Programme 2019 : un des colloques

Programme complet


TERRITOIRES SOLIDAIRES EN COMMUN :

CONTROVERSES À L'HORIZON DU TRANSLOCALISME


DU VENDREDI 12 JUILLET (19 H) AU VENDREDI 19 JUILLET (14 H) 2019

[ colloque de 7 jours ]



DIRECTION :

Elisabetta BUCOLO, Hervé DEFALVARD, Geneviève FONTAINE

Colloque organisé à l'initiative du Cercle des partenaires


ARGUMENT :

Nous sommes entrés dans "une sorte de nouvel âge des communs, celle de l'enracinement des communs dans la société, de leur extension à des domaines sans cesse élargis de la vie sociale et de leur pérennisation dans le temps", telle est l'une des conclusions du premier colloque de Cerisy (Vers une république des biens communs ?, Éditions Les Liens qui Libèrent, 2018). Après un deuxième colloque consacré en 2017 à L'alternative du commun, cette troisième rencontre vise à débattre des questions, peu abordées dans les précédentes éditions, des territoires solidaires en commun. Il questionnera notamment les manières dont les solidarités locales autour de diverses ressources (santé, logement, énergie, emploi, culture…) s'articulent aujourd'hui à des solidarités jouant à des échelles territoriales plus larges jusque et y compris mondiales.

Comment ces multiples réalités qui se développent dans les territoires, portées par l'économie sociale et solidaire, le mouvement du libre ou les mouvements sociaux, peuvent-elles ne pas se limiter à panser les plaies des crises écologiques, démocratiques et sociales ? À quelles conditions peuvent-elles, à l'inverse, faire système selon de multiples échelles autour d'un socle commun de nouvelles solidarités ?

Ce colloque propose de formuler ensemble une réponse en faisant l'hypothèse d'un translocalisme des communs. D'une part, elle considère que se déploient aujourd'hui sur les territoires des constructions sociales qui relient diverses échelles spatiales, voire temporelles : de l'ancrage local à un élargissement progressif des dimensions, jusqu'à atteindre, parfois, une configuration mondiale. D'autre part, elle suppose que ces constructions se font à travers plusieurs axes du translocalisme, comme l'écologique, le numérique ou encore le démocratique, donnant lieu à des universalismes locaux et non alignés.

À partir de conférences plénières introduisant ces axes du translocalisme, de tables rondes associant acteurs et chercheurs, de débats et de controverses mettant en tension les notions et les pratiques, l'objectif est de stimuler une intelligence collective des communs translocaux permettant de sortir de l'opposition actuelle entre mondialisme et localisme, qui nourrit le duo infernal du néolibéralisme et du populisme.

La rencontre s'ouvrira avec le Projet Poétique Planétaire avec lequel, depuis 2013, en plusieurs langues, des poèmes d'un lieu sont adressés par voie postale à des habitants d'autres territoires de France et du monde, faisant de la poésie une langue commune locale et universelle.


CALENDRIER DÉFINITIF :

Vendredi 12 juillet
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants


Samedi 13 juillet
Matin
Elisabetta BUCOLO, Hervé DEFALVARD & Geneviève FONTAINE : Introduction

En parallèle
Table ronde 1 : Ressource des territoires à révéler, avec Barbara BLIN BARROIS [PTCE Ôkhra], Philippe CHEMLA [PTCE Tétris] et Fatima MOSTEFAOUI [Collectif Pas sans nous]
Table ronde 2 : Territoires solidaires et emploi, avec Rachid CHERFAOUI [Maison d'économie solidaire], Daniel LE GUILLOU [Territoires Zéro Chômeur de LD] (L'emploi : du droit citoyen au bien commun du territoire) et Claude SICART [Le PoleS]

Après-midi
Jean-Louis LAVILLE [Cnam] : Démocratie et solidarité

Débat public 1 : Formes de solidarité et commun, avec Philippe EYNAUD [IAE-Paris 1] et Stéphane VEYER [Coop des communs]

Restitution des tables rondes 1 & 2

Soirée
Bernard STEPHAN [Éditions de l'Atelier] : Présentation du projet éditorial en commun


Dimanche 14 juillet
Matin
Table ronde 4 : Systèmes alimentaires solidaires territorialisés, avec Gheorghe CIASCAI [Univ. Cantemir de Bucarest] (Phénomènes inédits dans l’écosystème des communs de Roumanie : coopérative agricole Carrefour Vărăşti entre l’approche économique et la responsabilité sociale corporative), Giuseppe LI ROSI [Collectif Simenza] (L'expérience du collectif Simenza dans la gestion de la biodiversité sicilienne) et Marc LOURDAUX [Échanges paysans Hautes-Alpes] (Le commun & les Singuliers. Démarche de structuration en écosystème des circuits courts agricoles en Provence Alpes Côte d'Azur)

Débat public 2 : Regards croisés Nord-Sud, une épistémologie commune ?, avec Pedro HESPANHA [Univ. de Coimbra] et Stéphanie LEYRONAS [AFD] (Sortir d'une relation Nord Sud à sens unique - l'aide au développement peut-elle se réinventer ?)

Après-midi
Lionel MAUREL [Cnrs] : Faire atterrir les Communs numériques. Des utopies métaphysiques aux nouveaux territoires de l'hétérotopie [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]


Lundi 15 juillet
Matin
Jean-François DRAPERI [Cnam] : Le temps des méso-républiques inter-coopératives

En parallèle
Table ronde 5 : Culture et commun dans les territoires, avec Laura AUFRÈRE [Univ. Paris 13], Cécile OFFROY [Opale] et Raphaël LHOMME [Revue Profession Spectacle] (La revue Profession Spectacle comme ressource commune)
Table ronde 6 : Grandes entreprises et territoire, avec Sylvain BAUDET [Banque des Territoires], Fabien JOURON [La Poste] et Eric LESUEUR [Veolia] (Innovation sociale et territoires)

Après-midi
Restitution des tables rondes 5 & 6

Débat public 3 : Valeurs et communs pour les territoires, avec Nicolas CHOCHOY [Institut Godin] et Hervé DEFALVARD [Chaire ESS - UPEM]

Table d'enjeux et de controverses ACTTES : "Faire avec ou sans les mastodontes ?"

Soirée
Débat public 4 : Pouvoirs publics et commun, avec Silke HELFRICH [Commons Strategies Group] et François Xavier VIALLON [Univ. de Lausanne]


Mardi 16 juillet
Matin
En parallèle
Table ronde 7 : Échelles territoriales de la santé en commun, avec Corinne BEBIN [SCIC "Solidarité Versailles Grand Age"] (Favoriser la coopération des acteurs d'un territoire pour améliorer les parcours de vie, une proposition originale : la SCIC "Solidarité Versailles Grand Age"), Olivier BENOIT [Aides] et Eric BONNEAU [SCIC Ecoreso]
Table ronde 8 : Habiter en commun les territoires, avec Camille FONTENELLE [Association Enerterre] et Joseph HAERINGER [Habitat et Humanisme] (Comment transformer un "Habitat" en un "Habiter". L'histoire d'un projet)

Restitution des tables rondes 7 & 8

Après-midi
"HORS LES MURS"
Visite de deux acteurs de la solidarité : SCIC Ecoreso (Gourfaleur) & Association Enerterre (Ferme du Bas Quesnay, Saint-André de Bohon) puis accueil à la Maison du Parc des Marais du Cotentin (Les Ponts D'Ouve, Saint Côme du Mont) par Jean-Baptiste WETTON (Responsable du pôle environnement et biodiversité) [organisée en partenariat avec le Conseil départemental de la Manche]

Soirée
Jacques JOUET : Présentation du projet planétaire poétique


Mercredi 17 juillet
Matin
En parallèle
Table ronde 3 : Énergie durable et territoire, avec Arnaud ASSIÉ [Cired], Michel CARRÉ [Association "Énergies Citoyennes en Pays de Vilaine"] et Pierre GUELMAN [Enedis]
Débat public 5 : Émancipation et commun, avec Fanélie CARREY-CONTE [Coop des communs] et Melaine CERVERA [Univ. de Lorraine] (Possibilités d'auto-émancipation et changement institutionnel)

Isabelle DELANNOY [Do Green] : Économie symbiotique, écologie et commun

Après-midi
Débat public 6 : Monnaie et commun, avec Denis DUPRÉ [Univ. de Grenoble] (Rôle des monnaies dans le cadre d'une perspective d'effondrement de notre société thermo-industrielle. Récit de science-fiction : 2034 Les chinois sont entrés dans Paris) et Marie FARE [Univ. Lyon 2] (Penser autrement les monnaies)

Débat public 7 : Critères et outils de gestion et commun, avec Nicole ALIX [Coop des communs] (Quels critères pour élaborer des outils de gestion adaptés aux communs ?) et Denis DURAND [Revue Économie et politique] (Prises de pouvoir locales sur l'économie et cohérence systémique)

Soirée
Table d'enjeux et de controverses : "L'action public en commun ?"


Jeudi 18 juillet
Matin
En parallèle
Table ronde 9 : Friches en commun et territoires, avec Sylvie BARROS [Mairie de Thiers] (Valorisation et redynamisation de la Vallée des usines à Thiers par l'économie sociale et solidaire), Benedetta CELATI [Univ. de Pise] (Friches "en commun" et régénération urbaine en Italie : une interaction complexe entre solidarités territoriales et régulation juridique) et Maïté JUAN [Post-doctorante Cnrs] (Les communs urbains à Barcelone : penser l'autogouvernement citoyen avec les institutions)
Table ronde 10 : Éducation populaire, construire un monde commun, avec Ana DUBEUX [Univ. Fédérale Rurale de Pernambouc] (Éducation Populaire en commun : son rôle, ses défis) et Colin ROBINEAU [Univ. Paris 2] (Politiser en construisant du commun : le cas d'un squat d'activités de l'Est parisien)

Débat public 8 : Droit, commun et territoire, avec Benjamin CORIAT [Coop des communs] et Viviane HAMON [Conseil] (Le système de garantie participatif. Un commun intellectuel local comme alternative à la certification par tierce-partie)

Après-midi
Restitution des tables rondes 9 & 10

Débat public 9 : Coopératives et commun pour quelles solidarités ?, avec Jean-Louis BANCEL [Crédit coopératif] et Noémie de GRENIER [Coopaname]

Soirée
Lecture de poèmes "Territoires de Cerisy et solidarité", écrits par des agents de La Poste suite à un atelier d'écriture animé par Jacques JOUET


Vendredi 19 juillet
Matin
Rapports d'étonnements & Clôture participative

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Jean-François DRAPERI : Le temps des méso-républiques inter-coopératives
Une sociologie historique des économies alternatives nous enseigne que celles-ci ont été initiées tantôt par des travailleurs, tantôt par des consommateurs, tantôt par des États. Leurs projets se situent à l'échelle du groupement de personnes ou de l'entreprise (c'est l'utopie de micro-républiques de producteurs), à celle de l'œcoumène (c'est l'utopie de la macro-république de consommateurs), ou encore à celle des nations (c'est l'utopie des républiques de développement coopératif). En ce début de XXIe siècle, les propositions alternatives portent simultanément sur les conditions de production, d'échanges et de consommation. Elles se situent à l'échelle de territoires connectés, qu'elles coproduisent par le biais d'inter-coopérations, les unes internes à l'économie sociale et solidaire, les autres externes à celle-ci. Ces inter-coopérations définissent des méso-républiques inter-coopératives qui questionnent les principes historiques de la coopération et de l'économie sociale issus de Rochdale. Ces méso-républiques constituent des modèles qui se déclinent en divers types appréhendés comme des milieux, qu'on distingue essentiellement à partir des rapports qu'ils entretiennent avec l'économie dominante et avec les collectivités publiques. L'analyse de ces milieux permet de dessiner une géographie des économies alternatives.

Publications
Draperi J.-F., L'économie sociale et solidaire : une réponse à la crise ? Capitalisme, territoires et démocratie, Dunod, 2011.
Draperi J.-F., La république coopérative, Larcier, 2012.
Draperi J.-F. et Le Corroller C. (coord.), S'inspirer du succès des coopératives, Dunod, 2016.
Draperi J.-F., "Territoires", in CnCres, Atlas commenté de l'économie sociale et solidaire, Dalloz, 2017.
Draperi J.-F., Histoires d'économie sociale et solidaire, Les Petits Matins, 2017.
Draperi J.-F., Coopérer pour consommer autrement, Presses de l'économie sociale / FNCC, 2017.

Geneviève FONTAINE
Agrégée de Sciences Économiques et Sociales, Geneviève Fontaine est l'une des initiatrices du Pôle Territorial de Coopération Économique TETRIS (Transition Écologique Territoriale par la recherche et l'Innovation Sociale) basé à Grasse (France) où elle anime et coordonne le centre de recherche appliquée pluridisciplinaire qui structure ce PTCE. Doctorante de l'université de Marne-la-Vallée et chargée de mission de l'Institut Godin, ses recherches portent sur le croisement entre les analyses sur les communs et l'approche par les capabilités du développement durable.

Lionel MAUREL : Faire atterrir les Communs numériques. Des utopies métaphysiques aux nouveaux territoires de l'hétérotopie
Logiciels libres et Open Source ; projets collaboratifs comme Wikipédia ou Open Street Map ; œuvres culturelles partagées sous licence Creative Commons : autant d'exemples de Communs numériques qui ont pris aujourd'hui une importance significative. Néanmoins, ces objets sont souvent présentés comme des Communs "immatériels", "informationnels" ou "de la Connaissance", par opposition à des Communs dits "naturels", "matériels" ou "environnementaux". Ce type de dichotomie fait écho au Grand Partage entre Nature et Culture, remis en question dans les travaux de Bruno Latour, et notamment dans son ouvrage Où atterrir ? Comment s'orienter en politique. Les travaux originaux d'Elinor Ostrom (prix Nobel d'économie 2009) et de Charlotte Hess avaient pourtant le mérite de ne pas opérer ce type de séparation, car elles pensaient de front la dimension matérielle des Communs de la connaissance et le rôle du partage des connaissances dans les Communs naturels.
Mais ces enseignements ont peu à peu été oubliés au profit d'une conception désincarnée des Communs numériques, réduits à leur dimension purement informationnelle. C'est notamment l'influence de la cyberculture américaine des pionniers de l'Internet qui a conduit à les concevoir comme des "Communs intangibles de l'esprit" (James Boyle) flottant dans l'éther numérique. Suivant les propositions de Bruno Latour, il importe aujourd'hui de sortir de cette pensée dualiste pour "faire atterrir" les Communs numériques, en les appréhendant comme inséparables des infrastructures et des objets matériels constituant le réseau que forme Internet. C'est même une urgente nécessité pour parvenir à penser des Communs numériques qui ne seraient plus "hors-sol", mais enracinés dans les sols et dans les corps, en cessant de séparer les enjeux d'émancipation des humains des questions écologiques devant être regardées en face à l'heure de l'Anthropocène.

Lionel Maurel - Calimaq
Auteur du blog S.I.Lex
Profil Twitter
Co-fondateur du collectif SavoirsCom1, politiques des biens communs de la connaissance
Membre de l'association la Quadrature du Net


TR1 : Ressource des territoires à révéler, avec Barbara BLIN BARROIS (PTCE Ôkhra), Philippe CHEMLA (PTCE Tétris) et Fatima MOSTEFAOUI (Collectif Pas sans nous)
Les ressources des territoires susceptibles d'être gérées en commun ou de constituer un monde commun pour et par les habitants sont parfois invisibilisées, oubliées, voire vécues comme des handicaps. Comment les révéler ? Comment en faire un élément commun à partager sur le territoire et au-delà ?


TR 2 : Territoires solidaires et emploi, avec Rachid CHERFAOUI (Maison d'économie solidaire), Daniel LE GUILLOU (Territoires zéro chômeur de longue durée) et Claude SICART (Le PoleS)
L'emploi de qualité est, sur de nombreux territoires, une ressource menacée pour de nombreuses personnes qui en sont privées. Si la société civile s'est souvent mobilisée pour offrir des réponses à cette question sociale, avec l'IAE par exemple, quelles sont aujourd'hui les nouvelles perspectives qui sur les territoires concourent à faire de l'activité un commun pour tous ?

Daniel LE GUILLOU : L'emploi : du droit citoyen au bien commun du territoire
Aujourd'hui en France, près de 50% des personnes privées d'emploi le sont depuis plus d'un an et la plupart d'entre elles ne touchent plus aucune allocation au titre du chômage. En dépit de la (timide) reprise économique constatée depuis 2016, le nombre des personnes concernées par le chômage de longue durée ne diminue pas. La privation durable d'emploi coûte cher à la collectivité nationale (43 milliards € en 2017, soit environ 16000 € par personne privée durablement d'emploi), elle est également, et peut-être surtout, à l'origine de l'augmentation de la pauvreté et de l'exclusion sociale. Depuis le début des années 90, période à laquelle les premières mesures visant à réduire le coût du travail ont été prises, les mesures générales et ciblées se sont multipliées et leur montant a plus que doublé (122 milliards € en 2015). Et pourtant, les résultats s'avèrent, au minimum, décevants. Face à ce double constat — un marché de l'emploi fabriquant de la précarité et des politiques de l'emploi inefficientes — le projet "Territoires zéro chômeur de longue durée" prétend que nous n'avons pas tout essayé. Grâce à l'expérimentation en cours dans 10 territoires depuis janvier 2017, il s'agit de montrer qu'en partant de la mobilisation et de la volonté d'un territoire, il est possible de proposer, conformément au préambule de la Constitution, un emploi digne et durable, sans sélection, à toutes les personnes privées durablement d'emploi qui le souhaitent et cela à coût nul pour les finances publiques.

Engagé dans le projet "Territoires zéro chômeur de longue durée" depuis 2015, Daniel Le Guillou est actuellement vice-président de l'entreprise à but d'emploi du territoire expérimental de Thiers (63) et chargé de la capitalisation au sein de l'association "Territoires zéro chômeur de longue durée".
Bibliographie
"Travailler et apprendre ensemble", Collectif, Éditions Quart Monde, 2010.
"L'entreprise réinventée", Desmedt Gérard, Éditions Quart Monde / Éditions de l'Atelier, 2012.
Présentation du projet TZCLD [en ligne].
"L'expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée : une opportunité pour renforcer l'État social ?", Le Guillou Daniel, Semenowicz Philippe, communication pour le colloque : "Quel modèle social pour le XXIe siècle ?", juin 2017.
"Un emploi, c'est mon droit", Soulé Véronique, Éditions Quart Monde, 2018.
"Zéro chômeur, dix territoires relèvent le défi", Goubert Didier, Hédon Claire, Le Guillou Daniel, Éditions de l'Atelier, à paraître (avril 2019).


TR3 : Énergie durable et territoire, avec Arnaud ASSIÉ (Cired), Michel CARRÉ (L'association "Énergies Citoyennnes en Pays de Vilaine") et Pierre GUELMAN (Enedis)
Symbole des liens entre le global et le local, les modes de production, de distribution, de répartition et d'utilisation de l'énergie touchent aux enjeux économiques, environnementaux, démocratiques et sociaux auxquels nous devons collectivement faire face. Autonomie, souveraineté, organisation citoyenne de l'énergie sur les territoires, quel rôle pour les communs ?

Michel CARRÉ : L'association "Énergies Citoyennnes en Pays de Vilaine"
L'association est créée en 2003 par des citoyens intéressés pour produire et économiser des énergies renouvelables. Ils ont créé des outils juridiques et financiers, et des outils de production : une société de capital risque; une société de services pour les appuis techniques et juridiques; trois sociétés de portages de parcs éoliens; des animations et outils financés par ces investisseurs pour permettre des économies d'énergie (groupements d'achats, constructions de cuiseurs bois, de fours solaires…); la création de deux réseaux régionaux (bretons et ligériens) et du réseau national Énergie Partagée. En projet, on peut citer deux nouveaux parcs éoliens et plusieurs centrales solaires. En tout, une cinquantaine de bénévoles très actifs, 150 participants réguliers aux activités (conseils d'administration, conseils de directions, comités de pilotage…), seize salariés.
Nos convictions sont les suivantes : les énergies fossiles et fissiles doivent être rapidement dépassées, en conjuguant accélération de la production de renouvelables et économies d’énergie; comme le vent, le soleil, l'eau, sont à tout le monde, il n'y a aucune raison pour que la plus-value produite ne reste pas sur le territoire (dividendes et impôts locaux); les projets sont complexes mais maîtrisables par les citoyens engagés (bénévoles pilotant les sociétés des parcs) qui ont acquis de vrais savoirs faire qu'il faut faire reconnaître aux banquiers, à la puissance publique, à EDF…; les riverains, les élus doivent pouvoir rencontrer les responsables des installations et faire prendre en compte leurs souhaits; l'entrée est thématique (les énergies), mais la préoccupation globale : en recherchant l'implication du plus grand nombre sur des sujets transversaux (énergie, déchets, eau…), on vise une société démocratique, solidaire et résiliente; les collectivités publiques doivent s'emparer rapidement de ces préoccupations pour accélérer le mouvement, ne pas laisser progresser la financiarisation de ces secteurs d'activités; ces approches doivent aussi permettre aux espaces ruraux de devenir créateurs de nouvelles richesses à exporter vers les espaces urbains.

Michel Carré est militant bénévole de l'implication citoyenne pour une réelle démocratie solidaire et écologique. Retraité (64 ans) de la formation professionnelle d'agriculteurs, de responsables associatifs et de collectivités en milieu rural. Il préside l'association "Énergies Citoyennes en Pays de Vilaine" (EPV) depuis 3 ans.


TR4 : Systèmes alimentaires solidaires territorialisés, avec Gheorghe CIASCAI (Univ. Cantemir de Bucarest), Giuseppe LI ROSI (Collectif Simenza) et Marc LOURDAUX (Échanges paysans)
Face à l'agriculture intensive et au système de la Grande distribution, de plus en plus d'acteurs sur les territoires s'organisent pour reconstruire une autre économie : consommateurs citoyens des Amap, agriculteurs et militants des semences reproductibles et même grandes entreprises, font émerger des systèmes alimentaires solidaires territorialisés : à travers quels combats, quelles difficultés ? En s'appuyant sur quels liens entre le local et le plus global ?

Gheorghe CIASCAI : Phénomènes inédits dans l'écosystème des communs de Roumanie : Coopérative Agricole Carrefour Vărăşti entre l'approche économique et la responsabilité sociale corporative
La création en 2017 de la coopérative agricole Carrefour Vărăşti près de Bucarest par quatre paysans de Vărăşti et la grande entreprise Carrefour est-elle un événement exceptionnel parce que la coopérative en Roumanie reste marquée par la mauvaise image de la coopérative communiste. Cette nouvelle coopérative peut être pensée selon le modèle des communs sociaux selon une déclinaison particulière dans le translocalisme de laquelle la grande entreprise joue un rôle essentiel. Les ressources mises en commun sont produites par environ 60 producteurs qui, en tant que membres de la coopérative, ont le droit de les vendre à la coopérative qui les met en commun en destination des magasins de Carrefour en Roumanie. La création de la coopérative s’est appuyée sur le renouveau du droit roumain en matière de coopérative agricole et de circuits courts. La coopérative construit une première communauté locale, celle des paysans de Vărăşti, membres de la coopérative dont quatre d’entre eux, en plus du droit d’accès à la mise en commun de la ressource, ont des droits de gestion et d’aliénation. Mais la construction locale est en lien étroit avec des solidarités construites à des échelles extra-locales. La première échelle est celle de la Roumanie. La solidarité organisée par la loi en matière des circuits courts se situe entre les consommateurs et les producteurs roumains afin que les deux bénéficient d’une alimentation en circuit court. La seconde échelle est celle de la grande entreprise multinationale Carrefour à travers la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), qui va d’ailleurs au-delà de la possibilité de faire bénéficier les consommateurs de Carrefour de produits frais locaux et d'assurer aux producteurs des débouchés sécurisés à leur production maraichère. Cette RSE repose sur un levier sinon démocratique du moins qui relie l’entreprise à l’intérêt général.

Gheorghe Ciascai a deux maîtrises en philosophie et en sciences politiques à l'université "Babes-Bolyai" de Cluj-Napoca, un diplôme conjoint en droit européen d'affaires à l'université Paris I Sorbonne et à l'université de Bucarest. Il a obtenu le titre de docteur en philosophie à l'université "Babes-Bolyai" de Cluj-Napoca. Depuis 2010, il est maître de conférences à la Faculté de Sciences Politiques de l'université chrétienne "Dimitrie Cantemir" de Bucarest où il a dirigé le master Économie sociale entre 2011 et 2013. Ses domaines d'intérêt sont : relations internationales, études européennes, communication et relations publiques internationales, économie sociale, philosophie des sciences sociales. Entre 2014 et 2016, il a participé aux projets de création d'entreprises sociales en Roumanie financées par le Fonds Social Européen. Dans le domaine de l'économie sociale, il a publié l'article "La mise en valeur des friches industrielles : un projet roumain d'entreprise sociale à Vad dans le cadre d'un programme de l'Union européenne" dans Cahier de recherche Chaire ESS - UPEM, numéro spécial (2016).

Marc LOURDAUX : Le commun & les Singuliers. Démarche de structuration en écosystème des circuits courts agricoles en Provence Alpes Côte d'Azur
La dynamique en Provence Alpes Côte d'Azur consiste à créer une plate-forme commerciale régionale 100% Bio, capable de réunir l'ensemble du "panier agricole Bio du territoire", pour le distribuer en restauration hors domicile et dans les magasins bio. Ce projet de "commun" est le fruit de la confrontation entre les enjeux nationaux des filières bio avec les histoires singulières des plates-formes de circuits courts départementales et de leurs territoires. Il fait le pari d'un réseau équitable et pérenne. D'une manière générale, ces démarches s'inscrivent dans une logique de "médiation commerciale d'intérêt territorial". Ce sont des "OVNI" qui revisitent, expérimentent au présent, la vie des "Biens communs" dans le domaine des circuits courts agricoles. Ils relèvent d'une forme hybride entre privé et public, qui s'intéresse, se nourrit et tisse des liens entre les acteurs, entre les territoires, entre le local et le global. Elles ont un triple atout : jouer un rôle d'"Assembleur - Rassembleur", à contre-courant du repli sur soi et de l'hyperspécialisation professionnelle mortifères, reposer la question dans le bon ordre, des fins et des moyens et bénéficier d'une vitesse d'interactions vives entre les différentes parties prenantes.


TR5 : Culture et commun dans les territoires, avec Laura AUFRÈRE (Univ. Paris 13), Cécile OFFROY (Opale) et Raphaël LHOMME (Revue Profession Spectacle)
Les communs culturels, les initiatives solidaires, les pratiques alternatives, œuvrent pour une réappropriation et une reconnaissance des droits culturels face à la standardisation et la marchandisation de la culture. Comment ces pratiques se construisent et émergent-elles ? Comment impactent-elles la conception élitiste et dominante de la culture dite légitime ? Quelles formes d’émancipation sont possibles ?

Raphaël LHOMME : La revue Profession Spectacle comme ressource commune
Lors de cette contribution, j'aborderai le rôle que peut avoir une publication comme Profession Spectacle dans la réflexion autour des formes de solidarité liées à la culture, comprise au sens large des droits culturels. Cette revue en ligne — via sa rubrique "Droits culturels & ESS" — permet en effet de porter à la connaissance des acteurs du monde du spectacle, mais aussi de tous ceux qui s'intéressent à la culture, des exemples et analyses d'initiatives solidaires et de pratiques alternatives œuvrant à une réappropriation et à une reconnaissance des droits culturels, et relevant d'une démarche d'économie sociale et solidaire. Ces exemples pratiques peuvent ainsi contribuer à la réflexion des acteurs de la culture autour de ces enjeux. Les partenariats — locaux et nationaux — qu'entretient la revue sont également à même de permettre la mise en relation et l'activation de solidarités entre différentes échelles territoriales. Il s'agira alors de montrer en quoi Profession Spectacle peut être considérée comme une ressource commune dans le monde de la culture, s'insérant dans des partenariats avec divers acteurs, sur plusieurs échelles territoriales (locale et nationale), et contribuant ainsi à activer les solidarités territoriales.

Raphaël Lhomme est actuellement professeur de Sciences économiques et sociales (SES) au lycée Raoul Follereau de Belfort, en Franche-Comté. Il est par ailleurs référent pour l'Économie sociale et solidaire (ESS) et les droits culturels au sein de la revue culturelle en ligne Profession Spectacle. Il a d'ailleurs rédigé pour cette dernière une série d'articles sur les relations entre ESS, droits culturels et approche par les capabilités.


TR6 : Grandes entreprises et territoire, avec Sylvain BAUDET (La Banque des territoires), Fabien JOURON (La Poste) et Eric LESUEUR (Veolia)
À travers l'économie circulaire, les circuits-courts ou l'économie sociale et solidaire, les territoires deviennent de plus en plus l'objet de gouvernance territoriale. Comment les grandes entreprises se positionnent-elles dans cette évolution ? De quels liens entre les échelles de territoires sont-elles porteuses et pour quel partage de la valeur ?

Eric LESUEUR : Innovation sociale et territoires
Les métiers de service à l'environnement sont généralement articulés autour de délégations ou de marchés publics quand ils s'exercent au bénéfice des collectivités locales. Il en va ainsi de la gestion de l'eau potable et de l'assainissement notamment, mais également de la gestion des déchets des transports et, dans certains cas, de l'énergie. Il s'agit bien sûr de services essentiels aux habitants et au fonctionnement des écosystèmes urbains en particulier et leur bonne mise en œuvre à un impact très important sur l'environnement, au-delà des limites des territoires directement concernés. L'équité d’accès à ces services est indispensable pour maintenir leur cohésion sociale et leur dynamisme économique. Comment mettre en place de nouveaux partenariats entre collectivités locales, opérateurs, mais aussi acteurs de la société civile ou de l'économie sociale et solidaire, pour répondre de manière durable à ces enjeux cruciaux ? Comment mettre à profit les mécanismes de l'Économie Circulaire et les opportunités offertes par la révolution numérique pour intégrer l'ensemble des citoyens dans une dynamique de progrès ? Peut-on envisager une forme hybridée de partenariat public-privé qui associe l'efficacité sociale et économique à la performance environnementale des territoires ? Comment les grandes entreprises peuvent-elles contribuer à renforcer les liens et les apprentissages entre des territoires divers et entre les échelles de territoires ? Les mentalités des acteurs évoluent très rapidement et des coopérations robustes et efficaces commencent à se dessiner.

Eric Lesueur est le Président exécutif de 2EI, filiale du groupe VEOLIA dédiée à l'innovation et au conseil sur les services urbains pour les villes et territoires durables notamment dans le domaine de l'innovation sociale. Eric Lesueur est en particulier le Managing Director de Grameen Veolia Water, social business pour l'eau potable au Bangladesh, en partenariat avec Mohamed Yunus. 2EI a également développé POP Up, un réseau international d'incubateurs d'entreprenariat social autour des activités de VEOLIA. Diplômé de l'École Polytechnique, Eric Lesueur a rejoint VEOLIA en 1993 où il a occupé plusieurs responsabilités, comme Directeur Environnement ou Directeur Adjoint de la R&D, avant de créer 2EI en 2008.


TR7 : Échelles territoriales de la santé en commun, avec Corinne BEBIN (SCIC "Solidarité Versailles Grand Age"), Olivier BENOÎT (Aide) et Claude DUMAS (SCIC Ecoreso)
À l'instar de la santé communautaire, des collectifs, des associations, des mutuelles et des coopératives proposent à leurs publics (personnes âgées, publics fragiles, porteurs d'handicaps, …) des formes d'accompagnement et de participation innovantes. Il s'agit de réfléchir en commun pour l'amélioration de leur santé et de leur qualité de vie. Jusqu'à quel point est-il possible de soutenir ces processus dans le contexte très réglementé de la santé ? Quelles marges de manœuvre sont possibles pour la prise en compte des besoins exprimés collectivement ?

Corinne BEBIN : Favoriser la coopération des acteurs d'un territoire pour améliorer les parcours de vie, une proposition originale : la SCIC "Solidarité Versailles Grand Age"
La coopération entre acteurs sociaux, médico-sociaux et sanitaires : une démarche mise en œuvre par la SCIC "Solidarité Versailles Grand Age".
L'analyse des trois principaux déterminants du maintien de l'autonomie a conduit les acteurs du territoire à s'interroger sur les moyens et outils à disposition pour une mise en œuvre opérationnelle. Ainsi la Ville — par la voix de son CCAS — demeurait légitime quant à l'attention portée à la demande du Rester chez soi, par la gestion ou l'animation de services à domicile. C'est aux familles et aux professionnels du "domicile" que s'adressait la question du "Ne pas être isolé" tandis que c'est aux professionnels de santé de toutes institutions que revenait la question du "Accéder facilement aux soins". Confirmant sa volonté de contribuer à l'amélioration de la qualité de vie telle qu'envisagée par Wood, chaque acteur concerné par l'un des trois principaux déterminants se déclara favorable à utiliser un outil juridique innovant : la société coopérative d'intérêt collectif en ce qu'elle illustrait la volonté coopérative dans le respect d'un juste équilibre des acteurs en présence. Ainsi, il appartenait à deux promoteurs de l'innovation de concrétiser cette volonté. D'une part, le CCAS de la Ville, à deux titres, celui de gestionnaire d'un EHPAD (totalement habilité à l'aide sociale) et d'un SSIAD, et celui de financeur d'un projet de reconstruction. D'autre part, une foncière, Entreprendre pour Humaniser la Dépendance (EHD), membre du mouvement Habitat et Humanisme spécialisé dans l'épargne solidaire et solidement implantée sur le territoire. Ainsi la création — en 2012 — de la Société Coopérative d'Intérêt collectif Solidarité Versailles Grand Age affiche une convergence avec les principes retenus par la loi ASV.
Personnes impliquées : Bernard Devert (Habitat et humanisme), Melina Ferlicot (CCAS Ville de Versailles), Kevin Charras (Fondation Médéric Alzheimer), Docteur Pierre Aquino (Fondation Méderic Alzheimer) et Sophie Quelennec (Lepine Versailles).

Corinne Bebin est diplômée de l'IEP Paris et de l'INSHEA. Maire-adjoint déléguée aux affaires sociales et à la Santé de la Ville de Versailles. Vice-présidente du CCAS. Présidente de la Société Coopérative d'Intérêt Collectif (SCIC) Solidarité Versailles Grand Age. Élue locale depuis 10 ans, l'expérience de l'accompagnement de la vulnérabilité enrichit quotidiennement ses réflexions éthiques sur l'action politique. Présidente de la Commission spécialisée Médico-Sociale - CRSA - ARS Ile de France.


TR8 : Habiter en commun les territoires, avec Camille FONTENELLE (Association Enerterre) et Joseph HAERINGER (Habitat et Humanisme)
Favoriser l'accès de tous à un logement digne et abordable est l'un des principes défendus dans la loi Alur. Mais cela doit s'accompagner de la participation des habitants à la définition, la conception, voire la réhabilitation de leur logement. Habiter en commun implique donc une pensée nouvelle sur les lieux et les liens à tisser pour habiter autrement la ville comme la campagne. Quels projets communs sont aujourd'hui possibles ? Quelles modalités de mise en œuvre pour une réelle participation des habitants ? À quelles nouvelles reconfigurations territoriales cela donne lieu ?

Joseph HAERINGER : Comment transformer un "Habitat" en un "Habiter". L'histoire d'un projet
Le défi que tente de relever ce projet est de substituer à la démarche dominante d'une succession de phases (conception du projet, construction, livraison et emménagement des habitants), celle d'une imbrication du monde de l'immobilier et de celui des habitants afin de rompre les rapports entre les ingénieurs concepteurs (architectes, entreprises, finances) et les habitants (locataires assujettis aux dispositifs du logement social). Du fait de sa proximité avec les publics concernés, l'association Habitat et Humanisme se fait successivement porteuse des attentes et besoins des futurs locataires, puis chargée de constituer le public de locataires et, in fine, garant d'un bon fonctionnement en "donnant les clés" aux habitants. Cette imbrication requiert des agencements particuliers et des agents de traduction afin de pouvoir aménager un espace commun local suffisamment autonome pour tisser ces liens. La possibilité d'un tel espace d'ajustement, d'exploration de pratiques nouvelles, nécessite un ancrage plus large localement, mais aussi national, fédéral en l'espèce. Le réseau national, dans sa triple dimension d'échanges d'expériences entre associations, d'expertise apportée au projet local par la technostructure fédérale et de plaidoyer auprès des pouvoirs publics, constitue une sorte d'"écosystème", sorte de vivier favorable à l'éclosion et à la diffusion de telles innovations.

Sociologue, Joseph Haeringer a été associé au LISE-CNRS (laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique) après avoir exercé les fonctions de direction d'association. Enseignant à Sciences Po Formation, il était coresponsable pédagogique de l'Executive Master "Sociologie de l'association et action dirigeante". Ses travaux de recherche portent notamment sur les associations d'action sociale et médico-sociale. Dans cette perspective, il a publié divers articles ou participé à divers ouvrages sur l'évaluation, la gouvernance et la participation des usagers. La Démocratie : un enjeu pour les associations d'action sociale et médico-sociale est le dernier ouvrage qu'il a dirigé. Il prépare un ouvrage collectif sur le changement dans les associations.


TR9 : Friches en commun et territoires, avec Sylvie BARROS (Mairie de Thiers), Benedetta CELATI (Univ. de Pise) et Maïté JUAN (Post-doctorante CNRS)
Quarante ans de désindustrialisation et de réduction des services publics ont produit de nombreux territoires abandonnés, marqués par la poussée de friches de toute sorte. Comment celles-ci ont-elles été réinvesties par des acteurs du territoire selon une logique des communs ? À quelles difficultés ces acteurs sont-ils confrontés, quelles solutions innovantes inventent-ils ?

Benedetta CELATI : Friches "en commun" et régénération urbaine en Italie : une interaction complexe entre solidarités territoriales et régulation juridique
Les friches — urbaines et industrielles — et leur régénération constituent une déclination spécifique du concept plus large et aux définitions multiples de la régénération urbaine. Une notion, cette dernière, profondément marquée par la relation et les liens avec la communauté et le territoire dans lequel elle se déploie. D'un point de vue juridique, les éléments à retenir sont plusieurs : il s'agit d'ailleurs de dépasser l'approche classique de l'aménagement et de la gestion du territoire, pour intégrer aussi la question des droits fondamentaux des individus. L'Italie représente un prisme d'observation important, du fait du grand nombre des solutions locales de réutilisation et requalification des lieux désaffectés qui se répandent dans ses régions. Le droit semble parfois incapable de dialoguer avec les innovations sociales produites par ces dernières, et de le traduire, par conséquent, en innovations règlementaires, alors qu'il s'avère, dans d'autres cas, un instrument précieux de soutien et de pérennisation des projets locaux. Comment relever alors le défi de conjuguer des initiatives mobilisant des énergies citoyennes avec des réponses législatives, surtout régionales, qui évoquent une pluralité d'objectifs associés, mais qui éprouvent également des difficultés à sortir de la dimension qui favorise les rendements privés des investisseurs plutôt que le commun ? Ce point, aussi bien que celui du translocalisme, comme circulation et interconnexion vertueuse des bonnes pratiques, ouvrent des pistes de réflexion fertiles sur les opportunités et limites d'une interaction complexe entre espaces d'autonomie (et d'autogouvernement) et la nécessité, qui émerge dans une dynamique de transformation, d'institutionnalisation et fédéralisation des différentes expériences.

Benedetta Celati, docteure en droit public de l'économie à l'université de Pise et en sciences économiques à l'université Paris-Est, est actuellement post-doctorante sur la thématique des politiques publiques et des instruments juridiques pour la valorisation socio-économique des territoires, également dans la perspective de la régénération urbaine. Pour sa recherche doctorale, elle a abordé le sujet des dynamiques socio-économiques locales et de leur interaction avec le droit, en étudiant, sous le prisme de l'économie sociale et solidaire comme vecteur de transformation sociale, des communautés énergétiques durables et des monnaies alternatives.
Publications
Celati, B. (2016), "Economia sociale e dinamiche istituzionali", Rivista del Gruppo di Pisa, 3, 1-18.
Celati, B. (2016), "Les communautés énergétiques durables : un modèle social fondé sur le commun et la subsidiarité", in Communs et transformations sociales : Expériences européennes sous un regard pluriel, Acte du Workshop international, 16 mai 2016, Université Paris Est Marne-la-Vallée, Cahier de recherche Chaire Ess-Upem, Numéro spécial 2016, 104-13.
Celati, B. (2017), "Le monete alternative nel modello dell'amministrazione condivisa", Labsus, Laboratorio per la Sussidiarietà, 1-4.
Celati, B. (2017), "Coconstruction des politiques publiques en Italie", Jurisassociations, Dossier ESS/Pouvoirs publics, 554, 31-32.
Celati, B. (2018), "La rigenerazione dei siti industriali dismessi: diritto e tecnica", Labus, Laboratorio per la sussidiarietà, 1-2.
Celati, B. (2018), "Le monete locali come strumenti giuridici per l’attuazione del principio di democraticità", Rivista Trimestrale di Diritto dell'Economia, 3, 349-390.

Maïté JUAN : Les communs urbains à Barcelone : penser l'autogouvernement citoyen avec les institutions
La présente contribution explore de quelle manière une initiative citoyenne issue d'une logique d'occupation, l'Ateneo Popular Nou Barris à Barcelone, a réussi à légitimer un nouveau paradigme de participation citoyenne et d'action publique, la "gestion communautaire", en s'inscrivant dans une triple stratégie de résistance, d'interpellation et de co-construction de politique publique. Un premier temps visera à décrire le modèle de la "gestion communautaire", touchant à l'autogouvernement local et coopératif, par des communautés d'habitants, de services publics, et articulant gouvernance participative et engagement dans l'économie solidaire. Dans un deuxième temps, nous montrerons la double dynamique de contre-pouvoir et de coopération sous-tendant l'institutionnalisation progressive de la gestion communautaire, et nous approfondirons les modalités d'élaboration d'un nouveau cadre conceptuel et juridique encadrant les communs urbains à Barcelone, le processus "Patrimoine citoyen — communs urbains", faisant figure de véritable innovation institutionnelle issue de la coopération conflictuelle entre société civile et pouvoirs publics.

Maïté Juan est docteure en sociologie, post-doctorante au GIS Démocratie et participation, MSH Paris Nord (CNRS) et chercheure associée au programme de recherche "Démocratie et économie plurielles" du Collège d'études mondiales (FMSH). Ses travaux se situent à la croisée de la démocratie participative et de l'économie solidaire, et tendent à articuler science politique et sociologie économique. Elle mène actuellement une étude postdoctorale sur les "recherches participatives".
Elle a notamment publié les articles suivants : "Les communs urbains à Barcelone : vers une réinvention de la gouvernance territoriale ?", Espaces et sociétés, 2018/4 (n°175) ; "Écologie des savoirs et créativité citoyenne : la co-construction des politiques de gestion communautaire entre associations et pouvoirs publics à Barcelone", Connexions, 2019/1 (n°111) ; "Participatory Art as a Social Practice of Commoning to Reinvent the Right to the City", Voluntas, June 2018. Elle a également codirigé le numéro "L'association : un espace d'innovation démocratique ? Expériences et pratiques de gouvernance, de participation et d'accompagnement", Cahiers de l'action, 2019/1 (n°53).


TR10 : Éducation populaire, construire un monde commun, avec Ana DUBEUX (Univ. Fédérale Rurale de Pernambouc) et Colin ROBINEAU (Univ. Paris 2)
Sans monde commun, il est difficile de faire société. L'éducation pour et par tous au service de l'émancipation individuelle et collective est-elle une ressource pour construire un monde commun local et planétaire ? Quels liens peut-on tisser entre éducation populaire, commoning et communs pour faire société en évitant les dangers du localisme ?

Ana DUBEUX : Éducation Populaire en commun : son rôle, ses défis
L'éducation populaire est essentielle à la construction d'un projet démocratique de société en commun. Les limites du modèle économique actuel et ses impacts dans la vie en société nous renvoient au besoin de revisiter les principes et pratiques de l'éducation populaire en tant que socle de la construction de ce projet. Le Brésil a eu pendant 15 ans un gouvernement qui a mis en place, en partenariat avec les mouvements sociaux, une politique publique d´économie solidaire dont une des priorités était les processus éducatifs populaires tournés vers les thématiques liées à une autre économie à partir de la logique des épistémologies du sud. Cette initiative avait pour but principal de renforcer des réseaux d'éducateurs populaires en économie solidaire à partir des processus de formation de formateurs qui vivaient l'économie solidaire au quotidien, provoquant un effet cascade de multiplication des formations dans les diverses régions et villes du pays. Actuellement, ce pays a un gouvernement d'extrême droite et un énorme recul devant la conquête de droits obtenus pendant les 15 dernières années s'annonce. Ainsi, les réseaux d'éducateurs populaires vont devoir agir face à une réalité adverse, pour construire la lutte collective dans une société où les fissures sociales et économiques conduisent à la suppression des droits humains fondamentaux. Notre contribution poretera sur le besoin de réinventer l'éducation populaire à partir des problématiques actuelles, surtout liées à l'économique, en la comprenant, ainsi que l'affirme Paulo Freire, comme un point de départ pour que les citoyens prennent conscience du besoin de changer leur propre réalité à partir d'un projet collectif de société en commun.

Ana Dubeux, docteur en sociologie, diplômée de l'université de Paris I, est actuellement professeur du Département de Sciences de l'Éducation à l'université Fédérale Rurale de Pernambouc au Brésil, membre du Centre de Recherche en Agroécologie et Paysannerie et de l'Incubateur Technologique de Coopératives Populaires de cette université. Travaillant toujours dans la perspective de la recherche-action avec des mouvements sociaux liés à l'agroécologie et à l'économie solidaire, ses recherches lient ces thématiques à la quête d'un nouveau sens au processus de construction de connaissances et de la science à partir de la perspective des épistémologies du sud et des communs.
Publications
Dubeux A., "Extensao universitaria no Brasil : democratizando o saber da universidade na perspectiva do desenvolvimento territorial", Sinergias - Dialogos educativos para a transformação social, v. 6, p. 9-24, 2018.
Dubeux A., Batista M. P., "Agroecologia e Economia Solidária : um diálogo necessário à consolidação do direito à soberania e segurança alimentar e nutricional", Redes (Santa Cruz do Sul. Online), v. 22, p. 227-249, 2017.
Medeiros A., Vilaca M., Nunes Da Silva J., Dubeux A. (Org.), Economia Solidaria, educação popular e pedagogia da autogestão - reaprendendo a aprender pelas veredas da descolonização do saber no nordeste, 1a. ed. Recife : MXM Grafica e editora, 2018, 146 p.
Dubeux A., Brito H. D. (Org.), Educação em Economia Solidaria e autogestão, 1a. ed. Recife : MXM Grafica e editora, 2018, 95 p.
Dubeux A., Medeiros A., Aguiar M. V. A. (Org.), Agroecologia na convivência com o semiarido : Sistematização de experiências vividas, sentidas e aprendidas, 1a. ed. Recife : Editora dos Organizadores, 2015, v. 1, 181 p.
Dubeux A., Medeiros A., Vilaca M., Santos S. (Org.), A construção do Conhecimento em Economia Solidaria. Sistematização de Experiências no Chão do Trabalho e da Vida no Nordeste, 1a. ed. Recife : F&A Grafica e Editora Ltda, 2012, v. 1, 288 p.
Dubeux A., "Technological incubators of Solidarity economy initiatives : a methodology for promoting social innovation in Brazil", in Moulaert F., MacCallum D., Mehmood A., Hamdouch A. (Org.), The International Handbook in Social Innovatio Social innovation : Collective action, Social learning and Transdisciplinary research, 1aed. Cheltenham : Edwrd Elgar Publishing, 2012, p. 299-307.

Colin ROBINEAU : Politiser en construisant du commun : le cas d'un squat d'activités de l'Est parisien
Les travaux de Colin Robineau se situent au croisement de la sociologie, des sciences de l'information et de la communication et de la science politique. Accordant une place centrale à la démarche ethnographique, ses recherches interrogent de façon transversale des objets variés : les formes contemporaines de l'engagement, les modalités d'organisation et de politisation d'espaces publics locaux et contestataires, les processus de socialisation politique ainsi que les conditions de possibilité de la critique ordinaire de l'ordre social.
Publications
"S'engager corps et âme. Socialisations secondaires et modes de production du militant "autonome"", Agora débats/jeunesses (Presses de Sciences Po), vol. 3, n°80, 2018, p. 53-69.
"Constituer un contre-public en marge des médias : négociations, circulations et normativités d'un discours "révolutionnaire" au sein d'une cantine de quartier‪", Études de communication, vol. 2, n°47, 2016, p. 131-148.‬‬
"Ouvrir les portes d'un squat d'activités à des non-militants pour amorcer une politisation. Conditions et enjeux de la mise en suspens du sens pratique", Savoir/Agir, vol. 4, n°38, 2016, p. 53-59.
"Quand le sociologue est dans la confidence : les fonctions et les usages sociaux du secret en terrain militant radical", ¿Interrogations?, n°22, juin 2016 [en ligne].


DP1 : Formes de solidarité et commun, avec Philippe EYNAUD (IAE-Paris 1) et Stéphane VEYER (Coop des communs)
Les articulations possibles entre économie sociale et solidaire et communs sont évidentes à la fois dans le débat théorique comme dans les pratiques. L'ESS comme les communs proposent un dépassement par rapport à une lecture dichotomique de la société fondée uniquement sur l'État et le marché. Or, plusieurs questions restent ouvertes. Les contextes de mobilisation et d'émergence comme les enjeux de régulation, d'opposition, voire de revendication auprès des pouvoirs publics, impliquent diversement les acteurs. Quels sont les enjeux de reconnaissance comme d'opposition qui traversent les débats ? Quels dépassements et quelles synergies sont possibles ?


DP2 : Regards croisés Nord-Sud, une épistémologie commune ?, avec Pedro HESPANHA (Univ. de Coimbra) et Stéphanie LEYRONAS (AFD)
Une ligne imaginaire, qui n'est pas uniquement géographique, divise le monde en deux. Dans ce partage, les réalités des Sud ont été tellement disqualifiées qu'elles disparaissent et deviennent invisibles ou inintelligibles. Comment la perspective des communs nous permet-elle de dépasser les distinctions, visibles et invisibles, qui divisent le monde en deux ? Est-t-il possible, dans une perspective renversée, de trouver dans ces réalités des matrices d'action qui peuvent éclairer et servir d'exemple dans les Nords du monde ?


DP3 : Valeurs et communs pour les territoires, avec Nicolas CHOCHOY (Institut Godin) et Hervé DEFALVARD (Chaire ESS - UPEM)
Le commun est intimement lié à ce que nous avons des raisons de valoriser et, ce faisant, il nous amène à questionner les représentations de la valeur. Quels liens entre valeurs au sens sociologique du terme et commun ? Comment les communs peuvent-ils échapper au localisme des valeurs ? Si la valeur économique n'est ni attachée aux biens, ni aux personnes comme dans les théories classiques en économie, mais est une construction sociale, alors les communs semblent en redistribuer les cartes. Comment la représentation économique de la valeur s'en trouve-t-elle bousculée ? Le commun ne nécessite-t-il pas également de modifier notre représentation du temps ?


DP4 : Pouvoirs publics et commun, avec Silke HELFRICH (Commons Strategies Group) et François Xavier VIALLON (Univ. de Lausanne)
Le mouvement des communs, dans une perspective de société des communs, interroge aussi la place, le rôle et la posture des pouvoirs publics vis-à-vis des communs. Des collectivités locales aux pouvoirs supranationaux en passant par l'État, les pouvoirs publics doivent-ils et peuvent-ils être des facilitateurs ou des co-producteurs des communs ? Quelles représentations de l'organisation démocratique et des pouvoirs publics véhiculent les communs et la pratique des communs ?


DP5 : Émancipation et commun, avec Fanélie CARREY-CONTE (Coop des communs) et Melaine CERVERA (Univ. de Lorraine)
La perspective des communs pose la question de la préservation et du partage égalitaire mais sous-tend également celle de la transformation et de la capacité d'agir de collectifs. Quel horizon émancipateur les communs mobilisent-ils ? Quelles stratégies de réappropriation et de revendication sont possibles dans la perspective des communs ? Quels processus d’émancipation se mettent en œuvre par des expérimentations sociales et économiques ?

Melaine CERVERA : Possibilités d'auto-émancipation et changement institutionnel
Pour ce débat public, il s'agit d'ouvrir la discussion sur les possibilités concrètes d'une auto-émancipation des citoyens et citoyennes associés en prenant l'exemple de l'habitat alternatif ou collectif ancré dans des communs de territoire. Des études de cas aussi éloignées que les communautés d'habitat alternatif diffusant des spectacles vivants d'une part, des lieux de vie et d'accueil en protection de l'enfance développant une approche libertaire d'autre part, viendront illustrer les possibilités de changements institutionnels trans-locaux aux marges du social pour une transformation sociale vers une société du commun. L'intervention posera la question des possibilités d'auto-émancipation dans des cadres contraints, ouvrant le débat sur les capacités de subversion des collectifs autonomes.

Melaine Cervera, docteur en sciences économiques, maître de conférences en sociologie à l'université de Lorraine et co-fondateur de l'association de promotion des expérimentations sociales (APEX), étudie la co-construction de l'action publique entre les pouvoirs publics et les associations en termes d'accompagnement des publics fragiles. Les dynamiques d’économie solidaire et des communs sur les territoires constituent pour lui un terrain d'étude privilégié pour repenser les analyses de la solidarité et de l'autonomie.


DP6 : Monnaie et commun, avec Denis DUPRÉ (Univ. de Grenoble) et Marie FARE (Univ. Lyon 2)
Dans la perspective autant anthropologique qu'économique de la monnaie comme lien social, celle-ci ne peut échapper à sa relecture à l'aune du mouvement des communs. Dans cette réflexion, deux entrées questionnant le monopole étatique sur la monnaie semblent possibles : l'échelle du monde avec les cryptomonnaies et l'échelle locale avec les monnaies complémentaires. Quelle place pour les communs dans ces réinventions ? Ces deux entrées s'opposent-elles ou se rejoignent-elles à l'aune des communs ?

Denis DUPRÉ : Rôle des monnaies dans le cadre d'une perspective d'effondrement de notre société thermo-industrielle. Récit de science-fiction
À l'heure où sont écrites ces lignes, le 16 mars 2019, les crypto-monnaies ont un coup de blues et les monnaies locales restent marginales dans l'économie. Ce même jour a eu lieu la marche mondiale pour le climat. L'effondrement de la société thermo-industrielle devient de plus en plus probable et de plus en plus proche. Comment penser l'utilité des monnaies pour garder une société encore humaine où la possibilité de vie digne pour tous reste accessible ? Nous allons décrire un scénario d'effondrement dont nous ne pouvons pas estimer la probabilité. Nous ferons donc de la science-fiction. Dans ce cadre, nous décrirons un imaginaire possible d'un collectif qui créerait des institutions nouvelles. Nous regarderons comment les formes monétaires pourraient être définies par cette communauté, associant crypto-monnaies et monnaies locales. Cette utopie nous permettra de donner des éléments de réponses à trois interrogations. Comment les monnaies influeront sur les valeurs de la communauté ? Comment les monnaies permettront des échanges de matières avec les communautés extérieures ? Comment les monnaies participeront aux échanges de valeurs avec les communautés extérieures ?

Après avoir passé 15 ans dans divers organismes bancaires, Denis Dupré enseigne l'éthique, la finance et l'écologie territoriale depuis 20 ans à l'université Grenoble-Alpes et à l'ENSIMAG (Institut national polytechnique de Grenoble). Il a écrit une dizaine de livres sur l'éthique, la finance et la monnaie disponible [souvent en version gratuite]. Denis Dupré alerte, depuis 1998, sur les risques de démesure de notre système financier et sur la puissance exponentielle de l'économie nuisible. Il a proposé des actions collectives pour remettre la finance à sa place en vue d'élaborer une économie au service des projets d'autonomie des hommes et a participé à quelques initiatives pour réformer la finance (Finance et biens communs à Genève, Finance And Sustainability en France, Stopevasionfiscale).

Marie FARE : Penser autrement les monnaies
Qualifiées de sociales, citoyennes, locales ou complémentaires, des monnaies à dénominations, formes, objectifs et usages multiples connaissent, depuis plusieurs décennies et partout dans le monde, une visibilité et un développement croissants. La plasticité des systèmes monétaires à l'échelle d'un territoire ou d'une communauté — ainsi que les possibilités ouvertes par l'utilisation des principes monétaires à des fins définies par des groupes spécifiques d'acteurs, y compris de citoyens — reste cependant trop peu étudiée. Plusieurs facteurs contribuent à entretenir cet angle mort : la représentation commune de la monnaie comme objet de souveraineté coupé des dynamiques citoyennes; le champ d'influence encore restreint de la plupart des monnaies sociales et complémentaires; leur dimension souvent folklorique, conviviale et joyeuse, qui tranche avec le sérieux de la fonction monétaire et son inscription dans l'univers bancaire et technocratique. Or ces monnaies portent des potentialités riches de perspectives : il en est ainsi du soutien à des dynamiques territoriales socioéconomiques et politiques, de l'instauration de pratiques économiques reposant sur de nouvelles normes (sociales et environnementales), ainsi que du développement de la capacité d'agir des individus et des communautés, dont il s'agit d'étudier le caractère disruptif. S'il est relativement aisé de voir, dans le développement de ces différentes monnaies, une réponse à la crise économique, certaines d'entre elles s'inscrivent résolument dans un projet politique plus vaste, transformateur, où il s'agit d'interroger en profondeur le faire société. Si la crise systémique nous invite à repenser notre modèle de développement mondialisé, elle tend partout à réactiver un véritable désir d'inventer de nouveaux projets de société mieux ancrés dans les réalités locales et suivant des réponses articulées entre elles, respectant et intégrant les particularismes sans en promouvoir les écueils. Diversité et démocratie, bien-être individuel et collectif, coopération et co-élaboration, partage équitable des ressources, participation citoyenne et "faire commun" : en d'autres termes, cette transformation touche à l'ensemble des sphères économique, sociale mais surtout culturelle et symbolique. La monnaie constituant à cet égard un puissant levier de changement, il s'agit d'ouvrir ici un double débat. Le premier débat porte sur l'intérêt — et peut-être l'urgence — de penser autrement la monnaie, c'est-à-dire dans sa capacité transformatrice. Le second débat porte sur les chemins qu'empruntera cette transition, sur le rôle et la place des territoires, ainsi que sur les formes nouvelles d’expression et d’action adoptées par la démocratie.

Marie Fare est économiste, maître de conférences à l'université Lumière-Lyon 2 et membre du laboratoire Triangle (UMR 5206). Ses travaux se concentrent sur la pluralité monétaire et particulièrement sur les monnaies locales, sociales et complémentaires, analysées au regard des enjeux du développement territorial soutenable.
Publications
Marie Fare, Repenser la monnaie, transformer les territoires, faire société, Éditions Charles Léopold Mayer, 2016.
Marie Fare, "Sustainable territorial development and monetary subsidiarity", in Georgina M. Gomez (ed.), Monetary Plurality in Local, Regional and Global Economies, Routledge, 2018.
Tristan Dissaux et Marie Fare, "Jalons pour une approche socioéconomique des communs monétaires", Économie et institutions, n°26, numéro spécial sur l'institutionnalisme monétaire, 2018.
Jérôme Blanc et Marie Fare, "La monnaie, éclairages et débats institutionnalistes", Économie et institutions, n°26, Introduction du numéro spécial sur l'institutionnalisme monétaire, 2018.
Jérôme Blanc et Marie Fare, "Pathways to improvement. Successes and difficulties of local currency schemes in France since 2010", International Journal of Community Currency Research, vol. 22, Winter, p. 60‑73, 2018.
Marie Fare et Pepita Ould-Ahmed, "Why are Complementary Currency Systems difficult to grasp within conventional economics ?", Interventions économiques / Papers in Political Economy, numéro special "Dialogues et controverses sur la nature sociale du rapport monétaire", n°59, 2017.
Marie Fare et Pepita Ould-Ahmed, "Complementary Currency Systems and their ability to support economic and social changes", Development and change, vol. 48, n°5, pp. 847–872, 2017.


DP7 : Critères et outils de gestion et commun, avec Nicole ALIX (Coop des communs) et Denis DURAND (Revue Économie et politique)
Notre "monde commun" est largement façonné par les outils de gestion. Le régime dominant de la valeur pour l'actionnaire est orienté par ses critères financiers (le ROI ou le ROA) qui se déclinent en critères de gestion faisant l'objet de multiples reportings, dessine ainsi notre monde actuel. L'économie sociale et solidaire n'est pas exempte de cette évolution avec, par exemple, les contrats à impact social (les social impact bonds). Une économie en commun appelle non seulement une critique de ces critères de gestion mais aussi et peut-être surtout la mise en place de nouveaux critères.

Nicole ALIX : Quels critères pour élaborer des outils de gestion adaptés aux communs ?
Nicole Alix est présidente de La Coop des Communs, pour construire des alliances entre économie sociale et solidaire et les communs. HEC 74, elle a travaillé 15 ans au Crédit Coopératif dont elle a été la directrice du développement et 25 ans dans le monde associatif de l'action sociale et la santé (DGA de l'UNIOPSS, créatrice du "Comité de la Charte pour le don en confiance", DG du groupe de Maisons de retraite Isatis).

Denis DURAND : Prises de pouvoir locales sur l'économie et cohérence systémique
L'accumulation du capital qui commande tout le fonctionnement du système économique contemporain est régulée par un critère : le taux de profit. Ce critère, rendu encore plus pesant par la globalisation financière, est profondément contradictoire avec l'exigence désormais vitale d'une promotion de toutes les capacités humaines et des biens communs qui en sont la condition : écologie, santé, éducation, culture, sécurité, paix… La réponse à cette exigence doit donc conduire à opposer au critère de rentabilité de nouveaux critères d’efficacité économique, sociale et écologique qui peuvent aider les expériences et mobilisations dans les territoires à faire émerger une cohérence globale ouvrant la voie à un dépassement du capitalisme et du libéralisme. On s’appuie dans cette démarche sur les travaux fondateurs de Paul Boccara.

Denis Durand, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris et de l'université Paris I, a été directeur adjoint à la Banque de France où il a également exercé des responsabilités syndicales. Il a été membre du Conseil économique et social puis du Conseil économique, social et environnemental. Il est actuellement codirecteur de la revue Économie et politique.
Publications
Un autre crédit est possible !, Le Temps des CeRises, Paris, 2005.
En collaboration avec Frédéric Boccara et Yves Dimicoli, Pour une autre Europe, Le Temps des CeRises, Paris, 2014.
Financer l'expansion des services publics en Europe, Note de la fondation Gabriel-Péri, Paris, 2016.
Sept leviers pour prendre le pouvoir sur l'argent, Éditions du Croquant, Paris, 2017.


DP8 : Droit, commun et territoire, avec Benjamin CORIAT (Coop des communs) et Viviane HAMON (Conseil)
Le droit constitue un élément essentiel du contexte plus ou moins favorable au développement des communs et à leur interconnexion. Les communs quant à eux produisent des règles dans cet environnement institutionnel mais peuvent-ils contribuer à le transformer ? Comment penser le rôle du droit dans ce mouvement de transformation sociale ? Existe-t-il dans les différentes approches et traditions juriques des pistes pour un rôle du droit dans le translocalisme des communs ?

Viviane HAMON : Le système de garantie participatif. Un commun intellectuel local comme alternative à la certification par tierce-partie
Le droit constitue un élément essentiel du contexte plus ou moins favorable au développement des communs et à leur interconnexion. Les communs quant à eux produisent des règles dans cet environnement institutionnel mais peuvent-ils contribuer à le transformer ? Comment penser le rôle du droit dans ce mouvement de transformation sociale ? L'exemple du Système Participatif de Garantie (SPG) permet d'illustrer cette question. Ce processus de certification par les pairs peut être défini comme un bien intellectuel commun, ancré au plus près des parties-prenantes dans les territoires. Il s'oppose aux standards internationaux dominants de la certification par tierce-partie (CTP) et de la normalisation qui bénéficient d'une reconnaissance juridique imbriquée aux différentes échelles nationale, européenne (UE) et mondiale. Créé pour certifier les productions paysannes, le SPG appliqué à l'agriculture biologique s'est répandu dans un grand nombre de pays acquérant, dans certains d'entre eux, une reconnaissance juridique (ex. Brésil). L'organisation internationale IFOAM consacre l'alliance des SPG de l'agriculture biologique. Développé initialement en Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, le label Bâtiments Durables Méditerranéens (BDM) a pour objet de certifier les performances environnementales et durables des bâtiments, en tenant compte du contexte climatique, culturel et social de leur territoire d'implantation et en utilisant le SPG. Aujourd'hui adapté dans d'autres régions françaises (Occitanie, Ile de France, Nouvelle Aquitaine…), ce label participe également à une association européenne de labels équivalents (CESBA). Une alliance d'organisations et d'acteurs utilisant le SPG — agriculture biologique, bâtiment durable mais aussi banques solidaires, entreprises de l'ESS… — peut-elle permettre de sécuriser juridiquement le SPG, commun intellectuel ancré dans le territoire, pour le faire reconnaître par les institutions nationales et internationales en tant qu'alternative aux processus privés de certification par tierce-partie, aujourd'hui totalement dominants ?

Viviane Hamon (École Supérieure de Commerce de Paris - DEA Sciences de gestion - Master d'anthropologie) est consultante indépendante depuis 1985. Son activité est centrée sur l'application du marketing sociétal aux questions du développement durable des territoires (agriculture, tourisme, économie locale) et de la transition énergétique. Sur ces sujets, elle contribue à la création, la mise en œuvre et à l'évaluation de politiques publiques auprès des collectivités territoriales (EPCI et de Régions) et d'agences nationales (ADEME, ANAH, Plan Bâtiment Durable...). En 2006, elle a participé à la création du label Bâtiments Durables Méditerranéens et est aujourd'hui membre du Comité d'Orientation Stratégique de l'Association Envirobat-BDM.


DP9 : Coopératives et commun pour quelles solidarités ?, avec Jean-Louis BANCEL (Crédit coopératif) et Noémie de GRENIER (Coopaname et Manucoop)
Au XIXe siècle, avant le cloisonnement juridique, la coopérative est à la fois association, coopération et mutualisation autour d'un intérêt commun. Après un siècle de fragmentations juridiques, le retour des communs ouvre un débat sur l'identité des coopératives que vient alimenter les nouveaux statuts de SCIC ou de CAE. Selon les différents points de vue, comment les finalités, les frontières et les échelles de la coopérative sont-elles reconfigurées ?

Programme 2019 : un des colloques

Programme complet


PORTRAITS DE PAYS. TEXTES, IMAGES, SONS


DU MERCREDI 3 JUILLET (19 H) AU MERCREDI 10 JUILLET (14 H) 2019

[ colloque de 7 jours ]



DIRECTION :

Sophie LÉCOLE SOLNYCHKINE, David MARTENS, Jean-Pierre MONTIER


ARGUMENT :

Dépeindre un lieu, quoi de plus courant ? La pratique est si ancienne que sa familiarité a pour une large part occulté l'existence d'un genre à part entière, le portrait de territoire, dédié à la (re)présentation de lieux tels que des villes, des régions et des pays. Ce genre n'a cessé d'évoluer au cours d'une histoire qui l'a vu se décliner sous différentes formes médiatiques : du livre aux sites web en passant par la photographie, le cinéma et la télévision, la radio ou encore dans le cadre d'expositions.

Ce colloque a pour ambition de proposer la cartographie de ce genre aussi méconnu qu'extraordinairement courant. Pour ce faire, des spécialistes de différentes disciplines (études littéraires, histoire et esthétique de la photographie, du cinéma…) seront conviés à un dialogue avec des auteurs de portraits de pays ainsi qu'avec celles et ceux que ces questions intéressent.


Vies de château (Joachim Glaude)


CALENDRIER DÉFINITIF :

Mercredi 3 juillet
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Jeudi 4 juillet
Matin
Sophie LÉCOLE SOLNYCHKINE, David MARTENS & Jean-Pierre MONTIER : Introduction
Jean-Pierre MONTIER : Qu'est-ce, finalement, qu'un "pays" ? Rives, dérives de Pierre Loti au Japon

Après-midi
Jean ARROUYE : Portraits gioniens de la Haute-Provence ou la photographie multiréférentielle instrument d'un art moderne de la vanité
Entretien entre Thomas CLERC (écrivain) et Sophie LÉCOLE SOLNYCHKINE

Vernissage de l'exposition de Benjamin LE BRUN : "Le Centre des loisirs" [lauréat du "prix Cerisy" lors d'un concours photographique, organisé en 2018 par le collectif Point-Virgule, à l'occasion du colloque de Cerisy : "Nouveaux enjeux prospectifs des territoires et co-construction des stratégies"]

Soirée
Projection du film documentaire Les Habitants (2016), en présence du réalisateur Raymond DEPARDON et animée par Danièle MÉAUX


Vendredi 5 juillet
Matin
Laurence LE GUEN : De "Children of all Lands Stories" à la collection "Enfants du monde", offrir un regard sur l'Autre en littérature jeunesse
Gyöngyi PAL : Les portraits du pays de bocage de Trassard

Après-midi
Danièle MÉAUX : Le territoire comme il est habité. À propos de réalisations photographiques et filmiques de Raymond Depardon
Marcela SCIBIORSKA : Des "livres de photographies pour tous". Stratégies éditoriales derrière les portraits de pays à la Guilde du Livre

Soirée
Julien POIDEVIN, créateur sonore - auteur d'un portrait sonore de Caen


Samedi 6 juillet
Matin
Alexandre GALAND : L'enregistrement de terrain, pour des portraits sonores de "mondes inconnaissables"
Pauline NADRIGNY : Knud Viktor : images sonores du Lubéron

Après-midi
DÉTENTE


Dimanche 7 juillet
Matin
Catherine BERTHO-LAVENIR : Il Bel Paese, le "petit pays" : portraits de pays dans les revues du Touring Club d'Italie et de France
Olivier LUGON & François VALLOTTON : Élargir le regard via le multimédia : les différentes déclinaisons du "portrait de pays" au sein de la stratégie audiovisuelle des Éditions Rencontre (1962-1972)

Après-midi
Donata MENEGHELLI : Les villes invisibles de Sophie Calle : entre Suite vénitienne et Souvenirs de Berlin-Est
Bruno GOOSSE : Waterloo n'est pas à Waterloo

Soirée
Présentation de la revue Gradalis, avec Sébastien CASSIN (À propos des Séjours Rocheux), Sophie LÉCOLE SOLNYCHKINE et Pauline NADRIGNY


Lundi 8 juillet
Matin
Anne SIGAUD : Les Archives de la Planète d'Albert Kahn : l'autochrome et le film au service de la conceptualisation et de la promotion de la nation (1909-1932)
David MARTENS : "Villes Mondes" (France Culture). Portraits urbains polyphoniques et radiophonie littéraire [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]

Après-midi
Sophie LÉCOLE SOLNYCHKINE : Portraitures élémentaires. Séjourner aux marges du monde
Benjamin THOMAS : Flandres (2006, Bruno Dumont) : topologies sensibles


Mardi 9 juillet
Matin
Sarah LABELLE : Figurations de la "ville intelligente" : motifs de l'agir ingénieur
Julia BONACCORSI : Veiller, surveiller : défigurations de la ville

Après-midi
Hécate VERGOPOULOS : Les portraits sinistres de ville
Sophie de PAILLETTE : "Portraits identitaires de territoires"

Soirée
Portrait sonore (restitution), par Joachim GLAUDE


Mercredi 10 juillet
Matin
Patrick BARRÈS : La ville rouge de Michael Matthys : portrait de ville, une logique du fragmentaire [texte lu par Sophie LÉCOLE SOLNYCHKINE]

Conclusions

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Patrick BARRÈS : La ville rouge de Michael Matthys : portrait de ville, une logique du fragmentaire
Dans son album La ville rouge (2009), Michael Matthys réunit des images de la ville de Charleroi, conçues à partir du relevé cinématographique et de l'empreinte photographique d'espaces-tiers, et réalisées avec du sang de bœuf issu des abattoirs de Gilly et suivant les développements d'un dessin d'esquisse. Nous interrogerons les relations entre ces fragments-mondes, attachés à la viscosité du rouge sang, à la versatilité du trait et à une représentation en défaut, et les éclats de réalité d'un milieu urbain identifié comme le "pays noir".

