Programme 2024 : un des colloques

Programme complet


FIGURES DE MICHEL GUÉRIN


DU LUNDI 15 JUILLET (19 H) AU DIMANCHE 21 JUILLET (14 H) 2024

[ colloque de 6 jours ]



DIRECTION :

Jean ARNAUD, Pierre BAUMANN, Amélie de BEAUFFORT, Pascal KRAJEWSKI, Pierre SAUVANET

En présence de Michel GUÉRIN


ARGUMENT :

Michel Guérin est philosophe, écrivain, membre honoraire de l'Institut Universitaire de France, Professeur émérite à Aix-Marseille Université. Il a publié plus d'une quarantaine d'ouvrages. Son travail, avant tout esthétique et philosophique — mais encore anthropologique, technique, ou politique — se veut la mise en lumière et à l'épreuve d'une pensée inédite, celle de la Figure, qui prend sa place à côté du concept et du schème kantiens. Elle propose une troisième voie, celle de la pensée affectée, celle d'un geste pensé, presque d'une danse de la pensée. Son œuvre se répartit ainsi entre deux grands massifs, celui de la Figurologie conceptualisant son approche, et celui des Figurologiques, la mettant en scène dans des œuvres romanesques, théâtrales ou de critiques d'art.

Si l'originalité de sa pensée se construit à travers ses travaux de la fin des années 1980 (Qu'est-ce qu'une œuvre ? et La Terreur et la pitié en deux tomes), cela fait maintenant plus de quarante ans que le philosophe interroge son intuition séminale, en réfléchissant sur le geste, la croyance, l'amitié, l'espace plastique, etc.

Ami des artistes et professeur ayant marqué plusieurs générations d'étudiants, d'étudiantes et de docteurs, Michel Guérin est aussi un homme du présent. Son engagement a nourri des îlots intellectuels basés sur des amitiés durables et stimulé des débats d'idées ; il a notamment collaboré étroitement à la revue La pensée de midi et son œuvre s'articule en territoires et archipels variés, de Vienne à Berlin et Athènes, de Bruxelles et Lisbonne à Aix-en-Provence, jusqu'au jardin d'Hélian à côté d'Apt…

Fruit d'une collaboration entre l'université Bordeaux-Montaigne, Aix-Marseille Université, l'Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles et les Beaux-Arts de Lisbonne, et bénéficiant du prêt d'œuvres du Frac Normandie ainsi que de la Maison François Méchain, ce colloque-exposition se propose d'allier conférences, discussions et expériences pratiques en présence du philosophe. Il est ouvert à un large public de chercheurs, d'étudiants et d'amateurs d'art, de littérature, de poésie, d'anthropologie et de philosophie.


MOTS-CLÉS :

Art, Art contemporain, Esthétique, Figure, Geste, Guérin (Michel), Littérature, Philosophie, Technique, Topoïétique


CALENDRIER PROVISOIRE (29/04/2024) :

Lundi 15 juillet
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants, ainsi que du Foyer de création et d'échanges


Mardi 16 juillet
Matin
INTRODUCTION
Jean ARNAUD, Pierre BAUMANN, Amélie de BEAUFFORT, Pascal KRAJEWSKI et Pierre SAUVANET

OUVERTURE
Michel GUÉRIN

MODERNITÉ
Fernando ROSA DIAS : Réflexions sur la construction de la modernité dans l'art : le "tournant subjectif" du XVIIIe siècle et le changement de paradigme dans le discours

Après-midi
ŒUVRE
Dirk DEHOUCK : L'œuvre ou le retrait du sujet en ses figures
Sabine FORERO MENDOZA : L'archaïsme des modernes


Mercredi 17 juillet
Matin
EXPÉRIENCE
Jean ARNAUD : La chasse aux figures
Pierre BAUMANN : Prendre, poser, placer : expérience et disposition pratiques de quelques outils philosophiques de Michel Guérin

Après-midi
DIALOGUES
Table ronde, avec Carine KRECKÉ, Amélie de BEAUFFORT, Sylvie PIC, Dominique DE BEIR, Bruno GOOSSE et Miguel-Angel MOLINA

CRÉER / PENSER
Vernissage de l'exposition


Jeudi 18 juillet
Matin
INFLUENCES
Sami EL HAGE : Le geste de la pensée à l'œuvre
Pierre WINDECKER : De l'affectivité au "point pathique" de la pensée

Après-midi
DÉTENTE


Vendredi 19 juillet
Matin
GESTES
Pierre SAUVANET : Percussions Répercussions
Bertrand PRÉVOST : Faire un geste, avoir une posture

Après-midi
TECHNIQUE
Pascal KRAJEWSKI : L'autre du geste technique
Pierre-Damien HUYGHE : Construire un possible

Soirée
RÉPERCUSSIONS
Concert performance de Pierre SAUVANET et Stéphane ABBOUD


Samedi 20 juillet
Matin
ÉCRITURE
Renaud EGO : Ce que le poète fait au philosophe
Jean-Claude PINSON : De l'écriture comme danse

Après-midi
FIGURE
Lucien MASSAERT : L'antagonisme et la conciliation
Marco BASCHERA : Pour une pensée affective. À propos de la figure de la Figure dans l'œuvre de Michel Guérin


Dimanche 21 juillet
Matin
Rapport d'étonnement des doctorants

Échanges avec Michel GUÉRIN

Après-midi
DÉPARTS


EXPOSITION :

Depuis ses débuts littéraires, Michel Guérin a toujours entretenu une relation intime avec de nombreux artistes, peintres, sculpteurs, photographes, vidéastes, plasticiens, musiciens, poètes…, présences ininterrompues qui jalonnent son travail philosophique et littéraire. Il a également encadré un nombre significatif de thèses qui, pour beaucoup, trouvèrent un ancrage dans la recherche expérimentale et la recherche-création. Sa contribution à une pensée de l'art en action, réglée par une logique pratique, fera l'objet d'une exposition conçue comme une promenade, associée à une soirée performative. Des œuvres d'artistes qu'il a cotoyés viendront dialoguer avec des œuvres mises à disposition par le Frac Normandie.
Artistes présentés : Francis ALŸS, Jean ARNAUD, Pierre BAUMANN, Amélie de BEAUFFORT, Damien BEYROUTHY, Christian BONNEFOI, David CLAERBOUT, Dominique DE BEIR, Bruno GOOSSE, Douglas GORDON, Joan JONAS, William KENTRIDGE, Carine et Élisabeth KRECKÉ, François MÉCHAIN, Miguel-Angel MOLINA, Sylvie PIC, Bertrand PRÉVOST, Anri SALA.

L'exposition sera associée à un concert d'improvisation musicale et vidéographique proposé par Pierre SAUVANET et Stéphane ABBOUD.

Présentation de l’exposition à télécharger


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Jean ARNAUD : La chasse aux figures
Pour Michel Guérin, c'est une pratique de l'écriture et la forme de l'essai qui donnent corps à la Figure pour composer une pensée du réel. Mais l'artiste, comme le philosophe, configure lui aussi, produisant du réel afin de caractériser son époque. On envisagera ici comment la plasticité de la Figure philosophique se concrétise en art, les artistes s'exprimant par des gestes, médiums et technologies plus diversifiés pour faire œuvre, déplaçant des images, transformant la matière ou faisant visuellement récit. On analysera donc quelques méthodes de chasse aux figures avec des images, liées à des expériences artistiques personnelles et à l'usage récurrent de quelques gestes (entrelacer, métamorphoser, troubler, flotter, raconter, ouvrir/fermer). À travers une réflexion sur la vie des différentes formes ainsi produites, celles-ci conservant toujours une mémoire de leur genèse, il sera principalement question de la figure biomorphique du nuage.

Jean Arnaud est artiste et professeur des universités en Arts plastiques à AMU (Laboratoire d'Études en Sciences des Arts — LESA). Il a récemment (co)dirigé plusieurs programmes de création-recherche concernant les phénomènes de déplacement des images et leurs relations actuelles au récit visuel. Ses recherches concernent également les interactions entre formes de vie et vie des formes artistiques (biomorphisme). Il a récemment publié Biomorphisme. Approches sensibles et conceptuelles des formes du vivant (Romand, Bernard, Pic et Arnaud (dir.), Naima/PUP, 2023), co-fondé la revue en ligne Turbulences (LESA) dont il a codirigé le n°1 ("Images en tr@nsit", fin 2023). Il expose régulièrement ses œuvres plastiques en France et ailleurs.
https://jeanarnaud.fr/

Pierre BAUMANN : Prendre, poser, placer : expérience et disposition pratiques de quelques outils philosophiques de Michel Guérin
L'anthropologie, plus précisément l'ethnologie et l'archéologie expérimentale représentent souvent une source d'inspiration importante pour les artistes, parce que ces approches sont chargées de savoirs pratiques élémentaires. Peut-on appréhender de même la philosophie de Michel Guérin comme on s'emparerait d'outils au service de l'expérience plastique ? Autrement dit, les grandes idées de Michel Guérin peuvent-elles porter une pensée pratique évidente, directe, sans détour ni effet rebond ? Cette pensée pratique, ductile, chère à Leroi-Gourhan, placerait les concepts battus par Guérin (comme la transparence, le geste, la courbure, la figure, le nihilisme ou la topoïétique) dans le champ anthropologique, comme une philosophie au plus près de l'humain, rabaissée délibérément à son potentiel opératoire élémentaire : prendre, poser, placer. Est-il possible, sinon d'en faire un inventaire, tout au moins de disposer concrètement quelques-uns de ces outils façonnés par le philosophe écrivain ? Quelle portée actuelle pourraient avoir ceux-ci dans et en dehors de l'art, au cœur des processus d'apprentissage ?

Pierre Baumann est professeur des Universités en Arts, membre de l'Unité de Recherche ARTES 24141 de l'université Bordeaux Montaigne, responsable du master recherche Arts plastiques. Il a créé en 2015 Le laboratoire des objets libres, qui étudie le caractère migratoire des objets artistiques dans un contexte anthropologique élargi à partir d'une approche écologique et mésologique. Il dirige depuis 2017 le programme de recherche expérimentale Moby-Dick. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont L'usure (codir.), 2016, PUB/ARBA, Dire Moby-Dick, PUB, 2018, Réalités de la recherche (collective) en arts, PUB, 2019, Sillage Melville, PUB, 2020.

Amélie de BEAUFFORT
Amélie de Beauffort est artiste, responsable de l'atelier de dessin, Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles.

Pascal KRAJEWSKI : L'autre du geste technique
Dans l'idée de continuer et d'interroger les derniers écrits de Michel Guérin autour de la Troisième main et de Leroi-Gourhan, nous voudrions proposer l'analyse d'un geste qui est peut-être le comble de ce que l'auteur appelle des "gestes actés" : celui de reposer. Ce terme doit résonner dans diverses directions : se reposer (pour la main qui ouvrage), laisser reposer (le fer qui refroidit), laisser en repos (la ressource qui s'amenuise). Ce geste serait alors peut-être comme le double, sage et limitatif, du geste technique, impétueux et efficace : geste qui contraint l'hybris prométhéenne de l'homme par la prise en compte de la limitation des moyens disponibles et des forces en présence, littéralement son garde-fou. Il serait ainsi le geste hyper-contemporain de notre société technicienne, devenue soudainement consciente de l'abîme qui la guette à l'heure du glas "anthropocène"…

Pascal Krajewski est docteur en sciences de l'art, chercheur associé au CIEBA de l'université de Lisbonne (FBAUL). Sa recherche porte sur les effets de la technologie dans les arts plastiques et les arts médiatiques du XXe siècle. Ses plus récents travaux s'intéressent au livre, au jeu et au jeu vidéo. Il est l'auteur de trois essais : L'art au risque de la technologie (2013), L'enquête : sur l'art de Marc-Antoine Mathieu (2016) et L'ordre technologique (2016).

Pierre SAUVANET : Percussions Répercussions
Avec son intitulé en écho, cette communication entend suivre le fil tissé par la trilogie du geste de Michel Guérin (Philosophie du geste, 1995, 2011 ; La Troisième Main, 2021 ; Le Signe et la touche, 2023). En reprenant notamment la typologie des percussions d'André Leroi-Gourhan (posée, lancée, ou posée avec percuteur ; perpendiculaire ou oblique ; linéaire longitudinale, linéaire transversale, punctiforme ou diffuse ; le tout à croiser dans un tableau à vingt-quatre entrées), il s'agira d'interroger les gestes de percussion depuis le domaine musical, par une sorte de transfert entre la technique et la musique. Quels enjeux, quels objectifs ? Quelles différences, quelles correspondances ? Logiquement, la communication devrait se faire avec un instrument de percussion entre les mains.

Né en 1966, agrégé de philosophie, ancien élève de l'ENS Fontenay-Saint-Cloud, Pierre Sauvanet est professeur d'esthétique à l'université Bordeaux Montaigne, et directeur du laboratoire ARTES (UR 24141). Ses recherches (qui s'appuient aussi sur une pratique) portent avant tout sur une approche philosophique des phénomènes rythmiques, dans des contextes aussi différents que la pensée grecque, l'histoire de l'esthétique, la survivance des images, les relations entre les arts, le jazz et les musiques improvisées. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages (dont Le Rythme grec, d'Héraclite à Aristote, PUF, 1999, Le Rythme et la Raison, Kimé, 2000, Jazzs, avec Colas Duflo, MF, 2008, L'Insu. Une pensée en suspens, Arléa, 2011, Dionysos plasticien. Une lecture nietzschéenne de l'art contemporain, PUP, 2023).


Marco BASCHERA : Pour une pensée affective. À propos de la figure de la Figure dans l'œuvre de Michel Guérin
La pensée de Michel Guérin réagit d'une part à une évolution technologique qui a mené au monde digitalisé d'aujourd'hui d'où surgit la menace d’un transhumanisme. D'autre part, elle puise ses sources dans le terme présocratique de "rythmos", c'est-à-dire d'une pensée qui se garde à travers le temps proche d’un réel irreprésentable. En passant par le "réalisme" de Tertullien et ses prolongations pascaliennes autour du terme latin de "figura" et en s'appuyant sur l'emploi poétique qu'a fait Rilke de ce terme, Guérin réussit à forger une pensée affective qui, sous forme de "figurologie", servira de fil conducteur pour l'ensemble de ses œuvres. S'ajoute à cela une réflexion menée à partir du schématisme kantien qui le porte à constater "la fin des phénomènes" et de l'évidence phénoménologique. D'une part, la "figurologie" est donc une réflexion sur l'évolution technologique et les impacts qu'elle produit dans le monde contemporain et, d'autre part, elle est le résultat d'un long travail d'analyse portant sur la philosophie occidentale depuis ses origines. Dans mon intervention, je me propose de reconsidérer ces grandes lignes en me focalisant avant tout sur la figure de la Figure.

Marco Baschera est professeur émérite à l'université de Zurich pour la littérature française et la littérature comparée. Publications entre autres sur Kant, Diderot, Molière, Baudelaire, Novarina, Beckett, rapports entre théorie et théâtre et la théorie de la traduction. Auteur de Das dramatische Denken (Heidelberg 1989), Du masque au caractère : Molière et la théâtralité (Tübingen 1998), Das Zeichen und sein Double (Würzburg 2017), co-éditeur de Zwischen den Sprachen – Entre les langues (Bielefeld 2019), La République des traducteurs (Paris 2021).

Dominique DE BEIR
Dominique De Beir vit à Paris et en baie de Somme, elle enseigne à l'école supérieure d'art et de design de Rouen. Son travail est représenté par la Galerie Jean Fournier (Paris), la Galerie Réjane Louin (Locquirec) et la Galerie Phoebus (Rotterdam). Depuis 2022, elle met en place un cycle de rétrospectives "Accroc et Caractère", galerie Jean Fournier, centre d'art Les Tanneries, Amilly, musée départemental de Saint-Riquier en partenariat avec le Frac Picardie, galerie Réjane Louin, musée des Beaux-arts de Caen, musée Fabre de Montpellier…

Dirk DEHOUCK : L'œuvre ou le retrait du sujet en ses figures
Des nombreux ouvrages qui jalonnent le parcours philosophique de Michel Guérin, seul l'un d'entre eux, dès son titre, adresse une question : "Qu'est-ce qu'une œuvre ?". Ce trait distinctif au sein du corpus n'a peut-être rien d'anodin, s'il est vrai qu'avec "l'Œuvre" se joue, pour le philosophe, la tâche même de la création. Quelle place le sujet créateur occupe-t-il dans cette élaboration ? Que reste-t-il du sujet pris dans ses Figures ?

Dirk Dehouck est plasticien et philosophe de formation, professeur à l'Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles et éditeur.

Renaud EGO : Ce que le poète fait au philosophe
Michel Guérin ne cesse de dialoguer avec Rainer Maria Rilke, depuis 1976. C'est de lui qu'il tient le paradigme de la Figure sous le signe de laquelle il a placé son œuvre, la répartissant en deux classes, la Figurologie et les Figurologiques. Au-delà des analyses que Michel Guérin a consacrées à R.M. Rilke, on peut repérer la trace de Figures rilkéennes (l'ange, l'adieu, la danse, la paume de la main), rejouées d'une tout autre manière dans son œuvre philosophique. Mais ce que le poète a fait au philosophe c'est bien davantage encore de l'avoir ouvert à une nécessaire "affectivité de la pensée", venue de cette intelligence nouvelle que la Figure apporte dans le langage et, partant, dans le monde tel que nous le faisons en le disant. Elle a conduit Michel Guérin à assumer autant, sinon plus qu'une vérité de la connaissance, une vérité de l'imagination dans la langue propre de sa philosophie.

Renaud Ego est un écrivain et un poète, auteur d'une quinzaine de livres. Certains d'entre eux questionnent la pensée des yeux, sous la forme du poème (La réalité n'a rien à voir, 2006), du récit (Une légende des yeux, 2010) ou de l'essai, Le geste du regard (2017) qui est une méditation sur l'avènement de la figure graphique. Il poursuit par ailleurs une longue enquête consacrée à l'art rupestre de l'Afrique australe (L'animal voyant, 2015). Son dernier livre de poème, Vous êtes ici (2021) a reçu le prix Max Jacob.

Sami EL HAGE : Le geste de la pensée à l'œuvre
"Le geste est commencement", écrit Guérin. Comment l'appréhender ? Qu'est-ce qu'il augure ou inaugure ? Inchoatif, peut-il le rester s'il est le geste DE quelque chose, ici de penser ? Si la philosophie est une discipline qui s'enseigne, qui s'incarne dans un enseignement, comment alors transmettre (et l'est-il ?) le geste ? Si "Le geste est son propre écho" ("La finitude du geste"), et si "La pensée n'a pas d'extérieur" ("Philosophie du geste"), l'idée d'œuvre serait-elle une possible sortie d'une aporie, l'imposition d'une effectivité, ou d'une nécessité de la pensée, ou du retour de la question du mode du discours et du fondement de la philosophie ? Nous ferons également un détour par la danse.

Sami El Hage, Libraire à Tropismes, Bruxelles (1998-2023), lecteur.

Sabine FORERO MENDOZA : L'archaïsme des modernes
Dans un dialogue libre avec l'ouvrage de Michel Guérin Le temps de l'art – Anthropologie de la création des modernes (2018), l'intervention s'attachera à montrer comment les artistes avant-gardistes du début du XXe siècle ont associé volonté de la rupture — parfois envisagée sous la forme extrême de la table rase — et recherche d'antécédents permettant d'établir de nouvelles filiations. Qu'ils exaltent les arts populaires, réinterprètent les arts anciens ou promeuvent les arts dits "primitifs", ces artistes se sont essayés à décrire les formes de leur création et à écrire leur propre histoire, à partir de mythiques origines, liant ensemble aspirations futuristes et archaïsmes. Tel est le lien que je souhaiterais interroger en montrant qu'il est constitutif d'une pensée de l'art dominée par les thèmes de la réflexivité, de l'autonomie et de la pureté.

Ancienne élève de l'École normale supérieure de Paris et agrégée de philosophie, Sabine Forero Mendoza est professeur des universités en esthétique et histoire de l'art contemporain à l'université de Pau et des Pays de l'Adour. Elle est spécialiste de l'esthétique des ruines. Ses recherches récentes portent sur les liens entre art et mémoire, les artistes femmes et les pratiques contemporaines participatives, notamment dans le domaine de l'écologie.

Bruno GOOSSE : Stratégies hygiométriques
Tirant leur subsistance de l'atmosphère, "les lichens donnent, à leur manière, la mesure de la salubrité de l'air, et constituent une sorte d'hygiomètre très sensible" (Nylander, 1866). La qualité de l'air qui échappe à la perception humaine n'échappe pas aux lichens dont les formes variées n'échappent pas à l'œil aguerri de celui ou celle qui s'y intéresse. En ce sens, les lichens sont nos traducteurs des qualités de l'air que nous respirons. Voyons donc ce qu'ils nous disent.
https://www.brunogoosse.be/

Pierre-Damien HUYGHE : Construire un possible
Proposition : Que veut dire Michel Guérin quand il évoque l'idée "d'éclairer le donné depuis la construction d'un possible" ? Qu'est-ce que le possible s'il est non pas à réaliser, mais à construire ? Et qu'est-ce que cette construction elle-même ? Comment se peut-il qu'elle se produise ? Je voudrais montrer qu'il en va, avec ces questions, de ce qui "traverse" la vie humaine, de ce qui y "transparaît" ou encore de ce qui la "transit". Ce dernier verbe, Michel Guérin le préfère aux précédents. Il dit à sa façon ce qui conjugue les deux notions que toute l'œuvre n'aura cessé de travailler de façon singulière : le geste et la figure.

Pierre-Damien Huyghe est philosophe, Professeur émérite à l'université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne.

Lucien MASSAERT : L'antagonisme et la conciliation
La figure janusique de ce titre est évidemment calquée sur le titre des deux volumes de Michel Guérin intitulés La terreur et la pitié. Nous voulons montrer, à partir de l'œuvre de Hans Memling, que ce champ sémantique en forme d'oxymore — celui de l'affrontement/pacification (ou dit encore autrement de la jonction/disjonction) — joue, parmi quelques autres, un rôle central dans l'articulation du sens. Nous voulons donner à voir que l'espace, tel que le déploie Memling, n'a rien de banal, rien de commun, qu'il s'agit de l'un des archétypes de la plasticité. Son œuvre rend sensible, par son espace, une des articulations fondamentales de la pensée en général et de la pensée des œuvres plastiques en particulier.

Lucien Massaert a étudié le dessin et la peinture murale à l'Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Il a été titulaire de l'atelier de dessin dans le même établissement jusqu'en 2015. Ses recherches et publications concernent principalement une tentative d'élaboration d'une théorie structurale des arts plastiques au départ notamment des œuvres de Greimas, Jean Petitot et François Wahl. Il est cofondateur avec Luc Richir de la revue La Part de l'Œil.

Miguel-Angel MOLINA
Miguel-Angel Molina – MAM - est né à Madrid en 1963. Diplômé par l'École de Beaux Arts de Madrid en 1987, il est également Docteur par l'université de Rennes 2 avec une thèse intitulée "Photographier la peinture" qui porte sur les statuts des images photographiques réalisées par les artistes peintres et leur rôle dans l'élaboration d'une pensée plastique liée à la peinture. Actuellement, il est professeur de peinture à l'ESADHaR, campus de Rouen. La nature liquide de la peinture et des expériences en dehors du tableau lui mène à proposer une peinture à même le sol avec des Peintures en forme de flaque de peinture, mais aussi des objets recouverts de peinture, des Tableaux ratés et des peintures murales. MAM fait partie de la génération de peintres qui dès les années 2000, travaillent sur les nouvelles relations qu'établie la peinture aujourd'hui avec le visible. MAM est représenté en France par la galerie UNA et en Espagne par la galerie Trinta et la galerie Miquel Alzueta.

Sylvie PIC
Sylvie Pic, artiste, est née à Marseille en 1957. Elle participe à de nombreuses expositions, résidences, publications, présence dans des collections publiques et privées en France et à l'étranger. Depuis 2013, elle est intervenante (histoire de l'art) dans la licence transdisciplinaire Sciences et Humanités d'Aix-Marseille Université. Elle est co-éditrice, avec J. Arnaud, J. Bernard, D. Romand de Biomorphisme, approches sensibles et conceptuelles des formes du vivant aux éditions Naïma et CCGG en 2023.
http://www.documentsdartistes.org/pic

Jean-Claude PINSON : De l'écriture comme danse
Au plan anthropologique, l'écriture, à la différence de la danse, n'est pas initialement la chose du monde la mieux partagée. Ce déficit d'universalité cependant n'est que "momentané". Sous l'angle de ce que Michel Guérin appelle une "gestique transcendantale", l'écriture, comprise comme geste dansé, non seulement compense cet apparent déficit d'universalité, mais, en tant que littérature déployant son régime propre d'intellectualité et d'affectivité, en accomplit la promesse. En écho à la formule fameuse de Valéry établissant une analogie entre danse et poème, on voudrait montrer que cette écriture littéraire est foncièrement poétique.

Né en 1947, Jean-Claude Pinson a longtemps enseigné la philosophie de l'art à l'université de Nantes. Il est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages. Derniers en date : Pastoral, De la poésie comme écologie, Champ Vallon, 2020, Sur Pierre Michon, Trois chemins dans l'œuvre, éditions Fario, 2020, Vita poetica, Essais d'écopoéthique, éditions Lurlure, 2023.

Bertrand PRÉVOST : Porter. Faire un geste, avoir une posture
À partir d'une relecture de La philosophie du geste et de La troisième main, on essaiera de penser le geste comme port ou gestion : façon par là de détacher le geste de toute question de forme corporelle, façon par là de garantir l'extériorité de ce qu'on porte (si tant est que ce qu'on porte ne se confond pas avec le sujet porteur). La belle notion de "troisième main" développée par MG, en tant que pensée de la dépose, ne constituera à cet égard pas la moindre des aides, puisqu'elle nous permet d'éviter l'aporie de l'opposition entre un geste transitif, qui se voudrait productif ou poïétique (technique, artisanal) et un geste intransitif, qui se voudrait artistique ou esthétique, existant en soi (danse). Du côté de l'histoire de l'art, on s'intéressera ainsi à tous ces gestes d'abandon, réputés passifs (repos, sommeil, assise, gisant…) par lesquels certains artistes ont proposé parfois de très singulières images. Une question : les dormeurs, et a fortiori les morts font-ils des gestes ? ; du côté de la philosophie, c'est la logique et la physique stoïcienne des incorporels qui nous permettra de penser à nouveaux frais une prédication — autant dire de la forme pure, infinitive du geste — dégagée de tout appareil attributif (au sens aristotélicien de l'être-à), au profit d'une conception du port réellement possessif. C'est ainsi que faire un geste devra se penser d'abord comme avoir une posture.

Bertrand Prévost est Maître de conférences HDR en histoire de l'art et esthétique à l'université Bordeaux-Montaigne. Il a notamment publié La peinture en actes (Actes Sud, 2007), Botticelli. Le manège allégorique (Ed. 1/1, 2011), Peindre sous la lumière (PUR, 2013), Hubert Duprat. Marqueterie générale (La part de l'œil, 2020), L'élégance animale (à paraître).

Fernando ROSA DIAS : Réflexions sur la construction de la modernité dans l'art : le "tournant subjectif" du XVIIIe siècle et le changement de paradigme dans le discours
Nous proposons de réfléchir au processus généalogique de la modernité dans l'art et l'autonomisation de la sphère artistique (domaine, monde ou système de l'art). Nous voudrions émettre l'hypothèse d'un tournant subjectif, au cours duquel les anciens fondements artistiques de l'œuvre (le beau) déclinent au profit de nouvelles modalités dans le rapport au sujet (le goût, le sublime, l'esthétique). Ce tournant impliquerait un changement de paradigme crucial dans le plan du discours : délaissant le discours sur la production de l'œuvre (le traité) pour élaborer un discours sur la réception et le jugement de l'œuvre une fois réalisée (la critique d'art, l'histoire de l'art).

Fernando Rosa Dias est professeur à la Faculté des Beaux-Arts de l'université de Lisbonne. Membre du Centre de Recherches et d'Études des Beaux-Arts (CIEBA), il est le coordinateur général du magazine Convocarte : CONVOCARTE | revista de ciências da arte (ulisboa.pt).

Pierre WINDECKER : De l'affectivité au "point pathique" de la pensée
"Loin, donc, que la plus haute pensée "rationnelle" — la philosophie — se constitue comme un déni péremptoire et univoque de toute modalité affective, il apparaît au contraire qu'elle est inséparable d'un pathos augural…" (L'Affectivité de la pensée, p. 65-66). Pour Michel Guérin, la philosophie n'est pas un discours, mais une psychagogie et une pédagogie. Si elle crée des "Figures", c'est parce qu'elle n'a jamais de "contenu" prédicatif qu'on puisse croire indépendant d'un "point pathique" et, partant, d'une modalité dont témoignent un geste, un tour ou un style. C'est ce que Michel Guérin met au principe de sa lecture des philosophes. Parce que c'est, avant tout, ce qu'il s'applique à mettre en œuvre, depuis La Terreur et La Pitié, dans son écriture philosophique propre.

Pierre Windecker est Professeur de philosophie en classes Terminales, associé plusieurs années à la formation des professeurs dans la discipline, honoraire depuis 2007. Il a animé deux séminaires extérieurs au Collège International de Philosophie. Auteur (ou coauteur) de quelques ouvrages parascolaires et d'articles de philosophie dont plusieurs, portant sur des œuvres de Michel Guérin, sont publiés par la revue en ligne La Cause littéraire.


MÉDIAS :

• Une page sur Hypothèse pour l’exposition-colloque a été créée : https://mshbordeaux.hypotheses.org/10115

• Une courte vidéo de présentation du projet réalisée avec la MSH Bx :


BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE DE MICHEL GUÉRIN :

Philosophie (Figurologie)
Nietzsche, Socrate héroïque, Paris, Grasset, coll. "Théoriciens", 1975.
Le génie du philosophe, Paris, Seuil, coll. "L'ordre philosophique", 1979.
Qu'est-ce qu'une œuvre ?, Arles, Actes Sud, coll. "Le génie du philosophe", 1986.
La Terreur et la Pitié - t. 1 (La Terreur), Arles, Actes Sud, coll. "Le génie du philosophe", 1990.
L'Affectivité de la pensée, Arles, Actes Sud, 1993.
Philosophie du geste-Essai, Arles, Actes Sud, 1995 ; 2e édition augmentée Philosophie du geste-Essai philosophique, Arles, Actes Sud, 2011.
La Terreur et la Pitié - t. 2 (La Pitié – Apologie athée de la religion chrétienne), Arles, Actes Sud, 2000.
Le Fardeau du monde (De la consolation), Paris, Les Belles Lettres, coll. "Encre marine", 2011.
La Croyance de A à Z (Un des plus grands mystères de la philosophie), Paris, Les Belles Lettres, coll. "Encre marine", 2015.
Le temps de l'art : Anthropologie de la création des modernes : essai, Arles, Actes Sud, 2018.
André Leroi-Gourhan : l'Évolution ou la liberté contrainte, Paris, Hermann, 2019.
Expérience et intention, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2020.
La Troisième main (des techniques matérielles aux technologies intellectuelles), Arles, Actes Sud, octobre 2021.
Le signe et la touche, philosophie du toucher, Paris, Hermann, 2023.

Essais critiques et littérature (Figurologiques)
Lettres à Wolf ou la Répétition, Paris, Grasset, 1976.
Les Compagnons d'Hélène, roman, Paris, Hallier (et Albin Michel), 1976.
L'Homme Déo, roman, Paris, Grasset, 1978.
La Politique de Stendhal, Paris, PUF, 1982.
Jour/Goethe-ballet, Arles, Actes Sud, 1983.
L'Île Napoléon, Arles, Actes Sud, 1989.
Les Quatre Mousquetaires, Paris, Rocher, 1995 ; autre édition princeps H.C. : Quatre Mousquetaires à Vienne ou de l'Âge, Athènes, Éditions d'un jour (Patrick Penot éditeur), 1993.
Nihilisme et modernité (Essai sur la sensibilité des époques modernes de Diderot à Duchamp), Nîmes, Jacqueline Chambon, 2003.
La grande Dispute (Essai sur l'ambition, Stendhal et le XIXe siècle), Arles, Actes Sud, 2006.
L'Artiste ou la toute-puissance des idées, Aix-en-Provence, PUP, 2007.
La Deuxième Mort de Socrate, Québec, Presses de l'université Laval, 2007.
Marcel Duchamp, portrait de l'anartiste, Nîmes, Lucie Éditions, 2008.
L'Espace plastique, Bruxelles, La Part de l'Œil, 2008.
Pour saluer Rilke, Belval, Circé, 2008.
La Peinture effarée – Rembrandt et l'autoportrait, Paris, La Transparence, 2011.
Origine de la peinture (sur Rembrandt, Cézanne et l'immémorial), Paris, Les Belles Lettres, coll. "Encre marine", 2013.
Le cimetière marin au boléro, Paris, Les Belles Lettres, coll. "Encre marine", 2017.
François Méchain ou Le souci du monde, Aix-en-Provence, PUP, 2018.

Théâtre
Robert le Diable, mise en théâtre par Marcel Maréchal, Théâtre National de Marseille (1976).
Le Chien (O ΚΥΩΝ), Athènes, Hestia, 1993, trad. Takis Theodoropoulos.


SOUTIENS :

ARTES UR 24141 | Université Bordeaux Montaigne
MSH Bordeaux | Université Bordeaux Montaigne / Université de Bordeaux / CNRS
• Laboratoire d'Études en Sciences des Arts (LESA - EA 3274) | Aix-Marseille Université
• Centro de Investigação e de Estudos em Belas-Artes (CIEBA) | Universidade de Lisboa
• Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles (ArBA-EsA)
Éditions La Part de l'Œil
Frac Normandie


BULLETIN D'INSCRIPTION


Les inscriptions à ce colloque sont maintenant ouvertes. Au regard de notre capacité d'accueil, celles-ci pourront être mises sur une liste d'attente.


Avant de remplir ce bulletin, consulter la page Inscription de notre site.

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Présentation personnelle


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Ces renseignements figureront sur la liste des participants qui sera remise lors du colloque.


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Précisions à nous communiquer pour l'agrément de votre séjour :
[par exemple : grande taille (plus de 1,80 m), problèmes de mobilité, partage d'une chambre ou voisinage de chambres, inscription groupée, régime médicalement surveillé, ...]
Ces renseignements sont utiles à la répartition des chambres. Le logement est assuré au château de Cerisy et ses dépendances, en chambres doubles ou individuelles. En cas de grande affluence, les inscrits tardifs se logeront aux alentours.

Programme 2024 : un des colloques

Programme complet


PROSPECTIVE POUR L'ACTION ÉCOLOGIQUE :

VERS D'AUTRES RÉCITS TERRITORIAUX


DU SAMEDI 6 JUILLET (19 H) AU VENDREDI 12 JUILLET (14 H) 2024

[ colloque de 6 jours ]


Cycle du traitement de l'eau lors du workshop "Les avenirs
des faces-arrières des métropoles post-carbone"
organisé par l'AREP le 25/04/2023 © Gaëtan Amossé (2023)


ARGUMENT :

La prospective peut-elle servir l'action écologique ? Le changement climatique nous montrant d'ores et déjà ses effets, la construction d'un monde plus résilient et plus soutenable nous invite à penser autrement et collectivement notre rapport au futur. Et les récits des territoires d'avenir peuvent se révéler être de véritables outils pour planifier nos actions tout en inspirant nos imaginaires. Comment une démarche prospective peut-elle nous aider à comprendre, explorer et anticiper, avant de décider et d'agir ? Comment participe-t-elle à éclairer les décisions et les choix sur l'avenir, sans chercher à le prédire ? Convoquer d'autres représentations, d'autres acteurs pour imaginer de "nouveaux récits territoriaux" mais aussi interroger les choix face aux options et aux incertitudes… la prospective procède par une réflexion sur ce qui est possible, probable ou désirable pour inscrire l'action de chacun, de chaque secteur dans un devenir commun (ou dans des devenirs souhaitables).

Entre héritages choisis, transitions en cours et ruptures nécessaires, ce colloque interrogera les prospectives d'hier autant que celles d'aujourd'hui au prisme de nombreuses expertises et à l'articulation entre les mondes de la connaissance et de l'action. À l'heure de la planification écologique nationale, les modalités d'observation, de projection, d'accompagnement et d'implication des acteurs dans l'exercice prospectif seront analysées et débattues à la lumière de leur contribution à l'atteinte de cet objectif national par les territoires.

Sont conviés à débattre et à échanger des sociologues, historiens, architectes, urbanistes, artistes et d'autres disciplines, ainsi que celles et ceux qui sont intéressés par le sujet et souhaitent y participer comme auditeurs. Ce colloque comprendra, par ailleurs, une journée de terrain avec pour objet d'explorer le territoire le "Entre deux havres" de la Communauté de communes Coutances mer et bocage.


MOTS-CLÉS :

Écologie, Imaginaires, Planification, Prospective, Représentation, Territoire, Urbanisme


CALENDRIER DÉFINITIF :

Samedi 6 juillet
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants


Dimanche 7 juillet
Matin
Ouverture du colloque, par Hélène PESKINE [vidéo]

Hiba DEBOUK, Jean-Baptiste MARIE & Nicolas TIXIER : Introduction

RÉTROPROSPECTIVES
Catherine MAUMI : Exploration, visualisation, inventaire écologique : le projet comme écologie humaine (1900-1970)
Jean-François COULAIS : Petite histoire des représentations de la prospective

Après-midi
Étienne D'ANGLEJAN : Présentation des arpentages

INVENTER DES DISPOSITIFS DE PROSPECTIVE
Table ronde, animée par Jean-Louis VIOLEAU, avec Arnold LANDAIS (Inventer des dispositifs de prospective : l'approche côté maîtrise d'ouvrage urbaine) et Panos MANTZIARAS


Lundi 8 juillet
Matin
CE QUE FAIT LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE À LA PROSPECTIVE
Pascal AMPHOUX : L'urbanisme de l'incertitude [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]
Franck BOUTTÉ : Projection dans le futur climatique : et maintenant, on fait quoi ? Futur cherche territoires

Après-midi
PROSPECTIVE VERSUS PLANIFICATION
Jean-Marie QUÉMÉNER : La planification écologique : éclairer un chemin vers la transition écologique
Lucile SCHMID : La prospective au service de l'action écologique

RETOUR D'EXPÉRIENCE SUR DES EXERCICES DE PROSPECTIVE
Sylvain GRISOT : Explorer les futurs inconfortables des territoires

Soirée
ARRIVÉE DE LA CARAVANE DES RURALITÉS EN MOUVEMENT ET VISITE DE L'EXPOSITION
Avec Cécile GALLIEN, et le concours d'Agathe BOUSSEAU et de Maël MOULIN


Mardi 9 juillet
Matin
LES OUTILS ET LES ACTEURS
Table ronde, avec Jennifer BUYCK, Nicolas ESCACH (Pour des récits réels : une écologie à échelle humaine) et Karine HUREL

TERRITOIRES EN TRANSITION
Brigitte GUIGOU & Christian THIBAULT : Planifications et projets environnementaux : retours d'expérience

Après-midi
FUTURS & ENJEUX TERRESTRES
Samah KARAKI : L'incertitude comme tremplin - repenser l'anxiété du futur comme un moteur collectif
Arthur KELLER : Re-caractériser les grands enjeux de notre temps, re-concevoir l'espace des réponses

Soirée
Carolina E. SANTO : Effets Mer, Géoscénographie pour le littoral en voie de submersion. Récit d'une marche sur cinq portions du littoral français


Mercredi 10 juillet
Matin
"HORS LES MURS" — À BLAINVILLE-SUR-MER
AVEC LA COMMUNAUTÉ DE COMMUNES COUTANCES MER ET BOCAGE

Transect en vélos, animé par la Communauté de communes Coutances mer et bocage (CMB)
Déjeuner au marché de Blainville-sur-Mer

Après-midi
JEU PROSPECTIF, AGENCE DE VOYAGE DANS LE FUTUR (ATELIER)
Animé par Sylvain GRISOT

Soirée
Présentation de la boîte artistique TERREMER, par Edith HEURGON et Nada ESSID


Jeudi 11 juillet
Matin
Marion GOBIN : Présentation du travail du C|A.U.E de la Manche

REPRÉSENTER LA PROSPECTIVE
Table ronde, avec Sébastien MAROT (Peut-on envisager un exode urbain ?), Laurent MATTHEY (Imaginer le futur pour dire les qualités du présent : retour sur une recherche-création en aménagement) et Jérôme PICARD (Greymatter – Where would you like to live when you grow old ?)

Odile JACQUEMIN & Jean-Louis PACITTO : Observatoire photographique du Paysage littoral

Après-midi
STIMULER LES IMAGINAIRES
Marion WALLER : À quoi peut ressembler un imaginaire écologique de la ville ?
Mélina RAMONDENC : Retour vers le futur : le moment prospectif et l'invention d'une "architecture-fiction" (1958-1978)
Louise JAMMET : Métropoles post-carbone : pour un imaginaire des faces-arrière

Soirée
Écoute libre de podcasts (l'exemple du Grand Annecy)


Vendredi 12 juillet
Matin
Synthèse du colloque par les témoins : Jennifer BUYCK, Arnold LANDAIS et Mélina RAMONDEC

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Hiba DEBOUK
Hiba Debouk est ingénieure et urbaniste. Directrice déléguée de l'agence AREP, elle a participé à la conduite de nombreuses études urbaines et stratégies territoriales croisant les enjeux de décarbonation et de renforcement de la résilience des villes et des territoires. Elle a notamment piloté l'étude prospective "Grand Annecy, Agglomération Archipel" dont l'objectif était d'explorer les capacités d'évolution de l'agglomération face au risque climatique. Elle a également assuré le commissariat d'une exposition sur la prospective et son déploiement au service des stratégies de transition des territoires pour le C|A.U.E de Haute-Savoie : "Réparer le futur".
Publications
Hiba Debouk, Explorer avant de planifier, la prospective stratégique au service de la transition des territoires, Revue Urbanisme, 2023.
Philippe Bihouix, Hiba Debouk, Xavier Desjardins, Bertrand Folléa, Djamel Klouche, Panos Mantziaras, Journal d'exposition "Réparer le futur", C|A.U.E de Haute-Savoie, 2023.
Kelissa Cartier, Marie Lejault, Félix Pouchain, Grégoire Robida, Hiba Debouk (dir.), Grand Annecy, prospective pour 2050, AREP Éditions, Paris, 2024.
Hiba Debouk, Réparer le futur, AREP Éditions, Paris, 2024.

Isabel DIAZ
Isabel Diaz est architecte et urbaniste, fonctionnaire de l'État français. Aujourd'hui, elle est secrétaire permanente adjointe du Plan urbanisme, construction, architecture (PUCA), organisme de recherche et d'expérimentation rattaché au ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Ses domaines d'expertise sont les politiques urbaines et leur évolution en lien avec les impératifs du développement durable et du changement climatique. À ce titre elle a piloté des démarches d'accompagnement de l'action publique locale et d'aide à la décision (l'Atelier des territoires), elle a accompagné l'élaboration des schémas de planification régionale et leur évolution dans le cadre de la loi Climat et résilience. Elle a dirigé des ouvrages, notamment : Massifs en transition (Édition parenthèses, novembre 2018) et Réinventer la ville centre (Édition parenthèses, février 2020) pour le compte du ministère.

Jean-Baptiste MARIE
Jean-Baptiste Marie est titulaire d'un diplôme d'architecte de l'École nationale supérieure d'architecture de Versailles et d'un diplôme de designer de l'École Boulle, docteur en aménagement et architecture de l'université de Paris-Saclay, Jean-Baptiste Marie est directeur général de l'Europe des projets architecturaux et urbains. L'Epau opère des programmes de recherche et d’expérimentation tels que la Plateforme d'observation des projets et stratégies urbaines (POPSU), le programme de recherche-embarquée Coubertin sur les jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, mais également le concours d'architecture Europan, le programme Engagés pour la qualité du logement de demain ou encore la consultation internationale Quartier 2030. Professeur des écoles nationales supérieures d'architecture, il a enseigné de 2011 à 2024, dans les ENSA de Versailles, de Normandie, puis de Clermont-Ferrand. Aujourd'hui, il préside le Conseil d'administration de ENSA de Normandie et enseigne à l'École Polytechnique.
Publications
ALLEMAND Sylvain, APEL-MULLER Mireille, LECOINTE Olivier, MARIE Jean-Baptiste (dir.), Loger mobiles. Le logement au défi des mobilités, Colloque de Cerisy, Hermann Éditeurs, Paris, 2023.
BONNEVIDE Nathalie, MARIE Jean-Baptiste, La programmation urbaine, Paris, Éditions Le Moniteur, 2021.
MARIE Jean-Baptiste (dir.), Architecture et expérimentation, Rouen, Éditions Point de vue, 2020.
MARIE Jean-Baptiste, Architectes et ingénieurs face au projet, Paris, Éditions Le Moniteur, 2019 (réédition 2023).

Nicolas TIXIER
Nicolas Tixier est architecte, professeur à l'École nationale supérieure d'architecture de Grenoble (Université Grenoble Alpes) et professeur invité à l'École supérieure d'art Annecy Alpes. Il travaille comme chercheur au laboratoire Architectures, ambiances, urbanités (AAU) au sein de l'équipe CRESSON dont il est le directeur depuis 2018. Il mène parallèlement une activité de projet au sein du collectif BazarUrbain. Ses travaux actuels portent principalement sur le transect urbain, comme pratique de terrain, technique de représentation et posture de projet. Entre héritage et fiction, il interroge les territoires et leur fabrique par les ambiances.
Publications
Rachel Brahy, Jean-Paul Thibaud, Nicolas Tixier, Nathalie Zaccaï-Reyners (dir.), L'enchantement qui revient, Colloque de Cerisy, Hermann Éditeurs, Paris, 2023.
Didier Tallagrand, Jean-Paul Thibaud, Nicolas Tixier (dir.), L'usage des ambiances. Une épreuve sensible des situations, Colloque de Cerisy, Hermann Éditeurs, Paris, 2021.
Nicolas Tixier (dir.) et alii, Amiens 2030. Le quotidien en projets, Éditions BazarUrbain, Grenoble, 2013.


Pascal AMPHOUX : Vers un urbanisme de l'incertitude
L'histoire récente de l'urbanisme peut être décrite comme une suite de trois périodes caractérisées par des rapports différenciés à l'avenir et dont le cumul et l'enchevêtrement sont peut-être producteurs du "climat d'incertitude" (beau pléonasme) dans lequel se déploient les modes de production de la ville contemporaine. La première est celle de "l'urbanisme programmatique", la seconde est celle d'un "urbanisme de projet", la troisième, encore naissante, pourrait mériter le nom d'"urbanisme de l'incertitude". Cette troisième période, encore balbutiante, cherche ses marques et ses concepts pour relever les défis de l'anthropocène. Nous en proposerons et discuterons trois : les confins du territoire, le récit du lieu et l'utopie opératoire.

Pascal Amphoux est fondateur et directeur de CONTREPOINT, Projets urbains, Lausanne (bureau d'études et de projets architecturaux, urbains et/ou artistiques). Chercheur associé au Centre de Recherches sur l'Espace Sonore et l'Environnement Urbain (CRESSON, ENSAG, Grenoble, UMR CNRS). Professeur à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Nantes (ENSAN, 2003-2021). Ancien membre du conseil scientifique EUROPAN Europe, du conseil scientifique de la consultation internationale Le grand pari de l'agglomération parisienne, du comité scientifique du programme international Passages, IVM (Institut la Ville en Mouvement). Expert auprès de diverses institutions suisses, françaises ou européennes. Auteur de nombreux ouvrages et publications scientifiques portant d'une part sur les écologies urbaines (mentale, sociale et environnementale), d'autre part sur les rapports entre pratique du projet, esthétique paysagère et méthodes participatives.
Distinctions
Flâneur d'or 2008 (Prix des aménagements piétons, ATE / OFROU, Equipe Hüsler-Amphoux).
Lapin d'or 2008 (Meilleure réalisation suisse de l'année en architecture du paysage, Équipe Amphoux-Hüsler).
Médaille d'argent 2006 de la Formation, Fondation Académie d'Architecture, Paris.
Projets récents
Genève. Réalisation d'un parc linéaire entre le pont Hans-Wilsdorf et le pont de la Jonction - tronçon de la voie verte d'agglomération. MEP 292 TI, Équipe MAP, VULKAN, CONTREPOINT, Afry, Avis Vert, Lumière Électrique (2022-2023).
Grand Genève, Consultation internationale pour la transition écologique des territoires urbains, Fondation Braillard archs, Équipe Interland / Contrepoint / Bazar urbain / Coloco 7 / Équilibre (2019-2020).
Cayenne, Atelier des territoires 2017-2018, AMO auprès de la DEAL, de l'Office de l'Eau de la Guyane et de l'Agence d'urbanisme de la Com. d'Agglo du Centre Littoral (CACL), Équipe Interland / Urbanwater / Contrepoint (2017-2020).
Nantes / Saint-Nazaire, "Activation de la façade littorale de la Métropole Nantes Saint-Nazaire sur les communes de Saint-Nazaire et Pornichet : Étude urbaine, paysagère et programmatique", Équipe Jornet Llop Pastor/ Contrepoint / Alphaville / Urbanwater, Barré Lambot, Accord cadre Pôle métropolitain Nantes Saint Nazaire (2017-2019).
Bulle (CH), "Parc et Mémorial Erhard Loretan", Parc des Dousses, jardin public et numérique, Ville de Bulle, avec A. Caviale arch.-paysagiste et U. Fischer webdesigner, Études 2014, Réalisation 2015.
Publications récentes
Amphoux Pascal, "Le récit du lieu – Actualité politique, urgence écologique et force poétique", in Projet urbain et design de processus, Urbia, Les cahiers de développement urbain durable, Université de Lausanne, n°24, fév. 2024, pp. 59-91.
Amphoux Pascal, "Le patrimoine aussi doit faire sa transition", in Gilles Langlois, Étienne Lena, Christel Palant, (eds), Héritage culturel et mutations environnementales : typologies, représentations, transitions, Actes du 6ème séminaire du réseau "Architecture, Patrimoine et création", Presses architecturales de Lyon, 2024, pp. 97-109.
Amphoux Pascal, "La mort dans l'art", in Yves Michaud, L'Art, c'est bien fini" : essai sur l'hyper-esthétique et les atmosphères, Critique d'art | En ligne.
Amphoux Pascal, "Vers un urbanisme de l'incertitude", in Incertitudes, Raison présente, n*222, revue trimestrielle, Éd. Union rationaliste, Courville-sur-Eure, juil. 2022, pp. 49-58.
Amphoux Pascal & Nicolas Tixier, "L'utopie contemporaine des marches collectives", in Rue89Lyon, revue en ligne, École urbaine de Lyon, mars 2020 | En ligne (repris dans le blog Anthropocène 2050, 2021).

Franck BOUTTÉ : Projection dans le futur climatique : et maintenant, on fait quoi ? Futur cherche territoires
De nombreux bouleversements secouent nos sociétés. Outre les crises sanitaires, sociales et économiques qui mettent à mal les anciens modèles de fabrique de nos villes et territoires, l'impact du dérèglement climatique interroge en profondeur toute la chaîne des acteurs, des concepteurs aux promoteurs, en passant par les puissances publiques, et jusqu'aux habitants, au sens large. De perspectivistes, capables de représenter de manière la plus réaliste possible les données connues du passé et du présent, nous devons devenir prospectivistes, à même d'anticiper le moins mal possible ce qui se passera demain, au vu des données connaissables à travers projections et probabilités… Comment continuer à penser les villes et territoires, en intégrant l'incertitude d'un futur plus indéterminé que jamais ? Comment intégrer cet indéterminé au cœur des processus et des projets, et adopter, plutôt que des programmes déroulés ab initio, des stratégies transdisciplinaires qui supposent de rester agile, en veille, d'évaluer en temps réel pour être en capacité d'infléchir, de bifurquer, voire de revenir en arrière ? …

Franck Boutté est ingénieur et urbaniste, fondateur et directeur de l'agence d'ingénierie environnementale Atelier Franck Boutté. En 2022, le Grand Prix de l'Urbanisme lui est décerné par le ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires et le ministère de la Transition énergétique français pour sa démarche pionnière sur l'ingénierie environnementale des projets architecturaux, urbains et territoriaux. Composé de profils hybrides (ingénieurs, architectes et urbaniste), l'Atelier Franck Boutté est devenu l'agence référente dans les domaines de la conception et de l'ingénierie environnementale. Elle intervient à toutes les échelles, du matériau au territoire, en accordant une place importante à la recherche. Elle assure également des missions de conseil auprès des maîtrises d'ouvrage et des collectivités. Sa mission est de contribuer à la création de lieux habitables, sensibles, et inspirants, en tenant compte des mutations socio-environnementales de plus en plus rapides.

Jennifer BUYCK
Architecte de formation, Jennifer Buyck est professeure d'urbanisme et d'aménagement de l'espace à l'université Gustave Eiffel. Après avoir été cheffe de projet en agence de paysage et d'urbanisme en France et en Europe, elle a rejoint l'université Grenoble Alpes (2012-2022) où elle a enseigné à l'Institut d'Urbanisme et de Géographie Alpine, créé et animé le parcours de master en urbanisme "design urbain" (2012-2022) et été chercheuse à l'UMR PACTE. Précédemment, elle a également enseigné à l'Institut National des Sciences Appliquées de Strasbourg (2010-11) ainsi qu'à l'École Nationale Supérieure d'Architecture et de Paysage de Lille (2011-12). Elle a été professeure invitée à la Louisiana State University en 2017, en délégation CNRS à l'UMR AAU de 2017 à 2019 et lauréate de la Villa Albertine à Chicago en 2022. Depuis juillet 2023, elle est directrice adjointe du Lab'URBA. Jennifer Buyck travaille essentiellement sur l'expérience écologique en urbanisme dans des contextes français et nord-américain. À partir de l'étude critique de situations, de pratiques et de représentations, ses travaux interrogent ce que signifie, ou pourrait signifier, d'ouvrir la fabrique urbaine à sa teneur écologique. Elle a travaillé en ce sens sur la place du paysage, de l'agriculture et de l'alimentation au sein des métropoles et a développé également un ensemble de recherches sur les postures pédagogiques, représentations et formats dans le champ des études urbaines ainsi que sur la discipline urbanistique elle-même. Elle développe une approche méthodologique principalement qualitative, basée sur l'archive et l'entretien, mais aussi sur l'enquête in situ, sa représentation et sa mise en débat publique.
Publications récentes
Urbanisme et humanités environnementales : Éco-critique des situations, pratiques et savoirs du projet urbain. Architecture, aménagement de l'espace, Université Grenoble Alpes, 2022.
Marcher le long des rivières de Chicago, Villa Albertine Magazine, 2023 | en ligne.

Jean-François COULAIS : Petite histoire des représentations de la prospective
"Représenter pour intervenir" était un geste de création de l'image prospective par rapport à la situation actuelle. Elle a anticipé l'évolution des attentes de l'époque quant au cadre bâti, mais a en même temps laissé deux expectatives. D'une part, la vie biologique, sa dynamique vitaliste de l'environnement ont été délaissées par l'image prospective. D'autre part, elle ramasserait le champ d'expérience de l'histoire et en a occulté son ouverture au-delà du présentisme dans l'instant. Des pistes nouvelles restent à explorer, par exemple les cartographies potentielles de Terra Forma qui manifestent les expérimentations physiques de notre environnement immédiat. Elles inversent le point central comme zenith et le cercle des matières animées qui s'entrecroisent dans la hiérarchie de leurs métriques, à l'inverse de Hirschvogel qui plaça en 1547 son œil au centre de ville de son plan de Vienne. La montée en puissance des technologies numériques de transformation du réel ouvre potentiellement l'expérience de l'environnement, du bâti et des paysages. Si elle se produit, elle refermerait alors trois ou quatre siècles de séparation entre conception et dessin d'un côté, exécution et construction de l'autre. "Représenter pour construire" est aujourd'hui un renouveau des expérimentations et scénarios à venir, et l'aventure refermera-t-elle la parenthèse de la représentation moderne ?

Jean-François Coulais est Professeur à l'École d'architecture Paris-Malaquais, chercheur à ACS et à l'IPRAUS/UMR AUSser. Titulaire d'un Master à l'université Harvard et d'un doctorat en géographie à l'EHESS, auteur de plusieurs ouvrages et de nombreuses publications, ses travaux de recherche portent sur l'histoire des villes et des paysages d'une part, sur leurs infrastructures et leurs représentations architecturales, urbaines et cartographiques, à l'articulation des cultures techniques, sensorielles et symboliques d'autre part. Il a créé la Chaire Architecture de l'Eau, enseigné plusieurs modules à Paris-Malaquais, et s'est lancé dans le projet de recherche-action POPSU, dont il fut le lauréat du Ministère de Transition Écologique en 2022, intitulé "Partage de l'Eau en Clunisois : comment anticiper les crises hydriques solidairement".

Nicolas ESCACH
Nicolas Escach est géographe et maître de conférences. Formé à l'ENS de Lyon, docteur et agrégé, il a enseigné les stratégies territoriales durables dans plusieurs universités en France et à l'étranger et a parallèlement travaillé comme conseiller pour les collectivités territoriales. Il dirige actuellement le Campus des Transitions de Sciences Po Rennes à Caen où une pédagogie immersive prépare les nouvelles générations à agir à l'heure de l'Anthropocène. Nicolas Escach est également l'auteur de nombreux ouvrages ou articles scientifiques et intervient régulièrement dans la presse écrite ou à la radio. Il est avec Patrick Scheyder, Pierre Gilbert et Ariane Ahmadi l'un des cofondateurs du mouvement de l'écologie culturelle. Depuis 2020, il est maire-adjoint de la Ville de Caen en charge de la ville durable et conseiller communautaire. Il a notamment initié avec Julie Calberg-Ellen la stratégie "Caen, quartiers en transition".

Sylvain GRISOT : Explorer les futurs inconfortables des territoires
Et si des voyages dans des futurs inconfortables pouvaient permettre de sortir de l'inaction ? Les nuages s'accumulent, le tonnerre commence à gronder et déjà certains territoires en première ligne sentent les coups d'un climat qui s'emballe. Ce n'est plus le temps du déni, mais les études et les plans s'accumulent sans pour autant que le passage à l'action s'amorce réellement. L'exemple des territoires littoraux menacés par la montée des eaux est flagrant : le risque est là, inexorable et objectivement démontré. Les cartographies sont sans ambiguïtés, les plans d'action largement esquissés et les outils mobilisables, mais les démarches de retrait stratégique sont anecdotiques, et la valorisation des biens immobiliers à risque montre que celui-ci n'est ni encore réel dans les esprits ni sur les marchés. Nous allons donc prendre la vague. Mais comment s'y préparer ? Je proposerai d'expérimenter dans des territoires exposés des démarches prospectives testées dans des organisations, destinées à faire voyager les décideurs dans des futurs inconfortables. L'objectif est moins d'identifier un futur souhaité ou probable, mais de transformer les esprits pour amorcer le passage à l'action.

Sylvain Grisot est urbaniste (circulaire) et fondateur de dixit.net, une agence qui accompagne les territoires et les organisations qui font la ville dans leur redirection. Consultant, conférencier, enseignant et chercheur, il publie, en 2024, Redirection urbaine, sur les chantiers de l'adaptation de nos territoires. Il est aussi l'auteur du Manifeste pour un urbanisme circulaire (Apogée 2021), et de Réparons la ville ! avec Christine Leconte (Apogée 2022).
https://www.linkedin.com/in/sylvaingrisot/

Brigitte GUIGOU
Brigitte Guigou est docteure en sociologie (EHESS) et urbaniste, formée à Sciences Po. Après 10 années passées dans le département socio-économie de l'habitat du CSTB, Brigitte a rejoint l'Institut Paris Région en 2000 pour y travailler sur les politiques de cohésion territoriale. Depuis 2016, elle est responsable partenariat recherche et formation auprès de la direction générale de l'IPR. Cette fonction l'amène à coordonner des projets transversaux en partenariat avec l'enseignement supérieur et la recherche, par exemple avec le PUCA sur la Ville productive ou avec le GREC, Groupe régional d'expertise sur le changement climatique et la transition écologique en Ile-de-France. Après avoir été durant 15 ans professeure associée à l'École d'Urbanisme de Paris, elle en est aujourd'hui co-présidente.

Louise JAMMET : Métropoles post-carbone : pour un imaginaire des faces-arrière
La prospective urbaine médiatisée met en scène des centres-villes animés et des quartiers résidentiels toujours plus "apaisés" et végétalisés. Certains espaces urbains, historiquement moins attractifs (Ambrosino, Andres, 2008) font également l'objet de prospective en vue d'imaginer leur future mutation dans les cadres de l'urbanisme compétitif et attractif (Bouba-Olga, Grossetti, 2018). La prospective, en plus de restreindre l'étendue des espaces mis en scène dans leurs transformations futures, rétrécit l'éventail des futurs à ceux rendus désirables ou rendant désirables les espaces métropolitains. Cela semble correspondre aux injonctions multiples et pressantes "d'imaginer des futurs positifs" et de "venir dessiner la ville de demain" en inventant des récits qui "donnent envie". Si ces ambitions font sens dans un contexte de forte anxiété liée aux conditions climatiques et environnementales futures, notamment en contexte urbain, elles ont tendance à produire des images partielles des villes futures en oubliant de faire l'exercice de penser l'avenir des "faces-arrière" à la fois dans le rôle qu'elles remplissent aujourd'hui — c'est-à-dire des fonctions indésirables quoique nécessaires pour nos modes de vie — mais aussi de penser les futurs espaces potentiellement indésirables nécessaires aux transitions économiques, techniques, énergétiques et urbaines vers la décarbonation. La présentation se propose, en partant d'une définition des "faces-arrière" des métropoles, de parcourir les prospectives à leur propos et de réfléchir aux pistes pour une prospective des espaces indésirables d'aujourd'hui et de demain. Elle s'appuie sur la recherche "Les imaginaires de la face-arrière des métropoles post-carbone" réalisée entre 2022 et 2023 chez AREP en partenariat avec le PUCA.

Louise Jammet est titulaire d'un diplôme d'architecte et docteure en sociologie de l'université de Bordeaux. Chercheuse associée au laboratoire PAVE (ENSAP Bordeaux), ses recherches se portent principalement sur la planification et la prospective urbaines étudiées par leurs discours et leurs projets, à l'international. Après sa thèse elle a rejoint le groupe AREP pour une recherche post-doctorale sur les imaginaires des métropoles post-carbone en partenariat avec le PUCA ; elle y est aujourd'hui chargée de recherche et de coordination de la recherche.
Publications
Ali-Oualla M., Brown L., Gerbeaud F., Jammet L., Vandenberg Z. (2024), "Faire la transition dans son salon. Pratiques de durabilité et transformation du logement chez les pionniers de la transition écologique : enquête qualitative auprès de foyers investis dans la rénovation et l'adaptation durable de leur habitat et entretiens d'acteurs de la transition dans l'habitat (dans l'agglomération bordelaise et à Paris)", Rapport de recherche, Les chantiers Leroy Merlin Source, n°57, 156 p.
Jammet, L. (2024a, février 2), Les imaginaires des métropoles post-carbone : Comment envisager un cycle de l'eau et de l'assainissement dans les métropoles décarbonées ? [Webinaire], Projet ANR Egout, en ligne.
Jammet, L. (2024b, mars 15), Scales of post-oil urban futures [Workshop], Workshop international "Double Capture : How Scale Matters in Comprehending Environment", dans le cadre du projet de recherche "After Climate Crisis. Non-Scalable Survival Strategies in Speculative Fabulations of the Last Two Decades" supported by the Polish National Science Centre, en ligne.
Jammet, L. (2023, juin 9), Les métropoles décarbonées à l’épreuve des imaginaires, Rencontres internationales en urbanisme de l'APERAU, Lausanne (Suisse).
Jammet, L. (2021a), Le "projet de ville" au XXIe siècle : Modèle et utopie dans l'urbanisme mondialisé. Récits, références et mises en œuvre dans les projets de ville ex nihilo et les projets de ville existante en transformation [Sociologie], Université de Bordeaux.

Samah KARAKI : L'incertitude comme tremplin - repenser l'anxiété du futur comme un moteur collectif
Pour nos ancêtres, prédire les événements des mois ou des années à venir n'était pas pertinent pour la survie. Nos cerveaux ont ainsi évolué pour gérer les besoins du présent et du futur proche mais restent mal adaptés à une anticipation des évènements de long terme. Sur le plan cognitif, l'expérience de l'incertitude est donc à la fois éprouvante et stressante. Or l'incertitude n'est pas seulement un risque qu'il nous faut contrôler mais peut être aussi, en l'appréhendant autrement, une invitation à une construction collective de sens qui permet de se défaire de la surpuissance de l'individu et de réviser le modèle actuel du monde.

Samah Karaki est une neuroscientifique franco-libanaise, auteure et experte en santé mentale, apprentissage et culture organisationnelle. Elle est titulaire d'un doctorat en neurosciences, d'un master en neurobiologie et d'une maîtrise en biodiversité et écologie. Elle est la fondatrice et directrice du Social Brain Institute qui s'appuie sur les sciences cognitives et sociales pour gérer les enjeux sociaux et environnementaux. Elle est l'auteur de Le travail en équipe, Éditions Dunod, 2021 ; Analyse interdisciplinaire de la disparition du jeu libre de l'enfant, Éditions La maison de la Créativité, 2022, et Le talent est une fiction, Éditions JC Lattès, 2023.

Arthur KELLER : Re-caractériser les grands enjeux de notre temps, re-concevoir l'espace des réponses
Dans un premier temps, on proposera une caractérisation systémique des principaux enjeux auxquels l'humanité doit faire face et des défis majeurs inédits qu'il nous faut relever. On explicitera la différence fondamentale qui existe entre approches multidimensionnelles et approche systémique, cette dernière permettant d'appréhender différemment les enjeux ainsi que l'espace des réponses pertinentes possibles. On soulignera les fautes méthodologiques graves qui sont commises dans la manière d’aborder ces enjeux. Dans un second temps, on s'attachera à réfuter certaines options qui sont fréquemment présentées comme des "solutions" et à pointer les limites des outils existants pour reconcevoir les marges de manœuvre qu'il nous reste pour réagir. On mettra également en lumière certaines erreurs majeures qui sont communément commises en matière de communication, de posture et de stratégie, avec des conséquences sociétales hautement préjudiciables. Enfin dans un troisième temps, on expliquera ce qu'il est (encore) possible d'entreprendre et proposera une méthode de transformation systémique. On fournira aux participants des clés pour faire évoluer les imaginaires et construire des espoirs lucides, quelques avertissements et conseils, ainsi que des leviers actionnables permettant la massification de remises en question comportementales adaptées aux enjeux.

Ingénieur et systémicien de formation, Arthur Keller est aujourd'hui un spécialiste reconnu des risques systémiques, des vulnérabilités des sociétés, des stratégies de résilience collective et des leviers de transformation. Conférencier et enseignant à CentraleSupélec, il forme des élus à la sécurité globale des territoires, conseille des collectivités et des agences publiques sur les stratégies de résilience territoriale face aux risques et délitements sociétaux en cours ou à venir. Sélectionné parmi une douzaine d'experts pour former les Services du Premier ministre et auditionné par l'Assemblée nationale dans le cadre d'une mission parlementaire sur la résilience nationale, il a élaboré une stratégie permettant de se préparer collectivement pour pouvoir affronter dans la dignité les ruptures de continuité majeures qui se profilent.

Arnold LANDAIS
Arnold Landais est urbaniste et géographe de formation. Aujourd'hui responsable de la prospective et des stratégies territoriales au sein de l'agence d'urbanisme de l'Orléanais, il a exercé pendant une quinzaine d'années au sein de collectivités locales et de services décentralisés de l'État. De par ses différentes expériences il est particulièrement attaché au rôle que doit jouer la maîtrise d'ouvrage dans le cadre de la fabrique territoriale.

Panos MANTZIARAS
Panos Mantziaras est architecte-ingénieur, diplômé de l'université polytechnique nationale d'Athènes (NTUA), doté d'un master d'architecture à l'université de Pennsylvanie et d'un doctorat en urbanisme de l'université de Paris 8, poursuivi par des études post-doctorales à l'université Meiji (Tokyo) et au Centre canadien d'architecture (Montréal). Il a publié ses travaux et enseigné en Europe, en Amérique du Nord et au Japon. En tant que chargé de mission au Bureau de la recherche architecturale, urbaine et paysagère au Ministère français de la Culture et de la Communication, il a participé à l'élaboration du programme de prospective stratégique "Le grand pari de l'agglomération parisienne" (2008-2010). En tant que chef du Bureau entre 2011 et 2015, il a initié et coordonné le programme de recherche "Ignis Mutat Res, architecture, urbanisme et paysage au prisme de l'énergie" (2010-2014), et conçu et dirigé la recherche-action "La grande ville 24 heures chrono" (2013). À la direction de la Fondation Braillard Architectes depuis 2015, il lance le programme de recherche et culture The Eco-Century Project®, au sein duquel il développe les consultations internationales pour le Grand Genève (2017-2020) et Luxembourg in Transition (2020-2022). Il a publié chez Métispresses (Genève) La ville-paysage (2008), et co-édité Le sol des villes (2016), Inégalités urbaines (2017), Urbanisme de l'espoir (2018), Racines modernes de la ville contemporaine (2019), et Dessiner la transition (2020). Au sein de la Fondation il développe depuis 2020 la formation intensive pluridisciplinaire Transition Workshop en partenariat avec la Confédération Suisse, le Canton de Genève, l'EPFL et l'université de Genève.

Sébastien MAROT
Sébastien Marot, holds a master in philosophy, a Phd in history and an "Habilitation à diriger des Recherches". Between 1986 and 2002, he was general delegate of the Société Française des Architectes in Paris, where he organized numerous series of lectures on the history of architecture and architectural theory, and launched the journal Le Visiteur (1994-2003). He has written extensively on the genealogy of contemporary theories in architecture, urban and landscape design. Having taught in different schools or architecture or landscape design in Europe and North America (Architectural Association, IAU Geneva, Harvard, Cornell, Upenn, ETH Zürich), he is currently professor at the École d'Architecture de Marne La Vallée, where he has launched another journal : Marnes : documents d'architecture, and guest professor at the EPFL (Enac), where he teaches the History and Theory of the Environment. For the 2014 Venice Biennale, he collaborated with Rem Koolhaas/Amo on the Fireplace/Hearth section of the exhibition on the "Elements of Architecture" : Fireplace, Marsilio 2014. In 2019, for the Lisbon Architecture Triennale, he curated a large exhibition "Taking the Country's Side : Agriculture and Architecture" which has been traveling since in many locations (Lausanne, Lyon, Brussels, Marseille), and keeps developing as a work-in-progress. His book Sub-Urbanism and the Art of Memory (AA Publications, London 2003) has been translated in several languages. The French Académie d'Architecture awarded Marot the Medal for architectural analysis (in 2004), the Prize for architectural research (in 2010), for his PhD : Palimpsestuous Ithaca : A Relative Manifesto for Sub-Urbanism, and the Medal for research and teaching in 2020.

Laurent MATTHEY : Imaginer le futur pour dire les qualités du présent : retour sur une recherche-création en aménagement
Je reviendrai, dans cette intervention, sur une expérimentation récente qui a réuni géographes, architectes, romanciers et habitants. Celle-ci s'appuyait sur des ateliers d'écriture, révélant des imaginaires de la ville du futur contrastant fortement avec ceux recueillis par les autorités publiques. Repris par les romanciers, ces imaginaires ont donné naissance à une fiction (devenue depuis un roman – Le jour de silures paru aux éditons Zoé), mobilisée, dans un deuxième temps, pour de mettre en lumière les qualités du présent. Après avoir découvert, au travers du prisme fictionnel élaboré par les écrivains, leur ville du future, les participants à la démarche ont en effet été amené à identifier les lieux dont la disparition serait source de nostalgie. Les récits habitants issus des ateliers d'écriture, médiés par la fiction d'un ville à venir, ont contribué ainsi à inventorier un patrimoine ordinaire très actuel, pouvant figurer dans un document de planification.

Laurent Matthey est professeur à l'université de Genève et chercheur rattaché au CRESSON. Ses recherches sont situées au croisement de l'ethnographie et des études littéraires. Elles s'intéressent aux enjeux politiques de la mise en récit de la fabrique urbaine, focalisant sur les registres sensibles et les régimes attentionnels qui y sont mobilisés.
Publications
Matthey, Laurent (2023), "De la vision politique à sa mise en récit : faire exister un plan par le langage", in L'Information géographique, Vol. 87, n°3, p. 85‑99 (doi: 10.3917/lig.873.0085).
Matthey, Laurent et al. (2023), ""Caminante, No Hay Camino, Se Hace Camino al Andar" : On a Creative Research Project in Urban Planning", in Social inclusion, Vol. 11, n°3, p. 1‑11 (doi: 10.17645/si.v11i3.6798).
Matthey, Laurent et al. (2022), "Les métamorphoses du récit en urbanisme", in Métropolitiques.eu, p. 1‑5.
Matthey, Laurent et al. (2022), "The empire of the narrative : plan making through the prism of classical and postclassical narratologies", in Planning theory, 22(3), p. 292-315.

Catherine MAUMI : Exploration, visualisation, inventaire écologique : le projet comme écologie humaine (1900-1970)
"Survey before plan" est sans doute l'enseignement principal qui a été retenu de la pensée de Sir Patrick Geddes (1854-1932) dans le milieu anglo-saxon, un "survey" (ou enquête, comme on pourrait le traduire en français) très spécifique puisque ne considérant pas seulement les caractéristiques géographiques et climatiques, mais aussi sociologiques, historiques, économiques. Ce travail de collecte de données, outre de permettre un diagnostic précis, était avant tout effectué dans une visée prospective : proposer un "plan" spécifique répondant à une situation donnée. Les idées de Geddes ont connu une certaine fortune dans le milieu des architectes, des urbanistes et des paysagistes, grâce à deux "passeurs" qui, chacun à leur manière, ont diffusé (parfois en les traduisant) les principes de sa pensée : Lewis Mumford et Jaqueline Tyrwhitt. Dès les années 1920, Mumford introduit la pensée de Patrick Geddes aux États-Unis, celle-ci nourrissant les réflexions des membres de la Regional Planning Association of America, et de Benton MacKaye plus particulièrement. En 1947, Tyrwhitt publie Patrick Geddes in India, avant d'offrir une nouvelle version de Cities in Evolution en 1949, avec l'objectif de faire des principes geddesiens une méthode de projet qu'elle défend inlassablement au sein des différents milieux dans lesquels elle est investie : les CIAM, les Nations Unies, l'université de Harvard, les séminaires de Delos (organisés avec Doxiadis).

Catherine Maumi est architecte, historienne de l'architecture, professeur en histoire et cultures architecturale à l'ENSA Paris La Villette, et membre d'AHTTEP/AUSser. Procédant à un constant aller-retour entre États-Unis et Europe, ses recherches explorent la pensée architecturale, urbaine et paysagère étasunienne de manière à en comprendre les spécificités au regard d'une culture européenne longtemps dominante. Elle a notamment publié, aux Éditions de La Villette, Thomas Jefferson et le projet du Nouveau Monde (2007), Usonia ou le mythe de la ville nature américaine (2008), Frank Lloyd Wright, Broadacre city, la nouvelle frontière (2015), Frederick Law Olmsted, architecte du paysage (2021).

Jérôme PICARD : Greymatter – Where would you like to live when you grow old ?
Jérôme Picard présente à travers Greymatter (Matière grise) une narration du futur qui replace la notion de soin dans la vie de tous les jours. Comment vivrons-nous demain dans une société vieillissante qui cultive encore une ségrégation rampante des générations ? Comment pourrons-nous prendre soin de la ville, soigner le paysage et nos communautés sans un récit qui retisse des liens durables entre chaque individu ? Comment le quartier peut-il devenir un territoire d'inclusion intergénérationnelle qui passe aussi par la mise en valeur des seniors et de la santé dans le renouveau urbain et rural ? Il revient sur l'articulation innovante qu'il met en place entre processus de participation et développement de plans urbains dans le temps, qu'il développe dans un contexte européen affirmé, à la fois franco-norvégien et nourri par une pratique en Angleterre et aux Pays-Bas, et qui se traduit dans des projets avec l'agence et dans le cadre de recherche académiques. Greymatter explore les possibilités de réimaginer l'écosystème de la santé en le réintégrant dans notre quotidien. Greymatter s'attache à transformer les infrastructures et à initier des projets générationnels novateurs, visant à créer des quartiers inclusifs et multigénérationnels. La vision de Greymatter est de promouvoir une vieillesse digne et enrichissante pour un plus grand nombre de personnes, en favorisant l'émergence de communautés locales où les générations cohabitent harmonieusement et bénéficient mutuellement de leur proximité.

Jérôme Picard est cofondateur et associé chez LOCAL, une agence d'architecture et d'urbanisme opérant à Bergen, Paris et Bruxelles, et professeur associé ainsi que chef de recherche à la Faculté des Beaux-Arts, de la Musique et du Design de l'Université UiB de Bergen. Il travaille particulièrement sur la redéfinition des dynamiques urbaines et sociales à travers les échelles d'intervention et en utilisant l'architecture comme outil d'action. Avec un double cursus en design de l'École Boulle et en urbanisme de l'AA à Londres, Jérôme Picard est un architecte, designer, urbaniste à multiples facettes qui apporte une perspective unique à la compréhension des espaces communautaires de demain.

Jean-Marie QUÉMÉNER : La planification écologique : éclairer un chemin vers la transition écologique
Engagement d'Emmanuel Macron en 2022 lors de la campagne électorale, la planification écologique a été confiée au Secrétariat général à la planification écologique placé auprès du Premier Ministre. Depuis, le SGPE a réalisé un travail inédit de mise en trajectoire de la décarbonation des grands secteurs d'activité à horizon 2030 selon une approche systémique envisageant les enjeux de bouclage énergétique, de besoins en compétences et de financements, selon un principe de répartition équitable des efforts. Une cinquantaine de leviers de décarbonation y sont associés. Cette trajectoire nationale interroge l'aménagement du territoire : elle révèle de nouveaux besoins en équipement et remet en question des pratiques d'aménagement ; elle doit s'accorder avec les besoins propres à chacun des territoires et avec leurs gouvernances locales, ceci en tenant compte de leurs capacités intrinsèques à prendre leur part dans l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.

Jean-Marie Quéméner est ingénieur des ponts des eaux et des forêts, fonctionnaire d'État et directeur du programme bâtiment et aménagement durable au Secrétariat général à la planification écologique. Il a précédemment exercé plusieurs fonctions au sein des services du ministère de la transition écologique sur les politiques de l'eau, de la protection de la biodiversité et de l'aménagement urbain. Il a co-piloté la feuille de route de décarbonation de l'aménagement remise au ministre en juin 2023.

Mélina RAMONDENC : Retour vers le futur : le moment prospectif et l'invention d'une "architecture-fiction" (1958-1978)
Dans le tournant des années soixante, le critique Michel Ragon formule l'un des éléments structurants de son discours : la notion d'architecture prospective. Il s'empare progressivement du substantif crée par le philosophe Gaston Berger en 1957 pour interroger les domaines de l'architecture et de l'urbanisme, dans lesquels le projet se rapproche par bien des aspects de l'exercice mental que pratiquent les prospectivistes. En 1965, cette notion lui sert même à agréger autour de lui un réseau de chercheurs, d'architectes, d'artistes, d'ingénieurs… au sein d'un éphémère Groupe International d'Architecture Prospective (GIAP). Cette présentation revient précisément sur ce moment prospectif, considérant qu'il permet l'émergence d'une "architecture-fiction". Nous proposons ce terme pour rendre compte de la transformation du statut et des outils du projet qui s'opère alors. L'expression permet en effet de mettre en lumière la dimension spéculative et systémique des projets produits par les membres du GIAP. Il convient de souligner que l'expression "architecture-fiction" n'est pas neuve : nous préciserons ainsi la manière dont nous l'entendons, d'autant plus qu'elle semble se charger d'un nouveau sens dans le champ de la recherche académique. Nous nous baserons sur l'acception du terme en didactique pour proposer que les projets des architectes étudiés puissent être considérés comme des fictions : des hypothèses permettant de construire une réflexion et une posture intellectuelle et professionnelle.

Mélina Ramondenc est titulaire d'un diplôme d'état d'architecte, d'un master en sciences politiques, et docteure en architecture de l'université Grenoble Alpes. Chercheuse associée au laboratoire MHA (ENSA Grenoble), ses travaux portent sur les futurs antérieurs, particulièrement sur les visions et architectures futurologiques du tournant des années 1960, et explorent la frontière poreuse entre prospective et utopie. Après avoir terminé sa thèse, produite dans le cadre d'une convention CIFRe de l'ANRT au sein du CAUE de Haute-Savoie, elle a rejoint le CAUE Rhône Métropole en tant que chargée des actions pédagogiques et de la médiation culturelle.
Publications
Ramondenc, Mélina, "Douze Villes Prospectives. Le Groupe International d'Architecture Prospective à la recherche du futur de l'urbanité", in Avila Gómez, Andrés, Bocklandt, Fanny, Cappellari, Nicole et Tékatlian, Pauline (dir.), Ville et architecture : des relations conflictuelles ? Représentations, théories et pratiques (XIXe-XXe siècles), L'atelier de la recherche, HiCSA, Paris, 2024.
Ramondenc, Mélina, "L'imagination au pouvoir", L'Alpe, n°103, Éditions Glénat, Grenoble, 2023.
Ramondenc, Mélina, "Du projet à l'objet architectural : pensée de la série dans l'œuvre de Pascal Häusermann et Claude Costy", in Bauer, Caroline et Klein, Richard Klein, Architecture en série et patrimoine, Cahier Thématique n°20, Maison des Sciences de l'Homme, 2022.
Ramondenc, Mélina, "Fonction et limites de l'utopie. Chanéac, période prospective", in Jean-Louis Chanéac, Formes rêvées, formes concrètes, Collection "Portraits", Éditions du CAUE de Haute-Savoie, 2020.

Carolina E. SANTO : Effets Mer, Géoscénographie pour le littoral en voie de submersion. Récit d'une marche sur cinq portions du littoral français
Pendant l'été 2022, j'ai parcouru à pied 1300 km du littoral français en choisissant cinq zones menacées par des aléas climatiques. Cette marche m'a permis d'observer la manière dont nous occupons ces territoires de rivage, d'analyser les signes et les effets de l'érosion et de mesurer les risques engendrés par la montée du niveau de la mer. À un autre niveau d'énonciation, le temps long de la marche m'a permis d'entretenir une conversation profonde avec la mer, de rencontrer les habitants de ses côtes (humains ou autres), de rentrer chez elles·eux et de parcourir les paysages qui leur sont familiers. À plusieurs reprises, ce voyage a relié des extérieurs traversés à des intérieurs éprouvés. Et c'est par ce franchissement permanent entre le dedans et le dehors que plusieurs créations artistiques ont pu émerger. Je les nommerai Les Effets Mer. Cette communication entend élucider le terme de "géoscénographie" pour le littoral en voie de submersion et interroger la possibilité d'intégrer son processus créatif et participatif à la concertation territoriale.

Carolina E. Santo est artiste et docteure en arts du spectacle. Elle scénarise des pratiques situées et participatives en dehors du bâtiment théâtral pour interroger les notions de lieu, d'espace et de territoire. La marche participe à son processus créatif et lui permet d'approfondir l'idée d'une "géoscénographie". En 2022, son projet Effets Mer a été soutenu par le dispositif Mondes Nouveaux du ministère de la culture. En 2023, elle a été curatrice de la section performance à la quadriennale internationale de scénographie de Prague. Elle enseigne actuellement à l'École des Arts Décoratifs de Paris, à l'ENSA de Nantes, à l'université Paris 8 Vincennes Saint-Denis et vient d'être nommée enseignante chercheure associée à l'université Côte d'Azur.

Lucile SCHMID : La prospective au service de l'action écologique
Comment mettre la prospective au service de l'action écologique ? C'est aujourd'hui une question centrale alors que l'avenir est marqué simultanément par l'urgence écologique et l'obligation de transformer les modes de vie. Penser l'avenir est devenu encore plus important. Les scénarios prospectifs (GIEC, RTE, Ademe, negaWatt…) se sont multipliés dans la dernière période, sans pourtant entraîner une élévation de l'ambition des politiques publiques ou un changement des comportements à hauteur des prévisions scientifiques. Certains en tirent la conclusion que démocratie et écologie sont difficilement compatibles, ou qu'à tout le moins une mise entre parenthèses des processus institutionnels classiques serait nécessaire. La réalité est autre. Il est plus que temps de mieux articuler démocratie et écologie alors que certains partis prospèrent sur la peur et la mise à distance des savoirs. La montée en puissance de l'urgence et ses manifestations concrètes (inondations, sécheresses, épisodes caniculaires…) a en effet plutôt provoqué un regain de climatoscepticisme dans une partie du monde politique et chez certains électeurs. Cela signifie-t-il alors que la prospective pour être au service de l'action écologique devrait s'envisager autrement ? Comment peut-on l'articuler avec des processus démocratiques ?

Lucile Schmid est Administratrice de l'État au Ministère de l'économie et des finances. Co-fondatrice d'un cercle de réflexions sur les enjeux écologiques, elle y est responsable des relations avec le monde universitaire. Haut-fonctionnaire de formation, elle est attachée à la vision d'institutions ouvertes sur la société, vision qu'elle a développée dans différents travaux et ouvrages. Membre du comité de rédaction de la revue Esprit depuis 1996, ses réflexions portent sur l'état de nos démocraties et elle y organise régulièrement des rencontres. Depuis l'automne 2023, elle effectue une mission au sein du mouvement Emmaüs pour y travailler à l'articulation des enjeux sociaux et écologiques.

Christian THIBAULT
Christian Thibault est ingénieur agronome (Paris-Grignon), ingénieur horticole (Versailles) et chevalier de l'ordre du mérite agricole. Il est directeur du département environnement urbain et rural de L'Institut Paris Région depuis 2000. Ce département travaille sur l'environnement "à 360°" et sur la ruralité en Ile-de-France, avec une forte composante de géomatique. Il contribue de manière plus ou moins importante à l'élaboration et à la mise en œuvre du SDRIF et de toutes les planifications environnementales régionales, réglementaires ou volontaires. Ce département a une spécialité d'évaluations environnementales et de diagnostics territoriaux notamment pour les parcs naturels régionaux. Pour ce faire, il conçoit des bases de données ad hoc et des outils d'analyses spatiales multicritères. Comme tous les départements de L'Institut, il apporte un appui à l'élaboration des politiques publiques au travers de parangonnages et de retours d'expériences. Christian Thibault s'intéresse tout particulièrement aux approches systémiques, aux articulations et aux incidences indirectes parfois cachées de ces politiques.

Jean-Louis VIOLEAU
Jean-Louis Violeau est sociologue et professeur à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Nantes. Il est chercheur au CRENAU (CNRS UMR AAU). De 2012 à 2016, il a dirigé le laboratoire ACS (Architecture-Culture-Société) au sein de l'ENSA Paris-Malaquais après y avoir été chercheur durant 15 ans. Il s'est plus particulièrement intéressé aux questions liées à la prospective à travers un intérêt ancien déjà pour l'Utopie et les projets qui s’en sont historiquement réclamés. Il a également accompagné quelques équipes s'étant livrées de nos jours à l'exercice — Angers 2040, "50.000 logements nouveaux autour des axes de transports publics" au sein de la Communauté Urbaine de Bordeaux, CLIMAX Imagine Angers, Imaginer Brazza (CDC Habitat / Bordeaux Métropole), Habitat 2030 Pays-de-la-Loire, Pentagone-La Roche-sur-Yon 2020…
Publications
Jean-Louis Violeau, Baudrillard et le monstre (l’'architecture), Parenthèses, Marseille, 2024.
Jean-Louis Violeau, Les Hespérides ou La réception contrariée du Postmodernisme français (1973-1993), Éditions B2, Paris, 2023.
Jean-Louis Violeau, L'utopie et la ville. Après la crise, épisodiquement, Éditions Sens & Tonka, Paris, 2013.
Craig Buckley & Jean-Louis Violeau, Utopie. Texts and Projects, 1967-1978, Semiotexte / MIT Press, Los Angeles / Cambridge, 2011.

Marion WALLER : À quoi peut ressembler un imaginaire écologique de la ville ?
Le réchauffement climatique pose des enjeux d'un nouvel ordre aux villes, en termes d'adaptation et même de survie. Ainsi, l'imaginaire de nos villes, et leur réalité, doivent profondément évoluer. D'une ville dominée par le béton, le bitume et les voitures, nous devons inventer un espace où le végétal, l'eau et le piéton reprennent le dessus. Cette évolution est porteuse de nouveaux usages, d'une nouvelle esthétique et de nouveaux enjeux politiques.

Directrice générale du Pavillon de l'Arsenal, Marion Waller est urbaniste et philosophe de formation. De 2014 à 2020, alors au cabinet de Jean-Louis Missika, adjoint à la Maire de Paris chargé de l'urbanisme et de l'architecture, elle a travaillé au lancement et à la mise en œuvre de l'appel à projets urbains innovants "Réinventer Paris". En parallèle, Marion Waller enseigne l'urbanisme à Sciences Po Paris et à l'École Polytechnique. Elle a également publié un essai de philosophie environnementale, Artefacts naturels, consacré aux enjeux de la restauration écologique et a enseigné l'éthique de l'environnement à l'université Paris-Est.


SOUTIEN :

• Plan urbanisme construction architecture (PUCA)


PARTENARIATS :

Groupe AREP
• Communauté de communes Coutances, mer et bocage (CMB)
• GIP Europe des projets architecturaux et urbains (GIP EPAU)
Laboratoire AAU Cresson

Programme 2024 : un des colloques

Programme complet


SILVIA BARON SUPERVIELLE : LE PAYS DE L'ÉCRITURE


DU JEUDI 27 JUIN (19 H) AU MERCREDI 3 JUILLET (14 H) 2024

[ colloque de 6 jours ]



DIRECTION :

René de CECCATTY, Axel GASQUET, Stavroula KATSIKI, Marc SAGAERT, Martine SAGAERT

En présence de Silvia BARON SUPERVIELLE


ARGUMENT :

Née à Buenos Aires, de mère uruguayenne d'ascendance espagnole, disparue alors qu'elle avait deux ans, et de père argentin d'origine béarnaise, Silvia Baron Supervielle a été élevée par sa grand-mère paternelle, qui privilégiait la langue française. En Argentine, elle avait publié des nouvelles et des poèmes en espagnol. Depuis 1961, elle vit et travaille à Paris. Pour l'étrangère des deux rives, l'exilée en quête d'une "écriture absolue", la passagère "du vide et du vent", écrire, c'est traduire. Auteure à ce jour d'une trentaine d'ouvrages personnels en français (poèmes, romans, récits, essais) et d'autant de traductions (vers le français, notamment Jorge Luis Borges et Julio Cortázar, et vers l'espagnol, Marguerite Yourcenar), elle a aussi autotraduit ses poèmes. Ces expériences multiples du traduire, qui incluent les lectures de textes et de toiles (la peinture est pour elle un art majeur) non comme entreprise d'élucidation mais comme aventure du dire, donc du sujet, la conduisent à interroger la langue, mot énigmatique qui définit aussi bien l'univers spécifique de l'auteure, émanant "de son regard, de sa manière, de son pas", que le secret qu'il abrite.

Ce colloque invite à découvrir un Pays de l'écriture, aux composantes rioplatenses et à l'envergure universelle, à explorer une œuvre transnationale, transgénérique et transindividuelle, une œuvre poétique aux "attaches flottantes", une œuvre reconnaissable à ses accords essentiels, ses résonnances intérieures, ses harmoniques, une œuvre, qui, de manière unique, sait "écarter, rompre, déraciner les habitudes", questionner les évidences, une œuvre authentique, dont la générosité et la liberté font écho en nous.


MOTS-CLÉS :

Argentine / Uruguay / France, Baron Supervielle (Silvia), Bibliothèque, Décolonialisme, Écriture, Espace, Corps, Entre-deux langues, Exil, Hybridité générique, Intime, Langue, Lecture, Nostalgie, Plurilinguisme, Temps, Traduction


CALENDRIER DÉFINITIF :

Jeudi 27 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Vendredi 28 juin
Matin
René de CECCATTY, Axel GASQUET, Stavroula KATSIKI, Marc SAGAERT & Martine SAGAERT : Introduction
Martine SAGAERT : Bibliothèque particulière, dictionnaire personnel et fulgurance d'une œuvre
José GARCÍA-ROMEU : Origine, langue et écriture dans Lettres à des photographies

Après-midi
Éditer l'œuvre de Silvia Baron Supervielle, table ronde avec Silvia BARON SUPERVIELLE, René de CECCATTY et Gérard PFISTER

Sato SONOKO : La présence d'un autre dans la poésie de Silvia Baron Supervielle

Soirée
Film sur Silvia Baron Supervielle, en présence du réalisateur Mario Daniel VILLAGRA


Samedi 29 juin
Matin
Michel COLLOT : Silvia Baron Supervielle à la frontière
Lise GAUVIN : Écrire au bord des langues : les voyages inachevés de Silvia Baron Supervielle

Après-midi
Claudine SAGAERT : Les écritures de la nostalgie [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]
Anne-Marie FORTIER : Pliage et dépliage du temps dans la poésie de Silvia Baron Supervielle

Soirée
Cabaret littéraire, textes : Silvia BARON SUPERVIELLE, direction artistique : Marc SAGAERT, flûte : José LAZARO ÁLVAREZ PIZZORNO


Dimanche 30 juin
Matin
Axel GASQUET : Le creuset de l'écriture entre-deux langues : Silvia Baron Supervielle, l'exil de l'intime comme territoire littéraire
Marc André BROUILLETTE : Écrire en perspective

Après-midi
DÉTENTE


Lundi 1er juillet
Matin
Peter SCHULMAN : Pages de voyage, voyages de pages : périples au fond de soi dans la poésie de Silvia Baron Supervielle
Maria Alejandra ORIAS VARGAS : Silvia Baron Supervielle : une langue de l'abstraction

Après-midi
André-Alain MORELLO : Silvia Baron Supervielle, une autobiographie poétique
Jean-Pierre CASTELLANI : Lettre à Marguerite Yourcenar. Dialogue avec Silvia Baron Supervielle


Mardi 2 juillet
Matin
Aline BERGÉ : Un timbre décolonial, à la croisée des cultures
René de CECCATTY : Silvia Baron Supervielle, lectrice de soi et des autres

Après-midi
Marc SAGAERT : Un corps pluriel et fragmenté
Alain MASCAROU : Approches du sublime à travers Le Livre du Retour
Francisco ALVEZ FRANCESE : Sur la désorientation : langue et paysage chez Silvia Baron Supervielle et Jules Supervielle


Mercredi 3 juillet
Matin
Stavroula KATSIKI : "Ma langue dans son chant" : Silvia Baron Supervielle, traductrice d'autres voix

Traduction et autotraduction, table ronde avec Silvia BARON SUPERVIELLE, René de CECCATTY et Jesús David CURBELO (Se traduire et traduire)

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

René de CECCATTY : Silvia Baron Supervielle, lectrice de soi et des autres
Silvia Baron Supervielle accorde autant d'importance à la traduction des poètes du Rio de la Plata qu'à sa propre œuvre qui est un dialogue constant non seulement avec ceux qu'elle traduit, mais avec ses amis (Hector Bianciotti, Marguerite Yourcenar, Jacqueline Risset) et même avec des écrivains argentins ou européens (Dante). Sans compter sa relecture des Psaumes de la Bible (Nouvelles cantates). Elle réinvente la critique sous la forme d'une lecture intérieure.

René de Ceccatty est écrivain, traducteur, critique et éditeur. Il est l'auteur de nombreux romans, essais et biographies. Ami de Silvia Baron Supervielle depuis trente ans, il a écrit plusieurs comptes-rendus critiques de son œuvre, a participé au colloque de Toulon et a édité aux éditions du Seuil les livres suivants de son amie : La ligne et l'ombre, La rive orientale, Le pays de l'écriture, La forme intermédiaire, Une simple possibilité, La langue de là-bas, ainsi qu'aux éditions Points, ses poèmes, En marge qu'il a préfacés.

Axel GASQUET
Axel Gasquet est professeur au département d'Études Hispaniques et Hispano-Américaines de l'université Clermont Auvergne et directeur de l'IHRIM Clermont (UMR 5317 - CNRS). Ses recherches portent sur la littérature comparée et l'histoire culturelle argentine, le multilinguisme littéraire et l'orientalisme hispano-américain, ainsi que sur la littérature hispano-philippine. Il est responsable de six éditions critiques et coéditeur de onze ouvrages scientifiques collectifs. Il est aussi l'auteur de douze ouvrages monographiques, dont Hispanoamérica, Filipinas y las culturas de Asia. Estampas de un orientalismo periférico 1875-1950 (UNAM, 2023) ; Argentinean Literary Orientalism, from Esteban Echeverría to Roberto Arlt (Palgrave Macmillan, 2020) ; El llamado de Oriente, historia cultural del orientalismo argentino 1900-1950 (Eudeba, 2015) et L'Intelligentsia du bout du monde : les écrivains argentins à Paris (Kimé, 2002 ; tr. Esp. UNL, 2007, 2020).

Stavroula KATSIKI : "Ma langue dans son chant" : Silvia Baron Supervielle, traductrice d'autres voix
La traversée littéraire de Silvia Baron Supervielle se place sous le signe du double. Elle se partage, et se rassemble, entre deux pays, deux exils, deux langues, deux manières d'aborder l'énigme du langage — en le créant et en le pensant —, deux activités, écriture et traduction. Si l'écrivaine-traductrice envisage ces deux expériences comme similaires, mues par la même passion de rendre un souffle au silence, de murmurer la cadence d'une âme, la sienne ou une autre, dans une langue presque étrangère, c'est sa traduction d'autres voix que la sienne qu'il s'agira d'observer ici pour esquisser les contours de cette géographie amoureuse, où la traduction est une affection, mais aussi une question. Pourquoi certains écrivains traduisent et d'autres pas ? "La traduction est un mystère", nous confie Silvia Baron Supervielle et nous entraîne dans son désir de deux langues, qui est en réalité celui de toutes les langues, dans un espace sans frontières, où le voyage n'est pas une destination mais une destinée.

Stavroula Katsiki est maîtresse de conférences en sciences du langage à l'université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, membre de TransCrit et chercheuse associée à l'ITEM. Spécialiste de pragmatique contrastive et d'analyse du discours, elle mène des recherches sur le plurilinguisme littéraire et la traduction, notamment sur l'œuvre de l'écrivaine-traductrice Silvia Baron Supervielle (cf. Katsiki S., "Silvia Baron Supervielle en traduction : "l'amour ouvert"", in Martine Sagaert et André-Alain Morello (dir.), Silvia Baron Supervielle ou le voyage d'écrire, Paris, Honoré Champion, 2022, p. 145-165).

Marc SAGAERT : Un corps pluriel et fragmenté
À partir de textes fictionnels de Silvia Baron Supervielle et notamment de La Forme intermédiaire (2006), du Pont international (2011) et de La Douceur du miel (2015), nous traiterons de l'importance des sens dans l'œuvre, des résonnances du corps et de ses intermittences : union et désunion, présence et absence, rêve et réalité. Écriture.

Marc Sagaert a occupé différents postes diplomatiques et culturels en France et à l'étranger (Algérie, Espagne, Colombie, Mexique, Amérique centrale, Cuba) en tant qu'attaché culturel, directeur d'établissement et délégué général régional. Il a écrit plus de 200 articles dans des revues culturelles. Il a collaboré à des livres documentaires, notamment sur Miguel Ángel Asturias et Roberto Cortázar et a dirigé des numéros spéciaux des Lettres Françaises en français et en espagnol. Il est le traducteur en espagnol de Jean Ristat et en français d'Antón Arrufat. Son ouvrage Bailarín – Danseur est publié aux éditions Helvetius (2023). Il a écrit de nombreux articles sur Silvia Baron Supervielle, participé au colloque "Silvia Baron Supervielle ou le voyage d'écrire" et organisé des rencontres sur son œuvre (Cuba, 2019, 2023).

Martine SAGAERT : Bibliothèque particulière, dictionnaire personnel et fulgurance d'une œuvre
Dans les ouvrages de Silvia Baron Supervielle, il est question de bibliothèques. En rayon ou tenus en main, les livres sont des intermédiaires. L'essentiel est ailleurs, invisible, caché, au fond et par delà. Les livres sont magiques. Mais il est une magie supérieure à laquelle seule l'auteure, poète et prophète, peut accèder, de sa manière unique, tant que les visions dureront, tant que le stylo courra sur le papier. Toujours, l'écriture plutôt que l'écrit. À la clé du Pays de l'écriture, il est deux phrases remarquables : "J'écris uniquement pour elle" et "J'écris pour que cela ait lieu" et en point d'orgue : "J'écris pour faire durer ta voix qui est venue à la mienne". Nous explorerons l'œuvre de Silvia Baron Supervielle et en abyme son dictionnaire personnel. Et nous examinerons les réponses multiples qu'elle donne à ces questions complexes : "Pourquoi / Pour quoi / écrivez-vous ?", "Pour qui écrivez-vous ?". Une façon, peut-être, d'approcher le mystère de cette œuvre fulgurante.

Martine Sagaert est professeure émérite de littérature française des XXe et XXIe siècles à l'université de Toulon. Elle a publié des ouvrages sur André Gide, dont certains en collaboration avec Peter Schnyder, et édité plusieurs de ses œuvres dont le Journal (1926-1950) ("Bibliothèque de la Pléiade", 1997, rééd. 2022). Par ailleurs, elle a préfacé l'Œuvre romanesque de Christiane Rochefort (Grasset, 2004) et dirigé Manuscrits littéraires du XXe siècle (Presses universitaires de Bordeaux, 2005). Elle a écrit avec Yvonne Knibiehler, Les Mots des mères, du XVIIe siècle à nos jours (Laffont, "Bouquins", 2016). Elle a codirigé Médecine et écritures / Medicina y escrituras (Babel, "Transverses", 2019). Avec André-Alain Morello, elle a organisé le colloque international Silvia Baron Supervielle ou le voyage d'écrire (Champion, 2022). Elle a publié Victoria Ocampo et André Gide, préfacé par Silvia Baron Supervielle (Classiques Garnier, 2023).


Francisco ALVEZ FRANCESE : Sur la désorientation : langue et paysage chez Silvia Baron Supervielle et Jules Supervielle
L'idée de la désorientation, que l'on trouve nommée dans L'Alphabet de feu (2007), est très productive pour penser à Silvia Baron Supervielle, née à Buenos Aires et émigrée à Paris en 1961, où elle a écrit toute son œuvre en français. Jules Supervielle — né à Montevideo et invisible dans son écriture, mais présent comme un fantôme à partir du nom de famille — a créé pour sa part une littérature dans laquelle la langue est mise en place comme problème à partir précisément de son refoulement. Cette communication se propose d'étudier comment le problème de la langue affecte les œuvres de ces deux écrivains dans lesquels les paysages d'ici et de là-bas, de dedans et dehors, ont la même capacité de se confondre.

Francisco Alvez Francese (Montevideo, 1992). Diplômé en littérature de l'université de la République (Uruguay), il a une maîtrise en philosophie de l'université Paris VIII, où il poursuit actuellement un doctorat en études hispaniques et latino-américaines. Sa thèse porte sur les figures d'auteur de Jules Supervielle et Felisberto Hernández et, surtout, sur leur position décentrée par rapport aux traditions littéraires de ces pays.

Aline BERGÉ : Un timbre décolonial, à la croisée des cultures
Un retour inédit sur l'histoire coloniale des Amériques et sur la généalogie familiale, une attention à de nouveaux gestes d'émancipation, à une présence et à un legs inca, maya ou ranquel, un désir de justice et de liberté : c'est bien un timbre décolonial singulier que Silvia Baron Supervielle fait entendre dans La Langue de là-bas (2023). Comment s'élabore-t-il au fil des pages ? Quelle en est la texture, la fréquence et la résonance dans ce livre, et à quelles variations se prête-t-il dans les écrits en prose antérieurs de l'auteure, dans sa voix et sa manière de jouer de son "instrument", de L'Or de l'incertitude (1990) au Regard inconnu (2020), époque où la question décoloniale retentit en Amérique latine ? Quels seraient les lieux, les modalités d'émergence et les modulations de ce timbre décolonial inouï dans les partitions de l'œuvre au long cours ? C'est à en interroger la genèse et les accents, mais aussi les éclipses et le contrepoint, le devenir et la portée, en affinité avec d'autres voix, que notre propos s'attachera, dans la déclinaison ouverte d'autres acceptions du timbre.

Maître de conférences à l'université Sorbonne Nouvelle (UMR 7172 THALIM), Aline Bergé mène des recherches en littératures et humanités environnementales. Elle a publié "Sens de l'espace et polygraphie des auteurs migrants : François Cheng et Silvia Baron Supervielle", dans Francographies. Identité et altérité dans les espaces francophones européens, S. Bainbrigge, J. Charnley et C. Verdier (dir.), New York, Peter Lang, 2010 ; "L'arbre du souffle. Enquête sur les figures de la terre chez Silvia Baron Supervielle", dans A. Morello et M. Sagaert (dir.), Silvia Baron Supervielle ou le voyage d'écrire, Paris, Champion, "Babeliana", 2022. Elle a également animé des rencontres avec Silvia Baron Supervielle en mars 2016 et en mars 2019 (Films Productions Sorbonne Nouvelle).

Marc André BROUILLETTE : Écrire en perspective
L'œuvre de Silvia Baron Supervielle se déploie sans cesse dans un rapport sensible à l'espace, par l'intermédiaire duquel le sujet explore patiemment le territoire mobile de l'écriture. L'écrivaine fait notamment appel à un réseau complexe de découpes afin de reconfigurer le caractère évanescent, insaisissable, fuyant de l'existence. De cette dynamique, l'écriture cherche des lignes de force vitales qui puissent permettre de relier entre elles des expériences aussi déterminantes que l'enfance, la langue, l'exil et l'art. La communication portera sur les principaux motifs issus de l'expérience de l'espace et cherchera à montrer en quoi l'écriture repose sur un désir de remettre constamment le sujet en perspective, c'est-à-dire de réunir dans un champ de perception sensible des éléments épars (images mentales, souvenirs, etc.) ou de nature diverse (détermination de soi, rapport aux autres, transcendance, etc.) afin d'en mieux saisir la réalité à la fois sensible et existentielle.

Marc André Brouillette est professeur titulaire au Département d'études littéraires de l'université du Québec à Montréal, où il enseigne la création littéraire. Ses travaux portent sur la poésie contemporaine, mais aussi sur les croisements entre les arts visuels, les arts vivants, l'art public et la littérature. Poète, il a collaboré à des livres d'artistes et publié plusieurs recueils de poésie dont le plus récent, La langue de ta langue (Noroît, 2021), tisse un dialogue avec l'univers de quatre poètes argentins (Juarroz, Calveyra, Baron Supervielle, Borges).

Jean-Pierre CASTELLANI : Lettre à Marguerite Yourcenar. Dialogue avec Silvia Baron Supervielle
Le dialogue direct avec Silvia Baron Supervielle me conduit à développer ce que j'ai esquissé dans mon dernier ouvrage, Lettre à Marguerite Yourcenar (Scudo éditions, 2023). Je raconte un compagnonnage de plus de 40 ans avec Yourcenar. Silvia Baron Supervielle fait partie des gens que j'ai rencontrés et appréciés au cours de ce travail. Son témoignage est précieux dans la mesure où elle a traduit et connu de façon intime Yourcenar. Échanger avec elle me permet et nous permet de mieux connaître cette personne secrète que fut Yourcenar et de nous rapprocher d'elle.

Né à Ajaccio, Jean-Pierre Castellani est agrégé d'Espagnol, professeur des universités. Il a enseigné à l'université François Rabelais de Tours et à l'université Pascal Paoli de Corse. Il est vice-président de la SIEY (Société internationale d'études yourcenariennes) et membre de l'AICL (Association internationale des critiques littéraires). Ses travaux portent sur la production romanesque espagnole ou française contemporaine, le discours de presse et de cinéma. Il a publié en co-direction avec Dominique Pietri, 21 Femmes qui font la Corse (Scudo, 2021) et, en 2023, deux textes personnels : Corse-Algérie, Mémoires en partage suivies de Carnets algériens (1975-2020). Sur Marguerite Yourcenar, il a coordonné, dirigé et écrit plusieurs ouvrages dont Marguerite Yourcenar, une écriture de la mémoire (Sud, 1990), Marguerite Yourcenar, écriture, réécriture et traduction (Tours, SIEY, 2000), Goodbye Rabelais ! figures libres & Yourcenar, Almodóvar et Umbral… (Paris, Éditions EST, 2006). Il a collaboré au Dictionnaire Marguerite Yourcenar (dir. Bruno Blanckeman, Honoré Champion, 2017). Il est l'auteur de Je, Marguerite Yourcenar, d'un Je à l'Autre (Tastet éditeur, 2011) et Lettre à Marguerite Yourcenar (Scudo, 2023). Dans la revue Diacritik, il a publié "Marguerite Yourcenar à travers sa correspondance, le cas de Silvia Baron Supervielle" (16 juin 2017) et dans Lecturas sumergidas, "Marguerite Yourcenar y Silvia Baron Supervielle, un apasionado diálogo epistolar" (20 juin 2020).

Michel COLLOT : Silvia Baron Supervielle à la frontière
La récurrence du motif de la frontière dans l'œuvre de Silvia Baron Supervielle est liée aux séparations qui ont marqué son existence, mais son travail d'écriture tend, à travers ses divers avatars (seuils, lisières, rivages, horizons…), à en inverser le sens et la fonction. Loin d'être mise au service d'un partage rigoureux, elle est rendue poreuse, devient un lieu d'échange, voire de mélange, entre le proche et le lointain, le ciel et la terre mais aussi le passé et le présent, le réel et l'imaginaire. Cette métamorphose mobilise une logique inclusive et non exclusive, qui anime la syntaxe des phrases, l'organisation des images et la conduite de récits qu'on peut qualifier de poétiques, car le jeu des ressemblances et de la répétition y prévaut sur la mise en place des différences et la recherche d'une progression : les personnages, au lieu de franchir la frontière pour aller d'un point à un autre, semblent le plus souvent s'y tenir ou y revenir. C'est particulièrement net dans le récit intitulé La Frontière, sur lequel se concentrera l'étude.

Michel Collot est professeur émérite de Littérature française à l'université Sorbonne nouvelle Paris 3. Spécialiste de la poésie moderne, il lui a consacré de nombreux essais, dont Le Chant du monde dans la poésie française contemporaine (Corti, 2019). Lecteur de Silvia Baron Supervielle depuis 1983, il lui a consacré un chapitre de son essai Vers une géographie littéraire (2014). Poète, il a publié plusieurs recueils, parmi lesquels Le Parti pris des lieux (La Lettre volée, 2018) et Épitaphes Épiphanies (Tarabuste, 2022). L'Académie française lui a décerné en 2019 un Grand Prix pour l'ensemble de son œuvre critique et poétique.

Jesús David CURBELO : Se traduire et traduire
Mon objectif est de comparer la pensée et la praxis d'écriture de Silvia Baron Supervielle avec celles d'autres auteurs "migrants" qui ont choisi le français comme langue littéraire (José María de Heredia, Jules Laforgue, Jules Supervielle, Samuel Becket, Emil Cioran, Velibor Colic). Cette analyse me permettra d'exposer quelques hypothèses sur ses sources, ses influences et son positionnement esthétique et linguistique par rapport aux deux traditions littéraires fondamentales qui la nourrissent : la française et l'espagnole et de présenter certaines de ses découvertes personnelles. D'autre part, à partir de ma propre expérience de traducteur, je propose de dialoguer avec l'auteure et de confronter les idées sur la traduction exposées dans ses œuvres aux miennes.

Jesús David Curbelo (Camagüey, Cuba, 1965) est écrivain et professeur d'université. Il a publié plusieurs recueils de poèmes, trois romans, plusieurs recueils de nouvelles et d'essais. Il a traduit notamment Dante Alighieri, Louise Labé, Joachim du Bellay, William Blake, Victor Hugo, Edgar Lee Masters, Guillaume Apollinaire, Jean Genet et Yves Bonnefoy.

Anne-Marie FORTIER : Pliage et dépliage du temps dans la poésie de Silvia Baron Supervielle
Ce qui retient, dans les Pages de voyage (2004), appartiendrait au renversement, à la permutation des attentes du lecteur et, par conséquent au travail singulier du temps dans les poèmes. Car, nous semble-t-il, ce qui ailleurs apparaît dans une quasi-immobilité, voire en surimpression — deux époques, deux pays, deux rives — se trouverait ici déplié, séquencé, défait en des moments dont on aperçoit la tension, le parcours, le fil et le dénouement : le temps progresse, s'embraye puis se désembraye, s'emballe et cherche un prolongement (60). Le mouvement n'a cependant rien d'inaugural (Il y a longtemps que je pars, 23). Aussi faut-il selon nous examiner la nature paradoxale des événements présentés comme les actions d'un récit (je me rapproche, 10 ; je marche, 61) : convoqués au présent, ils offrent l'épaisseur de ce qui se confond avec le souvenir vivide dans le temps même où ils paraissent donner au passage la fermeté de son marquage. À terme — et l'hypothèse resterait à vérifier à l'échelle de l'œuvre — la poésie dans ce recueil semble redéployer le mouvement du temps alors que le récit aurait tendance à le donner dans une oscillation imperceptible comme pour l'annuler — le temps, ses effets, les séparations qu'il matérialise et l'amplitude de la subjectivité dont il est la trame.

Anne-Marie Fortier est Professeur de littérature française des XIXe et XXe siècles à l'université Laval (Québec, Canada) et Directrice de la revue Études littéraires.

José GARCÍA-ROMEU : Origine, langue et écriture dans Lettres à des photographies
Lettres à des photographies (2013) de Silvia Baron Supervielle exploite les notions de portrait, de mémoire, de genre épistolaire… afin de reconstituer le souvenir de la mère disparue et de représenter une vaste généalogie familiale. Si l'exercice suppose une élaboration esthétique concertée, celle-ci résulte surtout, presque par nécessité, d'un processus guidé par les émotions, l'expression de la fierté des origines et l'amour envers la mère. Dans cette perspective, le choix du français par l'écrivaine, langue non-maternelle, mérite, pour le moins, d'être interrogé. Ayant travaillé à la traduction en espagnol de Lettres à des photographies, nous proposons de mettre à profit notre réception du texte dans ce contexte particulier et d'en lire la trame verbale à la lumière de la question des origines (Mère - Uruguay - Argentine) et de leur restitution à travers le jeu des langues (français - espagnol).

Né en 1966 à Buenos Aires, José García-Romeu enseigne depuis 2002 à l'université de Toulon. Il codirige la revue Babel-Littératures plurielles dont il a coédité plusieurs numéros. Il a publié de nombreux articles sur les littératures hispanophones, ainsi que les ouvrages Dictature et littérature en Argentine (2006), Cortázar, Rayuela, Queremos tanto a Glenda (2018), Mundos imaginarios en la literatura argentina (2022).

Lise GAUVIN : Écrire au bord des langues : les voyages inachevés de Silvia Baron Supervielle
Née à Buenos-Aires, Silvia Baron Supervielle passe son enfance en Argentine avant de s'installer définitivement à Paris. Son parcours passe très tôt par la fréquentation de langues autres que celle de la communication immédiate. "Jeunes enfants d'un immense espace jusqu'à l'horizon, lorsqu'on se rendait chez des amis, on découvrait la seconde langue qu'ils parlaient chez eux avec leurs parents. En vérité, nous avions tous une seconde langue, qui, liée à nos proches, nous communiquait la nostalgie d'une autre partie du monde, d'une géographie et d'une langue abandonnées". Cette conscience de la langue comme étrangeté ne cesse de l'habiter et alimente chez elle une réflexion sur le rapport entre langue et écriture dont elle rend compte dans le récit autobiographique publié en 2023, La langue de là-bas. C'est cette réflexion et ce parcours que je propose d'examiner.

Essayiste, critique et romancière, Lise Gauvin est professeure émérite de l'université de Montréal. Elle a publié plus d'une vingtaine d'ouvrages, parmi lesquels La Fabrique de la langue. De François Rabelais à Réjean Ducharme (Seuil, "Points", 2004 et 2011). Pour son engagement envers la langue et dans la francophonie, l'Académie française lui a remis en 2020 la Grande Médaille de la francophonie. Elle a fait paraître récemment un roman sous le titre Et toi, comment vas-tu ? (Montréal, Leméac, 2021 ; Paris, Éditions des femmes, 2022) ainsi qu'un essai portant sur les littératures francophones sous le titre Des littératures de l'intranquillité (Karthala, 2023).

Alain MASCAROU : Approches du sublime à travers Le Livre du Retour
Cette communication s'insère dans la section "Hybridités génériques" du projet, à l'intersection des rapports roman/réel, mythe/mystique, lecture/écriture — autant de déclinaisons de la "forme intermédiaire", ici envisagée dans ses rapports avec l'idée de sublime, et définie par l'auteur comme une écriture qui "s'inspire de sa reprise et de son inachèvement". Notre étude est centrée sur Le Livre du Retour, paru en 1993. Il constitue à plus d'un titre un hapax dans l'œuvre ; encore s'inscrit-il dans une lignée idéaliste de la littérature argentine, celle qui se réclame d'une "esthétique de l'évasion". Du "dessaisissement" sublime, on retiendra ici trois aspects : l'accointance avec le roman, l'expression de l'intériorité et la relation du sujet à l'objet au travers de l'expérience artistique et de sa transmission. Or ces aspects sont indissociables : la requête d'un "livre oublié" est le thème d'un quête intérieure à laquelle elle se substitue.

Alain Mascarou a publié divers articles et communications sur l'œuvre de Silvia Baron Supervielle. Dernière contribution et bibliographie détaillée dans Silvia Baron Supervielle ou le Voyage d'écrire, Honoré Champion, 2022.

André-Alain MORELLO : Silvia Baron Supervielle, une autobiographie poétique
Silvia Baron Supervielle ne sépare pas la poésie et la prose. Pour elle, tout est poésie. Si ses poèmes sont souvent caractérisés par une forte dimension lyrique, ses livres de prose contiennent aussi une part d'autobiographie. Cette étude se propose d'interroger cette part d'autobiographie, présente dans une série de livres inclassables comme Journal d'une saison sans mémoire, Le Pays de l'écriture, La Langue de là-bas. Autobiographie poétique, au sens de créatrice, de construction d'une identité sans frontières, toujours dans une perspective humaniste, qui célèbre la fidélité et l'amour. Entre "journal de bord" et poésie de l'intime, cette part autobiographique de l'œuvre est au cœur d'un partage, et promesse d'universalité. Ce que Silvia Baron Supervielle dit d'elle-même, de l'exil, du deuil, de la mémoire, nous concerne tous.

André-Alain Morello est normalien, agrégé, maître de conférences en littérature française à l'université de Toulon, et chargé d'enseignement en littérature comparée à l'université de Picardie Jules Verne. Ses recherches portent sur les écritures romanesques du XXe siècle (Jean Giono, Marguerite Yourcenar, Julien Green, Julien Gracq). Il s'intéresse aussi aux écrivains au carrefour des cultures (Roger Caillois, Milan Kundera, Vassilis Alexakis) et aux différentes modalités de l'écriture de soi (journal de Jean Giono, journal et autobiographie de Julien Green, lettres de Marguerite Yourcenar). Il a notamment collaboré à l'édition du Journal et des essais de Jean Giono dans la Bibliothèque de la Pléiade, et à celle de Marcel Proust chez Robert Laffont. Il a aussi dirigé une quinzaine d'ouvrages collectifs consacrés à des écrivains du XXe siècle (Jean Claude Renard, Marguerite Yourcenar, Roger Caillois, Henry de Montherlant, Jean Giono, Julien Green).

Maria Alejandra ORIAS VARGAS : Silvia Baron Supervielle : une langue de l'abstraction
"Les signes conjuguent le mot et le dessin"(1), déclare Silvia Baron Supervielle pour signaler l'importance qu'a la peinture dans son œuvre littéraire. En s'inspirant de l'œuvre abstraite de l'artiste-peintre Geneviève Asse, Silvia Baron Supervielle s'est servie de la langue pour créer des espaces sur le blanc de la page. Loin de se soumettre au mythe et au génie de la langue française, elle la "conceptualise" pour créer une langue transparente et habitée par le silence. Nous proposons d'analyser comment l'auteure fait du français une langue de l'abstraction. Dans un premier temps, nous verrons que le geste de l'écriture est comparable à celui de l'artiste et de son pinceau. Une démarche semblable à celle de Henri Michaux qui trouvait que ce geste élémentaire permet de se débarrasser de la lourdeur des mots et de faire naître le silence(2). Ensuite, nous analyserons la page blanche qui favorise la forme brève du poème et qui crée un effet d'aération(3). Le blanc de la page nourrit le besoin d'ascèse, un vœu d'effacement(4) auquel Silvia Baron Supervielle accorde une vocation spirituelle. Enfin, nous verrons que l'écrivaine transfigure le français pour qu'il devienne "la langue de là-bas", celle qui n'a ni pays ni alphabet ni passé historique.
(1) Silvia Baron Supervielle, La Langue de là-bas, Paris, Éditions du Seuil, 2023, p. 52.
(2) Being Huang, "Henri Michaux et l'aventure du geste", Littérature, nº175, 2014, p. 114 (en ligne).
(3) Roland Barthes, La Préparation du roman. Cours au Collège de France, 1978-1979 et 1979-1980, texte annoté par Nathalie Léger et Éric Marty, avant-propos de Bernard Comment, Paris, Éditions du Seuil, 2015, p. 85.
(4) Yves Peyré, Peinture et poésie. Le dialogue par le livre 1874-2000, Paris, Gallimard, 2001, p. 207.

Maria Alejandra Orias Vargas a obtenu son doctorat en littérature française en février 2024. Le titre de sa thèse s'intitule "La littérature migrante hispano-américaine d'expression française depuis les années 1960", préparée dans l'unité de recherche Centre d'Histoire Culturelle des Sociétés Contemporaines (CHCSC), Université Paris-Saclay, UVSQ, sous la direction de Serge Linarès et la co-direction de Sylvie Bouffartigue. Ses recherches portent sur la représentation de la culture et de la langue française en Amérique hispanique, l'analyse de l'étude de la littérature migrante (récits migrants autobiographiques et fictifs), l'étude de la langue française en tant qu'outil imaginaire dans l'écriture migrante ainsi que sur les enjeux liés à la multiculturalité, l'hybridation culturelle et la transculturation.

Gérard PFISTER
Gérard Pfister est écrivain, traducteur et éditeur. Il a fondé en 1975 les éditions Arfuyen dont le siège se trouve à Orbey, dans le Haut-Rhin. Il en a assuré la direction littéraire sans interruption depuis lors. Il est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages — romans, essais et livres de poésie. Il a publié de nombreuses traductions, principalement de l'allemand, de l'italien et de l'anglais. Il est président de l'Association Capitale Européenne des Littératures (Eurobabel), fondée à Strasbourg en 2004.

Claudine SAGAERT : Les écritures de la nostalgie
"Le nostalgique est en même temps ici et là-bas, ni ici, ni là-bas, présent et absent, deux fois présent et deux fois absent, on peut donc dire à volonté qu'il est multiprésent ou qu'il est nulle part : ici même il est physiquement présent mais il se sent absent en esprit de ce lieu ou il est présent par le corps ; là-bas, à l'inverse, il se sent moralement présent mais il est en fait et actuellement absent de ces lieux chers qu'il a autre fois quittés."
Vladimir Jankélévitch, L'Irréversible et la nostalgie, Paris, Flammarion, coll. "Champs essais", p. 346.

Silvia Baron Supervielle écrit "j'ai attrapé l'exil". Dans nombre de ses textes, le mal dont il est question est tout entier contenu dans la séparation entre ici et là-bas. Existe-t-il un remède pour ce type de mal ? Certes, il est possible de retourner là-bas. Mais comment expliquer que le retour est un impossible revenir ? Pour le comprendre ne suffit-il pas d'entrevoir la non concordance entre la réversibilité de l'espace et l'irréversibilité du temps ? N'est-ce pas d'ailleurs au cœur même de cet écueil que la nostalgie trouve demeure ? Déterritorialisant, l'exil reterritorialise et permet par-delà pensées, sentiments, émotions, la migration vers l’ailleurs. Paradoxalement alors, la distance rend possible une incomparable proximité. Par la réminiscence, l'ailleurs natal est là tout près, dans les sons, les images, les photos, les mélodies. Il est visage des aimés, mots, poèmes, pages des livres. En floutant le présent, il inscrit l'empreinte d'un passé qui "n'a pas d'oubli". La présence naît dans l'absence et par l'écriture, l'irréversibilité du temps et la réversibilité de l'espace, sont abolies. "Le voyage de retour" est possible sans "bouger d'ici". Ainsi se lie "le visible et l'invisible, l'absence à la présence, la mémoire à l'oubli" et "la langue de là-bas" "s'écrit ici".

Claudine Sagaert enseigne la philosophie en D.N.M.A.D.E. (diplôme des métiers d'art et du design). Ses recherches au sein du Laboratoire Babel de l'université de Toulon portent sur les représentations du corps dans une approche pluridisciplinaire : philosophie, esthétique et anthropologie. Elle est l'autrice de nombreux articles et ouvrages.

Peter SCHULMAN : Pages de voyage, voyages de pages : périples au fond de soi dans la poésie de Silvia Baron Supervielle
La poésie de Silvia Baron Supervielle décrit souvent des voyages (Pages de voyage ; Lectures du vent ; Sur le vent). Voyages élémentaires de feu, d'eau et de vent. Voyages abstraits de mots et d'absence de mots, d'abîmes et de transports. Des questions et un manque de réponse, comme à la fin de Lectures du vent : "où aller pour/ que le mot occupe/ le silence" (p. 99). Certes, les thèmes du voyage et l'idée d'être entre deux pays ponctuent la prose de Silvia Baron Supervielle, mais ses livres de poésie mettent en avant surtout des voyages métaphysiques de l'extérieur vers l'intérieur, des trajets cathartiques qui cherchent un abri ("sortir d'ici/afin que/le temps dehors/trouve asile/dedans") (p. 33), dans Sur le fleuve et une attente ("peu à peu/ la mer guérira") (p. 121). Ses vers décrivent des transformations, voire des métamorphoses plutôt que des trajets géographiques : "je suis devenue une matière/ différente qui me respire/ de tant refaire l'exercice/ à la découverte de la parole" (Pages de voyage, p. 48). Semblable aux recueils de Céline Zins, qui est aussi traductrice, et qui, dans L'Arbre et la glycine, tente de "voir le vide comme une plénitude" (p. 89) et "la lumière" comme "le verbe d'un lieu disparu" (p. 86), les périples de Silvia Baron Supervielle représentent des voyages spirituels qui vont au-delà du concret, et font partie d'un univers hors du temps : "lorsque viendra mon tour", explique-t-elle, "je serai déjà partie/ sans m'en aller" (Pages de voyage, p. 70). Quel compas nous permettrait de naviguer et suivre ses explorations ? Par un "alphabet de feu" dont le lecteur se servirait non pour traduire ou interpréter les mots de l'écrivaine, mais pour l'accompagner à travers plusieurs dimensions de sens comme s'il s’agissait d'un palimpseste poétique.

Peter Schulman est professeur de français et d'affaires internationales à Old Dominion University à Norfolk (Virginie, États-Unis). Il est l'auteur de The Sunday of Fiction : The Modern Eccentric (Purdue University Press) et de Le dernier livre du siècle (Romillat) avec Mischa Zabotin. Il a rédigé une édition critique de The Begum's Millions (Wesleyan University) de Jules Verne et a récemment traduit, Impressions d'été de Ying Chen, Pages de Voyage de Silvia Baron Supervielle, Les derniers coureurs de Virginie Beauregard D., Précisions sur les vagues de Marie Darrieussecq, Beauté suburbaine de Jacques Réda et Adamah de Céline Zins, et The Secret of Wilhelm Storitz (Le secret de Wilhelm Storitz) de Jules Verne. Il est actuellement co-rédacteur-en-chef d'une revue d'éco-critique, Green Humanities : A Journal of Ecological Thought in Literature, Philosophy and the Arts. Il a publié en 2023 une anthologie de poésies de Calcutta et de Montréal avec Somrita Urny Ganguly, Nights at the Calcutta Café.

Sato SONOKO : La présence d'un autre dans la poésie de Silvia Baron Supervielle
Silvia Baron Supervielle affirme que la création poétique est elle-même une traduction de sa voix intérieure. C'est un autre qui représente la poétesse sur les papiers. C'est ainsi qu'elle essaie d'interpréter, d'imiter et de traduire sa voix silencieuse. Cette présentation montrera comment cet autre se présente dans ses poèmes, en analysant principalement son recueil poétique En marge (2020), pour l'objectif d'attester que la présence d'un autre fera de la poétesse une lectrice de ses propres poèmes et réalisera une écoute de la voix intérieure à la fois personnelle et universelle.

Publication
"Lire Silvia Baron Supervielle", Association pour des Études de la Poésie Française Contemporaine au Japon, Paris/Tokyo, 2021 | En ligne.


BIBLIOGRAPHIE :

PUBLICATIONS DE SILVIA BARON SUPERVIELLE

Choix de publications en français
Lectures du vent, José Corti, 1988.
L'Or de l'incertitude, José Corti, 1990.
Le Livre du retour, José Corti, 1993.
La Frontière, José Corti, 1995.
La Ligne et l'ombre, Le Seuil, 1999.
La Rive orientale, Le Seuil, 2001.
Le Pays de l'écriture, Le Seuil, 2002.
Une Simple Possibilité : nouvelles, Le Seuil, 2004.
Pages de voyage, Éditions Arfuyen, 2004.
La Forme intermédiaire, Le Seuil, 2006.
L'Alphabet du feu : petites études sur la langue, Gallimard, 2007.
Journal d'une saison sans mémoire, Gallimard, "Arcades", 2009.
Le Pont international, Gallimard, 2011.
Lettres à des photographies, Gallimard, 2013.
Sur le fleuve, Éditions Arfuyen, 2013.
Notes sur Thème, Galilée, 2014 (avec neuf pointes sèches de Geneviève Asse).
La Douceur du miel, Gallimard, 2015.
Chant d'amour et de séparation, Gallimard, 2017.
Un autre loin, Gallimard, 2018.
En marge, Préface de René de Ceccatty, Seuil, "Points", 2020.
Le Regard inconnu, Gallimard, 2020.
La Langue de là-bas, Seuil, 2023.

Œuvre écrite en espagnol
El cambio de lengua para un escritor, Buenos Aires, Corregidor, 1998.

Édition Bilingue
Al Margen / En marge (1962-2010), Buenos Aires, Adriana Hidalgo editora, 2013, Introduction et édition Eduardo Berti, Trad. Silvia Baron Supervielle, Eduardo Berti, Axel Gasquet, Vivian Lofiego & Diego Vecchio.

Correspondance
Une reconstitution passionnelle, correspondance avec Marguerite Yourcenar, Gallimard, 2009.

Choix de traductions vers le français
• Jorge Luis Borges, Les Conjurés, Genève, Jacques Quentin Éditeur, 1989, Huile sur papier de Geneviève Asse.
• Juan Rodolfo Wilcock, Les Jours heureux, Paris, La Différence, "Orphée", 1994.
• Macedonio Fernández, Cahiers de tout et de rien, Trad. SBS & Marianne Millon, José Corti, 1996.
• Silvina Ocampo, Poèmes d'amour désespéré, José Corti, 1997.
• Roberto Juarroz, Quatorzième poésie verticale, José Corti, 1997.
• Arnaldo Calveyra, Le Livre du miroir, Arles, Actes Sud, 2000.
• Alejandra Pizarnik, Œuvre poétique, Trad. SBS & Claude Couffon, Actes Sud, 2005.
• Julio Cortázar, Crépuscule d'automne, José Corti, 2010.
• Jorge Luis Borges, Poèmes d'amour, Avant-propos Maria Kodama, Gallimard, 2014.
• Ida Vitale, Ni plus ni moins, Trad. SBS & François Maspero, Le Seuil, "La Librairie du XXIe siècle", 2016.
• Jorge Luis Borges, Le Tango : quatre conférences, Gallimard, "Arcades", 2018.

Traduction vers l'espagnol
• Marguerite Yourcenar, Teatro I et II, Barcelona, Lumen, 1986.

Choix de préfaces
• Alejandra Pizarnik, Journaux 1959-1971, Édition établie et présentée par SBS, Trad. Anne Picard, José Corti, 2010.
• Victoria Ocampo, En témoignage, Trad. Anne Picard, Éditions des Femmes, 2012.
• Victoria Ocampo, Le Vert Paradis et autres écrits, Paris, Vendémiaire, 2023.
Victoria Ocampo et André Gide, Édition Martine Sagaert, Trad. Marianne Millon, Paris, Classiques Garnier, "Bibliothèque gidienne", 2023.

PUBLICATIONS SUR SILVIA BARON SUPERVIELLE

• René de CECCATTY, Mes Argentins de Paris, Paris, Séguier, 2014.
• Julie CORSIN, Lenguas e identidad en la obra ectópica y translingüe de Silvia Baron Supervielle, Thèse, Université de Castille-La Manche, 2023.
• Axel GASQUET, L'Intelligentsia du bout du monde, les écrivains argentins à Paris, Paris, Kimé, 2002.
• Alejandra ORIAS VARGAS, La Littérature migrante hispano-américaine d'expression française depuis les années 60, Thèse dirigée par Serge Linares & Sylvie Bouffartigue, Université Saint-Quentin-en-Yvelines, 2023.
• Jacqueline MICHEL (avec Ruth AMAR, Jeannine HOROWITZ & Annette SHAHAR), Une écriture en exil, Éditions Caractères, "Cahiers et cahiers", 2012.
• Martine SAGAERT & André-Alain MORELLO (dir.), Silvia Baron Supervielle ou le voyage d'écrire, Champion, "Babeliana", 2022.


SOUTIENS :

Institut des Amériques
Laboratoire BABEL (EA 2649) | Université de Toulon
UFR Lettres, Langues et Sciences Humaines | Université de Toulon
• Institut d'histoire des représentations et des idées dans les modernités (IHRIM - UMR 5317) | CNRS / Université Clermont Auvergne (UCA)
• Unité de recherche "Transferts Critiques anglophones" (TransCrit) | Université Paris 8
Fondation Clarens pour l'humanisme | Fondation de France

Programme 2024 : un des colloques

Programme complet


FAUT-IL BRÛLER VOLTAIRE ?


DU JEUDI 27 JUIN (19 H) AU MERCREDI 3 JUILLET (14 H) 2024

[ colloque de 6 jours ]



COMITÉ D'ORGANISATION :

Stéphanie GÉHANNE GAVOTY (CELLF, Sorbonne Université), Gilles MONTÈGRE (LUHCIE, Université Grenoble Alpes), Stéphane PUJOL (PLH, Université Toulouse - Jean Jaurès), Alain SANDRIER (LASLAR, Université de Caen Normandie)


ARGUMENT :

La réception, l'image et l'héritage de Voltaire sont toujours aussi problématiques aujourd'hui qu'en 1778 ou en 1874, date à laquelle Eugène Labiche lançait cet anathème provocateur à travers une comédie désopilante (Brûlons Voltaire !). L'histoire de cette réception polémique se confond avec l'histoire politique de la France. Voltaire est devenu, davantage qu'un auteur classique, une icône, un nom que l'on invoque lors des manifestations ou au lendemain des meurtres des journalistes de Charlie Hebdo ou des attentats du 13 novembre, pour rappeler les valeurs de justice, de laïcité, de tolérance et de combat pour la liberté d'expression qui sont celles de la République française. Cette rencontre souhaite d'abord revenir sur l'histoire de cette réception complexe, et des manipulations de l'image de Voltaire qui font dire aujourd'hui à un journaliste historien qu'"à scruter certains de ses écrits, comme son Dictionnaire philosophique, soigneusement épuré depuis, on découvre un être cupide, misogyne, homophobe, hostile aux Juifs et à Mahomet" (Jean-Marc Albert, Valeurs actuelles, 8 août 2020). Comment retrouver l'unité dans cette œuvre, dans la trajectoire de cet homme, qui permette de le lire sans le dénaturer, sans l'amputer, sans le dévitaliser ?

Au-delà de cette réception polémique que nous désirons interroger et informer, et des possibilités de lire tout Voltaire aujourd'hui, ce colloque souhaite revenir à travers le cas de cet écrivain emblématique sur la formation de l'image de l'intellectuel au XVIIIe siècle, c'est-à-dire aux fondements de notre modernité, à travers des relectures de textes peu connus aujourd'hui. Comment Voltaire est-il devenu le maître à penser de la génération des encyclopédistes et, après eux, de tant de "gens de bien", pour reprendre une expression qui revient régulièrement dans sa correspondance avec Diderot ? Comment a-t-il construit l'autorité de sa parole, proposant à son lecteur une éducation au questionnement critique et à l'émancipation intellectuelle, par l'usage de la raison, revendiquant la légitimité du philosophe à "oser avoir une opinion" sur la res publica et instaurant l'usage du rire politique, conçu comme poétique et comme éthique, posant cette question toujours si actuelle : "La philosophie peut-elle réparer les maux affreux qu'a faits la superstition ?".

Pour parler de ces questions, nous avons réuni des chercheurs français et étrangers spécialistes de Voltaire (historiens, philosophes, littéraires), mais aussi des artistes et des intellectuels (écrivains, éditeurs, journalistes, hommes politiques, hommes de théâtre). Cette rencontre souhaite associer le grand public pour débattre des questions de société actuelles que pose l'héritage voltairien.


MOTS-CLÉS :

Voltaire, Réception, Polémiques, Légende noire, Lumières, Philosophie


CALENDRIER DÉFINITIF :

Jeudi 27 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Vendredi 28 juin
Matin
Linda GIL & Gerhardt STENGER : Introduction
Jennifer TSIEN : Qui a tué Voltaire ? Une enquête sur les sources de sa réception négative

Après-midi
Linda GIL & Gerhardt STENGER : Hommage à Andrew Brown
Stéphane PUJOL : Voltaire, entre deux feux
Linda GIL : De l'accusation d'affairisme à celle de négrier


Samedi 29 juin
Matin
Laurence MACÉ : En réalité ou en effigie : comment les censeurs brûlèrent les textes de Voltaire (ou firent semblant) ?
Stéphanie GÉHANNE GAVOTY : Jeanne contre Voltaire. Un anniversaire en forme de destitution : 31 mai 1894

Après-midi
Yannick GUIN : Voltaire dans la cité : témoignage d'un élu local face aux obscurantismes contemporains
Alain SAGER : Entre communautarisme et souverainisme, l'universalisme voltairien garde-t-il un sens ?

Le Sermon du rabbin Akib de Voltaire, lecture par Hervé LOICHEMOL et la Compagnie FOR


Dimanche 30 juin
Matin
Gilles MONTÈGRE : Les deux corps du philosophe. Émotions et déceptions des visiteurs de Voltaire à Ferney
Gilles BERTRAND : Voltaire, le voyage et la vérité des peuples

Après-midi
Alain SANDRIER : Confondre l'infâme ? Voltaire et l'imputation d'athéisme
Caroline JACOT GRAPA : La censure de Mahomet

Table ronde : Voltaire et la question des religions & Retour sur l'affaire Mahomet

Soirée
Œdipe de Voltaire, lecture-spectacle mise en scène par Jean-Claude SEGUIN, par le Théâtre du Loup Blanc, avec Marie GRUDZINSKI (Jocaste), Vincent DOMENACH (Œdipe) et Antoine HERBEZ (Philoctète)


Lundi 1er juillet
Matin
Debora SICCO : Voltaire, l'Infâme et les femmes
Linda GIL : Voltaire libertin ? Cunégonde et ses sœurs : de quelques prototypes des fictions voltairiennes
Riccardo CAMPI : Pour une herméneutique de la réception critique de Voltaire

Après-midi
DÉTENTE


Mardi 2 juillet
Matin
Franck SALAÜN : Voltaire ignifugé. La réponse de Valéry aux fossoyeurs de Voltaire
Gerhardt STENGER : Zemmour contre Voltaire

Table ronde : Voltaire aujourd'hui

Après-midi
Halima OUANADA : Voltaire en Tunisie. État des lieux [visioconférence]
Luis Manuel BERNARDO : Voltaire au Portugal : un cadavre exquis sur le sens des Lumières nationales ?
Gerardo TOCCHINI : "Mais avec ces chiens de voltairiens…" : Puccini, Voltaire et l'Église romaine au lendemain de l'Unità

Soirée
Si j'osais mon petit cœur, pièce de Yoland SIMON présentée par la Compagnie Aello (Cherbourg-en-Cotentin), mise en scène de Michel Beurton et Véronique Lucas, avec Alain BENOIST, Serge RITTER et Nathalie TROCHU, suivie d'une lecture d'extraits des Incertitudes de Sophie et de N'en déplaise à Voltaire par les participants du colloque


Mercredi 3 juillet
Matin
Flora AMANN : "C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe". De quelques figures de Voltaire à l'ère contemporaine à travers les usages d'une célèbre phrase de Candide
Josselin PROUTEAU : Pourquoi donner du prix à l'"humanité" ? Voltaire, la littérature et la solidarité humaine

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Linda GIL
Linda Gil est Maîtresse de conférences à l'université Paul-Valéry de Montpellier 3, et membre de l'IRCL (Institut de recherche sur la Renaissance, l'âge Classique et les Lumières). Spécialiste de l'histoire du livre et de l'édition au XVIIIe siècle, elle a consacré sa thèse à l'étude de la première édition posthume des œuvres complètes de Voltaire. Le livre issu de sa thèse : L'édition Kehl de Voltaire. Une aventure éditoriale et littéraire au tournant des Lumières, est paru en 2018 aux éditions Honoré Champion (Prix d'Honneur de Bibliographie et d'Histoire du livre, décerné par le Syndicat de la Librairie Ancienne et Moderne, sept. 2021). Membre de la Société Voltaire et de la Société d'études voltairiennes, elle est co-directrice de la Revue Voltaire et co-dirige un dossier d'enquête dans les Cahiers Voltaire consacré à la présence de Voltaire au Panthéon. Elle a également publié Voltaire, D'Alembert, Condorcet. Correspondance secrète, ainsi qu'une réédition de la Vie de Voltaire, de Condorcet, aux éditions Rivages (2021 et 2022) et, chez le même éditeur, un recueil composé de textes de Casanova, intitulé Quatre jours chez Voltaire. Elle dirige depuis 2019 l'Inventaire de la correspondance de Beaumarchais. Vient de paraître : Éditer la correspondance de Beaumarchais. Enquêtes, inventaire, édition, Études réunies par L. Gil, Presses de l'université de Brest, 2023.

Gerhardt STENGER
Gerhardt Stenger est Maître de conférence émérite à Nantes Université. Membre de la Société Voltaire, de la Société d'études voltairiennes et de la Société Diderot, il travaille sur Voltaire, Diderot, l'Encyclopédie et les philosophes matérialistes des Lumières (Helvétius, d'Holbach). Il a publié chez GF Flammarion les Lettres philosophiques (2006) et le Dictionnaire philosophique (2010) de Voltaire, les Œuvres complètes d'Helvétius (Champion, 2011-2020, 3 vol.) et participe aux grandes éditions critiques de Diderot et de Voltaire publiées respectivement à Paris (Hermann, 1975 et suiv.) et à Oxford (Voltaire Foundation, 1968-2022). Il a organisé en 2020, avec Odile Richard, le colloque de Cerisy : Les morales de Diderot, dont les actes ont paru chez Hermann en 2022.
Dernières publications
Diderot. Le combattant de la liberté, Perrin, 2013.
Le Triomphe des Lumières : l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, Perrin, 2024.


Flora AMANN : "C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe". De quelques figures de Voltaire à l'ère contemporaine à travers les usages d'une célèbre phrase de Candide
L'objectif de cette communication est d'étudier la réception polémique de Voltaire à travers les usages culturels et politiques de l'une de ses phrases les plus célèbres. Notre hypothèse est que ces usages reflètent la critique contemporaine de Voltaire et sa polarisation entre, d'une part, les ennemis de la démocratie et du progrès social et, d'autre part, une dénonciation de "l'arrogance occidentale" et des "privilèges de l'homme blanc". On étudiera d'abord l'établissement d'une relation métonymique entre la figure de Voltaire et une phrase de l'un de ses personnages ; on se penchera ensuite sur l'articulation entre l'œuvre de Voltaire et le combat abolitionniste à travers cette phrase, avant d'étudier les conséquences des usages de cette phrase sur notre lecture du chapitre XIX du Candide de Voltaire aujourd'hui.

Post-doctorante à la BnF et à l'université Jean Monnet (Saint-Étienne), Flora Amann a soutenu une thèse intitulée Sourds et muets entre savoir et fiction au tournant des Lumières (2020, Sorbonne Université et Université de Montréal), publiée depuis chez Classiques Garnier (2021). Autrice de plusieurs articles sur la surdité et sur les langages gestuels au XVIIIe siècle, elle s'intéresse à présent aux problèmes éthiques soulevés par la lecture des textes des Lumières à l'ère contemporaine et codirigera, avec Joël Castonguay-Bélanger, Anne-Claire Marpeau et Stéphanie Roza, le dossier thématique 2025 de Dix-huitième siècle intitulé "Déboulonner les Lumières ?".

