nationalité, les origines importent peu. Armand est comme nous, il est originaire d'un autre pays. Au final, tout un chacun, d'où qu'il vienne finit très vite par s'adapter au Château, à ses valeurs, sa propre raison d'être, en l'occurrence préparer les nouvelles générations aux défis de leur temps. À cet égard, il faut saluer le niveau des doctorants de l'École des Mines — je pense en particulier à Antoine [Goutaland] et Jérémy [Lévèque] qui ont pris en charge la restitution au nom des jeunes chercheurs. J'ai été impressionnée par la qualité de leur intervention. Eux aussi ont su épouser l'esprit du lieu. C'est bien la preuve que Cerisy est un lieu propice aussi à la transformation des nouvelles générations.

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

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"UN COLLOQUE DE CERISY EN GUISE DE CADEAU"

RENCONTRE AVEC ISABELLE ROUDIL


Isabelle Roudil en rêvait. Ses collègues l'ont fait à l'occasion de son départ à la retraite : lui "offrir un colloque de Cerisy" : L’action collective peut-elle être créatrice ? (autour des travaux d’Armand Hatchuel), qui s'est déroulé du 7 au 13 juin 2023. Un choix plus que pertinent à en juger par le parcours professionnel de notre nouvelle retraitée.

Photo de groupe du colloque


Si vous deviez, pour commencer, vous présenter en quelques mots ?

Isabelle Roudil : Comme j'aime à dire, je suis une femme d'un certain âge (j'ai 64 ans). Manière de dire que ma vie professionnelle est désormais derrière moi, bien que j'espère avoir encore de belles années à vivre. D'autant plus que, étant à la retraite, je suis débarrassée des contingences matérielles. Un changement majeur, que je vis comme quelque chose de bénéfique. À la fin de ma carrière, je dirigeais une petite entreprise — une coopérative dans la promotion immobilière qui comptait 21 salariés, où j'exerçais de fortes responsabilités au titre de mandataire sociale. Diriger une entreprise est une source de plaisir, mais aussi beaucoup de pression, encore plus en cas de crises.

Comment en êtes-vous venue à participer à ce colloque en tant qu'auditrice ?

Isabelle Roudil : Pour mon pot de départ, j'ai réuni des collègues et des partenaires (élus, institutionnels…). Ce que j'ignorais, c'est que mes collègues avaient aussi réfléchi aux cadeaux qu'ils pourraient me faire. Ils m'en ont fait plusieurs, dont ce séjour à Cerisy. Leur choix a porté sur le colloque autour des travaux d'Armand Hatchuel ! Ils reconnaissaient ainsi le temps et l'énergie que j'avais consacrés aux autres à travers mon engagement professionnel. Beaucoup de personnes présentes à ce pot connaissaient Cerisy et ont apprécié à sa juste valeur ce cadeau : "Oh, un colloque de Cerisy, quelle chance tu as !".

Et, vous-même, aviez-vous déjà entendu parler de Cerisy ?

Isabelle Roudil : Oui, ne serait-ce qu'à travers des actes que j'avais lus. Je me souviens même d'ailleurs de m'être dit, il y a une dix ou quinze ans que j'aimerais beaucoup y venir…

Mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour exaucer ce vœu ?

Isabelle Roudil : N'étant ni universitaire ni intellectuelle, je ne me croyais pas autorisée à y venir. J'ai découvert qu'on pouvait y venir comme auditeur ! Qu'il me soit permis de rendre hommage à la personne qui a eu l'idée de ce cadeau : Sophie Humbert, dont le père, Louis Humbert, s'était rendu plusieurs fois à Cerisy, notamment en 1981, pour le colloque L'auto-organisation. De la physique au politique.

Nous réalisons l'entretien à l'issue du colloque. Dans quel état êtes-vous ? Quels enseignements en tirez-vous ?

Isabelle Roudil : Ma première réponse est en fait une question : pourquoi donc n'ai-je pas 25 ans pour rejoindre le laboratoire d'Armand Hatchuel, Blanche [Segrestin] et Franck [Aggeri] ? Comment ai-je pu vivre sans les connaître ? Au cours de ma carrière, j'ai essayé de créer, d'inventer, mais sans support méthodologique ou conceptuel. Je me suis laissée guider par mon intuition, ce qui m'a souvent réussi. J'ai su m'entourer mais je me suis sentie parfois un peu seule : j'aurais pu prendre davantage de recul. Quand j'entends les chercheurs discuter ensemble, je mesure la fécondité de leurs échanges et tout ce que l'on gagne à se confronter à d'autres points de vue. C'est tout simplement très beau !

Des échanges féconds que vous auriez pu entendre ailleurs…

Isabelle Roudil : Peut-être. Une chose est sûre : ce lieu est à part. Pour le caractériser, je n'aurais qu'un mot : Cerisy est un lieu propice !

À quoi ?

Isabelle Roudil : À tout ! Je ne saurais donc trop encourager les gens d'y venir. Dès l'arrivée au château, la magie opère de sorte que vous êtes dans une sorte de lâcher prise par rapport aux contingences matérielles... On peut se consacrer à la découverte des autres...

Parleriez-vous de disponibilité ?

Isabelle Roudil : Oui, Cerisy est propice à la disponibilité. Non seulement on vous libère de préparation de vos repas, mais encore on vous sert à table. Les membres de l'équipe sont attentifs à chacun, sans verser dans la moindre complaisance. Car il ne s'agit pas non plus de faire ce qu'on veut. J'ajoute que c'est un lieu chargé d'histoire, qui force en cela le respect. Pour le savoir, il faut y venir, en faire l'expérience. C'est un lieu ouvert sur le monde, au sens où on y rencontre des gens de différents univers, disciplinaires et professionnels. C'est aussi en cela que c'est un lieu propice, un champ de possibles.

À souligner qu'à Cerisy on est débarrassé des contingences matérielles, ne risque-t-on de laisser croire que c'est un lieu déconnecté de la réalité ?

Isabelle Roudil : Non, car les contingences matérielles dont Cerisy nous libère sont celles qui envahissent nos existences. Ici, on n'en mesure pas moins tout le nécessaire au bon fonctionnement du château, en bénéficiant de l'attention du personnel au moindre détail. Bref, à Cerisy, on n'est pas hors-sol. C'est aussi cela qui fait la magie du lieu. Une magie que la directrice Edith Heurgon incarne ! À travers elle, j'ai ressenti un sens de l'hospitalité qui m'a donné le sentiment d'être pleinement autorisée à être là, à participer aux échanges.