Patrick Barrès est Professeur en arts appliqués, arts plastiques à l'université Toulouse – Jean Jaurès, Directeur du LARA-SEPPIA (Laboratoire de Recherche en Audiovisuel – Savoirs, Praxis et Poïétiques en Art), responsable de l'axe de recherche "Poïétiques du Cinéma d'animation", responsable du Master "Motion design & Cinéma d'animation" de l'ISCID (Institut Supérieur Couleur Image Design). Artiste plasticien. Auteur de textes critiques sur les arts visuels, le cinéma et les pratiques du site (architecture, paysage, land art).
Sélection de publications
Expériences du lieu, paysage, architecture, design, Archibooks, 2008.
Gradalis. Carnets de Topoïétique : Limitis, hodologies de la frontière, Éditions Passage(s), n°1, 2016; n°2, 2019 / avec Sophie Lécole Solnychkine).

Julia BONACCORSI : Veiller, surveiller : défigurations de la ville
Le propos portera sur des modalités de représentation visuelle de l'espace urbain qui relèvent de projets documentaires spécifiques, non culturels, artistiques ou touristiques : il s'agit des productions photographiques ou filmiques générées par exemple par l'enregistrement de dysfonctionnements urbains par les usagers de la ville via des applications mobiles, par des opérations militantes de collecte photographique de dispositifs anti-sdf, ou encore par les dispositifs d'enregistrement et de surveillance. La réflexion portera sur les médiations documentaires et esthétiques qui instruisent les sens politiques ou critiques de ces anti-portraits de la ville, à partir d'une analyse ethno-sémiotique des énonciations visuelles, des dispositifs et des processus de publicisation. Les statuts glissants de ces images (prise de note, preuve, témoignage), leur auctorialité ambiguë, leur dimension éphémère, les modalités singulières de leur visionnage, constitueront les principaux axes d'exploration de plusieurs cas contemporains de défigurations de la ville.

Julia Bonaccorsi est professeure en sciences de l'information et de la communication à l'université Lyon 2 et membre d'ELICO, EA 4147. Ses recherches portent sur les dimensions sociales et symboliques des modes d'intelligibilité et représentations de l'urbain, comme la visualisation de données et la photographie.
Publications
"Les Observatoires photographiques ou la production d'un regard public sur le paysage", in Tardy Cécile (éd.), Les médiations documentaires des patrimoines, avec Anne Jarrigeon, L'Harmattan, 2014.
"Le sens collectif de l'écran dans la ville", Interfaces Numériques, 5, 2016.
Territoires. Enquête communicationnelle, avec Sarah Cordonnier, EAC, 2019 (à paraître).
"L'agir documentaire, une politique du détail. À partir du cas de #SoyonsHumains", Communication & Langages, 2019 (à paraître).

Sébastien CASSIN : Présentation de la revue Gradalis — À propos des Séjours Rocheux
Contribuer à la revue Gradalis fut pour moi l'occasion de rassembler une variété d'expériences pyrénéennes et d'en faire le récit sensible. Dans le cadre instauré par la revue, ces expériences furent articulées à la manière d'une errance qui, venant du nord, s'est progressivement faufilée entre les monts — vers la frontière —, et ce afin d'en exhumer les caractères minéraux particuliers. Au plus près du terrain, j'ai cherché à exprimer la variété des manières dont on fréquente ses ressources minérales, depuis la rencontre des roches qui au-dedans structurent la montagne jusqu’à l'investissement de celles qui font cabanes et que l'on habite. La montagne est un lieu de fascination : on y trouve une forme de splendeur qui n'a pas lieu dans la ville. Simplement, et à force d'épier les monts, on en arrive à comprendre pourquoi telle roche affleure là plutôt qu'ailleurs; pourquoi telle fente a lézardé celle-ci; et pourquoi l'érosion a mordu cette face plutôt qu'une autre. Aussi, il faut se prendre au jeu de la montagne afin de surprendre le comportement qu'adopte spontanément la matière en son milieu.

Sébastien Cassin est designer en conception d'espace, et doctorant en design à l'université Toulouse - Jean Jaurès, membre du LARA-SEPPIA. Ses recherches portent sur la prise en compte d'une poétique paysagère dans les pratiques de conception d'espace.

Alexandre GALAND : L'enregistrement de terrain, pour des portraits sonores de "mondes inconnaissables"
La pratique de l'enregistrement de terrain rend sensible à une série de sons discrets, voire inaudibles pour l'oreille humaine, émis par les entités qui habitent un lieu. En nous invitant à cette reconnaissance de la multiplicité des êtres et des formes de vie, ces captations sonores sont de précieux guides dans l'attention nécessaire aux territoires qu'imposent les "crises" écologiques en cours. Cet exposé se propose d'inviter à quelques "promenades en des mondes inconnaissables" (d'après l'expression de l'éthologue Jakob von Uexküll), qui seraient autant de portraits de "pays" réanimés.

Docteur en Histoire, art et archéologie, Alexandre Galand est collaborateur scientifique de l'université de Liège.
Publications
Field Recording. L'usage sonore du monde en 100 albums, Éditions Le mot et le reste, 2012.
Monstres et merveilles. Cabinets de curiosités à travers le temps, Album illustré par Delphine Jacquot, Seuil, 2018.
The Flemish Primitives VI. The Bernard van Orley Group, Catalogue scientifique des œuvres peintes de l'artiste Bernard van Orley, Éditions Brepols, 2013.

Bruno GOOSSE : Waterloo n'est pas à Waterloo
Waterloo est le nom d'une petite ville en périphérie de Bruxelles. Ce nom est connu dans le monde comme celui d'une bataille. Il est tellement connu qu'il est devenu un nom commun. C'est aussi le nom d'un champ. Mais ce champ n'est pas situé à Waterloo. C'est la contingence de la localisation du quartier général du vainqueur de la bataille qui a donné son nom au champ. Cette variabilité du toponyme proche d'une délocalisation a-t-elle favorisé l'utilisation du nom propre comme nom commun ? Derrière cette question anodine se profile une géographie fluide dont la conférence envisage de dresser le portrait.

Bruno Goosse est artiste et professeur à l'Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Son travail porte sur la manière dont le texte, notamment juridique, et ses montages fictionnels, conditionnent notre rapport au réel, à l'image et à l'art. Ses recherches sont rendues publiques sous forme d'expositions, de livres, et de films.
Publications
Classement diagonal, Éditions la lettre volée, Bruxelles, 2018.
Around Exit, Éditions La Part de l'Œil, Bruxelles, 2014.
Co-direction avec Jean Arnaud, Document, fiction et droit en art contemporain, PUP/ArBA, Marseille et Bruxelles, 2015.
Et dirigé le volume 30 de La Part de l'Œil: Arts plastiques/cinéma. Mikhaïl Bakhtine et les arts, Éditions La Part de l'Œil, Bruxelles, 2016/17.

Sophie LÉCOLE SOLNYCHKINE : Portraitures élémentaires. Séjourner aux marges du monde
Cette communication propose de s'intéresser à la question du portrait de pays en la croisant à celle des imaginaires matériologiques. Il s'agira de travailler sur deux plans de références croisés : d'abord celui de la représentation — de la qualité particulière de représentation qu'est l'image cinématographique —, pour y investiguer la manière dont s'y développent des portraits de territoires qui ont ceci de particulier qu'ils se situent aux marges de la terre et du monde humain, là où l'efficacité de nos outils de préhension du monde s'efface, restituant le monde à sa seule présence élémentaire. Les deux films que nous étudierons ont en commun le fait de fabriquer des images de "territoires" au contact de la matière aqueuse : océan liquide pour Léviathan (Lucien Castaing-Taylor, Verena Paravel, 2012), gels et neige pour Ága (Milko Lazarov, 2018). Dans ces deux films, le recouvrement de la terre par les eaux rend malaisée la lecture du territoire (qui pourtant ne cesse d'être là), et demande alors de revenir à la question du portait, pour la reconsidérer. Il faut passer là à un second plan de référence, celui de l'investissement des qualités métaphoriques de la matière, notamment de leur usage par la philosophie pour incarner des idées, dont elles exprimeraient, comme figuralement, certaines propriétés que les mots peineraient à dire. Dès lors, c'est à formuler une proposition de définition liquide du portrait que nous nous emploierons.

Laurence LE GUEN : De "Children of all Lands Stories" à la collection "Enfants du monde", offrir un regard sur l'Autre en littérature jeunesse
Le portrait de pays phototextuel a une réalité effective en littérature jeunesse, avec une grande variété de publications. Ces ouvrages sont régulièrement publiés dans des périodes où le livre pour enfants est perçu comme le moteur d'un nouvel humanisme pacifiste. Les ouvrages qui fleurissent aux États-Unis comme en France après les deux Guerres Mondiales portent tous en eux le même message d'espoir, transmettre la conviction que le monde, dans sa diversité et sa complexité, est un: le nôtre, notre monde à tous. Cette communication croisera les ouvrages de la série des années 1920 "Children of all Land Stories", de la photographe américaine Madeline Brandeis, avec ceux de la collection "Enfants du monde" portés par les photographies de Dominique Darbois, pour montrer comment photographies et textes s'allient pour offrir au jeune lecteur un autre regard sur l'Autre et promouvoir ainsi la paix entre les peuples.

Laurence Le Guen, doctorante à l'université de Rennes 2, Cellam, mène des recherches sur le livre pour enfants illustré par la photographie en France et aux États-Unis. Elle a publié notamment "Sac à Tout de Séverine, récit-photo en 1903", dans la revue Contemporary French Civilization. Elle assure le commissariat de l'exposition "Ergy Landau à livres ouverts". Elle est par ailleurs auteur de livres pour enfants et membre de l'Afreloce, qui regroupe les chercheurs en littérature jeunesse.

Olivier LUGON & François VALLOTTON : Élargir le regard via le multimédia : les différentes déclinaisons du "portrait de pays" au sein de la stratégie audiovisuelle des Éditions Rencontre (1962-1972)
En 1962, les Éditions Rencontre lancent une collection de livres illustrés consacrée au voyage: l'Atlas des Voyages, dirigée par Charles-Henri Favrod. Chez l'éditeur lausannois cependant, un tel projet encyclopédique sur les pays du monde dépasse rapidement le seul domaine de l'album imprimé pour s'étendre à d'autres supports et d'autres médias, du "livre de diapositives" (la Bibliovision) à l'encyclopédie sur fiches (l'Encyclopédie du monde actuel, EDMA) et bientôt au film (la Communauté d'action pour le développement de l'information audiovisuelle, CADIA). Pour l'entreprise, le "portrait de pays" participe ainsi à une dynamique plus large de diversification de ses activités éditoriales en direction du champ de l'"audiovisuel" et à un nouveau déploiement multimédiatique du modèle encyclopédique.

Olivier Lugon est historien de la photographie, professeur à l'université de Lausanne. Spécialiste de la photographie du XXe siècle, de l'histoire de la scénographie d'exposition et de la projection, il a notamment publié Le Style documentaire : d'August Sander à Walker Evans (Macula, 2001) et prépare un ouvrage sur Nicolas Bouvier iconographe, à paraître en 2019. En 2017, il a été co-commissaire de l'exposition Diapositive : histoire de la photographie projetée au Musée de l'Élysée, Lausanne. Avec Christian Joschke, il codirige la revue Transbordeur : photographie, histoire, société chez Macula.

François Vallotton est professeur ordinaire d'histoire contemporaine à l'université de Lausanne où il enseigne plus spécialement l'histoire des médias. Auteur de nombreuses contributions dans le domaine de l'histoire culturelle et intellectuelle, il a notamment consacré sa thèse à l'histoire de l'édition suisse francophone. Il a aussi développé de nombreux projets d'enseignement et de recherche portant sur l'histoire de la radio et de la télévision dans une perspective suisse mais également transnationale. Cofondateur du Centre interdisciplinaire des Sciences historiques de la culture à l'université de Lausanne.

David MARTENS : "Villes Mondes" (France Culture). Portraits urbains polyphoniques et radiophonie littéraire
Entre 2013 et 2016, France Culture programme, le dimanche en deuxième partie d'après-midi, une émission permettant à ses auditeurs et à ses auditrices de découvrir de nombreuses villes de par le monde. "Villes-mondes" se présente comme une série de "voyages" d'une cinquantaine de minutes "au cœur des villes avec leurs créateurs, artistes, écrivains…". Revêtant, sur un plan générique, la forme du portrait, l'émission fait le pari de la découverte sonore en combinant des ambiances sonores des cités avec le discours de ceux qui y vivent, qu'ils soient français ou locaux. Il s'agira à l'occasion de cet exposé de dresser le portrait-robot de l'émission en rendant compte des procédés et des modalités à travers lesquels elle façonne le visage des villes qu'elle présente, ainsi qu'en analysant les valeurs qui sous-tendent la ligne éditoriale de la série.

Danièle MÉAUX : Le territoire comme il est habité. À propos de réalisations photographiques et filmiques de Raymond Depardon
De novembre 2004 à février 2010, Depardon sillonne la France à bord d'une fourgonnette et collecte des vues des "zones grises" du territoire, de ses aménagements ordinaires et vernaculaires. Un certain nombre de ces vues ont été rassemblées dans l'ouvrage La France de Raymond Depardon et exposées à la BnF du 30 septembre 2010 au 9 janvier 2011. Ce sont les traces laissées par les hommes au sein des paysages qui retiennent alors l'attention du photographe. C'est une nouvelle approche du pays qu'il propose, en 2016, dans le film Les Habitants. Si le parcours du photographe tient encore de la dérive, un autre dispositif s'est substitué à la chambre photographique : Depardon visite le territoire avec une caravane, au sein de laquelle il filme des échanges entre personnes. Ce sont dès lors les dialogues, les intonations, les accents… qui témoignent des modes de vie accrochés aux lieux. La démarche de Depardon se rapproche de celle de l'ethnologue. Elle illustre une propension — lisible chez d'autres photographes contemporains — dont on se propose d'interroger ici les formes et les enjeux.

Spécialiste de la photographie contemporaine, Danièle Méaux est professeur des universités en esthétique et sciences de l'art.
Publications
La Photographie et le temps, PUP, 1997.
Voyages de photographes, PUSE, 2009.
Géo-photographies. Une approche renouvelée du territoire, Filigranes, 2015.
Enquêtes. Nouvelles formes de photographie documentaire, Filigranes, mars 2019.
Elle dirige la revue Focales.

Donata MENEGHELLI : Les villes invisibles de Sophie Calle : entre Suite vénitienne et Souvenirs de Berlin-Est
Sophie Calle est un figure très significative dans l'art contemporain, son travail est difficile à classer car il relève au même temps de l'art conceptuel, de l'art narratif, de la photographie et de l'installation audiovisuelle, de l'autofiction, du récit photo, tout en ayant une dimension performative. Dans beaucoup de ses installations/ouvrages, l'espace géographique et urbain, les lieux, les pays et le voyage jouent un rôle capital (qu'on songe, par exemple, à L'Erouv de Jérusalem, au Japon et à la transsibérienne dans Douleur exquise ou aux États-Unis dans son longue métrage No Sex Last Night), même si les modalités de représentation qu'elle choisit sont très souvent déroutantes, notamment en raison des rapports complexes qu'elle établie entre mots et images. Cette communication abordera ces enjeux à partir de deux ouvrages qui ont la particularité d'être centrés respectivement sur deux villes que l'on peut considérer à certains égards antithétiques : d'une part, Venise, la ville historique, touristique, magique, romantique, ville d'art par excellence, toujours exposée, connue et visitée par tout le monde, mille fois reproduite et écrite; d'autre part, Berlin-Est, une ville qui n'en est même pas une (pas avant 1949 et depuis 1990, en tout cas), synonyme de grisaille, d'architecture staliniste, de laideur, de vide, au moins dans la perception et le sens communs. Dans cet exposé, on comparera les diverses stratégies employées par Sophie Calle dans la représentation de ces deux villes, en interrogeant la façon dont elles jouent avec le seuil problématique entre le visible et l'invisible, les attentes (ce qui est prévisible, évident, culturellement donné) et l'inattendu, l'incertain, ou, encore, entre l'espace public et l'espace privé, la mémoire collective et l'expérience individuelle.

Donata Meneghelli est maître de conférence, HDR, de Littérature comparée et de Littérature et études visuelles à l'université de Bologne. Elle dirige la revue Scritture migranti. Elle s'intéresse notamment à la théorie et à l'histoire du roman, à l'intermédialité, à la théorie narrative, au rapports entre la littérature et la culture visuelle, à la littérature de la migration, à l'adaptation cinématographique et aux questions de la transfictionalité. Elle a écrit des essais sur Henry James, Joseph Conrad, Jean Rhys, Alain Robbe-Grillet, William Faulkner, Sophie Calle.
Publications
Una forma che include tutto. Henry James e la teoria del romanzo, Il Mulino, 1997.
Teorie del punto di vista, La nuova Italia, 1998.
Opere e vite, numéro monographique de la revue Inchiesta letteratura, Dedalo, 2000.
"What Can a Film Make of a Book ? Seeing Literature through Apocalypse Now and Barry Lyndon", Image [&] Narrative, 8, May 2004.
"Quadri senza cornici, cornici senza quadri : il romanzo nello specchio della pittura", in La cornice, sous la direction de F. Bertoni e M. Versari, CLUEB, 2006.
"Sophie Calle : tra fotografia e parola", in Guardare oltre, sous la direction de S. Albertazzi et F. Amigoni, Meltemi, 2007.
"La tension entre la forme et l’informe dans le roman du XXe siècle", Formules, 13, 2009.
"Le texte et son ombre ou le lecteur supplicié dans Projet pour une révolution à New York", Interférences littéraires, 6, mai 2011.
Storie proprio così. Il racconto nell’era della narratività totale, Morellini, 2012.
Senza fine. Sequel, prequel, altre continuazioni, Morellini, 2018.

Jean-Pierre MONTIER : Qu'est-ce, finalement, qu'un "pays" ? Rives, dérives de Pierre Loti au Japon
Le cas de Pierre Loti me semble intéressant pour cette raison que je ne suis pas certain qu'il ait réalisé des "portraits de pays". La quasi-totalité de son œuvre paraît pourtant relever de ce genre, et il a tous les attributs de l'écrivain ayant rapporté de divers continents des récits qui, oscillant entre fictions et choses vues, sont reçus par le public sous cet angle générique. Mais c'est la malléabilité ou la plasticité de l'idée même de "pays" qui, chez lui, sont significatives. Il y a des raisons historiques : à l'époque, pays voisine sémantiquement avec nation, empire, colonie, races. Il y a aussi des raisons tenant à sa posture : réaliser un portrait de pays requiert empathie et extraversion, or Loti est la plupart du temps dans l'introversion et la nostalgie. Peut-on faire le portrait d'un pays comme un voyage autour de sa chambre, en egocentrique? De quel "arrière-pays" (Bonnefoy) ce genre peut-il être aussi le lieu ?

Gyöngyi PAL : Les portraits du pays de bocage de Trassard
L'œuvre littéraire et photographique de Jean-Loup Trassard est centrée sur son lieu natal, la Mayenne, le bocage ou, plus précisément, l'entourage de sa maison. Une enfance campagnarde influence toute son œuvre d'écrivain et de photographe. Il est l'auteur entre autres d'une quinzaine de livres où sont juxtaposés des textes et des photographies, qu'il qualifie d'"ethnopoétiques", ayant "à la fois un souci ethnographique ou technique de vérité et en même temps les choses sont abordées sous l'angle poétique". Ses récits contournent et expérimentent la possibilité de description du territoire en mobilisant divers sens du lecteur : la vue, le toucher et l'ouïe, en mettant à l'épreuve les écarts possibles entre textes et photographies.

Gyöngyi Pal est maître de conférences à l'université de Kaposvár en Hongrie où elle enseigne l'esthétique de la photographie et la communication visuelle. Après sa thèse sur des écrivains photographes en 2010 à l'université Rennes 2 et à l'université de Szeged, elle a travaillé en tant qu'ingénieur de recherche sur le projet PHLIT, le site web et base de données de la photolittérature. Entre 2016-18, au cours d'un post-doctorat, elle a mis en œuvre le site MAFIA consacré à la photolittérature hongroise.

Marcela SCIBIORSKA : Des "livres de photographies pour tous". Stratégies éditoriales derrière les portraits de pays à la Guilde du Livre
La Guilde du Livre, club du livre édité à Lausanne entre 1936 et 1977 et chapeauté par Albert Mermoud, est aujourd'hui perçue comme pionnière au sein du champ de l'édition suisse en tant qu'une des premières maisons d'édition dans le monde francophone à proposer des ouvrages ornés d'illustrations de qualité à prix accessibles. Axé sur la démocratisation de la culture par le biais d'objets d'une haute qualité littéraire et technique, le club du livre connaît ses plus grands succès avec la parution de portraits de pays et de villes, fruits de collaborations entre des photographes et des écrivains renommés. Le mode de distribution des ouvrages de la collection, cherchant à se placer "en dehors de toute méthode commerciale ordinaire" et fortement lié à la parution périodique du Bulletin de la Guilde du Livre, contribue à la création d'une importante communauté de lecteurs autour de la maison d'édition. Cette communication se proposera d'examiner la correspondance entre divers acteurs de la collection "Albums photographiques", tels que l'éditeur, les photographes et les écrivains sollicités, afin de mettre en lumière les processus qui ont mené à l'élaboration de portraits de pays et de villes au sein de la Guilde du Livre. Elle visera à répondre à certaines questions qui se posent d'un point de vue macrotextuel, telles que: quel rôle les portraits de pays revêtent-ils dans le cadre d'une entreprise de démocratisation du "beau livre" annoncée dans le manifeste de la Guilde ? Quelles stratégies éditoriales ont-elles sous-tendu la création des portraits de pays, particulièrement au moment de la naissance du genre au sein de la maison d'édition ? Quelles évolutions le genre du portrait de pays et de villes subit-il au sein de la collection au regard du développement parallèle du tourisme et du marché du livre à cette époque ? Comment la Guilde du Livre entend-elle se démarquer dans ce contexte de ses collections concurrentes ?

Après avoir achevé sa thèse, intitulée "Les Albums de la Pléiade. Histoire et analyse discursive d'une collection patrimoniale", à la KU Leuven et la Sorbonne Université, Marcela Scibiorska effectue actuellement un post-doctorat à l'université de Lausanne, portant sur les portraits de pays et de villes dans la Guilde du Livre. Elle s'intéresse, plus largement, aux collections éditoriales d'un point de vue de leur hybridation générique et médiatique et de leur fonction publicitaire, ainsi qu'aux modes de patrimonialisation de la littérature.
Publications
Anne Reverseau et Marcela Scibiorska, "Usages du document dans Documents 34. La revue surréaliste comme lieu d'hybridation", dans La Licorne, vol. 109, 2014.
Marcela Scibiorska, ""Homme de son temps, et du nôtre". Les Albums de la Pléiade, un patrimoine littéraire vivant", dans Mémoires du livre / Studies in Book Culture, vol. 7, n°1, 2015.
Marcela Scibiorska, "La généricité composite d'une collection patrimoniale : les "Albums de la Pléiade"", dans Cahier voor Literatuurwetenschap, n°9, 2017.
Marcela Scibiorska, "L'auteur comme produit d'appel : les figures d'écrivains dans les "Albums de la Pléiade"", dans Nottingham French Studies, à paraître.

Anne SIGAUD : Les Archives de la Planète d'Albert Kahn : l'autochrome et le film au service de la conceptualisation et de la promotion de la nation (1909-1932)
Entre 1909 et 1932, le banquier français Albert Kahn (1860-1940) initie et finance un programme de captation visuelle du monde qu'il intitule Les Archives de la Planète et dont il confie la direction scientifique au professeur de géographie humaine Jean Brunhes (1869-1930). Dans un premier temps, les films et les autochromes produits dans ce cadre sont envisagés comme des matériaux scientifiques utiles à la construction disciplinaire d'une géographie politique qui réfléchit principalement sur la notion d'État-nation. Pendant la Première Guerre mondiale, la collection participe d'un mouvement général qui prend conscience de la valeur de l'image comme support de défense des intérêts nationaux et des liens sont noués avec les services de propagande de l'État. Le retour à la paix ne fait pas disparaître le sentiment d'urgence à défendre la place de la France dans le monde et à promouvoir un modèle républicain en cours de redéfinition, aussi la collection continue-t-elle à accompagner l'État dans son effort de rayonnement à l'international. C'est ce dernier point que nous proposons de développer dans la présente contribution, avec une recherche inédite consacrée aux relations entre les Archives de la Planète et la construction dans les années 1920 d'une politique de propagande touristique conçue comme un programme de représentation de la nation, à la réalisation duquel participent en s'interpénétrant initiatives privées et initiatives publiques.

Anne Sigaud, chargée de recherche au musée départemental Albert-Kahn, a été commissaire des expositions Clichés japonais : 1908-1930, le temps suspendu (2010) et La Mongolie entre deux ères : 1912-1913 (2012) puis a dirigé un projet pluriannuel de recherche sur la collection des Archives de la Planète pendant la Première Guerre mondiale. Elle est membre du consortium du projet ANR Ciné08-19 coordonné par Laurent Véray (université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle). Elle prépare une thèse de doctorat en histoire contemporaine intitulée "Les fondations d'Albert Kahn. Production et usage de l'information documentaire, entre intérêts publics et intérêts privés (1898-1940)".
Publications
Perlès Valérie & Sigaud Anne (dir.), Réalités (in)visibles. Autour d'Albert Kahn, les archives de la Grande Guerre, Paris, Bernard Chauveau, 2019, 285 p., à paraître (février).
Sigaud Anne, "Entre documentation et propagande : vocation et usage politique des Archives de la Planète", dans Perlès Valérie (dir.), Les Archives de la Planète, Liénart, 2019, à paraître (février).
Sigaud Anne, "The Archives of the Planet : Between Comopolitanism and Patriotism", dans Björli Trond & Jakobsen Kjetil (ed.), Cosmopolitics of Visual Memory, Londres, Intellect, 2019, à paraître.
Castro Teresa & Sigaud Anne, "Revisiting the Archives de la Planète's Films", dans Provenance and Early Cinema, Actes du 15e colloque international Domitor, Rochester (NY, 13-16 juin 2018), à paraître.

Benjamin THOMAS : Flandres (2006, Bruno Dumont) : topologies sensibles
Flandres (2006), le film de Bruno Dumont, s'il annonce une topologie, ne s'engage pas dans la délimitation d'un périmètre, ne se soucie pas des découpages administratifs actuels, ni même anciens, de la province de Flandre, que ce fût pour raviver un héritage riche et complexe à opposer aux simplistes fantasmes identitaires, ou pour nourrir ceux-ci. Rien n'est plus étranger à son projet. Et l'un des signes que l'espace dont il est question chez Dumont n'est pas un territoire au sens de ce que l'on délimite par des frontières pour réaffirmer un "lieu propre" (Certeau), tient au contraste entre les deux lignes de force du film. L'une d'elles nous emmène avec les personnages à la guerre, dans un Moyen-Orient sans nom, écho des guerres actuelles menées par l'Occident, voire survivance de la guerre d'Algérie. Là, en effet, c'est de territoire, qu'il est question, ô combien… Par contraste, les Flandres du film forment un espace sensible. Et ce que le cinéma fait passer d'elles dans le sensible, c'est leur qualité de lieux qui s'éprouvent. Un climat, des météores, des chemins, des bosquets, la plaine, des atmosphères, qui semblent offrir aux corps les formes mêmes de leurs affects: toute une "co-naissance" de corps et de leur "milieu d'existence" (Merleau-Ponty). Ce sont les modalités de cette singulière délinéation que nous aimerions examiner ici.

Benjamin Thomas, Maître de conférences (HDR) en études cinématographiques à l'université de Strasbourg.
Publications
Le Cinéma japonais d'aujourd'hui. Cadres incertains, PU de Rennes, 2009.
(dir.) Tourner le dos. Sur l'envers du personnage au cinéma, PU de Vincennes, 2013.
L'Attrait du vent, Yellow Now, 2016.
Fantômas de Louis Feuillade, Vendémaire, 2017.
Faire corps avec le monde. De l'espace cinématographique comme milieu, Circé, 2019.

Hécate VERGOPOULOS : Les portraits sinistres de ville
Depuis quelques temps, les territoires — et en particulier les villes — se voient valorisés non plus par l'évocation de leurs remarquables lieux culturels (les immanquables du tourisme), mais parce qu'ils sont sinistres ou sinistrés : la Nouvelle-Orléans accueille ainsi des Katrina tours qui montrent comment l'ouragan de 2005 a détruit la ville, de même qu'il est possible de se rendre dans les favelas de Rio de Janeiro ou les townships de Johannesburg pour y voir comment les pauvres vivent. Ces pratiques qui renvoient à ce que certains appellent le dark tourism sont plus anciennes qu'il n’y paraît. Déjà, au XXe siècle, alors que Paris devenait la capitale de la modernité, touristes et Parisiens se rendaient volontiers sur les lieux de crime ou à la morgue afin d'y observer le désastre de la vie urbaine. Ils étaient accompagnés, dans cette tâche, par une multitude de textes dans lesquels se jouaient quelque chose du portrait de la ville. Journalistes et écrivains, promeneurs, flâneurs, enquêteurs, observateurs ont en effet décrit Paris par là où elle péchait — ses marges —, que ce soit dans les colonnes de la presse, dans leur correspondance personnelle ou dans leurs récits et romans. Ces textes, qui ont finalement tourné en observables et en spectacles de curiosité des lieux et victimes de drames urbains, posent au fond une question simple : un portrait de ville peut-il être sinistre ? Ou encore : comment le portrait de territoire prend-il en charge sa part sinistre ? En apportant des éléments de réponse à ces questions, on pourra étudier plus avant ce que le portrait fait au territoire.


SOUTIENS :

Laboratoire de recherche MDRN | KU Leuven, Belgique
• Répertoire de la photolittérature ancienne et contemporaine (PHLIT) & Centre d'études des langues et littératures anciennes et modernes (CELLAM, EA 3206) | Université Rennes 2
• Laboratoire de recherche en audiovisuel - Savoirs, praxis et poïétiques en art (LARA-SEPPIA, EA 4154) | Université Toulouse - Jean Jaurès
ANR LITTéPUB
Musée départemental Albert-Kahn
• Projet FICTOGRAPH soutenu par la Maison des Sciences de l'Homme de Bretagne (MSHB)

Programme 2019 : un des colloques

Programme complet


SPECTRES DE MALLARMÉ


DU MERCREDI 3 JUILLET (19 H) AU MERCREDI 10 JUILLET (14 H) 2019

[ colloque de 7 jours ]



DIRECTION :

Bertrand MARCHAL, Thierry ROGER, Jean-Luc STEINMETZ


ARGUMENT :

Depuis sa mort, c'est-à-dire depuis sa vie posthume particulièrement polymorphe, Mallarmé ne cesse de nous hanter : revenant, survenant. Plus de cent vingt ans de lectures, de relectures, de réécritures, de recréations, conduisent à réinterroger l'œuvre, comme la relation critique à cette même œuvre. D'un côté, l'investigation philologique a renouvelé en profondeur notre connaissance du texte et du contexte. La publication des Œuvres complètes dans la Bibliothèque de la Pléiade avec ses deux volumes dotés d'un riche appareil critique (1998 et 2003), accompagnée de deux nouvelles enquêtes biographiques (1994 et 1998), en attendant un nouvel état de la correspondance générale destiné à paraître de manière imminente chez Gallimard, offrent un autre point de vue sur le poète. Mallarmé revient aussi à travers un certain nombre de thèses de doctorat marquantes, à travers la continuation, depuis 2013, des cahiers consacrés au poète (Études Stéphane Mallarmé, Classiques Garnier), et à travers une série de nouvelles exégèses, qui montrent en particulier un intérêt significatif des historiens de l'art et des philosophes pour l'auteur de Divagations. Mais d'un autre côté, les travaux plus "archéologiques" ou "généalogiques" posent la question de la réception et des usages de l'œuvre, le passage complexe de "Mallarmé" au "mallarméisme", avec son envers, "l'anti-mallarméisme". C'est un Mallarmé qui survient, rendu contemporain des avant-gardes en tout genre, inséré dans le grand récit de la "modernité", transformé dans le mouvement à large spectre de sa re-contextualisation. L'histoire de ces réappropriations, entre littérature, arts, et sciences humaines, doit être précisée.

Tout cela rend presque indispensable un nouveau colloque à Cerisy, moment précieux d'échanges et de confrontations. Celui dont la poésie et la poétique n'ont cessé de questionner la façon de penser la "fiction" et la société, comme le jeu du langage et du "hasard", demeure un repère pour les temps présents. Universitaires, essayistes, philosophes, écrivains, étudiants et lecteurs de tous genres trouveront là l'occasion de faire le point et de relancer les dés.


CALENDRIER DÉFINITIF :

Mercredi 3 juillet
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Jeudi 4 juillet
Matin
Introduction du colloque, par Thierry ROGER

PHILOSOPHIE LATENTE
Quentin MEILLASSOUX : L'écriture du Néant hors de la mort de Dieu [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]

Après-midi
Pierre-Henry FRANGNE : Mallarmé philosophe


Vendredi 5 juillet
Matin
ART ET HASARD (I)
Michel MURAT : Relancer le Coup de dés ?
Jean-Luc STEINMETZ : Le Coup de dés, poème océanique

Après-midi
ART ET HASARD (II)
Thierry ROGER : Mallarmé devant le hasard

LA STRATÉGIE LITTÉRAIRE
Patrick THÉRIAULT : Portrait d'un histrion véridique : Mallarmé selon Daniel Oster

Soirée
La correspondance de Mallarmé, présentation-débat de la nouvelle édition établie par Bertrand MARCHAL


Samedi 6 juillet
Matin
LA CRITIQUE DE LA CULTURE
Patrick SUTER : Crise de rime : Mallarmé et l'écologie de la culture (Divagations et autres textes théoriques)
Vincent KAUFMANN : Mallarmé - Debord : allers-retours

Après-midi
DÉTENTE


Dimanche 7 juillet
Matin
MALLARMÉ APRÈS MALLARMÉ (I)
Jean-François CHEVRIER : Lectures, usages, contresens

Après-midi
QUESTIONS DE MÉTHODE
Gilles TRONCHET : Pour saluer Salut : à propos d'une analyse textique accomplie par Jean Ricardou

Soirée
Projections


Lundi 8 juillet
Matin
LE POÈTE DANS LA CITÉ
Damian CATANI : Mallarmé et la culture populaire
Bernard FOURNIER : L'Académie Mallarmé

Après-midi
MALLARMÉ APRÈS MALLARMÉ (II)
Bertrand MARCHAL : Le double état de la parole : fortune et infortune
Hervé JOUBEAUX : Projet d'un dictionnaire Mallarmé

Soirée
"Les loisirs de la poste", lectures par Philippe MÜLLER & Vincent VERNILLAT [Compagnie PMVV le grain de sable], avec le concours de la Fondation d'entreprise La Poste


Mardi 9 juillet
Matin
POÉSIE ET SENSATION
Barbara BOHAC : Mallarmé et Taine : poésie et expérience sensible du monde

Après-midi
"Jeunes chercheurs", table ronde avec :
Arild Michel BAKKEN : La figure de l'auteur chez Mallarmé
Margot FAVARD : Figures de Maître chez Mallarmé
Laurent MOUREY : Présence et réception de Mallarmé. Une histoire de la poésie après 1945, un prisme de Mallarmé
Annick ETTLIN : Mallarmé et l'action poétique


Mercredi 10 juillet
Matin
Conclusions

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Arild Michel BAKKEN : La figure de l'auteur chez Mallarmé
Dans cette contribution, je voudrais revenir sur la présence textuelle de Mallarmé à laquelle j'ai voué ma thèse. La figure de l'auteur est très présente chez Mallarmé, et je soutiendrai que c'est cette figure qui assure la cohérence de l'œuvre mallarméenne. Le lecteur de cette œuvre pourra faire connaissance avec l'"identité mondaine" de la figure de l'auteur, mais aussi suivre sa vie intérieure, comme voyant et comme penseur. Même dans les textes les plus impersonnels, l'auteur n'est pas absent, mais assume la posture de la mystérieuse "Figure que Nul n'est", qui représente l'essence de la subjectivité humaine. Par la mise en scène de sa figure dans l'œuvre, Mallarmé cherche à séduire le lecteur, à obtenir une "gloire", à conférer à son œuvre une valeur. La figure de l'auteur, son ethos, est aussi un moyen efficace pour transmettre les valeurs du poète, sa vision du monde. Mais la vision du monde qui apparaît chez Mallarmé est constamment minée par l'ironie du poète, qui est le trait le plus caractéristique de sa présence.

Arild Michel Bakken est maître de conférences en Science de la lecture à l'université de Stavanger et docteur en Littérature française des universités d'Oslo et de Paris-Sorbonne. Sa thèse, La Présence de Mallarmé (Honoré Champion, 2018), portait sur la figure de l'auteur chez Mallarmé.
Publications
"Textual Self-branding: The Rhetorical Ethos in Mallarmé's Divagations", Authorship 1, n°1, 2011.
"La figure du lecteur : l'auditoire auctorial dans les Poésies de Mallarmé", in Mallarmé herméneute, T. Roger (dir.), CEREdI, n°10, 2014.

Barbara BOHAC : Mallarmé et Taine : poésie et expérience sensible du monde
Dans sa jeunesse, Mallarmé s'est intéressé à la conception tainienne de l'art et du langage, qui combine nominalisme et conviction que l'art, la poésie, sont ancrés dans l'expérience sensible du monde qu'ils ont pour fonction de ressusciter. Bien que Mallarmé critique Taine en insistant sur le rôle de la réflexion dans la création artistique, certains de ses poèmes et de ses textes théoriques gagnent à être lus à la lumière des idées du philosophe : le fameux "isolement de la parole" notamment, où l'on a vu une coupure radicale entre le langage et le monde, n'apparaît plus dans cette perspective comme la marque d'une poésie repliée sur elle-même, d'un langage fonctionnant de manière autonome par rapport au monde, mais comme une notion permettant de penser dans leur richesse les liens entre la poésie et la vie.

Ancienne élève de l'École Normale Supérieure, Barbara Bohac est Maître de conférences en littérature française à l'université de Lille. Ses publications portent sur Mallarmé, sur les poètes du XIXe siècle ainsi que sur les rapports entre littérature et arts.
Publication
Jouir partout ainsi qu'il sied : Mallarmé et l'esthétique du quotidien, Classiques Garnier, 2012 (prix Henri Mondor 2013).

Damian CATANI : Mallarmé et la culture populaire
La culture populaire, c'est-à-dire, celle qui se distingue de la haute culture bourgeoise et "officielle" — telle que la foire, le théâtre populaire et la pantomime — a chez Mallarmé un statut ambivalent. D'une part, elle constitue une menace à l'autonomie du poète et à la poésie pure en rappelant la commercialisation de l'art, ainsi que l'existence d'un public toujours plus impatient et avide d'exhibitionnisme artistique. D'autre part, elle peut engendrer une esthétique plus spontanée et authentique qui révèle, ne serait-ce qu'inconsciemment et de façon anecdotique, des vérités humaines fondamentales que seul le poète est capable de discerner. S'appuyant surtout sur La Déclaration foraine et sur Un spectacle interrompu, cette communication tracera les tentatives de Mallarmé, à partir des œuvres de jeunesse comme Le Pitre Châtié et Réminiscence, jusqu'aux Notes en vue du Livre, pour comprendre précisément en quoi la culture populaire l'aide à cerner la relation idéale entre sa poésie et son public. Cette analyse de l'attitude du poète envers la culture populaire nous permettra également d'affronter un dilemme qui continue à diviser la critique mallarméenne : à savoir, la poésie idéale est-elle purement textuelle, lue en silence dans le domaine privé par des lecteurs solitaires et avertis, ou bien est-elle une performance collective, récitée à un public moins éclairé ?

Damian Catani est maître de conférences à Birkbeck College à l'université de Londres. Il est spécialiste de la littérature française des XIXe et XXe siècles et des rapports entre la littérature et le mal. Il travaille sur une biographie de Louis-Ferdinand Céline.
Publications
The Poet in Society : Art, Consumerism and Politics in Mallarmé, New York, 2003.
Evil : A History in Modern French Literature and Thought, Londres, 2013.

Jean-François CHEVRIER : Lectures, usages, contresens
L'œuvre poétique et spéculative de Mallarmé a fait l'objet d'interprétations contradictoires de la part des artistes très divers qui se sont saisis de son exemple. Ces interprétations constituent parfois des contresens productifs. Dans cette vaste constellation, les peintres, Georges Braque et Henri Matisse, lecteurs des Poésies, se distingue des interprètes du Coup de dés (et des Divagations), Marcel Duchamp, puis John Cage, ou encore Marcel Broodthaers et Robert Filliou.

Historien de l'art, commissaire d'expositions, Jean-François Chevrier enseigne à l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris depuis 1988. Ses recherches portent principalement sur les interactions entre arts et formes littéraires aux XIXe et XXe siècles. Il a également accompagné le travail d'artistes très divers (peintres, photographes, architectes…).
Principales expositions et publications à partir de Mallarmé
L'action restreinte. L'art moderne selon Mallarmé, cat. exp., Nantes, Musée des beaux-arts / Hazan, 2005.
"Henri Matisse. L'attraction des corps", Les Relations du corps, Paris, L'Arachnéen, 2011.
"Rhetoric, System D; or, Poetry in Bad Weather", dans Marcel Broodthaers. A Retrospective, cat. exp., dir. Christophe Chérix et Manuel Borja-Villel, New York, MoMA / Madrid, Museo Nacional Reina Sofia, 2016.
"À qui veut" et "1967. Le système D selon Marcel Broodthaers", Œuvre et activité. La question de l'art, Paris, L'arachnéen, 2015.
Notice "Stéphane Mallarmé" dans Tout Matisse, Claudine Grammont (dir.), Paris, Robert Laffont, coll. "Bouquins", 2018.

Annick ETTLIN : Mallarmé et l'action poétique
Comment Mallarmé a-t-il pensé l'action du poète, c'est-à-dire son statut dans la cité ? Quel rôle a-t-il imaginé faire tenir à la poésie parmi les objets et les discours sociaux ? D'aussi vastes questions me donneront l'occasion de réfléchir à la signification et aux enjeux de la "restriction" qui permet au poète de délimiter son pouvoir d'action, dans "L'Action restreinte" en particulier mais aussi dans La Musique et les Lettres et dans "Catholicisme", trois textes rédigés en 1894-1895 dans des circonstances et pour des publics précis. Je proposerai, à l'occasion de cette table ronde, d'en interroger quelques passages difficiles ou énigmatiques afin d'éclairer le paradoxe suivant qui fait l'objet de mes recherches les plus récentes: la poésie est pour Mallarmé une activité à la fois confidentielle et partageable, commune. Elle a lieu pour tous, mais comme si chacun était l'unique, conformément à un "mythe" littéraire que le poète sauvegarde et disperse, celui de "la communion, par le livre. À chacun part totale" (OC, II, 76).

Maître-assistante à l'université de Genève, Annick Ettlin est l'auteure d'une monographie consacrée à Mallarmé, issue de sa thèse de doctorat (Le Double Discours de Mallarmé. Une initiation à la fiction, Ithaque, 2017). Ses travaux portent sur la poésie moderne et y définissent une théorie de la valeur. Ses articles sur Mallarmé ont paru notamment dans les revues Romantisme (n°175), Nineteenth-Century French Studies (n°45), Poétique (n°179) et Fabula-LHT (n°16).

Margot FAVARD : Figures de Maître chez Mallarmé
Figure tutélaire de la modernité poétique et théorique au XXe siècle, Mallarmé est déjà le Prince des poètes de la fin du siècle précédent tout en étant soupçonné d'imposture sinon de démence. Notre travail interroge les processus de cette sacralisation littéraire ambiguë et instable dont il est l'objet de son vivant, mais dont il est aussi le sujet actif. Dans une fin de siècle touchée, selon lui, par une "crise de vers", Mallarmé fait de cette crise le ressort paradoxal de son autorité et de la construction de sa figure d'auteur. Ce faisant, il façonne une reconfiguration du sacerdoce de l'écrivain après la "perte d'auréole" des poètes et la mort du maître Hugo. L'étude croisée des œuvres de Mallarmé et de ses conduites littéraires permet de rendre compte de la manière dont elles se déploient autour d'une crise de l'auteur tributaire d'une crise de l'autorité plus générale. Le poète ne cesse d'en interroger les fondements et d'en inventer de possibles résolutions. Observer les figures de Mallarmé en Maître critique, dans ses œuvres et dans les lieux où il se manifeste comme autorité charismatique en crise, met au jour comment s'expérimente chez lui la refonte d'un être-auteur à la fin du siècle. Par un jeu de disparitions annoncées et de crises rejouées, le poète forge son image de grand auteur et déploie sa présence singulière traversée par l'absence.

Margot Favard vient d'achever à l'université Paris Diderot et sous la direction d'Éric Marty une thèse intitulée "L'ère d'autorité se trouble". Figures de Maître chez Mallarmé. Elle est actuellement professeur de littérature en lycée. Elle a écrit plusieurs articles consacrés à Mallarmé.
Publications
"Mallarmé lisant ses pairs — sur "Quelques médaillons et portraits en pied"", dans Mallarmé herméneute, dir. T. Roger, CÉRÉdI, n°10, 2014.
"Hamlet, spectre et modèle de Mallarmé en Maître", dans Poète cherche modèle, dir. Corinne Bayle et Eric Dayre, Rennes, PUR, 2017.
"Mallarmé ne nous enseignait pas, les étranges leçons causeries d'un Maître poète", dans La Leçon en fiction, dir. Magalie Myoupo, Paris, Eurédit, 2018.
(avec Fanny Gribenski), "Mallarmé aux concerts Lamoureux. Figure magistrale du chef d'orchestre et rituel musical", dans Mallarmé au monde. Le spectacle de la matière, dir. Barbara Bohac et Pascal Durand, Paris, Hermann, à paraître.

Bernard FOURNIER : L'Académie Mallarmé
Fidèles des Mardis de Mallarmé, Édouard Dujardin, Paul Valéry et Saint Pol Roux, entre autres, fondent une Société Mallarmé qui organise principalement la pose de la plaque sur l'immeuble de la rue de Rome et sur la façade de la maison de Valvins. C'est peu, mais c'est essentiel pour la postérité du poète qui peine encore à être reconnu en 1912. En 1936, la Société devient Académie, à laquelle la presse donne un large écho, essentiellement grâce au Prix qu'elle décerne, le premier à Audiberti, puis à Patrice de la Tour du Pin, Jean Follain et Pierre Reverdy. Elle recrute rapidement parmi les jeunes poètes qui n'ont pas connu les Mardis, tel Jean Cocteau. Une part de la postérité de Mallarmé est liée à cette Académie qui porte son nom. Après-guerre cette institution a du mal à survivre et il faut attendre 1974 pour qu'un petit groupe de poètes proche de l'École de Rochefort, loin des préoccupations mallarméennes, la refonde avec Guillevic ou Georges-Emmanuel Clancier. Aujourd'hui son prix est l'un des plus prestigieux et contribue à l'image de Mallarmé lui-même.

Bernard Fournier est poète, secrétaire général de l'Académie Mallarmé, président de l'Association des Amis de Jacques Audiberti, animateur du café le "Mercredi du poète" à Paris et secrétaire de réaction de la revue Poésie / Première. Il a publié deux essais sur la poésie contemporaine, Marc Alyn et Guillevic, à qui il a consacré sa thèse de doctorat; des textes d’Audiberti; un petit roman sur un faux de Mallarmé et des poèmes, la trilogie Marches et en 2017 Lire les rivières.

Pierre-Henry FRANGNE : Mallarmé philosophe
Que signifie la revendication mallarméenne, ironique et critique, d'une littérature refusant vigoureusement les abstractions, "les cartonnages intellectuels", les "termes creux" de la philosophie, mais, dans le même temps, reprenant à la philosophie — de façon souterraine, "incluse et latente" — son bien et sa visée principale, à savoir la vérité? La communication tentera d'explorer et de déployer cette contradiction en analysant la façon dont le poète lit les philosophes et entretient une "conversation" avec eux d'une part, et la manière dont son écriture se constitue comme proprement philosophique ou philosophante d'autre part. L'enjeu est double: en quels sens peut-on dire qu'il faut lire les philosophes pour comprendre Mallarmé ? Inversement, en quels sens faut-il lire Mallarmé pour comprendre les philosophes et la philosophie ?

Pierre-Henry Frangne est professeur des universités. Il enseigne la philosophie de l'art et l'esthétique à l'université Rennes 2 (département d'histoire de l'art). Une part de son travail de recherche porte sur une interprétation philosophique de l'œuvre de Mallarmé et de l'ensemble du symbolisme. Il a créé et dirige la collection d'ouvrages de philosophie de l'art et d'esthétique Æsthetica aux Presses universitaires de Rennes (80 livres).

Vincent KAUFMANN : Mallarmé - Debord : allers-retours

Il n'y aura pour moi ni retour ni réconciliation. La sagesse ne viendra jamais (Guy Debord)
Brûlez, par conséquent. Il n'y a pas là d'héritage littéraire, mes pauvres enfants (Stéphane Mallarmé)

Le rapprochement entre Mallarmé et Debord peut sembler arbitraire, mais on s'efforcera de montrer qu'il n'en est rien. L'un et l'autre reçoivent en héritage le mythe du livre total considéré comme la fin — dans tous les sens du terme — des pratiques artistiques et littéraires individuelles ou séparées. Mais pour l'un et l'autre, le Gesamtkunstwerk fait pour et par tous est en fin de compte plutôt pour jamais que pour demain : l'interrègne durera et la révolution remise à une date ultérieure. Par conséquent l'un et l'autre mènent la vie dure à leurs lecteurs : ils ne veulent plus être suivis, ils réfutent ceux qui s'imaginent qu'ils les comprennent, ceux qui ont foi en eux — ils ne croient pas à la croyance, ni à la communauté. Ils ne veulent pas non plus d'héritiers, ils contraignent ceux qui s'approchent d'eux à une étrange liberté, qui leur importe plus que tout, parce qu'elle est la condition de possibilité de leur propre souveraineté ou de leur détachement. Comme si, en fin de compte, ils n'avaient rien fait d'autre que de prendre congé pour être libres.

Vincent Kaufmann est professeur de littérature française et détenteur de la chaire "Media & Culture" au Media and Communication Management Institute (MCM) de l'université de St. Gall (Suisse).
Publications
L'Équivoque épistolaire, Minuit, 1990 (traductions en anglais et italien).
Poétique des groupes littéraires, PUF, 1997.
Guy Debord : La Révolution au service de la poésie, Fayard 2001 (traductions en anglais, allemand et mandarin).
La Faute à Mallarmé. L'Aventure de la théorie littéraire, Seuil, 2011.
Der Einfall des Lebens. Theorie als geheime Autobiographie, Münich, Hanser, 2015.
Déshéritages, Furor, Genève, 2016.
Dernières nouvelles du spectacle. Ce que les médias font à la littérature, Seuil, 2017.

Quentin MEILLASSOUX : L'écriture du Néant hors de la mort de Dieu
Dans son étude de 1953 sur Mallarmé, Sartre écrit, à propos de l'auteur du Coup de dés : "Plus et mieux que Nietzsche il a vécu la mort de Dieu". Nous soutiendrons une thèse opposée : car, contrairement à ce que l'on a pu avancer, on ne peut faire de la fameuse lettre de Mallarmé sur le Néant du 28 avril 1866, dont procèdent toutes ses recherches ultérieures, une découverte d'un tel topos. L'expérience du Dieu mort avait en effet déjà nourri son écriture avant cette date, et conduit celle-ci à une forme d'impasse. L'originalité profonde de la crise de 1866 consiste bien plutôt en une épreuve du Néant qui constitue une rupture avec ce thème de jeunesse. [Par l'instauration d'une nouvelle écriture, centrée sur cette découverte, Mallarmé évitera à la fois le retour à la transcendance religieuse, et la reconduction de la mort de Dieu comme lieu commun poétiquement épuisé.]

Quentin Meillassoux est Maître de conférences en philosophie à Paris-1 (Panthéon-Sorbonne).
Publication
Le Nombre et la sirène. Un déchiffrage du Coup de dés de Mallarmé, Fayard, 2011.

Michel MURAT : Relancer le Coup de dés ?
Un temps assez long s'est écoulé depuis mon propre ouvrage sur le Coup de dés, depuis la somme de Thierry Roger sur le devenir littéraire de cette œuvre, et depuis l'hypothèse "numérologique" proposée par Quentin Meillassoux. On se demandera s'il vaut la peine de relancer la réflexion, en faisant le point sur trois questions : celle de l'interprétation globale du texte; celle de l'oralité virtuelle ou imaginaire; celle du rapport entre texte, livre et illustration.

Michel Murat est professeur émérite de littérature française à la Faculté des Lettres de Sorbonne-Université, et à l'École normale supérieure. Ses travaux ont porté sur Julien Gracq, sur l'histoire des formes poétiques, sur le surréalisme, plus récemment sur l'histoire littéraire et le romanesque des lettres.
Publications
L'Enchanteur réticent. Essai sur Julien Gracq, José Corti, 2004.
L'Art de Rimbaud, José Corti, 2002.
Le "Coup de dés" de Mallarmé, Belin, 2005.
Le Vers libre, Champion, 2008.
Le Surréalisme, Livre de poche, 2013.
Le Romanesque des lettres, José Corti, 2018.

Thierry ROGER : Mallarmé devant le hasard
On sait qu'Umberto Eco tenta de distinguer deux modes de lecture d'un texte : l'interprétation d'un côté, l'utilisation de l'autre. En matière d'exégèse mallarméenne, il y a selon nous deux manières de poser l'existence de ces limites de l'interprétation. Deux garde-fous s'imposent. D'un côté, au niveau micro-structural, la question de la syntaxe, le grand "pivot" de la lisibilité mallarméenne; de l'autre, au niveau plus macro-structural, celle du rapport au hasard. Dès lors que le hasard devient pour le commentateur du poète, valeur, allié, ami, matrice ou moteur, on bascule dans l'espace de l'utilisation. Chez Mallarmé, ni hasard aboli certes, mais ni hasard célébré. C'est une certitude assez mince, qui n'engage pas l'interprétation précise de tel ou tel poème. Cependant, cette ligne de partage des eaux critiques joue un rôle décisif : elle permet de situer Mallarmé dans une tradition littéraire ou philosophique; elle engage toute une idée du livre et du vivre. Cette communication entend préciser cette tradition comme cette idée, tout en se proposant de décrire comment s'articulent entre elles les notions, trop souvent scindées par la critique, de hasard, de nature, et de fiction.

Thierry Roger est Maître de Conférences en Littérature française du XXe siècle, et enseigne à l'université de Rouen. Il a publié en 2010 chez Classiques Garnier L'Archive du Coup de dés. Étude critique de la réception d'Un Coup de dés jamais n'abolira le hasard (1897-2007). Il a organisé en 2013 le colloque Mallarmé herméneute, dont les actes figurent parmi les publications numériques du CÉRÉdI. Il a édité, avec Didier Alexandre, le volume collectif Puretés et impuretés de la littérature (Classiques Garnier, 2015), et avec Caroline Andriot-Saillant Les Gestes du poèmes (publications numérique du CÉRÉdI, 2016). Ses domaines de recherche portent principalement sur l'héritage de Mallarmé et les questions d'herméneutique littéraire. Il est membre du Comité de lecture de la revue Études Stéphane Mallarmé.

Jean-Luc STEINMETZ : Le Coup de dés, poème océanique
Le Coup de dés qui, pour finir, déploie sa trajectoire au ciel, n'en provient pas moins d'un horizon océanique où l'embarcation, loin de se livrer au voyage du Bateau ivre, encourt le risque d'un naufrage — cependant que s'entraperçoit le "flanc enfant d'une sirène". Thématique (et l'on pense ici à Jean-Pierre Richard), idéologie spatiale, expérience existentielle liée au précédent Igitur inspireront ce nouveau commentaire, une fois encore joué dans l'apparence et les parages.

Jean-Luc Steinmetz, écrivain, professeur émérite de l'université de Nantes et membre de l'Académie Mallarmé.
Publications
Une dizaine de livres de poésie, dont le dernier, 28 ares de vivre, aux éditions du Castor astral en juin 2019.
Plusieurs livres d’essais, notamment chez José Corti, de quatre biographies, dont Stéphane Mallarmé. L'absolu au jour le jour (Fayard, 1997), prix H. Mondor de l’Académie française et prix P.G. Castex de l’Institut.
Éditions critiques parmi lesquelles Poésies et autres textes de Mallarmé (Le Livre de Poche, 2005).
Il a codirigé avec Bertrand Marchal, Mallarmé ou l'obscurité lumineuse, Colloque de Cerisy, Hermann Éditeurs, 1999 [réédition en 2014, collection "Cerisy / Archives].

Patrick SUTER : Crise de rime : Mallarmé et l'écologie de la culture (Divagations et autres textes théoriques)
Mallarmé a reconnu l'indépendance de la langue par rapport à la nature. "La nature a lieu, on n'y ajoutera pas; que des cités, des voies ferrées" (La musique et les Lettres). Ce faisant, il réitérait l'opposition de Descartes entre res extensa et res cogitans. Mais la poésie doit saisir les relations "entre tout", comme le fera cette science nouvelle qu'est l'écologie, dont les bases sont posées par Ernst Haeckel l'année même de la crise d'Hérodiade. Or Mallarmé perçoit que l'état de culture dans lequel il se trouve est problématique et empêche de penser les "relations entre tout". Il diagnostique une crise de vers; mais la crise est aussi une crise de la rime, sans laquelle, lit-on dans "Solennité", "un usurpe". Dans Étalages, Mallarmé s'intéresse aux cycles industriels de la chose imprimée; dans "Le Livre, instrument spirituel", le journal est assimilé à un "lambeau", c'est-à-dire à un déchet, alors que les colonnes de ses pages transférées au livre transforme le volume en déversoir. Baudelaire avait montré dans le premier poème des "Tableaux parisiens" comment le "paysage" était désormais abîmé; avec Mallarmé débute une prise de conscience d'une crise écologique de la culture.

Patrick Suter est professeur de littérature française l'université de Berne. Écrivain, il est l'auteur de nombreux articles sur les avant-gardes (dans le sillage mallarméen). Il a (co)dirigé des publications collectives sur Pinget, Goldschmidt et l'interculturalité.
Publications
Le journal et les Lettres: 1. De la presse à l'œuvre (Mallarmé – Futurisme, Dada, Surréalisme); 2. La presse dans l'œuvre (Butor, Simon, Rolin), MētisPresses , 2010.
Le Contre-geste, La Dogana.
Faille, MētisPresses.
Frontières, Passage d'encre.

Patrick THÉRIAULT : Portrait d'un histrion véridique : Mallarmé selon Daniel Oster
Tout au long de sa carrière d'écrivain et de critique, et jusqu'au seuil de sa mort, Daniel Oster (1938-1999) se sera confronté au texte et au personnage littéraire de Mallarmé. Derrière l'image cristallisée par l'histoire littéraire, et largement conditionnée par le poète lui-même, qui plaçait Mallarmé en retrait de l'ordre social, dans l'idéalité d'une poésie purement spéculative, Oster aura contribué à révéler un acteur social étonnamment bien adapté aux exigences de figuration et de représentation du champ littéraire de la fin du siècle, jusqu'à pouvoir prétendre au titre d'"auteur le plus intimement et véridiquement théâtral qui fût(1)". C'est cette audacieuse et ingénieuse tentative d'analyse "mytho-bio-graphique", à la lumière de laquelle le poète et l'homme Mallarmé apparaissent se coordonner pour incarner l'"individu littéraire" par excellence, que nous nous proposons ici de décrire.
(1) Daniel Oster, L'Individu littéraire, Paris, PUF, "Écriture", 1997, p. 4.

Patrick Thériault est professeur de littérature française à l'université de Toronto. Il assume actuellement la codirection de la revue spécialisée en études françaises Arborescences. Ses recherches portent principalement sur la modernité poétique et l'histoire des idées au XIXe siècle.
Principaux travaux sur Mallarmé
Monographie: Le (dé)montage impie de la Fiction : la révélation moderne de Mallarmé, Champion, 2010.
Une douzaine de chapitres de livre et d'articles de revue, publiés notamment dans Poétique (n°176), Romantisme (n°158), Études françaises (n°52), COnTEXTES (n°9) et Nineteenth-Century French Studies (n°43).

Gilles TRONCHET : Pour saluer Salut : à propos d'une analyse textique accomplie par Jean Ricardou
Peu avant l'an deux mille, dans le cadre du Séminaire annuel de textique, une contribution de Dolores Vivero attirait l'attention sur l'architecture très organisée du poème Salut, placé par Mallarmé à l'incipit du recueil Poésies. Dans les années ultérieures, Jean Ricardou s'est attaché à développer l'analyse, en recourant aux outils conceptuels qu'il avait mis au point avec la théorie de l'écrit que constitue la textique. Il a non seulement déployé de façon exemplaire les minuties d'un examen éclairant de façon magistrale les structures profuses que comporte Salut, mais s'est interrogé sur l'articulation possible de ce texte avec d'autres écrits de Mallarmé, Un coup de dés, l'ensemble des Poésies et certains développements offerts par Divagations. Jean Ricardou, absorbé par d'autres travaux, n'a pas eu l'occasion de mettre la dernière main à la publication de cette longue étude : elle va paraître en 2019 aux Impressions Nouvelles dans la collection "Textica", l'édition étant procurée par Erica Freiberg et Gilles Tronchet. Cette parution fait suite à celle, en 2018, dans la même collection, d'un autre ouvrage posthume de Jean Ricardou, Intelligibilité structurale de la page, où le traitement de l'espace dans Un coup de dés a fait l'objet d'une prise en compte approfondie. Cette communication a pour objectif d'exposer la démarche analytique suivie par Jean Ricardou et de montrer les principaux résultats d'un travail qui, outre l'éclairage qu'il procure sur son objet immédiat, Salut, donne à réfléchir sur certains aspects majeurs de l'écriture poétique à l'œuvre chez Mallarmé.

Enseignant la langue et la littérature latines à l'université de Nantes, Gilles Tronchet s'est aussi beaucoup intéressé à la théorie de l'écrit et des opérations d'écriture, la textique, initiée par Jean Ricardou. Il a publié en 2012 un ouvrage intitulé Aperçu de la textique et participe actuellement à un travail collectif pour l'édition posthume d'ouvrages de Jean Ricardou, avec notamment Intelligibilité structurale de la page, paru en 2018, et Salut aux quatre coins (Mallarmé à la loupe), à paraître en 2019.


LES LOISIRS DE LA POSTE

Quatrains et lettres de Stéphane Mallarmé

Compagnie PMVV le grain de sable > Lecture > Création

Parmi les Vers de circonstance de Stéphane Mallarmé, Les loisirs de la poste sont une collection de quatrains rédigés en guise d'adresses sur des enveloppes dont le format rectangulaire convenait parfaitement à ce singulier exercice. Mallarmé envoya des dizaines de courriers libellés ainsi à ses proches ou ses amis écrivains, peintres, musiciens. Aucune des adresses en vers n'a manqué son destinataire…

Conception et interprétation : Philippe Müller, Vincent Vernillat.

Avec le soutien de la Fondation d'entreprise La Poste.

Sites : rencontresdete.fr // legraindesable.net


SOUTIENS :

Université de Paris-Sorbonne
• Centre d'études et de recherche Éditer / Interpréter (CÉRÉdI) | Université de Rouen Normandie
Académie Mallarmé
Fondation d'entreprise La Poste

Programme 2019 : un des colloques

Programme complet


HUMAINS, ANIMAUX, NATURE :

QUELLE ÉTHIQUE DES VERTUS POUR LE MONDE QUI VIENT ?


DU LUNDI 24 JUIN (19 H) AU LUNDI 1er JUILLET (14 H) 2019

[ colloque de 7 jours ]



DIRECTION :

Gérald HESS, Corine PELLUCHON, Jean-Philippe PIERRON


ARGUMENT :

L'éthique des vertus met l'accent sur les motivations concrètes des personnes, au lieu de se focaliser sur les normes en se contentant d'énoncer des interdictions et des obligations. Elle aide ainsi à combler l'écart entre la théorie et la pratique qui est particulièrement dramatique à un moment où nombre d'individus comme d'États reconnaissent la réalité du changement climatique mais ne parviennent pas à réorienter les modes de production ni à reconvertir l'économie.

Quelles représentations et quels affects expliquent que l'on puisse avoir du plaisir à consommer autrement ? Quel processus de subjectivation permet de se sentir solidaire des autres vivants et d'acquérir les traits moraux indispensables à la transition écologique qui repose autant sur le volontarisme politique que sur la capacité des citoyens à modifier leurs styles de vie et à s'organiser sur le plan social et politique ? Telles sont les questions qui réuniront des acteurs de la société civile et des chercheurs issus de disciplines différentes (économie, littérature, philosophie, psychologie, science politique, sociologie, théologie).


CALENDRIER DÉFINITIF :

Lundi 24 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants


Mardi 25 juin
POURQUOI UNE ÉTHIQUE DES VERTUS AUJOURD'HUI ?
Matin
Gérald HESS, Corine PELLUCHON & Jean-Philippe PIERRON : Introduction
Olivier RENAUT : L'éthique des vertus : ancrage antique et enjeux contemporains

Après-midi
Corine PELLUCHON : Quelle éthique des vertus ? Transdescendance et considération

Lecture de textes de philosophes et de poètes


Mercredi 26 juin
ÉTHIQUE DES VERTUS, TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET SOLIDAIRE
Matin
Réflexions des élèves du collège Anne Heurgon-Desjardins de Cerisy sur la manière dont les relations avec les animaux et la nature doivent évoluer

Stephen M. GARDINER : Virtue Ethics in a Changing Climate

Après-midi
Table ronde, avec :
Sophie SWATON : Le revenu de transition écologique
Bruno VILLALBA : La relation à la violence dans les théories de la transition. Éthique de l'esquive

Des innovations dans l'alimentation, l'agriculture, l'élevage, la mode (dialectiques agricoles, permaculture), table ronde avec :
Géraldine VALLEJO : Façonner le Luxe de Demain
Amandine LEBRETON : La transition alimentaire, l'élevage et la mode
Anahid ROUX-ROSIER : L'éthique de la permaculture : au-delà de l'aphorisme

Soirée
Les animaux et la biodiversité
Allain BOUGRAIN DUBOURG : Biodiversité, état des lieux
Entretien entre Muriel ARNAL et Corine PELLUCHON


Jeudi 27 juin
ÉTHIQUE DES VERTUS, TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET SOLIDAIRE
Matin
Rémi BEAU : L'écologie relationnelle et la critique de l'égologie

Ce que les animaux nous enseignent, table ronde avec :
Isabel BUIL : #AnimauxSoigneurs
Muriel ARNAL : Individualité animale et divertissement humain

Après-midi
DÉTENTE


Vendredi 28 juin
ÉTHIQUE DES VERTUS ET POLITIQUE
Matin
Gérald HESS : Conscience écologique, vertus et communauté politique
Dominique BOURG : L'entrée en politique des modes de vie à l'Anthropocène

Après-midi
Moteurs du changement et minorités agissantes, table ronde avec :
Floran AUGAGNEUR : Influence de la minorité vegan : une illustration des théories de Serge Moscovici
Caroline LEJEUNE : Vivre avec la sobriété imposée : politiques du renoncement

Soirée
De la spiritualité à l'écologie, aller et retour, autour de Dominique BOURG


Samedi 29 juin
ÉTHIQUE DES VERTUS, PSYCHOLOGIE ET ÉDUCATION MORALE
Matin
Jacques BESSON : Addictologie et Écologie

Table ronde [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture], avec :
Michel Maxime EGGER : Retrouver notre unité avec la Terre : les voies de l'écopsychologie
Layla RAÏD : Val Plumwood et les lieux particuliers : perspectives écoféministes sur les lieux de vie

Après-midi
L'esthétique environnementale, table ronde avec :
Quentin BAZIN : Quelques délires lucides d'anarchitectes : des vertus contagieuses ?
Pascal FERREN : Tentatives pratiques pour une culture de la transition : intentions, expériences et obstacles
Yvon INIZAN : Poésie de la présence chez Yves Bonnefoy et éthique des vertus


Dimanche 30 juin
ÉTHIQUE DES VERTUS ET SPIRITUALITÉS
Matin
Jean-Philippe PIERRON : L'attention
Simon P. JAMES : Buddhism, Virtue and Environmental Ethics

Après-midi
Table ronde, avec :
François EUVÉ : Humains, animaux, nature : approche catholique
Otto SCHAEFER : Vertus vertes : ce que la relation au végétal inspire à l'éthique
Bruno FISZON : La place des animaux dans la Création
Omero MARONGIU-PERRIA : Une approche musulmane de la personnalité animale

Nathanaël WALLENHORST : L'éducation en anthropocène [texte lu par Jean-Philippe PIERRON]


Lundi 1er juillet
Matin
Synthèse par les doctorants : Gaël BERTHIER, Samuel GAUDINEAU, Marco DAL POZZOLO, Christophe GILLIAND, Iris DERZELLE, María Grace SALAMANCA GONZÁLEZ, suivie d'une intervention de Joël CECCALDI

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Muriel ARNAL : Individualité animale et divertissement humain
L'exploitation d'animaux sauvages pour le divertissement des humains est présentée comme utile car pédagogique, comme le moyen de diffuser des connaissances sur les espèces, et d'éduquer les enfants à la nécessité de les protéger. Qui sont les individus "présentés" dans les cirques et les delphinariums ? Quels sont leurs désirs ? Leur vérité d'être ? Leurs besoins ? Quelle est leur vie dans les cirques et les parcs marins? Et pour les jeunes générations : quelle pédagogie ? quel apport ? quelle transmission ? quelle influence ? Au moment où les individus disparaissent inexorablement dans la nature, et à l'aune des connaissances et savoirs sur l'identité et la vie intérieure des animaux sauvages, le bien-fondé de leur exhibition dans des spectacles n'a jamais été autant remis en question.

Muriel Arnal est présidente de One Voice qu'elle a fondée en 1995, pour une éthique animale et planétaire. Les combats de l'association sont centrés autour des individus, dans la vision de l'unité des combats : pour les animaux, pour les humains et pour la Nature.

Floran AUGAGNEUR : Influence de la minorité vegan : une illustration des théories de Serge Moscovici
Que nous enseigne l'œuvre monumentale de Serge Moscovici, à la fois pionnier de l'écologie politique en France et psychologue social de renommée mondiale, sur l'évolution du mouvement écologiste et sur celle du mouvement vegan ? Nous présenterons sa théorie de l'influence, de l'innovation sociale et des transformations de l'histoire, en partie opposée à celles portées par l'écologie inspirée de la philosophie de Hans Jonas, tant sur le versant éthique que démocratique. À partir de ces théories, et en prenant exemple de la "minorité vegan", nous montrerons comment les sociétés innovent et se transforment: par quels mécanismes psychiques les minorités actives deviennent des forces productrices et créatrices.