Luis Manuel BERNARDO : Voltaire au Portugal : un cadavre exquis sur le sens des Lumières nationales ?
Certains ouvrages de Voltaire sont assez connus au Portugal : Candide, Micromégas ou le Poème sur le desastre de Lisbonne, éventuellement Les Lettres philosophiques et le Dictionnaire philosophique. Une réedition récente de ses fictions traduites dans les années 50 et 60 du XXe siècle, ainsi qu'un projet en cours à l'université de Coimbra qui prétend dresser une carte de sa réception, semblent bien témoigner l'intérêt porté à l'auteur et à son œuvre. Pourtant, il est probable que ces apports ne soient pas suffisants pour défaire le soupçon d'un manque d'inscription de son écriture et de sa pensée dans le contexte culturel portugais, hormis son appartenance à la représentation d'un ethos générique qui rassemble Lumières et Modernité. Dès les premières références, notamment avec les mentions critiques de Teodoro de Almeida (1722-1804), Voltaire entre dans le long débat interne sur la spécificité de la culture nationale, ses enjeux et ses rapports privilégiés. Les figurations de Voltaire miroitent alors un usage toujours partiel et partial d'aspects fragmentaires de son legs, combien de fois à contresens, soit avec l'intention de défendre des conditions essentielles d'une modernisation espérée, soit pour condamner les impiétés excentriques des pays du nord. Nous nous proposons donc de surprendre les grandes lignes d'une telle appropriation à l'orée d'un long cadavre exquis et d'interroger le schéma d'une telle réception dont le fonctionnement influe autant sur les lectures plus émotionnelles d'autres époques que sur celles plus neutres et informées qui s'imposent actuellement.

Luís Manuel A. V. Bernardo est professeur de la Faculté des sciences sociales et humaines de l'université nouvelle de Lisbonne et chercheur de l'IFILNOVA, directeur de la Section autonome d'éducation et de formation générale et du master en formation, il s'intéresse à la manière dont certains textes, produits aux XVIIIe et XXe siècles, dans différents contextes nationaux, contribuent à façonner la modernité. Correspondant étranger de la Société Diderot, il a publié régulièrement sur les auteurs des Lumières françaises et portugaises.
https://www.cienciavitae.pt//en/F613-75D8-D798

Gilles BERTRAND : Voltaire, le voyage et la vérité des peuples
Dans un hommage à Michèle Duchet, Daniel Roche a fait l'inventaire des voyages effectués au long de sa vie par Voltaire (D. Roche, "Voltaire voyageur", in S. Albertan-Coppola (dir.), Apprendre à porter sa vue au loin, ENS Éditions 2009). Ces voyages ont donc existé mais sans se réduire à un nombre aussi infime de déplacements que chez Diderot, très sédentaire en dehors de son voyage en Russie par la Hollande, ils n'ont couvert qu'une portion relativement faible du monde de son temps (seulement l'Europe et plutôt sa partie septentrionale). À l'inverse, pourtant, Voltaire a considérablement sillonné la planète par lectures interposées et en la mettant en scène dans ses écrits. Cela nous amène à revenir sur le sens du voyage dans sa pensée et sa pratique (et plus largement chez ses contemporains). La nature des expériences voyageuses de Voltaire suffit-elle à valider son expérience du monde ? Dans quelle mesure sa perception des espaces et des peuples tire-t-elle une légitimité du contact direct et concret avec des paysages et des individus ? La connaissance tirée de la lecture des relations de voyage ou de la conversation avec les autres est-elle si profondément différente de celle que l'on tire de son propre déplacement et y a-t-il vraiment besoin d'aller sans cesse et partout pour se faire une idée intéressante de la vérité du monde ? En réexaminant certains passages de sa correspondance et en confrontant ce qu'écrit Voltaire sur certaines contrées aux expériences de quelques autres voyageurs de son époque (ainsi qu'aux discours de Muralt et de toute une tradition contestant l'utilité des voyages), nous tenterons de mieux comprendre un dilemme qui obsède encore nos contemporains quant au besoin de la preuve (et de l'épreuve) des espaces pour accéder à la connaissance de tout ce qui relève de l'altérité.

Riccardo CAMPI : Pour une herméneutique de la réception critique de Voltaire
La question concernant l'héritage voltairien ne saurait se réduire aujourd'hui à établir simplement "ce qui est vivant et ce qui est mort chez Voltaire" (pour paraphraser une célèbre formule de Croce). L'actualité de sa pensée et de son œuvre ce n'est pas ce qui résulterait d'un triage, ou d'un choix idéologique, nous permettant d'y retrouver nos valeurs — ou nos préjugés. Assumer de manière critique son héritage, en revanche, signifie d'abord soustraire l'œuvre de Voltaire aux interprétations tendancieuses ou abusives aussi bien qu'aux célébrations institutionnelles et scolaires qui en font un vénérable monument culturel. Mais pour ce faire, il faut remettre en discussion quelques principes herméneutiques couramment reçus tant par ceux qui contestent la valeur de l'œuvre voltairienne que par ceux qui se réclament de son héritage.

Riccardo Campi, traducteur et essayiste, enseigne en qualité de professore associato la Littérature française au Département de langues étrangères (Université de Bologne). En collaboration avec D. Felice, il a procuré la traduction intégrale du Dictionnaire philosophique de Voltaire selon l'édition Moland (chez Bompiani, 2013). Parmi ses travaux récents : Filosofia e stile. Studi settecenteschi (2019).

Stéphanie GÉHANNE GAVOTY : Jeanne contre Voltaire. Un anniversaire en forme de destitution : 31 mai 1894
Faut-il brûler Voltaire ? Qu'en est-il après 1878, premier centenaire de la mort de Voltaire ? Qu'en est-il au moment où Jeanne d'Arc est déclarée vénérable, en 1894 ? Le Pèlerin, journal catholique conservateur, relate plusieurs épisodes méconnus et exemplaires des tensions politiques nées de la célébration de Jeanne d'Arc, dont de jeunes aspirants militaires sont les principaux acteurs. Profaner Voltaire au hideux sourire ; venger les soldats du mépris du patriarche des ricaneurs, de ce Prussien ami de l'ennemi, notamment de Frédéric II ; venger Jeanne d'Arc des insanités de La Pucelle ; venger Ste-Geneviève et le Panthéon, voire l'Église ; telles semblent être les motivations de cette jeunesse, fils de Croisés contre fils de Voltaire, fervents patriotes, sans doute plus royalistes que républicains… Dès lors, quelle place pour Voltaire chez les jeunes militaires ?

Stéphanie Géhanne Gavoty est maître de conférences à la Faculté des Lettres de Sorbonne Université. Elle est co-rédactrice, depuis 2016, des Cahiers Voltaire, revue annuelle de la Société Voltaire. Elle y coordonne une enquête sur la réception de Candide. Elle a participé à la rédaction des fiches du site "C'est qui Voltaire ?". Elle a aussi rédigé plusieurs notices pour le Dictionnaire des anti-Lumières sous la direction de Didier Masseau (dont une notice sur le père Richard, un anti-voltairien notoire).

Yannick GUIN : Voltaire dans la cité : témoignage d'un élu local face aux obscurantismes contemporains
Une politique culturelle peut-elle être une politique des Lumières ? Au moyen d'exemples précis et concrets il s'agit d'exposer les problèmes rencontrés et les positions adoptées par un élu face à l'antisémitisme et au négationnisme (ex: affaire Roque), au racisme (ex: attaques contre Taubira), au radicalisme islamiste (ex: affaire Abdelkrim), à la question de l'implantation des mosquées (les débats et les solutions adoptées), au contournement par des arguments culturels de la loi de 1905 par les religions, face aussi aux obstacles et arguties contre le monument à l'abolition de l'esclavage. Il s'agit aussi d'exposer les réponses élaborées et souvent discutées, à coups de débats publics, de colloques sur l'Histoire et Les Droits de l'Homme, sur la création du Prix de l'Édit de Nantes, sur la laïcité. Il s'agira enfin de mettre en lumière, et ainsi de débattre avec les participants, des nouveaux dangers des temps présents, confusions, fake news, société du numérique, et divers aspects de la remise en cause de l'universalisme comme le wokisme par exemple.

Yannick Guin est Professeur honoraire des Universités, Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Nantes, Histoire du Droit, des Institutions, des Idées Politiques et des Faits Sociaux. Il a été Maire-Adjoint de la Ville de Nantes, chargé de la Culture (1989-2014) ; Vice-Président de Nantes Métropole, chargé de 2008 à 2014 de l'Enseignement Supérieur et de la recherche ; Conseiller régional des Pays de la Loire de 1998 à 2004. Comme élu à la Culture, une forte impulsion a été donnée (le budget de la Culture devient le premier budget municipal) qui se porte aussi sur le patrimoine (Opéra, Château des Ducs de Bretagne, restauration des friches industrielles, Mémorial à l'abolition de l'esclavage) que sur des initiatives des plus hardies (Compagnie Royal de Luxe, Folles Journées de Nantes, programmation du Lieu Unique, compagnies de danse contemporaine…). Il réalise la fusion de l'Opéra de Nantes et celui d'Angers et il prend la présidence de cette nouvelle maison lyrique, et il exerce en même temps la vice-présidence de l'Orchestre National des Pays de la Loire. Comme délégué national à la Culture de la FNESER (Fédération Nationale des Élus Socialistes et Républicains), il rassemble à l'occasion de nombreuses rencontres sur tout le territoire les responsables des collectivités locales. Les rencontres annuelles en Avignon donnent lieu à une publication en 2000, L'engagement culturel des collectivités locales. Manifeste pour une nouvelle étape de la décentralisation, ainsi que de nombreux articles sur l'évolution des politiques culturelles de l'État et des collectivités locales.
Publications
Le mouvement ouvrier nantais. Essai sur le syndicalisme d'action directe à Nantes et à Saint-Nazaire, 17889/1920, Maspero, paris, 1976.
Histoire de la Bretagne de 1789 à nos jours. Contribution à la critique de l'idéologie nationaliste, La Découverte, Paris, 1977 (réédition en 1982).
La Révolution en Loire Inférieure, Horvath, Lyon, 1989.
La Bataille de Nantes, 29 juin 1793. Un Valmy dans l'Ouest, Siloë, 1993.
Queen Mary 2 par gros temps, réflexions sur les constructeurs de navires, l'Europe et le marché mondial, Essai, Siloë, 2007.
À l'ombre des érables roux, un "coureux" breton en Amérique, Siloë, 2011.

Laurence MACÉ : En réalité ou en effigie : comment les censeurs brûlèrent les textes de Voltaire (ou firent semblant) ?
De son vivant, Voltaire fut en butte à diverses formes de censure a posteriori, par le Parlement de Paris pour les Lettres philosophiques dès 1734, par Rome qui condamna ses Œuvres publiées à Dresde chez Walther en 1752-1753, puis quantité d'autres ouvrages. Plusieurs d'entre eux furent condamnés au feu. Ainsi "brûler Voltaire", du moins ses textes, fut pris au sens propre, et plus d'une fois, par les institutions de censure au XVIIIe siècle. Sur la base des travaux des historiens de la censure et du corpus des censures rédigées par l'Index et le Saint-Office, il s'agira d'interroger la symbolique et la signification de cet acte au XVIIIe siècle, en mettant en évidence les tensions ou interrogations qu'il met en évidence et les débats qu'il suscite, à l'intérieur comme à l'extérieur des institutions.

Laurence Macé est maîtresse de conférences en Littérature française du XVIIIe siècle à l'université de Rouen Normandie et membre du CÉRÉdI (Centre de recherches et d'études Éditer Interpréter) depuis 2008. Elle a consacré sa thèse de doctorat à la réception italienne de Voltaire au XVIIIe siècle, et a notamment reconstitué à partir des archives de l'Index et du Saint-Office les 32 dossiers de censure constitués autour de ses textes de 1748 à 1808. Secrétaire générale de la Société des études voltairiennes depuis douze ans, elle a été membre du Comité scientifique des Œuvres complètes de Voltaire (Université d'Oxford, Voltaire Foundation), désormais achevées, de 2009 à 2022. Elle est membre du Digital Voltaire Advisory Group depuis novembre 2022. Elle a publié une quinzaine d'articles et chapitres d'ouvrages consacrés à la censure de Voltaire, co-dirigé un volume collectif dédié aux rapports entre censure et critique Censure et critique (17e-21e siècles) (Garnier, 2016). Elle termine une Habilitation à diriger les recherches autour des manuscrits soumis à la censure royale et aux pratiques de co-auctorialité qu'ils mettent en évidence. Elle a publié une anthologie grand public de textes voltairiens censurés (Voltaire. Textes interdits. Classiques Garnier, 2010).

Josselin PROUTEAU : Pourquoi donner du prix à l'"humanité" ? Voltaire, la littérature et la solidarité humaine
De la comédie satirique de Palissot (1760) à la Révolution, le mot d'humanité, employé pour désigner la qualité de l'homme solidaire du genre humain, cristallise les attaques des adversaires des Philosophes. N'est-ce pas l'exemple parfait du jargon abstrait et prétentieux qui corrompt le bon goût du siècle ? Loin de fuir cette accusation, Voltaire se flatte dans une lettre à Palissot d'être "des premiers qui aient employé fréquemment ce vilain mot". Il dit vrai : ses écrits, lettres et tragédies, des années 1730 sont même le creuset où a lieu la réinvention décisive du vieux mot d'humanitas ; c'est ici que l'humanité devient une vertu militante vouée à coaliser ceux qui luttent contre les adversaires tout désignés du genre humain. Nous étudierons les présupposés de cette éthique humaniste engagée, qui inscrit le combat philosophique dans l'œuvre séculaire des "grands hommes"», et qui réussit à éclipser une discrète tradition parallèle qui, dans le sillage de Montaigne, faisait de l'humanité le concept-clé d'une critique amorale de la civilisation.

Josselin Prouteau est agrégé de lettres classiques et doctorant contractuel à Sorbonne Université. Dans le cadre de sa thèse, il s'intéresse à la réapparition et à la diffusion du mot d'humanité au XVIIIe siècle en France. Ses recherches portent à la fois sur les paradigmes philosophiques qu'il sollicite et les formes littéraires qu'il inspire. Son travail s'est récemment concentré sur Voltaire, dont l'œuvre épistolaire, théâtrale, et érudite, joue un rôle déterminant dans le destin du mot.

Alain SAGER : Entre communautarisme et souverainisme, l'universalisme voltairien garde-t-il un sens ?
Dans les attaques convergentes contre l'esprit des Lumières, la notion d'universalisme est tout spécialement mise en cause. Sous couvert de revendication communautaire ou, à l'opposé, du repli identitaire, le dénigrement de Voltaire dans ce registre vise, dans les deux cas, à nier la possibilité d'une communauté solidaire de l'humanité toute entière. Voltaire en a trouvé l'expression première dans l'humanisme cicéronien. Nous suivrons donc l'histoire de la notion d'universalisme dans ses différentes incarnations, avant de distinguer clairement entre l'universel, le particulier et le singulier, à la lumière de la logique hégélienne. Appliquée à un célèbre texte voltairien de l'Avis au public sur les parricides imputés aux Calas et aux Sirven, on montrera la pertinence et l'efficacité d'une telle référence, pour étayer aujourd'hui l'universalisme tel que Voltaire le conçoit et le défend, et pour répondre à ses détracteurs.

Professeur de philosophie émérite, Alain Sager (Société Voltaire) est l'auteur de deux ouvrages parus aux éditions Ellipses (Apprendre à philosopher avec Voltaire, 2012 et le Dictionnaire Voltaire, 2021), ainsi que de nombreux articles dans les Cahiers Voltaire. Il a également participé à plusieurs reprises aux "Chemins de la philosophie", sur l'antenne de France-Culture. Il a publié L'homme sans dieu ? De Cicéron à Marc-Aurèle, aux éditions L'Harmattan (2013).

Alain SANDRIER : Confondre l'infâme ? Voltaire et l'imputation d'athéisme
Voltaire est parfaitement conscient que l'imputation d'athéisme relève en son temps moins de l'examen philosophique que d'une accusation visant à discréditer et à nuire. Voltaire s'est toujours interrogé sur les ressorts anthropologiques et les soubassements idéologiques d'une imputation qu'il a étudiée chez les autres, et dont il a lui-même fait l'objet. Ce champion ostensible de la cause déiste est le meilleur révélateur, à son corps défendant, de la place singulière de l'athéisme dans l'espace intellectuel d'Ancien Régime : embarrassé d'une éventuelle inclusion, il a dû lutter sur deux fronts, entre apologistes et incrédules radicaux. Comprendre ce qui fait d'une position d'exclusion radicale du régime de la croyance un stigmate infamant, rendant la personne digne d'être brulée, tel est l'angle sous lequel on voudrait explorer l'œuvre de Voltaire, dans sa réception controversée comme dans ses équivoques fécondes.

Alain Sandrier est professeur de littérature française à l'université de Caen Normandie. Ses travaux portent sur l'irréligion des Lumières à travers les cas, en particulier, de Voltaire, du baron d'Holbach, des manuscrits philosophiques clandestins et de l'Encyclopédie. Il a publié notamment Le Style philosophique du baron d'Holbach (Paris, Honoré Champion, 2004) et Les Lumières du miracles (Paris, Classiques Garnier, 2015).

Debora SICCO : Voltaire, l'Infâme et les femmes
Partant de l'axiome selon lequel le pire ennemi de Voltaire est l'infâme, cette communication se propose de mettre en lumière son influence sur la condition des femmes, car Voltaire est persuadé que la religion, notamment le christianisme, a contribué à leur soumission. À ce sujet, il est intéressant de relire trois textes, aujourd'hui peu connus, de Voltaire : L'éducation d'une fille (1764), L'éducation des filles (1765) et Femmes soyez soumises à vos maris (1765). En effet, si Voltaire n'a pas abordé la question de la condition féminine d'une manière systématique, il l'a fait de façon transversale, comme en témoignent également les personnages féminins de ses pièces et de ses contes, ainsi que l'article "Femme" des Questions sur l'Encyclopédie, écrit en réponse à l'article homonyme de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert. Il ne faut donc pas négliger son apport à l'émancipation féminine, qui à ses yeux relève d'un combat plus vaste en vue de la mise en place d'une société juste et tolérante.

Après avoir obtenu, en 2016, un doctorat de recherche en histoire de la philosophie à l'université de Turin, Debora Sicco poursuit ses recherches à l'université du Piémont Oriental, où elle est actuellement doctorante en littérature française. Spécialiste de Voltaire, elle a publié plusieurs articles et un essai, Voltaire : la politica come azione (Milano-Udine, Mimesis, 2021). Elle est secrétaire du Centre d'étude interdisciplinaire "Métamorphoses des Lumières", dont le siège est à Turin.

Gerardo TOCCHINI : "Mais avec ces chiens de voltairiens…" : Puccini, Voltaire et l'Église romaine au lendemain de l'Unità
Tosca de Giacomo Puccini (1900) représente un cas unique dans la tradition lyrique italienne, car il est le seul opéra anticlérical actuellement en tête dans le canon planétaire du melodramma. Il fut mise en scène de manière provocatrice à Rome, trente ans après la prise de Porta Pia et la chute du pouvoir temporel des papes (1870) et vingt-neuf ans avant les Patti Lateranensi (1929), la conciliation avec l'Église signée par Mussolini pour l'État italien. L'opéra de Puccini est entièrement et totalement un produit de la Questione romana, les soixante années de conflit entre l'Église de Rome et l'État libéral et unitaire, et c'est une parabole de liberté et de martyre au nom de la libre pensée.
Mario Cavaradossi, le peintre et l'amant de Tosca, est un disciple de Voltaire ("Mais avec ces chiens de voltairiens/ ennemis du Très Saint Gouvernement,/ il n'y a pas à discuter…") et déjà pour cela considéré "un homme suspect". Il est torturé et tué par la police du Pape Roi car il est complice (par hasard) d'un "prisonnier d'État", un condamné politique ayant échappé des prisons de Castel Sant'Angelo, et que Mario a secouru par sympathie politique mais aussi par solidarité humaine. Donc, Cavaradossi mettait en pratique le dicton le plus célèbre et cité, mais aussi le moins authentique parmi les maximes attribuées à Voltaire : "I disapprove of what you say, but I will defend to the death your right to say it".
Tosca est la grandiose fresque, idéologiquement orientée, d'un régime clérical oppresseur et sanguinaire : un système policier qui n'hésite pas à se servir de Dieu pour soutenir par la terreur un pouvoir dépassé et prêt à s'effondrer. Dans l'opéra de Puccini comme dans le drame de Victorien Sardou, ce pouvoir applique la torture aux marges de la scène et tue à ciel ouvert. Dans la Rome de Tosca, le dogme révélé sert à justifier la négation des droits de l'homme et l'oppression de la libre pensée ; le fanatisme religieux soutient un totalitarisme des consciences avant la lettre, où les prêtres eux-mêmes exercent, par le biais de la confession, le rôle de délateurs au service de la police. Un pouvoir tellement odieux, sadique et cruel qu'il est exposé parfois à des attentats désespérés, qui soir après soir, dans cette Italie-là, produisaient toujours au théâtre applaudissements frénétiques de la part du public.
Dans l'Italie fin-de-siècle, le drame grandguignolesque de Victorien Sardou va se joindre à la tradition de l'anticléricalisme du Risorgimento et de la littérature militante garibaldienne. En Europe au tournant du XXe siècle, le Vatican était encore le dernier rempart survivant de l'ancien régime, et à l'exception de la seule autocratie tsariste, la dernière monarchie absolue de droit divin. Pour l'Italie, le Vatican avait été le plus tenace obstacle à la réalisation du processus unitaire du Risorgimento. L'Italie laïque et libérale a donc choisi Voltaire comme symbole de sa libération après des siècles d'oppression confessionnelle dès les célébrations du Centenaire de 1878, fêté à Rome avec enthousiasme par toute la gauche garibaldienne, les associations universitaires et de libre pensée, la franc-maçonnerie et par tous les parlementaires d'une Gauche historique parvenue au pouvoir juste à fin 1876.

Gerardo Tocchini (Florence, 1967) est titulaire d'une Chaire d'Histoire Moderne à l'université Ca' Foscari de Venise. Son domaine de recherche privilégié est l'histoire sociale de la culture de l'époque moderne européenne, du XVIe à la fin du XIXe siècle, avec une orientation comparative et une attention marquée aux systèmes culturels historiques, un intérêt pour les domaines de la communication politique et de l'utilisation de méthodologies historiographiques interdisciplinaires (littérature, théâtre, musique, arts visuels).
Publications
I Fratelli d'Orfeo. Gluck e il teatro musicale massonico tra Vienna e Parigi, Florence, L.S. Olschki, 1998.
La politica della rappresentazione, Turin, Libreria Stampatori, 2001 (2e éd. revue et augmentée : 2012).
Minacciare con le immagini. Tintoretto : gli affreschi scomparsi della "Casa Barbariga", Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 2010.
Arte e Politica nella cultura dei Lumi. Diderot, Rousseau e la critica dell'antico regime artistico, Rome, Carocci, 2016 (édition anglaise : Diderot, Rousseau and the Politics of Art in the Enlightenment, Oxford, The Voltaire Foundation, "Oxford University Studies in the Enlightenment", 2023).
Su Greuze e Rousseau. Politica delle élite, romanzo e committenza d'arte nella tarda età dei Lumi, Pise, Edizioni della Normale, 2016.
Voltaire epicureo. Il mito del "Settecento libertino", Roma, Carocci, à paraître en octobre 2024.
Articles consacrés directement à Voltaire et à la tradition voltairienne au XIXe siècle
Voltaire epicureo. Il mito del "Settecento libertino", Roma, Carocci, à paraître en octobre 2024.
"L'Œdipe del giovane Voltaire alla prova della scena pubblica. Canone politico, strategie e autocensure nel teatro tragico della prima età dei Lumi", Rivista Storica Italiana, CXXV (2013), pp. 681-763.
"Opera without politics ? Per una interpretazione storica (e politico-contestuale) della Tosca di Giacomo Puccini", Studi Pucciniani, 6 (2020), pp. 45-74 (vers. réduite, en anglais).
"Voltaire tra storici e letterati. Attorno a una recente edizione critica del Siècle de Louis XIV", Rivista Storica Italiana, CXXXIV (2022), pp. 197-213.
"Le Centenaire de Voltaire en Italie. Carducci et la première édition de la Pucelle d'Orléans dans la version de V. Monti (Livourne 1878)", dans L. Gil, N. Morel (dir.), (Ré-)éditer Voltaire, à paraître.
"Qui de neuf sur le théâtre de Voltaire ?", Revue Voltaire, à paraître.

Jennifer TSIEN : Qui a tué Voltaire ? Une enquête sur les sources de sa réception négative
Voltaire, cette figure monumentale, si admirée par le public, est devenu le grand oublié des universitaires. Comment en sommes-nous arrivés là ? Mes recherches m'ont menée à ce que je crois être la source de cette indifférence : la réception par les contemporains allemands de Voltaire, notamment des dramaturges comme Lessing, qui ont dû repousser son influence écrasante afin de fonder leur littérature nationale. Je compte reconstituer une généalogie des anti-voltairiens, du vivant de l'auteur à la philosophie allemande — une philosophie qui a jeté les bases de la "French theory" du XXe siècle tant admirée par les Américains, encore aujourd'hui. En retraçant la disparition de Voltaire, j'espère montrer que cet effacement n'était pas inévitable, mais que l'on peut néanmoins retisser les liens coupés par les chercheurs des décennies passées, entre les œuvres de Voltaire et la critique littéraire actuelle.

Jennifer Tsien est maîtresse de conférences (et à partir du mois d'août, professeur) de littérature française à l'université de Virginie aux États-Unis, où elle enseigne des cours sur le dix-huitième siècle. Ses livres incluent Voltaire and the Temple of Bad Taste: A Study of La Pucelle d'Orléans (2003), The Bad Taste of Others: Judging Literary Value in Eighteenth-Century France (2011), paru en français comme Le Mauvais goût des autres : le jugement littéraire dans la France du XVIIIe siècle (2017) et Rumors of Revolution: Song, Sentiment, and Sedition in Colonial Louisiana (2023). Elle est également l'autrice et dessinatrice de la bande dessinée The Life of the Marquise de Pompadour (Romanic Review, 2024). Ses recherches se concentrent sur Voltaire, la satire, la Louisiane et la culture franco-chinoise.


Le Sermon du rabbin Akib de Voltaire (prononcé à Smyrne le 20 novembre 1761 - traduit de l'hébreu), lecture par Hervé LOICHEMOL et la Compagnie FOR
Voltaire est le plus célèbre des innombrables pseudonymes utilisés par François Marie Arouet. On peut y voir une ruse, courante au XVIIIe siècle, destinée à déjouer la censure, mais également le goût immodéré de Voltaire pour le jeu, le déguisement, le semblant, la feinte théâtrale. Le Sermon du Rabbin Akib n'échappe évidemment pas à cette stratégie qui lui permet de dénoncer, sans risque excessif, les crimes de l'inquisition et du fanatisme.
Avec la querelle du blackface, ce texte résonne aujourd'hui d'étrange façon. Alors même que Voltaire proteste contre l'assassinat de juifs, sa feinte serait-elle le voile qui cache d'inavouables intentions ? Une preuve de sa judéophobie ? Voire de son antisémitisme ?
Cette lecture spectacle sera l'occasion d'ouvrir le débat.
Avec Anne Durand et Hervé Loichemol.

Hervé Loichemol est né à Mostaganem, Algérie (retour en France en 1962). Parallèlement à ses études secondaires et universitaires à Besançon, il suit l'enseignement de Paul Lera au Conservatoire et participe à tous les spectacles du Théâtre de Franche-Comté. En 1972, il finit sa formation de comédien à l'école du Théâtre National de Strasbourg et joue pendant plusieurs années dans différents théâtres en France, en Belgique et en Suisse. À partir de 1980, il enseigne à l'École de la Comédie de Saint-Étienne, du Théâtre National de Strasbourg, au sein de la section professionnelle du Conservatoire de Lausanne et de l'École Supérieure d'Art Dramatique du Conservatoire de Genève. De 1999 à 2002, il est administrateur du Château de Voltaire et directeur artistique de l'Auberge de l'Europe à Ferney-Voltaire, où il conjugue une démarche patrimoniale, un lieu de création artistique et une résidence d'auteurs en exil. Directeur de la Comédie de Genève de 2011 à 2018, il est le fondateur de la compagnie FOR et développe, depuis 2013, un travail théâtral à Gaza et Jénine. Metteur en scène depuis 1976, il a mis en scène plus de cent textes d'auteurs contemporains (Olivier Py, Yves Laplace, Denis Guénoun, Heiner Müller, Fausto Paravidino, Hanokh Levin, Jon Fosse…) et d'auteurs classiques (Tchekhov, Corneille, Théodore de Bèze, Shakespeare, Calderon, Musset, Molière, Pirandello, Seghers, Brecht…). Il a conduit pendant plusieurs années un travail sur le théâtre du XVIIIe, celui de Voltaire en particulier dont il a monté une quinzaine de textes (Le Comte de Boursoufle, Zaïre, Brutus, La mort de César, Microméegas, Candide, Le Café ou l'écossaise, Nanine, L'homme aux quarante écus, Catéchismes, Le Sermon du Rabbin Akib…).


BIBLIOGRAPHIE :

• ADAMS, David James, La Femme dans les contes et les romans de Voltaire, Paris, Nizet, 1974.
• BENDA, Julien, "Voltaire est-il des nôtres ?", Confluences, janvier-février, 1944.
• BENREKASSA, Georges, L'achèvement des Lumières ?, Genève, Georg, 2023.
• CASANOVA, Giacomo, Quatre jours chez Voltaire, Édition critique établie par L. Gil, Paris, Payot / Rivages, 2023.
• CAVE, Christophe (éd.), Les Vies de Voltaire. Discours et représentations biographiques, XVIIIe-XXIe siècles, SVEC 2008:04.
• CITTON, Yves & POIRSON, Martial, "Débat. Voltaire homme d'argent", dans Cahiers Voltaire, 7, 2008, p. 93-143 ; 8, 2009, p. 115-121.
• CONDORCET, Nicolas de, Vie de Voltaire, Édition critique par L. Gil, Paris, Payot / Rivages, 2022.
• DESNÉ, Roland, "Voltaire était-il antisémite ?", dans M.-H. Cotoni (éd.), Voltaire. Dictionnaire philosophique, Paris, Klincksieck, 1994, p. 115-125.
• DROIT, Roger-Pol, "La face cachée de Voltaire", Le Point, 2 août 2012.
• GIL, Linda, L'édition Kehl des Œuvres complètes de Voltaire : une aventure éditoriale et littéraire (1779-1789), Préface de Christiane Mervaud, Paris, Honoré Champion, 2018, 2 volumes.
• GIL, Linda, "Cunégonde, l'autre candide ? Figure d'une voyageuse compulsive dans le récit voltairien, entre domination et émancipation", Chroniqueur, philosophe, artiste. Figures du voyageur dans la littérature française du XVIIIe et du XIXe siècles, I. Zatorska et M. Sokołowicz (dir.), Presses universitaires de Varsovie (ebook), 2021, p. 84-99.
• GIL, Linda & MAGNAN, André (enquête coordonnée par), "Voltaire au Panthéon", Cahiers Voltaire, 2018, 2019, 2020, 2021.
• GUILLEMIN, Henri, "François-Marie Arouet, dit Zozo, dit Voltaire", dans La Table ronde, 122, février 1958.
• HERSANT, Marc, "Sodome à Potsdam : les passions entre hommes dans les Mémoires pour servir à la vie de M. de Voltaire", dans Revue Voltaire, 14, 2014, p. 101-115.
• JACOB, François, Voltaire après la nuit. Paris, Moscou, Genève, Ferney-Voltaire, Centre d'étude du XVIIIe siècle, 2021.
• LILTI, Antoine, L'Héritage des Lumières. Ambivalences de la modernité, Paris, EHESS, Seuil, 2019.
• LOPEZ, Jean-François, "Les investissements de Voltaire dans le commerce colonial et la traite négrière : clarifications et malentendus", dans Cahiers Voltaire, 7, 2008, p. 124-139.
• MAGNAN, André puis Gérard GINGEMBRE (coord.), "Sur les voltairiens et les anti-voltairiens", dans Cahiers Voltaire, 1, 2002-11, 2012.
• MARTIN, Xavier, Voltaire méconnu. Aspects cachés de l'humanisme des Lumières (1750-1800), Bouère, Dominique Martin Morin, 2006.
• MÉNISSIER, Patricia, Les Amies de Voltaire dans la correspondance : 1749-1778, Paris, Champion, 2007.
Voltaire, D'Alembert, Condorcet. Correspondance secrète, Édition critique par L. Gil, Paris, Payot / Rivages, 2021.
• ZEMMOUR, Éric, Destin français, Paris, Albin Michel, 2018, p. 226-240.


SOUTIENS :

• Institut de recherche sur la Renaissance, l'âge Classique et les Lumières (IRCL) | UMR 5186, CNRS / Université Paul-Valéry Montpellier (UPVM)
• Centre d'étude de la langue et des littératures françaises (CELLF) | UMR 8599, CNRS / Sorbonne Université
• Laboratoire universitaire "Histoire Cultures Italie Europe" (LUHCIE) | Université Grenoble Alpes (UGA)
• Laboratoire "Patrimoine, Littérature, Histoire" (PLH) | Université Toulouse - Jean Jaurès
• Laboratoire "Littératures Antiques et Modernes" (LAMO) | Nantes Université
• Laboratoire "Lettres, Arts du Spectacle, Langues Romanes" (LASLAR, UR 4256) | Université de Caen Normandie
Société Voltaire
• Société Française d'Étude du Dix-huitième Siècle (SFEDS)
• Direction régionale des affaires culturelles Normandie (DRAC Normandie)
Fondation Clarens pour l'humanisme | Fondation de France

Programme 2024 : un des colloques

Programme complet


L'ENFANCE DE DEMAIN ENTRE LE VIVANT ET LE VIRTUEL

UN QUESTIONNEMENT PAR L'ART ET LA SCIENCE


DU JEUDI 20 JUIN (19 H) AU LUNDI 24 JUIN (14 H) 2024

[ colloque de 4 jours ]



ARGUMENT :

L'enfant se construit à travers ses relations avec les autres et avec l'ensemble du vivant. Demain il aura des partenaires sociaux pour certains biologiques et pour d'autres issus des univers virtuels. Ses relations sociales seront-elles de plus en plus souvent médiatisées par ces technologies, y compris dans les espaces les plus intimes ?

Dans un monde qui fera appel différemment à nos sens et à notre corporéité nous devrons nous préoccuper des besoins d'attention et de présence du tout-petit et veiller à la pluralité de ses échanges en face à face. Quelle écologie des relations sera requise pour poursuivre l'histoire humaine, qui est avant tout une histoire de liens ?

En croisant les regards de chercheurs issus d'une diversité de champs scientifiques et ceux d'artistes du spectacle vivant, nous rechercherons des points d'accroche sensibles entre les mondes vivants et les virtualités humaines. Il s'agira en particulier de dégager des pistes de réflexion et d'action face aux questions que posent pour l'enfance de demain, les transformations technologiques actuelles et celles d'un avenir déjà discernable.


MOTS-CLÉS :

Adolescence/Adolescent, Agentivité, Archéologie, Arts et science, Bébé, Corporéité, Corps, Culture, Demain/Futur, Développement de l'enfant, Éco-anxiété, Écologie des liens, Empathie, Enfance/Enfant, Éthologie, Humanité, Identité numérique, Individuation, Intelligence artificielle, Intersubjectivité, Metavers, Monde hybride, Monde matériel, Monde virtuel, Nature, Nouvelles technologies, Premiers liens, Psychologie, Relations sociales, Révolution numérique, Robots, Sens moral, Sciences cognitives, Tisser des liens, Virtuel, Vivant, Voix


CALENDRIER DÉFINITIF :

Jeudi 20 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants


Vendredi 21 juin
UNE ÉCOLOGIE DES LIENS : LA FABRICATION DU VIVANT
Matin
Introduction
Bahia GUELLAÏ : Tout ce que vous aimeriez savoir sur le nouveau-né
Maya GRATIER : Le rythme et la voix tissent les premiers liens
Louise GOYET : Langage, émotions et relations au cours des premières années
Valeria LUMBROSO : Filmer les premiers liens

La nécessité des liens sociaux — Animatrice : Maya GRATIER
Drina CANDILIS-HUISMAN : Parents et enfants dans un monde en changement
Virginie DURIER : L'animal en conversation
Vasudevi REDDY : S'engager et savoir : modes relationnels chez le bébé [visioconférence]

Après-midi
Une approche socratique du futur
Accueil des 4ème du collège Anne Heurgon-Desjardins de Cerisy-la-Salle
Conversations sous les arbres avec les collégiens en petits groupes à partir des paroles recueillies la veille par Emmanuelle SOLER
Débrief sur les conversations

Conférence-pratique
Asaf BACHRACH : Le modèle YUMI pour la créativité conjointe dans la danse improvisée

Soirée
Projection / Discussion
Maria-Danae KOUKOUTI : Films de recherche sur le façonnage de poteries
Valeria LUMBROSO : Série Tisser des liens


Samedi 22 juin
NOUVELLES MANIÈRES D'ÊTRE LIÉS, RISQUES ET POTENTIELS DES OUTILS NUMÉRIQUES
Matin
Matérialité et développement : l'impact des technologies digitales sur nos expériences corporelles et sensorielles — Animatrices : Maya GRATIER & Noga ARIKHA
Lambros MALAFOURIS : Comment le rapport aux objets nous a transformés au cours de notre histoire ?
Katerina FOTOPOULOU : Toucher et être touché pour exister
Maria-Danae KOUKOUTI : Fabriquer des miroirs : en quoi la conscience de soi dépend de la relation à la matière ?

Après-midi
Projection / Discussion
Tereza STEHLIKOVA : Sélection de films expérimentaux : Self-isolation Dinner (2020), Zoom Deep Beauty (2021) et Scent of Zeros and Ones (2024), suivie d'une promenade sensorielle

Quelle place pour le corps dans un environnement modifié par la technologie ?, table ronde animée par Rana ESSEILY, avec Noga ARIKHA (Le sens de soi et la redécouverte du corps à l'ère post-cartésienne), Didier GRANDJEAN (Fabriquer et maintenir des liens par la voix) et Frédéric BEVILACQUA (Interaction entre mouvement et son: de la création artistique à la rééducation)

Autour de Tim Ingold, promenade artistique collaborative, avec Cécile MONT-REYNAUD (Compagnie Lunatic)

Comment penser, se relier dans un monde dématérialisé, désincarné ?, conversation animée par Cécile MONT-REYNAUD, avec Tim INGOLD [visioconférence], suivie d'une discussion

Soirée
Autour du spectacle : "Enfant d'après-demain"
Vincent VERGONE (Compagnie Les Demains qui Chantent)


Dimanche 23 juin
D'UN MONDE ORGANIQUE À UN MONDE DIGITAL : ANGOISSES PASSAGÈRES OU MUTATION PROFONDES ?
Matin
Le surgissement des angoisses : reconnaître les sources de notre zeitgeist anxiogène — Animatrice : Louise GOYET
Vincent VERGONE : Les enfants, l'art et la nature face à l'inflation technologique
Annamaria LAMMEL : L'éco-anxiété : comment les enfants perçoivent-ils le changement climatique ?

Danser avec les robots. Peut-on construire une relation avec un robot ?, table ronde animée par Drina CANDILIS-HUISMAN, avec Bahia GUELLAÏ (Interagir avec un robot. Comment les robots sociaux s'inspirent-ils des humains ?), Alexandre PITTI (Comment la psychologie du développement inspire le développement de l'IA ?) et Sébastien DERÉGNAUCOURT (Apprentissage du chant chez l'oiseau : entre le naturel et l'artificiel)

Après-midi
Expériences en cabane, atelier-discussion animée par Asaf BACHRACH, avec Catherine MORVAN et Jean-Claude OLEKSIAK (Compagnie Les Bruits de la Lanterne)

Le robot et l'écologie du lien — Animatrice : Valeria LUMBROSO
Serge TISSERON : Quels liens nos enfants tissent-ils avec des robots ?
Jennifer ANG : Loin des yeux : à quoi ressemblera notre intelligence morale dans un monde d'IA ?

Soirée
Discussion autour des expériences en cabane avec de jeunes enfants


Lundi 24 juin
QUEL(S) FUTUR(S) POUR NOS ENFANTS DANS UN MONDE DE MUTATIONS ÉCOLOGIQUES ET TECHNOLOGIQUES ?
Matin
Frédéric BEVILACQUA : Sonification du mouvement
Valeria LUMBROSO : Autour d'extraits du film Entre toi et moi l'empathie

Rapports d'étonnement, par Juliana VAMOS, Cécile BOULAIRE et Noga ARIKHA

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Louise GOYET
Louise Goyet est Maître de conférences en psychologie du développement cognitif (Université Paris 8 - Vincennes-Saint-Denis) et Membre du laboratoire DysCo (Fonctionnement et Dysfonctionnement Cognitifs : les âges de la vie). Elle mène des recherches qui ont pour finalité d'étudier comment émergent et se développent, selon une perspective vie entière, les capacités langagières. Plus précisément, l'objectif premier de ses recherches est d'une part, d'identifier plus finement les processus perceptifs, cognitifs impliqués dans le développement précoce de la compréhension et de production du langage verbal et non verbal. D'autre part, ses travaux de recherche ont pour objectif d'étudier en quoi le développement du langage émotionnel et du lexique émotionnel, qui émerge au cours de l'enfance, a une incidence sur les capacités des enfants, adolescents et adultes à identifier, à catégoriser et se représenter des émotions primaires et complexes. C'est par le biais de l'utilisation de méthodologies différentes (comportementales et cérébrales) qu'elle observe et étudie le développement perceptif et conceptuel du bébé et du jeune enfant.
Publications
Raynal, L., Clément, E., & Rämä, P., Sander, E & Goyet, L (soumis)' "Early Analogical Extensions : Pragmatic Strategies or Category Errors ? Insight from Adults' ERPs", Journal of Experimental Child Psychology.
Bouayed, S. Lammel, A, Goyet, L (in press), "Visuospatial processing in the resolution of the Corsi test in bilinguals and monolinguals children", Chapter Psychology Applications & Developments IX. InPACT.
Bouayed, S. Lammel, A, Goyet, L (2023), "Visuospatial processing in the resolution of the Corsi test in bilinguals and monolinguals children", Proceedings from InPACT Conference, Apr 2023, Lisbon (Portugal).
Gueraud, S., & Goyet, L. (2022)' "Toward Considering Emotional Skills as Academic Skills", Emotional Processes in Learning Situations, 47-71.
Raynal, L., Clément, E., & Rämä, P., Sander, E & Goyet, L. (2021)' "Early Analogical Extensions : An ERP Study on Preschoolers' Semantic Approximations", Proceedings of the Annual Meeting of the Cognitive Science Society, vol. 43, iss. 43.
Rämä, P., Sirri.L., & Goyet, L. (2018), "Event-related potentials associated with cognitive mechanisms underlying lexical-semantic processing in monolingual and bilingual 18-month-old children", Journal of Neurolinguistics, 47, 123-130.

Maya GRATIER
Maya Gratier est professeure de psychologie du développement à l'université Paris Nanterre. Elle a reçu sa formation à l'université d'Édimbourg, à l'université Paris Cité et à l'université de Californie à Los Angeles, en psychologie du développement et en psychologie clinique interculturelle. Ses travaux de recherche portent sur les interactions sociales, le développement vocal et les origines des capacités musicales chez le bébé. Elle s'intéresse de manière plus générale aux processus de coordination interpersonnels, sensoriels et sensibles. Elle est directrice adjointe du Laboratoire Éthologie Cognition Développement.
Publications
Gratier, M. (in press), "Atmosphere and intersubjectivity : lessons from photography", in Reddy, V. & Delafield-Butt, J. (Eds), Intersubjective Minds : Rhythm, Sympathy, and Human Being, Oxford, Oxford University Press.
Jover, M. & Gratier, M. (2023), "Toward a multimodal and continuous approach of infant-adult interactions", Interaction Studies, 24(1), 5-47.
Gratier, M., Lumbroso, V, Simeoni, U. (2022), L'odyssée des 100 premiers jours, Ed. Marabout.
Saliba, S., Gratier, M., Filippa, M., Devouche, E. & Esseily, R. (2020), "Fathers' and mothers' infant directed speech influences preterm infant behavioral state in the NICU", Journal of Nonverbal Behavior, 44, 437-451.
Apter, G., Devouche, E. & Gratier, M. (2019), Early Interaction and Developmental Psychopathology, Springer.
Guellaï, B., Callin, A., Bevilacqua, F., Schwarz, D., Pitti, A., Boucenna, S. & Gratier, M. (2019), "Sensus communis : Some perspectives on the origins of non-synchronous cross-sensory associations", Frontiers in psychology, 10, 523.
Gratier, M. & Filippa, M. (2018), "Music creative processes in infants and children", in N. Donin (Ed), Oxford Handbook of the creative process in music, Oxford University Press.
Gratier, M. (2017), "Du sentiment d'appartenance à l'apprentissage culturel : intersubjectivité, signatures et styles", in D. Candilis & M. Dugnat (Eds), Bébé Sapiens, Colloque de Cerisy, érès, 199-207.
Trevarthen, C. & Gratier, M. (2005), "Voix et Musicalité : Nature, émotion, relations et culture", in M.-F. Castarède & G. Konopczynski (Eds), Au commencement était la voix, érès.

Bahia GUELLAÏ
Bahia Guellaï est professeur des universités en psychologie du développement à l'université de Toulouse Jean Jaurès, rattachée au laboratoire CLLE, membre du Babylab Toulouse. Elle est membre junior de l'Institut Universitaire de France depuis 2021. Elle est également formatrice en EAJE pour Acadeven. Ses travaux portent principalement sur le développement des habiletés socio-cognitives du jeune enfant, de la naissance à 6 ans. Plus récemment, elle a développé une approche pluridisciplinaire de l'étude du développement des interactions enfants-robots, en collaboration avec des roboticiens, des philosophe, des éthologues, et en partenariat avec des collègues de l'université nationale de Singapour dans le cadre du projet DesCartes.
Publications
Derégnaucourt, S., Araguas, A., & Guellaï, B. (2022), "Technological advances for getting insight into the learning capacities of birds in the vocal domain and in the auditory domain", Interaction Studies, Special Issue "Animal-Computer Interfaces".
Guellai, B., Somogyi, E., Esseily, R., & Chopin, A. (2022), "Effects of screen exposure on young children's cognitive development : A review", Frontiers in Psychology, 4779.
Guellai, B., & Streri, A. (2022), "Mouth Movements as Possible Cues of Social Interest at Birth : New Evidences for Early Communicative Behaviors", Frontiers in Psychology, 2523.
Araguas, A., Guellaï, B., Gauthier, P., Richer, F., Montone, G., Chopin, A., &
Derégnaucourt, S. (2022), "Design of a robotic zebra finch for experimental studies on developmental song learning", Journal of Experimental Biology.
Guellai, B., Esseily, R. (2024), Psychologie du développement, Armand Colin (2e édition).

Valeria LUMBROSO
Valeria Lumbroso est auteur et réalisatrice de films documentaires, directrice de la société de production Créalis Medias, fondatrice de l'Académie du Développement de l'enfant (Acadeven). Elle commence sa carrière par des films sur l'art et la science dont "Le Siècle Stanislavski" (Arte - Prix Léonard de Vinci – 1992), "Samuel Beckett" (France 3 – Prix de la Procirep – 1996), "La Saga des Nobel" (France 5 - Prix du Sénat- 1997), "Un siècle de découvertes" (France 5 - Prix du film scientifique d'Orsay, 2001). Depuis les années 2000, elle réalise pour France 5 et Arte, des films et séries documentaires tournés à hauteur d'enfant, avec un regard éthologique : "L'enfance pas à pas", "Les premiers pas vers l'autre", "Planète Autisme", "Entre toi et moi, l'empathie". Elle a produit et réalisé plusieurs séries de programmes courts pour la Maison des Maternelles dont "Les premiers liens", "Amitiés entre enfants", "1000 jours pour grandir" ainsi que la série "Handicap agir tôt" pour la campagne de prévention éponyme. Depuis 2019, elle poursuit son travail d’exploration des paysages de l'enfance avec les web séries "Tisser des liens", "De retour à la maison", "Allaiter et prendre soin de son bébé", "Eval Mater", "Les cercles d'empathie". Avec son organisme de formation certifié Qualiopi, elle produit des e-learning et organise des classes virtuelles et des formations en présentiel dans plusieurs régions de France et pour le parlement Européen.
Publications
Lumbroso V., Gratier M., Simeoni U., L'odyssée des 1000 premiers jours, Eds Marabout (2022).
Lumbroso V., Contini E., Premières années, premiers liens, Préface de Boris Cyrulnik, Eds Nathan (2007), Eds De Boeck (2010).
Lumbroso V., Contini E., Marcher, parler, jouer, les années clé du développement de l'enfant, Préface de Serge Tisseron, Eds Nathan (2008), Eds De Boeck (2010).