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

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"CERISY - VARELA, UNE RELATION PROPICE À L'AMITIÉ"

RENCONTRE AVEC AMY COHEN-VARELA


Du 13 au 19 août 2022, le Centre culturel international de Cerisy accueillait le colloque Francisco Varela, une pensée actuelle, organisé sous la direction de Natalie Depraz et Ivan Magrin-Chagnolleau. Psychologue clinicienne, Présidente de l'Institut Mind & Life Europe, et dernière compagne de ce penseur, Amy Cohen-Varela revient ici sur les particularités d'un colloque de Cerisy.

Natalie Depraz, Ivan Magrin-Chagnolleau,
Amy Cohen-Varela, Claude Plouviet


Au vu de l'actualité de la pensée varélienne, on se doute que de nombreux colloques, séminaires, conférences lui sont consacrés. D'ailleurs, à peine celui de Cerisy terminé, vous partez pour un autre colloque "immersif" de plusieurs jours. Mais en quoi un colloque de Cerisy a-t-il été spécifique ? Qu'est-ce qui nous/vous a appris de la pensée de Varela qu'un autre colloque ne serait pas parvenu à mettre au jour ?

Amy Cohen-Varela : Chaque colloque consacré à Varela est différent, singulier. Il n'y en a pas deux qui se ressemblent. Évidemment, la particularité d'un colloque de Cerisy comme celui que nous venons de vivre, réside d'abord dans le lieu même, le château, son parc, l'accueil que nous réserve l'équipe. À Cerisy, on a le sentiment de participer à une aventure culturelle et intellectuelle, mais aussi à une histoire, celle d'une famille incarnée par Edith (Heurgon), dont le hasard a voulu que le jour d'anniversaire des 80 ans ait été fêté au cours du colloque, ce qui n'a fait qu'ajouter au sentiment de vivre dans un lieu à part. Que dire de sa propre vie à elle, une vie exceptionnelle, qui impressionne d'autant plus qu'elle la poursuit avec une énergie folle ! Et puis, voir, dès le hall d'entrée, toutes ces photos de penseurs, d'écrivains, d'intellectuels plus illustres les uns que les autres, forcément, cela oblige à tâcher d'œuvrer à notre tour à la vie des idées, dans une attitude de révérence à l'égard de la pensée.

Un mot sur le cadre, le château avec son parc arboré, son potager…

Amy Cohen-Varela : Ce n'est pas la première fois que je vis un colloque au milieu de la nature, mais cette nature-ci avec ses arbres magnifiques m'a particulièrement touchée. Il faut dire que nous avons eu la chance de vivre notre colloque en parallèle au Foyer de création et d'échanges dont la thématique, "Ce que la littérature peut faire aux arbres ?", nous incitait à porter sur eux plus d'attention que nous l'aurions fait en temps normal. Je savais qu'un tel Foyer devait se tenir – Edith nous avait prévenus en nous proposant, aux codirecteurs et à moi-même, de prévoir des soirées communes. Une illustration de cette "clôture ouverte" dont il a été tant question au cours du colloque. Si je n'ai pu participer à d'autres rendez-vous du Foyer, je sais en revanche que des colloquants y sont intervenus d'une manière ou d'une autre et qu'en sens inverse, des résidents, dont vous-même, ont assisté à plusieurs de nos communications ou moments d'échanges. Ces rencontres entre spécialistes de Varela et des personnes qui ne connaissent pas sa pensée et ne font même que "passer voir", par curiosité, je les ai trouvées particulièrement fructueuses ; elles ont fait apparaître des surprises, des propriétés émergentes comme aurait dit Francisco.

Un mot sur les cloches ?

Amy Cohen-Varela : Oui, bien sûr ! La particularité du lieu tient aussi à cette manière dont elles rythment la vie du colloque. Tandis que l'une bat le rappel pour les repas, une autre annonce la reprise des communications. Cela m'a évoqué les écoles d'été de Mind & Life Europe, que nous avons, durant plusieurs années, organisées au sein d'un monastère. Sauf que, là, les cloches sonnaient tous les quarts d'heure ! Une particularité, qui pouvait avoir quelque chose de dérangeant, jusqu'à ce que nous nous soyons résignés à tenter de jouer avec en prenant le parti de nous arrêter de parler chaque fois qu'elles se mettaient à sonner ! Ces espaces de silence se sont révélés être bénéfiques : ils modifiaient le dialogue comme une ponctuation. Encore une occasion pour faire émerger du sens. Lors de l'exercice auquel nous venons de nous livrer avant le départ [une restitution par les doctorants, suivis d'échanges avec les autres participants qui le souhaitaient], quelqu'un a jugé que l'organisation était trop structurée, du fait des cloches justement, et regrettait que des discussions dussent se clore pour passer à table. Au contraire, outre le fait qu'elles sonnent moins souvent que dans le monastère, je trouve que la structuration qu'elle induise est nécessaire pour permettre à de l'imprévu d'émerger. J'ai même trouvé quelque chose de très "énactif" dans cette attention croissante et collective que nous avons tous fini par manifester à leur égard. Au début, on ne les entend pas forcément, avant d'en saisir le principe : nous rappeler qu'il est temps de nous diriger vers le réfectoire ou vers la salle de conférence. Ainsi, sans avoir besoin de nous concerter, nous amorcions un mouvement spontané, maritime si je puis dire, au sens où nous déplacions tel un banc de poissons !

Oh, quelle belle image dans laquelle je me retrouve ! Concernant la personne ayant regretté cette structuration par la cloche, je relève que c'est la même qui a dit le plaisir à se sentir engagée dans de véritables conversations, regrettant d'autant plus qu'elles pussent être interrompues, fût-ce provisoirement, le temps de s'installer à table. C'est au final bien la preuve que le colloque a été une réussite, au moins de ce point de vue — cette qualité des échanges auxquels il a donné lieu. À se demander d'ailleurs si, à Cerisy, on ne renouerait pas avec l'art de la conversation… Je le dis à dessein, car vous-même avez mis en avant ce mot de conversation dans votre intervention inaugurale.

