"UN COLLOQUE DE CERISY EN GUISE DE CADEAU"
RENCONTRE AVEC ISABELLE ROUDIL
Isabelle Roudil en rêvait. Ses collègues l'ont fait à l'occasion de son départ à la retraite : lui "offrir un colloque de Cerisy" : L’action collective peut-elle être créatrice ? (autour des travaux d’Armand Hatchuel), qui s'est déroulé du 7 au 13 juin 2023. Un choix plus que pertinent à en juger par le parcours professionnel de notre nouvelle retraitée.
Si vous deviez, pour commencer, vous présenter en quelques mots ?
Isabelle Roudil : Comme j'aime à dire, je suis une femme d'un certain âge (j'ai 64 ans). Manière de dire que ma vie professionnelle est désormais derrière moi, bien que j'espère avoir encore de belles années à vivre. D'autant plus que, étant à la retraite, je suis débarrassée des contingences matérielles. Un changement majeur, que je vis comme quelque chose de bénéfique. À la fin de ma carrière, je dirigeais une petite entreprise — une coopérative dans la promotion immobilière qui comptait 21 salariés, où j'exerçais de fortes responsabilités au titre de mandataire sociale. Diriger une entreprise est une source de plaisir, mais aussi beaucoup de pression, encore plus en cas de crises.
Comment en êtes-vous venue à participer à ce colloque en tant qu'auditrice ?
Isabelle Roudil : Pour mon pot de départ, j'ai réuni des collègues et des partenaires (élus, institutionnels…). Ce que j'ignorais, c'est que mes collègues avaient aussi réfléchi aux cadeaux qu'ils pourraient me faire. Ils m'en ont fait plusieurs, dont ce séjour à Cerisy. Leur choix a porté sur le colloque autour des travaux d'Armand Hatchuel ! Ils reconnaissaient ainsi le temps et l'énergie que j'avais consacrés aux autres à travers mon engagement professionnel. Beaucoup de personnes présentes à ce pot connaissaient Cerisy et ont apprécié à sa juste valeur ce cadeau : "Oh, un colloque de Cerisy, quelle chance tu as !".
Et, vous-même, aviez-vous déjà entendu parler de Cerisy ?
Isabelle Roudil : Oui, ne serait-ce qu'à travers des actes que j'avais lus. Je me souviens même d'ailleurs de m'être dit, il y a une dix ou quinze ans que j'aimerais beaucoup y venir…
Mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour exaucer ce vœu ?
Isabelle Roudil : N'étant ni universitaire ni intellectuelle, je ne me croyais pas autorisée à y venir. J'ai découvert qu'on pouvait y venir comme auditeur ! Qu'il me soit permis de rendre hommage à la personne qui a eu l'idée de ce cadeau : Sophie Humbert, dont le père, Louis Humbert, s'était rendu plusieurs fois à Cerisy, notamment en 1981, pour le colloque L'auto-organisation. De la physique au politique.
Nous réalisons l'entretien à l'issue du colloque. Dans quel état êtes-vous ? Quels enseignements en tirez-vous ?
Isabelle Roudil : Ma première réponse est en fait une question : pourquoi donc n'ai-je pas 25 ans pour rejoindre le laboratoire d'Armand Hatchuel, Blanche [Segrestin] et Franck [Aggeri] ? Comment ai-je pu vivre sans les connaître ? Au cours de ma carrière, j'ai essayé de créer, d'inventer, mais sans support méthodologique ou conceptuel. Je me suis laissée guider par mon intuition, ce qui m'a souvent réussi. J'ai su m'entourer mais je me suis sentie parfois un peu seule : j'aurais pu prendre davantage de recul. Quand j'entends les chercheurs discuter ensemble, je mesure la fécondité de leurs échanges et tout ce que l'on gagne à se confronter à d'autres points de vue. C'est tout simplement très beau !
Des échanges féconds que vous auriez pu entendre ailleurs…
Isabelle Roudil : Peut-être. Une chose est sûre : ce lieu est à part. Pour le caractériser, je n'aurais qu'un mot : Cerisy est un lieu propice !
À quoi ?
Isabelle Roudil : À tout ! Je ne saurais donc trop encourager les gens d'y venir. Dès l'arrivée au château, la magie opère de sorte que vous êtes dans une sorte de lâcher prise par rapport aux contingences matérielles... On peut se consacrer à la découverte des autres...
Parleriez-vous de disponibilité ?
Isabelle Roudil : Oui, Cerisy est propice à la disponibilité. Non seulement on vous libère de préparation de vos repas, mais encore on vous sert à table. Les membres de l'équipe sont attentifs à chacun, sans verser dans la moindre complaisance. Car il ne s'agit pas non plus de faire ce qu'on veut. J'ajoute que c'est un lieu chargé d'histoire, qui force en cela le respect. Pour le savoir, il faut y venir, en faire l'expérience. C'est un lieu ouvert sur le monde, au sens où on y rencontre des gens de différents univers, disciplinaires et professionnels. C'est aussi en cela que c'est un lieu propice, un champ de possibles.
À souligner qu'à Cerisy on est débarrassé des contingences matérielles, ne risque-t-on de laisser croire que c'est un lieu déconnecté de la réalité ?
Isabelle Roudil : Non, car les contingences matérielles dont Cerisy nous libère sont celles qui envahissent nos existences. Ici, on n'en mesure pas moins tout le nécessaire au bon fonctionnement du château, en bénéficiant de l'attention du personnel au moindre détail. Bref, à Cerisy, on n'est pas hors-sol. C'est aussi cela qui fait la magie du lieu. Une magie que la directrice Edith Heurgon incarne ! À travers elle, j'ai ressenti un sens de l'hospitalité qui m'a donné le sentiment d'être pleinement autorisée à être là, à participer aux échanges.
Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC