Publication 2024 : un des ouvrages


L'Écriture du malaise

L'ÉCRITURE DU MALAISE


Houria ABDELOUAHED, Jean-François CHIANTARETTO, Jean-Michel HIRT (dir.)


Comment de nos jours rester freudiens dans notre réflexion sur les maux de la civilisation ?
Seule aujourd'hui une écriture reliée à celle de Freud — mais sous quelle forme ? — nous permettrait-elle de questionner le système de pensées, étayé sur le langage de l'histoire, qui conditionne notre penser ? Et d'interroger dans le même mouvement ce qui dans l'état actuel de la culture, et donc de la psychanalyse, nous empêche de penser ?
Mais alors qu'en est-il lorsque l'écriture prend le malaise pour motif ? Comment le malaise dans la culture est-il articulé au malaise dans la cure ? Et en quoi cela viendrait-il spécifier l'écriture de l'analyste, par rapport à celle de l'écrivain ?
Des psychanalystes sont ainsi conviés à partager les questions de l'écriture quand celles-ci sont envisagées sous l'angle du travail de culture — comme possible transformation de la destructivité et de l'autodestructivité — et de ses empêchements.
Différentes figures du malaise contemporain sont ainsi abordées, notamment : dans l'identité (du sexe au genre), dans l'emprise du virtuel sur l'intime, la parole et les liens, dans la formation psychanalytique, dans le transfert et son écriture…


Ouvrage issu d'un colloque de Cerisy (2023) [en savoir plus]
Disponible à Cerisy aux Amis de Pontigny-Cerisy [n°680]

CARACTÉRISTIQUES

Éditeur : Les Éditions d'Ithaque

Collection : Hors collection

ISBN : 978-2-490350-48-3

Nombre de pages : 286 p.

Prix public : 26,00 €

Année d'édition : 2024

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"RESSENTIS D'UNE DOCTORANTE SUR SA PARTICIPATION AU FOYER"

RENCONTRE AVEC ONA BALLÓ PEDRAGOSA


Cette année, la cinquième édition du Foyer de création et d'échanges se déroulait durant deux périodes de quinze jours (du 15 au 30 juillet et du 2 au 16 août) avec pour thème les oiseaux. Pour la première fois, il accueillait cinq jeunes doctorants, bénéficiant d'une bourse allouée par France Universités, pour couvrir leurs frais de séjour. En voici un écho avec le témoignage d'Ona Balló Pedragosa, espagnole, qui poursuit à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Grenoble (ENSAG) une thèse intitulée "Le son qui reste : l'espace sonore des églises des Pyrénées catalanes". Elle témoigne à l'issue de la première semaine de sa "résidence", au cours de laquelle se déroulait en parallèle le colloque Figures de Michel Guérin.

Hector Jenni et Ona Balló Pedragosa


Pouvez-vous pour commencer rappeler comment vous en êtes venue à vous lancer dans une thèse sur "l'espace sonore des églises des Pyrénées catalanes" ?

Ona Balló Pedragosa : L'origine de ma thèse a probablement à voir avec ma première expérience esthétique : enfant, j'avais visité avec ma classe, le Musée national d'art de Catalogne, à Barcelone — un passage obligé pour les élèves de toutes les écoles de la ville. Parmi les œuvres qui y étaient exposées (et qui le sont encore) : des peintures murales des XIe-XIIIe siècles, provenant d'églises des Pyrénées catalanes, de l'Andorre et, pour certaines d'entre elles, de l'Aragon. Cette visite m'avait impressionnée : elle nous faisait passer d'une peinture murale à l'autre en traversant des galeries, les espaces reconstituant la forme des absides. Les fresques elles-mêmes sont impressionnantes : elles représentent une foule d’animaux fantastiques dans un mixte de cultures païenne et chrétienne. Elles possèdent un style unique, difficilement comparable à d'autres représentations que l'on peut trouver dans d'autres églises en Espagne ou dans le reste de l'Europe.

Comment se sont-elles retrouvées dans le Musée national d'art de Catalogne ?

Ona Balló Pedragosa : Elles y ont été installées au fur et à mesure à partir de 1920, sur décision du gouvernement catalan pour les protéger contre le risque qu'elles ne quittent le territoire : au début du XXe siècle, ces peintures murales étaient prisées de collectionneurs américains qui allaient jusqu'à organiser des excursions et négocier leur achat auprès des prêtes qui officiaient encore dans ces églises. Elles étaient alors extraites en recourant à la technique du strappo. Des ensembles picturaux, comme celui de Santa Maria de Mur par exemple, se sont ainsi retrouvés dans des musées — celui des Beaux-Arts de Boston en l'occurrence. À l'époque, on n'était pas encore aussi sensible au patrimoine. Le gouvernement catalan a fini par prendre une mesure radicale : rapatrier toutes les pentures murales encore existantes dans les Pyrénées dans le Musée national en y dédiant un espace. Ironie de l'histoire : il recourut aux mêmes artisans intervenus pour les besoins des collectionneurs américains…
Dès les années 1920-30, ces peintures ont fait l'objet d'études iconographiques, mais dans le contexte du musée. Or, quand on les observe, on ressent que quelque chose manque. D'emblée, j'ai perçu qu'elles devaient avoir aussi à voir avec l'environnement sonore des églises où elles avaient été réalisées. C'est comme cela que j'en suis venue à les étudier, dans le cadre de ma thèse, au regard de leur environnement sonore original. Un environnement dans lequel j'inclus, bien sûr, l'acoustique intérieure, mais aussi la tradition orale nourrie de légendes villageoises avec leurs chansons, appelées "goigs", ainsi que les sons de l'activité quotidienne comme ceux liés aux pâturages. Tout cela a survécu jusqu'à nos jours de sorte qu'on peut encore l'entendre. En somme, c'est un voyage inversé à celui que les peintures ont réalisé, il y a un siècle, que j'entreprends non sans certaines difficultés.

Lesquelles ?

Ona Balló Pedragosa : La principale tient au fait que la plupart de ces églises sont fermées, quand elles ne sont pas presqu'en ruine. Il faut trouver la personne qui en possède la clé. Une bonne chose au demeurant. D'abord parce que cette personne, le plus souvent, ne manque pas de vous renseigner à son sujet. Surtout, quand elle pénètre l'église tout en poursuivant ses explications, elle l'active au plan sonore.
Parmi les sons qu'on peut y entendre, j'en étudie certains tout particulièrement, ceux qui se sont maintenus jusqu'à aujourd'hui, comme par exemple ceux produits par un troupeau de brebis, qui passent devant pour aller paître dans une prairie située à l'arrière d'une église. Le berger vit dans la maison qui appartient à sa famille depuis 1540 ou 1640 — il y a encore un doute sur l'acte de propriété. Toujours est-il que le son qu'on entend à leur passage est celui qui a été entendu durant plusieurs siècles…

Précisons que vous êtes, au sein de l'ENSAG, rattachée au Cresson — le Centre de recherche sur l'espace sonore et l'environnement urbain. Un centre que nous connaissons bien — son précédent directeur, Nicolas Tixier, a dirigé plusieurs colloques à Cerisy, en plus d'être administrateur de l'Association des Amis de Pontigny-Cerisy. Est-ce le fait d'être au Cresson qui vous a incitée à choisir votre sujet de thèse ou lui qui vous a amenée à rejoindre ce centre de recherche ?

Ona Balló Pedragosa : C'est mon intérêt pour le son qui m'y a amenée. Ce centre de recherche correspondait à mon souhait de combiner une approche à la fois théorique et de terrain, avec l'intuition que la prise en compte de l'environnement sonore des églises des Pyrénées catalanes permettrait d'en appréhender les peintures murales différemment. J'ai contacté Nicolas sur les conseils de Naïm Aït-Sidhoum, réalisateur et producteur de cinéma grenoblois. Nicolas m'a proposé de faire préalablement un séjour au Cresson pour s'assurer que je trouverais bien ma place dans son centre de recherche. Ce qui a été le cas. J'ai pu ensuite l'intégrer comme doctorante grâce à la bourse doctorale de La Caixa décrochée voici quelques mois. Si ma thèse a débuté officiellement en décembre 2023, en réalité, cela fait deux ans que je travaille sur ce sujet — jusqu'à alors, c'était plus pour le plaisir.

