QUE PEUT LA LITTÉRATURE POUR LES VIVANTS ?
DU LUNDI 26 JUIN (19 H) AU DIMANCHE 2 JUILLET (14 H) 2023
[ colloque de 6 jours ]
ARGUMENT :
Que peut la littérature face à l'urgence écologique ? La question indique que l'époque de l'autoréférentialité, qui avait dominé les études littéraires en France, est révolue tandis que s'accumulent les ouvrages et les colloques révélant une littérature qui s'est remise à écrire le réel et surtout à l'interroger avec autant d'inquiétude que de précision, en même temps qu'elle continue d'interroger ses propres formes, c'est-à-dire ses propres forces pour révéler, traduire, faire sentir un monde que l'on dit entré dans l'ère de l'anthropocène.
Après d'autres tentatives récentes pour cerner ce que peut la littérature, de manière générale ou plus spécifiquement appliquée à la crise contemporaine du vivant, il s'agira d'entrer dans le détail des textes d'aujourd’hui, des écrivains d'abord, mais aussi des critiques, à partir d'un double corpus, francophone et anglophone, que l'on s'efforcera de faire dialoguer au-delà d'une méfiance devenue obsolète. La réflexion collective portera donc sur les effets et les pratiques de la littérature, depuis 1980, quant à nos relations avec les vivants : de quelle manière parvient-elle à en transmettre une connaissance nouant données scientifiques et vécus intimes, raison moderne et raison ante- ou anti-moderne, à rendre compte de la désorientation des individus et de la sauvagerie des âmes, à travailler nos émotions de terreur ou de joie, d'écoanxiété ou d'enchantement, de colère, d'espérance, à révéler nos dissonances cognitives, à réveiller notre conscience politique ?
Cette rencontre, ouverte à toute personne intéressée par le sujet, s'élargira encore grâce au partage de certaines séances, soirées ou promenades avec le colloque en parallèle : Le renouveau du sauvage.
MOTS-CLÉS :
Animaux, Ecocriticism, Ecopoetics, Écopoétique, Écosensibilité, Émerveillement, Empathie, Interactions anthropozoologiques, Littérature contemporaine, Littérature environnementale, Nature, Végétaux, Vivants
CALENDRIER DÉFINITIF :
Lundi 26 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS
Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants
Mardi 27 juin | En commun avec le colloque en parallèle : Le renouveau du sauvage
Matin
LA PLACE DU SAUVAGE DANS NOS CIVILISATIONS
Raphaël LARRÈRE : Le sauvage, le domestique et l'entre-deux | Colloque en parallèle
Bénédicte MEILLON : Changer de paradigme par le biais de l'écopoétique : quand la littérature compose sur le mode du "réalisme liminal" pour amplifier notre Umwelt et réenchanter le monde
Après-midi
Jacques TASSIN : Maurice Genevoix : natures pensées, natures sensibles | Colloque en parallèle
Marie CAZABAN-MAZEROLLES : La tornade et le crocodile. Complicités, empêchements et pouvoirs du récit à l'ère du grand dérangement [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]
Rémi BEAU : Figures contemporaines du sauvage : le nouveau, l'ancien et le trouble | Colloque en parallèle
Visite de l'exposition "Danse et anamorphoses sylvestres" réalisée par Bénédicte MEILLON et Caroline GRANGER
Soirée
Visite du château puis promenade dans le parc
Mercredi 28 juin
Matin
REPRÉSENTATIONS DES CONFLITS ÉCOLOGIQUES
Xavier GARNIER : Écrire contre la monumentalisation impériale du vivant : un enjeu africain
Sara BUEKENS : Impérialisme écologique et ontologique : la représentation des monocultures dans la littérature africaine contemporaine
Pierre SCHOENTJES : "Le sang se mit à couler" : (retour à la) nature et (non-)violence dans la littérature des années 70
Après-midi | En commun avec le colloque en parallèle : Le renouveau du sauvage
REGARDS SUR LE SAUVAGE
Virginie MARIS : Critiques et ressources écoféministes pour penser un ré-ensauvagement émancipateur | Colloque en parallèle
Anne SIMON : Zoopoétique, vivant, nature, sauvage… : mots-mania ou mots-tabous ?
Charles STÉPANOFF : Les deux visages du sauvage | Colloque en parallèle
Soirée | En commun avec le colloque en parallèle : Le renouveau du sauvage
Roman, littérature et science face aux biocides, débat animé par Noël CORDONIER, avec la participation de Gisèle BIENNE (autrice de La Malchimie) et de Gilles-Éric SÉRALINI (biologiste, spécialiste des OGM et des pesticides, auteur de L'Affaire Roundup à la lumière des Monsanto Papers)
Jeudi 29 juin
Matin & Après-midi
QUE PEUT LA LITTÉRATURE POUR LE VÉGÉTAL ?
Rachel BOUVET & Stéphanie POSTHUMUS : Reconnecter avec le végétal par l'imaginaire littéraire contemporain
"HORS LES MURS" — VISITES | Présentation
• Les falaises littorales de Carolles et Champeaux — Conservatoire du littoral
• La grande Noé (bois de pente et ancienne carrière) — CEN Normandie
Vendredi 30 juin
Matin
HABITER POÉTIQUEMENT LA TERRE
Michel COLLOT : De l'écosensibilité
Judyta ZBIERSKA-MOŚCICKA : Entre l'attention et l'émerveillement. À propos de quelques textes contemporains (Bienne, Mahy, Malinconi)
Jean-Paul ENGÉLIBERT : Changer d'échelle, approfondir le temps. Quelques ressources des fictions contemporaines
Après-midi
RÉPARATIONS ÉCOPOÉTIQUES DU VIVANT
Jean-Christophe CAVALLIN : Préparer les morts. Contes de la "réparation littéraire"
Jean-Claude PINSON : Du peu que peut la poésie pour les vivants en sursis que nous sommes | Entretien avec Colette CAMELIN
Soirée | En commun avec le colloque en parallèle : Le renouveau du sauvage
Témoignages sur la libre évolution en Normandie, animée par Lydie DOISY, avec Sébastien ÉTIENNE (Office National des Forêts), Nicolas FILLOL (Parc naturel régional des Maris du Cotentin et du Bessin) et Thomas GUILLORE (Association Hydroscope) | Colloque en parallèle
Samedi 1er juillet
Matin
DÉFENDRE LES VIVANTS : PUISSANCE DU DROIT, PUISSANCE DE L'IMAGINATION
Christine BARON : Mer et marées noires : le droit, un auxiliaire ou un obstacle à la préservation du vivant
Riccardo BARONTINI : Imagination littéraire et crise climatique
Après-midi
POUR LES VIVANTS ANIMAUX
Bertrand GUEST : De l'importance de mots vivants dans l'équilibre de la bio-sémio-sphère
Frédérique SPILL : "L'animal que donc je suis" : réversibilité de l'animal et de l'humain dans Sing, Unburied, Sing (2017) de Jesmyn Ward
Alain ROMESTAING : Que fait la littérature face à la mort animale ?
Soirée | En commun avec le colloque en parallèle : Le renouveau du sauvage
Benjamin AUDOUARD & Mathilde GILOT (Collectif SMOG) : Terminus sauvage [transcription artistique du colloque] | Colloque en parallèle
Dimanche 2 juillet
Matin
"Rapports d'étonnement" préparé par les doctorants et les jeunes docteurs :
• Mascha CANAUX et Noémie MOUTEL (Université de Perpignan Via Domitia)
• Caroline GRANGER (Jeune docteur enseignant dans le secondaire)
• Juliette PEILLON (Université de Bretagne Sud)
• Nathanaële CORRIOL, Zahra ESMAEILI KHOSHMARDAN et Yixuan SU (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3)
• Gabriel EYENGA-AZOMBO (Université Clermont Auvergne)
En commun avec le colloque en parallèle : Le renouveau du sauvage
"Rapports d'étonnement" (suite) : Léa Sophia HÜMBELIN, Maïwenn MIGNON et Robin WEGMÜLLER (Fondation suisse d'études)
Gérald MANNAERTS : Éléments de synthèse du colloque "Que peut la littérature pour les vivants ?"
Laurent GERMAIN : Des pistes d'actions pour changer notre relation au vivant dans la gestion des espaces naturels | Colloque en parallèle
Discussion générale et remerciements par les directeurs des deux colloques
Après-midi
DÉPARTS
RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :
Colette CAMELIN
Colette Camelin, professeure émérite de littérature française à l'université de Poitiers, a consacré plusieurs livres à la poésie de Saint-John Perse, notamment Éclat des contraires (CNRS éditions, 1998) et L'imagination créatrice de Saint-John Perse (Hermann, 2007). Elle a publié de nombreux articles sur des œuvres poétiques du XXe siècle. Le séminaire qu'elle a animé à Sciencespo, "Humanisme et modernité 1890-1914", l'a amenée à proposer à Cerisy un colloque sur l'année 1913 (organisé avec Marie-Paule Berranger) : 1913 cent ans après : enchantements et désenchantements (Hermann, 2015). Après avoir publié des articles sur l'œuvre de Segalen, elle a édité ses Premiers écrits sur l'art (Gauguin, Moreau, sculpture) en collaboration avec Clara van den Bergh (Champion, 2011) et Le Maître-du-Jouir (éditions 2,3 choses, 2022). Elle a organisé, avec Muriel Détrie, un colloque à Cerisy pour le centenaire de la mort de Segalen : Victor Segalen : « attentif à ce qui n'a pas été dit » (Hermann, 2019). Ses études sur la poésie et sa sensibilité aux vivant l'ont orientée vers l'écopoétique. Elle a participé à des colloques consacrés "à l'imaginaire écologique contemporain" et elle a publié des articles dans Les Cahiers de la Justice et la Revue Droit et Littérature au sujet de ce que lui semble être le "pouvoir" de la littérature pour la défense des êtres vivants. Elle a animé un foyer à Cerisy : Que peut la littérature pour les arbres ? (2-19 août 2022). Et elle a édité un recueil d'articles publiés dans des actes de colloques de Cerisy : Écrire avec les vivants ("Les Traversées de Cerisy", Hermann, 2022).
Bénédicte MEILLON : Changer de paradigme par le biais de l'écopoétique : quand la littérature compose sur le mode du "réalisme liminal" pour amplifier notre Umwelt et réenchanter le monde
Alors que scientifiques et philosophes de tous bords ne cessent de clamer qu'il nous faut impérativement inventer de nouveaux récits et de nouveaux paradigmes, je proposerai dans cette communication d'identifier quelques-unes des facultés propres à la littérature écopoétique s'agissant de nous aider à retisser les liens aujourd'hui distendus entre la toile du vivant et nos consciences incarnées. M'intéressant à des textes qui tressent à dessein des épistémologies et des ontologies distinctes, tout en offrant, par le truchement de l'immersion dans la fiction, une expérience initiatique au cœur d'une matérialité vibrante et d'une chair du monde multispécifique, je présenterai la notion de "réalisme liminal". Comme nous le verrons, le réalisme liminal désigne un mode qui vient renouveler la question du réalisme à l'aune des nouveaux matérialismes, mais aussi de la phénoménologie, de la biosémiotique et de l'écopsychologie. Je démontrerai comment le réalisme liminal, proche-parent du réalisme magique, amplifie nos façons d'être présents à un monde dont il restitue l'épaisseur, augmentant par là notre Umwelt. En outre, j'aborderai les dimensions incantatoires, synesthésiques et sympoiétiques de textes visant à nous remettre au diapason de la terre. Enfin, je traiterai de la dimension rituelle et performative d'une littérature qui oppose l'espoir, la résistance et le réenchantement au désenchantement ambiant qui sous-tend une crise écologique trop souvent présentée comme sans appel. Ainsi, il s'agira de mettre en lumière la dimension subversive du réalisme liminal, composé comme en réponse à un appel de la terre et qui compose avec des puissances de diffraction affectives et écopoéthiques propres à la littérature.
Bénédicte Meillon est maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches à l'université de Perpignan où elle enseigne la littérature anglophone et la traduction littéraire. Elle co-porte OIKOS, l'Atelier de recherche en écocritique & écopoétique du CRESEM, à l'UPVD. Elle est Vice-Présidente de EASLCE (European Association for the Study of Literature, Culture, and the Environment) et a impulsé la constitution d'un réseau et d'une plateforme Internet dédiés à l'écopoétique et l'écocritique. D'abord spécialiste du genre de la nouvelle contemporaine sous la plume de Barbra Kingsolver, elle se focalise maintenant sur des lectures écoféministes et écopoétiques d'autrices et d'auteurs d'Amérique du Nord. Elle encourage les approches écopoétiques à la croisée des savoirs et les démarches multimédia. Elle est investie dans divers projets de recherche-création.
Publications
(avec Margot Lauwers) Lieux d'enchantement : approches écocritiques et écopoét(h)iques des liens entre humains et non-humains pour la revue Crossways Journal (2018).
Dwellings of Enchantment : Writing and Reenchanting the Earth, Rowman & Littlefield, Lexington Books (2021).
Elle a également co-dirigé deux volumes transdisciplinaires de la revue Textes & Contextes traitant du réenchantement du sauvage urbain.
Alain ROMESTAING : Que fait la littérature face à la mort animale ?
Que peut la littérature pour les vivants ? La question peut être posée presque à l'envers : que fait-elle face à leur mort ? Analyser par exemple la façon dont la littérature française aborde la "disparition" des animaux — de leurs morts individuelles à leur extinction par espèces, sans négliger les processus de leur invisibilisation — conduit à s'interroger non seulement sur notre rapport aux animaux et par-là à nous-mêmes, mais aussi sur l'apport spécifique de la littérature à côté d'autres pratiques et d'autres discours, notamment scientifiques. Comment et pourquoi les ouvrages littéraires du XXe et du XXIe siècles sont-ils affectées par la mort des bêtes ? Comment racontent-ils en même temps la relégation que subissent ces mêmes bêtes, loin de nous, de nos villes, de notre vie et de nos pensées ? Et comment finissent-ils par exacerber notre ambivalence à l'égard des animaux non humains, entre compassion et cruauté, distance et proximité, indifférence et obsession, familiarité et altérité ? Si la littérature n'est pas que simple documentation ni divertissement sans conséquence, fausse vie par procuration, réparation à bon compte, si on peut la comprendre comme une activité spirituelle impliquant notre capacité de nous mettre à la place d'autrui ou du moins de prendre conscience de la place d'autrui, alors imaginer la mort des bêtes dans toute son intensité et son ampleur, l'imaginer avec fascination et horreur en ces temps où elle atteint une démesure sans précédent, est en soi un pouvoir et un acte, une réactivation des sens et du sens dans les non-vies qui nous aspirent. Pour le montrer, nous nous appuierons sur la littérature française des XXe et XXIe siècles, et plus particulièrement sur le dernier ouvrage d'Isabelle Sorente, L'Instruction (Jean-Claude Lattès, 2023) qui est un retour réflexif sur 180 jours (Jean-Claude Lattès, 2013) et sur "une ancienne instruction bouddhiste" recommandant de "se mettre à la place d'un animal conduit à l'abattoir", instruction que Sorente transforme en une source obscure de la littérature.
Alain Romestaing est professeur de littérature française à l'université Clermont Auvergne (CELIS). Spécialiste de l'œuvre de Jean Giono, il développe également une réflexion sur la question animale dans la littérature des XXe et XXIe siècles et plus largement sur les représentations du vivant dans une perspective écopoétique. Auteur de Jean Giono, le corps à l'œuvre (Champion, 2009), il a dirigé une douzaine d'ouvrages collectifs dont quatre sur le rapport de la littérature française aux animaux et deux concernant l'écopoétique : le numéro 11 de Fixxions, avec Pierre Schoentjes et Anne Simon (Écopoétiques, 2015), et le numéro 27 de LHT-Fabula, avec Jean-Christophe Cavallin (Écopoétique pour des temps extrêmes, 2021).
Christine BARON : Mer et marées noires : le droit, un auxiliaire ou un obstacle à la préservation du vivant
Le vivant est en danger. Des discours incantatoires sur les espèces rares aux propos politiques sur l'urgence écologique, l'impuissance domine du côté des institutions et ce sont bien souvent des œuvres-choc qui ont contribué à des prises de conscience qui demeurent lettre morte si elles ne sont pas relayées par le droit. Or un droit environnemental et un droit animalier sont nés au début du XXIe siècle d'abord sous l'égide de la protection de l'environnement humain puis selon l'idée que la nature et le vivant non humain nécessitent par eux-mêmes d'être respectés et protégés, de devenir non seulement des objets de droit mais des sujets de droit. Cette entrée du vivant animal et végétal dans la législation et quelques-unes de ses étapes seront examinés à travers des œuvres juridiques (François Ost, La Nature hors la loi) mais aussi littéraires (Powers) éthologiques (Shepard, Lestel) ou philosophiques (Burgat).
Christine Baron est professeur de littérature comparée à l'université de Poitiers, spécialisée dans le domaine des relations entre droit et littérature et notamment auteur de trois ouvrages : Contextes littéraires, émotions judiciaires (2020), La Littérature à la barre (2021) et Le Tribunal du récit (2023). Elle a également codirigé le numéro de la Revue annuelle de Littérature comparée sur "Droit et Littérature" (2019) avec Judith Sarfati.
Riccardo BARONTINI : Imagination littéraire et crise climatique
La crise climatique constitue l'exemple par excellence de l'hyperobjet mortonien, désignant des éléments dont l'ampleur et le caractère diffus sont difficiles à saisir pour l'intellect humain. En effet, si la science a pu montrer les dangers liés à l'inaction climatique, elle peine néanmoins à convaincre largement de l'urgence de l'action, à rendre les risques évidents par rapport à l'expérience immédiate de tout un chacun. Susciter de l'"empathie climatique" est par conséquent l'un des défis les plus décisifs auxquels l'écologie politique est confrontée aujourd'hui. Dans mon intervention, je tâcherai de montrer quels sont les outils dont l'imagination littéraire peut se servir pour réaliser cet objectif et de quelle manière ils sont différents et complémentaires par rapport à ceux de la science. Pour ce faire, j'étudierai, par une méthode écopoétique, les stratégies littéraires suscitant des "affects climatiques" chez Joël Baqué, Pierre Ducrozet, Thomas B. Reverdy et Élisabeth Filhol : je me concentrerai en particulier sur la centralité de l'imagination métonymique et sur son rapport à la mise en récit du concept scientifique d'écosystème global.
Diplômé de l'ENS Ulm, agrégé d'italien, docteur en littérature française de Sorbonne Université, Riccardo Barontini est chercheur postdoctoral senior à l'université de Gand où il développe le projet "Écopoétique Numérique". Il est spécialiste de littérature française contemporaine, de théories de l'imagination, d'écopoétique et d'humanités numériques. Il a récemment co-dirigé L'Horizon écologique des fictions contemporaines (Droz, 2022). En 2020, il a publié le volume L'Imagination littéraire. le modèle romantique au défi des sciences humaines (1924-1948) chez Classiques Garnier.
Rachel BOUVET & Stéphanie POSTHUMUS : Reconnecter avec le végétal par l'imaginaire littéraire contemporain
Cette communication dressera le bilan de cinq années de recherche sur les études végétales de manière à montrer comment les grandes figures de l'imaginaire botanique — le jardin, l'herbier, le champ, l'arbre, la forêt — se déploient dans la littérature écrite en français depuis les années 80. Ce groupe de recherche a servi de tremplin à la création d'un autre groupe, GRIVE (Groupe de recherche interdisciplinaire sur le végétal et l'environnement), qui a mis en place un partenariat avec plusieurs organismes universitaires et culturels dans le but de "Reconnecter avec le végétal". Les activités mises sur pied en collaboration avec des scientifiques, des chercheurs en sciences humaines, des artistes et des écrivains visent à transformer le regard porté sur le végétal, souvent marqué par son invisibilité, à sensibiliser le public à la précarité et à la complexité des milieux humides, à tisser des liens avec les communautés autochtones à partir du matériau végétal, à changer les perceptions associées au végétal comestible, à relier les communautés grâce à la valorisation et au partage des aliments. Cette communication sera l'occasion pour nous de susciter une réflexion au sein de l'équipe GRIVE par rapport au rôle que peut jouer la littérature dans cette démarche collective à partir du roman Blanc Résine de l'auteure québécoise Audrée Whilelmy.
Professeure titulaire au Département d'études littéraires de l'université du Québec à Montréal, Rachel Bouvet mène des recherches sur l'espace, le fantastique, la géopoétique et le végétal. Membre de Figura, le Centre de recherche sur le Texte et l'Imaginaire, elle dirige le groupe de recherche "L'imaginaire botanique et la sensibilité écologique" et GRIVE (Groupe de recherche interdisciplinaire sur le végétal et l'environnement). Elle est également chercheure principale du Partenariat ReVe, "Reconnecter avec le végétal".
Stéphanie Posthumus est professeure de littérature comparée au département de lettres, langues et cultures à l'université McGill, Montréal. Ses recherches portent sur la pensée écologique, la question animale, les études végétales et le posthumanisme dans la littérature française du XXe et du XXIe siècles. Ses articles sur Marie Darrieussecq, Michel Houellebecq, Marie-Hélène Lafon, Jean-Christophe Rufin, Michel Serres, Michel Tournier et Antoine Volodine ont paru dans Mosaic, Esprit créateur, French Studies, Green Letters, Revue des sciences humaines, Fabula, entre autres. Elle a co-dirigé plusieurs collections, dont French Thinking about Animals (2015) et French Ecocriticism : From the Early Modern Period to the Twenty-First Century (2017). Son livre French Écocritique : Reading Contemporary French Theory and Fiction Ecologically (2017) pose les jalons d'une approche écologique dans le domaine de la littérature française contemporaine.
Sara BUEKENS : Impérialisme écologique et ontologique : la représentation des monocultures dans la littérature africaine contemporaine
Les monocultures, phénomène marquant de l'histoire de la colonisation, s'inscrivent dans cette catégorie de pratiques agricoles qui exercent un impact particulièrement nocif sur l'environnement naturel. À partir d'un corpus d'écrivains francophones de l'Afrique subsaharienne — Emmanuel Dongola, Sony Labou Tansi, Assitou NDinga, Patrice Nganang, Jaques Fame NDongo, Angèle Kingué et Tierno Monénembo —, je propose de déterminer d'une part les effets d'un impérialisme à la fois écologique et ontologique ("l'imposition d'une conception singulière de ce que sont la Terre et ses existants", Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale, Paris, Seuil, 2019, p. 71) qui a accompagné l'exploitation monoculturelle, et d'autre part de mettre à lumière les stratégies de résistance adoptées par ces auteurs pour résister à toute forme d'assimilation culturelle : un emploi particulier de certaines figures de style, telles que la métaphore et la personnification, des structures narratives spécifiques (polyphonie), des particularités génériques (la lettre, le journal intime)…
Sara Buekens est docteure en littérature française (thèse sous la direction de Pierre Schoentjes, 2020) et chercheuse postdoctorale à l'université de Gand (Belgique). Ses recherches postdoctorales portent sur la représentation de la nature et des problèmes écologiques dans la littérature française et francophone des XXe et XXIe siècles. Parmi ses publications récentes, on mentionnera : Émergence d'une littérature environnementale (Droz, 2020). Elle est rédactrice en chef de la Revue critique de fixxion française contemporaine.
Jean-Christophe CAVALLIN : Préparer les morts. Contes de la "réparation littéraire"
Après un demi-siècle de textualisme, la critique littéraire de ces dix dernières années réactive la vieille idée de la poiesis comme cure. En prétendant que cette cure, non contente de soigner les âmes comme dans la Poétique, répare le monde lui-même et le désastre écologique, cette critique s'apparente à de la pensée magique. Or, notre modernité, en instituant un divorce entre la praxis et l'imaginaire, entre usage de la technique et usage du symbolique, invalide la magie. Si l'on tient absolument à ce que la littérature répare le monde, il faut sans doute envisager d'en abolir l'exercice comme formation de défense et d'en ouvrir les formes closes à une ancienne et nouvelle atmosphère de précarité. Le régime littéraire peut-il affronter ce "désêtre", cette "position dépressive" hors de quoi toute hypothèse de réparation symbolique n'est qu'un "minimal rethink" (Plumwood), façon pour la littérature de s'acheter une conduite ?
Marie CAZABAN-MAZEROLLES : La tornade et le crocodile. Complicités, empêchements et pouvoirs du récit à l'ère du grand dérangement
Dans un essai intitulé The Great Derangement (2016), le romancier Amitav Ghosh s'interroge sur les difficultés de la fiction à représenter la crise climatique contemporaine. Il met notamment en cause l'influence exercée par le roman réaliste moderne, accusé d'avoir falsifié l'image du monde via la double exclusion du régime de l'extra-ordinaire et des acteurs non humains. Commençant par discuter cette hypothèse, la communication la confronte ensuite aux récits délivrés par la philosophe Val Plumwood et l'anthropologue Nastassja Martin à la suite des attaques dont elles ont respectivement fait l'objet de la part d'un crocodile et d'un ours. Cette rencontre avérée quoiqu'invraisemblable avec l'animal prédateur conduit les deux autrices à s'interroger à leur tour sur les limites de l'imaginaire de la nature dont elles héritent, ainsi que sur la nécessité de forger de nouveaux récits susceptibles de mieux nous orienter à l'heure de la crise écologique globale.
Marie Cazaban-Mazerolles est maîtresse de conférences en littératures comparées à l'université de Paris 8 Vincennes Saint-Denis. Prolongeant un travail doctoral consacré au développement d'une poétique narrative anti-anthropocentrique dans le sillage de la révolution darwinienne (2018), ses recherches actuelles se concentrent sur l'articulation théorique et pratique entre la littérature et les discours, savoirs et représentations de l'écologie et de l'éthologie.
Dernières publications
"From Zoo. To Bot. : putréfaction de l'animal humain et transcendance écologique dans Being Dead de Jim Crace", Miranda, 28, 2023.
"Anthropocentrisme, anthropomorphisme et anthropodéni : aspects théoriques et enjeux littéraires de la fin du XIXe siècle à nos jours", XXI/XX Reconnaissances littéraires, 3, 2022.