Jennifer ANG : Loin des yeux : à quoi ressemblera notre intelligence morale dans un monde d'IA ?
Les nouvelles technologies, et notamment l'IA, sont développées dans le but principal de transférer le contrôle humain à des systèmes informatiques sophistiqués qui ont la capacité de fonctionner, d'apprendre et de prendre des décisions de manière indépendante sans intervention humaine, contrôles humains et explications humaines. La prise de décision étant laissée aux IA, nous avons déjà constaté une diminution du sens des responsabilités quant à la façon dont les vies humaines sont traitées, que ce soit dans le système de justice pénale, les pratiques d'embauche des RH ou l'utilisation de véhicules autonomes dans les déplacements quotidiens. Qu'est-ce que cet état de fait reflète sur notre raisonnement moral lorsque la technologie de l'IA est impliquée dans notre prise de décision ? Comment l'IA a-t-elle façonné nos expériences, nos pratiques et nos modes de vie, y compris notre intelligence morale ? Cette intervention traitera des changements et des défis possibles pour notre sens moral et notre sensibilité lorsque la prise de décision morale est "hors de vue".

Jennifer Ang est professeure agrégée de philosophie à l'université des sciences sociales de Singapour. Elle est l'auteure de Sartre et les limites morales de la guerre et du terrorisme et d'un livre à paraître, Le manque de pardon envers l'injustice. Elle a publié des articles sur des sujets tels que les interventions humanitaires, les préjudices moraux, le pardon et le pardon de soi, l'existentialisme et le bien-être, et la responsabilité conjointe. Ses recherches actuelles visent à étudier les nouvelles compréhensions de la philosophie de la technologie/IA et de la philosophie de l'espace dans les villes axées sur les données.

Noga ARIKHA
Noga Arikha est philosophe, historienne des idées et essayiste. Elle est l'auteur de Passions and Tempers : A History of the Humours (Ecco/HarperCollins, 2007), The Ceiling Outside : The Science and Experience of the Disrupted Mind (Basic Books, 2022), d'une biographie à venir de l'anthropologue Franz Boas (Yale University Press), et de nombreux essais. Elle travaille au-delà des frontières disciplinaires en tant que "humaniste des sciences", favorisant les dialogues entre les neurosciences et la psychologie, les sciences humaines, les arts et les sciences sociales. Associate Fellow du Warburg Institute (où elle a obtenu son doctorat en 2001) et chercheuse associée à l'Institut Jean Nicod (Paris), elle est actuellement Visiting Fellow à l'Institut universitaire européen de Florence.

Frédéric BEVILACQUA
Frédéric Bevilacqua est directeur de recherche à l'IRCAM et responsable de l'équipe "Interaction, son musique mouvement". Son travail concerne l'interaction gestuelle et l'analyse du mouvement pour la musique et le spectacle vivant. Les applications de ses recherches vont des instruments de musique numériques à la rééducation guidée par le son. Il a coordonné plusieurs projets comme "Interlude sur les nouvelles interfaces pour la musique" (Prix ANR du Numérique 2013, Prix Guthman 2011 des nouveaux instruments de musique) ou encore les projet "ANR Legos" et "ELEMENT" sur l'apprentissage dans les systèmes interactifs musicaux. Après des études scientifiques et musicales (Master en physique et doctorat en optique biomédicale de l'EPFL, Berklee College of Music de Boston), il a été chercheur à l'université de California Irvine (UCI), avant de rejoindre l'Ircam en 2003.

Drina CANDILIS-HUISMAN
Drina Candilis-Huisman est psychologue, psychanalyste, maître de conférences, HDR, Université de Paris Diderot. Enseignant-chercheur à l'UFR sciences humaines cliniques, ses travaux portent sur la périnatalité et plus particulièrement des problématiques liées au désir d'enfant et à la mise au monde. Elle est aussi formatrice à l'échelle de Brazelton. Elle a travaillé pendant 10 ans à un accueil spécifique de la parentalité chez les personnes en situation de handicap (sensoriel et moteur) aux côtés d'Edith Thoueille et Martine Vermillard à l'Institut de puériculture de Paris.
Dernières publications
"La main qui voit, observation d'un bébé voyant et de sa mère aveugle", Enfance et psy, Numéro spécial sur le regard, 2008.
"Psychopathologie du travail "utérin" de l'accouchement", in Maternités traumatiques, sous la dir. de Jacques André, Paris, PUF, 2010.
Rencontre avec TB.Brazelton, Ce que nous apprennent les bébés, Toulouse, érès, 2011.

Sébastien DERÉGNAUCOURT : Apprentissage du chant chez l'oiseau : entre le naturel et l'artificiel
L'humain est un animal qui entretient des rapports variés avec les autres animaux. Ces rapports sont fortement influencés par les pratiques culturelles et la manière de considérer le vivant. Ainsi, on distingue différentes catégories d'animaux : sauvages, domestiques, de laboratoire, de loisir, de compagnie, de service, de rente… Certaines espèces peuvent être classées dans plusieurs de ces catégories.
Les animaux sont très présents dans la vie et dans l'imaginaire des enfants humains, de l'animal de compagnie à l'ours en peluche en passant par le personnage parlant de dessin animé.
Comme chez l'humain, l'ontogenèse de nombreuses espèces animales dépend de soins parentaux et l'acquisition de performances qui augmentent les chances de survie est facilitée par la présence des pairs. À l'instar des enfants humains qui apprennent à parler en écoutant les autres, les jeunes oscines (oiseaux chanteurs) apprennent à chanter en écoutant les membres de leur espèce. Le chant des oscines est un modèle biologique de choix pour étudier les bases neurobiologiques de l'apprentissage vocal, une composante importante du langage humain. Chez le Diamant Mandarin (Taeniopygia guttata), seuls les mâles chantent et ils apprennent à chanter pendant une période sensible de la vie précoce (les trois premiers mois de la vie) en imitant principalement le chant paternel. Chez d'autres espèces comme le Canari (Serinus canaria), l'apprentissage peut se prolonger au-delà de la première année de vie. Différentes procédures expérimentales ont été utilisées en laboratoire pour apprendre à chanter à de jeunes diamants mandarins. Lorsqu'un jeune oiseau est élevé avec un mâle adulte, il développe un chant qui est une copie fidèle du chant de son tuteur. Si on diffuse le modèle de chant à imiter par haut-parleur, le succès d'apprentissage est relativement réduit. Nous avons développé un robot-oiseau que nous avons utilisé avec succès pour apprendre à chanter à de jeunes diamants mandarins. Nous avons montré l'importance de la contingence comportementale (les actions du robot dépendent du comportement du jeune diamant mandarin) sur l'intérêt que porte l'oiseau au robot.
Autour de ce résultat prometteur qui permet de contrôler de manière expérimentale en laboratoire le processus d'apprentissage vocal chez l'oiseau, voici différentes questions qui seront abordées au cours de ma présentation : que représente le robot pour le jeune oiseau ? le considère-t-il comme un agent social aussi pertinent qu'un individu de son espèce ? Les cas d'instruction restent relativement rares dans le règne animal et l'utilisation d'un chant adressé au jeune, à l'instar du discours adressé à l'enfant (infant directed speech) reste discuté chez le Diamant Mandarin. Comment un oiseau adulte se comporterait il face à un robot apprenant qui imite son chant ?
Enfin, au niveau sociétal, les robots peuvent-ils remplacer les animaux qui nous entourent ? Quels types de robot peut-on imaginer pour augmenter la qualité de vie des animaux qui nous entourent, y-compris les (jeunes) humains ?

Sébastien Derégnaucourt est professeur d'éthologie à l'université Paris Nanterre et directeur du Laboratoire Éthologie Cognition Développement. Il est président de l'Institut Francilien d'Éthologie depuis 2023. Il a été membre junior de l'Institut Universitaire de France de 2013 à 2018. Depuis le début de sa carrière scientifique, il s'est spécialisé dans l'étude de la communication vocale chez les oiseaux. Au cours de ses séjours post-doctoraux au City College de New York et à l'Institut Max Planck de Seewiesen (Allemagne), il s'est principalement intéressé aux transformations vocales au cours de l'ontogenèse, et ses recherches ont porté en particulier sur les effets du sommeil et de la mélatonine sur l'apprentissage vocal. Depuis son recrutement en 2011 à l'université Paris Nanterre, il a décidé de focaliser ses recherches autour de deux questions concernant les origines de l'apprentissage vocal : 1) pourquoi certaines espèces sont capables d'imitation vocale ? 2) Comment leur environnement social peut affecter leur production vocale ? Il est actuellement le coordinateur d'un programme interdisciplinaire financé par l'ANR visant en particulier à développer des robots comme tuteurs de chant pour de jeunes oiseaux.

Rana ESSEILY
Rana Esseily est professeure de psychologie du développement à l'université Paris Nanterre et membre du LECD (Laboratoire Éthologie, Cognition, Développement). Elle a été membre junior de l'IUF (2016-2021). Ses travaux de recherche portent sur le développement de la cognition sociale entre un an et six ans. Elle s'intéresse particulièrement aux liens entre les processus d'apprentissage et de coopération et des facteurs interactionnels tels que l'humour, la synchronisation dans les interactions ou la gémellité.

Katerina FOTOPOULOU
Katerina Fotopoulou est professeur de neurosciences psychodynamiques à l'University College London au Royaume-Uni. Elle a étudié la psychologie à Athènes, en Grèce, avant de terminer sa maîtrise en neuropsychologie cognitive et en psychanalyse théorique à luUCL, au Royaume-Uni. Elle a ensuite mené son doctorat en neurosciences cognitives à l'université de Durham, au Royaume-Uni et, plus récemment, un doctorat clinique en conseil existentiel et en psychologie psychothérapeutique au NSPC, au Royaume-Uni, ce qui a conduit à son inscription auprès de la British Psychological Society des professions de la santé du Royaume-Uni. Elle exerce actuellement en tant que clinicienne libérale dans le nord-ouest de Londres. Les recherches de Katerina visent à comprendre l'interface entre la santé mentale et la santé somatique et, à terme, à faire progresser le traitement des troubles de santé connexes, notamment l'inconscience suite à un accident vasculaire cérébral, les troubles fonctionnels moteurs et de l'alimentation. Katerina a publié plus de 100 articles et édité le volume Fotopoulou, A., Conway, M.A., Pfaff, D., From the Couch to the Lab: Trends in Psychodynamic Neuroscience, Presse universitaire d'Oxford, 2012.

Didier GRANDJEAN
Didier Grandjean est professeur ordinaire au Département de psychologie et des sciences de l'éducation et au Centre suisse des sciences affectives de l'université de Genève. Il a réalisé sa thèse en 2005 sous la direction de Klaus Scherer sur la dynamique des processus d'évaluation par méthodes électroencéphalographiques. Il a publié plus de 150 articles évalués par des pairs dans des revues scientifiques internationales en psychologie et en neurosciences sur les processus émotionnels liés à la perception et à la production de la prosodie émotionnelle, aux processus d'évaluation, à l'émergence des sentiments, à la musique et à l'émotion, à l'olfaction et à l'émotion, ainsi qu'à la perception et à la production des expressions faciales émotionnelles.

Tim INGOLD
Professeur émérite d'anthropologie sociale à l'université d'Aberdeen, membre de la British Academy et de la Royal Society of Edinburgh, Tim Ingold a mené des recherches à l'interface entre l'anthropologie, l'archéologie, l'art et l'architecture. Il est l'auteur de nombreux ouvrages traduits en français comme Une brève histoire des lignes, Marcher avec les dragons ou L'anthropologie comme éducation. Son dernier ouvrage (pas encore traduit) The rise and fall of generation now a été publié en 2023.

Maria-Danae KOUKOUTI
Maria-Danae Koukouti est associée de recherche à l'Institut d'archéologie de l'université d'Oxford, au Royaume-Uni et a étudié l'anthropologie sociale à l'université de Cambridge. Elle est co-auteur (avec L. Malafouris) de An Anthropological Guide to the Art and Philosophy of Mirror Gazing (Bloomsbury, 2020). Elle a publié ses travaux dans le Journal of Consciousness Studies et Multimodality & Society.

Annamaria LAMMEL : L'éco-anxiété : comment les enfants perçoivent-ils le changement climatique ?
Le monde est confronté à des transformations d'une ampleur, d'une rapidité et d'une étendue sans précédent. Cette conjoncture est marquée par une triple crise environnementale, englobant le changement climatique, la perte de biodiversité, l'épuisement des ressources naturelles et la pollution. Ces phénomènes constituent une menace réelle pour la biosphère, donc pour les êtres humains. En même temps, la domination technologique et le maintien du modèle économique conventionnel, orienté vers la croissance perpétuelle, cherchent à promouvoir des solutions prétendument miraculeuses à ces problèmes. Dans cet environnement ambigu, une nouvelle forme de détresse psychologique émerge : l'éco-anxiété. On peut considérer cela comme un syndrome culturel, qui reflète les tensions et les angoisses provoquées par les défis environnementaux actuels et l'incertitude de trouver des solutions. Les enfants, en raison de leurs limites en termes d'expérience, de compréhension du monde et de possibilités d'action, se révèlent particulièrement vulnérables à cette forme d'anxiété. Dans la présente communication, nous allons présenter les résultats d'une recherche empirique qui a été financée par un projet de l'ANR. Cette étude a été menée auprès d'enfants et d'adolescents résidant en France métropolitaine, dans la région parisienne, dans la région de Chamonix (Alpes), dans des territoires insulaires de la Nouvelle-Calédonie et la Guyane française. Nous allons analyser en particulier leur perception du changement climatique, leurs prévisions concernant les conséquences futures de ce dernier, leurs réactions émotionnelles et leurs stratégies d'adaptation en y intégrant les variables culturelles et environnementales.

Annamaria Lammel est professeure émérite à l'université Paris 8, affiliée au Laboratoire Paragraphe. Elle possède une triple formation en anthropologie, psychologie cognitive et linguistique (Université des Sciences Eötvös Lorand de Budapest, l'EHESS de Paris, l'université de Carleton à Ottawa). Ses recherches portent sur l'influence de la culture et de l'environnement bio-physique sur le développement humain, menées notamment sur le terrain auprès des Amérindiens Totonaques au Mexique, des Inuits au Canada, ainsi que dans les territoires d'outre-mer français et dans la région parisienne. Ces travaux ont permis d'identifier le passage d'une enfance "naturelle" à une enfance "technologique" et l'émergence des "cyborg-enfants". Elle a étudié la perception des changements climatiques chez les enfants, leurs capacités d'adaptation et leurs ressentis face aux menaces environnementales. Elle est auteure principale des deux derniers rapports du GIEC et experte nommée par les Nations Unies sur les perspectives de l'environnement mondial.
Publications
Lammel, A. (2021), L'esprit connecté. Connaissances culturelles et cognition, Paris, Éditions L'Harmattan.
Katz, E. Lammel, A. Hémond, A. & Goloubinoff, M. (2021), "La terre et la pluie. Cosmogonie et savoirs amérindiens sur le climat au Mexique", in Metzger A., Acclimatations. Sur le terrain des cultures climatiques, Paris, Éditions Hermann, pp. 77-97.
Gutiérrez, E. G., Lammel, A., & Meunier, J. M. (2016), "Les enfants face aux menaces environnementales : La représentation de la pollution", Enfance, (3), 299-313.
Lammel, A. (2001), "Les "cyborg-child" : les effets des cyber technologies sur le développement humain", Champ Psychosomatique, 22, pp. 51-71.

Lambros MALAFOURIS
Lambros Malafouris est professeur d'archéologie cognitive et anthropologique à l'Institut d'archéologie et chercheur à Hertford College, Université d'Oxford. Il est l'auteur de How Things Shape the Mind (MIT press, 2013) et An Anthropological Guide to the Art and Philosophy of Mirror Gazing (Bloomsbury, 2020, avec Maria-Danae Koukouti). Il a édité The Cognitive Life of Things (Cambridge 2010, avec Colin Renfrew), The Sapient Mind (2009, Oxford University Press, avec Colin Renfrew et Chris Frith) et Material Agency (2008, Springer, avec Carl Knappett). Lambros Malafouris est actuellement chercheur principal de HANDMADE financé par le Conseil européen de la recherche (ERC).

Cécile MONT-REYNAUD
Le parcours de Cécile Mont-Reynaud la mène de l'architecture au cirque, en passant par le théâtre et la danse. Après des études littéraires, elle commence le trapèze et les aériens en 1995 avec le maître Pierre Bergam puis Michel Nowak, Zoé Maistre et Gérard Fasoli, terminant en même temps des études d'architecture intérieure et de design à l'École Camondo. En 1998, elle mêle ces expériences de l'espace et du corps au sein du Laboratoire d'Étude du Mouvement, à l'école de théâtre Jacques Lecoq. Elle continue à puiser dans différents domaines complémentaires (danse contemporaine, clown, chant, théâtre gestuel, BMC®, étude de l'anatomie), cherchant à développer dans ses œuvres des qualités de présence, de dramaturgie, d'émotion et d'échange. Dans ses premières années d'acrobate aérienne, elle participe à l'aventure du Teatro del Silencio de Mauricio Celedon, avec la création sous chapiteau d'Alice Underground, en tournée pendant 4 ans dans toute l'Europe et au Chili : un travail de l'émotion et du geste extrêmes, qui la plonge dans une dimension théâtrale du cirque. Elle collabore également avec le metteur en scène Gilles Zaepffel sur plusieurs créations acrobatiques et théâtrales à l'Atelier du Plateau à Paris entre 2000 et 2003, et le compositeur et metteur en scène Wilfried Wendling pour Müller Machines en 2012-13 à la Maison de la Poésie à Paris et en tournée nationale, aux côtés de Denis Lavant et Kasper Toeplitz.

Catherine MORVAN & Jean-Claude OLEKSIAK
Catherine Morvan (comédienne et chanteuse) et Jean-Claude Oleksiak (musicien) défendent la diffusion d'œuvres artistiques peu montrées, auprès d'enfants de tous les âges. Ils sont persuadés qu'il faut nourrir l'enfant de ce qu'il y a de plus original et délicat. Dans un monde où tout s'accélère, ils aiment amener l'enfant, dès son plus jeune âge, à contempler et à rêver.
Compagnie Les Bruits de la Lanterne

Alexandre PITTI
Alexandre Pitti est membre du laboratoire ETIS, CNRS, CY Cergy-Paris Université et ENSEA. Il est professeur à l'ENSEA et responsable de l'équipe Neurocybernétique. Ses recherches ont pour thème l'Intelligence Artificielle Incarnée, la robotique développementale, la modélisation des mécanismes d'apprentissage chez l'enfant, l’intégration multimodale, le contrôle visuomoteur et langage.

Vasudevi REDDY
Vasudevi Reddy est professeur émérite de psychologie du développement et culturelle à l'université de Portsmouth, au Royaume-Uni. Elle a grandi en Inde et a effectué son doctorat à Édimbourg. Elle s'intéresse aux engagements émotionnels quotidiens tels que les taquineries, les clowneries, l'exhibe et le sentiment de timidité, ainsi qu'à leur importance à la fois pour révéler et créer une conscience interpersonnelle. Elle a défendu l'importance d'une approche à la deuxième personne pour connaître l'esprit des autres, remettant en question l'emprise de la théorie de la "théorie de l'esprit" en psychologie du développement. Elle s'intéresse à la manière dont les engagements interpersonnels tels que la taquinerie et l'humour incarnent les processus culturels, les maintiennent vivants et se développent. Elle explore actuellement le rôle du psychologue en tant qu'être culturel et personne impliquée dans ces phénomènes. Elle est l'auteur de How Infants Know Minds publié par Harvard University Press en 2008 et ensuite traduit dans d'autres langues. Elle a co-écrit un livre sur l'humour et la petite enfance avec Gina Mireault, publié par Springer en ligne en 2016. Ses intérêts pour l'engagement s'étendent au-delà de la petite enfance — jusqu'aux engagements dialogiques avec l'argile. Elle est potière depuis dix ans, travaillant avec des textures en argile, et est actuellement présidente du Southern Ceramic Group dans le sud de l'Angleterre.

Emmanuelle SOLER
Philosophe de formation, Emmanuelle Soler est cueilleuse d'enfance pour Minute papillon, un projet de radio avec et pour les enfants. Elle anime une émission sur Radio Agora à Nanterre depuis mars 2016 et anime des actions culturelles (lectures, discussions philosophiques, ateliers d'écriture et de lecture) sur le territoire national, qu'elle enregistre et propose ensuite sous forme de "cartes postales sonores". Elle aime cueillir des perles d'enfance, faire entendre cette poésie, ce décalage et cet enthousiasme que les petits partagent avec les artistes. Elle écrit dans les trains. Et les voyages écrivent sa vie.

Tereza STEHLIKOVA
Tereza Stehlikova est une artiste et éducatrice tchèque/britannique actuellement basée à Prague. Elle est titulaire d'un doctorat du Royal College of Art, où elle a mené des recherches sur le langage tactile de l'image en mouvement. Dans le passé, elle a été maître de conférences à l'université de Westminster, ainsi que directrice de doctorat au RCA. Tereza Stehlikova est engagée dans une recherche interdisciplinaire, étudiant comment l'image en mouvement peut être utilisée pour communiquer une expérience incarnée, en explorant l'esthétique et l'incarnation multisensorielles. Elle est fondatrice de Sensory Sites, un collectif international basé à Londres, générant des expositions collaboratives, des installations et des projets de recherche qui explorent la perception multisensorielle et l'expérience corporelle. Elle a également lancé une revue/plateforme artistique en ligne Tangible Territory, présentant des essais et des articles d'artistes/auteurs établis du monde des arts, des sciences et de la philosophie, tous centrés sur le rôle que jouent nos sens dans la création de sens dans l'art et la vie.

Serge TISSERON : Quels liens nos enfants tissent-ils avec des robots ?
La robotique porte d'immenses espoirs, mais contient aussi de nombreux risques : oublier que les objets numériques sont connectés en permanence à leur fabricant et nous imposent les solutions de leurs programmeurs ; oublier qu'ils sont des machines à simuler qui n'éprouvent ni émotions, ni souffrances ; nous attacher à eux au-delà du raisonnable ; et peut-être même les voir comme des modèles possibles pour l'homme, au point d'attendre de celui-ci les mêmes qualités de fiabilité… et de simulation. Ces risques concernent particulièrement les enfants chez lesquels la capacité de contrôle des émotions et la prise de recul sont moins développées, bien que les résultats de la recherche montrent que si les enfants partagent avec les robots les mêmes attentes qu'avec les humains, ils ne portent pas la même appréciation sur la qualité de leur relation avec eux. La prévention des risques passe par des mesures à la fois législatives, technologiques et éducatives. Et une extrême vigilance de chacun.

Serge Tisseron est psychiatre, titulaire d'un doctorat en psychologie et membre de l'Académie des technologies. Il réalise la première thèse sous forme de bande dessinée (1975), puis découvre le secret de la famille Hergé grâce à la seule lecture des albums Tintin (1983). En 2007, il imagine les repères "3-6-9-12, pour apprivoiser les écrans", soutenu par l'association "Trois, Six, Neuf, Douze", et l'activité théâtrale baptisée "Jeu des Trois Figures" pour développer l'empathie de la maternelle à la 6e année, soutenu par le Ministère de l'Éducation Nationale. En 2008, en collaboration avec le MEDDE, il crée également l'Institut d'histoire et de mémoire des catastrophes (IHMEC), puis le site "memoiresdescatastrophes.org, la mémoire de chacun au service de la résilience de tous", et en 2013 l'Institut d'Étude des Relations Homme-Robot (IERHR). Il a réalisé un film inclassable de 45 minutes, mêlant images animées et prises de vue en direct, pour accompagner l'hommage que lui rend la Bibliothèque nationale de France le 30 novembre 2019 : Tisseron à la recherche de Serge. L'intégralité de ses archives, dessins, textes inédits et photographies peuvent être consultés à la Bibliothèque Nationale de France.

Vincent VERGONE : Les enfants, l'art et la nature face à l'inflation technologique
En quoi l'approche artistique permet-elle de cultiver une relation sensible entre les jeunes enfants et leur milieu naturel ? Au travers d'exemples concrets, je témoignerai du rôle des arts du sensible dans le rapport au vivant, interrogeant les notions de créativité, de sens, de beauté et de libre jeu. Je chercherai à définir la distinction entre les arts de la relation et ceux de la culture hors sol. Enfin, dans le contexte d'un péril écologique, je soulignerai la nécessité d'interroger en profondeur la culture de la domination de la nature, celle des enfants et des écosystèmes.

Echanges avec le public après la représentation d'Enfant d'après demain
Le spectacle Enfant d'après demain répond à une demande souvent réitérée par de nombreux chercheurs et chercheuses en l'écologie scientifique. Constatant que l'approche rationnelle s'avère impuissante pour susciter une prise de conscience de nombreuses sont celles et ceux qui appellent à aborder la réalité du péril écologique avec les outils du rêve et de l'émotion. À l'inverse, l'éco-anxiété pose un véritable problème. Le spectacle propose une approche sensible et poétique sur ces thèmes. Après la représentation nous ouvrirons un espace de libre parole pour recueillir les témoignages du public, afin d'évaluer la pertinence de notre démarche.

Sculpteur, et metteur en scène, Vincent Vergone créé ses premiers spectacles pour la petite enfance au début des années 90. Défendant une culture exigeante pour le jeune public, il réalise plus d'une vingtaine de spectacles et d'installations, qui mêlent musique, poésie, marionnettes et lanternes magiques. Soucieux de lutter contre l'exclusion culturelle, il créé des lieux de culture expérimentaux enfants/parents dans le département du 93 (Espace libre culture, La Mirabilia, le Laep-Art). En 2008, il est l'un des initiateurs du Festival "Un neuf trois Soleil !". La nature prend une place prépondérante dans son travail et, en 2016, il crée le Jardin d'Émerveille dans le Parc de la Poudrerie, puis en 2020 le Maquis d'émerveille sur la Butte Montmartre. Avec sa compagnie, Les Demains qui Chantent, il défend une culture engagée dans la relation à la Nature. Son travail pionnier sur les rapports entre art, enfant et nature, le conduit à participer à des colloques et à collaborer à des projets de recherche. Il publie de nombreux articles et trois livres : Libre-jardin d'enfants, Enfants par nature et Journal d'un jardinier de l'enfance.


BIBLIOGRAPHIE :

Articles

• Ang, J. M. S. (2017), "Moral dilemmas and moral injury", International Journal of Applied Philosophy, 31(2), 189-205.
• Araguas, A., Guellaï, B., Gauthier, P., Richer, F., Montone, G., Chopin, A., & Derégnaucourt, S. (2022), "Design of a robotic zebra finch for experimental studies on developmental song learning", Journal of Experimental Biology, 225(3), jeb242949.
• Gratier, M. & Arikha, N. (2023), "Adrift in a sea of stories and how to come back to our senses", Tangible Territories, Issue 5.
• Derégnaucourt, S., Araguas, A., & Guellaï, B. (2023), "Technological advances for getting insight into the learning capacities of birds in the vocal domain", Interaction Studies, 24(2), 289-310.
• Esseily, R., Guellaï, B., Chopin, A., & Somogyi, E. (2017), "L'écran est-il bon ou mauvais pour le jeune enfant ? Une revue de la littérature sur la prévalence de l'écran et ses effets sur le développement cognitif précoce", Spirale, 83(3), 28-40.
• Garcia‐Pelegrin, E., Clark, F., & Miller, R. (2022), "Increasing animal cognition research in zoos", Zoo Biology, 41(4), 281-291.
• Garcia-Pelegrin, E., Schnell, A. K., Wilkins, C., & Clayton, N. S. (2021), "Exploring the perceptual inabilities of Eurasian jays (Garrulus glandarius) using magic effects", Proceedings of the National Academy of Sciences, 118(24), e2026106118.
• Grandjean, D. (2021), "Brain networks of emotional prosody processing", Emotion Review, 13(1), 34-43.
• Filippa, M., Gratier, M., Devouche, E., & Grandjean, D. (2018), "Changes in infant-directed speech and song are related to preterm infant facial expression in the neonatal intensive care unit", Interaction Studies, 19(3), 427-444.
• Schaerlaeken, S., Glowinski, D., & Grandjean, D. (2022), "Linking musical metaphors and emotions evoked by the sound of classical music", Psychology of Music, 50(1), 245-264.
• Guellaï, B., Somogyi, E., Esseily, R., & Chopin, A. (2022), "Effects of screen exposure on young children's cognitive development : A review", Frontiers in Psychology, 13, 923370.
• Lammel, A. (2001), "Les "cyborg child" : les effets des cyber technologies sur le développement humain", Champ psychosomatique, 2(22), 51-69.
• Malafouris, L., & Koukouti, M. D. (2020), "Thinging beauty. Anthropological reflections on the making of Beauty and the beauty of making", Reti, saperi, linguaggi, 7(2), 211-238.
• Price, S., Bianchi-Berthouze, N., Jewitt, C., Yiannoutsou, N., Fotopoulou, K., Dajic, S., … & Brudy, F. (2022), "The making of meaning through dyadic haptic affective touch", ACM Transactions on Computer-Human Interaction, 29(3), 1-42.
• Ciaunica, A., Constant, A., Preissl, H., & Fotopoulou, K. (2021), "The first prior : from co-embodiment to co-homeostasis in early life", Consciousness and cognition, 91, 103117.
• Zheng, C. Y., Wang, K. J., Wairagkar, M., Von Mohr, M., Lintunen, E., & Fotopoulou, K. (2021, July), "Comparing soft robotic affective touch to human and brush affective touch", in 2021 IEEE World Haptics Conference (WHC), 352-352).
• Reddy, V., & Mireault, G. (2015), "Teasing and clowning in infancy", Current Biology, 25(1), R20-R23.
• Reddy, V. (2019), "Meeting infant affect", Developmental psychology, 55(9), 2020.

Ouvrages

• Arikha, N. (2022), The Ceiling Outside : The Science and Experience of the Disrupted Mind, Hachette UK.
• Candilis-Huisman, D. & Dugnat, M. (2017), Bébé Sapiens. Du développement épigénétique aux mutations dans la fabrique des bébés, Colloque de Cerisy, érès.
• Candilis-Huisman, D. (2011), T. Berry Brazelton, ce que nous apprennent les bébés, érès.
• Dahl, S., Bevilacqua, F., & Bresin, R. (2010), Gestures in performance, In musical Gestures (pp. 48-80), Routledge.
• Gratier, M. (2007), Musicalité, style et appartenance dans l'interaction mère-bébé, Temps, geste et musicalité, L'Harmattan, Paris, 69-99.
• Gratier, M., & Lumbroso, V. (2022). L'odyssée des mille premiers jours, Éditions Hachette.
• Koukouti, M. D., & Malafouris, L. (2020), "Material imagination : An anthropological perspective", The Cambridge handbook of the imagination, 30-46.
• Lammel, A. (2021), L'esprit connecté, connaissances culturelles et cognition, L'Hharmattan.
• Malafouris, L. (2013), How things shape the mind, MIT press.
• Malafouris, L. (2004), "The cognitive basis of material engagement : where brain, body and culture conflate", Rethinking materiality : The engagement of mind with the material world (pp. 53-61), Cambridge, McDonald Institute Monographs.
• Pfeifer, R., & Pitti, A. (2012), La révolution de l'intelligence du corps, Manuella éd.
• Pitti, A. (2019), "Robotique développementale et intelligence artificielle "incorporée" : questions éthiques du point de vue du robot", La société robotisée. Enjeux éthiques et politiques, 135.
• Reddy, V. (2008), How infants know minds, Harvard University Press.
• Stehlíková, T. (2012), Tangible Territory : Inviting the Body into the Experience of Moving Image, Royal College of Art (United Kingdom).
• Tisseron S. (2022), Vivre dans les nouveaux mondes virtuels. Concilier empathie et numérique, Paris, Dunod.
• Tisseron, S., Missonnier, S., & Stora, M. (2012), L'enfant au risque du virtuel, Dunod.
• Tisseron, S. (2015), Le jour où mon robot m'aimera, vers l'empathie artificielle, Albin Michel.
• Vergone, V. (2018), Libre jardin d'enfants : vivre et pensée une culture naturelle, Ressouvenances.

Programme 2024 : un des colloques

Programme complet


VULNÉRABILITÉ DU TRAVAIL DANS UN MONDE EN QUÊTE D'AVENIR


DU MARDI 11 JUIN (19 H) AU LUNDI 17 JUIN (14 H) 2024

[ colloque de 6 jours ]



ARGUMENT :

Depuis le dernier colloque de Cerisy sur le travail en 2018, les questions de numérisation, d'autonomisation croissante et du brouillage travail/hors travail ont été les principaux points de discussion. Cependant un enchaînement d'événements a posé au travail de nouvelles questions : les gilets jaunes, avec l'éclatement au grand jour des fracturations du monde du travail, la crise de l'ascenseur social, les débats sur "fin du monde vs fin du mois" ; la Covid (et l'opposition entre métiers "essentiels" et métiers "inutiles" ou, a minima, ceux dont on pourrait se passer quelque temps), puis l'expérimentation à grande échelle du télétravail ; l'accélération brutale de la prise de conscience écologique, et de notre fragilité énergétique, avec ses conséquences en termes d'éco-anxiété ; le "big quit", dans de nombreux domaines, qui repose la question du partage de la richesse et renouvelle les interrogations sur la "crise de sens", en particulier pour des jeunes générations considérées comme en rupture ; la guerre enfin, et sa perspective nucléaire, venue accentuer l'angoisse de la "fin du monde" déjà nourrie par la question écologique et le thème de l'"effondrement".

Tous ces événements font que nos certitudes et nos conceptions de l'avenir ont été sérieusement ébranlées. L'utopie d’un monde du travail qui glisserait doucement vers un labeur de plus en plus numérisé, autonome, réalisé dans des organisations de plus en plus flexibles et engagées vers le bien-être individuel (utopie en grande partie importée de la Silicon Valley), sans avoir disparu, paraît aujourd'hui presque irénique compte tenu des fragilités de nos sociétés révélées par l'enchaînement des crises. La vulnérabilité et l'avenir du travail sont les thèmes que nous mettons au cœur du troisième colloque de Cerisy sur cette thématique. Il réunira chercheurs et praticiens, avec des auditeurs intéressés par les sujets traités afin d'imaginer ensemble les transformations nécessaires et désirables du travail. L'avenir du travail à l'échelle nationale et internationale sera abordé sous trois angles complémentaires : d'une part les nouvelles attentes adressées au travail, d'autre part les critiques que font peser ces attentes sur les cadres institutionnels du travail d'aujourd'hui, enfin les nouvelles responsabilités qui pèsent sur les organisateurs du travail de demain.


MOTS-CLÉS :

Développement des sujets, Digitalisation, Enjeux écologiques, Histoire du travail, Numérisation, Organisation alternative, Quête d'avenir, Santé mentale, Solidarité, Transformation digitale, Travail, Vulnérabilité


CALENDRIER DÉFINITIF :

Mardi 11 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants


Mercredi 12 juin
HISTOIRE DE L'AVENIR DU TRAVAIL | Présentation
Matin
Cédric DALMASSO, Frédérique DEBOUT COSME, Frédéric GARCIAS & Christian GUIBERT : Ouverture du colloque
Christel FREU : Un Empire au travail : la variété des statuts de travail des populations sous la Rome ancienne
Patrick FRIDENSON : Le "moment années 1970" : une crise du travail ?

Après-midi
Matthieu PAVAGEAU : L'ANACT, retour sur 50 ans d'action partenariale sur le travail demain
Cyril COSME : L'OIT, une perspective centenaire sur le travail et la justice sociale [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]
Frantz ROWE : L'intelligence artificielle au travail, en perspective et en question

Soirée
Sonia ADAM-LEDUNOIS & Sébastien DAMART : De Blade Runner à The expanse ou les figures du travail revisitées ?


Jeudi 13 juin
LES SOLIDARITÉS DU TRAVAIL | Présentation
Matin
Henri BERGERON & Patrick CASTEL : Sociabilité, coopération et satisfaction au travail. Une hypothèse de sociologie des organisations

Les nouvelles vulnérabilités du travail vues par les DRH et les syndicats, table ronde avec Olivier CARLAT, Zinaida LESSITCHKOVA et Anne-Florence QUINTIN

Après-midi
Stéphane VEYER : Travail et mouvement coopératif
Cécile BRIEC : Travailler au sein d'une SCOP, une organisation favorable à l'émancipation ?

Vernissage de l'exposition"Le climat tique ?" de Damien HUYGHE


Vendredi 14 juin
LE TRAVAIL FACE AU DÉFI ÉCOLOGIQUE | Présentation
Matin
Haud GUÉGUEN : Travail et nature : une perspective marcusienne
Alexis CUKIER : Travail vivant et écologie politique [visioconférence]

Le travail face au changement climatique, dialogue entre Aline DRONNE et Laure GIRODET

Après-midi
"HORS LES MURS" — À AGNEAUX
Visite de l'Établissement et Service d'Aide par le Travail (ESAT Saint-Lô / Condé)

Soirée
Projection d'un film sur le travail et l'écologie


Samedi 15 juin
Matin
LE TRAVAIL FACE AU DÉFI ÉCOLOGIQUE | Présentation
Philippe ASKENAZY : Défi climatique et démocratie au travail
Stéphane LE LAY : Pourquoi est-il impossible de comprendre les transformations écologiques sans prise en compte de la centralité du travail ?

Intervenir pour travailler autrement demain, dialogue entre Stéphane BALAS et Viviane FOLCHER

Après-midi
ACCROISSEMENT SUBJECTIF ET SANTÉ AU TRAVAIL | Présentation
Frédérique DEBOUT COSME : Construction de l'avenir et engagement dans le travail au présent
Cédric DALMASSO : Santé mentale au travail et évolution des régimes de responsabilité

Invisibilité du travail, invisibilité au travail, tyrannie de la transparence, table ronde avec Christine DEPIGNY-HUET, Dominique MASSONI et Elisabeth PÉLEGRIN-GENEL


Dimanche 16 juin
L'AVENIR DU TRAVAIL : NUMÉRISATION, DIGITALISATION ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE | Présentation
Matin
Anca BOBOC : La vulnérabilité du travail face au numérique : la capacité d'agir des acteurs
Marc-Eric BOBILLIER CHAUMON : La travail a-t-il encore un avenir avec les technologies émergentes ?
Sophie HOOGE : Comment penser collectivement un travail productif désirable hors du cadre de performance de l'industrie X.0

Après-midi
Frédéric GARCIAS : Un voyage au pays du "Future of Work". Socio-histoire (récente) d'un corpus

Transformation digitale et bien-être au travail, table ronde avec Marine BACONNET (De la responsabilité sociale aux pratiques industrielles. Étude de cas dans l'industrie textile), Yann HILAIRE et Justine RAYSSAC (Transformation industrielle 4.0 : la figure de l'opérateur 4.0 face à la figure de l'artisan horloger)


Lundi 17 juin
Matin
Rapports d'étonnements
Discussion générale
Synthèse et conclusions

Après-midi
DÉPARTS


PRÉSENTATIONS DES THÉMATIQUES :

HISTOIRE DE L'AVENIR DU TRAVAIL
Si l'entreprise repose sur la vision d'un avenir à construire, qu'il s'appelle "projet", "mission", ou plus classiquement "stratégie", l'engagement dans le travail ne peut exister sans une promesse d'avenir. Participer à une œuvre commune, croire en un salut (théologique chez Weber, ou révolutionnaire chez Marx), espérer une ascension sociale (dans une vision plus libérale) ont été les véhicules de cette promesse. Les tendances de ces dernières décennies avaient déjà posé la question du rapport à l'avenir dans un capitalisme de plus en plus court-termiste et financiarisé qui érodait sérieusement la notion même de projet collectif. Tout désigne une "crise de l'avenir" qui se manifeste de multiples manières : grande démission et fuite du salariat, débat fin du monde/fin du mois, éco-anxiété, incapacité des démocraties occidentales à proposer un projet mobilisateur et crédible. Le populisme et les tentations nostalgiques d'un retour en arrière s'en nourrissent. La multiplication de l'appel à des "transitions" incertaines renforce l'impression d'un enfermement collectif dans un système économique dans l'impasse. Mais quelles ont été, à différentes époques, les visions de l'avenir du travail et comment celles-ci peuvent-elles nous permettre d'envisager des imaginaires mobilisateurs ?

LES SOLIDARITÉS DU TRAVAIL
Au début des années 1980, les philosophes post-modernes parlaient de la "crise des grands récits". Ces récits semblent aujourd'hui s'être définitivement effondrés. La mobilisation autour d'une vision libérale et déverrouillée de la société (startup nation, retour de l'ascension sociale par l'entrepreneuriat, valorisation de la mobilité, etc.) se heurte au mur de la réalité. Réfléchir à l'avenir du travail, c'est questionner ce qui fonde et solidarise les communautés d'action et l'engagement des citoyens. La nature du travail, sa place dans la vie, ses modes d'organisation et de management, les principes de solidarité associés à ceux-ci renvoient à ses dimensions sociale, technique et politique du travail. Comment ont évolué les différents temps "du travail, de l'œuvre et de l'action" ? Quelles sont les nouvelles sociabilités en gestation, notamment entre générations ? Quelles réinventions des dispositifs de solidarités seraient en mesure de pérenniser ses sociabilités et d'éviter la fragmentation des collectifs de travail ?

LE TRAVAIL FACE AU DÉFI ÉCOLOGIQUE
Le récit écologique semble aujourd'hui le candidat le plus sérieux à la constitution d'un grand récit alternatif et mobilisateur, bien que potentiellement très déstabilisant. La "transition écologique" (si elle existe) conduira-t-elle à remettre du monde dans les champs pour un travail plus manuel (faute d'énergie), des secteurs entiers sont-ils appelés à s'effondrer avec la suppression de millions d'emplois (l'automobile, l'aérien…), les caisses de solidarité fondées sur le principe d'une croissance matérielle sont-elles inexorablement amenées à s'épuiser ? La "transition" pourrait tout autant mobiliser que décourager. Ce questionnement général, précipité par la confluence de plusieurs chocs brutaux, participe à la transformation du monde des affaires. Par exemple, la prise de conscience du changement climatique et la pandémie de la Covid-19 ont initié un processus de reconfiguration des chaînes de valeur à l'échelle mondiale. En parallèle, dans un contexte anxiogène, des appels répétés à l'instauration de fonctionnements plus démocratiques signalent une remise en cause de la légitimité des pouvoirs établis. Les débordements du travail contemporain, mus par la progression des sciences, des techniques et des technologies, mais aussi par le changement des mentalités, questionnent la pertinence des nomenclatures qui permettent de décrire les activités humaines et bousculent les pratiques de régulation qui les font exister.

ACCROISSEMENT SUBJECTIF ET SANTÉ AU TRAVAIL
Le monde du travail et les enjeux qui lui sont associés évoluent. L'histoire récente de la santé au travail nous offre, par exemple, l'occasion d'observer deux ruptures importantes. D'une part, nous voyons la place grandissante prise en Occident par les enjeux de santé mentale dans le déroulement de l'activité laborieuse ; d'autre part, les réflexions sur le travail, traditionnellement orientées sur le salariat de production de biens et de services, s'étendent à des activités moins étudiées comme les activités de conception, les activités libérales ou indépendantes ou encore le cumul d'activités. L'articulation entre le travail et l'activité hors emploi comme les occupations domestiques ou ludiques deviennent également une préoccupation majeure. Quelle est l'étendue de la souffrance et des problèmes de santé mentale dans le monde du travail ? Quelles sont les répercussions économiques et organisationnelles de ces situations délétères ? Comment permettre à l'entreprise et aux salariés de s'en prémunir ? Comment lutter contre la stigmatisation associée aux problèmes de santé mentale au travail ? Comment sensibiliser les employés, les employeurs et la société en général à l'importance de la santé mentale au travail ? Comment les technologies numériques et l'automatisation affectent-elles la santé mentale ? Comment peut-on s'assurer que l'utilisation de la technologie ne contribue pas à des problèmes de santé mentale, mais plutôt à des environnements de travail plus sains ?

L'AVENIR DU TRAVAIL : NUMÉRISATION, DIGITALISATION ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
L'évolution du travail vers un monde numérisé et digitalisé où se diffuse l'intelligence artificielle suscite des interrogations majeures. Les avancées technologiques redéfiniront-elles le travail ? Les opportunités innovantes compenseront-elles les préoccupations liées à l'automatisation du travail intellectuel et à la perte des emplois traditionnels ? La numérisation permet-elle de concilier travail et vie personnelle ? Comment les nouvelles technologies, comme la réalité immersive et l'intelligence artificielle générative, modifieront-elles le travail créatif ? Ces changements seront-ils compatibles avec un fonctionnement démocratique et inclusif dans l'entreprise ? Repenser les questions éthiques, la protection des données, la confidentialité et la responsabilité, apparaît comme crucial en vue d'assurer le respect des droits individuels. En somme, penser l'avenir du travail requiert de poser de nouveau les fondements de ce qui permet de faire société.


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Cédric DALMASSO : Santé mentale au travail et évolution des régimes de responsabilité
Comment les professionnels conçoivent et fabriquent des objets matériels et immatériels ? Nous analyserons quelques cas emblématiques d'entreprises en détaillant certains processus de création, de transmission, d'obsolescence et d'oubli des savoirs et savoir-faire. Nous nous étonnerons de la croissance des risques psychosociaux dans les professions intellectuelles et défendrons la thèse que l'une des causes de la dégradation de la santé mentale des professions supérieures réside dans l'inadéquation des choix stratégiques des grandes organisations, ce qui soulève la question de la responsabilité de ces dernières. Nous ferons l'hypothèse que les régimes traditionnels de responsabilité (pour faute et pour risque) sont insuffisants pour répondre aux nouveaux enjeux de santé mentale et de solidarité dans un contexte d'épuisement de la croissance thermo-industrielle. Le concept de "responsabilité pour vulnérabilité" sera alors proposé comme une nouvelle forme de protection.

Cédric Dalmasso est Directeur du Centre de gestion scientifique, Mines Paris - PSL. Il est président du Conseil scientifique de l'Agence national d'Amélioration des Conditions de Travail et membre élu du Conseil d'administration de l'université PSL, Président du Conseil d'orientation de l'Institut du Travail et du Développement Durable et membre du cercle de l'innovation au sein de la Fondation Paris Dauphine. Chercheur intervenant, il a mené plus d'une vingtaine de recherches collaboratives et est l'auteur de nombreux articles sur le lien entre stratégie, organisation et santé au travail.

Frédérique DEBOUT COSME : Construction de l'avenir et engagement dans le travail au présent
S'interroger de l'avenir du monde nous invite à d'une part, revenir sur ce qui constitue le monde et d'autre part, sur ce qui définit l'histoire. Parler de l'avenir inscrit nos réflexions sur le futur et le temps du côté de l'histoire, et non du côté de l'hérédité. Tout comme parler de monde inscrit le périmètre de nos réflexions du côté du côté de l'expérience du sens plutôt que du côté de l'objectivité d'un environnement physique et matériel. Inscrire nos réflexions du côté de l'avenir du monde nous contraint ainsi à penser le rapport au temps et à l'environnement naturel dans une perspective humaniste et donc fondamentalement critiquer la notion d'adaptation. Ce sera finalement l'objectif de notre propos : alimenter une critique de la notion d'adaptation pour penser le rapport de l'individu humain à la société comme à la nature. Ce point de vue se fondera sur les apports de la psychopathologie et de la psychodynamique du travail car selon nous, il n'y a pas d'avenir du monde envisageable si nos organisations du travail portent atteinte, voir déconstruisent la santé mentale.

Frédérique Debout Cosme est maîtresse de conférences en psychopathologie et psychodynamique du travail au Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris (Centre de recherche sur le travail et le développement). Elle est membre de la chaire de psychologie du travail mais aussi de l'Institut de Psychodynamique du Travail à Paris. Après une maîtrise de philosophie et de phénoménologie à la Sorbonne sous la direction de Jean-Luc Marion, elle a entamé un cursus de psychologie clinique. Ses premiers travaux portaient sur le corps, la technique et la psychose. Elle a travaillé quatre ans en ESAT puis douze ans en psychiatrie adulte, dans une unité d'accueil familial thérapeutique pour patients adultes de psychiatrie ; clinique sur laquelle a porté sa thèse de doctorat, sous la direction de Christophe Dejours. Elle mène des interventions collectives en psychopathologie et psychodynamique du travail et elle a également une activité de psychologue, psychothérapeute. Ses domaines de recherche et ses publications concernent la psychopathologie, le corps, le travail, le genre, le soin et l'écologie. Elle est membre de diverses sociétés savantes dont les société française et internationale de psychopathologie et psychodynamique du travail.

Frédéric GARCIAS
Frédéric Garcias est maître de conférences en sciences de gestion à l'IAE Lille (Université de Lille) et chercheur au LUMEN. Ses travaux portent sur les mécanismes de constitution et de perte des capacités organisationnelles, envisagées en particulier sous l'angle cognitif. Initialement, il a étudié le phénomène de "perte de compétences" à l'œuvre au sein des organisation de la filière nucléaire, et leur impact sur le travail des ingénieurs notamment. Plus récemment, il s'est intéressé à des formes émergentes d'organisation (plateformes de travail indépendant, sociétés à mission…) en cherchant à mieux comprendre les liens entre organisation du travail et dynamiques d'apprentissage ou de désapprentissage. Il est co-rédacteur en chef de la revue Entreprises et Histoire.

Christian GUIBERT
Christian Guibert est titulaire d'un DEA de didactique des disciplines et d'un DEA de sociologie du travail à l'université Paris 7. Il a occupé le poste de développement socio-organisationnel à la Direction des Ressources Humaines de la RATP, pris la responsabilité de l'observatoire social décentralisé de France Télécom, de la Direction du management du groupe France Télécom-Orange et enfin la direction de l'Institut des métiers, instance partenariale direction-syndicats, du Groupe Orange. Aujourd'hui retraité, il est membre du CA de L'Institut du Travail et du Management Durable, du conseil scientifique de l'Observatoire des cadres de la CFDT et du Cercle des partenaires de Cerisy.


Sonia ADAM-LEDUNOIS & Sébastien DAMART : De Blade Runner à The expanse ou les figures du travail revisitées ?
La science-fiction est un genre très hétérogène. Son histoire a montré les nombreuses voies empruntées depuis la fascination pour les sciences et la technologie jusqu'aux dystopies révélant les travers de nos sociétés contemporaines. Le travail est représenté dans les œuvres de science-fiction. Essentiellement, deux grandes catégories d’objectifs pointent. D'abord, la science-fiction révèle le design dominant des formes contemporaines du travail. Ce faisant, elle met au jour des invariants et les dimensions fondamentales de la relation de travail, ce qui, au passage, a pour effet d'affaiblir le potentiel de dépaysement de l'œuvre. Ensuite, elle met en scène une éthique du travail, pensée comme alternative et visant une critique et une dénonciation.

Titulaire d'un doctorat en sciences de gestion et management, Sonia Adam-Ledunois est maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches et directrice de la House of entrepreneurship à l'université Paris Dauphine-PSL. Ses travaux de recherche portent sur les coopérations en contexte de diversité, les problématiques d'intégration et d'inclusion sociale. Elle a plus particulièrement développé une expertise sur le dialogue entre science-fiction, management et prospective. Elle est investie dans des projets de recherche à visée d'impact sur la société et s'appuie centralement sur des démarches de recherche intervention ou recherche collaborative, en lien étroit avec des acteurs publics ou socio-économiques.

Sébastien Damart est Professeur à l'université Paris Dauphine-PSL. Ses travaux portent sur les formes innovantes de management. Dans cette perspective, il est conduit à mener ou co-animer différentes recherches sur l'histoire des pratiques et des idées en management. Il travaille également la thématique du management innovant sous d'autres angles. Récemment, il participe à différents projets de recherche sur le lien entre management et science-fiction.

Philippe ASKENAZY : Défi climatique et démocratie au travail
Repris par les organisations internationales du BIT à la Commission Européenne, le concept de transition juste peut apparaître comme un succès pour les syndicats. Pourtant, il peine à faire du monde du travail une force transformatrice, et à contrer le populisme anti-écologique. Cette communication, issue de réflexions avec Claude Didry (sociologue CNRS-CMH), explore des pistes pour dépasser la transition juste et promouvoir une démocratie au travail dans le domaine environnemental.

Philippe Askenazy est économiste du travail au Centre Maurice Halbwachs-PSL. Spécialiste des mutations du travail, il est notamment membre du Haut conseil des rémunérations, de l'emploi et de la productivité.

Marine BACONNET : De la responsabilité sociale aux pratiques industrielles. Étude de cas dans l'industrie textile
Transformer la filière textile mondiale en réindustrialisant et en invitant ses acteurs à penser des programmes de formation innovants et de haut niveau éducationnel, telle est l'ambition socio-environnementale du groupe étudié dans cet article. Cette stratégie de recomposition de la filière passe par une étape transitoire de réapprentissage des métiers de la confection. Traversé par des exigences contradictoires de nature économique, sociale et technique, le déploiement de cette stratégie industrielle est incontournable bien que difficile. Cette communication explore les origines de ces tensions, à la frontière entre le management stratégique et le management opérationnel, afin de mieux comprendre les découplages possibles entre les intentions déclarées et les réalisations effectives. Ces décalages proviendraient de la complexité à appréhender la pluralité des cibles d’apprentissage et des formes d’apprentissage. Notre recherche-intervention renseigne sur les chemins d’une réindustrialisation textile favorable au développement humain.

Marine Baconnet est doctorante en Sciences Humaines, humanités nouvelles (CNAM) et en Management (Mines Paris-PSL). Ses recherches supervisées par les Pr. Cynthia Fleury et Cédric Dalmasso, portent sur les tensions industrielles autour des métiers traditionnels et le bien être professionnel du point de vue opérationnel. Son objectif est d'accompagner la mise en place d'un nouveau dispositif de management avec toutes les parties prenantes d'un projet de réorganisation industrielle. Sa démarche, sachant que les transformations stratégiques (en l'occurrence une réindustrialisation textile) peuvent être déstabilisantes pour le bien être des personnes et la préservation du savoir-faire, est celle de ne pas déstabiliser les individus tout en développant une logique de professionnalité accrue.

Henri BERGERON & Patrick CASTEL : Sociabilité, coopération et satisfaction au travail. Une hypothèse de sociologie des organisations
Ce que certains nomment la crise du travail n'a jamais été autant médiatisée depuis la survenue de l'épidémie de Covid : problèmes d'attractivité, quête/perte de sens au travail, turn-over, absentéisme, quiet quitting, etc. Les réponses promues de manière privilégiée par les employeurs ou les pouvoirs publics sont connues et de différentes natures : symbolique (par exemple, la marque employeur) ; matérielle (augmentation des salaires, mesures liées à la QVT ou qualité de vie au travail, etc.) ; fonctionnelle (l'enrichissement des tâches, l'élargissement des responsabilités, etc.), ou encore managériale (nouveaux styles de management et de leadership). Il se peut toutefois que ces mesures ne répondent pas à une dimension essentielle, plus sociologique, du travail : le besoin de coopération. Dans cette intervention, nous défendrons l'idée que la coopération au travail est fragilisée par trois grands mouvements.

Henri Bergeron est sociologue, directeur de recherche au CNRS au Centre de sociologie des organisations et titulaire de la chaire Transformation des organisations et du travail de Sciences Po. Il codirige le domaine Travail aux Presses de Sciences Po. Il est notamment l'auteur, avec Olivier Borraz, Patrick Castel et François Dedieu, de Covid-19 : une crise organisationnelle (Presses de Sciences Po, 2020) et avec Constance Nathanson de The social production of crisis : blood politics in France and in the US (Oxford University Press, 2023).

Patrick Castel est sociologue, directeur de recherche FNSP au Centre de sociologie des organisations et coordinateur scientifique de la chaire Transformation des organisations et du travail de Sciences Po. Il codirige le domaine Travail aux Presses de Sciences Po. Il a notamment coécrit Covid-19 : une crise organisationnelle (Presses de Sciences Po, 2020) et coordonné, avec Marie-Emmanuelle Chessel, À la recherche de la décision : études cas en sciences sociales (Presses Universités du Septentrion, 2024).

Marc-Eric BOBILLIER CHAUMON : La travail a-t-il encore un avenir avec les technologies émergentes ?
Les nouvelles formes de travail (travail hybride et distanciel, algorithmisation de l'activité, flex-office…) et l'arrivée de technologies émergentes (IA, robot, technologies immersives et ubiquitaires…) bousculent profondément notre rapport au travail, à nous-mêmes ainsi qu'aux autres. Ce n'est pas seulement le contenu et la nature du travail à faire qui se reconfigurent, c'est également la manière de le faire qui se trouve remaniée. Les professionnels sont encore trop peu associés à ces projets de changements qui les touchent pourtant au premier chef. Ils sont vus, au mieux, comme une simple variable d'ajustement ; au pis, comme les exécutants dociles d'une technologie qui devient le maître de ceux qu'elle était censée servir. Ce qui est alors souvent présenté comme un vecteur de progrès et d'efficacité, impose en fait des renoncements à ce que le sujet s'efforce de construire à l'échelle de son métier : en matière de compétences et de gestes professionnels, de règles de travail et de critères de qualité, d'initiatives individuelles et collectives. Ces empêchements dégradent alors les conditions d'exercice de son activité, fragilisent son engagement subjectif et compromettent sa santé au travail. Cette intervention abordera la question des transformations digitales et des mutations du travail qui en découlent, en portant une réflexion critique sur les évolutions sociotechniques qui touchent le monde professionnel contemporain et qui le rendent plus vulnérable. Elle tâchera d'exposer aussi un cadre d'analyse et d'intervention — la clinique des usages — qui vise à accompagner la conception d'un futur du travail qui soit socialement acceptable, professionnellement responsable et humainement soutenable.

Marc-Eric Bobillier Chaumon est professeur du Conservatoire National des Arts et Métiers (Cnam) à Paris, titulaire de la Chaire de Psychologie du Travail. Il est responsable national du diplôme de psychologue du travail et préside l'Association Internationale de Psychologie du Travail de Langue Française (AIPTLF). Ses travaux portent sur les conditions d'usage des technologies et les incidences des transformations digitales sur l'activité et la santé au travail. Il s'intéresse notamment aux nouvelles modalités de travail (travail hybride, nomade, flex-office…) qui accompagnent ces mutations technologiques ainsi qu'aux conditions d'acceptation des dispositifs émergents. Il est l'auteur de 15 ouvrages et de plus de 300 publications scientifiques sur ces questions.
Publications
Bobillier Chaumon M.E. (2023), Psychologie du travail Digitalisé - Nouvelles formes du travail et Clinique des usages, Dunod.
Bobillier Chaumon M.E. (2021), Les transformations digitales à l'épreuve de l'activité et du travail : comprendre et accompagner les mutations technologiques émergentes, ISTE Éditions.
Bobillier Chaumon, M.E. & Sarnin P. (2021, seconde édition), Manuel de Psychologie du travail et des organisations : Les enjeux Psychologiques du travail, Bruxelles, DeBoeck.
Bobillier Chaumon M.E., Gangloff, B., Gilbert, P. & Vonthron A.M. (2021), Les incidences psycho-sociales et socio-organisationnelles de la crise sanitaire Covid sur le travail et la santé des salariés, Paris, L'Harmattan.
Valléry, G., Bobillier Chaumon, M.E., Brangier, E. & Dubois, M. (2019, seconde édition), Psychologie du Travail et des Organisations : 110 notions clefs, Paris, Dunod.
Bobillier Chaumon, M.E., Dubois, M., & Retour, D. (2010), Relations de service : nouveaux usages, nouveaux usagers, Bruxelles, De Boeck.

Anca BOBOC : La vulnérabilité du travail face au numérique : la capacité d'agir des acteurs
Loin des discours prophétiques et normatifs concernant les "effets du numérique" sur le travail, cette présentation insistera sur la capacité d'agir des acteurs, aussi bien dans la reconfiguration des activités et des liens sociaux autour de ces outils numériques, que dans le paramétrage de ces outils en fonction de leur activité. Elle soulignera l'importance des facteurs collectifs et organisationnels dans le développement des usages et, par conséquent, l'importance d'un accompagnement permettant un ajustement fin entre numérique et activité. En ce sens, elle pointera la nécessité des constructions sociotechniques, de plus en plus collectives et locales et de plus en plus complexes face à l'hétérogénéité des IA.

Anca Boboc est chercheure en sociologie du travail et des organisations au département de sciences sociales d'Orange Innovation (SENSE). Ses recherches portent notamment sur les transformations du travail avec les usages du numérique (télétravail, déconnexion, environnement de travail, formation professionnelle, appropriation des outils collaboratifs et de l'IA…) et leur accompagnement, notamment au niveau managérial.
Publications
Benedetto-Meyer M., Boboc A., Sociologue du numérique au travail, Éd. Armand Colin, 2021.
Boboc A., Metzger J.-L., "La formation professionnelle entre injonction à la numérisation et impératif de sobriété", Distances et Médiations des Savoirs, 2023.

Cécile BRIEC : Travailler au sein d'une SCOP, une organisation favorable à l'émancipation ?
Face aux évènements, notamment la crise Covid, qui ont bouleversé au cours de ces dernières années le monde du travail, la quête de sens au travail et l'engagement dans des organisations alternatives redistribuant les responsabilités et les relations hiérarchiques sont des sujets qui se sont imposés dans les débats. Mais que signifie "travailler" dans ce type de milieu ? Est-ce que cela garantit la construction d'un sens au travail ? C'est à partir de plusieurs interventions menées au sein d'une Scop que nous proposerons de réfléchir à ces questions.

Cécile Briec est professeure associée à service temporaire au Conservatoire National des Arts et Métiers de Paris, au sein de l'équipe de psychologie du travail et du Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD). Elle est également directrice du cabinet de conseil en ergonomie et psychologie du travail, Alternatives ergonomiques. Ses travaux de recherche et ses interventions portent notamment sur des activités déployées dans des milieux de travail non ordinaires (activité syndicale, scop, associations, etc.).

Cyril COSME : L'OIT, une perspective centenaire sur le travail et la justice sociale
L'OIT est créée au lendemain de la Première Guerre mondiale comme une pièce maîtresse du premier système multilatéral autour de la Société des Nations. "Pas de paix durable sans justice sociale" proclame la première phrase du préambule de sa constitution. Dès ses premières années d'existence, l'OIT s'attachera à mobiliser les leviers de cette justice sociale dans la réglementation du travail à travers l'adoption de normes internationales. Ces normes sont à chaque fois le reflet de la vision à un moment donné de ce que devrait être un travail "décent" (terme qui remonte au début des années 2000) par les membres tripartites de l'OIT. Elles portent aussi la trace des clivages géopolitiques qui ont marqué l'histoire jusqu'à aujourd'hui. Cette contribution sera l'occasion d'évoquer l'évolution et la diversité des représentations du travail sur le dernier siècle écoulé à partir de l'évolution des politiques normatives de l'OIT.

Cyril Cosme est Directeur du Bureau de l'OIT pour la France. Il a rejoint le Bureau International du Travail en novembre 2014 lorsqu'il a pris la tête du bureau de l'OIT pour la France basé à Paris. Il était auparavant délégué aux affaires européennes et internationales au ministère du Travail, des Affaires sociales et de la Santé. Il a occupé divers postes au ministère du Travail français, à la tête du Service des conventions collectives et des conflits du travail (1997-2000) et en tant que conseiller technique auprès du cabinet du ministre (2002-2004). Cyril Cosme a ensuite passé la majeure partie de sa carrière sur les questions européennes et internationales liées à l'emploi et au travail à Paris (Secrétariat général aux affaires européennes, rattaché au Premier ministre de 2000 à 2002), Bruxelles (Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, 2004 -2009) puis à Washington (Ambassade de France aux États-Unis, 2009-2012). Il est diplômé de Sciences Po Paris et de l'École Nationale d'Administration (Promotion Marc Bloch, 1997).

Alexis CUKIER : Travail vivant et écologie politique
Cette intervention présentera un livre en cours d'écriture, Écologie politique du travail vivant, qui défend qu'il n'y aura de bifurcation écologique sans écologisation et démocratisation du travail à partir de la logique du travail vivant — redéfinie à partir de Marx et de Dejours comme l'implication corporelle et affective des travailleurs dans leur activité. Je montrerai, à partir d'une critique de l'oubli du travail dans les projets de planification écologique, que la nécessaire redirection écologique de l'économie nécessite la conquête par les travailleurs de nouveaux pouvoirs de décision, droits et outils économiques et institutionnels. J'examinerai ensuite des alliances entre travailleurs, syndicalistes, habitants et militants écologistes (Appel pour des forêts vivantes et lutte de la raffinerie Total de Grandpuits en France, reconversion écologique autogestionnaire de Vio.Me à Thessalonique et GKN à Florence) en analysant les façons dont le travail vivant permet de rediriger l'activité en la subordonnant aux besoins.

Alexis Cukier est maître de conférences en philosophie, membre du laboratoire MAPP, à l'université de Poitiers. Il est l'auteur, notamment, de Qu'est-ce que le travail ? (Vrin, 2018) et Le travail démocratique (Puf, 2018), ainsi qu'en co-direction Le sujet du travail. Théorie critique, psychanalyse et politique (avec Katia Genel et Duarte Rolo, PUR, 2022) et Travail et écologie (avec David Gaborieau et Vincent Gay, Les Mondes du travail, n°29, 2023).

Aline DRONNE
Aline Dronne est Sociologue spécialisée dans le travail et chargée de mission à l'Agence Régionale pour l'Amélioration des Conditions de Travail Grand Est. Depuis 20 ans, elle a eu en charge de la thématique "prévention des risques psychosociaux", puis de "la qualité de vie et des conditions de travail". Pour développer les connaissances sur ces sujets, elle mène de nombreuses interventions en entreprise (sous des formes différentes : diagnostic, intervention longue, formation-action, mise en place de plan d'actions…) et dans des secteurs variés (agricole, administration, collectivité locale, industries agroalimentaire, automobile, de production électrique, association dans le secteur social, médico-social, hospitalier…). Dans le cadre de ses travaux, elle s'est intéressée au sujet du "travail à l'ère du numérique". Aujourd'hui, elle se consacre au développement de la thématique "écologie et travail" afin de faire dialoguer les conditions de travail et la transition écologique.

Christel FREU : Un Empire au travail : la variété des statuts de travail des populations sous la Rome ancienne
À la fin de la République, "le plus savant des Romains", Varron, notait que si l'esclavage (ou le travail contraint) pour dettes avait été aboli de son temps en Italie romaine, il subsistait dans d'autres parties de l'Empire. Les Romains, en conquérant l'Orient où le contrat de travail pour dettes était courant, ont aussi développé dans leurs provinces le contrat de louage pour les embauches de court terme. L'objet de la communication est donc de présenter la variété des conditions de travail et des types de contrats d'engagement du travail et de travail forcé que les employeurs — Romains, élites indigènes ou autres — avaient à disposition sous l'Empire.

Christel Freu, professeure d'histoire romaine à l'université d'Évry-Paris Saclay, est spécialiste de l'histoire sociale et économique de l'Empire romain et s'intéresse particulièrement à l'histoire du travail et des métiers. Croisant le droit, les papyrus et la littérature d'époque impériale, elle a publié plusieurs articles sur l'apprentissage, les contrats de travail et les rapports de travail sous l'Empire, notamment en Égypte romaine. Son dernier livre, Les salariés de l'Égypte romano-byzantine. Essai d'histoire économique, Paris 2022 (StudPap 3), a reçu la médaille Diehl de l'Académie des Inscriptions et Belles lettres.

Patrick FRIDENSON : Le "moment années 1970" : une crise du travail ?
Le début des années 1970 aux États-Unis signale au monde la vulnérabilité du travail dans un univers social en quête de robots. Quel a été l'impact du blues des cols bleus en 1972 à l'usine automatisée de Lordstown (General Motors) ? Comment expliquer le succès mondial du livre de Harry Braverman, Travail et capitalisme monopoliste (1974, traduction française 1976) qui promeut l'idée de dégradation du travail ? Y a-t-il des rapports avec les compromis sur l'emploi annoncés pour la première usine automatisée de moteurs de Ford à Cleveland à la fin des années 1950 ? C'est une critique de ces critiques que l'on tentera.

Patrick Fridenson est ancien élève de l'École Normale Supérieure, historien des entreprises et du travail, directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales.
Publications
"Un tournant taylorien de la société française (1904-1918)", Annales ESC, septembre-octobre 1987, p. 1031-1060.
"Taylorism", in Guillaume Carnino, Liliane Hilaire-Pérez and Jérôme Lamy (eds.), Global History of Techniques (Nineteenth to Twenty-First Centuries), Turnhout, Brepols, 2024, p. 613-626.
"Les transformations des pratiques de subordination dans les entreprises et l'évolution du tissu productif en France", in Héloïse Petit et Nadine Thévenot (dir.), Les nouvelles frontières du travail subordonné. Approche pluridisciplinaire, Paris, La Découverte, 2006, p. 21-46.
Patrick Fridenson, François Monnier, Albert Rigaudière (dir.), Concurrence et marchés. Droit et institutions du Moyen Âge à nos jours, Paris, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 2023.

Laure GIRODET
Laure Girodet est Directrice opérationnelle Santé et Sécurité opérationnelle du groupe Veolia pour le périmètre mondial (220000 collaborateurs dans plus de 60 pays). Elle est ingénieur des Ponts et Chaussées en filière Génie Civil et travaille dans le secteur de l'eau, déchets et énergie depuis près de 30 ans. Elle a d'abord managé différentes entités opérationnelles en France et à l'international (Argentine, Maroc…), pour le groupe Suez puis est y devenue DRH pour la zone Afrique Moyen Orient et Inde. Elle a réalisé à cette période un Master au sein de Science Po en "RH et transformation des organisations", ce qui a enrichi son cursus initial. À partir de 2019, elle est devenue la Directrice Santé Sécurité et Crisis Process Owner du groupe Suez, thèmes sur lesquels elle assure des cours (en particulier à la Sorbonne et l'ENA). Elle a été notamment coordinatrice de la crise Covid pour près de 60 pays. Après la fusion de Suez et Veolia, elle poursuit ces missions sur le périmètre de Veolia.

Haud GUÉGUEN : Travail et nature : une perspective marcusienne
Dans son ouvrage de 1955 Eros et civilisation, Marcuse se propose d'envisager l'accès à une société "non-répressive" sous l'angle d'une transformation du travail en jeu et en plaisir, dont il souligne qu'elle exige une transformation radicale du rapport à la nature où cette dernière ne soit plus perçue comme un "objet" mais comme un partenaire et une part centrale des êtres humains eux-mêmes. Procédant d'une filiation trouvant sa source chez des auteurs comme Fourier, Marx ou encore Schiller, c'est cette idée que ne cessa ensuite de développer Marcuse à travers ses réflexions sur la contre-culture et sa teneur révolutionnaire, et qui le conduisit à partir de Vers la révolution (1969) à poser la nécessité d'une "reconnaissance de la nature" entendue comme sujet/objet, allant, dans Contre-révolution et révolte (1972), jusqu'à affirmer que "La nature, elle aussi, attend la révolution !". À travers ces différents textes, se dégage ainsi une sorte d'utopie du travail, dont Marcuse perçoit très clairement que sa réalisation exige une transformation qualitative des institutions et de la technique ne passant pas seulement par un dépassement du capitalisme, mais par la création de "nouvelles valeurs" et de nouvelles "formes de vie" qu'il voyait à l'œuvre au sein des mouvements écologistes et féministes des années 1960. C'est sur cette réflexion marcusienne concernant le rapport entre travail, plaisir et nature que je me propose de revenir ici, en vue de montrer qu'elle se révèle aujourd'hui porteuse d'un très haut coefficient d'actualité à l'heure du capitalisme néolibéral et de la catastrophe écologique en cours. Ce faisant, il s'agira donc aussi de montrer l'intérêt majeur de la philosophie d'Herbert Marcuse pour la thèse de la "centralité du travail".

Haud Guéguen est maîtresse de conférences en philosophie au Conservatoire National des Arts et Métiers, membre du laboratoire CRTD et membre associée du laboratoire Sophiapol. Elle est en particulier l'autrice, avec Laurent Jeanpierre, de La perspective du possible. Comment penser ce qui peut nous arriver et ce que nous pouvons faire ? (Paris, La Découverte, 2022), et travaille sur les philosophies et sciences sociales du possible et de l'utopie, avec une attention toute particulière à la manière dont la conjoncture "capitalocénique" invite à en relire l'histoire à nouveaux frais.

Sophie HOOGE : Comment penser collectivement un travail productif désirable hors du cadre de performance de l'industrie X.0
La couverture médiatique concommittante des enjeux de ré-industrialisation et de résilience des territoires face au changement climatique, polarisés par les chantres de la croissance comme de la décroissance, place chacun d'entre nous face à un difficile exercice de ses responsabilités : quels sont les "bons" objectifs d'un système de production aujourd'hui ? Comment savoir lesquels soutenir ou dénoncer ? Que nous soyons travailleurs, chercheurs, managers et/ou intellectuels, "penser" une transformation désirable du travail — et proposer des discours sur celui-ci — suppose d'inscrire les débats contemporains dans un questionnement sur l'intérêt actuel de la généalogie des transformations industrielles ayant conduit à l'industrialisation digitale en cours ("industrie du futur" ou "industrie 4.0") et donc de la conception de la performance du travail productif. Suivant ce fil, dans une première partie, nous proposerons une analyse des mécanismes collectifs de conception de la performance des vagues d'industrialisation dites X.0 (1.0 Mécanisation, 2.0 Electrification, 3.0 Automatisation, 4.0 Digitalisation, 5.0 Humanisation) : quels en ont été les acteurs et leurs convictions sur le "bon" travail productif ? Quels sont aujourd'hui les bénéfices attendus du 4.0 et de la digitalisation des systèmes de production, et de son contre-modèle critique 5.0 ? Dans un second temps, je poserai l'hypothèse que le futur du travail est un inconnu désirable à (re)concevoir collectivement dans les organisations et les territoires dans le respect des patrimoines industriels et professionnels. À partir d'exemples issus de recherches collaboratives conduites en partenariat avec des industriels de la Métallurgie, de l'agro-alimentaire et de l'horlogerie, j'illustrerai comment des collectifs travaillent à proposer leur propre définition d'un travail productif responsable, soutenable et inclusif.

Sophie Hooge est professeure en sciences de gestion à l'école des Mines de Paris et chercheur au Centre de Gestion Scientifique (CGS-I3 UMR CNRS 9217) et dans la chaire Théorie et Méthodes de la Conception Innovante. Ses travaux portent sur le pilotage de la performance de l'innovation, l'ingénierie de la valeur dans les stratégies industrielles d'innovation ou de transformation. Appuyées sur des partenariats longitudinaux avec des acteurs industriels et institutionnels, les recherches se concentrent sur l'organisation de la transformation des entreprises par ses acteurs via l'identification et la modélisation de la valeur de l'inconnu associé à l'innovation par ses parties prenantes, les instruments de la performance de la R&D qu'ils mobilisent et les techniques de pilotage de l'exploration en collectif (méthode KCP, Intrapreneuriat, POC, Serious game). Ces pratiques levent des questions théoriques sur la modélisation de la responsabilité des acteurs concepteurs et décisionnaires, de la soutenabilité de l'activité pour l'ensemble des parties prenantes et du pilotage stratégique de la destruction/conservation/extension du patrimoine industriel en évolution. Chercheure-intervenant engagée, elle collabore avec des acteurs très variés de la R&D à l'usine, managers, dirigeants, actionnaires, ouvriers, consultants ou chercheurs via des partenariat de recherche dont Renault, la SNCF, Nutriset, Airbus, Stim, l'INRAE, Décathlon, Carrefour ou Audemars Piguet.

Stéphane LE LAY : Pourquoi est-il impossible de comprendre les transformations écologiques sans prise en compte de la centralité du travail ?
Si, d'un point de vue social et politique, la mainmise des propriétaires des moyens de production capitalistes sur le travail et son organisation se sont révélées globalement délétères pour les travailleurs et leur santé, les conséquences en matière écologique apparaissent de plus en plus clairement comme catastrophiques. Pour bien comprendre les dynamiques entre ces différents phénomènes, la prise en compte de la "centralité du travail", c'est-à-dire la place incontournable du travail dans le déploiement de la subjectivité humaine et dans la transformation matérielle et symbolique du monde, est incontournable. Pour analyser cette question avec précision, il convient donc de spécifier les différences entre le "travail mort", le "travailler" et le "travail vivant" dans leurs impacts en matière écologique et non seulement subjectif, comme s'y est initialement attelée la clinique du travail. Ces distinctions, étayées sur plusieurs enquêtes récentes, permettent de comprendre par quoi passent concrètement les destructions écologiques et les obstacles subjectifs et sociaux qui se dressent sur le chemin d'un desserrement de l'emprise capitaliste sur la planète : renoncer à la centralité du travail revient à accepter que les actionnaires des entreprises et les membres du management supérieur qui les dirigent au quotidien continuent d'utiliser leurs moyens financiers, matériels et humains dans une optique extractiviste destructrice.

Stéphane Le Lay est sociologue du travail, spécialisé sur les questions de santé au travail, en particulier dans les activités professionnelles des membres des classes populaires. Depuis plusieurs années, il prête une attention précise aux dimensions écologiques du travail, à partir de terrains variés comme la prise en charge des déchets ou la gestion forestière. Actuellement, il mène, sous la direction d'Isabelle Gernet et Frédérique Debout, une thèse de psychologie clinique (Paris-Cité/Ademe) consacrée à la place de l'éco-anxiété dans les choix de bifurcations professionnelles vers des organisations du travail alternatives aux formes dominantes.

Matthieu PAVAGEAU : L'ANACT, retour sur 50 ans d'action partenariale sur le travail demain
Avec cet anniversaire c'est l'occasion de la confrontation de regards rétrospectifs et prospectifs ; l'Anact a publié des podcasts rétrospectifs "transformer le travail", organise sa semaine du 17 juin sur le travail de demain, et s'apprête à publier une Revue des conditions de travail dédiée à ses 50 ans. Comprendre le travail et agir sur le travail a probablement toujours été une intervention ici et maintenant… et pour l'avenir ; l'Anact soutenant avec d'autres depuis longue date que les projets d'aujourd'hui font les conditions de travail de demain. Nous nous rappellerons le contexte dans lequel l'agence prenait vie il y a un demi-siècle, de mouvements sociaux qui ne portent pas seulement sur des questions d'emploi, mais également sur le travail. Il s'agissait de passer du taylorisme à d'autre ambitions embrassant les relations sociales, humaines et l'organisation du travail (des temps…), développant la participation des salariés pour un enrichissement du travail etc., l'automatisation fera assez vite l'objet de travaux, faisant déjà craindre une standardisation des tâches, une perte de maîtrise et d'autonomie... Si l'agence est dans un 1er temps missionnée pour produire de l'information sur ces sujets et la diffuser, l'agence développe l'intervention dans l'entreprise quand les lois Auroux sont écrites ; l'histoire se poursuivra avec le développement de modes d'actions documentant le travail à partir d'une action de terrain réalisée par les chargés de mission, et co-construisant petit à petit avec les acteurs des points de repères éprouvés pour développer les mesures d'amélioration conciliant santé au travail, développement des personnes et performance globale de l'entreprise. L'association des opérationnels au diagnostic, à la conception des projets et des évolutions organisationnelles ce dans une perspective socio-technique sont d'une actualité criante : savoir expérimenter collectivement, imaginer ensemble des voies alternatives face aux enjeux de transitions, négocier collectivement ces transformations, autant d'enjeux pour l'agence et ses partenaires pour les 50 prochaines années.

Matthieu Pavageau est depuis 5 ans directeur technique et scientifique de l'agence pour l'amélioration des conditions de travail. Originaire de l'ouest de la France, il fait ses débuts à 18 ans dans l'industrie, posté à la fabrication de couronnes de démarreur. Ensuite ce sont des études en sciences humaines, sociologie et psychologie du travail, doublées de diverses interventions et missions dans le secteur hospitalier et le secteur industriel — notamment auprès de PME sous-traitantes de la pétrochimie — qui forgeront une identité professionnelle tournée vers les enjeux politiques du travail. Soutenant des convictions concernant l'action sociale, Matthieu Pavageau investit ensuite le secteur social et sanitaire et tient des fonctions de chef de service d'un dispositif d'urgence sociale en Île-de-France. Dans les années 2000 il rencontre l'équipe du cabinet "Développement Social et Organisation" (DS&O) qui lui permet de renouer avec ce métier qui lui est cher de tiers intervenant en organisation. Pendant cette période, ce sont de nombreuses interventions et étude-actions, de l'industrie nucléaire au secteur bancaire, de l'aéronautique à la presse, de l'aide à domicile à l'industrie chimique que l'équipe déploie, comme tiers et comme expert Chsct. Quelques années aux côtés d'Entreprise et Personnel auront également contribué, par la proximité avec des directions ressources humaines de grands groupes, à renforcer ses actions visant l'ancrage des stratégies d'entreprise dans l'expérience concrète du travail.

Justine RAYSSAC : Transformation industrielle 4.0 : la figure de l'opérateur 4.0 face à la figure de l'artisan horloger
Quels sont les impacts de l'industrie 4.0 sur le travail artisanal ? Voici la question que nous nous posons en arpentant les ateliers d'assemblage "mouvement" (le mécanisme des montres mécaniques) d'une entreprise de Haute Horlogerie Suisse. En effet, la transformation industrielle en cours au sein de ce secteur vient bouleverser les pratiques de travail, fait évoluer le métier horloger, les compétences associées et le sens de celui-ci. Comment piloter cette transformation industrielle horlogère en agissant positivement sur la qualité du travail ? Dans le cas d'une activité artisanale, telle que l'horlogerie, reposant sur des savoir-faire complexes et un patrimoine fort, le bien-être de l'horloger dépend notamment des compétences qu'ils mobilisent au quotidien et de ses perspectives d'évolution. Cela nous invite à réfléchir aux dynamiques d'apprentissages en jeu face à la transformation du travail.

Justine Rayssac est doctorante en sciences de gestion (CGS – Mines Paris). Ses recherches supervisées par Cédric Dalmasso et Sophie Hooge portent sur les impacts de la transformation industrielle sur les métiers de l'horlogerie que cela soit au niveau des savoir-faire ou au niveau de la qualité du travail. Son objectif est de réfléchir à un pilotage de la transformation industrielle 4.0 au niveau du management stratégique permettant le développement du patrimoine industriel et le bien-être des collaborateurs.

Frantz ROWE : L'intelligence artificielle au travail, en perspective et en question
L'automatisation du travail se poursuit aujourd'hui de façon accélérée avec les intelligences artificielles génératives (IAG). Pour autant le travail humain reste nécessaire pour assurer la qualité de la production et des services, de sorte que l'humain doit collaborer avec les intelligences artificielles plus qu'il ne se trouve substitué par la machine. Nous mettrons en perspective historique le développement des intelligences artificielles au travail, puis nous discuterons leurs apports pour les collaborateurs dans les entreprises, leurs limites et les risques associés au regard de la littérature scientifique et du déploiement récent des IAG que nous accompagnons dans les entreprises. Nous illustrerons comment le management algorithmique, la datafication des collaborateurs et du travail remettent en question les adaptations de l'outil à l'homme et les apprentissages dans les systèmes socio-techniques que sont les systèmes d'information et les organisations, pour le meilleur et pour le pire.

Professeur à Nantes Université (IAE de Nantes) et chercheur au LEMNA, Frantz Rowe a été Professeur à Telecom Paris, visiting professor à Bentley University, Cape Town University et Harvard University. Fellow de l'Association for Information Systems, il a dirigé 30 doctorants et actuellement responsable du Master Métiers du Conseil et de la Recherche. Il est membre de l'Institut Universitaire de France, titulaire d'une chaire fondamentale sur la dynamique de l'enfermement dans le numérique.

Stéphane VEYER : Travail et mouvement coopératif
Le mouvement coopératif est paradoxal. Ancien, structuré, son poids est loin d'être négligeable dans l'économie mondiale. Il est pourtant très mal connu et totalement invisibilisé dans la plupart des débats. La question du travail et la prospective sur le sujet n'échappent pas à ce paradoxe : à échelles micro ou méso, les récits d'expériences coopératives affichées comme emblématiques, originales ou simplement méritant de retenir l'attention, sont pléthores. Pour autant, la variable coopérative n'entre dans aucune équation macro-économique. Comment expliquer ce paradoxe, afin de pouvoir le dépasser ? Quels liens le mouvement coopératif peut-il, doit-il nouer avec le mouvement syndical afin de contribuer à l'émergence de nouvelles approches et de nouvelles pratiques dans le champ du travail ?

Diplômé de droit et de sciences politiques, Stéphane Veyer a co-fondé Coopaname et l'a co-dirigée pendant dix ans. Coopérateur invétéré, il a mis sur pied et est sociétaire d'une dizaine d'expériences coopératives de tout poil. Il est cogérant de la Manufacture coopérative, président du Conseil de surveillance de Startin'blox et intervient régulièrement dans différents cursus universitaires (CNAM, Le Mans, Paris 8, Grenoble, Beyrouth…) sur l'histoire de l'économie sociale, les problématiques de démocratie économique et de management coopératif.


Invisibilité du travail, invisibilité au travail, tyrannie de la transparence, table ronde avec Christine DEPIGNY-HUET, Dominique MASSONI et Elisabeth PÉLEGRIN-GENEL
Trois regards pour explorer ce thème qui oscille entre "effacer" ou "révéler".
Celui de l'architecte : la transparence est une valeur émancipatrice dans l'histoire de l'architecture. Le verre brouille les repères dans les lieux de travail mais il facilite le contrôle et la surveillance.
Celui de la passeuse d'histoires de travail pour la force des témoignages. Les organisations et leurs machines de gestion invisibilisent le travail et ceux qui le font. Et pourtant ça marche ! Comment font-ils, à quel prix ?
Celui de la DRH qui conçoit et propose de nouveaux outils de gestion RH pour atténuer l'impact de ceux qui effacent le travail.

Christine DEPIGNY-HUET
Christine Depigny-Huet a un parcours professionnel dans les domaines de la sécurité industrielle, et de l'articulation entre santé travail. Titulaire d'une maîtrise en sécurité du travail et d'un doctorat en ergonomie, elle a occupé diverses fonctions au sein d'EDF et de GDF, dans le domaine des facteurs humains et organisationnels de la sûreté des centrales nucléaires, puis de la prévention des risques professionnels, particulièrement des facteurs de risques psychosociaux induits par les évolutions organisationnelles. Elle est membre de l'APSE et a assuré un enseignement santé travail en master RH Communication à l'université Paris XIII. Elle a animé des ateliers d'écriture avec des détenus, autour de leur travail en milieu carcéral. Elle est co-fondatrice de l'association la Compagnie Pourquoi se lever le matin ! créée en février 2020 pour donner la parole aux travailleurs, et contribuer ainsi aux débats sociaux dont le travail est très souvent absent (santé, transports, alimentation, évolutions technologiques, territoires…) Depuis sa création, au tout début de la crise sanitaire, l'association a publié près de deux-cents récits de travail.
Publications
Choisir ses techniques – récits d'agriculteurs, Christine Depigny-Huet, Éditions Éducagri, 2018.
Le train comme vous ne l'avez jamais lu – paroles de cheminots, Coordination : Christine Depigny-Huet et Pierre Madiot, Éditions de l'Atelier, 2019.
"Quand l'indicible se fait récit : rendre compte de la culture du travail", Christine Depigny-Huet et Pierre Madiot, in Cahiers de l'Atelier, n°561, 2019.
Soigner, manifeste pour une reconquête de l'hôpital public et du soin, Ouvrage collectif coordonné par Fabienne Orsi, C&F Éditions, 2021.

Dominique MASSONI
Diplômée de Sciences Po Paris et titulaire de masters en sciences humaines — psychologie sociale — sociologie du travail — ergonomie — littérature comparée, Dominique Massoni a un parcours professionnel dans les domaines des Ressources Humaines et de la communication. Ses différentes fonctions, l'ont amenée à concevoir des programmes de développement RH et de communication interne dans des contextes de transformation et d'évolution des organisations, au sein de TOTAL, chez VIEL (marchés financiers) et en tant que Directeur du Développement RH d'ARKEMA, premier groupe de chimie français. Elle a porté des projets auprès des équipes, des managers de proximité, des directions générales et des partenaires sociaux. Elle mène actuellement des activités de conseil et des travaux d'étude et de recherche sur les questions du travail et des métiers. Elle est membre de l'APSE, de l'ITMD, du conseil scientifique de l'Observatoire des cadres de la CFDT et enseigne à Sciences Po Executive Education sur les méthodes d'enquête sociologiques.
Publications
Le recrutement, Daniel Jouve & Dominique Massoni, Paris, PUF, coll. "Que sais-je ?",1996.
Les métiers et les Hommes, Dominique Massoni & Jean-Hubert de Roux, Paris, Éditéa, 2012.
"Ange-Toussaint", in Souvenirs du quartier latin, Paris, Pipa, 2016.
Le monde des bureaux, rencontre littéraire avec les employés aux écritures, héros minuscules invisibles et transparents, Éditions L'Harmattan, 2023.

Elisabeth PÉLEGRIN-GENEL
Elisabeth Pélegrin-Genel est Architecte et psychologue du travail, consultante en entreprise sur des problématiques d'espace, de travail et d'organisation et principalement sur les aménagements en open-space et flex office. Elle est également Architecte-Associée à l'agence ARCHITECTURE PELEGRIN, en charge de projets de R&D. Elle est aussi Chargée de cours au sein de plusieurs masters en urbanisme et en immobilier (ESTP, université Saint Louis à Bruxelles) ; Conférencière dans différents cadres sur les espaces tertiaires, la ville et l'habitat ; Animatrice d'ateliers d'écriture à la demande de collectivités locales, d'écoles d'architecture et de graphisme, sur le thème "écrire l'espace" ; Collaboratrice régulière du magazine OFFICE et CULTURE ; Présidente d'honneur d'ARCHINOV, le mouvement des architectes pour le développement de l'innovation ; Membre du Conseil d'Administration de l'Institut du Travail et du Management Durable (ITMD) ; Membre du RIST groupe pluridisciplinaire de recherches, Paris-Dauphine ; Membre de l'association française de Prospective.
Publications
Comment (se) sauver (de) l'open space ?, Parenthèses, Marseille, Avril 2016.
Une autre ville sinon rien, La Découverte, Les empêcheurs de penser en rond, Paris, 2012.
Des souris dans un labyrinthe, décrypter les ruses et manipulations de nos espaces quotidiens, La
Découverte, Paris, 2010 (réédité en poche en 2012).
Tours de bureaux, Éditions du Moniteur/AMC (collection "25"), Paris, 2007.
Espaces de bureaux, Éditions du Moniteur/AMC (collection "25"), Paris, 2006.
L'art de vivre au bureau, Flammarion, 1995 (traduit en anglais et en allemand en 1996).
L'angoisse de la plante verte sur le coin du bureau, E.S.F., Paris, 1994.
Co-Auteure de Ambiances, densité urbaine et développement durable, Éditions PC, Paris, 2008.


SOUTIENS :

Orange
Veolia
• Observatoire des cadres et du management (OdC)
• Institut du Travail et du Management Durable (ITMD)
• Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact)
• Institut pour une culture de sécurité industrielle (ICSI)
• Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD | Cnam, EA 4132)

Programme 2024 : un des colloques

Programme complet


LA MODE : LOIS, LOGIQUES ET FICTIONS DU PARAÎTRE


DU LUNDI 3 JUIN (19 H) AU SAMEDI 8 JUIN (14 H) 2024

[ colloque de 5 jours ]


Crédits : Photographie et stylisme, Victor Hanen
– Assistante, Manon Colin – Robe, Atelier François Tamarin – Modèle, Téo Comon, 2023.


ARGUMENT :

Après avoir parcouru les chemins d'une indiscipline de la mode en tant que territoire théorique et pratique, en 2021, nous proposons de regarder la mode sous l'angle du paraître pour ce second colloque. Lois, logiques et fictions du paraître donc, comme le désir d'étudier les régimes différenciés de nos apparitions, avec cette même pluridisciplinarité de voix que nous souhaiterions réunir pour ce nouveau volet à Cerisy, en 2024.

Qu'elles régissent les couleurs de la livrée des gens de la Maison du Roi ou qu'elles interdisent aux classes bourgeoises le port d'une étoffe précise, les lois somptuaires édictées par le pouvoir au cours de son histoire auront codifié les apparences, manifesté les hiérarchies et le faste, rappelant les fonctions primordiales de représentation du vêtement et des ennoblissements textiles.

Prises dans une acception large ou imagée, les lois somptuaires sont également régulièrement subverties. Que ce soit le phénomène glam, punk ou fluo, des communautés se dessinent depuis ces logiques d'élection. Les lois deviennent des codes qu'un groupe socio-culturel peut promulguer par lui-même, soucieux de construire pour et contre les autres un ensemble de signes d'identité, d'aura ou de puissance. Ainsi va la vie de cour, ainsi vont les cercles de sociétés plus ou moins confidentiels de la contre-culture, lorsque l'emplacement d'une mouche de velours ou le port d'un pantalon plus large qu'il ne le faudrait entrent en écho.

Il y aurait donc des logiques du paraitre, quand une silhouette s'invente à la croisée de la manifestation de soi et des parades sociales, quand cette même silhouette s'offre comme un écheveau complexe de choix et de renoncements, d'arrangements sinon de conflits ouverts avec l'époque.

Il y aurait enfin les fictions, les rôles que l'on projette, les personnages que l'on invente, dans la vie comme sur scène, en images. L'art du vêtement s'y affirme comme le support de narrations, le véhicule de métamorphoses, le motif d'un spectacle, la présence d'un costume. La mode donc, mais aussi tous les vêtements accumulés et collectionnés au-delà du programme et des cadences de production de cette industrie, peuvent alors transiter vers d'autres territoires, géographiques, créatifs, culturels, industriels, techniques… Pour creuser d'autres temporalités, anticiper d'autres perspectives, élaborant un regard second sur l'histoire et le contemporain.