Et c'est ce qui vous vaut d'être aujourd'hui au Foyer, en bénéficiant d'une autre bourse couvrant vos frais de séjour. Vous découvrez donc Cerisy à cette occasion…

Ona Balló Pedragosa : Non, j'y étais déjà venue, l'an passé, à l'occasion du séminaire Comment sonne le monde. L'art infini de la radio, que Nicolas avait coorganisé dans le cadre d'un programme européen. Des intervenants de différentes nationalités — finlandaise, grecque, … — y avaient participé. Nicolas m'a proposé de présenter mon projet de thèse. Nous avons profité de ce séjour à Cerisy pour monter le dossier de demande d'une bourse doctorale.

La découverte de Cerisy avait-elle été l'occasion d'une autre expérience esthétique ?

Ona Balló Pedragosa : Oui ! (rire). Et pour faire transition avec le sujet du Foyer, j'avais été impressionnée par la qualité des chants d'oiseaux que l'on peut entendre en se baladant dans le parc. Une sensation que j'avais éprouvée la première fois que je suis allée dans les Pyrénées catalanes, pour les besoins de ma visite des églises. À ceci près qu'à Cerisy, on ressent une coupure nette selon qu'on est à l'extérieur ou à l'intérieur du château. Lors du séminaire, nous avions d'ailleurs organisé, chaque soir, des séances d'écoute dans des pièces différentes. Une expérience qui m'a convaincue de la reproduire dans les églises.

Un mot sur le Foyer, un dispositif qui tranche avec le principe des colloques comme du séminaire : il s'inspire de la résidence d'artiste ou de recherche à ceci près que les résidents sont invités à consacrer du temps à un travail collectif, en parallèle à la poursuite de leur projet personnel… Même si vous n'êtes qu'à la moitié de votre parcours, quel retour d'expérience voudriez-vous partager ? En quoi est-il utile par rapport à votre démarche de doctorante ?

Ona Balló Pedragosa : Il m'est utile en ceci qu'il me permet de me mettre en mode méditation. C'est ainsi que je le vis en tout cas. Il est vrai que le lieu mis à notre disposition — le hall de l'Orangerie avec ses baies vitrées qui donnent sur le parc —, nous permet de travailler dans le calme, loin du bruit qui fait notre quotidien. Cela fait à peine cinq jours que je suis arrivée et je sens déjà, petit à petit, une focalisation de mon attention sur mon travail de thèse. Bref, c'est le cadre idéal pour travailler sans pour autant s'isoler : le Foyer est propice à des échanges avec les résidents comme avec les participants au colloque qui se tient en parallèle.

Actuellement, le Foyer compte un deuxième doctorant, en la personne de Hector Jenni dont la thèse porte sur les "Formes esthétiques de la conflictualité dans le RAP français" [à l'Université Sorbonne Nouvelle]. Échangez-vous autour de vos travaux de thèse ?

Ona Balló Pedragosa : Oui, et c'est un autre intérêt de ce Foyer. Au début, nous avons commencé à travailler chacun de notre côté. Petit à petit, nous nous sommes rendus compte que nous aurions intérêt de mettre à profit le fait de travailler sur la même table, à l'Orangerie, pour faire des points sur là où nous en étions. Nous avons poussé la rigueur jusqu'à rédiger et signer une sorte de contrat dans lequel nous nous sommes fixés des objectifs à atteindre au terme du Foyer, en nous engageant à les montrer à l'autre. Maintenant, il nous faut nous y tenir (rire).

Incroyable ! Un vrai défi quand on sait les mille et un motifs de distraction du fait de ce colloque qui se tient en parallèle et de ce que vous partagez les repas avec ses participants…

Ona Balló Pedragosa : Je ne pense pas qu'on travaille mieux en se coupant de tout échange, même quand il s'agit d'un projet d'écriture. Et puis ce colloque en parallèle a été l'occasion de vivre une soirée à laquelle je ne m'attendais pas, mais qui enrichira très certainement mon travail de thèse : je veux parler de ce "concert d'improvisation musicale et vidéographique", au grenier du château, proposé par Pierre Sauvanet [codirecteur du colloque] et Stéphane Abboud [vidéaste] avec des instruments de percussion. J'y ai vu une piste pour activer l'espace sonore des églises. Ce n'est pas tout, les mouvements des mains de Pierre étaient filmés et projetés sur un écran, donnant l'impression d'un film en train de se faire sous nos yeux, au rythme de la performance. Une démarche à laquelle j'ai totalement adhéré. J'ai pu ensuite en discuter avec Pierre. Nul doute que cette rencontre aura été décisive pour la suite de ma thèse. Donc, oui, j'apprécie cette formule du Foyer qui nous offre l'opportunité de côtoyer d'autres univers.

Sans exclure la possibilité de poursuivre les échanges au-delà de la durée du Foyer…

Ona Balló Pedragosa : En effet. D'ailleurs, une des participantes au colloque, Sabine Forero Mendoza, m'a proposé d'intervenir à un colloque qui se tiendra à l'Université de Pau, sur le thème du renouvellement de l'expérience du spectateur au musée au travers de nouveaux médias. C'est très proche de mon sujet de thèse, car je me pose la question de savoir jusqu'où on peut transporter la dimension sonore des églises des Pyrénées catalanes, si on n'en est pas réduit à la transposer. C'est en tout cas une question que je pourrais creuser dans la perspective de cet autre colloque.

Si je vous entends bien, vous conseilleriez donc à des doctorants de vivre cette expérience du Foyer ?

Ona Balló Pedragosa : En fait, tout dépend du moment où on se trouve dans son travail de thèse, un long voyage s'il en est. Cela étant dit, il se trouve que Hector et moi en sommes à des stades différents : lui est en train de la finir, tandis que, moi, je la commence. Pour l'heure, je suis encore dans un moment d'ouverture. Mais j'ai l'impression que même dans le moment de clôture, durant lequel il faut achever la rédaction de sa thèse, il peut être utile d'expliquer ce qu'on fait en le clarifiant préalablement à l'oral avant de passer à l'écriture. C'est en tout cas ainsi que procède Hector : il me "raconte" ce qu'il a en tête, avant même d'avoir entrepris de l'écrire. Je trouve intéressant ce passage préalable par la parole. Ce qui suppose de pouvoir échanger. C'est précisément ce que permet le Foyer de création et d'échanges.

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

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"CERISY, UN LIEU OUVERT AUX TRAVAUX DES DOCTORANTS"

RENCONTRE AVEC MARINE BACONNET ET JUSTINE RAYSSAC


Suite de nos échos au colloque Vulnérabilité du travail dans un monde en quête d'avenir, qui s'est déroulé du 11 au 17 juin 2024, avec, cette fois, le double témoignage de Marine Baconnet et Justine Rayssac, doctorantes en Sciences de Gestion (Centre de Gestion Scientifique - CGS - de Mines Paris) et également en Sciences Humaines, Humanités Nouvelles (CNAM) pour la première. Elles ont présenté leur sujet de thèse dans le cadre d'une table ronde sur le thème "Transformation digitale et bien-être au travail". Elles reviennent ici sur leur expérience de Cerisy.

Cédric Dalmasso, Marine Baconnet, Justine Rayssac


Pouvez-vous, pour commencer, rappeler le sujet de vos thèses respectives ?

Marine Baconnet : Ma thèse porte sur la transformation de la filière textile et la manière de surmonter les tensions qui en résultent à travers des programmes de formation innovants. Dans une démarche de recherche-intervention, je m'attache à identifier les origines de ces tensions, à la frontière entre le management stratégique et le management opérationnel, afin de mieux comprendre aussi les découplages possibles entre les intentions affichées en matière de responsabilité sociétale et leur traduction effective. Mon hypothèse est que ces décalages proviendraient de la complexité à appréhender la pluralité des cibles et des formes d'apprentissage.

Justine Rayssac : Ma thèse, que j'ai débutée il y a près d'un an et demi, porte sur les impacts de l'industrie 4.0 sur le travail artisanal dans l'industrie horlogère, la manière dont elle bouleverse les pratiques de travail, fait évoluer le métier horloger, son sens et les compétences associées. Bien sûr, il s'agit d'aller au-delà d'un diagnostic pour voir comment piloter cette transformation industrielle en agissant positivement sur la qualité du travail. Dans le cas d'une activité artisanale comme l'horlogerie, qui repose sur des savoir-faire complexes et un patrimoine fort, le bien-être de l'horloger dépend notamment des compétences qu'il mobilise au quotidien et de leurs perspectives d'évolution.
Mon objectif est de réfléchir à un pilotage de la transformation industrielle 4.0 au niveau du management stratégique de façon à permettre le développement à la fois du patrimoine industriel et du bien-être des collaborateurs.

Ce qui suppose, dans un cas comme dans l'autre, de se plonger dans une littérature abondante tout en faisant un travail de terrain…

Marine Baconnet : Exactement. Pour ma part, je m'appuie sur la théorie des organisations, mais aussi la théorie du care telle qu'interprétée par la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury — elle codirige ma thèse avec Cédric [Dalmasso], spécialiste, lui, en sciences de gestion. Dans cette double perspective, je m'attache à rendre compte des décalages (une des notions clés de ma thèse), entre les intentions stratégiques affichées par l'industrie textile et la réalité de son déploiement opérationnel. Je pose l'hypothèse que le care peut dicter des principes de bonne gestion. Appliquée à mon terrain, cela consisterait concrètement à respecter davantage les temps d'apprentissage en réintroduisant le métier de la confection — un métier qui a disparu à force d'être externalisé —, et en créant des conditions de travail plus favorables à l'épanouissement des salariés.

Justine Rayssac : Comme Marine, je m'inscris dans une démarche de recherche-intervention : je m'appuie sur la littérature scientifique tout en faisant un travail de terrain, en l'occurrence dans les ateliers d'assemblage "mouvement" (le mécanisme principal des montres) d'une entreprise de la haute horlogerie suisse. C'est ce travail de terrain qui m'a occupée le plus durant la première année et demie de ma thèse. Désormais, je me plonge dans la littérature pour mettre en perspective et conceptualiser ce que j'ai pu observer.

Comment conciliez-vous l'exigence de confidentialité des entreprises où vous intervenez et celle de publication que vous avez en tant que chercheures ? Une question qui est aussi une invite à préciser si vos thèses sont en convention Cifre, laquelle précise en principe les conditions de communication de vos résultats…

Marine Baconnet : Ma thèse est en convention Cifre, laquelle me soumet effectivement à une clause de confidentialité — je ne dois pas, notamment, mentionner le nom du groupe textile dans lequel j'interviens. Je précise encore que c'est par le truchement du Fonds social de ce groupe textile, dont la marraine n'est autre que Cynthia Fleury, que j'ai eu accès à mon terrain — une de ses usines. A priori, les conditions étaient donc idéales ; elles m'assuraient de pouvoir vivre la transformation structurelle d'une multinationale avec les agents de cette transformation.
Cela étant dit, en tant que chercheure, j'ai éprouvé moi-même une forme de "décalage" par rapport à la réalité de l'accueil qui m'a été réservé dans l'usine (Sourire). Son directeur était davantage intéressé par ce que je pouvais lui apporter d'utile à court terme (intégrer l'équipe logistique, écrire des process, participer aux audits de qualité des lignes de production), et moins par l'enquête que je cherchais à mener, qui nécessitait de collecter des données de toutes sortes en prenant le temps de les analyser. J'ai donc été cherché ces données en vie réelle auprès des formatrices, de la directrice industrielle et, enfin, des opérateurs. C'est par une démarche bottom up en somme, que j'ai pu valider mes constats avec la hiérarchie et remonter petit à petit jusqu'à la direction de l'usine pour gagner sa confiance.

Justine Rayssac : À la différence de Marine, mon terrain étant situé en Suisse, je ne suis pas en convention Cifre. Mais l'entreprise qui m'a accueillie s'est montrée plus qu'intéressée par mon sujet de thèse. Tant et si bien que je n'ai subi aucune "censure" de sa part. La semaine passée, j'ai même pu faire une communication à Montréal. Naturellement, la direction de l'entreprise en avait été prévenue, mais elle n'a pas demandé à intervenir sur le contenu. Nous sommes dans une logique gagnant-gagnant. À tel point d'ailleurs que le prix que j'ai reçu à Montréal pour ma communication, j'ai tenu à le fêter avec elle. C'est dans le même état d'esprit que j'ai pu intervenir à Cerisy. J'ai, il est vrai, la chance d'avoir deux directeurs de thèse, Cédric [Dalmasso] et Sophie [Hooge] qui ont une longue expérience de la recherche-intervention en entreprises ; ils avaient déjà amorcé depuis plus de trois ans un partenariat avec l'entreprise horlogère où j'interviens, ce qui a grandement facilité mon intégration en tant que thésarde.

Venons-en au colloque de Cerisy dans lequel vous êtes intervenues. Quels enseignements tirez-vous de cette expérience ?

Justine Rayssac : J'en repars épuisée ! Il faut dire que je suis arrivée à Cerisy en provenance direct de Montréal — je ressens encore les effets du jet lag ! Cela dit, cela ne m'a pas empêchée de vivre intensément cette expérience cerisyenne. Ce que j'en retiens, c'est la richesse des discussions comme celles de ce matin, qui m'ont fait prendre conscience à quel point j'étais encore ignorante sur bien des sujets ! Bref, Cerisy, c'est d'abord une leçon d'humilité. En tant que benjamine du colloque, en début de thèse, je le reconnais volontiers. D'autant qu'on apprend aussi de nos aînés, notamment sur les outils à développer en recherche-intervention, et que cela ne fait que stimuler l'envie de poursuivre son propre travail de thèse.

Vous connaissiez-vous avant de venir à Cerisy ?

Marine Baconnet & Justine Rayssac : Oui ! (En chœur)

Marine Baconnet : Nous avons été au Canada ensemble. Par chance, j'arrive à supporter le jet lag ! (Rire).

Justine Rayssac : Ayant toutes deux Cédric comme codirecteur, nous sommes amenées à nous croiser, ne serait-ce qu'au cours des séminaires de recherche. Mais ayant le nez dans le guidon, nous ne prenons pas assez le temps de nous poser, pour échanger et apprendre à mieux nous connaître. Ce colloque nous aura permis de rattraper un peu le temps perdu !

Un mot encore sur la thématique de "la vulnérabilité du travail". En quoi cette vulnérabilité concerne le chercheur lui-même, en dehors du fait d'être un objet de recherche ? Dans quelle mesure ne tiendrait-elle pas, si elle se vérifie, à la difficulté à faire reconnaître la dimension subjective ou à tout le moins personnelle de sa recherche ? Je pose ces questions en espérant qu'elle fasse sens…

Marine Baconnet : Oui, elles le font tout à fait. Cette vulnérabilité est d'ailleurs inhérente à cette démarche anthropologique à laquelle Justine et moi nous nous inscrivons dans une certaine mesure. Personnellement, je suis une disciple du philosophe et sociologue Robert Linhart. Son ouvrage L'Établi [publié en 1978 aux Éditions de Minuit] est à cet égard un modèle du genre. Il y invite le chercheur à s'effacer le plus possible en tant que tel et à faire corps avec ce qu'il observe, à s'intégrer éventuellement dans le groupe qu'il étudie, en se gardant de se placer dans une position surplombante, pour, au contraire, "penser avec". Ce livre m'a aidée à ne plus culpabiliser à l'idée de vivre dans ma chair mon terrain, de m'en saisir à bras le corps pour mener à bien ma démarche de recherche.

Dans une logique d'observation participante ?

Marine Baconnet : Oui, à ceci près que dans le cadre d'une recherche-intervention, on fait bien plus qu'observer ; on accompagne activement la transformation.

Et vous, Justine Rayssac ?

Justine Rayssac : Rien à ajouter et pas seulement parce que je suis encore en jet lag (Sourire), mais parce que je souscris pleinement à ce que viens de dire Marine. Je ne crois pas faire autre chose dans ma manière d'investir mon terrain.

Un mot, cette fois, sur la forme même du colloque, organisé sur six jours, en présence de participants et d'auditeurs libres, qui partagent les repas ensemble…

Justine Rayssac : C'est tout sauf anodin car cela concourt à créer une ambiance propice aux échanges informels, dans la bienveillance. Même si j'ai pu moi-même me sentir un peu en "décalage" (et pas seulement horaire !), on ne me l'a pas fait ressentir. Et c'est fort agréable. De même que ces moments de convivialité, à l'occasion des repas, mais aussi des pauses, sans oublier les parties de ping pong dans la cave. Celles-ci ne sont pas de la pure distraction. En conciliant corps et esprit, elles contribuent aussi aux avancées que nous avons pu faire sur le fond !

Marine Baconnet : Justine a tout dit ! Je pourrais reprendre mot pour mot son commentaire. Ce colloque, je l'ai vécu comme une semaine d'inspiration, de grande inspiration, au point que j'ai aussi ressenti le besoin… d'expirer. Les échanges sont si intenses ! Et pourquoi ne pas le dire ? Après tout, l'approche du travail par sa vulnérabilité incline à voir les manquements ; je pointerai donc ceux que l'on a pu avoir à l'égard du corps : hormis au cours de la journée Hors-Les-Murs, nous avons peu bougé, enchaînant les communications. Je ne saurais donc trop encourager à articuler davantage des moments d'inspiration à des moments d'expiration.