Michel COLLOT : De l'écosensibilité
En révélant la dépendance de l'homme vis-à-vis de son environnement, l'écologie tend à substituer un point de vue éco-centré à l'anthropocentrisme de la modernité occidentale. Ce décentrement remet en cause la posture souveraine d'un sujet érigé en "maître et possesseur de la nature". Mais il n'aboutit pas nécessairement à son amoindrissement voire à son effacement ; il peut lui offrir la chance d'un élargissement. La reconnaissance des liens qui nous unissent à la nature nous invite à nous affranchir des limites du moi pour accéder à un "soi agrandi" (Næss). En faveur de cette hypothèse d'un élargissement du sujet, j'apporterai quelques arguments philosophiques, empruntés à la phénoménologie (Merleau-Ponty), à l'écologie profonde (Næss) et à l'éco-phénoménologie (Pelluchon). J'étudierai l'expression littéraire originale que lui a donnée John Cowper Powys, dans ses essais, qui développent la théorie d'un "moi ichtyausore", relié par sa mémoire animale atavique et par ses sensations à toutes les formes de vie non-humaines, et dans ses romans, qui mettent en scène des personnages en osmose avec leur environnement.
Michel Collot est professeur émérite de Littérature française à l'université Sorbonne nouvelle Paris 3. Il a publié de nombreux essais sur le paysage et la poésie, notamment L'Horizon fabuleux, Paysage et poésie, Le Chant du monde dans la poésie française contemporaine (Corti, 1988, 2005, 2019), La Poésie moderne et la structure d'horizon et La Matière-émotion (PUF, 1989 et 1997). Ayant organisé plusieurs colloques interdisciplinaires sur le paysage : Les enjeux du paysage, Le paysage : état des lieux (Colloque de Cerisy, 1999), Paysage et modernité(s) (actes parus parus chez Ousia en 1997, 2001 et 2007), Paysages européens et mondialisation (Champ Vallon, 2012), il a fait la synthèse de ces recherches dans La Pensée-paysage (Actes Sud/ENSP, 2011). Il travaille actuellement sur les représentations littéraires de l'espace (Pour une géographie littéraire, Corti, 2014) et sur les rapports entre littérature, arts et nature (Un nouveau sentiment de la nature, Corti, 2022).
Jean-Paul ENGÉLIBERT : Changer d'échelle, approfondir le temps. Quelques ressources des fictions contemporaines
Dire l'Anthropocène suppose de représenter des phénomènes qui excèdent la perception individuelle humaine et notamment des phénomènes qui se situent sur une autre échelle de temps. On étudiera quelques ressources des fictions contemporaines pour dépasser les limites habituelles du récit réaliste, ordonné à la biographie de personnages humains : rapporter les personnages à d'autres agents à la vie plus longue, mesurer leur temps à l'aune d'autres temporalités, excéder les perceptions individuelles par l'entrelacement d'existences hétérogènes et hétérochroniques.
Jean-Paul Engélibert est professeur de littérature comparée à l'université Bordeaux Montaigne et co-directeur de l'unité de recherches Plurielles. Sur la question de l'Anthropocène, il a publié Fabuler la fin du monde. La puissance critique des fictions d'apocalypse, Paris, La Découverte, 2019, et plus récemment "Utopie ou effondrement. La littérature à un point de bascule", in Cahiers philosophiques, n°167, 4e trimestre 2021, p. 67-81.
Xavier GARNIER : Écrire contre la monumentalisation impériale du vivant : un enjeu africain
Nous nous appuierons sur la distinction proposée par Gary Snyder dans "politique de l'ethnopoétique" (Le sens des lieux, Wildproject, 2018) entre cultures impériales et cultures écosystémiques pour présenter le long combat mené par les écrivains africains contre les ravages provoqués par l'extractivisme depuis l'époque coloniale. Loin de la réification exotique et de l'assignation identitaire générées par les dispositifs impériaux, l'association des vivants aux écosystèmes dont ils dépendent passe par des poétiques imprévisibles et métastables dont nous tenterons cependant de relever quelques motifs : la présence insistante de vies souterraines, aux prises avec les minéraux et les sédiments ; la vitalité exacerbée des insectes à ras du sol et autres animaux tricksters ; l'insolente survie des revenants, qui sème la confusion chez les vivants et les rappelle à la part de mort qui leur revient. Ce que "peut" la littérature pour les vivants dépend surtout de ce qu'elle "doit" aux vivants, tel est le sens de la proposition écopoétique qui sera la nôtre.
Xavier Garnier est Professeur de littérature à l'université de la Sorbonne Nouvelle et membre senior de l'Institut universitaire de France (IUF). Ses recherches portent sur l'évolution des formes narratives dans le roman africain de l'époque coloniale à nos jours et il anime actuellement un projet de "Cartographie écopoétique des littératures africaines".
Bertrand GUEST : De l'importance de mots vivants dans l'équilibre de la bio-sémio-sphère
Que les mots soient eux-mêmes vivants, n'est-il qu'une métaphore, une croyance romantique et organiciste inutile et dépassée ? C'est ce qu'on pourrait déduire d'un monde où les intelligences artificielles en viennent à rédiger, voire "lire", des textes censément réfléchis ; mais rien n'est moins sûr. La question des rôles possibles de la littérature auprès des vivants pourrait dépendre de celle d'une évolution qui la lie aux machines, et plus largement de l'automatisation de certains langages (jusqu'au cœur de "l'écologie", et de l'écocritique, elles-mêmes). Elle pourrait aussi avoir à faire avec ce qui compense cette automatisation ; non pas quelque illusoire pureté hors du monde, à la façon d'une réserve de mots sauvages ou à l'abri, mais des formes de résistances poétiques situées dans le chaos même que dessine notre bio-sémio-sphère, c'est-à-dire ce monde habitable aussi en ce qu'il se dit, s'écrit ou se chante.
Bertrand Guest est maître de conférences en Littérature comparée à l'université d'Angers (3LAM). Il a publié Révolutions dans le cosmos. Essais de libération géographique : Humboldt, Thoreau, Reclus (Classiques Garnier, 2017) et co-dirigé le n°13 de la revue Essais, "Écologie & Humanités" (2018). Il travaille sur les liens entre esthétique, éthique et épistémologie dans les littératures de l'écologie, sur l'essayisme révolutionnaire et sur les questions queer.
Jean-Claude PINSON : Du peu que peut la poésie pour les vivants en sursis que nous sommes | Entretien avec Colette CAMELIN
Inlassablement, à rebours de toutes les déconstructions modernes de sa longue tradition bucolique, la poésie a continué d'évoquer la nature. Elle nous rappelle ainsi que nous en sommes partie intégrante. Au plus intime de la parole du poème, une note pastorale souvent continue son murmure. En son ostinato, elle témoigne du pacte pastoral immémorial qui lie poésie et Nature et qui fait de la première une "éco-logie" au sens fort. Hantée toujours par le vieux rêve d'un Âge d'or, la poésie demeure en outre porteuse d'une indéconstructible promesse d'habitation poétique de la Terre. S'inquiétant de l'apocalypse qui menace, elle invite à imaginer des formes de vie alternatives en même temps qu'elle s'emploie à inventer ces chants pastoraux nouveaux dont nous avons aujourd'hui grand besoin.