Floran Augagneur est vice-président de la Commission nationale du débat public, autorité administrative indépendante garante de la démocratie environnementale.
Publications
"La vie n'existe que là où il y a des hommes. Serge Moscovici : l'écologie ou la raison du peuple", Revue scientifique interdisciplinaire de développement durable Vraiment Durable, n°5/6, 2015.
"Serge Moscovici", dans Dictionnaire de la pensée écologique, dirigé par Dominique Bourg et Alain Papaux, Paris, PUF, 2015.
"Écologie et psychologie sociale : Agir dans (nos représentations sociales de) la nature", dans Souci de la Nature. Apprendre, Inventer, Gouverner, sous la direction de Cynthia Fleury et d’Anne-Caroline Prévot, Paris, CNRS Éditions, 2017.

Quentin BAZIN : Quelques délires lucides d'anarchitectes : des vertus contagieuses ?
L'art brut nous invite à découvrir et à considérer des personnes qui répondent à des intensités diverses de brutalités institutionnelles (assujettissements ou marginalisations économiques, prescriptions de devoir-être, incarcérations thérapeutiques ou juridiques) par des pratiques inventives et singulières, par une perturbation locale et remarquable de leurs rapports au monde. Davantage qu'une aubaine pour les collectionneurs ou le marché de l'art, qu'une source d'inspiration pour les arts contemporains, ou qu'une nouvelle fascination culturelle, ce qui a été nommé "art brut" gagne à être articulé avec une pratique contemporaine : la psychothérapie institutionnelle. Selon cette méthode d'analyse, avant de prétendre être en mesure de prodiguer des soins, il faut que les institutions soient elles-mêmes soignées par une résolue remise en cause de leurs pratiques et impensés habituels. Les premières institutions concernées ont été l'hôpital psychiatrique, puis l'école, qu'en est-il aujourd'hui de ce projet de transformation sociale ? Remontant aux origines communes de l'art brut et de l'analyse institutionnelle, nous verrons que la conception "brute" de la créativité permet leur articulation vertueuse, et que nous avons très probablement à apprendre de ces bricolages existentiels (issus de l'art brut et des anarchitectures écosophiques comme celles de Chomo, de Michel Rosell, ou d'Armand Schulthess), en inventant à notre tour des pratiques qui ne relaient pas docilement les brutalités ambiantes.

Quentin Bazin a fait des études de philosophie et d'histoire de l'art à Lyon, principalement sur la pratique de la collection (à travers les cabinets de curiosités) et sur la pensée de l'écologie radicale (à travers le jardin comme lieu de vie). Il termine actuellement sa thèse au sein des universités Jean-Moulin Lyon III et Grenoble-Alpes, qui s'intitule : "De l'art brut au laboratoire itinérant (Pragmatique de l'incommunicable)". Celle-ci étudie la notion récente de "créativité" en philosophie, à travers les controverses qui animent la notion d'art brut, les écrits de Guattari, Castoriadis, Maldiney, Simondon, et l'élaboration d'une proposition culturelle.

Jacques BESSON : Addictologie et Écologie
Il est frappant de constater le parallélisme des concepts de l'addictologie avec ceux de l'écologie, qu'on en juge : sobriété, consommation excessive, perte de contrôle du comportement malgré les conséquences négatives, dépendance, automatisation… Dès lors, à l'heure des neurosciences, il est intéressant de se pencher sur les mécanismes neurobiologiques largement inconscients qui déterminent les facteurs de risque de cette perte de contrôle, responsable d'une fuite en avant irrationnelle. Les vulnérabilités à l'addiction sont constituées de facteurs biologiques génétiques hérités, mais aussi de facteurs déterminants psychologiques et psychopathologiques, au nombre desquels on retiendra les antécédents psychotraumatiques, parmi lesquels la négligence et la maltraitance précoce. Un troisième ordre de vulnérabilité réside dans le contexte socio-culturel et la tolérance sociale aux comportements abusifs et déviants. Dans ce cadre, il est nécessaire de relever l'impact particulièrement favorable de la spiritualité sur la santé, tant physique que mentale. Ceci est spécifiquement pertinent dans le champ des addictions : en effet, de nombreux exemples d'entraide spirituelle, comme les Alcooliques Anonymes, ont montré l'efficacité de ce type de solidarité sur la résilience et le rétablissement. De même des études récentes de neuroimagerie cérébrale ont montré le même impact favorable de la méditation et de la prière sur le changement de comportement, la réduction de l'automatisation et le recouvrement du contrôle de la consommation. L'exposé développera ces aspects interdisciplinaires, grâce à l'apport des neurosciences cognitives, dans une nouvelle approche qu'il est convenu d'appeler neurothéologie, permettant un rapprochement entre spiritualité et environnement.

Jacques Besson est professeur honoraire de psychiatrie à la Faculté de biologie et de médecine de l'université de Lausanne. Addictologue, il s'intéresse depuis de nombreuses années aux rapports entre neurosciences et spiritualité et entre psychiatrie et religion.
Publication
Addiction et spiritualité, Erès, 2017.

Allain BOUGRAIN DUBOURG : Biodiversité, état des lieux
Le vivant apparaît sur la planète il y a quelque 3 milliards ½ d'années mais, alors que nous avons marché sur la lune, nous ne connaissons que 2 millions d'espèces. Nous savons, en revanche, que la biodiversité subit un déclin alarmant. En cause, l'artificialisation, le réchauffement climatique, les espèces invasives, l’agriculture intensive, etc… Quel avenir pour la nature dont nous dépendons ? Quelle place accordons nous aux animaux ? Quel rôle chacun peut-il jouer ? C'est notamment à ces questions qu'Allain Bougrain Dubourg souhaite apporter un éclairage.

Engagé dans la protection de la nature et des animaux dès l'âge de 12 ans, Allain Bougrain Dubourg crée l'exposition itinérante "Le pavillon de la nature" afin de plaider la cause des espèces "malaimées". Puis, il anime des émissions de télévision animalières durant plus de 30 ans. Chroniqueur sur Europe 1. Président de la LPO, administrateur de la Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité, membre du Comité National de la Biodiversité, etc… il est Officier dans l'Ordre de la Légion d'Honneur et du Mérite National.
Publications
Il faut continuer de marcher. Mémoires, La Martinière, 2015.
Lettres des animaux à ceux qui les prennent pour des bêtes, Les Échappés, 2018.

Dominique BOURG : De la spiritualité à l'écologie, aller et retour
Je repartirai des deux sens que j'ai donnés au mot "spiritualité", les sens ontologique et de réalisation de soi. Je les rappellerai puis montrerai comment ils commandent toute approche écologique. J'essaierai alors de proposer une interprétation de la fin de la modernité avec cette grille.

Dominique Bourg est philosophe et professeur à l'université de Lausanne. Il dirige la collection "L'écologie en questions" et la revue en ligne "La pensée écologique" aux Puf. Il est ou a été membre de plusieurs commissions françaises: la CFDD, la Commission Coppens chargée de préparer la Charte de l'environnement désormais adossée à la Constitution française, le Conseil national du développement durable; il a vice-présidé la commission 6 du Grenelle de l'environnement et le groupe d'études sur l'économie de fonctionnalité et a participé à la Conférence environnementale de septembre 2012. Il a été membre du conseil scientifique de l'Ademe. Il est président du Conseil scientifique de la Fondation pour la Nature et l'Homme et a participé à l'Organe de prospective de l'État de Vaud (2008- 2016). Ses domaines de recherches sont l'étude de la pensée écologique, les risques et le principe de précaution, l'économie circulaire, le débat public et la démocratie écologique.
Derniers ouvrages parus
Perspectives on Industrial Ecology, Greenleaf Publishing, 2003 / Routledge 2017.
Écologie intégrale. Pour une société permacirculaire, avec Christian Arnsperger, PUF, 2017.
Inventer la démocratie du XXIe siècle. Une Assemblée citoyenne du futur, D. Bourg et alii, L.L.L., 2017.
Une nouvelle Terre, Desclée de Brouwer, 2018.

Isabel BUIL : #AnimauxSoigneurs
Les Interventions assistées par des animaux de compagnie (IAA) sont des actions thérapeutiques dans le cadre desquelles un professionnel du domaine de l'éducation ou de la santé utilise un animal qui répond à des critères spécifiques et qui a été spécialement entraîné à cette fin en tant que partie intégrante d'un processus de traitement. Ce dernier comprend évidemment une série d'objectifs, un contrôle de l'interaction entre l'intéressé et l'animal et une évaluation des progrès et des résultats. Ce type de thérapies nous permet de travailler dans 4 domaines différents. Sur le plan physique, nous promouvons le mouvement, l'activité physique, la motricité et l'équilibre des patients. Sur le plan cognitif, nous travaillons le renforcement de la mémoire et de tous les processus d'apprentissage. Au niveau émotionnel, nous favorisons la libération des sentiments et des émotions. Et pour ce qui est des relations, nous motivons la communication avec l'entourage, améliorant ainsi les relations interpersonnelles.

Née à Huesca en Espagne en 1969, Isabel Buil a étudié le droit à l'université de Saragosse, puis réalisé un MBA (Master in Business Administration) à l'IESE de Barcelone. Il y a 3 ans, elle a complété sa formation avec un diplôme en Management des ONG & Administration à l'ESADE de Madrid. Elle a travaillé dans les services Maketing d'entreprises internationales (Pepsico, Adidas) dans différentes villes. Il y a 6 ans, elle a saisi l'opportunité de diriger la Fondation Affinity, où elle a renforcé la recherche dans le domaine du lien Homme-Animal par le biais de la Chaire à l'université Autonome de Barcelone (Département Psychiatrie), les programmes de zoothérapie, et la responsabilisation de la parentalité envers les animaux de compagnie via des campagnes de communication digitale d'abord en Espagne, puis depuis 2017 en France.

Michel Maxime EGGER : Retrouver notre unité avec la Terre : les voies de l'écopsychologie
Émergence dans un temps d'urgence planétaire, l'écopsychologie est un champ de recherche transdisciplinaire qui s'est développé avant tout dans le monde anglo-saxon. Elle offre des pistes novatrices pour la santé conjointe de la psyché humaine et de la Terre, comme fondement d'une société véritablement écologique. Son projet se déploie sur plusieurs axes, notamment : 1) Une tâche psychologique pour - à travers un travail sur les émotions comme la peur, l'impuissance et le découragement - sortir du déni et de l'inertie pour nourrir les capacités de résilience et d'engagement ; 2) Une tâche éducationnelle pour répondre à la déconnexion envers la nature, qui est à la racine de la crise écologique, et favoriser une ontogenèse plénière, c'est-à-dire la croissance d'un être humain capable de relations harmonieuses avec les autres, humains et non humains ; 3) Une tâche anthropologique pour passer du moi égocentré et séparé au soi écocentré et relié, en réintégrant la nature dans la psyché humaine et en explorant la notion d'inconscient écologique ; 4) Une tâche écopratique et écothérapeutique pour accompagner les personnes dans leur chemin de reliance profonde à la Terre et à tous les êtres qui l'habitent.

Sociologue et écothéologien, Michel Maxime Egger est responsable du laboratoire de "transition intérieure" à l’ONG suisse Pain pour le prochain, co-directeur de la collection "Fondations écologiques" aux éditions Labor & Fides et animateur du réseau trilogies.org qui met en dialogue traditions spirituelles et grands enjeux écologiques.
Publications
Soigner l'esprit, guérir la Terre. Introduction à l'écopsychologie, Labor & Fides, 2015.
Écopsychologie. Retrouver notre lien avec la Terre, Jouvence, 2017.

François EUVÉ : Humains, animaux, nature : une approche catholique
Le christianisme serait-il "la religion la plus anthropocentrique qui soit" (Lynn White) ? L'idée d'un homme créé "à l'image de Dieu" invité à "soumettre et dominer" la terre inciterait à le penser. Ce n'est pas fortuit que l'émergence d'une relation technologique au monde soit survenue en contexte chrétien, en dépit de la relation conflictuelle du catholicisme à la modernité. La sensibilité écologique actuelle oblige à reprendre la question sur le plan fondamental, comme y invite l'encyclique Laudato si'. Une nouvelle lecture de la Bible et de la tradition théologique fournit de nouvelles ressources pour penser le rapport triangulaire, Dieu, homme, nature (non-humaine). On insistera en particulier sur la dimension d'"agentivité" de l'ensemble des composantes du monde, chacune dans son ordre.

François Euvé, Jésuite, ancien élève de l'École Normale Supérieure de Cachan et agrégé de physique, professeur de théologie systématique aux Facultés jésuites de Paris (Centre Sèvres), rédacteur en chef de la revue Études.
Publications
Pour une spiritualité du cosmos. Découvrir Teilhard de Chardin, Paris, Salvator, 2015 (traduit en coréen).
Darwin et le christianisme. Vrais et faux débats, Buchet-Chastel, 2009 (traduit en polonais et en russe).
Penser la création comme jeu, Éd. du Cerf, "Cogitatio fidei", 2000 (traduit en portugais).

Pascal FERREN : Tentatives pratiques pour une culture de la transition : intentions, expériences et obstacles
Depuis huit ans, je conçois et mène des expériences visant à faciliter auprès de plusieurs populations (des urbanistes, des agents de collectivités, ou de l'État, des professionnels de la culture, des panels d'usagers d'un espace, etc.) une appropriation des enjeux des mutations territoriales, une meilleure responsabilité face aux changements climatiques ou encore une forme plus globale de culture de la transition sociale et environnementale. À tous les stades de ces expériences, j'ai relevé de manière constante des formes variées de résistance aux changements au cœur de ce que l'on pourrait appeler les "cultures professionnelles". Tout semble se passer comme si les représentations des responsabilités professionnelles des individus constituaient une sorte d'obstacle à l'imagination et au désir d'un ou de plusieurs avenirs possibles. Comme si le dispositif d'éclatement des responsabilités entre des sphères de vie (famille, facebook, ami, travail, militantisme associatif, vie politique, etc.) rendait impossible une projection de l'individu dans la transition (elle-même nécessairement transversale à ces sphères de vie). Pointant du doigt ce phénomène et ses facettes, en écho aux remarques déjà anciennes d'Ivan Illich sur la professionnalisation des sujets, nous envisagerons et présenterons quelques tentatives pour une culture de la transition comme autant de manières de malaxer la consistance morale des individus par des propositions, souvent artistiques ou au moins créatives, autour des formes d'organisations collectives, des engagements physiques, des expériences intercognitives ou interprofessionnelles, etc. Nous nous demanderons ensemble si ceci n'est pas l'autre nom d'une réinterrogation de la nécessité d'exercices moraux. En somme, la question peut également se poser ainsi: puisque la facilitation d'une culture de la transition exige des individus, non préparés à cela et conditionnés à l'inverse, d'imaginer et de vouloir eux-mêmes leur propre avenir, dans quelle mesure des œuvres, dispositifs, processus artistiques peuvent-ils agir de manière juste et efficace ? Et la réponse pratique que je tente de développer, radicalement non conceptuelle, expérimentale et empirique, rugueuse et parfois abrasive, s'appuie sur des essais, des cas pratiques, des fulgurances, des échecs retentissants, des astuces ou des tactiques visant parfois, simplement, à pointer du doigt la possibilité d'une éthique.

Après des études de philosophie générale et un master "Éthique et Développement durable" à l'université de Lyon, Pascal Ferren travaille à l'Agence d'urbanisme pour le développement de l'agglomération lyonnaise. Il y développe des méthodes d'urbanisme sensible et collaboratif dans le cadre des ateliers d'innovation en urbanisme. En 2012, il rejoint le POLAU-pôle arts et urbanisme. Il accompagne dès lors différentes démarches artistiques et culturelles intégrant des enjeux sociaux et territoriaux. Il intervient dans différentes régions françaises et pour le compte de commanditaires variés (SEM, aménageurs, collectivités, État, etc.) en développant des réponses pratiques aux demandes d'évolution structurelle et méthodologique de ceux et celles qui font les villes et les campagnes.

Bruno FISZON : La place des animaux dans la Création
Le récit biblique de la Création place l'Homme au sommet de celle-ci; toutefois l'apparition des animaux y est mentionné selon un ordre bien précis. Quelle place alors le judaïsme, à travers le récit de la Thora, laisse-t-il aux animaux ? Ne sont-ils que du décor dans lequel l'homme va se mouvoir ? Ou sont-ils à leur niveau, des acteurs dans le projet divin ? Se pose aussi la question de leur consommation qui est objet de débat chez les maîtres. Enfin quelles sont les règles enseignées par le judaïsme sur le respect des animaux et aussi l'interdiction des souffrances qui peuvent leur être infligées ? Voici quels éléments de débat que nous vous proposons de partager.

Bruno Fiszon est docteur vétérinaire (Nantes), docteur en Sciences (Faculté de Chateney Malabry), Ancien élève de L'Institut Pasteur, Grand Rabbin de Metz et de la Moselle, Conseiller de Mr le Grand Rabbin De France et Membre de l'Académie Vétérinaire de France et du Comité National d'Éthique des abattoirs.

Stephen M. GARDINER : Virtue Ethics in a Changing Climate
Le travail philosophique sur des thèmes du monde réel est parfois ramené à de la simple éthique "appliquée", comme si tout ce qu'il implique consistait à prendre une théorie développée "prête à l'emploi" et à voir quelles en sont les conséquences directes pour le problème en question. Par contraste, je prétends qu'un gros travail en éthique pratique consiste à explorer les approches courantes et les défis qu'elles soulèvent pour la théorie aussi bien que la pratique. Dans mon intervention, je justifie ce point de vue en m'attaquant au rôle de l'éthique des vertus pour penser le changement climatique. Dans la première partie, je considère la façon dont l'éthique des vertus pourrait se confronter au problème de motivation de la génération actuelle des nantis à faire face à un enjeu intergénérationnel. Dans la seconde partie, j'explore la façon dont les nouvelles technologies radicales de géoingénierie pourraient élargir les limites des vertus actuelles et nous amener à penser quelques-unes des anciennes vertus aristotéliciennes de manière nouvelle.

Stephen M. Gardiner est professeur de philosophie et détenteur de la chaire Ben Rabinowitz des Dimensions humaines de l'environnement à l'université de Washington à Seattle, où il est également Directeur du Programme sur l'éthique. Ses recherches portent sur les problèmes environnementaux globaux, les générations futures et l'éthique des vertus.
Publications
A Perfect Moral Storm, Oxford, 2011.
Co-auteur de Debating Climate Ethics, Oxford, 2016.
Éditeur de Virtue Ethics, Old and New, Cornell, 2005.
Co-éditeur de Oxford Handbook of Environmental Ethics, Oxford, 2016.
Co-éditeur de Climate Ethics : Essential Readings, Oxford, 2010.

Gérald HESS : Conscience écologique, vertus et communauté politique
Dans ses deux derniers ouvrages, Les nourritures (2015) et Éthique de la considération (2018), Corine Pelluchon montre la contribution qu'apporte une philosophie du sujet corporel à l'explicitation de la situation existentielle qui est la nôtre face aux défis environnementaux. À travers une prise de conscience de notre vulnérabilité et grâce à une transformation de soi, une éthique de la considération vise à préserver l'habitabilité du monde et sa durabilité. Toutefois, que peut bien signifier un monde durable pour lequel s'engager, lorsqu'on le confronte à sa mort propre prochaine, à sa mort-à-venir ? Cette communication radicalisera cette philosophie de la corporéité du point de vue de la temporalité, afin de rendre la durabilité du monde aussi palpable et concrète que possible. La durabilité sera pensée à partir de ma propre mort, non pas comme une limite irreprésentable et infranchissable qui en vient à opposer la mort à la vie, mais comme une dimension de la vie elle-même. Sur le plan biologique, le phénomène du vieillissement d'abord en est la manifestation la plus immédiate. Sur le plan psychologique, la mort propre s'actualise à la mesure d'un décentrement ou d'un abandon de soi. Retournant à mon expérience corporelle sensible et vivante, je me dépouillerai de mon identité personnelle et sociale pour vivre — phénoménologiquement (selon diverses modalités) — des points de vue différents du mien, celui d'un animal, d'un végétal ou d'une montagne par exemple. Ultimement, le point de vue devient celui qui ne correspond à aucun point de vue particulier, comme peut l'être un point de vue esthétique sur le tout de la nature — là où, par l'imagination, la subjectivité s'efface momentanément pour faire place au monde lui-même. Cette dimension cosmique de l'expérience de la corporéité a des effets sur le comportement des agents, à la fois dans leur manière d'être et d'agir et d'envisager le vivre-ensemble. La dernière partie s'attachera à relever, d'une part, les diverses dispositions pratiques — les vertus — relatives à une durabilité concrète, et, d'autre part, à décrire le sens que revêt la communauté politique dans la perspective d'un décentrement de soi.

Gérald Hess est philosophe et juriste, titulaire d'un doctorat en philosophie de l'université de Lausanne, actuellement maître d'enseignement et de recherche en éthique et philosophie de l'environnement dans cette université.
Publications
Éthiques de la nature, PUF, 2013.
Éditeur en collaboration avec Dominique Bourg de Science, conscience et environnement, PUF, 2016.
Il est également l'auteur de nombreux articles dans des revues spécialisées à l'audience internationale dont international Journal of the Commons, The Trumpeter et VertigO.

Yvon INIZAN : Poésie de la présence chez Yves Bonnefoy et éthique des vertus
En cherchant à faire apparaître certains éléments caractéristiques d'une poésie de la présence à travers l'analyse de certains thèmes fondateurs de la pensée et de l'écriture d'Yves Bonnefoy, on se demandera s'il y a dans cette écriture quelque chose comme une visée éthique ? Il s'agira alors d'interroger la façon dont le poète articule, dans son écriture, la visée proto-éthique de la présence avec le souci proprement éthique de la compassion. Cette dernière dimension paraît de plus en plus au fur et à mesure de l'avancée de la réflexion poétique d'Yves Bonnefoy. On pourra la voir développée en particulier dans son essai sur les Peintures noires de Goya (2006), mais ce sont aussi de très belles pages autobiographiques, dans son dernier livre — L'Écharpe rouge (2016) — qui, consacrées aux origines de l'écriture, poursuivent la réflexion sur la compassion ("la fondation, la refondation de l'être", p. 94). On cherchera aussi, dans ce cadre, à interroger la pensée du poète dans sa relation à l'œuvre de Jean Wahl — dont Yves Bonnefoy se réclame explicitement — et, en particulier, dans son rapport à certaines remarques sur le concept de transdescendance. Cette orientation du poète permettra de penser cette œuvre poétique majeure dans sa relation à une éthique des vertus.

Yvon Inizan enseigne en Classes préparatoires au lycée Chateaubriand de Rennes.
Publications
La Demande et le don, l'attestation poétique chez Yves Bonnefoy et Paul Ricœur, avec une préface de Yves Bonnefoy, 2013.
Ce que le poète dit au philosophe. Yves Bonnefoy, la pensée du poème, Éditions Apogée, 2018.

Simon P. JAMES : Buddhism, Virtue and Environmental Ethics
À certains égards, le bouddhisme est une religion bien disposée envers l'environnement. Mais je défends l'idée que cela n'est pas dû au fait que ses enseignements impliquent une valeur intrinsèque de la nature. Cela est dû au fait qu'ils suggèrent le devoir de développer certaines "vertus environnementales" si l'on veut vivre une bonne vie. Conformément à cette explication orientée sur les vertus, le bon bouddhiste traite la nature avec respect, parce qu'il est compatissant, doux, humble et attentif non seulement en relation avec ses compagnons humains, mais dans ses rapports avec toute chose.

Simon P. James est professeur associé en philosophie à l'université de Durham en Angleterre. Il est l'auteur de nombreux articles en philosophie environnementale.
Publications
Zen Buddhism and Environmental Ethics, Ashgate, 2004.
Buddhism, Virtue and Environment, Ashgate, 2005, en collaboration avec David E. Cooper.
The Présence of Nature : A Study in Phenomenology and Environmental Philosophy, Palgrave-Macmillan, 2009.
Environmental Philosophy : An Introduction, Polity, 2015.

Amandine LEBRETON : La transition alimentaire, l'élevage et la mode
Alors que les matières premières qu'ils utilisent sont parfois issues d'un même système agricole, les acteurs économiques de l'alimentation, du luxe, du textile, de l'énergie ne se connaissent pas. Voire ils s'ignorent. Cette approche en silo des filières économiques issues de l'agriculture met à mal la transition écologique et sociale. En effet, elle a pour conséquence d'opposer les solutions, de complexifier les jeux d'acteurs, de disperser les accompagnements financiers et d'amoindrir l'efficacité des politiques publiques et des stratégies économiques. Ainsi l'élevage est au cœur d'enjeux sociaux écologiques et économiques qu'il est essentiel de démêler. Sa place dans l'agriculture et les territoires de demain est aujourd'hui questionnée : source d'émissions de gaz à effet de serre ou protection de la biodiversité ? Élevage respectueux du bien-être animal ou fermes usines ? Secteur économique en déclin ou perspective de marchés à haute valeur ajoutée ? Une approche globale de la filière pourrait justement permettre d'esquisser des solutions pour déployer un élevage respectueux de l'environnement, du bien-être animal et des hommes et femmes qui en vivent.

Caroline LEJEUNE : Vivre avec la sobriété imposée : politiques du renoncement
De manière générale, il est convenu de considérer que les populations les plus précaires et celles qui entrent dans un parcours de disqualification sociale sont les moins concernées par les préoccupations environnementales. On s'interroge même sur le fait de savoir s'il est approprié ou non d'aborder avec elles les enjeux de sobriété énergétique. Cette réflexion soulève une contradiction qui est au cœur des perspectives éthiques et politiques de la sobriété. On peut tout à fait imaginer que des personnes, qui détiennent un capital économique et social moyen ou élevé, soient favorables à l'adoption d'un mode de vie moins polluant, moins consommateur de ressources si, en échange, elles gagnent en qualité de vie. Mais dès qu'il s'agit de personnes précaires, comment pouvons-nous envisager d'évoquer avec elles ce que pourrait être une politique de sobriété pour des motifs écologiques ? À partir de ce questionnement, nous proposons d'interroger la notion de "sobriété" au sein de l'écologie politique à la française à partir des enjeux de justice. Pour cela, nous nous appuierons sur un cas d'étude, l'observation du Forum Permanent de l'Insertion réalisée de 2011 à 2014 à Lille dans le Nord de la France.

Caroline Lejeune, docteure en sciences politiques environnementales, travaille dans le domaine des humanités environnementales sur les implications éthiques et politiques des transformations environnementales à partir des enjeux de justice. Pour cela, elle questionne les cadres théoriques des sciences humaines et sociales à partir d'études empiriques. Elle est première assistante au sein du groupe des humanités environnementales de l'Institut de géographie et de durabilité de l'université de Lausanne en Suisse. Elle est secrétaire de rédaction de la revue La Pensée écologique et membre du comité de rédaction de la revue Développement durable et territoires.
Pour en savoir plus : igd.unil.ch/clejeune/

Omero MARONGIU-PERRIA : Une approche musulmane de la personnalité animale
Le contenu de cette communication restitue le résultat d'une herméneutique en cours d'achèvement, conduite à partir d'une lecture vectorielle du Coran consistant à déterminer son orientation fondamentale, au-delà de la lettre du texte. De ce point de vue, deux éléments sont à relever : 1. Les caractéristiques de ce qui fait la spécificité de l'humain ne sont pas clairement établies dans le Coran, car toute la création est dotée d'une intelligence et entretient une relation avec le divin; 2. Du point de vue coranique, les animaux sont des êtres formant des communautés, communiquant entre eux, interagissant avec le monde et dans une relation à Dieu comme les humains. Partant de là, le Coran pose les fondements d'une éthique du respect des animaux, des végétaux et des minéraux, avec une attention particulière aux premiers, qui ne sont au-delà de simples personnes titulaires de droits. Cette approche met en question l'interprétation traditionnelle de l'être humain "Calife de Dieu sur Terre" qui aurait la suprématie sur l'ensemble de la création, comme elle permet de réinvestir la question du spécisme dans une approche théologique musulmane.

Omero Marongiu-Perria est docteur en sociologie et chercheur associé à l'Institut sur le pluralisme religieux et l'athéisme (IPRA) rattaché aux universités de Nantes et du Maine. Ses recherches portent sur l'Islam en France : pratiques religieuses, sécularisation, cadre institutionnel. Intellectuel musulman engagé, il est l'un des promoteurs du courant musulman libéral français. Le rapport à l'environnement et aux animaux fait partie de ses thèmes de réflexions principaux.
Publications
Omero Marongiu-Perria, Voix musulmanes pour les animaux, 2019 (à paraitre).
Vincent Geisser, Omero Marongiu-Perria & Kahina Smail, Musulmans de France, la grande épreuve face au terrorisme, Éditions de l'Atelier, 2017.
Omero Marongiu-Perria, Rouvrir les portes de l'Islam, Atlande, 2017
Omero Marongiu-Perria, En finir avec les idées fausses sur l'Islam et les musulmans, Éditions de l'Atelier, 2017.
Omero Marongiu-Perria, "Chasse, élevage et végétarisme en Islam : des paradigmes en concurrence", in Revue semestrielle de droit animalier, 1/2015, janvier 2016.

Corine PELLUCHON : Quelle éthique des vertus ? Transdescendance et considération
Quelles vertus permettraient aux individus de tenir les promesses des éthiques environnementales et animales qui n'ont pas réussi à faire entrer l'écologie et la question animale en politique ni à motiver les individus à changer leurs styles de vie ? Faut-il créer une nouvelle éthique des vertus ? Ou bien les vertus propres au rapport à soi et à autrui ont-elles un sens dans notre rapport aux autres vivants et à la nature ? Notre hypothèse est qu'une seule éthique des vertus est nécessaire, mais elle se distingue à la fois des morales néo-aristotéliciennes, perfectionnistes et essentialistes, et des éthiques du care.
Si la considération implique que le rapport à soi est la clef du rapport aux autres, humains et non humains, et à la nature, et si elle accorde une place importante à la magnanimité, l'éthique des vertus que nous proposons s'inspire aussi de l'héritage chrétien en ce qu'il fait subir un infléchissement majeur à la pensée antique, comme on le voit chez Bernard de Clairvaux. Ce dernier souligne, dans De la considération, l'importance de l'humilité, distingue prudence et considération et articule l'éthique à un plan spirituel. Toutefois, la notion de considération présentée ici est réinterprétée dans un contexte moderne et laïc. Indissociable du statut conféré par les Modernes à la subjectivité (Descartes), elle va de pair avec un processus d'individuation qui passe par un élargissement de la subjectivité (Spinoza, Arne Næss) et même par un rapport à l'incommensurable. Toutefois, au lieu d'être identifié à Dieu, l'incommensurable est rattaché au monde commun composé de l'ensemble des générations et du patrimoine naturel et culturel. Plus précisément, la considération est liée à la transdescendance. Car je fais l'expérience de cette appartenance à un monde commun qui me dépasse lorsque j'approfondis la connaissance de moi comme d'un être charnel. Non seulement les changements dans nos rapports aux autres vivants et à la nature ne découlent pas de nos devoirs, mais, de plus, ils requièrent une transformation en profondeur du sujet. Celle-ci ne s'opère pas seulement sur le plan intellectuel, mais elle suppose cette expérience de l'incommensurable qui ne désigne pas un mouvement de bas en haut (une trans-ascendance), mais implique l'exploration du sentir dans sa dimension pathique et archaïque. Le lien profond m'unissant aux autres vivants et l'épaisseur de mon existence deviennent alors des évidences qui changent ma perception de moi-même et mes affects. Ainsi, la considération n'est pas une vertu mais l'attitude globale rendant possible l'éclosion des vertus intersubjectives et environnementales, ce qui ne signifie pas qu'elle soit acquise une fois pour toutes. Nous insisterons sur le rôle que jouent la mort, la vulnérabilité et la naissance dans ce processus d'individuation dont les conséquences sur le plan politique sont essentielles. Il s'agira enfin de se demander ce que pourrait être une éducation morale aidant à émanciper le sujet et à réenclencher un processus civilisationnel lié à ce que nous appelons l'Âge du vivant.

Corine Pelluchon, philosophe, professeur à l'université Paris-Est-Marne-La-Vallée. Spécialiste de philosophie politique et d'éthique appliquée (bioéthique, philosophie de l’environnement et de l'animalité), elle est l'auteur d’une dizaine d’ouvrages qui sont, pour la plupart, traduits dans d’autres langues.
Publications
Leo Strauss, une autre raison, d'autres Lumières, Vrin, 2005, Prix F. Furet.
L'autonomie brisée. Bioéthique et philosophie, PUF, 2009, 2014.
Éléments pour une éthique de la vulnérabilité. Les hommes, les animaux, la nature, Cerf, 2011, Grand Prix Moron de l'Académie française.
Les Nourritures. Philosophie du corps politique, Seuil, 2015, Prix É. Bonnefous de l'Institut des Sciences Morales et Politiques et Prix de l'essai francophone Paris Liège.
Manifeste animaliste. Politiser la cause animale, Alma, 2017.
Éthique de la considération, Seuil, 2018.
corine-pelluchon.fr

Jean-Philippe PIERRON : L'attention
Peut-on faire de l'attention une vertu ? Et si oui, que serions-nous en droit d'en attendre quant à la manière de nous rapporter aux humains, aux non-humains et au milieu ? Dans une formule du Catastrophisme éclairé, Jean-Pierre Dupuy observe, à propos de la crise écologique globale, que nous ne parvenons pas à "croire ce que nous savons ?". Il note qu'en plus des savoirs qui relèvent de notre vigilance experte, il nous faut une croyance. Mais quel est le croire en question? S'agit-il de celui de l'opinion générale, de notre conviction intime, d'une croyance religieuse ou d'une foi ? En interprétant ce croire comme relevant d'une épreuve de l'attention, nous pouvons répondre à J.-P. Dupuy. Alors qu'il suggère l'existence d'une anesthésie à l'égard de la crise environnementale, l'attention pourrait contribuer à nous ré-esthétiser. Notre hypothèse est que la vigilance experte des savoirs peut être relayée par une écologie de l'attention. Cette dialectique dynamique de la vigilance et de l'attention travaillerait à rendre croyable le savoir de notre crise écologique. Le soi apprend à se comprendre dans des expériences de la nature que Pierre Hadot nommerait des "exercices spirituels". Trois "exercices" peuvent permettre de préciser différentes modalités du croire liées à l'attention : la méditation, la contemplation et la prière. Cette écospiritualité invite à "goûter les choses intérieurement", en "pleine conscience". Nous terminerons en nous demandant comment l'attention permet de penser le passage d'une écospiritualité vers une écothéologie ?

Jean-Philippe Pierron, philosophe, enseigne à la Faculté de Philosophie de l'université Jean Moulin Lyon 3 ou il dirige la Chaire "Valeurs du soin". Ses recherches portent sur l'imagination entendue comme faculté du possible pratique et ses implications pour le soin, aussi bien dans une perspective narrative que de réflexion sur la logique de l'action irréductible à une science de l'action. Il le fait à partir d'une relecture des œuvres de Gaston Bachelard et de Paul Ricœur.
Publications
Vulnérabilité, Pour une philosophie du soin, PUF, rééd. 2016.
Les puissances de l'imagination ?, Cerf, 2014.
Mythopees. Mythologies de la modernité tardive, Vrin, 2015.
La poétique de l'eau. Pour une autre écologie, Éd. François Bourin, 2018.
Les philosophie du soin, Médecine, travail, environnement, Les belles Lettres, 2019 (à paraitre).

Layla RAÏD : Val Plumwood et les lieux particuliers : perspectives écoféministes sur les lieux de vie
La philosophe écoféministe australienne Val Plumwood a changé son nom, après son divorce, pour adopter le nom d'un lieu particulier, celui de la montagne où elle avait construit sa maison, le Mont des pruniers (plumwood). Un des enjeux pour l'éthique environnementale est de se donner les moyens de comprendre l'importance morale des lieux, loin des éthiques généralistes, qui ne comprendront le lien aux lieux particuliers que via les affects (attachement, amour), sans parvenir à intégrer leur valeur autrement que de manière relative. Nous montrerons comment Plumwood défend cette valeur à partir d'une éthique particulariste, qui place en son cœur l'attention au particulier. Nous retiendrons trois caractéristiques du particulier — surprise, contextualité et non-interchangeabilité — pour penser cette importance morale des lieux particuliers.