D'où votre exigence de réaliser cet entretien en marchant le long du "Chemin du Monde comme il vient, et d'ailleurs la nuit" !

Marine Baconnet : En effet, j'y tenais beaucoup !

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

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"BALADE AVEC UNE ERGONOME AUTOUR DE CERISY"

RENCONTRE AVEC VIVIANE FOLCHER


Suite de nos échos au colloque Vulnérabilité du travail dans un monde en quête d'avenir, organisé du 11 au 17 juin 2024 avec, cette fois, le témoignage de Viviane Folcher, ergonome, intervenue dans le cadre d'un dialogue sur sa pratique en matière d'intervention-recherche. Précisons que l'entretien a été réalisé en marchant le long d'un chemin qui conduit du château au village de Cerisy-la-Salle. Que le lecteur ne s'étonne donc pas de moments de suspension, provoqués par l'émerveillement devant le spectacle de plantes ou les perspectives d'un sous-bois.

Photo de groupe du colloque


Si vous deviez, pour commencer, vous présenter ?

Viviane Folcher : Je suis enseignante-chercheuse en science de l'information et ergonomie à l'Institut Agro Dijon, une école d'ingénieur en agronomie et en agroalimentaire. Ce qui me caractériserait le plus, c'est la recherche-intervention, qui structure mon rapport à l'enseignement supérieur, et ce souci que j'ai de contribuer, aussi modestement que ce soit, à la transformation du monde du travail.

De la "recherche-intervention" dites-vous, ce qui signifie que vous faites de la recherche au sein d'organisations ?

Viviane Folcher : Oui, et je dirai même que c'est ce en quoi consiste l'essentiel de ma pratique : je mets à l'épreuve mes outils conceptuels à travers mes essais de transformation des organisations et du travail. Quand "ça ne marche pas", je me replis volontiers sur ma base scientifique, pour réfléchir à la manière dont je pourrais trouver une solution, en faisant mon miel de mes apparentes impasses. C'est cet état d'esprit qui, je pense, définit le mieux la professionnelle que je suis.

C'est précisément ce qui a rendu votre intervention à deux voix intéressante : vous ne vous borniez pas à exposer les résultats tangibles d'une recherche-intervention, vous partagiez aussi des questionnements, des doutes et mêmes des "disputes" qui l'ont parsemée…

Viviane Folcher : C'est exactement cela ! Je suis arrivée à Cerisy avec le projet d'une communication relativement courte sur les interrogations soulevées par une recherche-intervention menée avec Stéphane Balasse, ainsi qu'avec Cédric Dalmasso — lequel, en tant que directeur du colloque s'est abstenu d'intervenir. Parmi ces interrogations ayant émergé au fil de notre recherche-intervention, les principales ont porté sur la transdisciplinarité, la pratique qui aligne les disciplines, fût-ce effectivement au prix de "disputes" professionnelles…

Détail qui a son importance : vous avez fait cette communication dans la bibliothèque de Cerisy que vous découvriez par la même occasion. Et alors, quelles ont été vos impressions ?

Viviane Folcher : J'ai effectivement découvert Cerisy et sa bibliothèque à l'occasion de ce colloque. Qu'en dire ? Et bien que c'est un lieu incroyablement confortable, accueillant ! Tout impressionnant qu'il puisse être, je n'ai pas senti le poids des savoirs accumulés au fil des décennies. J'ai eu au contraire le sentiment de m'être retrouvée dans une communauté de personnes — intervenants et auditeurs — mues par l'envie de comprendre, d'apprendre en se confrontant à d'autres points de vue. Les disciplines représentées avaient beau être loin des miennes, je me suis sentie d'emblée dans mon élément.

Précisons que vous êtes arrivée en cours de route, l'avant-veille du jour du départ. Vous y serez donc restée deux jours et demi, ce qui était déjà beaucoup par rapport à un colloque scientifique universitaire, mais finalement "trop peu" ainsi que vous me le confiez…

Viviane Folcher : Pour un colloque de Cerisy, c'est effectivement trop peu par rapport à tout ce dont j'aurais pu en tirer, à en juger par la manière dont les autres participants, ayant vécu l'intégralité du colloque, m'en parlent. Certes, c'est mieux que de ne pas être venue du tout, comme cela a failli se produire pour des raisons de convenances personnelles. Comme j'ai bien fait d'être finalement venue même pour deux jours et demi ! Car j'ai quand même eu le temps de m'immerger dans le colloque, de bénéficier de ces moments de convivialité, de cheminer après les repas comme nous le faisons actuellement pour les besoins de l'entretien… Voyez sur notre gauche ces jolies marguerites qui se remettent de la pluie… C'est beau, non ? (rire).

N'est-ce pas justement "trop" beau ? Le risque ne serait-il pas d'être déconnecté de l'actualité, qui est particulièrement brûlante, préoccupante, à bien des égards ? Que dites-vous à ceux qui pourraient objecter cela ?

Viviane Folcher : Je trouve plutôt que c'est une chance inouïe que de pouvoir se retrouver dans un tel lieu qui n'est pas autant que cela en retrait du monde. C'est davantage un lieu où on peut se recentrer. Je n'ai pas le sentiment de m'être totalement coupée de l'actualité ; je pourrais d'ailleurs en reprendre sans difficulté le fil à mon retour. Cependant, ici, je peux faire résonner des choses, tranquillement, au travers de mes échanges avec les autres participants. En cela, c'est bien un lieu de "recentrement" et, en même temps, d'ouverture aux autres. Ce qui en fait un lieu proprement à part.

Vous avez usé d'un mot qui nous est cher ici, "résonné". Il est au cœur du travail du philosophe et sociologue allemand Hartmut Rosa auquel sera d'ailleurs consacré un colloque en 2025. Aviez-vous cette référence en tête ?

Viviane Folcher : Pas du tout. En revanche, quand j'ai eu connaissance de la programmation de ce colloque, cela a déclenché une envie, primo, d'y participer, secundo d'y croiser des collègues avec lesquels je pourrais échanger davantage que nous avons l'occasion de le faire (rire).

Donc, rendez-vous en 2025, au 30 août au 5 septembre ?

Viviane Folcher : Autant dire demain, au rythme où vont les choses !

Pour en revenir à l'actualité, j'ai l'impression qu'elle vient jusqu''à nous, en étant juste tamisée par la manière dont les participants la relayent, en parlent, par les commentaires qu'ils peuvent en faire dans les échanges informels qu'on peut avoir ici.

Viviane Folcher : En effet, à Cerisy, on n'est pas totalement étanches au reste du monde. Les frontières sont plus poreuses qu'elles paraissent. En revanche, on est comme installés dans un bivouac, en plein air, où on peut entendre les échos du monde et en discuter de manière apaisée, sur le ton de la conversation : on en parle puis on passe à autre chose avant d'y revenir éventuellement, et ainsi de suite…

Un mot sur une composante de la sociabilité cerisyenne : les repas que l'on partage ensemble, sans place attitrée, de sorte que tout un chacun peut se retrouver devant un spécialiste reconnu de tel ou tel sujet…

Viviane Folcher : J'en dirai volontiers un mot en commençant par une confidence : le matin, je ne suis pas quelqu'un de spontanément sociable. J'ai besoin de reprendre mes marques. Pourtant ici, au petit-déjeuner, on a beau se retrouver attablés ensemble, proches les uns des autres, en ayant d'emblée des échanges très nourris, je me surprends à supporter et même à apprécier cela. Étonnant non (rire) ?

Une autre caractéristique de Cerisy, ce sont ses rites, entre le verre de calva servi le premier soir, l'omelette norvégienne, la séance de photo, les cloches, celle qui bat le rappel pour les repas et l'autre, la reprise des communications… Comment réagissez-vous à cela ?

Viviane Folcher : J'y vois des moyens de rythmer, de ponctuer les avancées des échanges. Autant le rite de l'omelette norvégienne m'a surprise car je ne savais pas du tout à quoi m'attendre, autant celui des cloches, je l'ai instantanément intégré. D'ailleurs, il n'est pas exclu qu'elles me manquent comme à d'autres. Ce n'est pas exclu du tout (rire) !

D'autres choses vous ont-elles marquée ?

Viviane Folcher : Oui, la belle bibliothèque où se succèdent les communications. Je pense aussi à ce dédale merveilleux pour arriver jusqu'à nos chambres, jolies comme tout. J'ai cru comprendre que dans chacune d'elles, on y est accueillis par une rose. C'est le cas dans la mienne, où elle embaumait. Un geste tout sauf anecdotique, qui ajoute à l'hospitalité du lieu, procède d'un sens de l'accueil, qui ne passe donc pas seulement par les mots, mais par le soin apporté au moindre détail. Et puis, cette cave à laquelle on accède par des escaliers étroits…

Autre lieu névralgique…

Viviane Folcher : Autre lieu névralgique, en effet, avec ses tables de ping-pong… Qu'on soit professeur, chercheur, étudiant ou simple auditeur, on y joue. Les frontières ne sont pas totalement abolies, mais travaillées au corps !

(Au terme d'une montée dans un chemin gadoueux…)

Viviane Folcher : Faire un colloque à Cerisy n'est pas quelque chose d'indifférent. On est tous forcément pénétrés par la beauté du lieu, le château, le parc, l'étable, les chemins alentour comme celui que nous empruntons… Cette beauté, ajoutée à l'accueil que j'évoquais, est d'autant plus précieuse qu'elle nous rend disponibles. D'ailleurs, quand je suis arrivée, tard dans la soirée, la première chose que les collègues se sont empressés de faire est de m'embarquer dans une visite du lieu : le potager, l'Orangerie où trône "le fauteuil d'André Gide" [il l'occupait du temps des décades de Pontigny], l'accès à la cave, j'y reviens. Ils ne se seraient pas montrés aussi "disponibles" si le lieu n'avait été aussi beau. On ne le dira donc jamais assez : la beauté, c'est essentiel dans nos vies. Elle ne saurait n'être réservée qu'à quelques-uns comme on prétend le faire croire. Tout le monde a besoin d'en faire l'expérience et tout le monde y aspire. La beauté, c'est vital !

Tiens ! C'est pratiquement le titre d'un colloque qui a eu lieu voici quelques années [Beautés vitales. Pour une approche contemporaine de la beauté, du 15 au 21 juillet 2022]. "Disponibilité" avez-vous dit. Ne suppose-t-elle pas de venir à Cerisy au titre d'une identité professionnelle, si on le souhaite, mais sans pour autant imposer les codes, les rapports hiérarchiques propres à sa communauté d'appartenance ? Seuls ceux attachés aux rites de Cerisy ont droit de cité… Cela fait-il sens pour vous ?

Viviane Folcher : Non seulement, ce fait sens, mais j'adore cette idée de pouvoir être dans un collectif de personnes hétérogènes, qui ne se présentent pas à moi d'emblée par leur discipline, leur métier ou leur fonction. J'aime prendre le temps de les découvrir par moi-même. Et j'aime ne pas être moi-même assaillie de questions sur ce que je fais, d'où je viens, de pouvoir justement mettre entre parenthèses mes codes professionnels que je porte comme un manteau sans plus en avoir conscience. J'apprécie ce simple plaisir d'être là au milieu d'autres personnes à découvrir. Cela étant dit, j'apprécie aussi que la personne qui intervient précise d'où elle parle, professionnellement ou disciplinairement parlant. Cela peut éclairer le sens de son propos. Mais pas besoin d'en savoir plus au risque sinon de reproduire, même à son insu, des rapports entre pairs ou asymétriques avec les autres participants. Un écueil que ce colloque-ci a su éviter. D'ailleurs, j'ai apprécié la place qui a été faire aux deux doctorantes intervenues en conclusion [Marine Baconnet et Justine Rayssac], et dont les communication ont donné lieu à une véritable écoute de la part des participants encore présents et à des échanges aussi denses qu'avec les communications précédentes.

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

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"PREMIÈRE VENUE À CERISY D'UN ERGONOME-ARTISTE"

RENCONTRE AVEC DAMIEN HUYGHE


Du 11 au 17 juin 2024 se déroulait le colloque Vulnérabilité du travail dans un monde en quête d'avenir. En voici un premier écho avec le témoignage de Damien Huyghe, un ergonome, par ailleurs artiste, qui a organisé une exposition sur le climat. Une première expérience cerisyenne dont il souligne la vertu : offrir la possibilité de renouer avec une temporalité lente…

Exposition sur le climat présentée lors du colloque


Si vous deviez vous caractériser en quelques mots… ?

Damien Huyghe : Ce qui me caractériserait le mieux, c'est la "multifonction", le fait d'exercer plusieurs activités : ergonome de formation et de métier, depuis une trentaine d'années, je continue à intervenir comme consultant auprès d'entreprises, petites et grandes, sur des problématiques liées aux conditions de travail sous tous leurs aspects : la digitalisation et ses effets, le handicap et les RPS [Risques psychosociaux], l'aménagement et la création de locaux et de bâtiments industriels ou tertiaires… Je donne des conférences à l'occasion de congrès ou de colloques.
Depuis cinq ans, je me suis par ailleurs investi dans les enjeux relatifs au changement climatique : je donne des conférences auprès de publics scolaires, mais aussi d'entreprises désireuses de faire évoluer leur organisation. En parallèle, j'ai développé une activité artistique en tant que plasticien, peintre, dessinateur et illustrateur — activité qui occupe de l'ordre de 30% de mon temps.

C'est dire si un colloque de Cerisy, de par la multiplicité des approches qu'il propose d'un sujet en croisant les regards d'universitaires et de praticiens, vous correspondait bien. Sauf que c'est la première fois que vous vous rendiez à Cerisy. Quelles sont les circonstances qui vous y ont amené ?

Damien Huyghe : Des circonstances ? Je parlerai plutôt d'un opportunisme heureux !

Intéressant ! Précisez s'il vous plaît…

Damien Huyghe : J'avais vu passer une annonce relative au colloque. Comment ? Je ne saurais plus vous le dire. Peut-être est-ce par un post de Cédric [Dalmasso, codirecteur du colloque] sur LinkedIn. Toujours est-il que l'évocation de la vulnérabilité du travail avait aussitôt éveillé la curiosité de l'ergonome que je suis. Pour autant ce n'est pas à ce titre que je souhaitais y participer, mais en tant qu'artiste engagé dans les enjeux du changement climatique. Il se trouvait que j'avais réalisé une exposition sur le climat et commencé à y sensibiliser des managers et des entreprises. Je précise que je suis "fresqueur du climat" — je participe à la démarche de "la fresque du climat". Seulement, quand j'ai commencé à en faire, j'ai trouvé qu'une certaine violence se dégageait du constat dressé par cette dernière, qui avait pour effet de rendre vulnérables les participants. J'ai donc entrepris de faire de la modération et de la médiation au travers d'une exposition comme base de discussion avec les gens. J'ai aussitôt vu dans le colloque l'opportunité de faire connaître mon travail. C'est ce qui m'a décidé à prendre contact avec Frédérique Debout Cosme [une des codirectrices]…

Que vous connaissiez ?

Damien Huyghe : Non, pas du tout ! Je lui ai parlé de mon exposition et lui ai demandé si cela l'intéressait. Elle en a discuté avec les autres codirecteurs… C'est comme cela que je me suis retrouvé à Cerisy, à répondre maintenant à vos questions…

Saviez-vous qu'il y avait une salle susceptible de l'accueillir — une salle aménagée dans l'ancienne étable en l'occurrence ?

Damien Huyghe : Dès que j'ai eu connaissance de l'annonce du colloque, je me suis rendu sur le site web du Centre culturel international de Cerisy, pour en savoir plus sur ce lieu… J'ai vu qu'il y avait effectivement un espace d'exposition et que de nombreux artistes y avaient exposé leurs œuvres. Pourquoi pas moi ? C'est ce que je me suis dit (sourire).

Depuis, le colloque a eu lieu — nous réalisons l'entretien peu avant le départ des colloquants ; vous avez réalisé votre exposition. Mais vous avez aussi assisté aux communications, en prenant part aux discussions — en faisant aussi des croquis… À défaut de bilan, quelles sont vos premières impressions ? Avez-vous eu le sentiment de vivre une expérience particulière ?

Damien Huyghe : Une expérience nouvelle pour moi au sens où les intervenants venaient d'horizons très variés. Les colloques et congrès auxquels j'ai l'habitude de participer en tant qu'ergonome, rassemblent pour l'essentiel d'autres ergonomes. On y discute donc, mais entre pairs ou collègues, sur des enjeux de définition, nos pratiques, en restant à l'intérieur de la sphère de l'ergonomie. Ici, j'ai eu le sentiment de me retrouver à discuter davantage depuis le pourtours et l'extérieur de la sphère. Et j'ai trouvé ça plutôt sympa ! Pour avoir été dans l'innovation avant de me lancer dans l'ergonomie, j'ai souvent trouvé que cette discipline était encline à se replier sur elle-même. Le fait de me retrouver au milieu de gens qui, tout en s'intéressant à l'ergonomie, évoluent dans des sphères connexes — je les côtoie d'ailleurs dans ma vie professionnelle, mais sans avoir vraiment l'occasion d'échanger avec eux —, j'ai trouvé cela plus qu'enrichissant. Au final, je pense avoir plus re-questionné mon métier, ses pratiques, au cours de ce colloque-ci qu'à l'occasion de ceux de ma profession.

En quoi la présence d'auditeurs libres, non nécessairement spécialistes, a-t-elle ajouté à l'intérêt de ce colloque ?

Damien Huyghe : Je pense avoir eu l'occasion de discuter avec chaque participant, intervenant ou auditeur. Initialement, je pensais ne venir que le temps de présenter mon exposition. C'est en découvrant que chacun était libre d'intervenir dans les discussions que j'ai eu envie de prolonger mon séjour. J'ai été heureux de m'être retrouvé ainsi dans le rôle du discutant, au titre aussi d'ergonome, sachant que quand bien même ne l'avais-je pas été, j'aurais pu discuter quand même. Ce que je trouve aussi très sympa.

Vous n'évoquez pas l'ergonomie du cadre de travail, que constitue le Centre culturel international de Cerisy, avec son château, sa bibliothèque, où se déroulent les communications, ses salons, sa cave où on peut prolonger les échanges, sans compter les repas qu'on prend ensemble… Un cadre propice à de la sociabilité, qui tranche, de par aussi son rythme, sa durée, avec les colloques universitaires et professionnels…

Damien Huyghe : En effet ! Si je n'en parle pas spontanément, c'est peut-être parce que la temporalité d'un colloque de Cerisy — une temporalité empreinte de lenteur — me correspond bien : depuis quelque temps, je m'emploie à l'adopter volontairement dans le cadre de mon activité artistique, en m'inscrivant dans une logique de décroissance. Concrètement, en contrepartie de la réalisation d'une fresque du climat, à la demande d'amis, j'"exige" désormais d'être hébergé en mode résidence une quinzaine de jours — je ne veux pas la faire dans un temps contraint, limité qui rendrait l'exercice d'autant moins intéressant pour les participants. Tout cela pour dire que le format d'un colloque de Cerisy programmé sur plusieurs jours — pas moins de six dans le cas de ce colloque-ci — ne me pose pas de problème : je parviens à me dégager du temps dans mon agenda professionnel. C'est que, à dessein, je consacre moins de temps à mon activité d'ergonome. Et plus ça va, plus j'apprécie ce rythme. Cela correspond d'ailleurs aux recommandations d'une approche ergonomique du travail, mais aussi à mon engagement dans le changement climatique.
Pour en revenir au colloque, j'en repars avec le sentiment de m'être fait des amis avec lesquels je vais rester en contact. J'ai même atteint un niveau supérieur d'intimité avec des gens de ma profession que je connais pourtant depuis des années. Donc, oui, le format long du colloque est propice aux échanges, formels après les communications et plus informels, lors des repas ou en jouant au ping-pong dans la cave. Je doute que j'eusse pu m'en faire autant si le colloque avait été dans un format classique.

Edith Heurgon aime parler de Cerisy comme d'une "oasis de décélération". Feriez-vous vôtre cette formule ?

Damien Huyghe : Oui, tout à fait. Vous voyez d'ailleurs que les participants, bien que sur le départ, ne se précipitent pas. Un intervenant qui nous a rejoints l'un des derniers jours a d'ailleurs été surpris de nous voir aussi "paisibles", c'est son mot. Quoi de plus naturel, en réalité. Cela faisait déjà plusieurs jours qu'on vivait au rythme de Cerisy !

Que dites-vous néanmoins à ceux qui pourraient être impressionnés à la vue de ce château chargé d'histoire, fréquenté par de nombreuses sommités, comme le rappellent dès le hall d'entrée les photos exposées sur les murs ? D'ailleurs n'avez-vous pas été impressionné en arrivant ici ?

Damien Huyghe : Non ! Car, encore une fois, ce que je retiens, c'est d'abord ce temps long avec lequel le lieu permet de renouer. Qu'il soit instauré dans un château, fréquenté par des sommités est secondaire pour moi, du moins au stade où j'en suis dans mon parcours professionnel. Je le vis plus comme un dépaysement par rapport aux lieux où j'ai l'habitude d'aller. Je dirais la même chose des "rites" du séjour cerisyen — la cloche, l'omelette norvégienne, etc. Ils peuvent faire sourire de prime abord. En fait, très vite, vous vous rendez compte que cela participe à un décalage qui ne peut que vous inciter à rompre avec vos routines, à penser autrement.

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

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"RENOUVELLEMENT DU CONSEIL D'ADMINISTRATION DE L'AAPC"

RENCONTRE AVEC LUCILE SCHMID


Le Conseil d'administration de l'Association des Amis de Pontigny-Cerisy (AAPC) vient d'accueillir en son sein une nouvelle administratrice en la personne de Lucile Schmid. Ses adhérents ont pu la découvrir à l'occasion de la dernière assemblée générale qui s'est tenue en avril. Le 13 mai, elle participait au séminaire du Conseil administration qui se tenait au Centre culturel international de Cerisy. Dans l'entretien qui suit, elle nous en dit plus sur son parcours et ses rapports à ce dernier qu'elle avait déjà eu plusieurs occasions de fréquenter.

Photo de groupe du séminaire du CA de l'AAPC (12-14 mai 2024)


Vous avez rejoint le conseil d'administration de l'AAPC. Quelle a été votre réaction lorsque la proposition vous en avez été faite ?

Lucile Schmid : Avant même de songer au CA, j'y ai vu instantanément la perspective de pouvoir me rendre régulièrement dans ce lieu merveilleux qu'est le château de Cerisy-la-Salle, un lieu qui me saisit à chaque fois par sa proximité avec la nature — celle du parc arboré et du paysage alentour —, par sa relation au temps et à l'espace — une relation qui change du tout au tout avec celle qu'on peut avoir dans la vie ordinaire. En rejoignant le CA de l'AAPC, j'ai le sentiment d'exaucer encore un peu plus ce rêve de vivre dans un lieu comme celui-ci !

Un mot sur ce conseil d'administration dont vous avez pu avoir un premier aperçu — nous réalisons cet entretien à l'occasion de son premier séminaire annuel, qui se tient à Cerisy même. Un CA dont le fonctionnement tranche avec les autres CA en ceci que les administrateurs sont invités à prendre une part active jusque dans la programmation des colloques…

Lucile Schmid : Non seulement ils prennent part, mais ils s'engagent à un titre personnel : dans leur prise de parole, ils n'hésitent pas à mêler des considérations opérationnelles, intellectuelles et intimes. Ils sont tout sauf en représentation, parlent selon leurs convictions. Or que rêver de mieux que de pouvoir échanger avec des personnes dont l'engagement est en adéquation avec ce qu'elles sont fondamentalement ? Les discussions n'en sont que plus intéressantes et stimulantes. On sent que tous ont pour préoccupation d'agir concrètement. Si, donc, je devais retenir quelque chose de ce séminaire du CA, ce serait cela : ce double souci de l'engagement personnel et concret dans l'intérêt manifeste de Cerisy.

Un mot maintenant sur les colloques dont vous avez aussi l'expérience ?

Lucile Schmid : À ce jour, j'ai effectivement participé comme intervenante ou auditrice à quatre colloques, à chaque fois sur des thématiques différentes : Le PSU, des idées pour un socialisme du XXIe siècle (du 14 au 16 mai 2011) ; Quelles trajectoires vers la sobriété ? (du 27 septembre au 1er octobre 2023) ; L'Europe : héritages, défis et perspectives (du 19 au 27 août 2023) ; enfin, Comprendre la route : entre imaginaires, sens et innovations (du 8 au 14 septembre 2023). Avec le recul, je constate que les moments que je préfère sont ceux où le colloque vire à la conversation, à la fois profonde, argumentée et libre, sans l'obsession du débouché opérationnel immédiat, mais dans le souci de ce que pensée et action soient le plus intimement liées possible. C'est d'autant plus important qu'aujourd'hui nous vivons, je le crains, un moment de déconnexion entre l'une, la pensée, et l'autre, l'action : on pense beaucoup, mais sans agir et on agit sans prendre le temps de penser, encore moins collectivement. C'est dire mon intérêt pour Cerisy où j'entrevoie la possibilité, et même le désir, d'articuler les deux.

Ce qui, me semble-t-il, passe par un travail sur le sens des mots, non pas nécessairement pour parvenir à une définition commune, mais prendre la mesure, à travers des échanges formels ou informels, de la diversité des significations qu'ils peuvent revêtir, dans le temps, selon les disciplines, les professions, etc. À se demander d'ailleurs si l'intérêt d'un colloque de Cerisy ne réside pas d'abord en cela : au fait d'offrir l'opportunité aux participants de confronter les sens multiples que peut revêtir un mot, un concept, et dissiper par là même les risques de malentendus… Est-ce quelque chose à laquelle vous avez été sensible ?

Lucile Schmid : Oui, tout à fait. D'ailleurs je me souviens de discussions contradictoires que j'ai eues avec Edith [Heurgon] sur la notion de résilience que, personnellement, je trouve trop abstraite, employée à mauvais escient, là où elle y voit au contraire une notion clé. Au final, nos échanges m'ont été utiles. Tout en étant encore réticente à faire mienne cette notion de résilience, je la considère avec plus d'attention. C'est bien la preuve qu'un mot gagne, dans l'usage qu'on en fait, à être re-contextualisé et non jeté en pâture dans les débats, sans qu'on sache vraiment le sens qu'on y met. Tout l'intérêt d'un colloque de Cerisy, de par sa durée (plusieurs jours), est de prendre le temps de s'arrêter, de mieux réfléchir au sens des mots qu'on utilise et ce faisant au projet qu'on porte.

Il est alors intéressant de constater comment des mots s'imposent au fil du colloque ou persistent tandis que d'autres sont abandonnés en cours de route… Puisque nous avons évoqué l'importance des mots, la nécessité de s'accorder sur leurs significations, je ne résiste pas à l'envie de citer Albert Camus : "Mal nommer les choses ajoute à la misère du monde…". Justement, à Cerisy, on prend le temps, collectivement, de bien nommer ce dont on parle…

Lucile Schmid : Étant entendu que notre pensée va souvent plus vite que les mots ; que ceux dont on dispose ne sont pas toujours pertinents. Faut-il y renoncer pour autant ? C'est la question dont justement nous débattions au cours du séminaire à propos du mot "transition", auxquels certains recommandent de renoncer. Sauf qu'on n'en dispose pas de meilleurs pour le moment… Personnellement, je ne recommanderais donc pas d'y renoncer trop vite, a fortiori pour traiter des enjeux écologique, énergétique, climatique.
En disant cela, je ne renonce pas à pousser la réflexion sur les mots qu'on utilise. Sans doute nous faut-il aussi forger d'autres concepts. En ce sens-là, je me retrouve dans la citation de Camus, qui nous invite à un devoir d'imagination jusqu'à et y compris au plan sémantique.
Le moment que nous vivons — la crise à la fois climatique, écologique, énergétique… — est propice à cela : nous percevons bien qu'il nous faut inventer quelque chose de nouveau et que nous cherchons les mots pour le dire. S'il est un lieu pour le faire, en associant ces mots à l'action — j'insiste sur ce point — c'est bien Cerisy.

Quand on se penche sur votre parcours, force est de constater un fort engagement politique qui vous a conduite à vous porter candidate à des élections et à vous faire élire (vous avez été notamment conseillère régionale de la Région Île-de-France). Quelle signification donnez-vous à cet autre engagement au sein de Cerisy au titre d'administratrice ? Quel lien feriez-vous avec le premier ?

Lucile Schmid : Effectivement, je me suis engagée politiquement et cet engagement remonte à un moment précis : la guerre civile algérienne des années 1990 — ce qu'on a appelé la "décennie noire". J'ai pris conscience à ce moment-là que l'engagement politique était une question de vie ou de mort, non pas pour moi, qui n'ait aucune origine algérienne, mais pour mes amis algériens. Ma perception du rôle de l'État et des fonctionnaires et du politique en général s'en est trouvée totalement transformée au point de m'amener à m'engager en politique — je me suis présentée à plusieurs élections et ai parfois été élue. Pour autant, je n'ai jamais considéré que c'était le plus important : la candidate et l'élue que j'ai pu être n'étaient que des avatars. Le plus important est la poursuite de cette quête de ce qui pourra donner un sens concret au mandat électif, aux rapports entre les représentants — les élus — et les représentés — les électeurs. Les deux ne sont pas incompatibles, au contraire : on peut être un élu de terrain et porter des idées — une véritable obsession chez moi. Y suis-je parvenue ? Je n'en suis pas sûre (sourire). Ce constat d'échec apparent ne m'a pas pour autant découragée, fait renoncer à la politique. Je continue à porter des enjeux politiques, mais autrement qu'au travers d'un engagement au sein d'un parti politique ou de mandats électifs. Avec le recul, je pense en réalité m'être égarée en optant justement pour la compétition électorale. Non que je regrette de m'être présentée à des élections. Cela reste une expérience formidable, mais j'ai maintenant la conviction que ce ne doit pas être la seule option de l'engagement politique. Je crois même pouvoir dire que mon engagement actuel, éloigné des partis politiques, revêt une dimension plus éminemment politique puisqu'il m'a amenée à porter la réflexion autour de ce que peut être notre avenir commun, au-delà de l'extrême présentisme qui peut caractériser le temps d'une élection.
Une conviction que j'ai pu exposée dans un livre coécrit avec Catherine Larrère et Olivier Fressard, L'écologie est politique, publié en 2023 [éditions Les petits matins]. À l'époque, le simple fait de poser la question — l'écologie est-elle politique ? — n'allait pas de soi. De fait, les ONG qui œuvrent dans le champ écologique sont censées être apolitiques — c'est une obligation qui doit figurer clairement dans leurs statuts pour pouvoir prétendre à des subventions politiques. On peut le concevoir. D'un autre côté, cela dessert la vision du politique, qui semble ainsi être quelque chose d'impur, de malsain. Heureusement, les mentalités ont évolué. Dans la dizaine d'années qui s'est écoulée, on perçoit tous mieux que la politique ne se résume pas à la quête du pouvoir comme semble le dire le comportement des partis, que la politique, c'est bien autre chose ; elle est l'affaire de tous les citoyens ; nous avons tous une responsabilité politique et, donc, notre mot à dire sur les enjeux de société, y compris écologiques.

Je ne résiste pas à l'envie de revenir à l'Algérie que vous avez évoquée car le hasard veut qu'Edith Heurgon nous reçoive ici en revenant d'un voyage qui l'a amenée à faire escale à Alger… Une synchronicité dans laquelle je ne peux m'empêcher de voir une illustration de la capacité de Cerisy à révéler entre ceux qui le fréquentent, des affinités d'une tout autre nature que ce que pourraient suggérer leurs identités institutionnelles ou professionnelles. Cela fait-il sens pour vous ?

Lucile Schmid : Oui, bien sûr ! D'autant plus que j'ai la conviction que le lien à l'Algérie renvoie à des questions universelles. Malheureusement, on n'a jamais su, en France, pas plus qu'en Algérie, prendre la mesure de cette réalité. On continue à en parler comme deux entités distinctes — "la" France et l'Algérie, comme si des liens étroits n'avaient pas été tissés entre les deux pays. La société française est bien évidemment irriguée par la société algérienne ne serait-ce que par nos histoires entremêlées, la présence sur notre territoire de générations d'immigrés ou de Français d'origine algérienne par leur père et/ou par leur mère.
Mais cette irrigation peut prendre des formes plus subtiles encore : pour ma part, je me suis aperçue, lors de mon premier séjour en Algérie, que je comprenais d'autant mieux les relations entre nos deux pays, que j'avais vécu toute mon enfance en Nouvelle Calédonie. Un territoire qu'on présente encore comme une composante de la France, alors que, de toute évidence, c'est une île située à des milliers de kms de là, dans l'hémisphère sud, peuplée aussi de Kanak. Sans compter une biodiversité qui n'a rien à voir avec celle de la "métropole". Une expérience qui m'a confortée dans l'idée que l'on mesure d'autant mieux la portée universelle des questions qui se posent, qu'on perçoit des affinités entre des lieux qui paraissent de prime abord les plus étrangers les uns aux autres. Ce que nous enseigne d'ailleurs L'Étranger de Camus — on y revient là encore ! Paradoxalement, loin de nous séparer, l'étrangeté, parce qu'universelle, nous rapproche…
Donc, oui, j'adore cette idée de retrouver Edith dans le Cotentin, et de découvrir que c'est l'Algérie qui nous lie, même si encore une fois, je ne suis pas originaire de ce pays, à la différence d'elle, qui y est née.

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC

Publication 2024 : un des ouvrages


ÉCONOMIE CIRCULAIRE : IMAGINAIRES ET PRATIQUES


Aurélien ACQUIER, Franck AGERRI, Valentina CARBONE, Éric LESUEUR, Olivier LECOINTE (dir.)


Secrétaire de rédaction : Arthur GAUTHIER


En quelques années à peine, l'économie circulaire s'est imposée dans le débat public comme la promesse d'un modèle de croissance plus sobre et compatible avec les enjeux d'une transition écologique. La vulgate actuelle oppose l'économie circulaire, fondée sur des stratégies de bouclage des flux de matière et d'énergie, à l'économie linéaire fondée sur l'exploitation sans limites de ressources naturelles et la mise en décharge des déchets issus de notre consommation effrénée.
Cet ouvrage met en discussion le cadrage dominant de l'économie circulaire, présente les différents imaginaires véhiculés par la notion et analyse les pratiques collectives qui se déploient aujourd'hui dans tous les continents. À cette fin, une variété de perspectives (historique, philosophique, géopolitique, sociologique, gestionnaire, économique, écologique, juridique, prospective) sont mobilisées pour éclairer les débats contemporains. À partir d'une analyse historique des pratiques et des concepts, sont examinés les enjeux et expérimentations de l'économie circulaire : enjeux de régulation, démarches territoriales faisant émerger de nouveaux communs ; rapports à la technologie et à l'innovation, y compris à travers la fabrication de nouveaux imaginaires ; modèles et pratiques sectorielles. Parallèlement, ce livre met en évidence ce qui s'invente sur le terrain et discute les nouvelles conceptions de l'économie circulaire qui en émergent. Enfin, il interroge à quelles conditions l'économie circulaire pourrait constituer un modèle de résilience en temps de crise et un paradigme alternatif à celui, en voie d'épuisement, de développement durable.


Ouvrage issu d'un colloque de Cerisy (2021) [en savoir plus]
Disponible à Cerisy aux Amis de Pontigny-Cerisy [n°679]

CARACTÉRISTIQUES

Éditeur : Presses des Mines

Collection : Économie et gestion

ISBN : 978-2-38542-578-4

Nombre de pages : 230 p.

Illustrations : Couleurs et N & B

Prix public : 29 €

Année d'édition : 2024


VIDÉOS EN LIGNE :

Vous pouvez retrouver l'intégralité des enregistrements vidéo réalisés durant ce colloque, en accès libre, sur le site Internet suivant :


ENTRETIENS ANIMÉS PAR SYLVAIN ALLEMAND :

Vous pouvez retrouver les enregistrements vidéo réalisés durant ce colloque avec Edith HEURGON, Olivier LECOINTE, Jean-Louis BANCEL, Sabine CHARDONNET-DARMAILLACQ, Hervé DEFALVARD, Christian DU TERTRE, Farah DOUMIT & Marcus BERGMANN et Frédérique & Hervé SAINCT, en accès libre, sur le site Internet suivant :

Publication 2024 : un des ouvrages


L'enquête, une forme pour les récits du XXIe siècle

L'ENQUÊTE, UNE FORME POUR LES RÉCITS DU XXIe SIÈCLE


Christian CHELEBOURG, Dominique MEYER-BOLZINGER (dir.)


Aujourd'hui, l'enquête est partout et son imaginaire imprègne notre culture. Sa structure est celle de très nombreux récits aux supports divers, en texte et en images : fictions policières, séries ou essais, biographies, témoignages historiques ou sociologiques, photographies et jeux vidéo…
Les multiples usages de cette forme emblématique de notre temps en révèlent les préoccupations liées aux questions de la mémoire et de la trace, du rapport au réel et du statut du savoir : comment raconter ? comment ne pas céder aux histoires toutes faites et aux récits convenus, aux explications sommaires ?
Tel fut le propos du colloque qui s'est tenu au Centre culturel international de Cerisy du 22 au 29 juillet 2019, réunissant des spécialistes de littératures, de culture médiatique et de sciences sociales, afin d'explorer les potentialités du récit d'enquête, de comprendre ce qui en fait la principale forme des récits du XXIe siècle.


Ouvrage issu d'un colloque de Cerisy (2019) [en savoir plus]
Disponible à Cerisy aux Amis de Pontigny-Cerisy [n°678]

CARACTÉRISTIQUES

Éditeur : Le Visage Vert

ISBN : 978-2-918061-60-1

Nombre de pages : 294 p.

Illustrations : Couleurs et N & B

Prix public : 25 €

Année d'édition : 2024

Publication 2024 : un des ouvrages


LA MER, L'ÉOLIENNE ET LE CITOYEN

LES NOUVEAUX TERRITOIRES DE L'ÉNERGIE


Martine BARTOLOMEI, Francis BEAUCIRE, Arnaud PASSALACQUA (dir.)


Les multiples débats conduits par la Commission nationale du débat public (CNDP) ont tous soulevé, quelle qu'en soit la formulation, une sorte d'incompréhension, de résistance, voire de franche hostilité, à l'idée de mettre la mer et l'océan à contribution pour produire une énergie largement perçue comme une affaire de terrien. Au nom d'une certaine image de ce que doit être la mer et de ce qu'elle ne doit pas devenir, l'entreprise offshore est, au seuil des années 2020, tout simplement impensable pour une partie de l'opinion publique.
Ce colloque, tenu à Cerisy du 29 juin au 3 juillet 2022, est né de ce trouble. Prolongement des récents débats publics sur l'implantation en mer des champs éoliens, il explore une question rarement explicitée : celle du rapport culturel à la mer entretenu par les riverains, les usagers de la mer et la société tout entière, tant le littoral s'est inscrit par les temps libres dans nos habitudes et nos paysages.
Les auteurs réunis dans cet ouvrage exposent les multiples façons d'appréhender la mer et de mettre en perspective les représentations. Le lieu des regards croisés qui portent, dans une pensée libre mise en partage, à la créativité et l'innovation.


Ouvrage issu d'un colloque de Cerisy (2022) [en savoir plus]
Disponible à Cerisy aux Amis de Pontigny-Cerisy [n°677]


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CARACTÉRISTIQUES

Éditeur : Hermann Éditeurs

Collection : Colloque de Cerisy

ISBN : 979-1-0370-3790-9

Nombre de pages : 286 p.

Illustrations : N & B

Prix public : 30 €

Année d'édition : 2024

Publication 2024 : un des ouvrages


Écrire à l'ombre des cathédrales

ÉCRIRE À L'OMBRE DES CATHÉDRALES

ESPACE ANGLO-NORMAND ET FRANCE DE L'OUEST, XIe-XIIIe SIÈCLE


Grégory COMBALBERT, Chantal SENSÉBY (dir.)


Les cathédrales médiévales sont à la fois des édifices et des lieux de pouvoir. À ce titre, elles abritent des foyers d'écriture qui travaillent au service de l'évêque, des chanoines cathédraux, du tribunal épiscopal qu'est l'officialité et, éventuellement, d'autres acteurs extérieurs aux institutions cathédrales. C'est à ces foyers et à leurs productions documentaires à caractère juridique, administratif et liturgique qu'est consacré ce livre. Il suit les traces de l'existence des "chancelleries" cathédrales et cherche à comprendre les motivations et les modalités du passage à l'écrit en milieu cathédral. Les chartes sont bien sûr au cœur du sujet, qu'elles soient épiscopales, décanales ou capitulaires, mais l'analyse porte également sur les registres et les cartulaires qui permettent de conserver le souvenir d'actions passées, de gérer le patrimoine ou d'administrer le diocèse, ainsi que sur un obituaire. L'étude envisage les aspects matériels et rédactionnels des écrits cathédraux. Elle s'attache aussi bien au dictamen et à la pratique du vidimus capitulaire qu'aux sceaux et à la disposition des textes sur les registres en rouleaux.


Ouvrage issu d'un colloque de Cerisy (2016) [en savoir plus]
Disponible à Cerisy aux Amis de Pontigny-Cerisy [n°676]

CARACTÉRISTIQUES

Éditeur : Presses universitaires de Rennes

Collection : Histoire

ISBN : 978-2-7535-9435-7

Nombre de pages : 414 p.

Illustrations : Couleurs et N & B

Prix public : 28 €

Année d'édition : 2024