MOTS-CLÉS :

Accessoire, Bal, Brevet, Cabaret, Carnaval, Cinéma, Corps, Costume, Coutume, Éditorial, Ennoblissement, Fiction, Image, Logique, Loi, Matière, Mode, Norme, Paraître, Parure, Performance, Représentation, Scène, Société, Standard, Style, Transgression, Uniforme, Us, Vêtement


CALENDRIER DÉFINITIF :

Lundi 3 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Performance, par Clément COURGEON

Présentation du Centre, du colloque et des participants


Mardi 4 juin
CORPS PARÉS, CORPS POLITIQUES, CORPS UTOPIQUES
Matin
Mathieu BUARD, Colette DEPEYRE & Céline MALLET : Ouverture
Frédérique MATONTI : Les objets rusés. Savoir-faire domestiques féminins et messages cachés [visioconférence]
Nicole PELLEGRIN : Ornement et châtiment, la mode ? L'habit religieux féminin catholique comme "fait social total" | Historienne et anthropologue [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]

Après-midi
Performance, par Clément COURGEON

Vincent DOROTHÉE : Charles IV de Lorraine, ou le triple corps du prince | ENSAAMA
Odile BLANC : Retour sur Parades et parures. L'invention du corps de mode à la fin du Moyen Âge | Bibliothèque INP
Matthieu NICOL : Iconographie d'un vêtement militaire, un style ? | Éditeur Too many pictures

Exposition "Meta_physics", par Anaïs ALLIAS & Margaux SALARINO | Magazine Temple Numéro 12 (pendant toute la durée du colloque)

Soirée
Performance, par Marvin M'TOUMO


Mercredi 5 juin
MODE ET MATIÈRES : PROJECTIONS ET DEVENIRS
Matin
Géraldine BLANCHE : Propriété intellectuelle : quand le droit éclaire les fictions de la mode | Sciences Po
Eva DELACROIX : Les pénalités de pauvreté sur le marché vestimentaire | Université Paris Dauphine - PSL
Benjamin CABANES : Les défis de la mode durable : vers une prospective de l'éthique et de l'esthétique | Mines - PSL

Après-midi
Sonia ADAM-LEDUNOIS : M. Spock, Onze et Princesse Leia à la fashion week. La science-fiction, outil de prospective et d'influence | Université Paris Dauphine - PSL
Dina RASOLOFOARISON : Hairy stories. Histoires de cheveux et de poils | Université Paris Dauphine - PSL
Cyril CABELLOS : Rendez-vous : égéries, rituels, publics | Rabanne

Soirée
Exposition & présentation

Joséphine SCHMITT : Penser les nouveaux matériaux pour l'artisanat à travers le concept de "matières à création". Le cas de l'artisanat plumassier | PSL
Victor MOLINIÉ : Les hors champs de la broderie contemporaine | Baqué Molinié textile and embroidery studio


Jeudi 6 juin
NORMES, STYLES ET TRANSGRESSIONS
Matin
Jeanne GUIEN : La mode punk : une esthétique de la saleté ? | Université Paris 1
Corinne LEGOY : Vestiaire de fêtes costumées au XIXe siècle : miroir ou dérèglement du monde ? | Université d'Orléans

Après-midi
Judith CLARK : Staging the Vulgar — fashion redifined | Curator
Claire BRUNET : Petite anatomie du style | ENS Paris Saclay
Francesca GRANATA : Experimental Fashion. Performance Art, Carnival and the Grotesque Body | Parsons school New York

Soirée
Installation vestimentaire, par Victor CLAVELLY, accompagné d'Héloïse BOUCHOT


Vendredi 7 juin
DÉPLACEMENTS ET MÉDIATIONS. LE VÊTEMENT EN SCÈNE : LA MODE REJOUÉE, LE COSTUME DÉPLOYÉ
Matin
Annabel POINCHEVAL : Créatures de cabaret : création de costumes entre mode et patrimoine | Commissaire
Julien MAGALHÃES : Erratum — Pour en découdre avec les anachronismes à l'écran | Historien du costume pour le cinéma et journaliste

Après-midi
Mathieu BUARD : Mode, vêtement, costume : dancing on the edge | École Duperré

Le vêtement en scène, table ronde animée par Céline MALLET, avec
Bénédicte MOURET : Le costume contemporain au cinéma et dans les séries | Costumière et styliste
Salomé POLOUDENNY : Vêtement de danse, un stylisme documentaire ? | Costumière et styliste
Olivier CHÂTENET : Reconstitution autour d'Yves St Laurent et Bertrand Bonello (film de 2014) | Collectionneur et conseil

Soirée
Performance, par Marvin M'TOUMO

"To Douve or not to douve"


Samedi 8 juin
Matin
Rapport d'étonnement des jeunes chercheurs, avec Anna BERNAR, Robinson BOURSAULT, Jeanne & Louise GIGNOUX (étudiants Master 2 Duperré) et Darja RICHTER-WIDHOFF (Master Mode & Matière - EnaMoMa by PSL)
Présentation des revues Modes pratiques et Temple Numéro 12, ainsi que du livre La Mode comme indiscipline (Colloque de Cerisy, 2021)
Discussion et conclusion du colloque

Après-midi
DÉPARTS


Pendant la durée du colloque, Yvette NÉLIAZ (Damepipi.TV) documente le colloque pour l’École Duperré & PSL


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Mathieu BUARD
Mathieu Buard est professeur, commissaire, conseil. Commissaire indépendant d'art contemporain, il conçoit des expositions qui soutiennent l'émergence artistique et les pratiques croisées, notamment avec la revue Temple ou par le passé avec les cycles de l'outre avec Joël Riff. En 2022, il présente Danser l'image. Le Ballet National de Marseille direction (LA)HORDE au CNCS de Moulins, dont il assure le commissariat et la direction du catalogue. En tant que critique, il écrit pour différents supports éditoriaux : Magazine, Feu, Modes pratiques, Temple, ainsi que pour des artistes contemporains et leurs galeries (Almine Reich, Perrotin, The Pills,…). Agrégé d'arts appliqués de l'École Normale Supérieure de Cachan, il étudie et enseigne la mode, les pratiques artistiques contemporaines, les théories afférentes aux industries créatives et culturelles. En septembre 2021, il a co-dirigé à Cerisy le premier colloque sur la mode : La mode comme indiscipline. Il est responsable des diplômes de Master et Licence à l'École Duperré Paris, à l'université Gustave Eiffel et à Paris III Sorbonne Nouvelle, et intervient également à l'ENS Paris Saclay. Il exerce enfin un travail de conseil pour des maisons de luxe, et accompagne la création contemporaine, en particulier pour la Cité internationale de la tapisserie d'Aubusson où il développe une direction artistique pour le fonds contemporain.
Publications
Buard M., Mallet C. & Mosse A. (ed.), La mode comme indiscipline, Colloque de Cerisy, Éditions B42, 2024.
Buard M. (ed.), Danser l'image. Le Ballet National de Marseille direction (LA)HORDE, Éditions JBE Books, 2022.
Buard M., "Entre deux rives, la pratique solitaire d'une plasticienne", in Daniel LÉGER, VERA SZÉKELY, Éditions Norma, 2021.
Buard M., "Par delà, l'à venir. La couleur démultipliée ou les exercices cosmiques du peintre", in Raphaël BARONTINI, SOUKHOS Heng Long Leather, Éditions RVB BOOKS, 2020.

Colette DEPEYRE
Colette Depeyre est Maîtresse de conférences à l'université Paris Dauphine - PSL et membre du laboratoire Dauphine Recherches en Management (UMR CNRS 7088). Ses recherches portent sur les processus d'adaptation des capacités des organisations et les dynamiques de marché associées, dans le contexte de projets industriels complexes et dans le domaine de la mode et du luxe. Elle s'intéresse en particulier au rôle de l'innovation matière dans la transformation de la filière mode pour des pratiques plus responsables. Elle est responsable académique du Master Mode & Matière de l'université PSL et a participé au projet pédagogique Erasmus+ "Re-frame fashion". Elle coordonne également le projet de recherche ANR interdisciplinaire IDEOMM sur l'industriation de déchets organiques et minéraux pour la filière mode.
Publications
Depeyre C., "Regards croisés sur le "marché de la mode"", in Buard M., Mallet C. & Mossé A. (éd.), La mode comme indiscipline, Colloque de Cerisy, Éditions B42, 2024.
Depeyre C., Richter-Widhoff D. & Perret V., "Comment former pour transformer la mode", in Michaïlesco C., Lasri S. & Damart S. (éd.), L'état du management 2023, Repères La Découverte, Chapitre II, 2023.
Nicolas De Lamballerie E., Delacroix E. & Depeyre C., "Étude de cas : Vinted – Impact du marché de la seconde main en ligne", in Wiki AFM, Marketing pour une société responsable, Chapitre 8 - Partie 1, 2022.
Depeyre C., Richter-Widhoff D., "Le gaspillage des vêtements. Retour aux sources", in Guillard V. (éd.), Du gaspillage à la sobriété. Avoir moins et vivre mieux ?, De Boeck Supérieur, pp. 29-46, 2019.
Depeyre C., Rigaud E. & Seraidarian F., "Coopetition in the French luxury industry : five cases of brand-building by suppliers of luxury brands", Journal of Brand Management, vol. 25, n°5, pp. 463-473, 2018.
Depeyre C., Rigaud E. & Seraidarian F., "Quelles stratégies pour les sous-traitants face aux reconfigurations des chaînes de valeur ? Le cas de la joaillerie en France", Annales des Mines - Gérer et comprendre, vol. 1, n°127, pp. 3-14, 2017.
Depeyre C. & Seraidarian F., "Un luxe que la France ne peut plus se permettre ?", in Perret V. & Nogatchewsky G., L'état des entreprises 2015, Paris, La Découverte, pp. 25-34, 2015.

Céline MALLET
Formée à l'Ensad Paris aux disciplines de l'image et de la création audio-visuelle, Céline Mallet est professeur agrégé d'arts appliqués. Elle enseigne la mode et l'image, l'histoire des arts et du design à l'École Duperré Paris. Elle est auteur pour la revue Magazine dédiée à l'analyse du style, des media et des industries créatives ; elle est membre du comité de rédaction et auteur pour Modes Pratiques, Revue d'histoire du vêtement et de la mode (École Duperré, IRHiS, CNRS-INHA) ; elle a été co-directrice du colloque de Cerisy de 2021 intitulé La mode comme indiscipline, dont les actes sont à paraitre aux Éditions B42 en 2024.


Sonia ADAM-LEDUNOIS : M. Spock, Onze et Princesse Leia à la fashion week. La science-fiction, outil de prospective et d'influence
La présentation explorera les liens entre science-fiction, prospective et représentations esthétiques. Dans un premier temps sera discuté le lien entre prospective et science-fiction à la lumière du cas Red Team défense. Dans un second temps, une réflexion sera proposée sur l'esthétique dans les œuvres de science-fiction. Il s'agira d'étudier les représentations du vêtement dans ces œuvres, leurs contributions à l'ancrage du scénario dans une projection futuriste et leurs incidences sur les tendances contemporaines.

Titulaire d'un doctorat en sciences de gestion et management, Sonia Adam-Ledunois est maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches et directrice de la House of entrepreneurship à l'université Paris Dauphine-PSL. Ses travaux de recherche portent sur les coopérations en contexte de diversité, les problématiques d'intégration et d'inclusion sociale. Elle a plus particulièrement développé une expertise sur le dialogue entre science-fiction, management et prospective. Elle est investie dans des projets de recherche à visée d'impact sur la société et s'appuie centralement sur des démarches de recherche intervention ou recherche collaborative, en lien étroit avec des acteurs publics ou socio-économiques.

Odile BLANC : Retour sur Parades et parures. L'invention du corps de mode à la fin du Moyen Âge
Ce livre paru en 1997, issu d'une thèse soutenue sept ans plus tôt, avait pris le parti d'observer les usages vestimentaires représentés dans les manuscrits à peintures du royaume de France à la fin du Moyen Âge. Période durement éprouvée, partout en Europe, par les guerres et les résurgences de la peste noire. Période florissante pour les arts, où les princes en lutte pour le trône font appel aux meilleurs auteurs et artistes pour réaliser ces livres-joyaux aujourd'hui conservés, pour la plupart, dans les fonds précieux des bibliothèques. Ainsi les Très riches heures du duc de Berry et leur fameux calendrier tant de fois reproduit où châteaux, campagnes bien ordonnées, tables bien garnies et vêtements somptueux présentent un monde enchanté, celui de leur propriétaire. Le mode vestimentaire qui se déploie dans ces livres compose et impose, comme le journal de mode des temps ultérieurs, le paraître des modes du temps. Tel était le parti de ce livre sur lequel revenir aujourd'hui.

Odile Blanc, docteur en histoire médiévale, a consacré ses travaux au vêtement et au textile, avec un intérêt tout particulier pour les habits courts masculins de la fin du Moyen Âge [Parades et parures. L'invention du corps de mode à la fin du Moyen Âge, Gallimard, 1997], leurs avatars jusqu'au XIXe siècle ["Pourpoints, gilets et corsets : invention d'une plastique masculine du Moyen Âge au XIXe siècle", in Mode. Des parures aux marques de luxe, Economica, 2005], le rapport du vêtement au corps et au langage [Vivre habillé, Klincksieck, 2009], les vêtements des personnages de contes de fées ["Le merveilleux dans le vêtement", La Grande Oreille, n°46, juin 2011].

Benjamin CABANES : Les défis de la mode durable : vers une prospective de l'éthique et de l'esthétique
Le concept de mode durable englobe une multitude de pratiques hétérogènes et de solutions parfois antagonistes : matériaux recyclés, matière biologique, économie circulaire, suppressions des soldes, diminution des collections, production à la demande, etc. Ce concept peut ainsi s'analyser sous l'angle de la contrainte ou de l'opportunité. Une contrainte car les enjeux de durabilité s'imposent à toute l'industrie textile, une opportunité car de plus en plus de marques mobilisent le concept de durabilité comme positionnement concurrentiel. Pour sortir de cette aporie, nous proposons de penser la mode durable comme une utopie ou un mythe rationnel, c'est-à-dire un futur à explorer qui combine la rigueur de la raison, le pouvoir mobilisateur du rêve collectif et qui réconcilie les enjeux d'éthique et d'esthétique.

Benjamin Cabanes est enseignant-chercheur en sciences de gestion à Mines Paris – PSL. Ses recherches portent sur le management de l'innovation, le management de la R&D, les collaborations science-industrie, le développement de nouveaux produits et l'éco-conception. Il est également chargé d'enseignement à l'École Polytechnique et co-dirige le MS Entrepreneuriat Deeptech et Innovation de Mines Paris – PSL.

Eva DELACROIX : Les pénalités de pauvreté sur le marché vestimentaire
Dans cette contribution, nous nous intéressons aux pénalités de pauvreté sur le marché vestimentaire en France. Nous questionnerons pour commencer le jugement porté par la société sur les achats vestimentaires des plus démunis, souvent jugés comme superflus, en particulier lorsqu'ils achètent du neuf ou des marques. Nous verrons ensuite que les populations défavorisées ont un rapport ambivalent à l'achat de seconde main, encore souvent considéré comme stigmatisant, et qu'elles préfèrent participer à ce marché en tant que vendeurs plutôt qu'en tant qu'acheteurs. Du côté de l'offre, nous aborderons les problématiques d'accessibilité, de justice sociale et d'adéquation de l'offre aux désirs des classes populaires.

Eva Delacroix est maitresse de conférences à Paris-Dauphine. Ses recherches portent sur les consommateurs et consommatrices défavorisés, et la manière dont le marché produit de l'exclusion au travers de son offre.

Vincent DOROTHÉE : Charles IV de Lorraine, ou le triple corps du prince
À partir de l'étude d'un cas spécifique, celui du duc Charles IV de Lorraine (1604-1675), la communication proposée envisage d'explorer les différentes modalités d'apparition du corps d'un prince souverain du XVIIe siècle par le biais de sa vêture. L'analyse d'un certain nombre d'archives permet de se faire une idée assez précise des différentes manières dont le duc s'est attaché à paraître aux yeux de ses sujets comme de l'étranger et de déceler l'existence, non seulement d'un double corps, mais même, d'une certaine manière, d'un triple corps du prince. Les diverses dimensions en sont perceptibles à travers les habits que celui-ci a revêtus dans les fêtes de cour comme dans l'apparat du cérémonial aulique "ordinaire". Il semble ainsi que l'on puisse envisager le corps ducal comme un "enchâssement" de trois corps : un corps mythologisé (ou plutôt crypto-mythologisé) totalement auratique, un corps exhaussé non mythologisé, et enfin un corps emblématique.

Professeur agrégé d'arts appliqués et docteur en Histoire de l'art, Vincent Dorothée enseigne à Paris à l'ENSAAMA Olivier de Serres en DNMADE Spectacle et en DSAA Métiers d'art. Il a effectué sous la direction de Colette Nativel et soutenu en février 2022 à l'université Paris I – Panthéon-Sorbonne une thèse intitulée "Un crépuscule pour une aurore : Les échanges franco-lorrains à la lumière des arts et du spectacle au premier XVIIe siècle (1599-1633)" et publié une trentaine d'articles ainsi qu'un livre intitulé Bérain et ses prédécesseurs : Évolution et statut du décor et du costume dans le spectacle français de Beaujoyeux à Jean I Bérain (Sarrebrück, Presses Académiques Francophones, 2014). Ses recherches portent plus généralement sur les arts du spectacle en France et en Europe de la fin du XVIe siècle à la fin du XVIIIe siècle

Corinne LEGOY : Vestiaire de fêtes costumées au XIXe siècle : miroir ou dérèglement du monde ?
Interroger les éventuelles logiques d'un vestiaire de fête, tel est l'enjeu de cette communication. Ce vestiaire est celui porté, entre 1830 et 1914, par la foule des noctambules qui s'adonne à un divertissement dont la vogue est sans précédent, aussi bien dans les salles publiques que dans les salons privés : les bals masqués et costumés. Il s'agira de revenir sur les costumes portés en ces nuits, d'en explorer les vogues et les constantes ; d'en cerner les éventuels liens à l'actualité, à l'histoire, aux goûts du moment ; d'en peser, aussi, la part de subversion. De ce fait, nous chercherons à mesurer si ce vestiaire obéit à une simple logique festive — pure contribution à sa jubilation, à sa surenchère et à ses exhibitions — ou s'il se fait l'écho du monde, déréglant ses normes ou répercutant ses fièvres.

Corinne Legoy est maîtresse de conférences HDR en histoire contemporaine à l'université d'Orléans (laboratoire Polen, EA 4710). Ses travaux portent sur l'histoire culturelle et politique, les usages politiques et sociaux du théâtre et de la poésie sous la Restauration ainsi que sur la pratique des bals masqués et costumés à Paris au XIXe siècle. Pour ce travail, elle a bénéficié du soutien de la Bibliothèque nationale de France et de la Fondation L'Oréal (lauréate 2013 de la bourse de la Fondation sur "L'art de l'être et du paraître"). Cette recherche a donné lieu, notamment, à la publication de plusieurs articles, dans le Magasin du XIXe siècle, la Revue de la BnF, la Romanic Review ou Modes Pratiques. Revue d'histoire du vêtement et de la mode. Elle est également secrétaire de rédaction de cette revue, fondée en 2015 aux côtés de Manuel Charpy, Marjorie Meiss et Patrice Verdière.

Julien MAGALHÃES : Erratum — Pour en découdre avec les anachronismes à l'écran
Gladiator, Titanic, Shakespear in love, Les Visiteurs : le vestiaire de fiction construit une image du passé pas souvent alignée avec la réalité historique. Barbes de trois jours, décolletés plongeants et cuissardes : quelle influence ces choix de costumes ont-ils sur la construction d'une imagerie historique commune ? Julien Magalhães passe au peigne fin les anachronismes qui ont bercé notre culture audiovisuelle. En épinglant les mauvais exemples d'armure, corset, chaussure, jupe, ou perruque, on revisite l'Histoire par ce qu'il y a de plus intime : l'apparence. Un double regard en aller-retour sur les mentalités d'autrefois et les obsessions de notre époque.

Julien Magalhães est auteur, et enseigne l'histoire des modes et du costume à l'ESAA Duperré. Son premier livre Erratum, édité chez Hoëbeke – Gallimard, se penche sur les costumes de fictions historiques, et il a co-écrit la série Damoiselle pour TV5 Monde. Il signe également le podcast Les Beaux Restes sur Spotify, sur l'histoire des standards de beauté, et le format parodique Visites Guindées pour Urbania. Ses articles paraissent régulièrement dans le Harper's Bazaar, et il a officié en tant que chroniqueur à l'antenne de France Inter. Julien Magalhães continue d'explorer les relations entre mode, Histoire, société et pop culture sur tous les terrains qui s'ouvrent à lui.

Frédérique MATONTI : Les objets rusés. Savoir-faire domestiques féminins et messages cachés
Cette communication partira d'un travail sur les intellectuelles déportées dans les camps de concentration nazis et sur les techniques qu'elles ont mises au point pour se "divertir" au sens pascalien, c'est à dire pour essayer de ne pas penser à la mort. Au-delà de la récitation de poèmes, du chant, voire de la mise en scène de fragments de pièces de théâtre (Charlotte Delbo), et même de l'écriture d'une opérette (Germaine Tillion), beaucoup d'entre elles fabriquent de petits objets. Ceux-ci n'ont pas qu'une valeur utilitaire ou affective, ils ont aussi une valeur de témoignage. La forme la plus usuelle mais non genrée en est le dessin ou la sculpture sur les conditions de détention. Mais il existe des formes plus complexes, où les apprentissages domestiques sont mis à profit pour rendre ces objets apparemment innocents et simplement utilitaires, porteurs de significations. C'est le cas des broderies d'un sac à main de Geneviève de Gaulle qui lui servent à mémoriser le nom des camps traversés, ou d'un livre de prières récupéré par Germaine Tillion dans lequel elle inscrit des recettes de cuisine. Apparemment simples exercices de mémoire, ces recettes sont en fait codées pour rendre compte des expérimentations médicales à Ravensbrück. Je les ai appelés "objets rusés". En effet, ce sont des objets qui parviennent à encapsuler des informations, éventuellement sensibles, sous une forme apparemment inoffensive. Comme la "littérature de contrebande", selon la formule d'Aragon, ces objets rusés ont besoin d'être décryptés pour que leur sens soit accessible. Si Germaine Tillion n'avait pas survécu, son codage aurait été insoupçonnable et son message serait resté indéchiffré. Cette communication sera l'occasion de distinguer les objets rusés d'autres objets qui incorporent des savoir-faire domestiques comme les banderoles brodées des luttes féministes, ou les productions artistiques qui jouent sur la frontière avec l'artisanat. Elle sera aussi l'occasion de réfléchir aux parentés des productions intellectuelles de ces générations exclues durant une partie de leur existence des droits politiques, et formées dans des cursus distincts et séparés de ceux des hommes, avec les écritures et les lectures ordinaires.

Matthieu NICOL : Iconographie d'un vêtement militaire, un style ?
Je travaille depuis 2022 sur une archive photographique récemment déclassifiée, issue du Natick Soldiers System Center, centre de recherche et développement de l'armée américaine chargé du soutien logistique à tous les corps de l'armée. FASHION ARMY est le second chapitre de cette exploration de l'archive, couvrant la fin des années 1960 jusqu'au début des années 1990, récemment déclassifiée, constituée de 14134 scans de négatifs. Si leur source est identifiée, la finalité de ces images reste quant à elle à ce jour inconnue. Nulle trace de leur circulation ou publication ; ne subsiste dès lors que la possibilité de supposer leur intention : celle d'un fonds photographique destiné à l'usage interne, d'un centre militaire encore en activité dont on sait qu'il a en charge de tester les prototypes d'uniformes et d'équipement des soldats. L'armée américaine, contactée, n'a pas été en mesure de répondre à nos nombreuses questions, nous précisant manquer de ressources pour nous accompagner. Le recours à une approche scientifique ou historique s'avérant trop approximatif, c'est donc à partir de critères visuels que la sélection d'images ici présentée s'est établie. Un choix entendu comme une possibilité, faite d'associations subjectives de portraits en studio ou en extérieur et de packshots produits. Avec leur composition léchée, maîtrisée, et leurs fonds colorés, ces images semblent participer d'un simulacre, viser une forme d'objectivité et de prospective militaire qui questionne. Les modèles aux poses contraintes, sourires crispés, regards maladroits et étrangement familiers nous interpellent. Ce catalogue d'images en dit aussi long sur la relation entre la recherche militaire et ses applications civiles, notamment dans le domaine de la mode. Des trench-coats aux Ray-Ban, du tissu chino aux motifs camouflage, le style militaire a envahi les podiums comme la mode de rue. Leur incontestable attrait esthétique suscite aussi un certain malaise. Si elles n'ont a priori pas été réalisées à des fins de communication ou de propagande, ces images sont le produit d'une institution dont la raison d'être est de défendre par la dissuasion et d'imposer par la force ses intérêts à tout moment, en tout point du globe. En bref, de préparer la guerre.

Iconographe, collectionneur d'images et commissaire d'expositions indépendant basé à Paris, Matthieu Nicol (1978, France) s'intéresse aux images pauvres, anonymes ou versées au domaine public, sans notion d'auteur ni valeur de marché. Il dirige l'agence Too many Pictures, qui élabore des stratégies digitales et de communication pour des acteurs culturels. Il publie un premier livre sur la production visuelle du "food science lab" du centre, chargé de mettre au point les rations des soldats, et d'assurer la logistique de conservation et de préparation de plats consommables en toutes circonstances. Ce petit précis nous transporte en images dans les cuisines de la fabrique de la nourriture industrielle. BETTER FOOD FOR OUR FIGHTING MEN (RVB Books, Paris 2022) fait également l'objet d'une exposition - performance itinérante, montrée notamment aux festivals Photo Saint Germain (Paris, 2022) et YEAST (Matino, Italie, 2023), et prochainement à la Nuit des Images de Photo Elysée (Lausanne, juin 2024) et aux Photaumnales de Beauvais (septembre 2024). Après le goût, le style : FASHION ARMY sera présenté cette année aux Rencontres de la Photographie d'Arles (1er juillet-29 septembre 2024), et fera l'objet d'une publication aux éditions SPBH / Mack Books, à paraître en septembre 2024.
https://www.rencontres-arles.com/fr/expositions/view/1551/fashion-army
https://rvb-books.com/products/matthieu-nicol-better-food-for-our-fighting-men
https://www.toomanypictures.com/

Nicole PELLEGRIN : Ornement et châtiment, la mode ? L'habit religieux féminin catholique comme "fait social total"
L'habit de religion, du moins s'il est catholique, est un rempart et un étendard. C'est un "signe" et une "marque", comme le répètent tous les règlements conventuels, mais c'est aussi un amas de tissus ordonnancés qui ont un coût, un poids et des fonctions à la fois identitaires et pénitentielles. Ses singularités et leur variété changeante chez les religieuses d'entre Moyen Âge et XXe siècle rappellent qu'il est — bien sûr — comme tout agencement vestimentaire, un "fait social total" et, comme tel, effet et inspirateur de modes. Peut-être fut-il même le paradigme durable (et désormais révolu ?) de la plupart des vêtures laïques occidentales. Un parcours visuel sous forme de diaporama tentera d'évoquer les traces matérielles d'un débat finalement plus actuel qu'il n’y paraît.

Nicole Pellegrin, historienne et anthropologue spécialisée dans l'histoire du genre en France entre XVIe et premier XXe siècle, est chargée de recherche honoraire au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) et membre de l'Institut d'Histoire Moderne et Contemporaine à l'École Normale supérieure de Paris. Elle est co-fondatrice et membre de la Société Internationale d'Études des Femmes d'Ancien Régime (siefar.org), de l'Association Française d'Étude des Textiles (afet.fr), ainsi que de Musea (musée virtuel d'histoire des femmes et du genre) où elle a mis en ligne en 2004 une exposition : "Les genres de Jeanne d'Arc". Elle a enseigné aux universités de Paris-Sorbonne, Abidjan (Côte d'Ivoire) et Poitiers. Elle a aussi été professeure invitée à l'université Laval à Québec (Canada), à Rutgers dans le New-Jersey (USA) et à Utrecht (Pays-Bas, chaire "Belle van Zuylen"). L'essentiel de ses publications porte sur la construction de soi (et notamment du genre) par le vêtement : Les Vêtements de la liberté. Abécédaire des pratiques vestimentaires (1780-1800), Aix, Alinéa, 1989 ; Modes en noir, exposition, Poitiers 1994 ; "Femmes travesties", Clio, n°10, 1999 (avec C. Bard). Elle s'intéresse par ailleurs aux conditions matérielles de la production intellectuelle féminine, à l'épistolarité et aux dictionnaires de femmes illustres sous l'Ancien Régime.
Dernières publications
Écrits féministes, de Christine de Pizan à Simone de Beauvoir. Une anthologie, Paris, Flammarion, "Champs", 2010.
(en collaboration avec Cathy McClive), Femmes en fleurs, femmes en corps. Sang, Santé, Sexualités, du Moyen Âge aux Lumières, Saint-Étienne, PUSE, 2010.
Voiles, une histoire du Moyen Âge à Vatican II, Paris, CNRS éditions, 2017, ill. (rééd. en poche "Biblis", 2022).
Plusieurs articles sur les vêtements monastiques sous l'Ancien Régime, pendant la Révolution et au cinéma, ont paru, entre autres, dans la revue Modes pratiques (2015, 2016, 2023) et, en ligne (2019).

Annabel POINCHEVAL : Créatures de cabaret : création de costumes entre mode et patrimoine
À partir du co-commissariat de l'exposition Cabarets ! (avec Delphine Pinasa ; du 9 décembre 2023 au 30 avril 2024) et de la participation à l'ouvrage Cabarets ! Revue de costumes au Centre National du Costume et de la Scène de Moulins, je propose un regard sur la création de costumes dans le cabaret "indisciplinaire". Porteur d'images fortes, mais aussi porteur de messages et d'engagements, le cabaret bénéficie actuellement d'une mise en lumière dans les médias, à travers une fréquentation large et plurielle, une multiplication de soirées de tout type, ainsi que grâce à diverses institutions, dont le ministère de la Culture. L'image que le cabaret donne de lui-même prend alors une grande importance, dont les artistes, créateurs, créatures s’emparent avec intuition, savoir-faire et parfois avec l'aide de médiateurs, tels que les plasticiens. Au centre de cette image, le costume — dans sa version complète, chaussures, perruques et maquillages compris — sublime le corps et/ou le transforme en sorte qu'il devient support d'un message, de fantasmes ou de fantaisie. La référence est souvent présente : à qui ? à quoi ? et quelles influences décrit-elle ? Quelle interaction entre la créature et la création costume ? Dans quelle économie se situe t-on ? Mon intervention sera illustrée (sous réserve d'acceptation des plasticiens) par une série d'images projetées pour donner à voir les univers que nous traverserons ensemble.

Annabel Poincheval est Inspectrice de la Création - Collège Théâtre, Ministère de la Culture - Direction Générale de la création artistique.

Dina RASOLOFOARISON : Hairy stories. Histoires de cheveux et de poils
Le projet "Hairy stories" part du constat que les individus ont souvent un rapport compliqué avec leurs cheveux et/ou leurs poils. Nous nous intéressons aux récits de consommateurs et consommatrices (racontés souvent très spontanément dès la mention de l'idée de cheveux) tout comme aux récits de fournisseurs de services (coiffeuses, perruquières, esthéticiennes) pour identifier la nature des tensions existantes. Pour comprendre le sens, la symbolique et le poids derrière les histoires racontées, nous adoptons une perspective multidisciplinaire : sociologique pour comprendre les normes sociales en jeu, anthropologique pour comprendre le sens des rituels de beauté, histoire de l'art pour comprendre l'influence des représentations liées aux cheveux et aux poils dans l'art et la culture, et enfin marketing pour déterminer l'influence des marques et de l'industrie de la beauté sur les tendances capillaires et sur la construction identitaire des consommateurs et consommatrices. Nous observons que la consommation de produits et de services se révèle parfois être tout aussi bien perçue comme l'origine (ex : une coupe ratée chez le coiffeur) que comme la solution (ex : défrisage, coloration) à ces problèmes. Nous investiguons en particulier la dimension de Care que de nombreux fournisseurs de service doivent assumer, sans pour autant avoir une formation pour cela.

Dina Rasolofoarison est maitresse de conférences en marketing et communication à l'université Paris Dauphine-PSL. Elle s'intéresse aux cultures visuelles. Les cheveux et les poils forment un objet d'étude qui recoupe aussi bien la communication visuelle (par son aspect esthétique mais aussi symbolique) et les pratiques culturelles (par les rituels associés, les pratiques de consommation, et les stratégies de distinction par exemple). Ses recherches portent également sur les pratiques de fans au sein des industries culturelles et créatives.

Joséphine SCHMITT : Penser les nouveaux matériaux pour l'artisanat à travers le concept de "matières à création". Le cas de l'artisanat plumassier
Comme dans l'ensemble des secteurs, on assiste aujourd'hui dans la mode et le luxe, à une multitude de développements de nouveaux matériaux, afin de résoudre des problématiques éthiques et écologiques. Ils relèvent parfois de la recherche d'alternatives à des matières existantes, qui sont, elles, expérimentées et aimées depuis longtemps par les artisans. À travers le cas du savoir-faire plumassier, j'ai expérimenté comment penser de "nouvelles matières de plumasserie" qui trouvent notamment leur point commun avec les plumes, dans ce qu'elle révèle dans son potentiel et ses réflexes créatifs avec le plumassier, résumées dans le terme de "matières à création".


BIBLIOGRAPHIE :

Livres et catalogues

• Charles Baudelaire, Critique d'art suivi de critique musicale, Éditions Folio essais, 1992.
• Heidi Bivens, Euphoria fashion - The Art of Costume Design, Édition A24, 2022.
• Odile Blanc, Parades et Parures, l'invention du corps de mode à la fin du moyen âge, Édition Gallimard, 1997.
• Odile Blanc, Vivre habillé, Éditions Klincksieck, 2009.
• Denis Bruna, Tenues correctes exigées : Quand le vêtement fait scandale, Éditions des arts décoratifs, 2016.
• Claire Brunet, Catherine Geel, Le design : histoire, concepts, combats, Édition Gallimard Folio Essais, 2023.
• Mathieu Buard, Danser l'image - le Ballet national de Marseille direction (LA)HORDE, Éditions JBE books, 2022.
• Mathieu Buard, Céline Mallet, Aurélie Mosse, La mode comme indiscipline – territoires d’expressions et de recherches, Colloque de Cerisy (2021), Éditions B42, 2024.
• Marie Charlotte Calafat, Aurélie Samuel, Fashion folklore – Costumes populaires & haute couture, Co-édition du MUCEM et des Éditions Gallimard, 2023.
• Baldassare Castiglione, Le livre du courtisan, Éditions GF Flammarion, 1991.
• Judith Clark, Adam Philipps, Jane Alison, Sinéad McCarthy, The Vulgar – Fashion Redefined, Édition Koenig Books – Barbican Art Gallery, 2016.
• Mensitieri Giulia, Le Plus Beau Métier du Monde. Dans Les Coulisses de L'Industrie de la Mode, Éditions La Découverte, 2018.
• Francesca Granata, Experimental fashion : Performance art, Carnival and the Grotesque Body, Édition Bloomsbury Visual Arts, 2021.
• Catherine Guesde, Penser avec le punk, Éditions Presses universitaires de France, 2023.
• Frédéric Godart, Sociologie de la mode, Repères La Découverte, 2016.
• Emilie Hammen, L'idée de mode : Tome 1, Une nouvelle histoire, Éditions B42, 2023.
• Dick Hebdige, Sous-culture. Le sens du style, Éditions La Découverte, Paris, 2008.
• Adolf Loos, Comment doit-on s'habiller ?, Éditions Grasset - cahiers rouges, 2014.
• Marielle Macé, STYLES. Critique de nos formes de vie, Éditions Gallimard, 2016.
• Julien Magalhães, Erratum - Pour en découdre avec les anachronismes à l'écran, Éditions Hoëbeke, 2022.
• Stéphane Mallarmé, Écrits sur l'art, Éditions GF Flammarion, 1998.
• Francesco Masci, Hors mode, Éditions Allia, 2023.
• Nicole Pellegrin, Voiles – Une histoire du Moyen-Âge à Vatican II, Éditions du CNRS, 2017.
• Nicole Pellegrin, Tabliers au masculin, tabliers au féminin, Éditions Publi Chauvinoi, 2009.
• Olivier Saillard, Claude Arnaud, Valery Steele, Alexandra Bosc, La mode retrouvée – Les robes trésors de la comtesse Greffulhe, Éditions Palais Galliera, 2015.
• Tilda Swinton, Olivier Saillard, Embodying Pasolini, Éditions Rizzoli International, 2022.
• Alexandre Samson, Back side – Dos à la mode, Éditions Palais Galliera, 2019.
• Daniel Roche, La culture des apparences. Une histoire du vêtement (XVIIe – XVIIIe siècle), Éditions Fayard, 1989.

Revues et articles

• Modes pratiques I - Revue d'histoire du vêtement et de la mode, Normes et transgressions, Édition École Duperré - Institut de Recherches Historiques du Septentrion (IRHiS) de l'université de Lille - Laboratoire InVisu (CNRS-INHA), 2015.
• Modes pratiques II - Revue d'histoire du vêtement et de la mode, Sans la mode, Édition École Duperré - Institut de Recherches Historiques du Septentrion (IRHiS) de l'université de Lille - Laboratoire InVisu (CNRS-INHA), 2017.
• Modes pratiques III - Revue d'histoire du vêtement et de la mode, Saisons, Édition École Duperré - Institut de Recherches Historiques du Septentrion (IRHiS) de l'université de Lille - Laboratoire InVisu (CNRS-INHA), 2018.
• Modes pratiques IV - Revue d'histoire du vêtement et de la mode, Affections, Édition École Duperré - Institut de Recherches Historiques du Septentrion (IRHiS) de l'université de Lille - Laboratoire InVisu (CNRS-INHA), 2020.
• Modes pratiques V - Revue d'histoire du vêtement et de la mode, Les nuits, Édition École Duperré - Institut de Recherches Historiques du Septentrion (IRHiS) de l'université de Lille - Laboratoire InVisu (CNRS-INHA), 2023.
• Revue Critique, numéro Juin-Juillet 2022, 901-902, Manuel Charpy, Gabrielle Smith Hamilton, Corinne Legoy, Porter la mode, Les éditions de Minuit, 2022.
• De Lamballerie Edith & Guillard Valérie (2023), "Vers une prise de conscience des enjeux éthiques des matières textiles par les consommateurs dans le cadre de la transition écologique", Recherche et Applications en Marketing (French Edition), 38(3), pp. 7-34.
• Blanchet Vivien (2017), ""We make markets". Le rôle du salon Ethical Fashion Show dans la catégorisation de la mode éthique", Recherche et Applications en Marketing (French Edition), 32(2), pp. 27-47.


SOUTIENS :

École Duperré Paris
• Dauphine Recherches en Management (DRM - UMR 7088) | Université Paris Dauphine - PSL
• École normale supérieure Paris-Saclay (ENS Paris-Saclay)
Campus d'excellence des métiers d'art et du design

Programme 2024 : un des colloques

Programme complet


GÉOPOLITIQUE DE LA NORMANDIE DANS LE MONDE,

CIRCULATIONS DES IDÉES ET DES HOMMES, UNE PERSPECTIVE LONGUE


DU SAMEDI 25 MAI (19 H) AU MERCREDI 29 MAI (16 H) 2024

[ colloque de 4 jours ]



DIRECTION :

Vincent AUBIN, Pascal BULÉON, Christophe MANEUVRIER, Frédérique TURBOUT


ARGUMENT :

Une géopolitique de la Normandie dans son rapport au monde. Une géopolitique des idées et des hommes et des femmes qui les portent, lue au prisme de moments historiques où les événements qui s'y sont produits ont été en résonance avec l'histoire de l'Europe et parfois du Monde. La Normandie, au cours des quinze derniers siècles, a été d'assez nombreuses fois un terreau propice à l'émergence d'idées, de pratiques politiques et sociales ou, parfois même, le lieu d'événements décisifs de l'histoire du monde. Dans chacune de ces situations, les interactions avec les communautés humaines des cités, des royaumes, puis des États d'Europe, ont été importantes, comme celles avec le grand foyer si proche qu'est Paris, et très souvent aussi avec l'ailleurs et le lointain. Peu de régions en Europe ont connu une telle situation sur une aussi longue durée. Sans aucune vision essentialiste, ce colloque propose une réflexion sur les agencements complexes, la circulation, l'accueil, le positionnement, le rôle d'acteurs forts d'un moment…

Au centre de la réflexion, la géopolitique des idées, les conditions de leur émergence, de leurs échanges, de leurs influences, leur diffusion à toutes les échelles jusqu'à celle du Monde ; la géopolitique de la relation de la Normandie au monde dans son extension progressive, dans ses globalisations successives. Dans cette circulation des idées et des pratiques, des processus d'accueil d'idées et de personnes ont eu lieu. Ces territoires ont joué un rôle de creuset, puis une diffusion s'est produite, en des extensions et sur des durées différentes. Accueil, creuset, diffusion, circulation seront des fils de réflexion.

Ce colloque explorera cette trajectoire géopolitique de cette partie du continent dans la longue durée, analysera chacun des moments choisis, dans son contexte, sa complexité et sa diversité. Dans le même temps, il tiendra le fil de l'analyse de la comparaison, de la transmission dans la durée, de la construction des héritages collectifs.


MOTS-CLÉS :

Accueil, Circulation, Creuset, Diffusion, Europe, France, Géopolitique des idées, Îles Britanniques, Italie du Sud, Monde, Normandie, Sicile


CALENDRIER DÉFINITIF :

Samedi 25 mai
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants


Dimanche 26 mai
Matin
LE TEMPS DES ABBAYES ET DES PENSEURS, Xe-XIe
Pascal BULÉON : Introduction
Véronique GAZEAU : Au cœur de l'Europe du XIe siècle : Lanfranc, maître, passeur, conseiller du prince

Après-midi
LE TEMPS DU DUCHÉ, DU ROYAUME ANGLO-NORMAND, DE L'ITALIE DU SUD ET DE LA SICILE
Président de séance : Pierre BOUET

Fabio LINGUANTI : L'architecture normande en Sicile. Thèmes et modèles de construction entre les XIe et XIIe siècles : une nouvelle perspective de recherche
Ahmed DJELIDA : Les influences normandes dans les institutions du royaume de Sicile (XIIe siècle)

Soirée
"Une nouvelle ère numérique pour la Tapisserie de Bayeux", par Arnaud DARET (Université de Caen Normandie)
Concert : Jericho Trio (Frédérick LEMARCHAND)


Lundi 27 mai
Matin
LE TEMPS DES BANQUIERS, DES ARMATEURS, DE LA NAVIGATION ATLANTIQUE ET DES VOYAGES VERS L'AFRIQUE ET L'AMÉRIQUE
Présidente de séance : Frédérique TURBOUT

Christophe MANEUVRIER : Le commerce normand en Afrique subsaharienne au XVIe siècle : un laboratoire de la pensée libérale ? [enregistrement vidéo en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]

Après-midi
LE TEMPS DE LA CIRCULATION DES IDÉES PAR LE LIVRE
Président de séance : Gregor BLOT-JULIENNE

Silvia FABRIZIO-COSTA : Zanone Castiglioni, évêque de Lisieux (1424) et Bayeux (1432), un passeur particulier - culturel et politique - entre Angleterre, France et Italie au XVe siècle [enregistrement vidéo en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]
Sophie POIREY : Les écrits des jurisconsultes sur l'influence du droit normand en Europe (XVIIe-XVIIIe siècle) : mythes et réalités [enregistrement vidéo en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]

Soirée
Présentation de la bibliothèque mondiale du cheval et les "premières européennes et mondiales en Normandie", par Marie-Laure PÉRETTI


Mardi 28 mai
Matin
CRÉATION ET DIFFUSION DE SCHÉMAS IDÉAUX (XVIIe-XIXe)
Président de séance : Nicolas BRUCKER

Pierre-Marc AGERON : Les réseaux des érudits normands au XVIIe siècle : emboîtement des échelles [enregistrement vidéo en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]
Carole DORNIER : Des chemins du Cotentin aux routes de l'Europe de la paix : les réseaux de l'Abbé Castel de Saint-Pierre [enregistrement vidéo en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]
Françoise MÉLONIO : Tocqueville passeur entre plusieurs mondes [enregistrement vidéo en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]

Après-midi
LE TEMPS DE L'ÉMERGENCE DES PRATIQUES SOCIALES ET D'UNE ESTHÉTIQUE QUI ESSAIMERONT DANS LE MONDE
Président de séance : Alain TAPIÉ

Pascal BULÉON & Frédérique TURBOUT : Plaisance et station balnéaire, deux modèles de diffusion à partir d'un même bassin maritime [enregistrement vidéo en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]
Alain TAPIÉ : Aux origines de l'impressionnisme [enregistrement vidéo en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]

Soirée
Viviane MANASE : L'orientalisme au temps des bains de mer en Normandie


Mercredi 29 mai
Matin
LE TEMPS DE LA MÉMOIRE SECONDE GUERRE MONDIALE ; LA NORMANDIE À L'ESPRIT DU MONDE
Président de séance : Jean-Luc LELEU

Louise DAGUET : Reconstruire en Normandie, ouvrir sur le monde : géopolitique documentaire de la bibliothèque universitaire de Caen
Mickael DODDS : L'action du Comité Régional du Tourisme au titre du tourisme de mémoire
Denis PESCHANSKI : L'écho et l'évolution de la mémoire de la Bataille de Normandie à l'échelle internationale

Après-midi
Table ronde conclusive, animée par Sylvain ALLEMAND, avec Vincent AUBIN, Pascal BULÉON, Pierre BOUET, Nicolas BRUCKER et Frédérique TURBOUT

DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BILIOGRAPHIES :

Pierre-Marc AGERON : Les réseaux des érudits normands au XVIIe siècle : emboîtement des échelles
L'historiographie récente des sciences et des savoirs tend à l'approche géo-historique : elle cartographie les réseaux savants et leur insertion dans la société, retrace la circulation et les transferts des savoirs, révise notre perception de l'espace en détectant des interactions inaperçues. C'est dans cet esprit que mon intervention évoquera, à partir de quelques exemples, l'intense activité intellectuelle impliquant de manière décisive la Normandie qui s'est déployée au XVIIe siècle. J'essaierai de montrer comment savants et érudits ont su trouver place de manière simultanée dans des réseaux de différents diamètres, grâce à la création de cercles ou d'académies locales, grâce aux échanges épistolaires, grâce aux voyages. Malgré la rareté des documents se devine tout un système de relations savantes, articulé sur différentes échelles, par exemple entre les deux grandes villes normandes, entre la Normandie et Paris, entre la Normandie et l'Europe. Je montrerai aussi comment ce modèle souple a été transformé par la professionalisation de la science et la création des grandes institutions scientifiques royales, et comment la Normandie n'a pas ménagé ses efforts pour se conserver l'image d'une "terre de savants".

Pierre Ageron est maître de conférences de mathématiques à l'université de Caen Normandie et historien des sciences. Il est membre du Laboratoire Nicolas Oresme (CNRS UMR 6139) et responsable de la commission inter-IREM d'épistémologie et histoire des mathématiques. Ses recherches portent surtout sur la pénétration et la traduction des sciences européennes modernes dans les pays d'Islam du XVIe au XIXe siècle, mais aussi sur l'œuvre des arabisants français et sur l'histoire intellectuelle de la Normandie à l'âge classique. Investi dans les sociétés savantes normandes, il a récemment assuré la direction scientifique des ouvrages collectifs La Soif d'Orient des Normands (ASABL, Caen, 2022) et Les Normands et la science (FSHAN, Louviers, 2023).

Pascal BULÉON
Pascal Buléon est directeur de Recherche CNRS, spécialiste de géographie politique et économique. Il travaille depuis de nombreuses années sur les zones transfrontalières maritimes de l'Union Européenne et les bassins de la Manche et de la Caraïbe. Il a mené plusieurs programmes européens sur le sujet et impulsé des coopérations pluridisciplinaires entre SHS et STIC. Il a fondé deux atlas numériques l'Atlas Transmanche et en collaboration avec l'AREC, l'Atlas Caraïbe dont il assure la direction scientifique. Très impliqué dans le développement des réflexions pluridisciplinaires en sciences humaines et sociales en France, il dirige actuellement la Maison de la Recherche en Sciences Humaines de Caen.
Publications
Buléon P., Turbout F., 2018, La Manche post Brexit, un "espace-monde" entre France et Royaume-Uni, Revue CARTO, n°46, Mars-Avril 2018, Éditions Areion group.
Buléon P., Di Méo G., 2005, L'espace social : Lecture géographique des sociétés, Armand Colin.
Buléon P., Shurmer-Smith J.L. (dir.), 2007, Espace Manche, Un monde en Europe / Channel spaces, a world within Europe, EMDI project Interreg IIIB, 197 pages.
Buléon P., Turbout F., 2019, "Vieillissement de la population caribéenne, une mosaïque de situations, un enjeu pour demain", Études caribéennes, p. 43-44, Août-Décembre 2019 | en ligne.

Louise DAGUET : Reconstruire en Normandie, ouvrir sur le monde : géopolitique documentaire de la bibliothèque universitaire de Caen
Détruite en 1944, la reconstruction de la bibliothèque universitaire de Caen passe aussi par la reconstitution de ses collections. Les dons affluent des États-Unis, du Canada, du Royaume-Uni et de l'Europe toute entière. Mais, plus encore, les collections se recomposent par une politique d'acquisitions dirigée par Madeleine Dupasquier, première directrice de la bibliothèque universitaire reconstruite, sous l'impulsion de Pierre Daure, ancien préfet et recteur de l'académie de Caen, et de Julien Cain, administrateur de la Bibliothèque nationale et directeur des Bibliothèques de France et de la lecture publique. Entre érudition locale et ouverture internationale, les collections patrimoniales de la Reconstruction dessinent ainsi les lignes d'une géopolitique documentaire résolument tournée vers la Normandie et le monde anglo-saxon et atlantique.

Ahmed DJELIDA : Les influences normandes dans les institutions du royaume de Sicile (XIIe siècle)
Aux alentours de l'an Mil, une poignée d'aventuriers normands s'installent dans le sud de l'Italie. Il résulte de leur entreprise la fondation du royaume de Sicile en 1140. Le royaume se caractérise par une logique pragmatique se traduisant par de multiples influences institutionnelles tirées du pourtour méditerranéen. Pour autant, comme nous le verrons, les pratiques issues du duché de Normandie et du royaume anglo-normands occupent une part non négligeable dans la construction, notamment dans la partie péninsulaire du royaume.

Ahmed Djelida est maître de conférences en histoire du droit à l'université de Reims Champagne Ardenne. Auteur d'une thèse sur la construction de l'institution royale siculo-normande, ses recherches portent principalement sur les zones frontières au Moyen Âge (Sicile normande, péninsule ibérique, royaume de Jérusalem…) et sur les interactions entre les différentes cultures juridiques qui s'y rencontrent.

