Programme 2020 : un des colloques

Programme complet


Colloque reporté

En raison des événements exceptionnels liés à l'épidémie de la Covid-19, et sur proposition des directeurs, ce colloque a été reporté aux dates suivantes : du mercredi 18 mai au dimanche 22 mai 2022 [en savoir plus].

La direction du CCIC


DE QUOI L'ART BRUT EST-IL LE NOM ?


DU JEUDI 11 JUIN (19 H) AU LUNDI 15 JUIN (14 H) 2020

[ colloque de 4 jours ]


Jean Perdrizet. Sans titre (Un robot ouvrier qui voit les formes par coupes de vecteurs en étoile), circa 1970. Encre et crayons de couleur sur papier, 65 x 40 cm © courtesy christian berst art brut


DIRECTION :

Christian BERST, Raphaël KOENIG


ARGUMENT :

L'art brut demeure sans doute un des derniers grands impensés de l'art. Même si — comble du paradoxe pour un art que Jean Dubuffet voulait "épris d'obscurité" — celui-ci est plus que jamais sous les feux de la rampe, de la Biennale de Venise au Musée Guggenheim en passant par le Musée d'art moderne de la Ville de Paris et le MoMA, il ne cesse de susciter interrogations, émerveillements, et remises en cause.

Preuve de la capacité sans cesse renouvelée d'œuvres "hors-norme", créées par des artistes évoluant le plus souvent dans une altérité sociale ou mentale, de chambouler "l'horizon d'attente" de leurs spectateurs, introduisant ainsi un ferment disruptif au sein des mécanismes de création, de validation et d'exposition du monde de l'art.

Preuve également de l'instabilité sémantique d'une notion qui, depuis trois quart de siècle, semble singulièrement rétive aux tentatives de définition ou de systématisation : tout en proclamant, au milieu des années 1940, l'existence d'un "art brut" qui s'affirme avec l'évidence d'un phénomène naturel, Jean Dubuffet ne l'a-t-il pas également placé sous le signe d'une étrange amnésie ? Personnage à la Calvino, perpétuellement en quête de définition, "l'art qui ne sait pas son nom" semble devoir nous inviter à un questionnement ouvert, à condition du moins de s'affranchir du manichéisme de ses débuts.

Il semble donc crucial que les instances culturelles s'y attèlent, même s'il faut pour cela qu'elles se dotent de nouveaux outils pour en saisir toute la portée. L'examen de ce champ — sans concession ni complaisance pour les dogmes du passé — permettra de mieux comprendre le travail que font les œuvres d'art sur ceux qu'elles émeuvent, afin de rédiger ce chapitre essentiel qui fait encore largement défaut à l'histoire de l'art.

Dans ce but, ce colloque fondamentalement interdisciplinaire associera des intervenants issus de l'université — combinant ainsi les méthodologies respectives de l'histoire de l'art et des idées, de la philosophie, de la sociologie, et de la littérature française et comparée — mais aussi des praticiens — psychanalystes, commissaires d'exposition, critiques d'art, galeristes, collectionneurs — afin de croiser les approches et de faire surgir de nouvelles perspectives sur un sujet encore largement inexploré.


MOTS-CLÉS :

Altérité, Art brut, Art des fous, Avant-garde, Création, Création hors-norme, Esthétique, Histoire de l'art, Médiumnité, Métaphysique, Mondes de l'art, Mythes, Mythologie individuelle, Sociologie de l'art


COMMUNICATIONS (suivies de débats) :

* Christian BERST et Raphaël KOENIG : Introduction

(PRÉ-) HISTOIRE, MYTHE, NOTION(S)
* Christian BERST : L'art brut en question
* Antoine FRÉROT : Ce que l'art brut me fait
* Marianne JAKOBI : Indéfinissable, innommable, insaisissable : l'invention d'un nom ou les mirages de l'art brut
* Choghakate KAZARIAN : En marge de l'art brut : Eilshemius et l'outsider art
* Raphaël KOENIG : Art brut et avant-gardes : stratégies d'exposition
* Jean-Marc LEVERATTO : Mesurer l'altérité. Le jugement de l'œuvre d'art dite "brute" et ses enjeux
* Marina SERETTI : Choc traumatique et "œuvres-projectiles" : l'efficacité de l'art brut

FORMES DE LA CRÉATION : MÉDIAS, PRATIQUES INDIVIDUELLES ET COLLECTIVES
* Gérard AUDINET : Médiumnité et art brut
* Annie FRANCK : Une œuvre : une adresse ? Perspectives psychanalytiques sur l'art brut
* Gustavo GIACOSA : Art brut et pratiques collectives, extension ou antinomie ?
* Maximilian GILLESSEN : Art brut, machines, écriture
* Carles GUERRA et Joana MASÓ : Productivisme, institution et pratiques collectives à Saint-Alban
* Marc LENOT : Tirer ou coller : la photographie brute en question
* Pascal PIQUE : Art brut et énergétiques de l'invisible

ART BRUT ET MONDES DE L'ART : ENJEUX INSTITUTIONNELS ET CONCEPTUELS
* Bruno DUBREUIL : L'art brut en miroir de l'art contemporain
* Claire MARGAT : L'Art Brut : un art sans fins ou une Fin de l'Art ?
* Jean-Hubert MARTIN : Ces autres magiciens de la terre
* Catherine MILLET : Le chapitre manquant de l'histoire de l'art
* Corinne RONDEAU : Ce qu'il y a de brut, c'est la surprise


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Bruno DUBREUIL : L'art brut en miroir de l'art contemporain
Il y aurait deux façons de considérer l'art brut : la première consisterait à le circonscrire au moment historique de son invention par Jean Dubuffet et à le maintenir à l'intérieur du champ esthétique et conceptuel tracé par les critères définis. Ce qui serait la plus sûre façon de l'anesthésier et d'en limiter la portée. La seconde viserait à considérer l'art brut comme une force agissante, porteuse d'attitudes et de pratiques capables d'innerver, à chaque époque, l'art de son temps. L'art brut finirait alors par occuper une sorte de fonction dans le paysage artistique contemporain : celle de contribuer à contrebalancer un geste artistique qui se conformerait d'avance au contexte social, culturel et économique qui va en conditionner la réception. Face à une pensée artistique alors menacée de devenir une rhétorique appliquée, l'art brut reste cette forme d'incarnation du territoire infini du risque.

Bruno Dubreuil interroge les œuvres et les pratiques artistiques (notamment la photographie). Ses analyses sont nourries par sa propre pratique ainsi que par les échanges survenant dans ses ateliers de création ou d'esthétique (Une autre histoire de l'art, Gie Binome). Ces réflexions se prolongent au travers d'expositions qu'il conçoit (Immixgalerie, Paris) et sur la revue en ligne qu'il a créée : viensvoir.oai13.com. Plusieurs chroniques y traitent de l'art brut. Il a publié dans Brut Now, l'art brut au temps des technologies.

Gustavo GIACOSA : Art brut et pratiques collectives, extension ou antinomie ?
Les ateliers de création au sein d'institutions psychiatriques ou d'handicap mental encouragent depuis plusieurs décennies l'expression et la socialisation de leur hôtes et deviennent au fur et mesure des changement sociaux des réserves où critiques, collectionneurs et commissaires d'expositions vont chercher l'Art Brut de nos jours. Entre les enjeux de tutelle et de divulgation des uns et la sauvegarde de la cohérence de canons esthétiques des autres, la création artistique hors du système de production et diffusion de l'art contemporain, révèle toutes ses contradictions. Si l'encouragement à l'action et la stimulation artistique est contraire au diktat de Dubuffet, comment et dans quelles conditions certains "créateurs d'atelier" échappent à ces conditionnements positifs et devient des exceptions au sein même de leurs institutions ? Quel est l'impact des pratiques collectives pour ce réservoir de radicalité créatrice qu'est l'art brut ?

Gustavo Giacosa est metteur en scène et commissaire d'expositions, né à Sunchales (Argentine) en 1969. Après des études de lettres à l'université de Santa Fe et la rencontre avec le metteur en scène Pippo Delbono, il développe une recherche sur le rapport entre l'art et la folie au sein de différentes formes artistiques en devenant commissaire des plusieurs expositions sur cette thématique. Ses recherches sont à l'origine d'une collection d'Art Brut et d'Art Contemporain : Puentes (Ponts) qui est présenté de manière permanente à Rome dans l'espace "A due" Art Studio. À partir de 2012, il s'établit en France où il crée à Aix-en-Provence avec le pianiste et compositeur Fausto Ferraiuolo une plateforme multidisciplinaire qui regroupe la diversité de ses productions : SIC.12.

Carles GUERRA et Joana MASÓ : Productivisme, institution et pratiques collectives à Saint-Alban
Lié à la présence de Paul Éluard et de Jean Dubuffet à l'hôpital de Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère) où, dans les années 1940, ont travaillé les psychiatres Lucien Bonnafé, François Tosquelles et Jean Oury, l'art brut est né comme une forme d'extractivisme culturel visant à séparer un certain nombre d'objets de "l'ensemble thérapeutique" dans lequel ils ont été produits. En extrayant ces objets de leurs contextes de production et d'une économie du troc, on les a aussi séparés des pratiques collectives liées à la vie de l'hôpital : la circulation de la parole dans les assemblées, les ateliers d'ergothérapie, les mises en scène théâtrales, les activités festives, l'écriture dans le journal intérieur de l'hôpital, l'imprimerie ou les séances cinéma en commun qui suivaient le modèle de l'autogestion et des coopératives de malades. Il s'agira dans cette intervention d'analyser ce changement radical de paradigme affectant l'ensemble de ces objets : d'une logique de production dans le cadre de structures économiques locales largement autogérées à leur réception dans le cadre d'un nouveau système de validation culturelle et de production de valeur marchande issu des avant-gardes. À travers l'histoire de Saint-Alban, il s'agira donc de réfléchir aux formes de productivisme qui présidèrent à la naissance de l'art brut, et de se pencher sur ses conséquences économiques et politiques contemporaines.

Carles Guerra est commissaire d'exposition, critique d'art et enseignant, ancien directeur de la Fondation Antoni Tàpies et de La Virreina Centre de la Imatge (Barcelone), et ancien Conservateur en Chef du Museu d'Art Contemporani de Barcelona (MACBA).

Joana Masó est professeur d'études françaises et d'études de genre à l'université de Barcelone où elle est chercheuse à la Chaire UNESCO "Femmes, développement et cultures".

Depuis 2017, ils travaillent à un projet d'exposition et de livre autour du psychiatre François Tosquelles et de l'hôpital de Saint-Alban, au centre de la mythologie de l'art brut en France après la Seconde Guerre mondiale.

Choghakate KAZARIAN : En marge de l'art brut : Eilshemius et l'outsider art
En 1917, Marcel Duchamp surprend le monde de l'art new yorkais en déclarant que Louis Michel Eilshemius (1864-1941), un artiste inconnu de 53 ans, est l'auteur l'une des deux meilleures œuvres de la première exposition sans jury de la Society of Independents Artists. Né dans une famille aisée, Eilshemius bénéficie de la parfaite formation académique : études à la Art Students League à New York puis à l’Académie Julian à Paris et nombreux voyages en Europe, en Afrique du Nord et dans le Pacifique. Après avoir exposé, très jeune, à la National Academy of Design and à la Pennsylvania Academy of the Fine Arts, il sombre dans l'indifférence la plus totale jusqu'en 1917. La généalogie de sa réception montre comment le succès comme le rejet de l'œuvre d'Eilshemius sont construits sur son image d'outsider, terminologie d'autant plus complexe pour un artiste à la formation et aux ambitions académiques mais néanmoins situé dans une double marge : tantôt trop étrange pour faire partie du monde de l'art traditionnel, tantôt trop traditionnel pour correspondre à l'esthétique moderniste.

Choghakate Kazarian est historienne de l'art et conservateur du patrimoine. Diplômée de l'École du Louvre, de La Sorbonne - Paris IV et de l'Institut National du Patrimoine, elle fut conservateur au Musée d'Art moderne de Paris de 2011 à 2018. Elle prépare actuellement un doctorat au Courtauld Institute of Art sur l'artiste américain Albert Pinkham Ryder. Ses expositions et publications ont porté sur des artistes tels que Henry Darger, Lucio Fontana, Piero Manzoni, Karel Appel, Marcel Duchamp ou Louis Michel Eilshemius.

Marc LENOT : Tirer ou coller : la photographie brute en question
Ce n'est que depuis 2004 (avec une exposition à San Francisco) que la photographie est reconnue comme un des éléments de l'art brut, avec deux modes créatifs différents, deux approches différentes de l'image. D'une part les artistes bruts qui photographient eux-mêmes : aussi bien des autoportraits, souvent déguisés, travestis, modifiés, que des photographies obsessionnelles de femmes, épouse ou compagne, ou bien passantes, actrices ou marionnettes ; d'autres photographient obsessionnellement leur environnement, et quelques-uns jouent avec la matière photographique elle-même. D'autre part, les artistes bruts qui utilisent des photographies (et des radiographies) dans des collages et des photomontages, en complétant leurs dessins, en tatouant d'écriture des images trouvées, ou en construisant des montages complexes, panoramiques ou constructivistes.

Marc Lenot, après des études à Polytechnique et au MIT et une carrière d'économiste, s'est réinventé sur le tard en critique d'art et chercheur sur la photographie : blog Lunettes Rouges, master à l'EHESS, doctorat en histoire de l'art, livre Jouer contre les appareils sur la photographie expérimentale, prix AICA France 2014 de la Critique d'art.

Jean-Marc LEVERATTO : Mesurer l'altérité. Le jugement de l'œuvre d'art dite "brute" et ses enjeux
Avec l'aide des outils de la sociologie de l'expertise artistique, nous identifierons dans un premier temps les différents types d'épreuves de la qualité artistique auxquelles s'expose aujourd'hui l'œuvre dite "brute". Dans un second temps, l'approche anthropologique contemporaine nous aidera à approfondir notre compréhension des cadres de l'expérience que l'on peut faire de l'art dit "brut", des différentes ontologies qui peuvent nous permettre de ressentir la valeur artistique de l'événement qu'il constitue et d'en reconnaître la signification éthique.

Jean-Marc Leveratto est professeur de sociologie. Ses recherches portent sur les techniques du corps, la culture artistique et la sociologie de l'expérience esthétique. Sur l'évaluation des artistes et des œuvres d'art, il a publié notamment La mesure de l’art. Sociologie de la qualité artistique, Paris, La dispute, 2000 et Introduction à l'anthropologie du spectacle, ibid., 2006. Il a également réalisé de nombreuses enquêtes sur la culture contemporaine, dont Internet et la sociabilité littéraire (avec Mary Leontsini), 2008 et Cinéphiles et cinéphilies (avec Laurent Jullier), 2010.

Claire MARGAT : L'Art Brut : un art sans fins ou une Fin de l'Art ?
L'Art Brut met en question ce qu'on entend par l'Art : à la fois idéal philosophique et conception historiciste formulée dans L'Esthétique de Hegel. L'idée hegelienne de Fin de l'Art a donné lieu à des interprétations diverses(1). L'Art Brut est problématique : est-ce un art authentique ou un non-art, situé aux limites de ce qui est reconnu comme art et qui permet son extension ? Comprendre l'Art Brut suppose d'examiner non comment un art est qualifié (brut, singulier, outsider, etc…) mais comment l'Art est compris selon l'époque. L'Art (symbolique/classique/romantique) exprimait une communauté, une religiosité collective. L'Art Brut, expression de singularités individuelles, manifeste un repli tel qu'un art populaire ou national cesse de faire sens.
(1) A. Danto, La Fin de l'Art, 1984, L'assujetissement philosophique de l'art, 1993, Après la Fin de l'Art, 1996.

Claire Margat est agrégée de philosophie et titulaire d'un doctorat en philosophie esthétique à Paris 1 (L'Esthétique de l'horreur, du Jardin des supplice d'Octave Mirbeau aux Larmes d'Eros de Georges Bataille).
Publications
A dirigé le Hors Série artpress 2 d’automne 2013 : Les Mondes de l'Art Brut.
2014, Catalogue de l'exposition Peter Kapeller, Décembre 2014 galerie Christian Berst.
2015, Catalogue d'Aloïse Corbaz en constellation. Le ravissement d'Aloïse Corbaz, LaM, Lille Métropole.
Quinzaines n° du 15 janvier, 2018, Dossier sur l'art brut : Images et textes de la folie.
2018, L'ART BRUT Citadelles & Mazenod : Quand l'Art Brut devient culturel et Devenirs de l'Art Brut.
artpress, automne 2018 : Graphomanies brutes ?, in Hors Série sur Graphisme et Art.
À paraître aux Presses universitaires de Bordeaux en 2020 : L’art brut, un art sans artiste ?
Artistes bruts sur lesquels des articles ont été publiés : Aloïse Corbaz, Seni Awa Camara, Jean Dubuffet, Henry Darger, Peter Kappeler, Michel Nedjar (ARTPRESS janvier 2018) Marilena Pelosi, Ceija Stojka…

Jean-Hubert MARTIN : Ces autres magiciens de la terre
La question de l'art des marginaux asociaux et des autodidactes est souvent assimilée à celle des artistes de sociétés sans écriture. En somme hors de l'art occidental issu des paradigmes de la Renaissance, les autres se retrouveraient tous dans le même sac. Syndrome Vasari. Tentative de donner des définitions claires de pratiques variées et critique de la notion d'art brut telle que définie par Dubuffet, qui agit en artiste autant qu'en chercheur. Quelques exemples inédits dans un domaine de recherche infini.

Jean-Hubert Martin, diplômé en histoire de l'art, a participé à l'élaboration du centre Pompidou. Il fut directeur de la Kunsthalle de Berne, du Musée national d'art moderne du Centre Pompidou, du Musée national des arts d’'Afrique et d'Océanie de Paris et du Museum Kunst Palast de Düsseldorf. Il a dirigé les programmes artistiques du Château d'Oiron et du Padiglione d'Arte Contemporanea à Milan et a été commissaire de nombreuses expositions en France et à l'étranger :
Magiciens de la terre, Paris 1989 : a tenté de remettre en question l'exclusion et les critères pratiqués par le réseau de l'art contemporain dit international.
Partages d'exotisme, Biennale de Lyon, 2000 : montrait les écarts et les hybridations entre des formes culturelles impossibles à définir.
Altäre, Dusseldorf, 2001 : les expressions religieuses du monde actuel sont-elles de l'art ?
Dubuffet et l'art brut, Dusseldorf, Lausanne et Lille, 2005.
Sur le fil, galeries Christian Berst et Jean Brolly, Paris, 2016 : mélangeait l'art brut et l'art contemporain.
Publication
"Dubuffet et ses stratégies d'élargissement de l'art", in Les Albums photographiques de Jean Dubuffet = The Photograph Albums of Jean Dubuffet, Milan, 5 Continents ; Lausanne : Collection de l'Art Brut, 2017, p. 24-30 [fre/eng].

Corinne RONDEAU : Ce qu'il y a de brut, c'est la surprise
La surprise est sans doute le trouble persistant d'une rencontre inattendue. Dans le champ de l'art contemporain, l'art brut est ce qui vient sans annoncer sa venue. Se refusant à la classification malgré des motifs obsessifs, il est ce qui existe sans attente que l'attente elle-même, ce qui ne s'atteint pas. En un sens, l'art brut est toujours de l'ordre d'une révélation. Le brut de l'art est un "Il y a", un on-ne-sait quoi sans projet, l'expérience extrême d'un possible, proche de ce que nomme Georges Bataille, L'expérience intérieure. Ses moyens souvent pauvres, ses formes presque toujours ritualisées impliquent l'interruption des modes insistants du regard et du savoir qu'il soit historique ou esthétique. Le brut relève l'expérience de l'art comme un désenchaînement, peut-être une dramatisation, une façon de "sortir de nous-mêmes".

Corinne Rondeau est maître de conférences en esthétique et sciences de l'art à l'université de Nîmes, collaboratrice sur France Culture, critique d'art et de cinéma. Auteur de plusieurs essais monographiques, le dernier en date Chantal Akerman, Passer la nuit, éd. de l'éclat, 2017.