Ouvrages de Val Plumwood
Environmental Culture. The Ecological Crisis of Reason, 2002.
Feminism and the Mastery of Nature, 1993.

Professeure de Philosophie à l'université de Picardie Jules Verne, ancienne élève de l'ENS Paris et agrégée de philosophie, Layla Raïd est l'auteure d'ouvrages et d'articles dans le champ de la philosophie du langage et de la connaissance (Wittgenstein), de la philosophie de la littérature (Bakhtine, Sarraute, Dostoïevski), et de l'éthique contemporaine. Elle a publié notamment des articles sur l'éthique du care (Gilligan, Tronto), ainsi que sur l'éthique environnementale (Leopold) et les philosophies écoféministes (Plumwood).

Olivier RENAUT : L'éthique des vertus : ancrage antique et enjeux contemporains
Ce qu'on nomme "éthique des vertus" se distingue par un véritable "retour aux anciens", exhumant pour ainsi dire des concepts et notions que la philosophie morale moderne avait écartés : agent, vertu, disposition, bonheur, épanouissement, plaisir, vulnérabilité, nécessité. Une difficulté de ce "retour aux anciens", aussi "contemporaine" que nous semble parfois l'éthique aristotélicienne, consiste à mesurer à la fois l'anachronisme de certaines notions et leur fécondité pour des enjeux contemporains qui par définition ne sont pas pris en compte dans l'élaboration de l'éthique ancienne. Or la considération pour la relation entre humains, animaux et nature fait l'objet d'une toute autre théorisation chez les anciens ; cette communication vise ainsi à repérer, à travers ses écarts, notre éventuelle proximité avec certains concepts de l'éthique ancienne dans l'élaboration d'une éthique à la mesure des enjeux contemporains.

Olivier Renaut est maître de conférences, spécialiste en histoire de la philosophie ancienne, à l'université Paris Nanterre. Auteur d’études portant surtout sur les émotions et la psychologie morale dans l'Antiquité, il s'intéresse également aux stratégies de réappropriation de l'Antiquité dans la philosophie morale contemporaine.

Anahid ROUX-ROSIER : L'éthique de la permaculture : au-delà de l'aphorisme
La permaculture, ou (agri)culture de la permanence, est un ensemble de principes éthiques et organisationnels qui s'incarnent notamment par l'installation et le maintien d'agrosystèmes fondés sur le compagnonnage et la complémentarité entre les êtres de nature qui y prennent part. La mise en pratique des principes fondateurs de la permaculture brouille les frontières entre espace cultivé, espèces domestiques et espaces sauvages, et renouvelle, par l'usage, des discussions déjà existantes notamment à propos du statut des êtres de nature et de la place à leur accorder. Les sous-bassement éthiques explicitement formulés par les fondateurs de la permaculture en restent toutefois généralement au stade aphoristique ("respecter la Terre" par exemple). À l'aide de témoignages recueillis à travers une série d'entretiens semi-guidés menés auprès de permaculteurs établis en France, nous essayerons de donner chair à ces aphorismes, d'en faire une "description épaisse" ("thick description") et de voir en quoi leur mise en pratique peut participer aux débats contemporains d'éthique environnementale.

Anahid Roux-Rosier est doctorante à l'université Lyon 3 Jean Moulin (IRPHIL). Son travail de thèse consiste, à partir d'un terrain de recherche mené auprès de permaculteurs établis en France, à interroger les fondements et les implications, notamment éthiques, de la permaculture.

Otto SCHAEFER : Vertus vertes : ce que la relation au végétal inspire à l'éthique
L'éthique des vertus souligne l'importance de l'imprégnation des acteurs par des pratiques elles-mêmes vertueuses. L'inverse est vrai en partie: l'importance sociale et sociétale croissante de ces pratiques traduit des aspirations éthiques sous-jacentes. Dans cette hypothèse, l'intérêt actuel, fortement accru, pour le monde des plantes et le phénomène végétal provoque la réflexion éthique (à la suite de Gœthe, entre autres, témoin classique du même type de sensibilité). Parmi les caractéristiques prêtées au végétal par la botanique et la philosophie actuelles, on remarque l'accent mis sur les réseaux de communication et d'échange, d'intégration horizontale et verticale (Peter Wohlleben), l'insistance sur le souffle de la feuille créateur du monde des vivants, voire du monde tout court (E. Coccia), enfin la douceur active et patiente qui se vit dans le jardinage compris comme "épiphanie de la co-dépendance" (D. Cooper) de la nature et de l'humain. On pensera en outre à des utopies de vie non-violente qui habitent le véganisme (et déjà le végétarisme d'un Théodore Monod par exemple).

Otto Schaefer est biologiste (géo-botaniste) et théologien réformé. Né en 1955, il partage sa vie entre la Suisse, la France et l'Allemagne. Thèse (1994) et nombreux travaux botaniques sur les zones humides de l'Est de la France (co-auteur d'un Guide des Characées, 2010). Contributions éco-théologiques au mouvement oecuménique (Et demain la terre… Christianisme et écologie, 1990). Publications en éthique économique et éthique de l'environnement (Éthique de l'énergie, 2008). Membre de la Commission fédérale d'éthique de la biotechnologie dans le domaine non-humain CENH / EKAH.

Sophie SWATON : Le revenu de transition écologique
L'idée d’un revenu de transition écologique s'appuie sur une volonté d'accompagner et d'accélérer les initiatives de transition écologique et solidaire. Contrairement à un dispositif de simple taxe sur les entreprises ou les particuliers, ou à un versement monétaire relevant de l'aide sociale, le revenu de transition écologique comprend trois différentes composantes : un revenu, un accompagnement et l'adhésion à une structure démocratique au sens large du terme. Reposant sur un droit de la Terre, il relève d'une éthique environnementaliste spécifique et se présente comme l'une des réponses à la question socio-économique clé : comment encourager les territoires à devenir résilients tout en mobilisant les acteurs locaux et en prônant le droit à la formation et à l'emploi ?

Philosophe et économiste, Sophie Swaton est maître d'enseignement et de recherche à l'université de Lausanne dans le groupe des humanités environnementales. Ses recherches portent, au-delà de ses travaux sur l'entrepreneuriat social et l'articulation à la pensée de Nietzsche et de Schumpeter, sur l'économie sociale et solidaire en lien avec la transition écologique et solidaire.
Dernier ouvrage
Pour un revenu de transition écologique, Puf, 2018.

Géraldine VALLEJO : Façonner le Luxe de Demain
Un monde en accélération constante, des économies qui émergent, des cultures qui s'entrechoquent, des avancées technologiques disruptives, une jeunesse ultra-connectée en quête de sens… Une nouvelle donne mondiale apparaît. La génération du changement bouleverse les codes. Créateur de tendances, Kering fait un choix, celui de réveiller et de façonner le Luxe de Demain, de le rendre plus responsable, de l'engager résolument dans son époque, dans le respect de l'histoire et de l'héritage exceptionnels de nos Maisons. La démarche responsable de l'entreprise peut changer la nature-même de ce qu'est le Luxe. Pour Kering, le développement durable s'envisage comme une opportunité économique : il est une source d'inspiration et d'innovation. En se fixant dans le cadre de sa stratégie développement durable 2025 des objectifs mesurables de développement durable, Kering change la manière de concevoir les produits de luxe en y intégrant une dimension extra-financière qui crée une valeur durable à la fois pour le client et pour la société.

Géraldine Vallejo est Directrice des programmes développement durable de Kering depuis 2013. Elle accompagne les Maisons de luxe de Kering afin de toujours mieux intégrer les aspects environnementaux et sociétaux dans l'ensemble de leurs processus et leur permettre ainsi de répondre aux objectifs ambitieux fixés par le Groupe en matière de développement durable. Elle dirige une équipe d'experts en approvisionnement responsable et en production à faible impact environnemental. Ensemble, ils développent des lignes directrices pour les Maisons et s'assurent de leur mise en place en créant des programmes structurants et novateurs. Elle est aussi chargée de l'innovation durable et de nouer les partenariats stratégiques dans ce domaine. Géraldine Vallejo est diplômée de l'École Polytechnique et d'un master de l'université de Stanford en Californie.

Bruno VILLALBA : La relation à la violence dans les théories de la transition. Éthique de l'esquive
L'écologie politique, notamment dans ses évolutions récentes à travers les mouvements transitionnistes, s'est interrogée sur les conditions d’émergence de la violence (antagonismes sociaux/environnementaux, pénurie… Le Billon, 2013), de sa matérialisation (notamment la guerre : Welzer, 2009), et, dans une moindre mesure sur les formes de sa gestion (comme le pacifisme : Næss, 1989; la non-violence : Hopkins, 2008). La violence est donc, dans une certaine mesure, prise en compte (Vrignon, 2017), mais elle ne constitue pas une catégorie explicative d'une proposition de transition. Il s'agit plutôt d'une éthique de l'esquive, c'est-à-dire d'une manière de prendre en considération la question, tout en évitant de formuler son propre projet à partir de cette perspective primordiale et plus que probable (Anders, 2014; Dupuy, 2005). Nous allons examiner ce curieux paradoxe : 1) la prise en compte de la réalité de cette violence (irréversibilités environnementales, atome…) produit des schèmes discursifs (Afeissa, 2014) très présents dans les discours transitionnistes, afin de tenter de maîtriser l'ampleur et les conséquences de cette violence; 2) mais, on constate une grande difficulté à répondre politiquement face à l'urgence de cette violence (Arendt, 1969) : ce qui constitue l'impensé de l'approche conséquentialiste des mouvements de transition.

Bibliographie
Afeissa H.-S., La fin du monde et de l'humanité. Essai de généalogie du discours écologique, Paris, PUF, 2014.
Anders G., La violence oui et non, Paris, Fario, 2014.
Arendt H., Du mensonge à la violence, Paris, Pocket, (1969) 2013.
Bazenduissa-Gangar R., Makki S. (dir.), Sociétés en guerres. Ethnographies des mobilisations violentes, Paris, Éd. de la Maison des Sciences de l'Homme, 2012.
Dupuy J.-P., Petite métaphysique des tsunamis, Paris, Éditions du Seuil, 2005.
Hopkins R., The Transition handbook. From oil dependency to local resilience, Green Books, Totnes, 2008.
Le Billon P., "Matières premières, violences et conflits armés", Tiers-Monde, Tome 44, n°174, pp. 297-322, 2003.
Næss A., Écologie, communauté et style de vie, Paris, Éditions MF, (1989) 2008.
Welzer H., Les guerres du climat. Pourquoi on tue au XXIe siècle, Gallimard, Paris, 2009.
Vrignon A., La naissance de l'écologie politique en France, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017.

Bruno Villalba est professeur de science politique à AgroParisTech et membre du Centre d'Études et de Recherches Administratives Politiques et Sociales (CNRS-UMR 8026). Ses recherches portent sur la sociologie environnementale, notamment à partir d’une analyse de la capacité du système démocratique à reformuler son projet politique à partir des contraintes environnementales. Il a été rédacteur en chef de la revue Études Rurales (EHESS - Collège de France - CNRS) et il est membre des comités de rédaction des revues La Pensée Écologique et Développement durable et territoire (2002-2013).
Publications
Villalba B., Semal L. (dir.), Sobriété énergétique. Contrainte matérielle, équité sociale et perspectives institutionnelles, Paris, ed. Quae, 2018.
Hastings M., Villalba B. (dir.), De l'impunité. Tensions, controverses et usages, Presses universitaires du Septentrion, coll. "Sciences politiques", 2017.
Villalba B., "L'assèchement des choix. Pluralisme et écologie", La Pensée écologique, 2017/1 (n°1).
Villalba B., "Temporalités négociées, temporalités prescrites. L'urgence, l'inertie, l'instant et le délai", in B. Hubert et N. Mathieu (dir.), Interdisciplinarités entre Natures et Sociétés, Colloque de Cerisy, Peter Lang, pp. 89-109, 2016.
Villalba B., Entrées "Günther Anders" (pp. 30-32) et "Délai" (pp. 255-258), in Bourg D., Papaux A., Dictionnaire de la pensée écologique, Paris, PUF, coll. "Quadrige", 2015.
Villalba B., "L'écologie politique face au délai et à la contraction démocratique", in Écologie et Politique, n°40, pp. 95-113, 2010.
Hiez D., Villalba B. (dir.), La désobéissance civile. Approches politique et juridique, Presses universitaires du Septentrion, coll. "Espaces politiques", 2008.


Joël CECCALDI

Il se trouve que deux mots de notre langue, climat et clinique, partagent la même racine étymologique. Climat qui nous a échauffés, et dont la détérioration exponentielle nous a préoccupés toute cette semaine. Clinique qui fut le cœur de mon métier pendant plus de 40 ans. La racine commune est le verbe grec klinein, qui signifie pencher : passer par exemple du vertical de la bonne santé à l'horizontal de la maladie qui couche dans un lit — klinè. C'est l'inclinaison des rayons solaires sur notre globe qui détermine saisons et climats. Quant au clinicien que je fus, il eut souvent à faire l'annonce d'une maladie grave, avec l'objectif de préparer le mieux possible la personne concernée à l'épreuve qui l'attendait ; autrement dit, de la mettre en forme par l'information la plus ajustée possible à sa situation, nouvelle et menaçante pour sa vie.

Mais commençons par évoquer un microclimat : celui d'un village normand et de son château où colloques et rencontres se succèdent et se superposent depuis largement plus d'un demi siècle. À l'arrivée, on est plutôt impressionné, voire intimidé par la splendeur austère de ces lieux. Mais très vite, l'on s'y sent bien, un peu comme chez soi, tant le climat y est hospitalier. Glace et feu parviennent à s'y mêler harmonieusement : dans l'exquise omelette norvégienne servie à mi-parcours ; mais aussi dans l'atmosphère des échanges qui s'instaurent, tant dans les débats suivant les exposés qu'au cours des conversations au bord de l'étang, au pied du châtaignier, dans le vestibule ou encore au réfectoire, entre participants que tant de choses séparent pourtant, de l'origine à l'âge, en passant par le métier ou par les convictions. Une "hostipitalité" heureuse, chère à Jacques Derrida qui a beaucoup fréquenté ce lieu, et qui pointait par ce néologisme l'ambivalence d'une hospitalité qui se voudrait inconditionnelle. Un climat qui ne laisserait pas de devenir hostile, sans les règles et rites que vous y maintenez d'une main ferme et souple : merci Edith, pour le talent et le cœur que vous mettez à nous recevoir et à établir en famille les conditions d'une véritable convivance.

Venons-en maintenant à ma proposition : vous dire à tous vos quatre vérités, en allant pour cela par quatre chemins, entre climat et clinique, s'agissant d'expliquer que c'est grave et urgent, qu'il y va de la vie et de la mort. Dire au monde que notre terre se meurt. Annoncer à celui-ci qu'il a un lymphome, à celle-là qu'elle a le sida. Transmettre une mauvaise nouvelle, cette chose vraie qu'en tant que soignant "on n'a pas envie de dire à quelqu'un qui n'a pas envie de l'entendre".

D'abord la veritas des latins, du droit romain, de la science à prétention universelle. Cette vérité objective et rationnelle, adéquate au réel, se démontre, s'imposant ainsi à la raison. Elle se vérifie, s'évalue et peut se réfuter. Elle s'oppose à l'erreur, à l'inexact, au faux. Côté climat, elle égrène les records de chaleur battus, enregistre les espèces détruites, disparues ou en voie de l'être, constate les dégâts et mesure leur incidence pour les générations à venir. Côté clinique, à la question : "Alors Docteur, qu'est-ce que j'ai ?", elle répond qu'il s'agit d'un lymphome du manteau, prouvé par l'histologie et la biologie moléculaire, avec une hyper expression de la cycline D1 et une translocation 11-14. Sa profondeur de pénétration est faible, glissant sur le cortex cérébral de l'auditeur. Bien que vraie, cette information superficielle reste quasiment sans impact, laissant de marbre le non initié, suscitant tout au plus un sourire poli ou convenu.

Ensuite l'alèthéia des grecs : réminiscence cathartique chère au psychanalyste ; découverte de ce qui était jusque là voilé, caché au regard. Étymologiquement en effet, deux racines coexistent en ce mot, derrière l'alpha privatif : le Léthé était, avec le Styx et l'Achéron, l'un des trois fleuves séparant le monde des vivants de celui des morts et de l'oubli ; léthé est aussi une forme du verbe lanthanein — cacher. Ainsi, cette vérité oubliée se rappelle ; elle se montre, se dévoile et se perçoit. Elle s'oppose à l'enfoui et au refoulé. Côté climat, elle s'interroge sur ce que cachent ces phénomènes nouveaux, sur ce qu'ils disent des fléaux oubliés du passé. Côté clinique, la confirmation par le médecin qu'il pourrait bien en effet s'agir d'un cancer ne manque pas de susciter l'émotion des souvenirs et représentations qui défilent aussitôt : mon père qui est mort de ça dans d'atroces souffrances ; mon amie que la chimio a tuée ; je suis foutu !! Cette fois, la vérité fait bouger, en pénétrant sous le cortex jusqu'aux circuits de la mémoire : tel qui vit encore 30 ans plus tard peut s'exclamer en vérité qu'il s'en souvient comme si c'était hier…

Puis la vérité juive, celle qu'expriment amen et les mots de sa famille : èmèt, émounah. L'accent est alors mis sur les raisons d'avoir confiance dans le message et son messager : sont-ils fiables, crédibles, durables, peut-on vraiment compter dessus ? Côté climat, quel crédit accorder aux infos, qui pourraient n'être qu'infox ? Côté clinique : "Vous êtes sûr, Docteur, que vous ne vous trompez pas ; que vous ne me trompez pas ? Ce médecin, cette équipe soignante, cet établissement de santé sont-ils vraiment dignes de confiance ?". C'est de la discussion avec les proches — conseilleurs, mais pas forcément payeurs — qu'émergent souvent ces questions. Et c'est là qu’il faut savoir prendre les demandes de deuxième avis et les recours aux pratiques non conventionnelles — ou médecines parallèles — avec philosophie…

Enfin la vérité chrétienne, telle qu'exprimée dans l'évangile de Jean (14, 6) : "Je suis le chemin, la vérité et la vie". Un homme dit qu'il est la vérité, laquelle passe du coup des catégories de l'avoir à celle de l'être. Vérité subjective, incarnée, incorporée, vécue, existentielle. Singulière, elle se révèle, advient, surgit, se refuse ou s'accepte, se médite et s'approprie. Cette bonne nouvelle s'ancre en fait dans une mauvaise, celle d'une mort spirituelle, sauf à se décentrer de soi, à changer de mentalité et de comportement : métanoïa d'une transformation évoquée ici en mode laïque, en lien avec une éthique des vertus et de la nature où humilité et solidarité avec tous les vivants ont leur place, ouvrant sur une compréhension de soi inédite et sur un nouveau rapport à l'environnement considéré dans sa globalité et sa fragilité. Côté clinique, c'est là qu'émergent bien des questions existentielles — pourquoi moi, ici et maintenant ? Et pour quoi, quel est le sens de tout cela ? C'est là qu'il faudra consentir à prendre le temps d'ôter la blouse blanche du PH (praticien hospitalier) pour partager en ph (personne humaine) la condition commune qui fait de nous des compagnons d'humanité. Information dont la profondeur de pénétration est maximale, jusqu'au bout des ongles, quand elle est appropriée non seulement à mais par son destinataire, le long d'un sentier glissant, aux antipodes des autoroutes de l'information qui s'abordent d'un clic, mais qui laissent si souvent sur sa faim et dans l'angoisse quand personne n'est là pour accompagner la démarche.

Au total, l'on est parti d'une vérité scientifique, à tolérance zéro et peu pénétrante, pour aboutir à une vérité humaine pénétrant tout l'être mais où la tolérance se doit d'être maximale, sans quoi c'est la violence, au grand dam de tous. Entre les deux, la prise en compte de la vie des vivants dans l'équation aura contribué à introduire une tolérance minimale : celle de la marge d'incertitude inhérente aux résultats biologiques, encore appelée intervalle de… confiance.

Pour finir de lier la gerbe, on évoquera le mot hébreu dabar, qui signifie aussi bien parole qu'événement, et qu'on trouve dans le premier texte biblique de la création, quand Dieu dit : "Que la lumière soit (parole) ; et la lumière fut (événement)". Puissance créatrice du verbe divin. Puissance destructrice du verbe médical quand il n'est pas soignant, quand la nouvelle du mal grave diagnostiqué et annoncé fait l'effet d'une bombe à fragmentation : souffle délétère, tant pour le récepteur que pour l'émetteur de l'information, lui aussi susceptible d'y laisser la peau, tel le messager de Marathon. Comment adoucir la violence de cette annonce qui fait événement pour qui la reçoit, au point qu'après cette consultation, rien ne sera jamais plus comme avant ? Comment, sans rien édulcorer, transformer le bâton de tri nitroglycérine en pilule de trinitrine® apaisante pour l'angor ? Bref, comment faire en sorte que le choc inévitable de la mauvaise nouvelle soit le moins bouleversant possible ? Si informer, c'est soigner, et si soigner, c'est informer, comment mettre en forme pour traverser ensemble l'épreuve qui vient, qu'il s’agisse du corps individuel, physique, charnel, sentant, ou du corps collectif, social et politique, voire cosmique ? Corps consommé, corps consumé. Consomption dont il pourrait ne rester qu'un lumignon fumant, face auquel trois attitudes sont envisageables, qu'on pourrait dire spirituelles, en référence au souffle du spiritus :

  • L'indifférence et l'abandon, sous couvert de neutralité laïque, avec à la clé l'extinction par manque de souffle, par épuisement ;
  • Un souci sincère, mais maladroit : en soufflant trop intempestivement, voilà que les derniers feux s'éteignent encore plus vite ;
  • Hors de toute volonté d'emprise, prendre la mesure de ce qui se passe vraiment, recueillir et se recueillir, puis souffler avec une délicate attention.

Je vous remercie.

Joël Ceccaldi est médecin honoraire des hôpitaux, référent AESMS de la Région Nouvelle Aquitaine. Président de l'Espace Bioéthique Aquitain. Médecin hématologue. Master de philosophie. Doctorant en philosophie pratique.


SOUTIENS :

• Laboratoire interdisciplinaire d'étude du politique Hannah Arendt (LIPHA) | Université Paris-Est Créteil (UPEC)
• Université de Lausanne (UNIL)
Chaire Valeurs du soin & Institut de recherches philosophiques de Lyon (IRPHIL) | Université Jean Moulin Lyon 3
• Fondation de l'Écologie Politique (FÉP)
Fondation Affinity
Fondation Zoein | Université de Lausanne (UNIL)

Programme 2019 : un des colloques

Programme complet


UNIVERS PLURIELS D'ALEXANDER KLUGE


DU VENDREDI 14 JUIN (19 H) AU VENDREDI 21 JUIN (14 H) 2019

[ colloque de 7 jours ]



DIRECTION :

Wolfgang ASHOLT, Jean-Pierre MOREL, Vincent PAUVAL

Avec la participation d'Alexander KLUGE


ARGUMENT :

Juriste de profession, Alexander Kluge, né en 1932, commence sa trajectoire d'écrivain au début des années 1960, puis se consacre au cinéma, après un stage chez Fritz Lang et sous l'influence de la Nouvelle Vague. En 1966, Lion d'argent à Venise pour Anita G. et, en 1968, Lion d'or pour Les Artistes sous le chapiteau : perplexes. À ses activités d'écrivain et de cinéaste, il ajoute ensuite celles de philosophe proche de l'École de Francfort — Espace public et expérience (1972), Histoire et entêtement (1981), écrits avec le sociologue Oskar Negt — et de producteur de télévision, à partir de la fin des années 1980, avec sa société DCTP à Düsseldorf et ses émissions sur les chaînes allemandes RTL et SAT 1. En 2000, paraissent les deux premiers volumes de sa monumentale Chronique des sentiments (plus de 5000 pages aujourd'hui), qui regroupe quarante années de production littéraire. Pour l'ensemble de celle-ci, il reçoit en 2003 le prix Büchner et le prix Adorno en 2009.

Kluge est l'une des grandes figures de la vie littéraire, artistique, intellectuelle et culturelle allemande des cinquante dernières années; il y incarne activement un projet de diversité culturelle à l'échelle européenne qu'on peut qualifier d'"hétérotope". Son œuvre, elle, intentionnellement polymorphe, s'essaye à une multitude de sujets et combine toutes les possibilités offertes par les techniques de représentation et les moyens artistiques de son siècle. Par là, elle résiste aux déterminations génériques et transgresse les frontières entre les médias, si bien qu'il paraît difficile d'isoler en elle les parts respectives du vidéaste et producteur régulier de magazines télévisés, du réalisateur d'une trentaine de films et de l'auteur d'une œuvre écrite, théorique et littéraire, d'une envergure impressionnante. On serait alors tenté d'appliquer à Kluge l'épithète d'"universel" et de voir en lui un "artiste en tout" ou même un "artiste total". Au risque d'oublier cependant qu'un ouvrage apparemment "monstrueux" comme Chronique des sentiments ne vise la totalité du monde qu'à travers la sélection et l'agencement de récits principalement courts et de thèmes très disparates, entre lesquels la concurrence le dispute sans cesse à la convergence.

À l'heure où la traduction récente de deux volumes de Chronique des sentiments (P.O.L.) permet au public français de prendre à son tour la mesure d'un artiste et écrivain longtemps négligé — bien qu'il fasse une place privilégiée à la culture française —, ce colloque voudrait mieux faire connaître son œuvre paradoxale, multiple par ses genres et ses supports et aussi "globale" que parcellaire, aussi encyclopédique que kaléidoscopique. La durée d'une semaine fournit une occasion unique de revenir, en présence de l'auteur, sur l'ensemble de son travail, avec trois visées principales : opérer un état des lieux; repérer et élucider quelques-uns des enjeux de l'interprétation de ses œuvres; se demander si son idée d'une "Renaissance européenne du XXIe siècle" peut représenter l'horizon de la vaste production qui est la sienne.


CALENDRIER DÉFINITIF :

Vendredi 14 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Samedi 15 juin
ESTHÉTIQUES DE KLUGE
Matin
Muriel PIC : Lire Alexander Kluge : s'orienter dans les documents (ou l'expérience de l'enfant entêté)
Andrea ALLERKAMP : Alexander Kluge : un auteur surréaliste ?

Après-midi
Rainer STOLLMANN : La subjectivité, l'histoire et le poétique — trois lectures de la Théorie critique chez Kluge
Sylvie LE MOËL : Une "mémoire émotionnelle" productive : réception et transformation du genre opératique chez Alexander Kluge

Soirée
Esthétiques artistiques et littéraires, grand entretien avec Alexander KLUGE et Joseph VOGL


Dimanche 16 juin
KLUGE ET LES ARTS
Matin
Isabel HUFSCHMIDT : "L'intelligence de la plante du pied" — Alexander Kluge au Musée Folkwang
Gertrud KOCH : Alexander Kluge prend l'espace — les transformations du film à l'installation

Après-midi
Julia MARCHAND : L'univers pluriel des Siècles noirs
Hilda INDERWILDI : Frères d'âge, "faiseurs d'images" et iconoclastes à l'ère de la mondialisation et du web 2.0. Les dialogues intermédiaux d'Alexander Kluge avec Gerhard Richter
Markus MESSLING : La colère. Spectres d'histoire chez Kluge et Baselitz
Philipp EKARDT : Reinventing the Needle, Digitally. Tykwer, Vertov, and an Episode from Cinema Stories

Soirée
Alexander Kluge et les arts, grand entretien avec Hilda INDERWILDI, Jean-Yves JOUANNAIS, Alexander KLUGE et Gertrud KOCH


Lundi 17 juin
DIMENSIONS POLITIQUES
Matin
Herbert HOLL : Terre transperce monde
Gunther MARTENS : Alexander Kluge et la paléo-poétique de la sotériologie

Après-midi
Georges DIDI-HUBERMAN : Inquiétance du temps
Jean-Pierre DUBOST : Dialectique, déconstruction, désorientation : pratique esthétique et philosophie du sentiment chez Alexander Kluge
Richard LANGSTON : Georg Simmel, Walter Benjamin and Alexander Kluge's Twenty-First Century Arcades Project

Soirée
Grand entretien avec Alexander KLUGE et Georges DIDI-HUBERMAN


Mardi 18 juin
Matin
TRADUCTION-CONCEPTION
Vincent PAUVAL : Traduire (selon) Alexander Kluge

Table ronde, avec Jonathan LANDGREBE, Jean-Pierre MOREL et Vincent PAUVAL

Après-midi
DÉTENTE

Soirée
Alexander KLUGE & Éric VUILLARD : La guerre, la révolution et l'art de faire la paix
Lectures avec Herbert HOLL


Mercredi 19 juin
Matin
LES GRANDES RÉFÉRENCES : HISTOIRE, POLITIQUE ET LITTÉRATURE (I)
Clemens PORNSCHLEGEL : De l'esthétique du droit chez Alexander Kluge

HISTOIRES DE CINÉMA (I)
Dario MARCHIORI : Formes, limites et réinventions du documentaire dans l'œuvre cinématographique d'Alexander Kluge

Après-midi
HISTOIRES DE CINÉMA (II)
Maguelone LOUBLIER : Entrelacement de lignes mélodiques et politiques dans l'œuvre cinématographique et audiovisuelle d'Alexander Kluge

LES GRANDES RÉFÉRENCES : HISTOIRE, POLITIQUE ET LITTÉRATURE (II)
Wolfgang ASHOLT : Chroniques de Révolutions ? La place des Révolutions dans les Chroniques

Soirée
En commun avec le colloque parallèle "La revue Critique : passions, passages"


Jeudi 20 juin
LES GRANDES RÉFÉRENCES : HISTOIRE, POLITIQUE ET LITTÉRATURE (III)
Matin
Jean-Pierre MOREL : Tchernobyl : un segment d'histoire(s) russe(s) ? [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]
Christa BLÜMLINGER : Scènes et voix de l'aveu

Après-midi
Kai NONNENMACHER : Éducation sentimentale : Kluge et Flaubert
Ulrike SPRENGER : Stéréoscopie historique : Alexander Kluge et Marcel Proust

Soirée
Projection d'un nouveau film d'Alexander KLUGE (première mondiale)


Vendredi 21 juin
Matin
Discussion générale avec Alexander KLUGE et conclusions

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Andrea ALLERKAMP : Alexander Kluge : un auteur surréaliste ?
Ernst Bloch reprochait au "philosophe surréaliste" de Walter Benjamin de figer la dialectique. Sa pensée en miniature apparaissait comme une improvisation bien réfléchie, une cohésion éclatée ou encore une suite de rêves, aphorismes, mots d'ordres affirmant leur présence grâce à leurs affinités obliques et faisant naître toujours d'autres figures d'un moi (historique) au pluriel et sans fin. Ce verdict, ne semble-t-il pas être vrai aussi pour Kluge qui ne cesse de souligner son besoin de créer des contextes (Zusammenhänge) ? Plus que les techniques comme l'écriture automatique et l'hypnose, ce sont apparemment les concepts comme la "surréalité" (Aragon) et la "doctrine du similaire" (Benjamin) qui travaillent le récit-image. En donnant à voir les déformations et défigurations propres aux fantasmagories, il faut lire l'image dialectique qui surgit au moment de l'à-présent comme une épiphanie sans pour autant prétendre restaurer ce qui est irréparable. Se pose alors la question des affinités obliques : Kluge, est-il un auteur surréaliste ?

Andrea Allerkamp est professeure de littératures ouest-européennes à l'université européenne Viadrina, Frankfurt (Oder). Ses recherches portent sur l'esthétique philosophique dans le contexte européen (Baumgarten, Diderot, Kant, Kleist, Valéry) et sur la théorie critique (Adorno, Benjamin).
Publications
Unarten. Kleist und das Gesetz der Gattung, (dir. avec M. Preuß et S. Schönbeck), Bielefeld 2019.
Paul Valéry : Für eine Epistemologie der Potentialität, (dir. avec P. Orozco), Heidelberg 2017.
"Schönes Denken. Baumgarten im Spannungsfeld zwischen Ästhetik, Logik und Ethik", in Zeitschrift für Ästhetik und Kunstwissenschaft, n°15, (dir. avec D. Mirbach), Hamburg 2016.
Gegen/Stand der Kritik, (dir. avec P. Orozco et S. Witt), Zürich 2015.
Kulturwissenschaften in Europa – eine grenzüberschreitende Disziplin ?, (dir. avec G. Raulet), Münster 2010.

Wolfgang ASHOLT : Chroniques de Révolutions ? La place des Révolutions dans les Chroniques
Les "Révolutions en France" (titre d'une émission de Kluge) et la Révolution d'Octobre ont une place remarquable dans les cinq volumes des Chroniques de sentiments (P.O.L., tome 1 : 2016; tome 2 : 2018). Sans faire de Kluge un "grand conteur" de Révolutions, cette intervention veut analyser la conception de la Révolution que Kluge développe dans les Chroniques, la fonction historique qu'il assigne aux Révolutions, la relation entre "les véritables occupants des vies humaines" que sont les sentiments (Avant-propos, vol. I), les ruptures et transformations révolutionnaires et la manière de "conter" les Révolutions. Les questions qui se posent sont les suivantes : quelle est la relation entre les précisions des récits de scènes révolutionnaires et la poétique révolutionnaire qui rend possible le récit poétique ? Est-ce qu'il y a différents modèles de révolutions chez Kluge (théoriques, historiques, politiques, vie quotidienne, etc.) ou développe-t-il un modèle-type de la Révolution ? Est-ce que la Révolution est une Histoire de base (vol. I) ? Dans quelle mesure les Révolutions sont devenues historiques, pour généraliser la formule de François Furet ("La Révolution est terminée") d'il y a quarante ans, ou est-ce que pour Kluge, encore aujourd'hui, face à l'Inquiétance du temps (vol. II), "le corps, les sens et l'esprit [réclament] urgemment l'Homme nouveau" (Avant-propos, vol. II) ?

Wolfgang Asholt est professeur émérite de littératures romanes (Osnabrück jusqu'à 2011), professeur honoraire à l'Institut de romanistique à la HU de Berlin (depuis 2013), membre du Conseil d'administration de Cerisy, où il a co-dirigé notamment les colloques Kafka (Cahier de l'Herne, 2014) et Europe en mouvement - 1. À la croisée des cultures, 2. Nouveaux regards (Hermann Éditeurs, 2018 et 2019).

Christa BLÜMLINGER : Scènes et voix de l'aveu
L'aveu chez Kluge peut être compris à la fois comme transgression et franchissement de la frontière qui sépare la "Lebenswelt" (le monde vécu) du "système" (correspondant à l'économie, la politique, ou encore l'appareil juridique, selon J. Habermas), mais aussi comme advenir public de ce qui était invisible (au sens foucaldien). On essayera de cerner cette relation à autrui qui questionne incessamment les conceptions traditionnelles de la vérité et du mensonge, mais aussi de la catégorie du consentement. Il s'agira d'analyser ces questions à partir des voix et des "points d'écoute" (Michel Chion) dans certaines scènes juridiques d'Alexander Kluge. Le point de départ sera ainsi une scène centrale dans Abschied von Gestern/Antia G., 1966, reprise dans la grande exposition multimédiale de la Fondazione Prada, The Boat is Leaking. The Captain Lied (2017).

Christa Blümlinger est professeure en études de cinéma et de l'audiovisuel à l'université Paris 8. Ses publications portent sur le film d'essai, les avant-gardes, l'art contemporain et l'esthétique du cinéma.
Publications
Cinéma de seconde main. Esthétique du remploi dans l'art du film et des nouveaux médias, Klincksieck, 2013.
Geste filmé, gestes filmiques, co-dirigé avec Mathias Lavin, Mimesis, 2018.

Jean-Pierre DUBOST : Dialectique, déconstruction, désorientation : pratique esthétique et philosophie du sentiment chez Alexander Kluge
Une œuvre si diverse que celle d'Alexander Kluge — à la fois littéraire et cinématographique, partagée entre le récit et l'essai, le théorique et l'imaginaire — met par principe celui qui l'aborde au défi de la définir et de la positionner. Dans cette vaste partition de thèmes, de formes et de genres tout s'agence, se chevauche et se répond. Il serait vain de se demander si l'indéniable jouissance d'expérimentation qui lui donne son rythme et sa force répond à un projet d'ensemble ou à une suite de réajustements et de réorientations, car il y a autant de cohésion que de variabilité dans un projet aussi singulier, aussi risqué et aussi "entêté" (eigensinnig). Je voudrais tenter de montrer que si ce qui guide la pensée et la pratique de Kluge doit beaucoup à la théorie critique et à la pensée d'Adorno auxquelles il reste profondément fidèle, il y a chez lui aussi une philosophie du sentiment, toujours présente et nommée, mais jamais théorisée comme système ou sous la forme de propositions conceptuelles. C'est en artiste que Kluge la pense. S'il y a chez Adorno un lien indissociable entre dialectique et déconstruction, la formule nietzschéenne qu'il met au fronton d'une sagesse à la mesure de la catastrophe à la fin de sa Dialectique négative — "Nur Narr, nur Dichter" (rien que fou, rien que poète) — vaut pleinement pour Kluge. C'est parce que cette œuvre est volontairement dés-orientante qu’elle est en mesure de proposer pour le XXIe siècle une dialectique de l'orientation désorientée à la mesure de ce monde radicalement sans visage où le retour de l'abstraction identitaire promet bruyamment de combler toutes les "lacunes que le diable laisse dans le monde".

Jean-Pierre Dubost est professeur émérite de Littérature Comparée à l'université Clermont Auvergne.
Publications
"Alexander Kluge : Démonter et remonter le textimage de l'histoire", in Entre textes et images : Montage, démontage, remontage, J.P. Esquenazi, O. Leplatre, A. Barre (éds.), 2016.
Eine neue Ära für die Rezeption Kluges in Frankreich : Chronique des sentiments - Livre 1 - Histoire de bases, Paris, P.O.L. 2016.
En cours de publication : "DESORIENTIERTE ORIENTIERUNGEN. Topographie und Navigation bei Alexander Kluge".

Herbert HOLL : Terre transperce monde
"La Terre est puissamment belle, mais sûre elle ne l'est pas". Tel est l'hymne schubertien des quatre experts klugiens dont les cours de vie transhumains sèment le désert dans le cosmos. Mais comment leurs "sphères" peuvent-elles s'étendre au-delà de Stalingrad, terre natale perdue, par-delà le plurivers ? Dans son étrange bienveillance, cette Terre est-elle un monstre ou une "grosse bête aimante", à présent que les humains en repeuplent tout territoire — Gelände — une fois leurs poursuivants sanguinaires engloutis par la rupture des continents ? Quand l'enfer traverse l'univers, quelle "carte stellaire" d'une telle pérégrination pourrait-elle se reconstituer ? À travers ces Gelände d'Alexander Kluge, terres textuelles, iconiques, filmiques, on s'interrogera avec Kant, Leibnitz et Kluge : les "plaies et violences qui sévissent en un lieu de notre globe" sont-elles ressenties "en tous lieux", non seulement de la planète Terre avec ses gazons nervurés de blessures, mais encore de la Voie lactée "globale" ? "Erde durchragt die Welt" ?

Maître de conférences émérite à l'université de Nantes, pionnier de l'œuvre d'Alexander Kluge en France. H.D.R. en 1997 : La violence de la contexture : G.W.F. Hegel, F. Hölderlin, A. Kluge. Collabore à la revue en ligne TK-21; avec la poétesse Kza Han, participe à la traduction collective de la Chronique des sentiments (Paris, P.O.L.). Coéditeur scientifique du n°5 de l'Alexander-Kluge Jahrbuch.
Publications
La fuite du temps "Zeitentzug" chez Alexander Kluge. Récit, image, concept, Peter Lang, 1999.

Isabel HUFSCHMIDT : "L'intelligence de la plante du pied" – Alexander Kluge au Musée Folkwang
L'art de synthèse de Kluge est un art des fins et des questions ouvertes. L'affrontement continué des images, des paroles et des sons crée des interstices où la fantaisie des spectateurs et des auditeurs peut germer. L'exposition Alexander Kluge — Pluriversum au musée Folkwang (du 24 septembre 2017 au 7 janvier 2018) "raconta" les sujets principaux et méthodes de l'auteur. La série d'événements "L'ivresse de la Besogne" (du 21 septembre au 7 décembre 2017), qui l'accompagnait, illustra et approfondit le principe de la coopération. Alexander Kluge est un maître de la combinaison. Les événements historiques et cosmiques, les résultats scientifiques, les expériences personnelles, les images, les diagrammes et les collages filmiques constituent le fonds duquel sont extraits les fragments mis en constellations pour les assembler. Kluge les associe de nouveau avec les événements sociétaux et individuels; ainsi, il produit une notion relative à l'ampleur de l'existence; entre autre, celle de l'intelligence de la plante du pied — à laquelle il aime se référer souvent.

Isabel Hufschmidt est historienne de l'art et conservatrice allemande. Elle a fait des études en histoire de l'art à l'université de Cologne où elle soutient en 2009 une thèse sur "La petite sculpture de James Pradier — L'industrie d'art au XIXe siècle". Ses publications et communications portent sur la sculpture contemporaine et du XIXe siècle, ainsi que sur l'art numérique. En décembre 2016, elle a été nommée conservatrice de recherche au musée Folkwang, Essen/Allemagne. Elle est conférencière aux instituts d'histoire de l'art de l'université de Cologne et de l'université de Bochum (RUB).

Hilda INDERWILDI : Frères d'âge, "faiseurs d'images" et iconoclastes à l'ère de la mondialisation et du web 2.0. Les dialogues intermédiaux d'Alexander Kluge avec Gerhard Richter
Axée sur les iconotextes de Gerhard Richter et Alexander Kluge dans leurs livres d'artiste Dezember (Décembre, 2010) et Nachricht von ruhigen Momenten (Nouvelle de moments calmes, 2013), cette contribution prendra également en compte la matière de leurs entretiens, leurs inspirations mutuelles et leurs constellations élargies à Caspar David Friedrich ou Thomas Demand par exemple, notamment dans The Snows of Venice (Les neiges de Venise, 2018). Elle s'interrogera sur le souci de la contemporanéité dans ces œuvres singulières à l'ère du web participatif, des circulations et des échanges généralisés. Partant des articulations entre la volonté d'ancrage dans un sensible commun, une connaissance partagée, voire populaire, et l'esprit critique, entre les valeurs relatives du chaud et du froid, elle analysera les formes d'implication et d'information du lecteur/regardeur, la recomposition de ses horizons d'attente par le moyen d'un dialogue intermédial d'une grande plasticité et radicalement hostile aux hiérarchisations. "Art plébéien, art simple, art entre les hommes", ce dialogue où l'auteur Alexander Kluge reconnaît la caractéristique de la littérature de demain renoue avec une pratique et un genre humanistes.

Hilda Inderwildi est Maître de conférences à l'université Toulouse Jean Jaurès, et traductrice. Thèmes de recherche : le dialogue des arts dans l'aire germanophone (en partic. XIXe-XXIe siècles), les formes intermédiales, le théâtre contemporain, les "patrimoines nomades" (patrimoines de guerre entre les pays de langue allemande et la France). Habilitation en 2018 sur le thème "Gerhard Richter au miroir de ses coopérations avec Alexander Kluge (1966-2016)". Traduction (avec Vincent Pauval) du livre d'artiste Dezember (A. Kluge, G. Richter, Bibliothek Suhrkamp, 2010), participation à la traduction de Chronique des sentiments (livre I) aux éditions POL.

Gertrud KOCH : Alexander Kluge prend l'espace - les transformations du film à l'installation
Depuis quelques années Kluge expérimente l'espace en trois dimensions. Dans la Fondazione Prada à Venise les salles d'exposition et le bâtiment entier étaient lieux des présentations de trois artistes : Alexander Kluge, écrivain et metteur en scène, Thomas Demandt, photographe et Anna Viebrock, décoratrice théâtrale. La communication traitera de questions et dimensions nouvelles concernant les media divers, leurs effets esthétiques et les rapports des objets statiques et mouvants. La théâtralisation de l'espace muséal est stupéfiant : la production d'un cosmos, d'un monde entier qui intègre aux écrans des images mouvantes avec son et musique, et des montages dans un palimpseste spatiale.

Richard LANGSTON : Georg Simmel, Walter Benjamin and Alexander Kluge's Twenty-First Century Arcades Project
A considerable wealth of scholarship has addressed how exactly the principal custodians of Critical Theory stand on the shoulders of Simmel, how it built itself atop the pillars of Simmel's Kulturphilosophie while nevertheless censuring his neo-Kantian relativism. But what of Simmel's legacy for twenty-first century arbiters of Critical Theory ? Very recent scholarship has started to make the case, for example, that Simmel's mature work in particular is especially germane for our contemporary moment shaped by global economic crises. The following proposed talk takes Habermas at his word that "Simmel is nowadays […] both near to, and far away from us" in order to test just how far or close the Frankfurt School's self-ascribed "court poet" — Alexander Kluge — is to the progenitor of Critical Theory. Kluge once regarded Benjamin, Adorno, Bloch, and Marx as his chief rabbis, but what of Simmel, an unavoidable middleman between Marx and Bloch, Benjamin and Adorno ?

Publications
Richard Langston, Dark Matter, In Defiance of Catastrophic Modernity : A Field Guide to Alexander Kluge and Oskar Negt, London and New York, Verso Books, 2020 (Forthcoming).
Richard Langston, Difference and Orientation : Poetics, Film, Media, Theory, by Alexander Kluge, Ed. R. Langston, Trans, E. Woelk, Ithaca, NY, Cornell University Press, Forthcoming in summer 2019.
Richard Langston, "Oskar Negt and Alexander Kluge : From the Underestimated Subject to the Political Constitution of Commonwealth", The SAGE Handbook of Frankfurt School Critical Theory, Eds. Werner Bonefeld et al., Vol. 1, London, Sage Publications, 2018, 317-34.
Richard Langston, "Specters of Ambivalence : Notes on Alexander Kluge's Ambiguous Genre", Zeitschrift für Ästhetik und Allgemeine Kunstwissenschaft, Sonderheft 16, "Ambiguity in Contemporary German Art and Literature", 2018, 137-52.
Richard Langston, "Toward an Ethics of Fantasy : The Kantian Dialogues of Oskar Negt and Alexander Kluge", Germanic Review 85.4, 2010, 271-293.

Sylvie LE MOËL : Une "mémoire émotionnelle" productive : réception et transformation du genre opératique chez Alexander Kluge
Pour Alexander Kluge, les 400 ans d'histoire de l'opéra européen constituent une "mémoire émotionnelle" précieuse, car antiréaliste : l'univers de l'opéra est une hétérotopie où les sentiments exacerbés induisent une rupture avec la perception du réel. Cette prédilection pour le genre et pour ses capacités de renouvellement formel induit une réception particulièrement féconde chez Kluge dont cette communication se propose de retrouver les traces dans sa création. Tout d'abord dans certaines histoires brèves de la "Chronique des sentiments" comme autant de fragments antiréalistes construits sur la trame de livrets d'opéras, en particulier italiens du XIXe siècle, et dans l'intégration d'extraits d’opéras dans ses films. Ensuite dans la forme combinatoire d'"opéras minute" où l'agencement de fragments de son, de texte et d'image créent une nouvelle constellation de sens inter-médiale. On se demandera en conclusion s'il s'agit de prémisses à l'"opéra imaginaire" rêvé par Kluge comme autant de constitutifs de l'utopie d'une renaissance du XXIe siècle réconciliant arts, techniques et science.

Sylvie Le Moël est professeur de littérature allemande des Lumières au classicisme et au romantisme à Sorbonne Université. Ses recherches portent sur la littérature et l'histoire culturelle des XVIIIe et XIXe siècles, sur les phénomènes de transfert dans l'espace culturel européen des débuts de la Modernité, en particulier sur l'histoire des théories et pratiques de la traduction, sur la librettologie et sur les interactions entre musique et littérature.
Publications
Sylvie Le Moël & Laure de Nervaux-Gavoty (dir.), De l'interdisciplinarité à la transdisciplinarité ? Nouveaux objets, nouveaux enjeux de la recherche en littérature et sciences humaines, Frankfurt/Main, Peter Lang, collection "philosophie et transculturalité", 2017.
Sylvie Le Moël, "Eine produktive interlinguale und intersemotiotische Grenzüberschreitung ? Louis Spohrs "grosse Oper" Jessonda", in Marco Agnetta (Hg.), Über die Sprache hinaus. Der translatorische Umgang mit semiotischen Grenzräumen, Saarbrücken, Universaar, Unuiversitätsverlag des Saarlandes, 2019 [s.p.].

Maguelone LOUBLIER : Entrelacement de lignes mélodiques et politiques dans l'œuvre cinématographique et audiovisuelle d'Alexander Kluge
Cette intervention propose de suivre l'hypothèse d'un pari esthétique klugien qui cherche à rendre sensible la formation d'un "espace public oppositionnel cinématographique" à travers la musique : les "mélodies klugiennes", instrumentales, parlées et chantées, font irruption dans l'image à la fois comme matière sensible et comme geste politique. Il s'agira d'analyser la présence, en contrepoint de l'image, de chants révolutionnaires, d'hymnes et de mélodies classiques, tout en prêtant l'oreille à l'entrelacement de ses lignes mélodiques avec la lecture à voix haute de textes philosophiques et politiques.

Après des études d'allemand et de cinéma à l'École Normale Supérieure (Paris), à la Sorbonne Université et à Paris 8, Maguelone Loublier est docteure en études cinématographiques de l'université Paris 8 et de la Goethe-Universität (Francfort-sur-le-Main). Sa thèse porte sur l'œuvre cinématographique et audiovisuelle d'Alexander Kluge : "Variations et métamorphoses. Une voix allemande : Alexander Kluge". Depuis 2017, elle enseigne l'allemand en tant qu’ATER à la Sorbonne Université.
Publication
"L'Ombre d'une corne de taureau ou le conte de L'Enfant obstiné chez Alexander Kluge", in Germanica, n°61, 2017.

Dario MARCHIORI : Formes, limites et réinventions du documentaire dans l'œuvre cinématographique d'Alexander Kluge
L'œuvre de Kluge se caractérise, entre autre chose, par l'emploi critique des matériaux documentaires, par une interrogation constante du statut du document, par le mélange et la dialectique entre fiction et documentaire. Si l'on s'accorde généralement pour considérer que la question documentaire travaille l'écriture littéraire, la réflexion théorique et la réalisation audiovisuelle de Kluge, il sera question dans cette communication d'en préciser les formes, les enjeux et les éléments critiques, en considérant notamment son œuvre cinématographique.

Markus MESSLING : La colère. Spectres d'histoire chez Kluge et Baselitz
En 2017, Georg Baselitz et Alexander Kluge publient un livre dans la collection "Bibliothek Suhrkamp" titré La colère qui change le monde. Sous l'impression des spectres droitistes revenants, ils comprennent l'histoire du monde comme bouleversement causée par une colère qui y a été accumulée. Inspiré par les gravures du maître Katsushika Hokusai, leur assemblage d'images et de textes vise pourtant à une différence : c'est par le doigt du maître qui pointe symboliquement vers l'Europe que se révèle la divergence entre le héros européen et mélancolique et le geste des antipodes japonais. Voilà un plaidoyer pour l'ironie comme étant une force plus grande que la colère.

Markus Messling est directeur adjoint du Centre Marc Bloch et professeur de littératures romanes à l'université Humboldt de Berlin. Entre 2009 et 2014, il a dirigé le groupe "Philologie et racisme au XIXe siècle" (programme d'excellence "Emmy Noether" de la DFG) rattaché à l'université de Potsdam. Il a été Visiting Fellow à l'Institut d'Études Avancées de l'université de Londres (2014), Visiting Scholar à l'université de Cambridge (2014), ainsi que professeur invité à l'EHESS Paris (2011, 2015) et à l'université de Kobe au Japon (2016).
Publications (sélection)
"Philologie et racisme. À propos de l'historicité dans les sciences des langues et des textes", in Annales. Histoire, Sciences Sociales, 67/1, 2012, p. 153-182.
Les Hiéroglyphes de Champollion. Philologie et conquête du monde, trad. de l'allemand par K. Antonowicz, Grenoble, 2015, ELLUG / UGA Éditions.
"Universalisme et monotonie. Wilhelm von Humboldt, Hegel et la mondialisation", in La Sociabilité européenne des frères Humboldt, dir. par M. Espagne, Paris, 2016, Éditions Rue d’Ulm / Presses de l'ENS, p. 69-83.
(Dir. avec C. Ruhe, L. Seauve et V. de Senarclens) L'Œuvre de Mathias Énard. L'érudition du roman, avec une "coda" de Mathias Énard, 2019.

Jean-Pierre MOREL : Tchernobyl : un segment d'histoire(s) russe(s) ?
En partant d'une section, encore inédite en français, du recueil Die Lücke, die der Teufel läßt (Suhrkamp, 2003), on tentera de voir comment Alexander Kluge reconstitue la catastrophe nucléaire d'avril 1986 sous la forme (d'origine russe) du "montage littéraire", enrichie de procédés d'écriture nouveaux. De comprendre la façon dont, à travers le jeu de la "collision des temps", il inscrit l'événement dans une interprétation de la crise terminale du système soviétique. Et de suggérer que toute cette séquence est traversée par la tension de deux régimes d'écriture littéraire, l'un plus illustratif, l'autre plus productif.

Jean-Pierre Morel (1940) est professeur émérite de littérature comparée à l'université Paris-3 Sorbonne Nouvelle. Traducteur de Brecht, Heiner Müller, Alexander Kluge (notamment Profession arpenteur, Théâtrales, 2000) et autres. A participé à plusieurs colloques de Cerisy (André Malraux ; Jean Bollack) et en a co-organisé deux avec Wolfgang Asholt et Georges-Arthur Goldschmidt, Éxils en france au XXe siècle (2006) et Kafka après "son" siècle (2010).
Publications
Le Roman insupportable, Gallimard, 1983.
Heiner Müller, l'hydre et l'ascenseur, Circé, 1996.

Kai NONNENMACHER : Éducation sentimentale : Kluge et Flaubert
Parmi les références intertextuelles d'Alexander Kluge, on trouve Proust, Döblin, Joyce, Arno Schmidt — et Gustave Flaubert. Son roman Éducation sentimentale est un exemple explicitement présent dans l'œuvre de Kluge et de sa "politique des sentiments", pour n'en citer que le film Die Macht der Gefühle (1983) et les deux tomes de sa Chronique des sentiments (2000). Dans une interview, Kluge a opposé la chronique objective à une chronique de subjectivité, cette dernière serait, selon lui, "l'élément le plus durable, le plus matériel", même si, historiquement parlant, les sentiments s'avèrent être "extrêmement adaptables". Frédéric Moreau, le protagoniste du roman de Flaubert, se trouve coincé dans une "fausse réalité", sans être un "héros tragique", comme disait Auerbach dans Mimesis. Il s'agit de relier les analyses historiques des sentiments de Kluge et de Flaubert.

Muriel PIC : Lire Alexander Kluge : s'orienter dans les documents (ou l'expérience de l'enfant entêté)
Désorienter la raison, c'est chercher à lui faire prendre conscience d'elle-même, c'est lui faire la violence nécessaire pour qu'elle ne s'aliène pas au mythe du progrès et à la volonté irrationnelle de domination totale de la nature. Pour cela, Alexander Kluge, lecteur de Walter Benjamin, Theodor W. Adorno et Max Horkheimer, produit une œuvre avec des documents dont le montage vient constamment exiger de notre raison qu'elle trouve de nouveaux repères pour naviguer dans la vie. Les repères constitutifs de notre vision de l'histoire comme progrès sont ainsi soumis à l'exercice critique. La raison poétique et documentaire de Kluge, constamment aux aguets, ne cherche pas de refuge dans les abris portuaires de la propagande. C'est au cœur de la tempête qu'elle s'installe comme dans l'œil du cyclone. Toujours confrontée, et nous confrontant à la nécessité de survivre au conformisme et de préserver notre liberté, l'œuvre de Kluge déploie une intelligence de l'orientation qui est le principe même de la philosophie humaniste des Lumières depuis Kant. Car ce n'est qu'avec ses propres armes que la raison peut se défendre d'elle-même, trouver les moyens d'une dialectique entre la nature et l'histoire qui est la seule garante d'une liberté future.

Muriel Pic est Professeure boursier FNS à l'université de Berne. Son travail de recherche interroge la relation entre la littérature et les sciences humaines au XXe et XXIe siècles. Elle a publié plusieurs monographies et éditions critiques.
Publications
Le Désir monstre. Poétique de Pierre Jean Jouve, Le Félin, 2006.
W. G. Sebald. L'image papillon, Les Presses du Réel, 2009.
Walter Benjamin, Lettres sur la littérature, trad. avec Lukas Bärfuss, Zoé, 2014.
Les poèmes Élégies documentaires, Macula, 2016 (publiés en allemand : Wallstein Verlag, 2018).

Clemens PORNSCHLEGEL : De l'esthétique du droit chez Alexander Kluge
Alexander Kluge ne déploie, dans ses textes littéraires, aucune utopie sociale. En revanche, il fait confiance à la faculté critique du public. Dans ses textes casuistiques, il s'agit de (ré-)écrire la pratique de la juridiction en vue d'une prise de conscience des fictions du droit. C'est que la réalité se construit avec des mots, en même temps, qu'elle se dérobe. Ce n'est pas un manque, c'est une chance : on pourra toujours la dire autrement. Alexander Kluge, comme Kleist ou Kafka, fait partie des auteurs qui font apparaître la qualité poétique du droit (dans le sens du mot grec : poein). C'est la force poétique du droit qui s'oppose à sa violence sociale.

Ulrike SPRENGER : Stéréoscopie historique : Alexander Kluge et Marcel Proust
Le "roman d'un siècle" de Marcel Proust représente un point d'appui implicite pour Alexander Kluge dans la recherche de ses propres techniques narratives. Ce point d'appui se trouve marqué symboliquement par une "histoire d'origine" rapportée par le même Alexander Kluge, selon laquelle son maître Adorno l'aurait renvoyé au cinéma en jugeant que la littérature n'offrait plus rien à trouver après Proust. Les traits communs entre les univers narratifs de Proust et de Kluge se trouvent moins dans le sujet de la Mémoire que plutôt au niveau d'une relation rupturée entre le "Moi" et l'Histoire : Les deux auteurs s'intéressent au même titre à la "Simultanéité du non-simultané" dans l'environnement des deux Grandes Guerres européennes, qui devient visible notamment dans la juxtaposition de différents "Cours de vie", dans les mouvements sociaux imprévisibles des particuliers, qui eux seuls permettent d'observer une situation historique. Au cours de cette analyse précise d'une société en train de se devenir obsolète à elle-même, les deux auteurs nous refusent — chacun de manière différente — une perspective stable qu'ils remplacent par un rhizome thématique. Les magazines télévisés révèlent ce qui intrigue l'auteur ainsi que l'historien Alexander Kluge dans l'œuvre de Proust, en commençant par les personnages "flottants" dans la hiérarchie sociale (le Baron de Charlus) et en terminant par les métaphores optiques.

Ulrike Sprenger est Professeur de littératures romanes et littératures générales à l'université de Constance. Ses sujets de recherche prioritaires portent sur la narration au XIXe et XXe siècle en France (Proust ABC, 1996) et la culture religieuse de l'Espagne baroque (Stehen und Gehen, 2013). À partir de 1993, elle a régulièrement participé aux magazines télévisés d'Alexander Kluge dans le rôle d'interprète et d'interlocutrice sur des sujets littéraires et culturels.
Publications
"Et nous entonnerons tous ensemble les jolis chants nouveaux. De la performance du traducteur-interprète dans les entretiens d'Alexander Kluge", in Éric Lysøe, Vincent Pauval (Hgg.), Alexander Kluge et la France – Pour une levée en masse de la narration (sous presse).
"Pikareskes Geschmackserlebnis und europäisches Unterscheidungsvermögen : Ernst Opel an der Ostfront", in Alexander Kluge-Jahrbuch 5 (2018) (sous presse).

Joseph VOGL
Le genre de l'anecdote se situe au centre des productions artistiques de Kluge.
Il s'y agit du mode opératoire d'une forme narrative brève qui, avec des tournants surprenants, des hasards, des incidences ou des détails tout à coup percutants, provoque des questions à propos de la cohérence et du déroulement du procès historique.


SOUTIENS :

Goethe-Institut (Paris & Lyon)
DAAD - Paris
Centre Marc Bloch
Institut für Romanistik | Université Humboldt de Berlin
• Institut des Mondes Anglophone, Germanique et Roman (IMAGER) | Université Paris-Est Créteil (UPEC)
Éditions P.O.L
Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3

Programme 2019 : un des colloques

Programme complet


LA REVUE CRITIQUE : PASSIONS, PASSAGES


DU VENDREDI 14 JUIN (19 H) AU VENDREDI 21 JUIN (14 H) 2019

[ colloque de 7 jours ]



DIRECTION :

François BORDES, Sylvie PATRON, Philippe ROGER


COMITÉ SCIENTIFIQUE :

Per BUVIK, Patrice CANIVEZ, Éric MARTY, Claire PAULHAN, Thomas PIEL


ARGUMENT :

C'est l'une des grandes revues de la seconde moitié du XXe et du début du XXIe siècles. Ce fut aussi pendant longtemps la plus discrète. En juin 1946 paraît le premier numéro de Critique, revue générale des publications françaises et étrangères. Après des débuts difficiles, marqués par deux changements d'éditeurs et une interruption d'un an, elle trouve son équilibre aux Éditions de Minuit. Dirigée par Georges Bataille, assisté pendant quelques années du philosophe Éric Weil, puis par Jean Piel, le beau-frère de Bataille, et à partir de 1996 par Philippe Roger, Critique se propose de recenser les ouvrages les plus importants parus en France et à l'étranger, dans tous les domaines de la connaissance. Ce faisant, elle permet, dans des proportions encore modestes au vu des évolutions ultérieures, la diffusion de la pensée allemande et anglo-saxonne de l'après-guerre, et accompagne les premiers développements des sciences humaines en France. Elle contribue ensuite à l'émergence du "nouveau roman" et de la "nouvelle critique". Elle encourage le projet intellectuel d'auteurs comme Roland Barthes, Michel Deguy, Michel Foucault, Jacques Derrida, Michel Serres, et connaît son heure de gloire avec l'avènement du structuralisme. Année après année, elle réunit les éléments d'une "encyclopédie de l'esprit moderne" (Georges Bataille). Selon les mots de Philippe Roger, son directeur actuel, "[é]chappant tout à la fois à l'urgence inhérente au journalisme culturel et à l'inévitable spécialisation des revues savantes, Critique est un instrument d'information et un espace de réflexion plus indispensables que jamais".

Cette rencontre s'inscrit dans la lignée des colloques de Cerisy consacrés à des revues (Tel Quel, Change), mais y ajoute une dimension historique. Elle propose une réflexion partagée autour de Philippe Roger, des membres du conseil de rédaction actuel, des figures de Georges Bataille et de Jean Piel, ainsi que de la revue Critique en tant qu'expression de la passion des livres et des idées. Elle réunira des chercheurs de différentes spécialités et de toutes les générations ainsi que des témoins des différentes époques de Critique. Au-delà des spécialistes, les lecteurs de Critique et toutes les personnes intéressées seront invités à élargir les débats qui suivront les communications, les tables rondes ou les témoignages d'intellectuels et d'écrivains.


CALENDRIER DÉFINITIF :

Vendredi 14 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Samedi 15 juin
LA REVUE DE GEORGES BATAILLE (OU ÉPOQUE BATAILLE-WEIL)
Matin
Marina GALLETTI : D'Acéphale à Critique
Koichiro HAMANO : Georges Bataille : Critique et la révolte

Après-midi
Sylvie PATRON : Georges Bataille-Éric Weil : correspondance et antipodie
Nicola APICELLA : Kojève critique : la souveraineté de Bataille à l'épreuve du "sérieux"


Dimanche 16 juin
LA REVUE DE GEORGES BATAILLE (OU ÉPOQUE BATAILLE-WEIL)
Matin
Patrice CANIVEZ : Éric Weil et Critique. Une pratique de la philosophie
Thomas FRANCK : La philosophie allemande comme rempart critique (1946-1949)

Après-midi
Éric HOPPENOT : Maurice Blanchot, compagnon de route de Critique ?
François BORDES : Face au Sphinx. La revue Critique et la question totalitaire durant la Guerre froide


Lundi 17 juin
CRITIQUE SOUS LA DIRECTION DE JEAN PIEL (L'ÉPOQUE STRUCTURALISTE ET AU-DELÀ)
Matin
Grand entretien : Michel DEGUY : Avec Jean Piel
Antoine COMPAGNON : Critique sous Piel [texte lu par Yves HERSANT]

Après-midi
Yves HERSANT : Critique, Jean Piel et les arts [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]
Martin RUEFF : Jean Starobinski et la relation Critique

Soirée
SÉANCE PUBLIQUE
"HORS LES MURS" — À LA MÉDIATHÈQUE DE SAINT-LÔ
"Poésie contemporaine. Autour de Michel Deguy", lecture de poésie avec François BORDES, Michel DEGUY, Martin RUEFF et Sanda VOICA


Mardi 18 juin
CRITIQUE SOUS LA DIRECTION DE JEAN PIEL (L'ÉPOQUE STRUCTURALISTE ET AU-DELÀ)
Matin
Éric MARTY : Roland Barthes à Critique
Niilo KAUPPI : Avant-gardes : Critique, Tel Quel

Après-midi
Pedro CORDOBA : Critique à l'épreuve des structuralismes
Lawrence D. KRITZMAN : La révolution post-structuraliste : Derrida et Foucault

Soirée
Jacques BOUVERESSE : Grand entretien


Mercredi 19 juin
CRITIQUE AUJOURD'HUI
Matin
Critique vue de l'étranger, table ronde avec Wolfgang ASHOLT, Per BUVIK (Critique vue de la Scandinavie [texte lu par Sylvie PATRON]), Marina GALLETTI et Lawrence D. KRITZMAN

Après-midi
Charles COUSTILLE : Un rapport ambigu à l'université
Philippe ROGER : Michel Serres dans Critique

Soirée
En commun avec le colloque en parallèle "Univers pluriels d’Alexander Kluge"


Jeudi 20 juin
Matin
DÉTENTE

Après-midi
SÉANCE PUBLIQUE
"HORS LES MURS" — À L'IMEC (abbaye d'Ardenne de Caen)
Visite de l'abbaye d'Ardenne et de l'exposition

Marielle MACÉ : Poésie pour un monde élargi

Pourquoi des revues ?, table ronde animée par François BORDES, avec Nicola APICELLA, Philippe CHANIAL, Yves HERSANT, Marielle MACÉ et Philippe ROGER

Soirée
Grand soir "Alain Corbin" à l'IMEC, avec Alain CORBIN, Philippe ROGER et François BORDES


Vendredi 21 juin
Matin
Synthèse du colloque

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Nicola APICELLA : Kojève critique : la souveraineté de Bataille à l'épreuve du "sérieux"
Depuis l'immédiat après-guerre et jusqu'à la fin de ses jours, tous les efforts de Bataille seront voués à la construction d'un système — inachevé et inachevable — du non-savoir qui aurait rivalisé, par exhaustivité, avec le système hégélien. Mieux : il l'aurait complété. En ce sens, un entretien de 1948 nous fait saisir, par le biais d'un tiers, toute la portée de cette opération : "Critique cherche les rapports qu'il peut y avoir entre l'économie politique et la littérature, entre la philosophie et la politique. À cet égard, l'article d'Alexandre Kojève — je crois que c'est le plus grand philosophe qui existe en ce moment – paru dans Critique sous le titre "Hegel, Marx et le Christianisme", est ce qui a été fait de plus important. Il marque le mieux les intentions de Critique qui veut être le carrefour de la philosophie, de la littérature, de la religion et de l'économie politique". Dans notre communication, nous chercherons à comprendre pourquoi Kojève serait le véritable moteur dialectique de cette nouvelle aventure du non-savoir, envisagé sous l'angle du "sérieux" et de l'"Histoire universelle".

Nicola Apicella est titulaire d'un doctorat en "Philosophie et Sciences Sociales" obtenu à l'EHESS avec une thèse intitulée "Georges Bataille et Alexandre Kojève : la blessure de l'Histoire". Ses recherches portent sur la dialectique du désir dans la pensée française du XXe siècle. Il est co-directeur de rédaction des Cahiers Bataille, où il a publié plusieurs articles et édité, avec Marina Galletti, un texte inédit de Bataille, "Honte" (n°4, 2019). Il a également collaboré à la revue Critique (n°810, 2014), à la revue de psychanalyse La Cause du désir, où il a publié un article inédit de Kojève, "Hegel et Freud, essai d'une confrontation interprétative" (n°92, 2016) ainsi qu'à un ouvrage collectif sur L'Expérience-limite chez Bataille-Blanchot-Klossowski (Presses universitaires de Paris Ouest, 2019).

François BORDES : Face au Sphinx. La revue Critique et la question totalitaire durant la Guerre froide
Georges Bataille est un auteur essentiel du "laboratoire parisien" de la critique antitotalitaire des années 1930, en particulier dans la revue La Critique sociale. Comment le prisme de la notion de totalitarisme a-t-il été utilisé durant la Guerre froide par la revue ? Quelle place la question totalitaire a-t-elle occupée dans Critique ? À partir d'une étude de l'ensemble de la revue et de différentes sources archivistiques, cette intervention propose de cartographier et d'analyser le rapport de la revue à cette question tout au long de la guerre froide intellectuelle en Europe, de 1946 à la chute du mur de Berlin. En quoi la revue Critique contribue-t-elle à écrire une autre histoire de la critique antitotalitaire ?

François Bordes est délégué à la recherche à l'Institut mémoires de l'édition contemporaine (IMEC). Docteur en histoire de l'Institut d'études politiques de Paris (CHSP), il s'intéresse à la relation entre mémoire, création et démocratie. Membre du comité de rédaction de La Revue des revues, il participe aux revues Hippocampe et Nunc.
Publications
Essai biographique sur Kostas Papaïoannou, Les Idées contre le néant, La Bibliothèque, 2015.
La Canne à pêche de Georges Orwell, Corlevour, 2018.

Per BUVIK : Critique vue de la Scandinavie
L'intervention sera basée sur ma propre expérience et sur une enquête.

Per Buvik est professeur émérite de littérature comparée à l'université de Bergen, Norvège. Actuellement membre de l'équipe préparant l'édition des romans et nouvelles de Joris-Karl Huysmans dans la Bibliothèque de la Pléiade.
Publications
Monographie sur Georges Bataille, rédigée en norvégien, Oslo, éd. Gyldendal, 1998.
L'Identité des contraires. Sur Georges Bataille et christianisme, Paris, Éditions du Sandre, 2010.

Patrice CANIVEZ : Éric Weil et Critique. Une pratique de la philosophie
Cette communication portera sur les articles publiés par Éric Weil dans Critique. Elle tentera de dégager les spécificités de ces articles, tant du point de vue des thèmes abordés que des caractéristiques rédactionnelles. J'essaierai aussi de mettre en rapport les articles rédigés pour Critique avec la conception que se fait Éric Weil de la pratique de la philosophie, conception développée dans les ouvrages majeurs (en particulier Logique de la philosophie, Philosophie politique et Philosophie morale), ainsi que dans certains essais et conférences.

Patrice Canivez est professeur de philosophie morale et politique à l'université de Lille, où il dirige l'Institut Éric Weil. Il a publié des travaux sur Éric Weil, Hannah Arendt, Paul Ricœur, Aristote, Rousseau, Hegel, et sur des problèmes de politique contemporaine : l'éducation et la démocratie, l'État-nation et le nationalisme, l'argumentation politique, la théorie de l'action et la théorie de l'histoire.
Publications
Le politique et sa logique dans l'œuvre d'Éric Weil, Paris, Kimè, 1993.
Éric Weil ou la question du sens, Paris, Ellipses, 1998.
Weil, Paris, Les Belles Lettres, 1999.
Qu'est-ce que l'action politique ?, Paris, Vrin, 2013.