Amy Cohen-Varela : En effet, j'ai abordé la question de savoir dans quel type de conversation il fallait s'engager pour changer l'esprit. Une réflexion que je poursuis au sein de Mind & Life Europe, et même depuis que je travaille dans le domaine de la psychanalyse — laquelle crée les conditions d'une forme de conversation fondée sur des règles très particulières, censées créer un cadre génératif. À chaque lieu où j'interviens, je réfléchis aux règles à instaurer ou avec lesquelles on pourra jouer. À quoi tiennent-elles ici ? Sont-elles redevables au lieu, ou à celui dont nous avons étudié l'œuvre, Francisco Varela ? Ou à l'alchimie entre les deux, à supposer qu'il fût bien avec nous. L'était-il ? C'est la question posée par Victoria Vasquez Gomez, à travers sa performance artistique (en projetant à la nuit tombée la question "Es-tu là ?" sur la façade du château). Personnellement, et sans vouloir verser dans quelque mysticisme, je pense que oui !

Une chose est sûre : Cerisy est un lieu qu'il aura fréquenté à trois reprises à l'occasion des colloques L'auto-organisation. De la physique au politique (1981, dirigé par Paul Dumouchel et Jean-Pierre Dupuy) ; Approches de la cognition (1987, dirigé par Jean-Pierre Dupuy et Francisco Varela) et Institution imaginaire, autonomie (autour de Cornélius Castoriadis) (1990, dirigé par Philippe Raynaud) …

Amy Cohen-Varela : Autant de colloques qui ont été des moments clés pour lui : ils lui ont permis de rencontrer des communautés de chercheurs très diverses. Rappelons qu'en 1981, il était un chercheur "vagabond", en exil (il avait quitté le Chili suite au coup d'État de 1973), ne sachant encore vraiment où s'établir. Les conversations qu'il a pu avoir ici, à Cerisy, avec des collègues de différentes disciplines, sont de celles qui peuvent agir sur l'esprit, ont une action sur lui. Elles créent aussi des liens d'amitié, non pas pour le simple plaisir de se dire amis, mais au sens où elles consistent en un accueil de la pensée de l'autre, dans un compagnonnage. Or, il est clair que ces trois colloques ont généré des communautés de pensée, qui se sont élargies au fil du temps. Il serait intéressant d'ailleurs de relever les intervenants qui se sont retrouvés d'un colloque à l'autre, témoignant ainsi de l'instauration de relations d'amitié durables, comme celles nouées avec Jean-Pierre Dupuy, Cornelius Castoriadis, …

Ce que vous dites ressort clairement du premier volet du film Monte Grande : What is Life, de Franz Reichle, projeté à l'occasion du colloque (film accessible sur le site du réalisateur : http//www.franzreichle.ch). On prend la mesure de l'insertion de Varela dans une communauté de pensée qui est allée en s'élargissant, et pas seulement dans le champ académique ; des liens d'amitié qu'il savait nouer, susciter avec des interlocuteurs de différents horizons disciplinaires…

Amy Cohen-Varela : Francisco aimait les échanges qui se poursuivaient dans une forme de familiarité respectueuse. Il pensait, et on touche là de nouveau au principe de l'énaction, que tout ce qu'on est en mesure de générer d'intéressant, ne vient pas de soi ni de l'autre, mais se noue dans le moment de l'échange, de la conversation. En ce sens-là, on peut donc dire que c'est davantage le lien, que les individus considérés isolement, qui est source de créativité, de générativité, et donc de surprises. Que c'est, autrement dit, dans "l'entre" que cela se passe. Et quel meilleur endroit que Cerisy pour créer de l'entre, cette manière de vivre ensemble comme un banc de poissons, si je puis user encore de cette métaphore. Un banc qui se meut, divague au son des cloches…

Ce que vous dites-là me fait penser aussitôt à la relation telle que la pensait Édouard Glissant, à la pensée duquel était consacré le colloque qui précédait le vôtre. Je ne résiste pas cependant à l'envie de revenir sur la thématique du Foyer et poser la question de savoir quel était le rapport de Francisco avec les arbres ? Pour ma part, je relève que dans le second extrait de film, on peut découvrir à quel point la maison de son enfance à Monte Grande était dans un environnement arboré, au point qu'on ne peut s'empêcher de se dire que dans la perspective d'une écobiographie, les arbres ont compté pour lui. Mais qu'en est-il exactement ? Que savez-vous de lui à ce propos ?

Amy Cohen-Varela : En réponse à votre question, je rappellerai pour commencer que l'un des tout premiers livres qu'il a publié, et coécrit avec Humberto Maturana, avait pour titre L'arbre de la connaissance (Éditions Addison Weslsey France, 1994) … Reconnaissons cependant que c'était en référence à la mythologie, l'arbre du bien et du mal. Francisco n'a pas plus théorisé que cela sur ce vivant non humain. J'essaie cependant de réfléchir à ce qu'a pu être son rapport à ce dernier dans la vraie vie… Ce n'est pas simple ! Il nous a quitté il y a déjà si longtemps… Si maintenant je me laissais aller à de l'association libre, je rappellerai encore que lorsqu'il a commencé à m'apprendre à méditer, à adopter la bonne position assise, le dos bien droit tout en restant aussi souple que possible, il me disait : "Imagine que tu es un arbre…".

Merci pour cette association libre ! Pour clore cet entretien, j'aimerais encore vous faire réagir à l'impression que vous nous avez faite, à savoir celle de n'être pas intervenue comme une simple porte-parole de la pensée de Varela, mais celle d'avoir eu envie de partager votre interprétation de celle-ci, au prisme de votre propre parcours, cheminement.

Amy Cohen-Varela : Absolument ! Francisco et moi avons des racines mêlées et c'est en cela que notre relation était merveilleuse.

Des racines mêlées, comme celles de deux arbres…

Amy Cohen-Varela : Oui, d'arbres, en effet (sourire). Il est évident que je ne peux pas prétendre être autre chose qu'une interprète de son œuvre, mais dans le bon sens du terme, musicale si je puis dire. D'autant que la partition que Francisco nous a laissée est extrêmement ouverte et non chargée d'indications à respecter à la lettre. C'est vrai aussi que notre vie commune, bien que plus courte que ce que nous aurions souhaité, a été une longue conversation. Non que nous discussions du moindre de ses écrits. Tous ceux qui ont travaillé avec lui peuvent en témoigner : Francisco travaillait beaucoup avec les autres, dans un échange continu. Il fonctionnait comme une éponge : il donnait beaucoup, mais il écoutait aussi finement. Il aimait développer sa pensée dans le dialogue. Voyez sa bibliographie : il a beaucoup coécrit (outre Humberto Maturana, Natalie Depraz, Evan Thompson et tant d'autres). C'était la marque de son style de pensée. Si la brillance de celle-ci pouvait parfois donner le sentiment de dérouler à la manière d'un rouleau compresseur, en compensation, il cultivait une ouverture d'esprit, propice à la discussion plutôt qu'au monologue, guettant l'émergence qui en résulterait. Francisco, c'était ces deux côtés, y compris dans ses échanges avec moi.