Carole DORNIER : Des chemins du Cotentin aux routes de l'Europe de la paix : les réseaux de l'Abbé Castel de Saint-Pierre
L'abbé Castel de Saint-Pierre (1648-1743), né à Saint-Pierre-l'Église, auteur du Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe, a fait de sa province d'origine, riche, commerçante, tournée vers la mer et terre de reconquête catholique, d'apaisement des conflits religieux, une source d'observation pour nourrir ses écrits. Un réseau de relations normandes facilite sa participation à la vie intellectuelle et mondaine de la capitale et lui ménage un poste d'observation politique. Convaincu que la circulation des idées est indispensable au progrès de l'esprit, il promeut la diffusion des expériences et des imprimés à l'échelle du continent, s'appuyant sur un réseau de relations et de correspondants, en Allemagne, en Angleterre et en Hollande. Il parvient dans sa réflexion politique et économique, à concilier l'observation attentive de sa province et une approche comparative de l'Europe de son temps.

Professeur émérite de littérature et culture françaises du XVIIIe siècle à l'université de Caen Normandie, Carole Dornier a publié des travaux et des éditions scientifiques de textes concernant les idées morales et politiques des Lumières (Crébillon, Duclos, Montesquieu, Le Maître de Claville, Vauvenargues, Rousseau). Elle dirige une édition électronique des écrits de l'abbé de Saint-Pierre en voie d'achèvement (https://www.unicaen.fr/puc/sources/castel/) et a fait paraître en 2020 : La Monarchie éclairée de l'abbé de Saint-Pierre, une science politique des Modernes (Oxford University Studies in the Enlightenment, Liverpool University Press).

Silvia FABRIZIO-COSTA : Zanone Castiglioni, évêque de Lisieux (1424) et Bayeux (1432), un passeur particulier - culturel et politique - entre Angleterre, France et Italie au XVe siècle
On sait que l'humanisme, ce courant complexe de transmission et création de savoirs, auquel on doit "l'invention de la Renaissance" né dans l'Italie du centre-nord à la fin du XIVe (un seul nom : F. Pétrarque) a connu une diffusion européenne grâce à la circulation des livres et des hommes déjà au tournant du XVe siècle. Les "humanae litterae", caractérisées par le retour aux textes antiques et la restauration des valeurs dont ils étaient porteurs, ont produit et répandu un modèle de culture nouveau, qui a modifié en profondeur les formes de la pensée comme celles de l'art et qui sera adopté par une large part des élites occidentales au cours des deux siècles suivants. La Normandie a été un des carrefours du nord de l'Europe où ont œuvré ces humanistes italiens de premier rang qui ont porté sur le terrain les nouvelles idées et formé des lettrés à ces pratique savantes venues de la Péninsule. C'est le cas du lombard Zenone Castiglioni, neveu d'évêques et cardinaux et oncle à son tour d'évêques et cardinaux, tous passés par les évêchés normands. C'est l'occasion de remettre au jour le profil de passeur culturel de ce prélat à la trajectoire particulière, diplomate apprécié à la cour anglaise et interlocuteur de Charles d'Orléans et, entre autres, membre du tribunal qui condamna Jeanne d'Arc et chancelier de l'université de Caen.

Bibliographie
François Neveux, "Les Italiens des diocèses de Bayeux et Lisieux du XIIIe au XVe siècle", in Cahier des Annales de Normandie, n°29, 2000, Les Italiens en Normandie, de l'étranger à l'immigré, Actes du colloque de Cerisy-la-Salle (8-11 octobre 1998), pp. 97-115.
Tino Toffano, "La mediazione culturale di alcuni discepoli di G.Barzizza, di Vittorino da Feltre e di Guarino Veronese in Francia e in Inghilterra", in Luisa Rotondi Secchi Tarugi (éd.), Rapporti e scambi tra Umanesimo italiano ed Umanesimo europeo, Firenze, 2001 pp. 575-584.
Cécile Caby et Clémence Revest, "Parcours de l'humanisme : Introduction", Diasporas, 35 | 2020, 15-23.

Viviane MANASE : L'orientalisme au temps des bains de mer en Normandie
Outre les mouvements migratoires, les échanges commerciaux et financiers, le rapprochement des peuples passe également par la circulation des idées et l'imprégnation d'un peu de la culture de l'Autre, générant une riche palette d'influences souvent réciproques. Ainsi le précoce avènement du monde des Bains de mer en Normandie, directement importé d'Angleterre, a suscité l'éclosion, à partir des années 1860, d'une architecture balnéaire éclectique qui puise dans le temps et l'espace des univers propres à combler les rêves de leurs usagers. L'orientalisme en particulier évoque, peut-être plus qu'un autre style, la féérie ludique, voire fantasmagorique, que l'on désire associer aux loisirs estivaux. À travers le prisme de l'architecture du littoral normand, certains emprunts culturels en provenance du monde oriental évoquent ainsi plusieurs facettes d'échanges entre les Normands et des populations plus exotiques. Ces échanges, sources d'un dépaysement drapé de merveilleux, s'enracinent pourtant dans une réalité historique et économique incontestable : le "Voyage en Orient", version élargie du "Grand Tour" de la haute société — jeunes aristocrates anglais surtout et élite érudite européenne — des premiers temps laisse place à la colonisation politique et économique de ces territoires lointains par les puissances européennes. L'emprise française sur l'Afrique du Nord à partir du milieu du XIXe siècle est ainsi un facteur déterminant : de ce contact très concret avec la culture de l'Autre émergera et s'épanouira le goût pour l'esthétique orientalisante en France, y compris en Normandie.

Viviane Manase est Conservatrice du Patrimoine, Région Normandie, service de l'Inventaire (site de Rouen), Direction de la culture et du patrimoine.
Publications
Normandie
HEBERT Didier, MANASE Viviane, "L'influence anglaise dans les stations balnéaires normandes", dans Les anglais en Normandie, Société historique et archéologique de la Manche, Actes du 45e congrès des sociétés historiques et archéologiques de Normandie 2011, p. 335-352.
HEBERT Didier, MANASE Viviane, "Normandie balnéaire : entre influences et innovations, pratiques, architecture et urbanisme", dans DUHAMEL, Philippe, TALANDIER, Magali, et TOULIER, Bernard (sous la direction de), Le balnéaire. De la Manche au Monde, Actes du Colloque de Cerisy, 10-17 juin 2013, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 63-80.
MANASE Viviane, "Influences anglaises et paysages littoraux normands (XVIIIe-XIXe siècles)", dans Études Normandes, 2017, n°3, Automne 2017.
MANASE Viviane, L'orientalisme au temps des Bains de mer en Normandie, Actes du 54e Congrès de la Fédération des Sociétés Historiques et Archéologiques de Normandie : "La Normandie en mouvement : entre Terres et Mers", Dieppe, 9-12 octobre 2019, Louviers, FSHAN, 2020, p. 473-486.
Normandie orientale
MANASE Viviane, "Établissements de bains et casinos. Une architecture d'exception", dans Les casinos de Dieppe (1822-1942), Pierre ICKOWICZ (dir.), catalogue d'exposition, Dieppe, "Les Amys du Vieux Dieppe", 2007, p. 27-64 et "Le tennis de plage. Anglomanie, loisir mondain et sport", idem, p 83-87.
MANASE Viviane, "Les villégiatures familiales de la côte d'Albâtre (du Tréport au Havre)", In Situ, n°13, août 2010 | En ligne.
MANASE Viviane, Les villas d’Etretat. Villégiature et balnéaire 1840-1910 | En ligne (Shorthand Social, 2017, Région Normandie, Chroniques du Patrimoine, Architecture).
MANASE Viviane, "Réseau ferré et villégiature balnéaire en Normandie : la Côte d'Albâtre", Frédéric FOURNIS (dir.), En bord de ville, au bord de l'eau. Les territoires de la villégiature, Journées d'études 2-3 septembre 2021, Angers, Archives Départementales de Maine-et-Loire, p. 110-121.
MANASE Viviane, "Il y a deux cents ans. La première vague des bains de mer", Revue Historia, Juillet/Août 2022, n°907.

Françoise MÉLONIO : Tocqueville passeur entre plusieurs mondes
La première moitié du XIXe siècle voit se mettre en place le système représentatif, les communications entre le centre et la périphérie sont facilitées par l'essor de la presse, la rapidité croissante des transports. Tocqueville, intellectuel internationalement reconnu et notable élu, est un bon exemple de la circulation des idées dans une France en transition démocratique. Député de Valognes de 1839 à 1851, et président du conseil général, il a voulu adapter en Normandie le selfgovernment qu'il avait découvert aux États-Unis puis tiré de son expérience politique normande la matière de sa réflexion postérieure d'historien sur la culture politique française héritée de l'ancien régime. On examinera comment le Cotentin est devenu pour lui le lieu des travaux pratiques de La Démocratie en Amérique.

Françoise Mélonio est professeur émérite de littérature française à Sorbonne-Université, historienne des idées politiques, elle a dirigé la publication des Œuvres Complètes de Tocqueville (18 tomes), le volume d'œuvres choisies de Quarto et participé à l'édition des Œuvres dans la Bibliothèque de la Pléiade. Sur Tocqueville, elle a publié Tocqueville et les Français (Aubier, 1993), et rédigé une biographie de Tocqueville à paraître aux éditions Gallimard en 2025.

Marie-Laure PÉRETTI
Marie-Laure Péretti écrit régulièrement pour la presse équestre (L'Éperon, Sports équestres, Jours de cheval, Pony Girl, etc.). Elle a tenu une librairie spécialisée sur le cheval à Paris (Cavalivres) pendant près de 10 ans. Depuis 2016, elle est responsable de la Bibliothèque Mondiale du Cheval (MRSH-Université de Caen Normandie).

Sophie POIREY : Les écrits des jurisconsultes sur l'influence du droit normand en Europe (XVIIe-XVIIIe siècle) : mythes et réalités
Les jurisconsultes normands des XVIIe et XVIIIe siècles regardent le droit normand comme un élément fondateur à l'échelle européenne. Admiratifs des conquêtes normandes et de la Pax Normanna mise en place par les Normands dans les territoires conquis, ils louent une coutume d'origine germanique et refusent toute influence du droit romain à l'encontre des professeurs de droit de la faculté de droit de Caen. Une troisième influence se dessine également à travers la procédure romano-canonique.

Sophie Poirey est maîtresse de conférences en histoire du droit à l'université de Caen Normandie. Directrice du Certificat d'études juridiques et normandes destiné aux aspirants avocats au barreau de la Cour royale de Guernesey, elle enseigne les institutions et le droit coutumier normands et leurs applications actuelles dans les bailliages de Jersey et de Guernesey.

Frédérique TURBOUT
Frédérique Turbout est docteure en géographie, ingénieur de recherche à la MRSH de Caen Normandie et co-directrice du pôle maritime de la MRSH. Ces principaux thèmes de recherche sont centrés sur l’analyse de bassins maritimes transfrontaliers, notamment sur les questions des échanges, des migrations, des enjeux géopolitiques de ces espaces maritimes. Elle accompagne le développement et la gestion d'atlas numériques et a participé à des programmes européens Interreg sur les bassins transfrontaliers maritimes Manche et Caraïbe..
Publications
Buléon P., Turbout F., 2018, La Manche post Brexit, un "espace-monde" entre France et Royaume-Uni, Revue CARTO, n°46, Mars-Avril 2018, Éditions Areion group.
Buléon P., Turbout F., 2019, "Vieillissement de la population caribéenne, une mosaïque de situations, un enjeu pour demain", Études caribéennes, p. 43-44, Août-Décembre 2019 | en ligne.
Turbout F., 2019, "Les migrations caribéennes entre rêve et réalité", Revue La Géographie, n°1574 (automne 2019) | Spécial FIG : Les Caraïbes, pp 30-35.
Turbout F., 2013, Regards sur l'Espace Manche, CAMIS project Interreg IVA France (Manche) – Angleterre, 11 planches (cartes et textes).


SOUTIENS :

Région Normandie
• Université de Caen Normandie (UNICAEN)
• Maison de la recherche en sciences humaines de Caen (MRSH) | Université de Caen Normandie (UNICAEN)

Programme 2024 : un des colloques

Programme complet


VERS DES POLITIQUES DES CYCLES DE L'EAU


DU JEUDI 16 MAI (19 H) AU MARDI 21 MAI (14 H) 2024

[ colloque de 5 jours ]



ARGUMENT :

"À la suite d'Aldo Leopold, tenter collectivement de penser comme un cours d'eau.
Développer nous aussi des politiques qui, comme l'eau, font toujours avec — contourne,
serpente et creuse. Cette eau qui n'est pas sans violence, entre crues et torrents,
mais dont les cycles sur le temps long construisent bien plus qu'ils ne détruisent."

M. Schaffner, M. Rollot, F. Guerroué, "Pour une intermondiale des bassins-versants",
dans Les Veines de la Terre, Wildproject, 2021.

En 1964, la France se dotait de véritables institutions de bassin-versant, qui ont aujourd'hui été transposées à toute l'Europe. Alors que ces Agences de l'eau fêteront leurs 60 ans en 2024, nous proposons de mettre en discussion, de façon fractale et diverse, ce que pourraient être non pas seulement des "politiques de l'eau", mais des "politiques des cycles de l'eau" qui soient aptes à accompagner les vies troublées par les bouleversements écologiques et sociaux, en cours et à venir.

Les cycles de l'eau, en effet, tout comme le climat, se dérèglent. Alors que déjà nous les comprenons mal dans toute leur complexité (de surface, souterrains, atmosphériques, bleus ou encore verts), les cycles de l'eau soutiennent pourtant l'ensemble de nos modes de vie — et même plus largement, toute forme de vie. À l'heure des bouleversements écologiques, ces cycles de l'eau apparaissent de moins en moins renouvelables et de moins en moins inépuisables. Dès lors, comment donc envisager des politiques, des pratiques et des représentations collectives qui se mettent à la hauteur de l'eau, de ses sagesses et des risques traité en elle ?

Pour en débattre, des artistes avec des chercheurs et chercheuses alterneront balades, conférences, études de cas, expositions, films…, ouverts à un large public intéressé par le sujet de la rencontre.


MOTS-CLÉS :

Agences de l'eau, Bassin-versant, Biorégion, Cycles de l'eau, Hydrologie, Hydropolitique, Partage de l'eau, Politiques de l'eau


CALENDRIER DÉFINITIF :

Jeudi 16 mai
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants


Vendredi 17 mai
RECONSIDÉRER L'IMPORTANCE DES CYCLES
Matin
Emma HAZIZA : Être à la hauteur des bouleversements, s'adapter à des cycles perturbés [visioconférence]
Jérôme GAILLARDET : L'enchevêtrement des cycles de l'eau dans l'espace et dans le temps

Après-midi
Présentation des travaux sur Le Rabec (TERREMER), par les 5e du collège Anne Heurgon-Desjardins de Cerisy-la-Salle

"HORS LES MURS" — À L'ABBAYE DE HAMBYE
Promenade dans et autour du site de l'abbaye de Hambye

Visite commentée de l'exposition "À la recherche de Constantia" et lectures d'extraits, par Marin SCHAFFNER (réalisée avec GANG, avec la participation du C|A.U.E de la Manche et de Territoires pionniers)

Soirée
Ciné-Débat
Méandres ou la rivière inventée (film de Marie Lusson et Émilien de Bortoli, 2022), suivi d'une discussion dessinée avec le collectif Hydromondes


Samedi 18 mai
LES INSTITUTIONS ET LES INFRASTRUCTURES FACE AUX CYCLES
Matin
Au fil de la journée : lectures de textes de Gary Snyder, Vandana Shiva et Hatakeyama Shigeatsu, par Marin SCHAFFNER

Ciné-Conférence
Return of the river, film de Jessica Plumb et John Gussman (2014)
Sophie GOSSELIN & David GÉ BARTOLI : Présentation du film Le fleuve Elwha : quand la nature reprend ses droits, suivie d'un débat

Après-midi
Visite commentée de l'exposition "Nous sommes Orne : d'un diagnostic paysager à une dynamique de bassin-versant", par Elisabeth TAUDIÈRE et Maël TRÉMAUDAN (Territoires pionniers)

Patrick LAIGNEAU : Le national vu de l'international — retour sur les 60 ans des Agences de l'eau
Roberto EPPLE : 50 ans de luttes européennes pour les cycles de l'eau (SOS Loire vivante) [visioconférence]

"Cycles de l'eau et communs", débat thématique animé par Caroline LEJEUNE


Dimanche 19 mai
LES EAUX SONT VIVANTES
Matin
Frédéric ROSSANO : Le retour de la vulnérabilité, ou comment vivre de nouveau avec les crues
Mathias ROLLOT : Architectures, eaux, et quelques manières de se perdre

Après-midi
Charles AMBROSINO & Nicolas TIXIER : Retrouver les voi(es)x de l'eau. Le cas de la métropole grenobloise

"Là où vont les eaux du château" : sortie collective dans le havre de Regnéville-sur-mer

"Architectures, urbanismes & eaux", débat thématique animé par les étudiants AUEP / Métrofablab de l'université Grenoble-Alpes

Soirée
Antoine DEVILLET : Là où nous emmène la redécouverte d'un ruisseau — un conte philosophique


Lundi 20 mai
NOUVELLES LIGNES DE PARTAGE
Matin
Plénière : point d'étape collectif

Lecture d'un extrait de Idées pour retarder la fin du monde d'Ailton Krenak, par Clément NOVARO

Visite commentée de l'exposition "Diagnostic biorégional du pays d'Uzès", par Maële GIARD et Clémence MATHIEU (Hydromondes)

Après-midi
Marine CALMET : Que peut le droit pour les bassins-versants ?

"Entre Loire et Rhône, sentir-penser depuis un canoë-kayak", discussion avec Julien CHAPUIS, Jean-Louis MICHELOT (Atelier des Confins, Écosphère) et Barbara RÉTHORÉ

Soirée
"… Rivières sans fin". Une lecture théâtrale de Gary Snyder, par Anna DESREAUX


Mardi 21 mai
BOUCLER LA BOUCLE
Matin
Présentation de la boîte TERREMER, par Clémence MATHIEU et Marin SCHAFFNER

Présentation de la Fondation Zoein, par Caroline LEJEUNE

Intervention de Philippe AUBERT

Discussion générale et conclusions

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS ET BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Mathias ROLLOT : Architectures, eaux, et quelques manières de se perdre
Depuis une analyse portant sur les manières qu'ont architectes et architectures de négocier avec l'eau (comme pur outil compositionnel et spectaculaire atopique, comme part d'une situation contextuelle avec son identité propre, ou encore comme élément écologique dynamique aux dimensions changeantes et multiples), on peut tirer de multiples enseignement pour la théorie de l'architecture. En d'autres termes : "dis moi ce que tu fais de l'eau et je te dirai quel architecte tu es !". Et parce qu'il ne saurait y avoir d'écologie autre que située et populaire, partagée et totale, l'enjeu est finalement d'envisager quels rapports à l'autochtonie et au plurivers nous sommes capables de tenir avec l'architecture (et l'eau) dans une optique décoloniale non métaphorique et dans une visée écologique radicale.

Architecte, Docteur et HDR en Théories et pratiques de l'architecture, Mathias Rollot est maître de conférences à l'ENSA de Grenoble. En tant que chercheur, auteur, éditeur ou traducteur, il a publié de nombreux ouvrages et articles sur l'architecture et le monde contemporain dans une perspective écologiste. Ses travaux appartiennent au champ des humanités écologiques, et ont notamment porté par le passé sur les doctrines de l'habitabilité, la théorie et l'histoire du biorégionalisme, les pratiques alternatives en architecture ou encore l'éthique et l'épistémologie architecturale. Ses recherches actuelles mettent au travail les écologies décoloniales et les philosophies éthiques, animalistes et environnementales, dans l'idée de contribuer à la production de formes de théories critiques de l'architecture pour l'époque anthropocène. Par ailleurs, il est à l'origine de la plateforme de science ouverte bioregions-bibliothèque.fr qu'il anime (occasionnellement) depuis le printemps 2020.
https://mathiasrollot.work/

Marin SCHAFFNER : Pour des imaginaires de bassins-versants
Depuis Hambye et en complément de la visite de l'exposition À la recherche de Constantia, Marin Schaffner proposera de s'immerger dans les réalités multiples des bassins-versants. À partir de la Sienne et de ses affluents — et dans une série d'allers-retours auprès d'autres rivières — cette intervention nous plongera à la confluence des sciences, des arts et des cultures habitantes pour tenter de sentir-penser comment les eaux connectent la vie à un mouvement permanent.

Originaire du Cotentin, Marin Schaffner est auteur, traducteur et éditeur aux côtés de Wildproject. Ethnologue de formation, il est membre fondateur du collectif Hydromondes et de l'Association pour l'écologie du livre. Tourné vers l'écofiction, il accompagne également plusieurs dynamiques liées à l'eau, et coopère avec Territoires pionniers I Maison de l'architecture - Normandie depuis plusieurs années. Après Un Sol commun (2019), Les Veines de la Terre (2021) et Qu'est-ce qu'une biorégion ? (2021), il vient d'écrire À la recherche de Constantia (2023) – livre sur le bassin-versant de la Sienne, sur lequel Cerisy se situe.


Charles AMBROSINO & Nicolas TIXIER : Retrouver les voi(es)x de l'eau. Le cas de la métropole grenobloise
Les paysages grenoblois de l'eau demeurent aujourd'hui très largement façonnés par les corps d'ingénieurs, les industriels et énergéticiens et dans une moindre mesure par les collectivités locales et les services de l'État, soucieux de maitriser les aléas en milieux urbanisés. Toutefois, des mouvements concomitants viennent bousculer cette mécanique experte, et témoignent tant d'un infléchissement des modes de conception de l'interface ville/eau en faveur de l'usage et de l'urbanité, que d'un élargissement des sphères de la gouvernance urbaine à des pans organisés de la société civile. Ce faisceau de signaux faibles augure-t-il une bifurcation territoriale vers une fabrique écologique et paysagère des espaces habités ?

Historien et urbaniste de formation, Charles Ambrosino est Professeur d'urbanisme à l'Institut d'Urbanisme et de Géographie Alpine et chercheur à l'UMR PACTE. Son dernier ouvrage La métropole géographique et ses urbanismes (POPSU Métropole 2018-2022) explore les modalités de réencastrement géographique du projet de sol de la métropole grenobloise et ouvre de nouveaux sillons de recherche fondamentale sur les disciplines du projet spatial et territorial. Ses recherches se prolongent actuellement dans le cadre du programme POPSU Transitions (2023-2026) "Grenoble XXI. Retrouver les voi(es)x de l'eau" dont il assure la coordination scientifique.

Nicolas Tixier est architecte, professeur à l'École nationale supérieure d'architecture de Grenoble (Université Grenoble Alpes) et professeur invité à l'École supérieure d'art Annecy Alpes. Il travaille comme chercheur au laboratoire Architectures, ambiances, urbanités (AAU) au sein de l'équipe CRESSON dont il est le directeur depuis 2018. Il mène parallèlement une activité de projet au sein du collectif BazarUrbain. Ses travaux actuels portent principalement sur le transect urbain, comme pratique de terrain, technique de représentation et posture de projet. Entre héritage et fiction, il interroge les territoires et leur fabrique par les ambiances.
Publications récentes
Rachel Brahy, Jean-Paul Thibaud, Nicolas Tixier, Nathalie Zaccaï-Reyners (dir.), L'enchantement qui revient, Colloque de Cerisy, Hermann Éditeurs, Paris, 2023.
Didier Tallagrand, Jean-Paul Thibaud, Nicolas Tixier (dir.), L'usage des ambiances. Une épreuve sensible des situations, Colloque de Cerisy, Hermann Éditeurs, Paris, 2021.

Marine CALMET : Que peut le droit pour les bassins-versants ?
Le mouvement pour la reconnaissance des droits de la nature connaît un essor mondial, de l'Equateur à l'Australie, de l'Ouganda à l'Espagne. Comment reconnaitre des droits fondamentaux à des entités et des écosystèmes naturels peut apporter des outils supplémentaires pour la défense des bassins versants ? Quels sont les enjeux juridiques et politiques et quels sont les impacts observés ?

Marine Calmet, avocate de formation, juriste spécialiste des droits de la nature, présidente de Wild Legal, porte parole du collectif Or de question opposé à l'industrie minière en Guyane et autrice du livre Devenir Gardiens de la Nature.

Jérôme GAILLARDET : L'enchevêtrement des cycles de l'eau dans l'espace et dans le temps
Le cycle de l'eau est spécifique de la planète Terre. On le croit simple, il est multiple ; il se décline en plusieurs boucles jamais parfaites. Nous proposons une vue renouvelée des rotations de l'eau sur la Terre et de leurs temporalités multiples et emboitées. Une politique des cycles de l'eau doit prendre en compte cette hétéro-temporalité. Elle doit aussi s'intéresser à la fine pellicule des terres émergées transformées par l'action de l'eau, que l'ont appelle la zone critique, un lieu particulier de l'habitabilité terrestre.

Jérôme Gaillardet est professeur à l'Institut de physique du globe de Paris et membre de l'Institut universitaire de France. Géochimiste, il mène des recherches sur les cycles biogéochimiques et la composition chimique des rivières. Il co-coordonne l'infrastructure de recherche nationale OZCAR (Observatoires de la zone critique, applications et recherche) et travaille au Centre des politiques de la Terre.

Sophie GOSSELIN & David GÉ BARTOLI : Présentation du film Le fleuve Elwha : quand la nature reprend ses droits, suivie d'une intervention sur "Vers des peuples de l'eau et des institutions-rivière : comment faire politique depuis les cycles de l'eau"
En nous appuyant sur l'exemple du processus social et politique qui a accompagné le démantèlement de deux barrages sur le fleuve Elwha (État de Washington, USA), nous nous intéresserons aux nouvelles manières de faire peuple depuis les cycles de l'eau. Nous explorerons la manière dont la prise en compte de la vie du fleuve induit une territorialisation écocentrée de l'espace social et politique, nous invitant à créer des institutions terrestres capables de prendre en charge des alliances entre humains et autres qu'humains et d'ouvrir l'horizon d'une cosmopolitique pluriverselle.

Sophie Gosselin est philosophe et enseigne dans le Master Études Environnementales de l'EHESS à Paris. Elle travaille actuellement sur les enjeux d'écologie politique, d'anthropocène, de droits et de personnifications de la nature. Elle est membre de la revue en ligne Terrestres, de l'université populaire pour la Terre (Tours) et du Parlement de Loire. Depuis 2022, elle est vice-présidente du conseil scientifique du bassin Loire-Bretagne.

David gé Bartoli, philosophe et auteur, enseigne à l'université de Tours. Il travaille sur les enjeux de reterritorialisation sensible et écologique des communautés habitantes ainsi que sur les manières de donner voix et agentivité aux autres qu'humains. Il explore ces questions dans le cadre de résidences d'auteur, sous la forme de conférences ou de performances. Il est membre de l'université populaire de la Terre (Tours) et du Parlement de Loire.

Sophie Gosselin et David gé Bartoli sont co-auteurs de deux ouvrages : La condition terrestre, habiter la Terre en communs (Éditions du Seuil, 2022), et Le toucher du monde, techniques du naturer (Éditions Dehors, 2019).

Patrick LAIGNEAU : Le national vu de l'international — retour sur les 60 ans des Agences de l'eau
Depuis les années 1990, des responsables associatifs, techniques et politiques brésiliennes et brésiliens se sont inspirés de l'expérience des agences de l'eau françaises pour construire des politiques de l'eau décentralisées et participatives dans les 26 États de leur fédération. Depuis Cerisy, Patrick Laigneau présentera une approche croisée des idées et des pratiques qu'il a observées ou auxquelles il a participé de part et d'autre de l'océan Atlantique, pour vous proposer un regard distancié sur les 60 ans d'histoire des agences. Initialement conçues comme des institutions correspondant à l'idéal des communs, nous verrons dans quelle mesure elles ont été accaparées par les logiques du marché et de l'État. Nous pourrons poursuivre ensemble ce voyage par les bassins versants vers d'autres continents ou vers des biorégions plus proches de nous, pour contribuer à l'invention de nouvelles "politiques des cycles de l'eau".

Patrick Laigneau se définit comme un hydro-anthropologue franco-brésilien. Il est consultant indépendant et chercheur "clandestin", poussé par le désir de rencontrer, connaître, comprendre, tisser des liens autour des pratiques et des politiques liées à l'eau. Il est particulièrement stimulé par les enjeux des cycles de l'eau et des défis de l'action collective de celles et ceux qui y vivent et/ou en vivent. Il a publié plusieurs articles avec Bernard Barraqué (CNRS) et Rosa Formiga (Université de Rio de Janeiro, Brésil) et travaille cette année à l'écriture d'un livre sur les 60 ans de la loi sur l'eau de 1964.
Publication
Laigneau P. ; Barraqué B ; Formiga-Johnson R.M., "Chapitre 13. Les redevances comme levier pour la gestion collective de l'eau : exemples au Brésil et en France", in Luttes pour l'eau dans les Amériques : Mésusages, arrangements et changements sociaux, Paris, Éditions de l’IHEAL, 2022.

Caroline LEJEUNE
De formation en philosophie environnementale, Caroline Lejeune est docteure en sociologie politique, ses travaux portent sur la diversité des expressions de la justice environnementale et écologique. Elle est directrice de la Fondation Zoein et coordonne le programme "Droits de la nature et communs" de la Fondation. Elle accompagne et prend part à diverses expérimentations. En 2021, elle a introduit et commenté les écrits de Françoise D'Eaubonne dans l'ouvrage Naissance de l'écoféminisme paru aux Presses universitaires de France. Elle enseigne enfin à l'université de Lausanne un cours au niveau Master sur la justice environnementale dans une perspective transnationale.

Frédéric ROSSANO : Le retour de la vulnérabilité, ou comment vivre de nouveau avec les crues
Face aux risques de saturation et de rupture des ouvrages d'endiguement conçus aux siècles passés, une nouvelle approche de la gestion des crues se développe aujourd'hui, qui cherche à faire de la place aux rivières et aux fleuves plutôt qu'à les contenir à tout prix. Plaines et vallées sont ainsi transformées pour restaurer une cohabitation nécessaire entre installations humaines et fluctuations naturelles. Ce retour à des pratiques adaptives impose de repenser le cours d'eau en dehors des oppositions classiques : il ne s'agit plus de le "dompter", pas plus que de le "libérer" sans réserve. Entre vieux réflexes d'endiguement et rêves frustrés de renaturation se dessinent des approches combinatoires, qui concilient les fluctuations naturelles des cours d'eau et les activités humaines — loisirs, agriculture et, parfois même, extension urbaine. L'eau longtemps gérée en silos, comme ressource à capter, déchet à évacuer et flux à contrôler, échappe ainsi au domaine réservé de l'ingénierie pour redevenir un enjeu par­tagé et central. Ce recentrage politique et socio-économique pose néanmoins la question de sa territorialisation : quels enjeux, quelles structures, quels périmètres sont à même de traduire ce tournant nécessaire et de l'ancrer durablement ?

Frédéric Rossano est paysagiste-urbaniste et maître de conférences à l'école d'architecture de Strasbourg. Diplômé de l'École du Paysage de Versailles en 1998, il s'est formé au projet urbain aux Pays-Bas où il a pratiqué durant douze ans au sein de l'agence KCAP Architects and Planners, avant de rejoindre l'équipe d’enseignants et chercheurs de l'Institute of Landscape Architecture du Polytechnique de Zurich. De ses expériences de praticien et de chercheur est issu son premier livre La Part de l'Eau. Vivre avec les crues en temps de changement climatique, paru en anglais sous le titre Floodscapes (La Vilette / Nai010, 2021). La même année est paru l'ouvrage collectif De la ville-port à la Métropole fluviale - Un portulan pour Strasbourg, qui analyse et détaille le redimensionnement de la métropole alsacienne par ses espaces portuaires et son vaste réseau hydrographique. Ce travail réalisé dans le cadre du programme POPSU Métropoles se poursuit aujourd'hui avec la création d'une plateforme inter-métropolitaine, mettant en comparaison trois grandes métropoles fluviales et portuaires : Lyon, Rouen et Strasbourg.


"Entre Loire et Rhône, sentir-penser depuis un canoë-kayak", discussion avec Julien CHAPUIS, Jean-Louis MICHELOT (Atelier des Confins, Écosphère) et Barbara RÉTHORÉ
Avec le projet Loire Sentinelle, Barbara Réthoré et Julien Chapuis (biologistes) ont descendu le cours intégral du fleuve de mai à juillet 2022. En collectant des données scientifiques (microplastiques et ADN environnemental) et en proposant des résidences artistiques au fil de l'eau, ils cherchent à explorer la Loire pour mieux la comprendre et ainsi, mieux la défendre. De son côté, Jean-Louis Michelot s'intéresse au Rhône depuis plusieurs décennies, en multipliant les approches : doctorat de géographie, kayak (descente intégrale), implication dans la gestion du territoire (travail au sein du bureau d'étude Écosphère), collaboration avec des artistes, écriture (Sur le Rhône. Rouergue, 2020)… Tous trois proposent une approche singulière des rapports aux fleuves. Entre science impliquée, recherche-création, immersion longue et alignement tête-corps, cette discussion croisée, animé par Marin Schaffner, permettra de ressaisir tous les enjeux du colloque à partir d'expériences in situ.

Jean-Louis Michelot, "À quoi sert le Rhône ? Une approche sensible des services hydrosystémiques", Colloque "Mémoires du Rhône", Sion, in Le Rhône. Territoire, ressource et culture, textes réunis par Emmanuel Reynard, Alain Dubois et Muriel Borgeat-Theler, Sion, 2020 (Cahiers de Vallesia, 33), p. 93-117.
Jean-Louis Michelot, Sur le Rhône. Explorations buissonnières et autres explorations sensibles, Le Rouergue, 2022, 288 p.
Jean-Louis Michelot, "Le Rhône, anthropisation et santé écologique", in Nous, les fleuves, Orsenna E., Le Bacquier M., Michelot J.L., Coiffier C., Catalogue de l'exposition du Musée des confluences, Réunions des musées nationaux, 2022, 96 p.


EXPOSITIONS :

"Diagnostic biorégional du pays d'Uzès", par Maële GIARD et Clémence MATHIEU (Hydromondes)

Maële GIARD
Il s'agira, à partir d'une enquête collective sur l'état des eaux dans le pays d'Uzès, de questionner ce que peut être et apporter un diagnostic biorégionaliste. Nous questionnerons les méthodologies, les créations, la dimension collective, l'ouverture et les limites de cette enquête. Puis, partant de cette étude, nous interrogerons en quoi le concept de biorégion peut devenir un outil, ou du moins une clé d'entrée, dans l'analyse des territoires et les formes d'habiter associées.

Maële Giard, doctorante à l'université Grenoble Alpes, laboratoire CRESSON, travaille sur le fait de réhabiter les territoires dans une perspective biorégionaliste et écoféministe. Par l'exploration d'une méthodologie de recherche qui embarque le corps et le mouvement, son travail se concentre sur les relations qui peuvent se nouer entre les individus et les lieux. Elle s'attache à la valorisation des pratiques ordinaires et de la quotidienneté comme cœur battant de création d'une société écologique. Membre du collectif de recherche Hydromondes, elle participe à la création d'un savoir hors les murs ainsi qu'à la constitution d'imaginaires écologiques notamment par des ateliers collectifs d'écofictions.
Publication
Giard Maële, Lhomme Raphaël et Faburel Guillaume, "Biorégion. Pour une écologie politique vivante", Carnet de la décroissance #4, AderOC, 2021.

Clémence MATHIEU
La résidence du collectif Hydromondes en pays d'Uzès réalisée en 2022-2023 avait pour objectif de dresser un état de santé du territoire du point de vue des eaux — et d'en rendre compte de façon à la fois sérieuse et festive. Cette enquête se matérialise notamment par une série de cartes et de textes, qui posent un état des lieux des eaux — leur santé, leurs usages et leurs imaginaires (présents, passés et futurs), sur le territoire de la communauté de communes. De là découle une lecture transversale et singulière des interdépendances hydrologiques dans la région d'Uzès, prise en tant qu'entité d'un bassin-versant plus large. La visite commentée présentera ces documents et cette expérience, ayant été restituée en Pays d'Uzès sous la forme d'une exposition itinérante dans le cadre d'une "fête des lavoirs".
Brochure : https://hydromondes.org/wp-content/uploads/2024/01/Brochure-Uzes.pdf

Clémence Mathieu exerce une activité de paysagiste conceptrice, ainsi qu'une activité artistique, d'écriture, de recherche et de dessin, avec un intérêt marqué pour l'observation des territoires fluviaux, des milieux humides et, de façon plus générale, des paysages où les relations entre mondes humains et non-humains sont entremêlées et rendues perceptibles. Dans ses différents projets, elle s'interroge sur les représentations et la fabrique des paysages, et sur l'implication des processus fictionnels dans l'élaboration des projets de transformation des territoires. Elle tente, par le biais du récit fictionnel décliné en dessins, textes et autres médiums portant un potentiel narratif, de proposer des outils capteurs et créateurs de soin, d’attachement et de mondes communs.
Publications
Clémence Mathieu et Jean-Alfredo Albert, Almanach de l'archipel, fictions estuariennes de Gironde, Éditions PhenicusaPress, 2023.
Clémence Mathieu, "Fictions potentielles de paysage et de design, recherche d'outils et de méthodes pour un atlas relationnel de Loire", in Voix Contemporaines, De quoi la Nature est-elle le nom ?, Plateforme Prairial, 2022.


SOIRÉES :

"… Rivières sans fin". Une lecture théâtrale de Gary Snyder, par Anna DESREAUX
Cheminer avec Gary Snyder est un enchantement. Il attire notre attention sur le lièvre qui nous enseigne, les arbres qui nous écoutent, la rivière qui chante. Ce n'est pas une poésie de naturaliste même s'il nomme précisément les plantes, les animaux, les rochers, les nuages. Avec Gary, on est toujours dans le concret des choses et, en même temps, dans l'esprit, le souffle de l'âme. Quelques objets et chansons nous serviront de viatiques pour cette traversée sur les flots d'une poésie et d'une pensée joyeuse, sauvage, profonde, aiguisée, à l'image de ce vieux sage rigolard !

Artiste de la scène, Anna Desreaux a travaillé avec de nombreux metteurs en scène (Jean-Louis Hourdin, Peter Schumann, Pierre Ascaride, Fred Personne) avant de créer sa compagnie "la boite à frissons" défendant un théâtre de proximité avec de la musique et toujours des textes exigeants. À présent, elle intervient avec le collectif "Hydromondes" sur le théâtre d'opérations écologiques et politiques liés à la question de l'eau.


BIBLIOGRAPHIE :

Les Veines de la Terre : une anthologie des bassins-versants, François Guerroué, Mathias Rollot & Marin Schaffner, Wildproject, 2021.
• "La biorégion, creuset d'une démocratie directe de l'eau", collectif Hydromondes, Bascules #3, 2023.
• "Crise de l'eau, planète terre invivable ?", Emma Haziza, Thinkerview, 2022 [https://www.youtube.com/live/5ysUySSNW3M].
La Terre habitable, ou l'épopée de la zone critique, Jérôme Gaillardet, La Découverte, 2023.
La Part de l'eau : vivre avec les crues en temps de changement climatique, Frédéric Rossano, Éditions de La Villette, 2021.
• "Restaurer des rivières à l'ère de l'Anthropocène : Controverses sociotechniques des pratiques réparatrices (Durance, Vistre, Gardons, Drac)", Marie Lusson, Thèse à l'université Lyon, 2021.


SOUTIENS :

POPSU Transitions | Grenoble Alpes Métropole
Institut pour la recherche | Groupe Caisse des Dépôts
• Centre de recherche sur l'espace sonore et l'environnement urbain (CRESSON)
Fondation Zoein

Témoignage

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"SCIENCE DE LA DURABILITÉ : SISYPHE ÉTAIT-IL HEUREUX ?"

RENCONTRE AVEC OLIVIER DANGLES


Directeur de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement et actuellement directeur délégué adjoint à la Science, en charge de la science de la durabilité, Olivier Dangles est basé au Centre d'Écologie Fonctionnelle et Évolutive de Montpellier où il codirige un Laboratoire International entre l'Équateur, la Colombie et la France qui réalise des recherches interdisciplinaires sur la préservation de la Biodiversité et l'agriculture durable dans les Andes tropicales. Il est intervenu au colloque Vers une nouvelle alliance sciences-sociétés ?, qui s'est déroulé du 19 au 25 septembre 2023, sous la codirection de Pierre-Benoit Joly et Alain Kaufmann pour y exposer les principes de cette "science de la durabilité" et le positionnement qu'elle implique pour le chercheur, au regard des incertitudes dont le monde est semé. Où il est question de la possibilité d'un "Sisyphe heureux", mais aussi des vivants non humains dont il a fait connaissance en arpentant le parc de Cerisy…

Photo de groupe du colloque


Vous êtes intervenu sur les enjeux de la "science de la durabilité". Que recouvre-t-elle exactement ?

Olivier Dangles : Cette science de la durabilité est née d'un constat : la science en général est confrontée à de nombreux défis et enjeux, complexes, globaux et interconnectés. À l'image de ceux de l'eau, par exemple, qu'on ne peut plus prétendre traiter indépendamment de ceux de la biodiversité, de la santé et de bien d'autres encore. S'engager dans une science de la durabilité est une manière de prendre acte de cette complexité en affichant une double ambition : croiser les disciplines et savoirs non académiques pour parvenir à une meilleure compréhension globale des grands enjeux de durabilité de nos sociétés tout en cherchant à apporter des éléments de réponse opérationnels aux objectifs de développement durable.

Au cours de votre intervention, vous avez convoqué la métaphore de Sisyphe. Une manière de suggérer que la démarche ne va pas de soi au point de pouvoir décourager le chercheur…

Olivier Dangles : En effet. Face aux enjeux du développement durable, le chercheur se sent parfois face à des défis insurmontables, tel Sisyphe qui pousse sa pierre au sommet d'une montagne, avec la fatalité qu'elle finit toujours par retomber. Et ce, de la faute des politiques, des décisionnaires plus généralement qui n'en feraient pas assez ou ne tiendraient tout simplement pas compte des connaissances scientifiques. Plutôt que de se résigner, on pourrait se dire — c'est en tout cas ce à quoi j'invite mes collègues — que le plus important n'est pas tant de savoir jusqu'où l'on va pouvoir pousser sa "pierre", mais de réfléchir aux raisons qui pourraient la faire retomber — ce que nous autres chercheurs, scientifiques, ne prenons peut-être pas toujours le temps de faire. Plutôt que de focaliser sur la pierre, ne devrions-nous pas examiner le chemin que nous lui faisons emprunter, la montagne sur laquelle on prétend la faire rouler ? Bref, ne pourrions-nous pas être plus réflexifs par rapport aux difficultés que nous rencontrons pour proposer des trajectoires plus durables ? Et ainsi être ce Sisyphe dont nous parle Camus : un Sisyphe heureux parce que justement il ne se résigne pas, mais se révolte contre l'absurdité de sa condition. La science de la durabilité peut avoir cette ambition : faire du chercheur un Sisyphe heureux !

À cette simple évocation de Camus, je ne peux m'empêcher de songer à cette célèbre citation qu'on lui doit : "Mal nommer les choses ajoute à la misère du monde"…

Olivier Dangles : Vous faites bien de rappeler cette citation tant le mot même de durabilité fait débat au sein du monde académique comme à l'extérieur. Ne faudrait-il pas parler plutôt de "soutenabilité" ? En admettant que la durabilité ait un sens, ne faudrait-il pas ensuite la qualifier de faible ou de forte comme le font les économistes ? Des questions qui sont au centre de débats intenses et rien que de plus normal : mal nommer les choses peut effectivement compromettre la possibilité d'embarquer le maximum de gens avec nous. Donc, autant être vigilant dans le choix des mots qu'on utilise. Cela étant dit, veillons aussi à ne pas différer le temps de l'action. Face à l'urgence de la situation, à la rapidité des changements en cours, face aux attentes des jeunes générations, il faut agir, être force de propositions concrètes. Et c'est aussi la vocation d'une science de la durabilité qui assume en cela un certain pragmatisme. D'accord, ce mot de durabilité fait débat, mais que cela ne nous empêche pas d'agir ! En cela, la science de la durabilité tient des sciences de l'ingénieur. C'est une science encline à l'action tout en restant réflexive et c'est en cela qu'elle m'intéresse.

Nous réalisons l'entretien au terme du colloque. En quoi vous a-t-il conforté dans votre démarche ? Quels enseignements en tirez-vous, qui soient susceptibles de conforter cette science de la durabilité ?

Olivier Dangles : J'en retiens au moins deux. Au plan de l'interdisciplinarité, d'abord. Les participants à ce colloque étaient majoritairement issus des sciences humaines et sociales, et ce qui intéresse l'écologue que je suis, a priori plus tourné vers les sciences de l'environnement, c'est de prendre la mesure de la diversité qui peut exister en leur sein, une diversité bien plus grande que l'idée que je m'en faisais. Quand on évoque l'interdisciplinarité, c'est dans le sens d'une articulation de ces sciences à d'autres sciences, dont celles de l'environnement. Or, au fil des communications, j'ai pu constater que cette interdisciplinarité gagnerait à être déjà renforcée au sein de ces seules SHS.
Second enseignement : le poids de l'histoire dans la manière dont un territoire est vécu. C'est ressorti avec évidence lors de visite au Parc Naturel Régional des Marais du Cotentin et du Bessin où a été évoqué jusqu'au souvenir du débarquement de juin 1944 et les traces qu'il a laissées : la libération de la population, mais aussi des bombardements, des plages mutilées… Une illustration s'il en était besoin de ce qu'on gagne à connaître l'héritage du passé : il peut expliquer la complexité des rapports des habitants à leur territoire.

Je comprends mieux la complicité qui est ressorti du débat organisé entre vous et l'historien Pierre Cornu…

Olivier Dangles : Pierre a justement une façon stimulante d'éclairer le poids du passé, de redonner jusqu'à l'épaisseur historique des sciences, en faisant redécouvrir des auteurs méconnus qui ont pourtant influencé la manière d'envisager la recherche, marqué son organisation institutionnelle, comme celle de l'Inra par exemple, auquel il a consacré des ouvrages [La Systémique agraire à l'Inra, histoire d'une dissidence, 2021 ; L'Histoire de l'Inra, entre science et politique, 2018, chez Quæ éditions]. Les sciences de l'environnement gagneraient à revisiter elles aussi leur passé, ne serait-ce que pour convaincre les étudiants qu'elles n'ont pas attendu les défis actuels pour se constituer, qu'elles aussi ont une histoire et des auteurs qui gagnent à être (re)découverts.

Un mot sur le dispositif même du colloque de Cerisy que vous découvriez à cette occasion…

Olivier Dangles : Il tranche avec les colloques scientifiques auxquels j'ai l'habitude de participer. D'abord, au regard du temps : ici, on échange toute la journée, durant près d'une semaine. On n'a de cesse de s'entendre dire ou de se dire à soi-même : je n'ai pas le temps (de faire ceci ou cela). Et bien, ici, à Cerisy, on prend le temps, justement. Ce qui correspond à une exigence de la science de la durabilité : pour être dans la démarche réflexive que j'évoquais, il faut nécessairement prendre du recul et, donc, s'inscrire dans la durée. La réflexivité ne se décrète pas.
Ensuite, au regard du cadre, de l'environnement : le parc du château ! Ici, on peut se connecter à des humains, bien sûr — les colloquants —, mais aussi à des vivants non humains. À l'heure où je vous parle, j'ai pu en identifier une quarantaine !

Pouvez-vous nous en donner quelques exemples ?

Olivier Dangles : Des non humains aux noms poétiques tels que la lucilie soyeuse ou l'hélophile suspendu (des insectes), le nombril de vénus ou le polystic à soies (des plantes). Eux comme les autres sont désormais répertoriés sur une carte de l'application de science citoyenne iNaturalist (https://shorturl.at/eprGV). Le plus drôle, c'est la réaction des participants quand je leur ai fait découvrir cette diversité, au cours de mon intervention. Ils semblaient prendre conscience que, plusieurs jours durant, ils avaient cohabité avec autant d'espèces, sans le savoir. Beaucoup avaient pris le temps de se promener dans le parc, mais manifestement sans prêter attention aux autres vivants. Quelque chose d'inconcevable pour le naturaliste que je suis, dont le premier réflexe est, où que j'aille, d'aller voir de près quelles sont les espèces végétales ou animales avec lesquelles je vais être amené à cohabiter, voire à dialoguer. C'est dire le défi auquel nous faisons face, notamment dans la manière d'envisager l'objet d'étude des sciences. Pour en revenir aux sciences humaines et sociales, elles se sont constituées historiquement en portant leur attention sur nous autres les humains. En réponse aux exigences de durabilité, il leur faut maintenant porter davantage leur attention à nos rapports avec ces vivants non humains. Car ils nous apportent une ressource indispensable pour penser notre avenir : la poésie.

Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC