Programme 2022 : un des colloques

Programme complet


DE QUOI L'ART BRUT EST-IL LE NOM ?


DU MERCREDI 18 MAI (19 H) AU DIMANCHE 22 MAI (14 H) 2022

[ colloque de 4 jours ]


Jean Perdrizet. Sans titre (Un robot ouvrier qui voit les formes par coupes de vecteurs en étoile), circa 1970. Encre et crayons de couleur sur papier, 65 x 40 cm © courtesy christian berst art brut


DIRECTION :

Christian BERST, Raphaël KOENIG


ARGUMENT :

L'art brut demeure sans doute un des derniers grands impensés de l'art. Même si — comble du paradoxe pour un art que Jean Dubuffet voulait "épris d'obscurité" — celui-ci est plus que jamais sous les feux de la rampe, de la Biennale de Venise au Musée Guggenheim en passant par le Musée d'art moderne de la Ville de Paris et le MoMA, il ne cesse de susciter interrogations, émerveillements, et remises en cause.

Preuve de la capacité sans cesse renouvelée d'œuvres "hors-norme", créées par des artistes évoluant le plus souvent dans une altérité sociale ou mentale, de chambouler "l'horizon d'attente" de leurs spectateurs, introduisant ainsi un ferment disruptif au sein des mécanismes de création, de validation et d'exposition du monde de l'art.

Preuve également de l'instabilité sémantique d'une notion qui, depuis trois quart de siècle, semble singulièrement rétive aux tentatives de définition ou de systématisation : tout en proclamant, au milieu des années 1940, l'existence d'un "art brut" qui s'affirme avec l'évidence d'un phénomène naturel, Jean Dubuffet ne l'a-t-il pas également placé sous le signe d'une étrange amnésie ? Personnage à la Calvino, perpétuellement en quête de définition, "l'art qui ne sait pas son nom" semble devoir nous inviter à un questionnement ouvert, à condition du moins de s'affranchir du manichéisme de ses débuts.

Il semble donc crucial que les instances culturelles s'y attèlent, même s'il faut pour cela qu'elles se dotent de nouveaux outils pour en saisir toute la portée. L'examen de ce champ — sans concession ni complaisance pour les dogmes du passé — permettra de mieux comprendre le travail que font les œuvres d'art sur ceux qu'elles émeuvent, afin de rédiger ce chapitre essentiel qui fait encore largement défaut à l'histoire de l'art.

Dans ce but, ce colloque fondamentalement interdisciplinaire associera des intervenants issus de l'université — combinant ainsi les méthodologies respectives de l'histoire de l'art et des idées, de la philosophie, de la sociologie, et de la littérature française et comparée — mais aussi des praticiens — psychanalystes, commissaires d'exposition, critiques d'art, galeristes, collectionneurs — afin de croiser les approches et de faire surgir de nouvelles perspectives sur un sujet encore largement inexploré.

N.B. : Ce colloque ayant été initialement prévu en 2020, il vous est possible d'accéder à sa présentation 2020 : cliquer ici.


MOTS-CLÉS :

Altérité, Art brut, Art des fous, Avant-garde, Création, Création hors-norme, Esthétique, Histoire de l'art, Médiumnité, Métaphysique, Mondes de l'art, Mythes, Mythologie individuelle, Sociologie de l'art


CALENDRIER DÉFINITIF :

Mercredi 18 mai
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants


Jeudi 19 mai
Matin
Christian BERST et Raphaël KOENIG : Introduction

(PRÉ-) HISTOIRE, MYTHE, NOTION(S)
Christian BERST : L'art brut en question
Antoine FRÉROT : Ce que l'art brut me fait
Jean-Marc LEVERATTO : Mesurer l'altérité. Le jugement de l'œuvre d'art dite "brute" et ses enjeux

Après-midi
Choghakate KAZARIAN : Outsider parmi les outsiders : Louis Michel Eilshemius (1864-1941)
Raphaël KOENIG : Art brut et avant-gardes : stratégies d'exposition
Marina SERETTI : L'art brut et ses agents


Vendredi 20 mai
FORMES DE LA CRÉATION : MÉDIAS, PRATIQUES INDIVIDUELLES ET COLLECTIVES
Matin
Gérard AUDINET : L'art médiumnique est un réalisme
Annie FRANCK : Une œuvre : une adresse ? Perspectives psychanalytiques sur l'art brut
Pascal PIQUE : Art brut et énergétiques de l'invisible [visioconférence]

Après-midi
Gustavo GIACOSA : Art Brut & création dans les ateliers. Un constat de la situation actuelle
Joana MASÓ : La culture de la psychothérapie institutionnelle à Saint-Alban
Marc LENOT : Tirer ou coller ? Pulsion scopique ou pulsion graphique ?

Soirée
"OUTSIDER inspired by Henri Drager", performance musicale et visuelle de Philippe COHEN SOLAL et Pascal GARY (Phormazero), avec la participation du comédien Denis LAVANT


Samedi 21 mai
ART BRUT ET MONDES DE L'ART : ENJEUX INSTITUTIONNELS ET CONCEPTUELS
Matin
Chiara SARTOR : Du dossier médical à la scène. Statuts et devenirs des écrits bruts
Bruno DUBREUIL : L'art brut en miroir de l'art contemporain [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]
Carles GUERRA : L'art des réfugiés : l'exil comme pathologie. À propos de Miguel Hernandez, Joaquim Vicens Gironella et José García Tella

Après-midi
Jean-Hubert MARTIN : De la création hors concours
Claire MARGAT : L'historicité de l'art brut : une origine ou une fin de l'art ?
Corinne RONDEAU : Ce qu'il y a de brut, c'est la surprise


Dimanche 22 mai
Matin
Christian BERST et Raphaël KOENIG : Conclusions

Discussion générale

Après-midi
DÉPARTS


PRESSE / MÉDIAS :


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Bruno DUBREUIL : L'art brut en miroir de l'art contemporain
Il y aurait deux façons de considérer l'art brut : la première consisterait à le circonscrire au moment historique de son invention par Jean Dubuffet et à le maintenir à l'intérieur du champ esthétique et conceptuel tracé par les critères définis. Ce qui serait la plus sûre façon de l'anesthésier et d'en limiter la portée. La seconde viserait à considérer l'art brut comme une force agissante, porteuse d'attitudes et de pratiques capables d'innerver, à chaque époque, l'art de son temps. L'art brut finirait alors par occuper une sorte de fonction dans le paysage artistique contemporain: celle de contribuer à contrebalancer un geste artistique qui se conformerait d'avance au contexte social, culturel et économique qui va en conditionner la réception. Face à une pensée artistique alors menacée de devenir une rhétorique appliquée, l'art brut reste cette forme d'incarnation du territoire infini du risque.

Bruno Dubreuil interroge les œuvres et les pratiques artistiques (notamment la photographie). Ses analyses sont nourries par sa propre pratique ainsi que par les échanges survenant dans ses ateliers de création ou d'esthétique (Une autre histoire de l'art, Gie Binome). Ces réflexions se prolongent au travers d'expositions qu'il conçoit (Immixgalerie, Paris) et sur la revue en ligne qu'il a créée : viensvoir.oai13.com. Plusieurs chroniques y traitent de l'art brut. Il a publié dans Brut Now, l'art brut au temps des technologies. À venir : "Quand les images prennent le pouvoir" dans Photo Brut #2, parution septembre 2022.

Gustavo GIACOSA : Art Brut & création dans les ateliers. Un constat de la situation actuelle
Les ateliers de création au sein d'institutions psychiatriques ou d'handicap mental encouragent depuis plusieurs décennies l'expression et la socialisation de leur hôtes et deviennent au fur et mesure des changement sociaux des réserves où critiques, collectionneurs et commissaires d'expositions vont chercher l'Art Brut de nos jours. Entre les enjeux de tutelle et de divulgation des uns et la sauvegarde de la cohérence de canons esthétiques des autres, la création artistique hors du système de production et diffusion de l'art contemporain, révèle toutes ses contradictions. Si l'encouragement à l'action et la stimulation artistique est contraire au diktat de Dubuffet, comment et dans quelles conditions certains "créateurs d'atelier" échappent à ces conditionnements positifs et deviennent des exceptions au sein même de leurs institutions ? Quel est l'impact des pratiques collectives pour ce réservoir de radicalité créatrice qu’est l'art brut ?

Gustavo Giacosa est commissaire d'exposition indépendant, comédien et metteur en scène. Depuis 2005, il développe une recherche sur le rapport entre l'art et l'altérité dans les arts plastiques devenant commissaire de plusieurs expositions autour de cette thématique. Cette recherche comprend la découverte et valorisation du travail d'artistes issus des marges du système de l'art, l'écriture d'articles pour revues et catalogues, la mise en scène de spectacles et performances inspirés de leur univers et la constitution d'une collection d'Art Brut et d'art contemporain intitulée "Puentes" ("Ponts") présentée de manière permanente dans l'espace SIC12 ART Studio à Rome. À partir de 2012, il s'est établi en France et a fondé à Aix-en-Provence avec le pianiste et compositeur Fausto Ferraiuolo, une plateforme multidisciplinaire (théâtre-musique-expositions) qui regroupe la diversité de ses productions : SIC.12.
Publications
"L'Art sans thérapie", dans L'Art Brut, Éd. Citadelles & Mazenod, Paris, 2018.
"L'entre-deux du nouage", dans Franco Bellucci, Beau comme…, Éd. Gallérie Christian Berst Art Brut, Paris, 2015.
"Bio-mythologies", dans Éric Derkenne, Champs de Bataille, Éd. FRMK et La "S" Grand Atelier, Vielsalm, 2014.
"Franco Bellucci, un rêveur d'Autres mondes", dans Franco Bellucci, Éd. MADmusée, Liège, 2014.
"Ponts et figures-ponts" et "L'Army secrète, dialogue entre Bruno Decharme et Gustavo Giacosa", dans Knock outsider, Éd. FRMK et La "S" Grand Atelier, Vielsalm, 2014.
"Bandits de l'Art", dans Banditi dell'Arte, Éd. Halle Saint Pierre, Paris, 2012.
"Élogio de l'Altro", dans Due ma non due. Aperture et incontri nell'arte degli anni post Basaglia, Éd. I libri dell'Arca, Città di Castello, 2008.

Carles GUERRA
Carles Guerra est commissaire d'exposition, critique d'art et enseignant, ancien directeur de la Fondation Antoni Tàpies et de La Virreina Centre de la Imatge (Barcelone), et ancien Conservateur en Chef du Museu d'Art Contemporani de Barcelona (MACBA).

Choghakate KAZARIAN : Outsider parmi les outsiders : Louis Michel Eilshemius (1864-1941)
En 1917, Marcel Duchamp surprend le monde de l'art new yorkais en déclarant que Louis Michel Eilshemius (1864-1941), un artiste inconnu de 53 ans, est l'auteur l'une des deux meilleures œuvres de la première exposition sans jury de la Society of Independents Artists. Né dans une famille aisée, Eilshemius bénéficie de la parfaite formation académique : études à la Art Students League à New York puis à l’Académie Julian à Paris et nombreux voyages en Europe, en Afrique du Nord et dans le Pacifique. Après avoir exposé, très jeune, à la National Academy of Design et à la Pennsylvania Academy of the Fine Arts, il sombre dans l'indifférence la plus totale jusqu'en 1917. La généalogie de sa réception montre comment le succès comme le rejet de l'œuvre d'Eilshemius sont construits sur son image d'outsider, terminologie d'autant plus complexe pour un artiste à la formation et aux ambitions académiques mais néanmoins situé dans une double marge : tantôt trop étrange pour faire partie du monde de l'art traditionnel, tantôt trop traditionnel pour correspondre à l'esthétique moderniste.

Choghakate Kazarian est historienne de l'art et conservateur du patrimoine. Diplômée de l'École du Louvre, de La Sorbonne - Paris IV et de l'Institut National du Patrimoine, elle fut conservateur au Musée d'Art moderne de Paris de 2011 à 2018. Elle prépare un doctorat au Courtauld Institute of Art sur l'artiste américain Albert Pinkham Ryder. Elle est actuellement Terra Foundation fellow au Smithsonian American Art Museum. Ses expositions et publications ont porté sur des artistes tels que Henry Darger, Lucio Fontana, Piero Manzoni, Karel Appel, Stéphane Mandelbaum, Marcel Duchamp ou Louis Michel Eilshemius.

Marc LENOT : Tirer ou coller ? Pulsion scopique ou pulsion graphique ?
Ce n'est que depuis 2004 (avec une exposition à San Francisco) que la photographie est reconnue comme un des éléments de l'art brut, avec deux modes créatifs différents, deux approches différentes de l'image. D'une part les artistes bruts qui photographient eux-mêmes : aussi bien des autoportraits, souvent déguisés, travestis, modifiés, que des photographies obsessionnelles de femmes, épouse ou compagne, ou bien passantes, actrices ou marionnettes ; d'autres photographient obsessionnellement leur environnement, et quelques-uns jouent avec la matière photographique elle-même. D'autre part, les artistes bruts qui utilisent des photographies (et des radiographies) dans des collages et des photomontages, en complétant leurs dessins, en tatouant d'écriture des images trouvées, ou en construisant des montages complexes, panoramiques ou constructivistes.

Marc Lenot, après des études à Polytechnique et au MIT et une carrière d'économiste, s'est réinventé sur le tard en critique d'art et chercheur sur la photographie : blog Lunettes Rouges, master à l'EHESS, doctorat en histoire de l'art, livre Jouer contre les Appareils sur la photographie expérimentale, prix AICA France 2014 de la Critique d'art.

Jean-Marc LEVERATTO : Mesurer l'altérité. Le jugement de l'œuvre d'art dite "brute" et ses enjeux
Avec l'aide des outils de la sociologie de l'expertise artistique, nous identifierons dans un premier temps les différents types d'épreuves de la qualité artistique auxquelles s'expose aujourd'hui l'œuvre dite "brute". Dans un second temps, l'approche anthropologique contemporaine nous aidera à approfondir notre compréhension des cadres de l'expérience que l'on peut faire de l'art dit "brut", des différentes ontologies qui peuvent nous permettre de ressentir la valeur artistique de l'événement qu'il constitue et d'en reconnaître la signification éthique

Jean-Marc Leveratto est professeur émérite de sociologie. Ses recherches portent sur les techniques du corps, la culture artistique et la sociologie de l'expérience esthétique. Sur l'évaluation des artistes et des œuvres d'art, il a publié notamment La mesure de l'art. Sociologie de la qualité artistique (Paris, La dispute, 2000) et Introduction à l'anthropologie du spectacle (ibid., 2006). Il a également réalisé de nombreuses enquêtes sur la culture contemporaine, dont Internet et la sociabilité littéraire (avec Mary Leontsini, 2008) et Cinéphiles et cinéphilies (avec Laurent Jullier, 2010).

Claire MARGAT : L'historicité de l'art brut : une origine ou une fin de l'art ?
Brut, nom donné a posteriori à une collection artistique, signifie obscur, y compris pour celui qui le fabrique, ou sauvage, en dehors de toute norme culturelle… Dubuffet se méfiait des mots : pour lui, toute dénomination qui enferme, qui étiquette, est réductrice lorsque, en histoire de l'art ou en psychiatrie, elle recouvre le singulier par une généralité. L'art brut est pensé comme ce qui renoue avec l'originaire, l'archaïque, le primitif. Plus encore, "l'art se sauve dès que l'on prononce son nom" disait Dubuffet, il disparaît là où l'attend et nous saisit ailleurs toujours par surprise. Loin d'accuser les noms de nous détourner des choses, et plutôt que de définir en quoi consiste le "brut", la question se pose de savoir ce qu'on entend aujourd'hui par "art" : c'est à la fois une réalité socio-historique et un jugement de valeur susceptible de varier. L'Art fit à l'époque de la naissance des musées l'objet de la réflexion de Hegel dont les Leçons d'esthétique publiées après sa mort s'ouvraient par la thèse controversée de la "Fin de l'Art". Qu'entendait-il par là ? Si des individus continuent à faire de l'art, les formes culturelles qui rendaient l'art nécessaire pour une communauté historique se sont effondrées. Seuls des individus singuliers trouvent en eux-mêmes une nécessité intérieure suffisante pour créer sans chercher de publicité. On se demandera donc si l'art brut ne serait pas le nom de la "Fin de l'Art".

Claire Margat est agrégée de philosophie et titulaire d'un doctorat en philosophie esthétique à Paris 1 (L'Esthétique de l'horreur, du Jardin des supplice d'Octave Mirbeau aux Larmes d'Eros de Georges Bataille).
Publications
A dirigé le Hors Série artpress 2 d’automne 2013 : Les Mondes de l'Art Brut.
2014, Catalogue de l'exposition Peter Kapeller, Décembre 2014 galerie Christian Berst.
2015, Catalogue d'Aloïse Corbaz en constellation. Le ravissement d'Aloïse Corbaz, LaM, Lille Métropole.
Quinzaines n° du 15 janvier, 2018, Dossier sur l'art brut : Images et textes de la folie.
2018, L'ART BRUT Citadelles & Mazenod : Quand l'Art Brut devient culturel et Devenirs de l'Art Brut.
artpress, automne 2018 : Graphomanies brutes ?, in Hors Série sur Graphisme et Art.
À paraître aux Presses universitaires de Bordeaux en 2020 : L’art brut, un art sans artiste ?
Artistes bruts sur lesquels des articles ont été publiés : Aloïse Corbaz, Seni Awa Camara, Jean Dubuffet, Henry Darger, Peter Kappeler, Michel Nedjar (ARTPRESS janvier 2018) Marilena Pelosi, Ceija Stojka…

Jean-Hubert MARTIN : De la création hors concours
L'art moderne s'est constamment nourri d'impulsions extérieures et en particulier des arts exotiques et de l'art populaire. L'art naïf était présent autrefois au Musée national d'art moderne, puis Dubuffet a créé sa catégorie de l'art brut, en prenant soin de se démarquer des initiatives précédentes. Depuis les catégories ont fleuri. Ce qui prime, c'est la découverte des œuvres, celles qui nous fascinent, nous éblouissent et nous interpellent. La quête est sans fin : quelques exemples passés et présents.

Jean-Hubert Martin est directeur honoraire du Musée national d'art moderne Centre Pompidou et directeur de plusieurs musées en France et à l'étranger. Commissaire d'expositions décloisonnées : Magiciens de la terre, Paris, 1989 ; Une image peut en cacher une autre, Paris, 2009 ; Carambolages, Paris, 2016 ; Grand bazar, Château d'Oiron, 2021 ; Pas besoin d'un dessin, Genève, 2022.
Publications
L'art au large, Paris, Flammarion, 2012.
"Dubuffet et ses stratégies d'élargissement de l'art", in Les Albums photographiques de Jean Dubuffet = The Photograph Albums of Jean Dubuffet, Milan : 5 Continents ; Lausanne : Collection de l'Art Brut, 2017.

Joana MASÓ : La culture de la psychothérapie institutionnelle à Saint-Alban
Lié à la présence de Paul Éluard et de Jean Dubuffet à l'hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère) où, dans les années 1940, ont travaillé les psychiatres Lucien Bonnafé, François Tosquelles et Jean Oury, l'art brut est né comme une forme d'extractivisme culturel visant à séparer un certain nombre d'objets de "l'ensemble thérapeutique" dans lequel ils ont été produits. En extrayant ces objets de leurs contextes de production et d'une économie du troc, on les a aussi séparés des pratiques collectives liées à la vie de l'hôpital : la circulation de la parole dans les assemblées, les ateliers d'ergothérapie, les mises en scène théâtrales, les activités festives, l'écriture dans le journal intérieur de l'hôpital, l'imprimerie ou les séances cinéma en commun qui suivaient le modèle de l'autogestion et des coopératives de malades. Il s'agira dans cette intervention d'analyser ce changement radical de paradigme affectant l'ensemble de ces objets : d'une logique de production dans le cadre de structures économiques locales largement autogérées à leur réception dans le cadre d'un nouveau système de validation culturelle et de production de valeur marchande issu des avant-gardes. À travers l'histoire de Saint-Alban, il s'agira donc de réfléchir aux formes de productivisme qui présidèrent à la naissance de l'art brut, et de se pencher sur ses conséquences économiques et politiques contemporaines.

Joana Masó est professeur d'études françaises et d'études de genre à l'université de Barcelone où elle est chercheuse à la Chaire UNESCO "Femmes, développement et cultures".

Corinne RONDEAU : Ce qu'il y a de brut, c'est la surprise
La surprise est sans doute le trouble persistant d'une rencontre inattendue. Dans le champ de l'art contemporain, l'art brut est ce qui vient sans annoncer sa venue. Se refusant à la classification malgré des motifs obsessifs, il est ce qui existe sans attente que l'attente elle-même, ce qui ne s'atteint pas. En un sens, l'art brut est toujours de l'ordre d'une révélation. Le brut de l'art est un "Il y a", un on-ne-sait quoi sans projet, l'expérience extrême d'un possible, proche de ce que nomme Georges Bataille, L'expérience intérieure. Ses moyens souvent pauvres, ses formes presque toujours ritualisées impliquent l'interruption des modes insistants du regard et du savoir qu'il soit historique ou esthétique. Le brut relève l'expérience de l'art comme un désenchaînement, peut-être une dramatisation, une façon de "sortir de nous-mêmes".

Corinne Rondeau est maître de conférences en esthétique et sciences de l'art à l'université de Nîmes, collaboratrice sur France Culture, critique d'art et de cinéma. Auteur de plusieurs essais monographiques, le dernier en date Chantal Akerman, Passer la nuit, éd. de l'éclat, 2017.

Chiara SARTOR : Du dossier médical à la scène. Statuts et devenirs des écrits bruts
Grâce à de nombreuses expositions et adaptions scéniques, les textes et écrits relevant de l'art brut, longtemps restés à l'ombre de l'art brut visuel et plastique, jouissent actuellement d'une nouvelle visibilité. Tandis que d'autres travaux de recherche mettent en lumière leur caractère hallucinatoire (Rainer Topitsch, Schriften des Körpers, 2002), leur poétique de la manière (Vincent Capt, Poétique des écrits bruts, 2013), leur hybridité médiale et leur rapport au graphisme (Pauline Goutain, Les Mythologies matérielles de l'Art Brut, 2017), la communication adoptera une approche diachronique pour suivre l'histoire spécifique de la genèse, collecte, théorisation et réception des écrits dits "bruts". Selon l'hypothèse qu'il s'agira d'illustrer à travers quelques cas exemplaires, ce qui distingue ce corpus de textes hétérogènes d'une part d'autres écrits asilaires, d'autre part de textes expérimentaux d'écrivains "professionnels", ce ne sont pas en premier lieu des caractéristiques inhérentes, mais les processus de dépathologisation et d'artification ou de "littérarisation" par lesquels il est passé.

Chiara Sartor prépare une thèse de doctorat en Littérature française sur l'histoire des écrits bruts. Diplômée de l'université Humboldt de Berlin et de l'université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, elle est actuellement boursière de la fondation Heinrich Böll et membre associée de l'école doctorale "The Literary and Epistemic History of Small Forms" (Histoire Littéraire et Épistémique des Petites Formes) à l'université Humboldt de Berlin.

Marina SERETTI : L'art brut et ses agents
Les objets estampillés "art brut" nous atteignent avec d'autant plus de force qu'ils ne nous sont pas adressés. Bouleversant le régime traditionnel de "l'œuvre d'art", ils résistent aux catégories usuelles de la production ("l'artiste") et de la réception artistique ("le public") comme au dispositif classique de l'exposition muséale. Le plus souvent, de tels objets possèdent une puissance d'agir éminente pour leurs auteurs, que l'on songe aux peintures médiumniques d'Augustin Lesage, aux murs d'hôpital gravés par Fernando Nannetti ou aux mystérieux cocons tissés par Judith Scott. Or le nom même d'"art brut" dit la brutalité avec laquelle de tels objets, saturés de signification personnelle et arrachés à leur milieu d'origine, font irruption dans le monde de l'art — irruption non seulement vectrice de forces ou intensificatrice, mais aussi productrice de nouvelles intensités. Dans la perspective ouverte par Alfred Gell (Art and Agency, 1998), anthropologues et historiens de l'art se sont attachés à décrire et analyser les procédures selon lesquelles certains artefacts sont investis d'une capacité d'action. Dans cette communication, il s'agira d'étudier la puissance d'agir propre à certains objets d'"art brut", selon les versants apparemment disjoints de la production et de la réception, pour tenter de comprendre ce qui fait, dans cette tension efficace, leur extraordinaire "singularité".

Marina Seretti est maître de conférences en philosophie de l'art à l'université Bordeaux-Montaigne. Elle a dirigé en collaboration avec Raphaël Koenig, L'art brut, objet inclassable ? (Actes de colloque) paru aux Presses universitaires de Bordeaux en juin 2021.