Jean-Claude Pinson, né en 1947, a longtemps enseigné la philosophie de l'art à l'université de Nantes. Il est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages, livres de poésie, récits et essais.
Publications récentes
Pastoral (De la poésie comme écologie), Champ Vallon, 2020.
Vita poetica (essais d'écopoéthique), Lurlure, 2023.
Pierre SCHOENTJES : "Le sang se mit à couler" : (retour à la) nature et (non-)violence dans la littérature des années 70
Dans le prolongement de ses travaux consacrés à l'écopoétique, P. Schoentjes s'arrêtera aux années soixante-dix, qui ont vu l'émergence de l'écologie sur toile de fond des marées noires, de la contestation antinucléaire, de la lutte du Larzac et du mouvement du "retour à la nature". Il s'agira de prendre acte du fait que le monde littéraire de l'époque — tourné vers le nouveau roman que le structuralisme faisait résonner dans le monde académique — n'a guère accompagné le mouvement environnemental. Préoccupés de formalisme davantage que d'engagement, les romanciers ne se sont pas emparés de la problématique, à la différence de ce qui se passait à la même époque aux États-Unis ou le militantisme écologique résonnait dans la contreculture, notamment grâce aux romans d'E. Abbey. Il existe pourtant un certain nombre d'œuvres qui problématisent les enjeux naissants. Ainsi, c'est sous le label d'"écologie" qu'Exbrayat a réédité dans ces années des romans anciens, quitte à les récrire en partie. D'autres écrivains imagineront des scénarios s'inscrivant de façon plus directe dans l'actualité immédiate. L'analyse se concentrera sur un de ces rares textes, Les Canards boiteux (1978) du polygraphe Pierre Pelot, pour montrer comment la fiction mettait en forme les préoccupations en matière de défense de l'environnement. L'accent principal portera sur la manière dont Les Canards boiteux envisage le recours à la violence, physique, envers ceux qui menacent la nature. La violence envers ces personnes est en effet totalement assumée dans le roman, bien loin de la prudence dont s'entourent aujourd'hui les écrivains sympathiques à la cause environnementale et qui en règle générale refusent de mettre en scène des militants qui s'en prendraient à l'intégrité physique d'autrui. Cette étude offrira aussi l'occasion de faire résonner une série d'autres textes des années 70 qui se tournent vers la nature et l'écologie tantôt sur mode de l'enquête (P. Gascar, Le Présage, 1972), tantôt en privilégiant l'expérience personnelle (Cl. Hunzinger, Bambois, 1973), tantôt en optant pour l'ironie (J.-P. Martin, Les Sabots suédois (2004) lorsque le recul du temps aura mis les années 70 à distance. Compte tenu de l'environnement rural privilégié notamment par Pelot, l'analyse sera attentive aussi à ce que l'écriture de récits de vie (cf. "Terre humaine") et à la littérature de la régionalité, qui connaît à l'époque un réel succès.
Anne SIMON : Zoopoétique, vivant, nature, sauvage… : mots-mania ou mots-tabous ?
Un lexique, défini comme l'ensemble des mots d'une langue, ne renvoie pas simplement à leurs sens actuels. Il est inscrit dans la durée, plus ou moins longue et mouvementée, toujours culturelle et politique. Les mots ont donc une histoire et racontent des histoires — dont témoignent les dictionnaires historiques. "Nature", "naturalisme", "sauvage", "éléments", "le vivant", "environnement", "règnes", "bête", "animaux", "autre-qu'humain", "plus-qu'humain", "non-humain" sont quelques-uns des termes qui aujourd'hui maraudent ou s'imposent dans nos imaginaires. Certains sont devenus des mots-tabous, d'autres des mots-mana qui situent le locuteur dans telle ou telle contrée écologique et politique, et dans un certain rapport au présent, à la transmission ou à la controverse. On examinera ces enjeux en littérature, art de la syntaxe, des rythmes et du temps, qui insuffle de l'air et parfois des tornades au sein des théories les mieux ficelées.
Directrice de recherche au CNRS, Anne Simon est responsable du Centre international d'étude de la philosophie française contemporaine (CNRS/ENS) et de son carnet de recherche PhilOfr, du Pôle Proust et du carnet Animots, dédié aux études animales littéraires et artistiques. Elle est l'autrice d'un essai de zoopoétique, Une bête entre les lignes (Wildproject, 2021) et la codirectrice du numéro "Zoopoétique" de la Revue des sciences humaines (2017). Elle a aussi publié quatre essais sur Proust.
Frédérique SPILL : "L'animal que donc je suis" : réversibilité de l'animal et de l'humain dans Sing, Unburied, Sing (2017) de Jesmyn Ward
L'action du dernier roman de Jesmyn Ward, Le Chant des revenants (2019), s'ancre dans le contexte d'une région ravagée par les désastres écologiques et climatiques, qui se doublent de bouleversements personnels : la marée noire provoquée par l'explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon au large des côtes louisianaises en avril 2010 y a suivi, de quelques années à peine, l'ouragan Katrina, qui s'est abattu sur les terres bordant le Golfe du Mexique en août 2005. Dans son rapport étroit à la mort, à la perte et à la destruction, l'œuvre de Ward s'efforce d'établir un lien entre les êtres et objets disparus et les (sur)vivants. Ce lien se construit notamment dans la porosité des frontières entre les différentes catégories du vivant. Cette communication s'intéressera à la réversibilité singulière entre l'humain et l'animal que l'écriture de Ward met en œuvre dans Le Chant des revenants. En effet, tandis que les comportements des êtres humains (et parfois les objets qui déterminent leurs actions) génèrent des métaphores animales, le roman s'attache à mettre en lumière l'animalité de l'homme. En contrepartie, les très nombreux animaux évoqués dans le roman sont associés à des émotions identifiées a priori comme humaines. À la question de savoir "Que peut la littérature pour les vivants ?", il nous apparaît que l'une des réponses proposées par Jesmyn Ward consiste à réparer, par le miracle du langage poétique, les accrocs du continuum entre les différentes formes du vivant.
Frédérique Spill est professeure de littérature américaine à l'université de Picardie Jules Verne. Spécialiste de l'œuvre de William Faulkner (L'Idiotie dans l'œuvre de William Faulkner est paru en 2009), elle s'intéresse également à l'écriture de la nature et du vivant dans la littérature américaine contemporaine. Elle est l'auteure d'articles en français et en anglais sur F. Scott Fitzgerald, Flannery O'Connor, Cormac McCarthy, Robert Penn Warren, Jonathan Safran Foer, Nicole Krauss, Willa Cather, Russell Banks, Philip Roth, Toni Morrison, Elizabeth Spencer, Jesmyn Ward et Ron Rash. The Radiance of Small Things in Ron Rash's Writing est paru auprès de South Carolina Press en 2019. Elle a dirigé un numéro spécial des Cahiers de la Nouvelle (JSSE #74) consacré aux nouvelles de Ron Rash (2021).
Judyta ZBIERSKA-MOŚCICKA : Entre l'attention et l'émerveillement. À propos de quelques textes contemporains (Bienne, Mahy, Malinconi)
Pour essayer de répondre à la question posée dans l'intitulé du colloque, nous allons examiner deux types de postures. L'émerveillement d'abord, compris comme une forme d'ouverture et de connaissance (Edwards), qui tisse un lien entre l'individu et ce dont il est l'objet, et qui est aussi générateur de création. Ensuite, l'attention (Tsing, Citton) comme faculté d'investigation, possibilité de lien, acuité du regard et capacité de décrypter les sens inscrits dans ce qui nous entoure (Deguy). Nous allons examiner trois textes qui, chacun à sa manière, disent l'émerveillement et font preuve de l'art de l'attention. Ils proposent aussi des formes d'écriture qui témoignent d'une recherche de voix adéquate, efficace, puissante : Un jardin de solitude. Chronique poétique de Christophe Mahy (2015), Poids plumes de Nicole Malinconi (2019) et La Remorque de paille de Gisèle Bienne (2021).
Judyta Zbierska-Mościcka est professeure à l'Institut d'Études romanes à Varsovie. Sa recherche porte sur la littérature belge francophone. Auteure de Lieux de vie, lieux de sens. Le couple lieu-identité dans le roman belge contemporain (2014), co-éditrice de Mondes humains, mondes non humains. Formes et coexistences (XXe et XXIe s.) (2022). Elle prépare, avec Paul Aron, le dossier de la revue belge Textyles sur l'animal dans les lettres belges.
Roman, littérature et science face aux biocides, animé par Noël CORDONIER, avec la participation de Gisèle BIENNE (autrice de La Malchimie) et de Gilles-Éric SÉRALINI (biologiste, spécialiste des OGM et des pesticides, auteur de L'Affaire Roundup à la lumière des Monsanto Papers)
Si la littérature et la science sont souvent opposées comme la subjectivité assumée à l'objectivité revendiquée, comme la parole généraliste à la spécialisée, comme l'invention au constat, Gisèle Bienne et Gilles-Éric Séralini débattront moins qu'ils ne s'associeront pour décrire le cadre politique et économique (l'industrie et les États), épistémologique et idéologique (la croissance, la technoscience) dans lequel les biocides ont été fabriqués et massivement diffusés sans que leurs effets aient été suffisamment testés, sur l'environnement et sur l'humain : sur les ouvriers agricoles, les bordiers, les consommateurs et donc sur vous, sur toi.
Bibliographie
Gisèle BIENNE, Bleu, je veux, éditions du Seuil, 1983 ; La Brûlure suivi de Marie-Salope, Arles, Actes Sud, 2015 ; La Malchimie, Arles, Actes Sud, 2019 ; L'Homme-frère, Arles, Actes Sud, 2021 ; Les Larmes de Chalamov, Arles, Actes Sud, avril 2023.
Colette CAMELIN, "La Malchimie de Gisèle Bienne : récit d'une mort injuste", Revue Les Cahiers de la Justice, n°4, 2019, p. 607-618.
Noël CORDONIER, "L'étable et l'humus. La ruralité dans l'œuvre de Gisèle Bienne", Revue des Sciences Humaines, n°349, janv.-mars 2023, p. 115-130.
Fabien GRIS, "L'agriculture intensive en procès : une colère littéraire contemporaine, G. Bienne, La Malchimie", Revue Droit et Littérature, n°6, 2022, p. 139-150.
Florence PIRON & Thibaut VARIN, "L'Affaire Séralini et la confiance dans l'ordre normatif dominant de la science", Implications philosophiques, 4-5 juillet 2014, 1 et 2.
Gilles-Éric SÉRALINI, Tous cobayes ! : OGM, pesticides, produits chimiques, Paris, Flammarion, 2013 ; (avec Jérôme DOUZELET) Le Goût des pesticides dans le vin, Arles, Actes Sud, 2015 ; L'Affaire Roundup à la lumière des Monsanto Papers, Arles, Actes Sud, 2020 ; Nos Maisons ont souvent un arbre dans le cœur. Poésies et contes de 1977 à demain, Beauchamps-sur-Huillard, Éditions La Muse, 2020.
Pierre SCHOENTJES, "G. Bienne contre l'industrie phytosanitaire : La malchimie", Littérature et écologie. Le Mur des abeilles, Corti, 2020, p. 267-280.
Jacques TESTART, À qui profitent les OGM, Paris, CNRS Éditions, 2013.
Gisèle BIENNE
Gisèle Bienne, romancière et essayiste, vit à Reims. Les personnages de ses romans s'offrent souvent comme des variations renouvelées sur la marginalité et l’altérité. Ils réfractent les voix des autres, ainsi les survivants de la Grande Guerre qui figurent dans plusieurs de ses récits, dont La Ferme de Navarin traitant de la blessure de guerre du poète Blaise Cendrars et Les Fous dans la mansarde qui tente de circonscrire la détresse d'anciens combattants.
Gisèle Bienne a aussi éclairé la vie brève et intense de l'écrivaine Katherine Mansfield et celle de Chalamov, déporté sous Staline au Goulag de la Kolyma pendant dix-sept années. Dans La Malchimie et L'homme-frère, elle traite de questions environnementales liées à l'agriculture et à la nocivité des pesticides. La relation frère/sœur y révèle de façon juste et peu explorée jusqu'à présent la complexité des milieux sociaux en jeu et met à nu les questions du partage des terres.
Gilles-Éric SÉRALINI
"Nos maisons ont souvent un arbre dans le cœur", c'est une souffrance au présent ou au futur, mais aussi une joie profonde, enracinée, une consolation nous montrant la dépendance à la vie et à l'écosystème. C'est pour cela qu'il s'agit du titre de mon dernier ouvrage littéraire. Nous sommes une symbiose charnelle avec le vivant. Nous ne pourrions pas survivre seuls. Souffrances et joies existent au présent, parce-que nos vies ne sont pas simples, balafrées par les maladies, et au futur, parce-que nous ne savons pas aujourd'hui comment réparer nos dégradations de l'environnement et de la planète, la principale des préoccupations communes et pour nos enfants, liée, mon travail le montre, à la santé. La littérature est une réponse. C'est le moyen de communiquer avec tous, au-delà du temps, de pouvoir accéder à toutes les réponses parce qu'elles remontent à l'invention de l'écriture et du livre, et par là-même, avec tous ceux qui ont été vivants, des milliards de milliards d'humains, donc à la joie profonde.
Gilles-Éric Séralini est professeur des Universités à Caen en biologie moléculaire, chercheur sur les effets des pesticides, de différents polluants, et des OGM sur la santé, écrivain d'essais et littérature. Codirecteur du Pôle Risques, Qualité, et Développement Durable (Université de Caen), Fondateur de Secrets Toxiques (www.secretstoxiques.fr), expert pendant 9 ans pour le gouvernement français dans l'évaluation des risques des OGM, pour l'Union Européenne et différents pays, et dans le grand procès contre Monsanto-Bayer aux Etats-Unis, il a animé l'équipe qui a le plus publié sur ces sujets dans des revues internationales à comités de lecture. Chevalier de l'Ordre National du Mérite pour l'ensemble de sa carrière en biologie par le ministère de l'Écologie en mai 2008. Il a publié de nombreux livres dont Tous Cobayes ! (Éd. Flammarion) et avec Jérôme Douzelet notamment L'Affaire Roundup à la lumière des Monsanto Papers (Éd. Actes Sud). Il est traduit en plusieurs langues.
Les falaises littorales de Carolles et Champeaux — Conservatoire du littoral
Situées face à la baie du Mont Saint-Michel, ces falaises de 60 à 80 m accueillent une grande diversité biologique et font partie des sites d'intervention du Conservatoire du littoral. À ce jour, elles bénéficient d'un plan de gestion qui guide les orientations d'aménagement et de gestion en vue de la protection du patrimoine naturel et paysager du site. Tandis que le sentier des douaniers parcourt le site et qu'une partie continue à être exploitée d'un point de vue agricole, la question du ré-ensauvagement de certaines parcelles inusitées s'est invitée dans les débats entre locaux et gestionnaires à l'occasion du dernier renouvellement du plan de gestion des falaises…
La grande Noé (bois de pente et ancienne carrière) — CEN Normandie
Propriété du Conservatoire d'espaces naturels de Normandie, ce site naturel de 30 ha est marqué par l'exploitation humaine à plus d'un titre : ancienne lande pacagée, ancienne carrière de grès armoricain… Et pourtant aujourd'hui après un abandon de plus de 30 ans, cet espace naturel abrite une biodiversité rare ayant justifié l'intérêt de l'association pour sa sauvegarde. Au travers du récit de cette protection, nous partirons à la découverte des richesses biologiques cachées, de l'histoire paysagère du site et des choix parfois cornéliens auquel le gestionnaire de milieu naturel est confronté.
BIBLIOGRAPHIE :
• Glenn ALBRECHT A., Earth Emotions : New Words for a New World, New York, Cornell University Press, 2019.
• Gisèle BIENNE, La Ferme de Navarin, Paris, Gallimard, 2008.
• Gisèle BIENNE, La Brûlure, Arles, Actes Sud, 2015.
• Gisèle BIENNE, La Malchimie, Arles, Actes Sud, 2019 (Prix Maurice Genevoix, Prix Mouans-Sartoux du roman engagé pour le planète).
• Gisèle BIENNE, L'Homme-frère, Arles, Actes Sud, 2021.
• Gisèle BIENNE, Les Larmes de Chalamov, Arles, Actes Sud, 2023.
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• Rachel BOUVET et al. (Sylvie Miaux, Stéphanie Posthumus, Jonathan Hope, Yves Mauffette, Jean-François Chassay, Bertrand Gervais, Amélie-Anne Mailhot, Marine Bochaton), "Promenades végétales. Pour une approche interdisciplinaire", Enjeux et sociétés, Vol. 6, n°2, "Promenade(s) et société en mouvement", p. 277-288, 2019.
• Rachel BOUVET et Stéphanie POSTHUMUS (dir.), "Plant Studies / Études végétales", L'esprit créateur, Vol. 60, n°4, 2020.
• Sara BUEKENS, Émergence d'une littérature environnementale – Gary, Gascar, Gracq, Le Clézio, Trassard à la lumière de l'écopoétique, Genève, Droz, 2020.
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• Colette CAMELIN (dir.), Écrire avec les vivants, Hermann, Coll. "Les traversées de Cerisy", 2022.
• Jean-Christophe CAVALLIN, Valet noir. Vers une écologie du récit, "Biophilia", Corti, 2021.
• Jean-Christophe CAVALLIN, Nature, berce-le. Culture et trauma, "Biophilia", Corti, 2022.
• Jean-Christophe CAVALLIN, Alain ROMESTAING (dir.), "Littérature(s) pour des temps extrêmes : enjeux actuels de l'écopoétique", Fabula-LhT, 2021.
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• Wiesław KROKER, Małgorzata SOKOŁOWICZ, Judyta ZBIERSKA-MOŚCICKA, Mondes humains, mondes non humains. Formes et coexistences (XXe et XXIe siècles), Université de Varsovie, 2022.
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• Anne SIMON, Une bête entre les lignes, Marseille, Wildproject, 2021.
• Anne SIMON, Roger CÉLESTIN, Éliane DALMOLIN (dir.), Contemporary French and Francophone Studies : Human-Animal/Humain-Animal (Part II), 2012.
• Frédérique SPILL, The Radiance of Small Things in Ron Rash's Writing, Columbia, South Carolina Press, 2019.
• Isabelle TRIVISANI-MOREAU, Aude-Nuscia TAÏBI et Cristiana OGHINA-PAVIE (dir.), Traces du végétal, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Coll. "Nouvelles recherches sur l'imaginaire", 2015.
• Dominique VIART, Bruno VERCIER, La littérature française au présent, Bordas, 2005.
• Pierre VINCLAIR, Prise de vers. À quoi sert la poésie ?, La rumeur libre, 2019.
• Pierre VINCLAIR, Agir non agir, éléments pour une poésie de la résistance écologique, Corti, 2020.
• Robin WALL KIMMERER, Braiding Sweetgrass. Indigenous Wisdom, Scientific Knowledge, and the Teaching of Plants, Minneapolis, Milkweed Editions, 2020.
• Alexa WEIK VON MOSSNER, Affective Ecologies : Empathy, Emotion, and Environmental Narrative, Columbus, Ohio State University Press, 2017.
• Audrey WILHELMY, Blanc Résine, Montréal, Leméac, 2019.
• Edward O. WILSON, Biophilia : The Human Bond with Other Species, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1984.
• Edward O. WILSON, The Origins of Creativity, Penguin Books, 2017.
• Estelle ZHONG MENGUAL, Apprendre à voir. Du point de vue du vivant, Actes Sud, 2021.
• ZONE ZADIR, Pour une écopoétique tranculturelle, Littérature, n° 201, 2021.
SOUTIENS :
• Laboratoire FoReLLIS (UR 15076) | Université de Poitiers
• CRESEM (UR 7397) | Université de Perpignan Via Domitia (UPVD)
• CELIS (UR 4280) | Université Clermont Auvergne (UCA)
• European Association for the Study of Literature, Culture, and Environment (EASLCE)