Je ne peux m'empêcher de repenser à cette citation : "Le chemin le plus court de soi à soi passe par autrui". Il me semble à vous entendre que c'était aussi la conviction de Francisco Varela…

Amy Cohen-Varela : Absolument ! Je ne connaissais pas cette citation. Si vous pouviez m'en dire la source, je vous en serais reconnaissante.

Vérification faite, nous la devons à Paul Ricœur.

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

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"CERISY : PREMIÈRE ÉTAPE D'UN VOYAGE DE NOCE !"

RENCONTRE AVEC GIUSEPPE SOFO & MARIAGRAZIA TOCCACELI


Suite de nos échos autour du colloque Édouard Glissant, la relation mondiale sous la direction de Sam Coombes, Thiphaine Samoyault et Christian Uwe, qui se déroulait du 2 au 11 août 2022 à travers, cette fois, le témoignage de ce couple d'Italiens, lui intervenant dans le cadre d'un atelier de traduction, elle l'accompagnant sur la route de leur voyage de noce dont Cerisy constituait une première étape….

Photo de groupe du colloque


Comment vous êtes-vous retrouvés à participer à ce colloque consacré à l'héritage d'Édouard Glissant ?

Giuseppe Sofo : J'ai été invité par les organisateurs qui avaient eu connaissance de ma traduction d'œuvres de Glissant en italien. Ils m'avaient écrit il y a un an, en plein mois août. Je me souviens combien j'avais été heureux à l'idée de participer à un tel colloque et de découvrir enfin, par la même occasion, Cerisy, dont j'avais entendu parler depuis des années, sans oser espérer avoir un jour l'opportunité de m'y rendre ! Aussi, dès l'invitation reçue, j'ai donné mon accord de principe en m'engageant à assister à l'ensemble du colloque.

Vous y êtes venu pour participer à un atelier de traduction aux côtés de traducteurs d'autres nationalités…

Giuseppe Sofo : Effectivement, les organisateurs ont souhaité revenir longuement sur les enjeux de la traduction des écrits de Glissant, parsemés d'"intraduisibles" [au sens de Barbara Cassin], à travers cet atelier et d'autres communications. Pour ma part, j'ai proposé une interprétation de la traduction comme quelque chose qui se passe aussi au-delà des langues. D'ailleurs, la plupart des personnes ayant participé à mon atelier ne parlaient pas l'italien.

C'était mon cas !

Giuseppe Sofo : J'ai donc proposé d'aborder la traduction comme une pratique qui se manifeste jusque dans la vie quotidienne, dès l'instant où nous essayons de communiquer, de reproduire quelque chose. À cet égard, il en va de la communication comme de la traduction : de même que celle-ci ne parvient jamais à être totalement fidèle au texte original, de même la communication ne parvient jamais à faire entendre exactement ce qu'on souhaite dire. Quand on parle avec quelqu'un, on en est toujours réduit à "se traduire", avec des limites comme on peut en rencontrer dans la traduction d'un texte. Dans un cas comme dans l'autre, on se heurte à des malentendus. Dès lors qu'on admet que la communication interpersonnelle, celle qu'on pratique au quotidien, est aussi affaire de traduction, on comprend mieux que cette communication peut donner lieu à des erreurs d'interprétation ou des approximations, par ce travail même de traduction qu'on effectue sans toujours s'en rendre compte…

À vous entendre, on comprend combien la communication exige de disposer de temps ne serait-ce que pour dissiper les éventuels malentendus. Or, c'est précisément ce que permet un colloque de Cerisy par sa durée même — neuf jours dans le cas de celui auquel vous venez de participer. En attendant, je précise que vous êtes venu avec votre épouse. Ce n'est pas la première fois que des intervenants viennent ainsi accompagnés. Sauf que là, vous venez juste de vous marier : le mariage a eu lieu l'avant-veille de votre venue à Cerisy !
[à Mariagrazia] : Vous auriez pu protester, en considérant que ce n'était pas le moment d'assister à un colloque. Et pourtant, vous êtes venue, en assistant à plusieurs communications, aux côtés de votre mari…

Rire de Giuseppe et Mariagrazia

Mariagrazia Toccaceli [traduite par Giuseppe Sofo] : Non, effectivement, je n'ai pas protesté. J'avais envie de découvrir ce lieu dont Giuseppe m'avait tant parlé. Nous avons eu beau nous être mariés deux jours avant de venir ici, Cerisy nous a paru être une première étape avant la véritable destination de notre voyage de noce, la Martinique.

Giuseppe Sofo : J'avais donné mon accord de principe aux organisateurs bien avant que Mariagrazia et moi ne prenions la décision de nous marier — c'était il y a six mois. Ce n'est qu'à l'approche de la double échéance — notre mariage et le colloque — que j'ai pris la mesure du fait que celui-ci démarrait le surlendemain… Plutôt que de différer notre arrivée (j'intervenais quelques jours plus tard), nous nous sommes dits que ce séjour à Cerisy pouvait nous donner une première opportunité de nous abstraire du monde quotidien, être aussi une escale avant la Martinique si chère à Édouard Glissant…

Nous voici arrivés au terme du colloque, quels enseignements en tirez-vous ?

Giuseppe Sofo : Ce colloque a d'abord été pour moi l'occasion d'échanger avec des personnes que je ne connaissais jusqu'à présent que par leurs écrits. Je pense notamment à Thiphaine Samoyault. De la voir enfin, là à Cerisy, de faire plus ample connaissance avec elle, en tant que chercheure, mais aussi en tant que personne, quel plaisir ! Quelle chance ! Même chose pour Beate Thill, la grande traductrice en langue allemande de l'œuvre de Glissant : je la connaissais jusqu'alors pour avoir en quelque sorte collaboré avec elle à distance et à son insu, dans le sens où j'avais lu ses essais, pris en compte ses considérations sur le travail du traducteur et son approche de l'œuvre de Glissant. Bref, ici, à Cerisy, j'ai eu la sensation de me retrouver au milieu d'une bibliothèque vivante, à pouvoir dialoguer avec des œuvres tout autant qu'avec leurs auteurs, en chair et en os, au cours d'un repas ou d'échanges informels. Ce colloque a été aussi l'occasion d'entendre le point de vue des nouvelles générations, de personnes qui n'ont pas connu Glissant de son vivant, mais qui trouvent dans son œuvre des clés de compréhension du monde actuel, et matière aussi à nourrir leurs engagements. J'ai pu percevoir à travers leurs interventions, les discussions plus informelles que nous avons eues lors des repas (ou dans la cave !), l'envie manifeste de passer d'une interprétation de la lecture glissantienne du monde, donnant à voir des relations invisibles entre des cultures, des pays, à sa "traduction" en actes, dans des pratiques de tous les jours, de façon à changer concrètement la vie des gens.

… dans des pratiques et, j'ajouterai, une sociabilité, une manière de vivre "avec ensemble" (pour reprendre la formule de Paul Desjardins)…

Giuseppe Sofo : Oui, c'est tout à fait cela !

Mariagrazia Toccaceli : Cette sociabilité, cette connivence que l'on a partagée du simple fait de vivre ensemble, plusieurs jours durant, dans le cadre de Cerisy, en passant notre temps à dialoguer, mais aussi à manger ensemble, aux mêmes heures, c'est la première chose que j'ai appréciée. Pour autant, je n'ai pas eu l'impression d'être enfermée dans une petite communauté, coupée du reste du monde. Des gens arrivaient en cours de route tandis que d'autres repartaient, donnant ainsi un sentiment de mouvement permanent, qui a ajouté au charme de cette expérience.

Vous-même avez assisté à des communications. Que retenez-vous de l'œuvre même de Glissant ?

Mariagrazia Toccaceli : Ce que j'en retiens, c'est le caractère tout à la fois simple et complexe de sa pensée. J'apprécie aussi sa compréhension de la traduction comme quelque chose de délicat mais aussi de risqué dans la mesure où, par une simple erreur, on peut transformer radicalement le sens d'un propos. Une petite faute et c'est tout le sens d'une pensée que vous changez !

D'où l'importance du temps (on y revient…). Il faut rester longtemps "avec ensemble" pour disposer de celui de dissiper d'éventuels malentendus…

Mariagrazia Toccaceli : Oui, parfaitement ! À ce propos, on ne peut pas ne pas rendre hommage à… la cloche ! Elle bat le rappel pour les repas ou la reprise des communications tout en procurant le sentiment d'un temps qui s'écoule à l'infini. Au début, cela surprend, forcément, mais on s'y habitue avec plaisir, au point que l'autre jour, alors que nous visitions, Giuseppe et moi, l'abbaye de Hambye, nous avons réagi à une cloche, qui s'est mise à sonner. "C'est l'heure du repas !" nous sommes-nous surpris à nous dire dans un réflexe pavlovien, au point de nous diriger vers la sortie pour rentrer au château !

Giuseppe Sofo : Je crois que la cloche fait partie de l'esprit du lieu : elle règle le temps comme elle le faisait au XIXe siècle. Elle renforce la sensation d'être ici comme dans une bulle, mais dont on peut sortir très vite. Il suffit pour cela de se rendre dans le village tout proche. Un village parmi d'autres. En faisant une halte dans le seul café qui s'y trouve, nous avons été ainsi aussitôt reconnectés à des problématiques comme celles auxquelles n'importe quel autre village peut être confronté aujourd'hui, en France comme en Italie. Même si, par d'autres aspects, nous avons eu aussi la sensation d'être projetés dans les années 1950, dans ce que le village a dû être au moment du démarrage de Cerisy…

Il se trouve que la cloche vient de sonner pour battre le rappel du dernier repas. Il nous faut obtempérer et suspendre l'entretien !

Éclats de rire de Mariagrazia et de Giuseppe…

Giuseppe Sofo : Pourtant, je ne résiste pas à l'envie d'ajouter que ce séjour aura été au final un voyage dans notre voyage. Mariagrazia et moi avons été très touchés par l'accueil si chaleureux que l'équipe de permanents réserve aux participants. Tout en ayant l'air d'être d'un autre temps, Cerisy est un lieu unique qui gagne à perdurer et où nous ne demandons qu'à revenir.

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

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"PREMIERS ENSEIGNEMENTS DU COLLOQUE GLISSANT"

RENCONTRE AVEC THIPHAINE SAMOYAULT


Du mardi 2 au jeudi 11 août 2022, se déroulait le colloque Édouard Glissant, la relation mondiale sous la direction de Sam Coombes, Tiphaine Samoyault et Christian Uwe. En voici un deuxième écho à travers le témoignage de sa codirectrice — professeure d'université, écrivaine et critique littéraire —, qui revient ici sur sa genèse et ses premiers enseignements, à quelques heures du départ.

Christian Uwe, Tiphaine Samoyault, Sam Coombes


Pouvez-vous, pour commencer, revenir sur la genèse de ce colloque…

Tiphaine Samoyault : Elle remonte au colloque autour de Frédéric Jacques Temple, qui s'était tenu en 2015, avant de se préciser l'année suivante, lors du colloque sur les Brassages planétaires, auquel avaient participé Sylvie Glissant ainsi qu'un certain nombre de nos intervenants, comme l'écrivain et artiste Dénètem Touam Boa.
Pour ma part, j'ai rejoint l'aventure en 2019 — Sylvie et Edith m'ayant proposé de diriger le colloque. Je connaissais Cerisy pour avoir notamment participé au comité scientifique du colloque Roland Barthes : continuités, déplacements, recentrements, qui s'était tenu en juillet 2016 et avoir été invitée à bien d'autres colloques (Annie Ernaux, Michel Deguy, Julia Kristeva, etc.). J'ai ensuite proposé deux codirecteurs, Christian Uwe et Sam Coombes, Maîtres de conférences respectivement en études culturelles et littérature comparée à l'université du Minnesota (États-Unis), au département des cultures et langues européennes à l'université d'Edinburg.
Depuis, la crise sanitaire et les périodes de confinement sont passées par là, contraignant à reporter notre projet. Il y a cependant une autre explication à cette longue gestation : la recherche autour d'Édouard Glissant et de son œuvre est multiple, parfois conflictuelle. Il nous a donc fallu prendre le temps de parvenir à un juste équilibre dans les perspectives. Cela n'a certes pas empêché à des tensions de se faire jour pendant le colloque, mais au moins étaient-elles motivées par des divergences intellectuelles et non idéologiques ou affectives.

Comment avez-vous envisagé le programme, en dehors de cette recherche d'équilibre que vous avez évoquée ?

Tiphaine Samoyault : Pour ce qui me concerne, je tenais à ce que le colloque ait une dimension internationale, en y faisant venir des intervenants du monde entier. Plus facile à dire qu'à faire ! Mais je crois que nous y sommes parvenus, malgré d'inévitables défections et indisponibilités, avec la présence de personnes venues des Antilles, d'Afrique, d'Amérique du Nord, d'Asie et d'Europe. Une Australienne s'est inscrite d'elle-même en dernière minute pour suivre nos travaux. Cette diversité est à mon sens une des premières caractéristiques du colloque.
Une autre de ses caractéristiques, à laquelle je tenais également, est de pas être un colloque "de et pour" les spécialistes. Au contraire, j'ai souhaitais qu'il fût l'occasion de faire dialoguer des personnes dont Glissant est l'objet de recherche principal, dans tel ou tel domaine (l'anthropologie, la philosophie, la littérature et les arts plastiques) avec des personnes qui, sans en être des spécialistes, sont intéressées, pour ne pas dire frappées, par son œuvre, en empruntent des notions. De ce point de vue, je pense que l'objectif a, là aussi, été atteint : le dialogue a bien eu lieu et ce, pour le plus grand profit des uns comme des autres.

Quel autre enseignement tirez-vous de ce colloque qui vient tout juste de s'achever ?

Tiphaine Samoyault : [après un petit moment de réflexion…] Forcément, beaucoup de choses se sont produites qui n'étaient pas prévues, mais cette imprévisibilité ajoute encore à l'intérêt de ce colloque. Elle doit beaucoup, justement, à la diversité des personnes qui y assistaient, que ce soit comme intervenantes ou comme auditrices, ou tout simplement au fait qu'elles se rencontrent, en vrai. Un véritable dialogue s'est instauré, que ce soit à l'issue des communications ou, de manière plus informelle, lors des repas ou de ces autres moments que nous pouvons partager au cours d'un colloque de Cerisy. Un dialogue à la fois générationnel et intergénérationnel, malgré ou, au contraire, grâce à des différences de points de vue, mais aussi de modes d'expression. Il y a de toute évidence, de la part de la jeune génération, une forme de combativité ; elle retient de Glissant quelque chose de plus offensif pour nourrir ses propres luttes notamment par rapport aux enjeux écologiques.
Même si je souhaitais que cette dimension politique soit abordée — une journée entière lui était pleinement consacrée — elle s'est révélée plus importante que je ne le pensais. Plus intéressante aussi que cette manière lénifiante dont les sciences humaines ont de traiter parfois des défis de l'écologie. Le colloque a été l'occasion de le rappeler : qu'on le veuille ou non, la violence est inhérente à toute relation. Édouard Glissant ne dit pas autre chose. Chez lui, elle ne saurait être envisagée non plus comme un simple concept. Elle est une réalité concrète, à partir de laquelle peuvent s'inventer d'autres mondes. Soit le principe de la créolisation. Dans cette perspective, les luttes ont toute leur place. Elles doivent se poursuivre en toute lucidité, au quotidien, et pas seulement sur le terrain des concepts ou par concepts interposés. C'est une des conclusions de ce colloque, à laquelle je m'étais pas attendue mais dont je ne peux que me réjouir.
Je tiens encore à souligner la qualité des contributions des jeunes chercheurs intervenus au cours du colloque, y compris les doctorants, dont la plupart se sont inscrits d'eux-mêmes et non à l'invitation de leurs directeurs/trices de thèse, et sans même y avoir été officiellement invités par nous, ses directeurs (c'est un autre intérêt des colloques de Cerisy que d'être ouverts à des auditeurs libres). La diversité de leur approche, en plus des nationalités qu'ils représentaient, a ajouté à la richesse des échanges et, j'ajouterai, à leur charme : c'est fou la diversité des accents, au sens littéral du terme, qu'on a pu entendre au cours de ce colloque ! C'est d'ailleurs peut-être ce que j'ai le plus aimé.

Précisons que ce colloque avait encore pour particularité de se dérouler en parallèle au Foyer de création et d'échanges qui, pour sa troisième édition, avait pour thème Que peut la littérature pour les arbres ?. Cela a-t-il apporté quelque chose de particulier à la dynamique de votre colloque ?

Tiphaine Samoyault : J'ai trouvé qu'il y avait une pertinence évidente à programmer les deux, le colloque et le Foyer, en parallèle. C'était d'ailleurs si évident qu'on pouvait se demander s'ils n’avaient pas été conçus dans un même mouvement ! Étant impliquée dans l'organisation de mon colloque, je n'ai pu malheureusement participé au Foyer, hormis une des soirées communes — la présentation d'un travail d'une des résidentes autour des fougères —, mais je sais que des membres du colloque y ont pris part comme Cécile Chapon dont la communication ("Le vivant comme relais pour un imaginaire du monde") a fortement intéressée les animateurs du Foyer. En sens inverse, des résidents ont assisté à nos travaux, pensant ne venir qu'à une communication ou deux pour finalement y revenir à plusieurs reprises, se prenant au jeu de cette coïncidence magnifique, entre leur Foyer et notre colloque.

J'en témoigne pour avoir assisté à bien plus de communications que je ne l'avais prévu ! Concluons cet entretien sur une autre particularité de ce colloque : il se déroulait à Cerisy ! Quelle valeur ajoutée a pu avoir ce cadre avec son château, son parc, ses rites… ? Pour le dire autrement, ce colloque aurait-il pu se produire ailleurs en produisant des effets tout aussi intéressants ?

Tiphaine Samoyault : La pensée de la relation est aussi une pensée qui doit s'inscrire dans un lieu, dans lequel chacun peut se situer. Une île aurait tout aussi bien fait l'affaire, a fortiori si c'était celle de la Martinique ! Mais Cerisy en est une à sa façon : non pas qu'on y soit coupé du monde, mais on sort très peu du lieu, hormis le jour de détente, ou les écoles buissonnières qu'on peut s'autoriser. Pour ma part, c'est la première fois que j'y restais aussi longtemps (dix jours !). J'ai été très sensible à la force du lieu. Ici, nous sommes en symbiose avec les arbres, jusqu'au minéral, aux pierres, dont la couleur ajoute au caractère magique de l'ambiance qui règne ici, la rendant d'autant plus propice au déploiement de la pensée, aux échanges. Curieusement, les participants avaient beau venir de différents coins du monde, leur rencontre ici, dans ce lieu, semblait comme frappée du sceau de l'évidence. Son apparente insularité a eu pour effet de les rapprocher quand bien même ne se connaissaient-ils pas encore pour beaucoup d'entre eux. Tout s'est passé comme si nous participions d'une même communauté, par-delà nos différences de langue, de culture. Nous n'avons pas eu d'effort à faire pour nous mettre au diapason les uns des autres. Un des maîtres mots du colloque a été sans surprise celui de traduction : il en a été largement question tant sur le plan théorique qu'en termes de pratique, au regard, bien sûr, de la relation, de son rapport à l'intraduisible, de l'"opacité" (un autre concept majeur d'Édouard Glissant, comme garde-fou de l'appropriation de la pensée de l'autre). Un maître mot qui a permis d'approfondir l'expérience d'un être-ensemble.

Ce que vous dîtes à propos de l'insularité me remet en mémoire ce qu'Édith dit de Cerisy, à savoir que ce serait une "oasis de décélération"… Vous retrouvez-vous dans une telle formule ?

Tiphaine Samoyault : C'est vrai et, en même temps, pas autant que cela ! C'est vrai dans la mesure où, effectivement, à Cerisy, on prend le temps de la rencontre, de l'échange. Tant et si bien qu'au moment où je vous parle, à l'issue de ce colloque, j'ai l'impression qu'un temps indéfini s'est écoulé depuis le premier jour. Ce qui tranche avec des colloques plus académiques, durant lesquels les communications se succèdent sans réelles discussions. Ici, on prend le temps de revenir sur des sujets de débat. Le rythme des journées procure plus une sensation de lenteur que de décélération. D'autant plus que notre programme n'en a pas moins été chargé comme du reste la plupart des colloques de Cerisy. Chargé en communications, mais aussi en moments de partages collectifs. Même si le lieu se prête aux promenades solitaires ou en petits groupes, on dispose finalement de peu de temps pour s'y consacrer, sauf à sécher des communications. On aimerait avoir plus la possibilité de jouir de ce temps-là, d'en avoir également pour lire comme nous y invite d'ailleurs la belle bibliothèque du château. Nous sommes finalement portés par une énergie qui peut être… fatigante !

J'en témoigne même si à l'issue de ce colloque je vous perçois plutôt joyeusement épuisée !

Tiphaine Samoyault : C'est tout à fait cela ! Je suis moins fatiguée que "joyeusement épuisée" ! [ rire ].

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

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"CERISY - GLISSANT, UNE HISTOIRE DE FAMILLE"

RENCONTRE AVEC MATHIEU GLISSANT


Du mardi 2 au jeudi 11 août 2022, se déroulait le colloque Édouard Glissant, la relation mondiale. En voici un premier écho à travers le témoignage de son fils, Mathieu, qui était déjà venu sept ans plus tôt à Cerisy pour le colloque Périples & parages : l’œuvre de Frédéric Jacques Temple.

Christian Uwe, Mathieu Glissant, Tiphaine Samoyault,
Sam Coombes, Sylvie Glissant, Ava Glissant, Camille Charvet


En 2015, vous assistiez à un colloque autour de Frédéric Jacques Temple avec de nombreux membres de votre famille…

Mathieu Glissant : Oui, un beau colloque au cours duquel une atmosphère particulièrement familiale avait régné : y avaient assisté plusieurs membres de ma famille élargie : outre mon épouse Camille, ses parents et notre enfant, Ava, qui n'avait alors que deux mois. C'est au cours de ce colloque que l'idée d'une rencontre "Édouard Glissant" a germé. Avancée par Edith, elle a été confortée en 2018 lors de la semaine Brassages planétaires par la venue de ma mère, Sylvie Glissant. Sept ans plus tard, je retrouve la même atmosphère, la même hospitalité aussi. Non que rien n'ait changé. Nous n'avons en réalité cessé d'être dans le mouvement, mais un mouvement qui, ici, va de pair avec une certaine permanence. Et c'est cela que j'aime à Cerisy. C'est un lieu qui, avec son château, ses rites, son histoire familiale, offre un cadre suffisamment stable, rassurant, pour qu'on puisse s'y risquer à penser autrement, à développer des idées novatrices.

À vous entendre, Cerisy serait une sorte de "Tout-Monde"…

Mathieu Glissant : (Rire) Cerisy est un lieu paradoxal, un lieu du renouvellement sur fond de permanence, un lieu propice pour penser le monde, faire émerger de nouvelles idées, de nouveaux rapports y compris sensibles au vivant. Ce colloque a été l'occasion d'approfondir les études glissantiennes, à travers le riche programme conçu par les trois directeurs (Sam Coombes, Tiphaine Samoyault, Christian Uwe) tout en les ouvrant à d'autres regards, grâce notamment à la présence d'un groupe de doctorants. Non seulement ceux-ci ont suivi les communications avec assiduité, mais encore ont-ils su pousser leurs aînés dans leurs retranchements, en tâchant de se faire leur propre idée de l'œuvre, de son utilité dans le monde actuel.

Des doctorants qui n'avaient pas rencontré Glissant de son vivant et qui s'autorisaient à creuser d'autres sillons, à voir en quoi cet auteur était utile pour penser leur monde à eux…

Mathieu Glissant : C'est le plus bel hommage qu'on puisse adresser à la pensée d'Édouard Glissant car c'est ainsi qu'on la maintient en mouvement, qu'on empêche quiconque de l'interpréter une fois pour toutes. La meilleure façon de la garder vivante, c'est de ne cesser de la questionner, d'être à l'écoute d'autres manières de l'aborder. Nos jeunes docteurs avaient donc bel et bien leur mot à dire. C'est à eux de nous dire en quoi cette pensée est encore en résonance avec le monde. Quelque chose que permet l'œuvre de Glissant, mais qui est aussi rendu par l'esprit des Colloques de Cerisy, propices à des rencontres avec des personnes d'horizons très divers, que ce soit du point de vue géographique ou disciplinaire. Et qui de ce fait empêchent un discours uniforme.

Sans compter la durée du colloque, qui permet de dissiper d'éventuels malentendus…

Mathieu Glissant : Presque une décade, une durée exceptionnelle qui permet aux participants de disposer du temps de se comprendre, d'expliciter les motifs de leurs éventuels désaccords. Au fur et à mesure qu'on avance, les dynamiques d'échanges, les relations entre les participants se reconfigurent. Ce qui est propice à des émergences, à la survenue de choses inattendues.

Vous êtes revenu avec votre épouse et votre fille, Ava. Que diriez-vous aux participants qui n'imaginent pas de venir à Cerisy avec leur enfant…

Mathieu Glissant : C'est la deuxième fois que je viens avec ma femme et notre fille. Aujourd'hui, Ava a sept ans et je crois pouvoir dire que nous ne l'avons jamais vue aussi heureuse qu'à Cerisy ! Et donc, à tous les intervenants, chercheurs et autres, qui hésiteraient à venir ici avec leurs enfants, sous prétexte qu'ils y viendraient eux-mêmes pour participer à un colloque, je n'ai qu’une chose à dire : venez avec eux ! Mais il faut tout de même, selon leurs âges prévoir un mode de garde adapté. Cerisy est un lieu que les enfants aiment au point d'avoir de la peine à l'idée de le quitter !

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

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"CERISY… VÉCU EN LIGNE !"

RENCONTRE AVEC GUY BASSET, MAYA BOUTAGHOU, REGINA KEIL-SAGAWE,
AMEL MAÂFA ET LAMIA OUCHERIF


Prévu en septembre 2020, le colloque Le théâtre des genres dans l’œuvre de Mohammed Dib s'est tenu un an plus tard en petit comité en raison des difficultés d'un bon nombre de contributeurs à se rendre à Cerisy. Intervenus en visioconférence, plusieurs d'entre eux ont suivi régulièrement une grande partie des séances à distance. Et nous avons observé que de nouvelles formes d'échanges et de convivialité se mettaient en œuvre. C'est la raison pour laquelle nous leur avons demandé de bien vouloir nous faire part de leurs impressions.

Photo de groupe du colloque


Quand on participe à un colloque, on est forcément poussé par un esprit de curiosité, de découverte mais surtout de partage. Ces instants vécus entre chercheur(e)s de différents horizons, sont des moments riches en émotion, où chaque participant(e) se trouve confronté(e) à un déluge d'informations, de nouvelles pistes de travail et aussi d'amitiés solides (re)nouées.

Avec la pandémie, les frontières sont de plus en plus difficiles à briser. Le voyage devient un luxe ! Organiser un colloque dans les conditions actuelles est un grand défi. Les organisateurs sont confrontés à de multiples obstacles et poussés à faire des choix : n'accepter que les propositions des chercheurs habitant dans le même pays, voire la même région, ou ouvrir la voie à une participation virtuelle et casser ainsi une tradition longuement conservée pour garder cet aspect de convivialité, de présence, de partage ?

À Cerisy, on a opté pour la deuxième option. Après deux ans de préparation pour le centenaire de Mohammed Dib, la pandémie ne nous a pas laissé le choix que d'ouvrir la voie/voix à une participation hybride entre présentiel et distanciel.

Comme le dit si bien Charles Bonn, l'expérience "fut de l'avis général une merveilleuse réussite".

Même de loin, les communicants à distance ont pu vivre des moments agréables avec ceux présents à Cerisy. Une "formidable complicité" entre présents et absents (reliés par la vidéoconférence) a pris place dès la première connexion. Mieux encore, les apartés ratés en présentiel étaient bien présents en ligne avec des discussions et des débats pendant la pause.

Ainsi, nous avons particulièrement apprécié que les participants à distance soient souvent sollicités par les animateurs. Ce qui nous a permis d'avoir le sentiment d'être dans le colloque et non d'y intervenir ponctuellement, seulement pour présenter une communication. Nous étions bien présent(e)s, et notre demande a été acceptée pour pouvoir suivre les séances qui n'étaient pas programmées en vidéoconférence.

Ce qui nous semble aussi important de souligner, c'est la composition géographique du groupe : France (Orléans), Algérie (lieux multiples), États-Unis, Allemagne…, un régal multigénérationnel brisant toute frontière d'âge et de lieu ! Nous avons constitué, en distanciel, nous connaissant préalablement ou non, un vrai groupe. C'était comme si nous y étions, à nous promener dans le parc ou à discuter à table.

N'est-ce pas agréable d'être écouté, sollicité pour chaque débat ? En fait, nous avons pu avoir un échange de qualité toute relative bien entendu, mais un échange certain. Le son était excellent dans la salle et à l'écran. Toutefois, nous avions parfois du mal à reconnaître les personnes prenant la parole en présentiel. Rappeler de manière (plus) systématique (encore) aux personnes présentes de donner leur nom au début pour reconnaître les voix aurait sans doute amélioré les échanges entre les deux groupes, en présentiel et en distanciel. Sur le plan technique, l'image de la salle n'était pas toujours lisible : une caméra qui s'oriente et zoome sur la personne qui parle pouvait être une solution pour ceux en ligne.

Nous avons vécu une très belle expérience. Si elle est à renouveler à Cerisy, nous nous permettons de suggérer quelques améliorations.

Nous savons qu'au début, il n'était nullement prévu que nous participions par vidéoconférence à toutes les sessions. Nous avons regretté que la séance inaugurale avec le discours sans doute super stimulant de Réda Bensmaïa ne nous soit pas ouverte. Cela nous aurait permis d'entrer de plain-pied dans le colloque. Cela aurait contribué à nous intégrer et à gommer un certain sentiment d'exclusion ou de marginalisation. Heureusement que nous avons pu assister ensuite aux autres sessions en vidéoconférence ! La direction devrait à l'avenir rendre accessible le colloque à tou(te)s ceux dont la communication avait été retenue comme pouvant se tenir à distance…

Toutefois, l'aventure a été dans l'ensemble grandement fructueuse à tous les niveaux. L'esprit dibien nous a accompagné tout au long du colloque. Nous remercions les organisateurs ainsi que Cerisy pour leur générosité et leur bienveillance.