Antoine COMPAGNON : Critique sous Piel
Il s'agira surtout d'évoquer mes premiers contacts avec Jean Piel en 1974, après l'envoi d'un manuscrit, puis ma collaboration à la revue, les réunions du conseil de rédaction auxquelles j'ai participé à partir de 1977, ou encore la géographie parisienne de nos déjeuners, puis les visites chez lui à Neuilly, autant d'étapes qui m'ont formé et de moments qui ont marqué une vingtaine d'années d'amitié. Ce sera aussi l'occasion de parler de la succession de Jean Piel, des discussions avec Jérôme Lindon sur l'interruption de Critique, et enfin de la décision de continuer, du passage du relais à Philippe Roger.

Antoine Compagnon est professeur au Collège de France. Il est membre du comité de rédaction de Critique.
Dernière publication
Les Chiffonniers de Paris, Gallimard, 2017.

Pedro CORDOBA : Critique à l'épreuve des structuralismes
On a souvent associé Critique à "l'aventure structuraliste". Non sans de bonnes raisons. Mais si les liens tissés par la revue avec ceux qui incarnent (parfois malgré eux) le structuralisme triomphant sont indéniables et puissants, ils sont pris dans un environnement plus complexe. Il va de soi que l'apogée se situe à la charnière des années 1960-1970. Mais il ne faut négliger ni l'avant ni l'après : dès janvier 1951, Bataille consacre une étude aux Structures élémentaires de la parenté; et pour nous en tenir ici à Lévi-Strauss, c'est en 1999 que Critique lui adresse, sous forme d'hommage, un numéro spécial. Entre ces deux dates, la référence mathématique a changé: on est passé de Bourbaki à René Thom. C'est ce fil mathématique que nous entendons suivre pour "bricoler" une analyse… structurale des divers structuralismes rassemblés dans Critique. Une sorte de "mythologique aujourd'hui" qui, fidèle à la fois à Barthes et à Lévi-Strauss, refusera de séparer le bon grain de l'ivraie, les grands maîtres et les égarés, le sublime et le trivial, le programme de recherches et les ravages de la mode. D'où la marque du pluriel.

Ancien élève de l'ENS et agrégé d'espagnol, Pedro Cordoba est titulaire d'un doctorat sur les fêtes et légendes andalouses. Spécialiste d'ethnohistoire, il a été membre de la Casa de Vélasquez, attaché de recherches au CNRS et chargé de conférences à l'EHESS. Il a enseigné dans différentes universités françaises et étrangères. Il a publié La corrida (Le Cavalier bleu, 2008) et coordonné les numéros de Critique intitulés Dieu (2006, avec A. de Libéra) et Éthique et esthétique de la corrida (2007, avec F. Wolff).

Charles COUSTILLE : Un rapport ambigu à l'université
En ses commencements, Critique n'était pas directement liée à l'université. Georges Bataille n'était pas universitaire, pas plus que Jean Piel, qui ne se cachait pas de préférer les "épiciers" aux professeurs. Dans sa version contemporaine, si la revue espère toujours "échapper à l'inévitable spécialisation des revues savantes", son comité de rédaction est exclusivement composé d'enseignants-chercheurs. Alors, qui a changé : l'université ou Critique ?

Charles Coustille est enseignant dans le secondaire et à NYU Paris.
Publication
Antithèses. Mallarmé, Péguy, Paulhan, Céline, Barthes, Gallimard, coll. "Bibliothèque des idées", 2018.

Thomas FRANCK : La philosophie allemande comme rempart critique (1946-1949)
Nous étudierons la manière dont se constitue, dès les premiers numéros de Critique, une théorie critique se positionnant par rapport à l'héritage de la philosophie allemande. Ce parti pris se justifie par le projet d'une mise en lumière des stratégies intellectuelles et discursives visant à renouer, après la Seconde Guerre mondiale, avec une philosophie politique allemande susceptible de fournir des outils théoriques à l'analyse des conflits nationaux et internationaux. Il apparaît en effet que plusieurs animateurs fondamentaux de la revue considèrent ce rapport comme l'un des enjeux majeurs pour le champ intellectuel français d'après-guerre. Le recours (souvent ambivalent) à des philosophes tels que Kant, Hegel, Feuerbach, Marx, Engels, Bloch, Lukács et Heidegger, à la musique de Schönberg, Berg, Wagner et Beethoven et aux interprétations de Eisler, Adorno et Schönberg lui-même ou encore les analyses des politiques et des idéologies allemandes de guerre et d'après-guerre constituent en effet une part non négligeable des articles parus dans les premiers numéros de Critique. Par souci méthodologique, nous restreindrons notre étude aux années 1946 à 1949, cette date correspondant à l'émergence de nouvelles problématiques liées à l'avenir des deux Allemagne dans la continuité de la Grundgesetz für die Bundesrepublik Deutschland signée en mai 1949.

Thomas Franck est doctorant en philosophie politique et en rhétorique à l'université de Liège et prépare une thèse de doctorat sur la réception de Theodor Adorno dans les revues françaises, et plus précisément dans Arguments et Communications.
Publications
Lecture philosophique du discours romanesque, Lambert-Lucas, 2017.
À codirigé le 12e numéro des Cahiers du GRM intitulé "Matérialités et actualité de la forme revue".

Marina GALLETTI : D'Acéphale à Critique
En 1948, interviewé à propos du prix de la "meilleure revue de l'année" attribué à Critique, Bataille en fait remonter l'origine à l'idée qu’il avait eue, travaillant au service des périodiques de la Bibliothèque nationale, "d'une revue représentant l'essentiel de la pensée humaine prise dans les meilleurs livres". Sa rupture avec son activité d'avant-guerre n'en est que renforcée, et surtout celle avec la société secrète Acéphale dont la revue homonyme avait été conçue comme lieu de prédication de la religion "antichrétienne" et "nietzschéenne" de cette même société. Mais la page d'Acéphale est-elle vraiment tournée ? Non seulement parmi les collaborateurs de Critique, on peut repérer des membres de la société secrète, mais dans Critique et un certain nombre de revues immédiatement précédentes ou contemporaines de la naissance de celle-ci, Bataille prolonge ses thématiques d'avant-guerre. En 1946, c'est l'expérience même de la société secrète qu'il fait resurgir par le biais d'un dessin de Masson paru dans Acéphale… Par une analyse portant simultanément sur Critique et sur ces revues il s'agira de réouvrir la question d'Acéphale pour en tester les enjeux dans le parcours intellectuel de Bataille dans l'après-guerre.

Professeure émérite de littérature française à l'université Roma Tre, Marina Galletti a collaboré à l'édition de la Pléiade des Romans et récits de Georges Bataille (Gallimard, 2004, rééd. 2014), dont elle a reconstruit le parcours communautaire dans La comunità impossibile di Georges Bataille (Kaplan 2008) et dans Georges Bataille, L'Apprenti Sorcier (La Différence, 1999) réédité partiellement au Japon (Shobo, 2006), en Angleterre et aux USA (Atlas Press, 2017).

Koichiro HAMANO : Georges Bataille : Critique et la révolte
Il est, à première vue, paradoxal de parler de la révolte au sujet de Critique. Placée "en dehors de la bagarre" par son fondateur et bornée au recensement de la production intellectuelle contemporaine, la revue n'a en effet rien de ce que d'ordinaire le mot de révolte évoque de passionnel ou d'oppositionnel. Néanmoins, se vouloir apolitique à un moment fort politique comme l'immédiat après-guerre, ce fut déjà, comme le dit Philippe Roger, se mettre délibérément dans une position réfractaire. Certains articles de Bataille, examinant de près ou de loin la question de la révolte, ne viennent-ils pas par ailleurs faire de la résistance à la politique la seule contestation nécessaire au "temps de la révolte", justifiant ainsi, implicitement, le parti pris de la revue Critique ? Notre intervention se propose de repenser le "négativisme politique" de la revue Critique dans son rapport à la notion de révolte telle qu'elle s'élabore dans les textes de Bataille.

Titulaire d'un doctorat de lettres modernes, Koichiro Hamano est professeur de langue et littérature françaises à l'université Aoyama-Gakuin (Tokyo).
Publication
Georges Bataille : la perte, le don et l'écriture, Dijon, 2004.

Yves HERSANT : Critique, Jean Piel et les arts
Grand amateur d'art, en particulier d'art contemporain, Jean Piel a engagé Critique (et s'est personnellement engagé) non seulement dans la défense d'artistes qui lui tenaient à cœur, mais aussi dans une étude attentive et originale des rapports entre art et commerce. Ce travail mérite réexamen.

Directeur d'études à l'EHESS, Yves Hersant a consacré son enseignement et ses recherches à l'Humanisme et à la Renaissance. Il est également directeur de collection aux Belles Lettres, membre du comité de rédaction de Critique et traducteur; il a été un commissaire de l'exposition "La Renaissance et le rêve" (Paris, Musée du Luxembourg).
Publications
Édition commentée de Huysmans, Là-Bas, Paris, Gallimard, 1985.
Italies : les voyageurs français aux XVIIe et XVIIIe siècles, Paris, Robert Laffont, 1988.
Europes. Anthologie critique et commentée, en collaboration avec Fabienne Durand-Bogaert, Paris, Robert Laffont, 2000.
La Métaphore baroque. D'Aristote à Tesauro, Paris, Le Seuil, 2001.
Mélancolies. De l'Antiquité au XXe siècle, Paris, Laffont, 2005.

Éric HOPPENOT : Maurice Blanchot, compagnon de route de Critique ?
Maurice Blanchot publie la quasi-totalité de son œuvre critique (y compris certains fragments fictionnels) dans des revues, l'essai n'étant qu'une écriture seconde. La récollection de textes semble offrir au lecteur l'apparence d'une unité signifiante sans pour autant effacer intégralement la fragmentation initiale.
Écrire dans une revue correspond toujours chez Blanchot — en dehors de son accord tacite à la ligne éditoriale —, à un mouvement amical et généreux. Si Blanchot participe à Critique, et rejoint son comité, c'est essentiellement par amitié pour Georges Bataille. Sa coopération ponctuelle confirme cette hypothèse : Blanchot se joint à Critique pour lancer la revue et lui donner une assise intellectuelle, c'est pourquoi il accepte sans doute sans réserve d'être membre du Comité de Critique, son nom y figurera jusqu'à sa mort.
Entre le numéro 3-4 de Critique (août-septembre 1946) et le numéro 25 (juin 1948) il publie neuf articles. Il n'éditera ensuite que neuf autres textes, dont un consacré à Bataille "Le jeu de la pensée" (n°195-196, août-septembre 1963) et un ultime bref hommage, au titre prémonitoire, dédié à Beckett "O tout finir" (n°519-520, août-septembre 1990), fragment qui ouvre le numéro d'hommages à l'écrivain irlandais.
Notre communication se donnera un double objectif, d'une part, questionner cette petite vingtaine d'articles afin de déceler s'ils sont donnés à Critique pour des raisons circonstancielles ou s'ils correspondent à une dimension particulière de la pensée de Blanchot. D'autre part, on s'interrogera sur des liens plus invisibles que Blanchot a pu tisser avec tel numéro de la revue ou avec tel ou tel auteur ou article auquel il a pu s'attacher particulièrement.

Éric Hoppenot est docteur qualifié en Littérature française et professeur agrégé, il enseigne à l'ESPE de Paris (Université Paris Sorbonne). Il est membre du laboratoire CERILAC (Université Denis Diderot) et chercheur associé au GRES (Université autonome de Barcelone). Il est membre du comité de rédaction de la revue Mémoires en jeu. Il codirige deux collections consacrées à Maurice Blanchot : "Résonances de Maurice Blanchot" (Presses universitaires de Paris X) et "Archives Blanchot" (Éditions Kimé). Il est membre du comité de rédaction de la revue Mémoires en jeu et du comité scientifique de la collection italienne "Macula". Ses recherches portent sur l'œuvre de Maurice Blanchot mais également sur la littérature contemporaine et notamment certaines thématiques : les littératures génocidaires, les rapports entre Bible et littérature, la théorie littéraire (écriture fragmentaire, théorie de la lecture, fictions contemporaines). Il a publié plusieurs articles et dirigé des ouvrages sur Levinas. Il enseigne également le cinéma.

Niilo KAUPPI : Avant-gardes : Critique, Tel Quel
Cette communication se propose d'examiner les rapports de coopération et de compétition entre Critique et Tel Quel dans les années 1960. Au début des années 60, un rapport de filiation se développe entre Georges Bataille et Philippe Sollers. Tel Quel se transforme rapidement d'une revue purement littéraire soutenue entres autres par Michel Foucault en plateforme de toutes les avant-gardes. La radicalisation politique qui en suit crée de nouvelles tensions avec Critique.

Niilo Kauppi est professeur à l'Académie de Finlande et directeur de recherche au CNRS.
Publication
Tel Quel : la constitution sociale d'une avant-garde, 1990, Kelsinki, Societas Scientiarum Fennica (Commentationes Scientiarum Socialium, n°43).

Lawrence D. KRITZMAN : La révolution post-structuraliste : Derrida et Foucault
Cette communication traite des innovations intellectuelles de Jacques Derrida et Michel Foucault dans l'histoire de la pensée française au début des années 1960 dans Critique. Chez Foucault, on examinera des concepts tels que le nom du père, la pensée du dehors et l'idée de transgression. Derrida lance la pratique de la déconstruction dans des essais consacrés à la dissémination et à la force et la signification.

Lawrence D. Kritzman est Pat and John Rosenwald Research Professor of French and Comparative Literature et Director of the Institute of French Cultural Studies. Il a beaucoup écrit sur la Renaissance en France et l'histoire de la pensée française au XXe siècle.

Marielle MACÉ : Poésie pour un monde élargi
La pensée contemporaine, en écho à la crise écologique, a considérablement élargi ses objets d'interrogation : elle invite à reconnaître le statut de "sujets" non pas seulement aux hommes, mais à toutes sortes d'existants, en leur reconnaissant une intériorité, une capacité à agir, parfois même une personnalité juridique… "Être fleuve", "être pierre", "être forêt", fantôme, machine, chimère, oiseau… : autant de modes d'être désormais rassemblés sur une même scène ontologique ou politique, puisque c'est avec chacune de ces formes de vie que nous savons désormais que nous avons à nous lier.
Or la poésie a son mot à dire (et plus qu'un mot) dans cet élargissement, elle qui est, selon le mot de Jean-Christophe Bailly, l'élargissement même. Car ces choses de la nature, qui réclament aujourd'hui si fort qu'on les traite autrement, ce sont les très anciennes choses lyriques. Mieux que quiconque, les poètes savent leur prêter l'oreille (prêter l'oreille à leur plainte, à leur silence, à leur chant, et pourquoi pas à leurs idées, aux nôtres opposées), et nous y aident.

Marielle Macé enseigne la littérature à l'EHESS, où elle est directrice d'études. Elle fait partie des animateurs de la revue Critique. Son travail a porté successivement sur le genre de l'essai, sur la mémoire littéraire, et sur un renouveau de la pensée du style, élargie du domaine de l'art à la qualification de la vie, dans la grande variété de ses modalités.
Publications
Le Temps de l'essai, Belin, 2006.
Façons de lire, manières d'être, Gallimard, 2011.
Styles. Critique de nos formes de vie, Gallimard, 2016.
"Nous", Critique, n°841-842, 2017.
Sidérer, considérer. Migrants en France, Verdier, 2017.
Les Noues, Verdier, à paraître.

Éric MARTY : Roland Barthes à Critique
Les relations entre Roland Barthes et la revue Critique, ce sont d'abord les articles qu'il y publie, ce sont les lettres qu'il envoie à Jean Piel, ce sont enfin les souvenirs de ce dernier. La dimension encyclopédique à laquelle la revue aspire ne pouvait que séduire Roland Barthes même si elle a pu impliquer une certaine neutralité politique, idéologique tout à l'inverse du Théâtre populaire de Robert Voisin, des Lettres nouvelles dirigée par Maurice Nadeau ou encore de la revue Arguments à laquelle Barthes participe avec Edgar Morin ou Kostas Axelos, qui ont été davantage des espaces d'engagement et d'amitié. C'est cette spécificité de la revue Critique et l'usage qu'en a fait Roland Barthes qui seront au centre de notre propos.

Éric Marty est écrivain et universitaire, il enseigne la littérature contemporaine à l'université Paris-Diderot, il est l'auteur de nombreux essais et romans. Il est l'éditeur des œuvres de Roland Barthes.

Sylvie PATRON : Georges Bataille-Éric Weil : correspondance et antipodie
"Sans Blanchot, pas plus que sans Éric Weil, je n'aurais pu réaliser ma revue", déclare Georges Bataille dans un entretien au Figaro littéraire en 1948. Cette communication reviendra sur la correspondance échangée par Georges Bataille et le philosophe Éric Weil ou du moins sur ce qui, de cette correspondance, a pu être retrouvé : quarante-neuf lettres de Weil à Bataille, seize lettres ou copies de lettres de Bataille à Weil, couvrant environ une période de cinq ans et demi. Bien que lacunaire et tronquée, cette correspondance se révèle très intéressante. À travers certaines lettres de Weil, on devine la teneur de celles de Bataille. L'ensemble constitue un témoignage crucial sur les premières années de Critique. On s'intéressera à la fabrique de la revue, aux affaires internes et externes, aux difficultés financières, aux tractations éditoriales, aux problèmes liés à sa direction. On essaiera de déterminer ce qui se joue dans cet échange entre deux hommes que tout oppose, comme le souligne la métaphore des antipodes, utilisée par Weil bien des années plus tard, à la mort de Bataille.

Sylvie Patron est maître de conférences habilitée à diriger des recherches en langue et littérature françaises à l'université Paris Diderot. Ses recherches actuelles concernent la théorie du récit.
Publications
Critique (1946-1996). Une encyclopédie de l'esprit moderne, IMEC, 1999.
À en-tête de Critique. Correspondance [entre Georges Bataille et Éric Weil] (1946-1951), Nouvelles éditions Lignes / IMEC, 2014.

Martin RUEFF
Poète, traducteur et philosophe, Martin Rueff est professeur ordinaire à l'université de Genève. Auteur de plusieurs essais et livres de poésie, il est spécialiste de Rousseau et de l'anthropologie morale des classiques. Il a contribué à l'édition des œuvres de Claude Lévi-Strauss et de Michel Foucault dans la "Bibliothèque de la Pléiade". En 2016, il a publié un recueil des textes de Jean Starobinski sous le titre La beauté du monde, Paris, Gallimard, Quarto. Il est co-rédacteur en chef de la revue Po&sie.


BIBLIOGRAPHIE :

Georges Bataille, Éric Weil, À en-tête de Critique. Correspondance, 1946-1951, édition établie, présentée et annotée par Sylvie Patron, Fécamp et Saint-Germain-la-Blanche-Herbe, Nouvelles éditions Lignes et IMEC, coll. "Archives de la pensée critique", 2014.
• Sylvie Patron, Critique (1946-1996). Une encyclopédie de l'esprit moderne, Paris, Éditions de l'IMEC, coll. "L'Édition contemporaine", 1999.
• Jean Piel, La Rencontre et la différence, Paris, Fayard, 1982.
• Pierre Prévost, Pierre Prévost rencontre Georges Bataille, Paris, Jean-Michel Place, 1987.


PARTENARIAT :

• Institut Mémoires de l'édition contemporaine (IMEC)


SOUTIENS :

• Centre d’études et de recherches interdisciplinaires de l'UFR Lettres, Arts, Cinéma (CERILAC, URP 441) | Université Paris Cité
Institut Éric Weil | Université de Lille
Revue Critique
• Direction régionale des affaires culturelles Normandie (DRAC)

Programme 2019 : un des colloques

Programme complet


LES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

EN RECHERCHE TECHNOLOGIQUE


DU MERCREDI 5 JUIN (19 H) AU MERCREDI 12 JUIN (14 H) 2019

[ colloque de 7 jours ]



DIRECTION :

Charles LENAY, Pascal SALEMBIER, Loic SAUVÉE, Mathieu TRICLOT


ARGUMENT :

L'idée d'une recherche technologique en sciences humaines et sociales peut apparaître comme un paradoxe, tant elle prend à rebours les partages institués entre comprendre et faire, sciences humaines et sciences pour l'ingénieur, savoirs fondamentaux et applications... Alors que le faire technique devrait être une question centrale pour les sciences humaines, la rencontre prend souvent la forme décevante d'une opposition ou d'une instrumentalisation. Opposition, lorsque les techniques sont considérées comme de simples moyens, par différence avec la culture, seule source de sens. Instrumentalisation, lorsque les sciences humaines sont convoquées comme vecteur d'acceptabilité. Mais, à front renversé, ce sont aussi les sciences humaines qui s'emparent des techniques comme des instruments supposés neutres quant à leur propre questionnement.

Le mot d'ordre d'une recherche technologique a réémergé récemment au sein des universités de technologie. De cette "expérimentation" résulte aujourd'hui une diversité de pratiques : elle peut désigner l'ambition d'une techno-logie, prenant les techniques comme terrain d'études, mais elle peut aussi conduire, à rebours, à des formes d'instrumentation technique originales des disciplines des sciences humaines et sociales sur le mode d'un "faire pour comprendre", ou encore s'inscrire dans des démarches de co-conception embarquées sur des projets technologiques. Le groupement d'intérêt scientifique "Unité des Technologies et des Sciences de l'Homme", regroupant les chercheurs des universités de technologie et de l'école d'agronomie UniLaSalle, a nourri la réflexivité sur ces pratiques. L'enjeu de ce colloque consiste à confronter les travaux, menés sur des terrains particuliers — agronomie, design, soin, humanités du numérique, transport —, avec d'autres modes d'intervention des sciences humaines dans les processus d'innovation, de façon à relever le défi du caractère constituant des techniques pour nos sociétés, nos savoirs, nos formes d'expérience.


CALENDRIER DÉFINITIF :

Mercredi 5 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Jeudi 6 juin
CONCEPTION
Matin
Charles LENAY : Introduction : Enjeux d'une recherche technologique en SHS

Conception et design, table ronde organisée par Charles LENAY, Pascal SALEMBIER, Matthieu TIXIER & Mathieu TRICLOT, avec :
Nicolas NOVA : Ethnographie du présent, ethnographie des possibles
Emeline EUDES & Véronique MAIRE : La Chaire IDIS, un outil de co-transformation
Anne GUÉNAND : Le design en Université de Technologie
Jacques THEUREAU : La construction d'un programme de recherche technologique en relation organique avec des recherches en sciences humaines et sociales

Après-midi
Véhicule autonome, atelier organisé par Nathalie KROICHVILI, Charles LENAY & Pascal SALEMBIER, animé par Florence BAZZARO, Marjorie CHARRIER & Denis CHOULIER (UTBM)

Soirée
Bernard STIEGLER & Maël MONTÉVIL : La recherche technologique à l'IRI : méthode pour une clinique contributive, avec une intervention vidéo de Gerald MOORE


Vendredi 7 juin
Matin
CONCEPTION
Technologie du Care, table ronde organisée par Xavier GUCHET & Matthieu TIXIER, avec :
Gaël GUILLOUX : La recherche au Care Design Lab
Jean-Philippe PIERRON : Éthique du soin
Benoît SIJOBERT

Après-midi
TECHNO-LOGIES
Faire l'histoire de la technologie / faire de la technologie en histoire : quelle place pour les concepts technologiques en histoire des techniques ?, table ronde organisée par Timothée DELDICQUE & Sacha LOEVE, avec :
Liliane HILAIRE-PÉREZ : Le cultural turn de l'histoire des techniques
Delphine SPICQ : L'Histoire des techniques en Chine dans l'histoire des techniques
Catherine VERNA : L'histoire des techniques médiévales au miroir de la technologie
Pascal BRIOIST : Réseaux et pratiques techniques à la Renaissance

Soirée
Gaëlle GARIBALDI : Expérimenter le design minimaliste avec Tactos


Samedi 8 juin
TECHNO-LOGIES
Matin
Promesses technologiques, table ronde organisée par Guillaume CARNINO, avec :
Cecilia CALHEIROS : IA et corps augmentés : registres d'anticipation chez les transhumanistes
Arnaud SAINT-MARTIN : Le New Space
Aurore STEPHANT : Les promesses de l'extraction minière du futur

Après-midi
Constitutivité sociale, organisée par Guillaume CARNINO, avec Andrew FEENBERG : Technoscience et déréification de la Nature [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]


Dimanche 9 juin
Matin
TECHNO-LOGIES
Qu'est-ce qu'un milieu technique ?, atelier animé par Victor PETIT

Après-midi
AGROTECHNIES
Agrotechniques, table ronde organisée par Michel DUBOIS (La problématique de la domestication dans le contexte des enjeux agricoles contemporains) & Loïc SAUVÉE (L'agriculteur et l'innovation agrotechnique : enjeux contemporains), avec :
José HALLOY : Contraintes de l'anthropocène : des technologies zombies aux technologies vivantes
Georges GUILLE-ESCURET : Les paroles s'envolent et les techniques restent : une source d'instabilité des sciences sociales dans l'interdisciplinarité
Rémi LAURENT : La transformation digitale de l'agriculture comme mutation de l'activité humaine
Séverine LAGNEAUX : Penser l'inter-relation humain - animal - machine

Soirée
Documenter la recherche en train de se faire, animée par Sébastien AUGIER


Lundi 10 juin
AGROTECHNIES
Matin
Constitutivité cognition, organisée par Pierre STEINER, avec Lambros MALAFOURIS : How things shape the mind ?

Après-midi
"HORS LES MURS"
Visite de la ferme expérimentale de La Blanche Maison, animée par Michel DUBOIS et Loïc SAUVÉE

Soirée
Projection-Débat du film Bienvenue les vers de terre, en présence du réalisateur François STUCK


Mardi 11 juin
HUMANITÉS DU NUMÉRIQUE ET PATRIMOINE
Matin
"HORS LES MURS"
Visite du site Fonderie de cloches Cornille-Havard à Villedieu-les-Poêles, animée par Marina GASNIER et Yannick LECHERBONNIER
Présentation de l'activité des fondeurs de cloches sur le long terme, par Philippe CLAIRAY, conservateur des musées de Villedieu, sur le site dit de la Cour du Foyer
Visite de l'entreprise de Fonderie, Villedieu-les-Poêles
Échanges avec Paul BERGAMO, président de Cornille-Havard

Après-midi
Humanités du numérique, table ronde organisée par Marina GASNIER, avec :
Sébastien REMY : Numérisation 3D et conception mécanique
Alexandre DURUPT : Le concept de jumeau numérique
Florent LAROCHE : Le numérique comme outil pour comprendre notre histoire : pour une nécessaire interdisciplinarité


Mercredi 12 juin
Matin
Synthèse, conclusion et perspectives

Après-midi
DÉPARTS


VIDÉO :

Court métrage issu de l'installation "le Confessionnal", réalisé par Sébastien AUGIER (UFC / IUT de Belfort-Montbéliard - Département Métiers du Multimédia & d'Internet).


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Cecilia CALHEIROS
Cecilia Calheiros est en doctorat de sociologie et d'anthropologie à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales où elle est accueillie au sein du laboratoire le Cesor. Ses recherches portent sur les façons dont les technosciences et les environnements technoscientifiques suscitent des croyances autour de la notion de dépassement de soi chez les transhumanistes.

Michel DUBOIS : La problématique de la domestication dans le contexte des enjeux agricoles contemporains
Lorsque la possibilité de créer des plantes transgéniques est apparue il y a quarante ans, les acteurs du monde professionnel des semences étaient partagés : était-ce un nouvel apport dans la continuité de la multimillénaire domestication ou était-ce une rupture ? De même actuellement, où la génomique prend le pouvoir dans l'orientation de la sélection végétale et animale, est-ce pensable comme une continuité de la domestication ou comme une rupture ? On peut penser le fait technique agricole et son évolution sous le prisme de la domestication. Si F. Sigaut a estimé que "la notion empirique de domestication confond des réalités différentes, qu'il faut démêler pour mettre fin à la confusion", notre hypothèse est que, si la production agricole conduit à la domestication, mais que celle-ci semble possible sans agriculture, c'est que la domestication est un processus plus général qu'agricole qui doit être pensé dans une interaction entre technicité humaine et vivant soumis à cette technicité. C'est le triangle vivant-technique-humain qui doit être interrogé. La domestication est un processus qui implique les trois pôles; analyser la relation technique-animal, dans un contexte humain de production, c'est décortiquer le processus de la domestication qui n'est ni une technique, ni un système technique, ni un dispositif technique, et dont la "disparation" vient du fait de l'originalité de chaque espèce et des conditions et contextes de sa domestication. Penser la domestication, c'est donc aussi revoir notre relation aux objets techniques complexes qui peu à peu deviennent biomimétiques, par concrétisation, et "demandent" à être considérés...

Michel Dubois, enseignant-chercheur HDR en épistémologie et philosophie des techniques, ingénieur agronome, docteur en biologie moléculaire végétale, est chercheur dans l'unité de recherche InTerACT à UniLaSalle et chercheur associé au LIED, Univ. Paris-Diderot. Il est membre du GIS UTSH. Ses recherches traitent des problématiques du développement durable et de la transition énergétique, de la transition sociotechnique agricole dans un contexte de développement durable et des mutations conceptuelles associées.
Publications
Dubois M. J. F., 2019, "De nouveaux agriculteurs pour une nouvelle agriculture ?", Nouvelle Revue de Psychosociologie, 28 (à venir).
Fourati-Jamoussi F., Dubois M. J. F., Agnès M., Leroux V., Sauvée L., 2019, "Sustainable development as a driver for educational innovation in engineering school : the case of UniLaSalle", European Journal of Engineering Education, pp 1-19 (à venir).
Dubois M. J. F., Fourati-Jamoussi F., Dantan J., Rizzo D., Jaber M., & Sauvée L., 2019, "The Agricultural Innovation Under Digitalization", in Business Transformations in the Era of Digitalization (Mezghani K., Aloulou W., Eds), pp 276-303, Hershey, Pennsylvania, IGI Global.
Caroux D., Dubois M. J. F., Sauvée L., 2018, Évolution agrotechnique contemporaine II. Transformation de l'agromachinisme : fonctions, puissance, information, invention, Collection "Ingénieur au XXIe siècle", Presses de l'UTBM, 248 p.
Dubois M. J. F., Vitali M.-L., Sonntag M., 2018, Création, créativité et innovation dans la formation et l'activité d'ingénieur, Collection "Ingénieur au XXIe siècle", Presses de l'UTBM, 282 p.
Traitler H., Dubois M., Heikes K., Petiard V., Zilberman D., 2017, Megatrends in Food and Agriculture : Technology, Water Use and Nutrition, London, John Wiley & sons.
Dubois M. J. F., Fourati-Jamoussi F., 2017, "Intelligence économique et développement durable : réflexion intégrative", Revue internationale d'Intelligence Économique, 9 (1), pp 77-94.
Dubois M. J. F., Sauvée L., 2016, Évolution agrotechnique contemporaine. Les transformations de la culture technique agricole, Collection "Ingénieur au XXIe siècle", Presses de l'UTBM, 236 p.
Dubois M. J. F., 2016, Vivre dans un monde sans croissance - Quelle transition énergétique ?, Paris, Desclée de Brouwer, 278 p.
Fourati-Jamoussi F., Agnès M., Dubois M. J. F., Leroux V., Rakotonandraina N., Kotbi G., & Sauvée L., 2015, "How to promote, support and experiment sustainability in higher education institutions ? The case of LaSalle Beauvais", in France. Int. J. Innovation and Sustainable Development, 9 (3-4), pp 227-245.
Dubois M. J. F., 2015, La métaphore et l'improbable, Paris, L'Harmattan, Col. "Ouverture philosophique".

Emeline EUDES & Véronique MAIRE : La Chaire IDIS, un outil de co-transformation
À la Chaire IDIS - Industrie, Design & Innovation Sociale, nous développons une esthétique du déplacement. Déplacement des compétences, des discours, déplacement des manières de fabriquer du sens, de l'objet et des histoires. Projet après projet, nous interrogeons la forme de "l'entreprise collective" (Guattari, 1989) dans le but de créer des milieux de production et de vie où s'active la co-transformation des acteurs d'un territoire. La méthodologie du design y est exploitée en tant qu'outil pour une recherche engagée vers des solutions réelles, pour les acteurs de la production locale, mais aussi pour les habitants et le milieu associatif. En passant par le projet de design et les collaborations avec différents corps professionnels (sociologues, designers, entrepreneurs, artisans, compagnons du devoir, formateurs…), nous prototypons des situations de recherche, des situations de transfert de connaissances, mais aussi des situations pédagogiques donnant elles-mêmes lieu à des prototypes d'objets. Au fil des rencontres et des projets, c'est finalement l'enjeu de la co-transformation qui s'est fait jour et que nous proposons ici d'explorer davantage.

Docteur en Esthétique, Sciences et Technologies des Arts de l'Université Paris 8, Emeline Eudes est chercheuse en esthétique environnementale. Ses travaux s'attachent à étudier les points de rencontre entre art, environnement et politique. Elle a ainsi travaillé sur les créativités habitantes en milieu urbain (post-doctorat au Ladyss-CNRS), sur l'art et l'activisme environnemental ou encore sur le rôle culturel et politique de l'artiste en milieu scolaire (chargée du post-diplôme Artiste Intervenant en Milieu Scolaire - AIMS - de l'ENSBA, Paris).
Publications
Avec Sandrine Baudry : "Urban Gardening : between Green Resistance and Ideological Instrument", in The Sage Handbook of Resistance, dir. Couprasson & Vallas, 2016.
Machines de guerre urbaines, dir. Antonioli, 2015.
Faut pas pousser, Design et végétal, ESAD de Reims, 2013.
Au-delà du Land Art, revue Marges, n°14, 2012.
Elle est actuellement responsable de la recherche à l'ESAD de Reims et accompagne la Chaire IDIS dans sa démarche de recherche en design, avec qui elle a publié, en co-direction avec Véronique Maire, La fabrique à écosystèmes. Design, territoire et innovation sociale, Loco, 2018.

Véronique Maire est designer et enseignante en design à l'ESAD de Reims. Elle a débuté sa carrière au sein du studio de création Andrée Putman où elle a développé des produits pour la maison. En 2001, elle a cofondé le studio IK Design, puis elle a créé son propre bureau de création en 2006, en privilégiant son intérêt pour les savoir-faire et l'univers de la table. Elle a, aujourd'hui, lancé sa propre marque, mamama, dédié aux objets de la table, lui permettant de toucher directement les problématiques de la production et de la distribution. Au sein de l'ESAD de Reims, elle est impliquée dans le programme de recherche fondateur sur l'autoproduction, qui s'inscrit dans l'unité de recherche "Formes de l'Innovation Sociale". Depuis 2015, elle est titulaire de la Chaire IDIS. Son rôle est d'animer, de fédérer et de médiatiser les différentes actions de la Chaire IDIS et de mener des projets de recherche avec les étudiants de Master Design objet. En 2018, elle a publié, en co-direction avec Emeline Eudes, La fabrique à écosystèmes. Design, territoire et innovation sociale (Loco).

Andrew FEENBERG : Technoscience et déréification de la Nature
Quelle est le rapport entre la science et la technologie ? Autrefois on a cru que la technologie était une science appliquée et que la science proprement dite occupait une "tour d'ivoire", isolée du monde social. Mais on comprend aujourd'hui que la science dépend de la technologie tout autant que l'inverse. De plus, après la deuxième guerre mondiale, les gouvernements s'intéressent à la science et interviennent pour orienter son développement. Plus récemment, depuis la montée de la biologie comme science dominante, les entreprises pharmaceutique et chimique jouent de plus en plus un rôle actif dans les sciences, les subordonnant aux objectifs techniques et à la production de produits commerciaux. Et, finalement, c'est le public qui commence à s'intéresser aux agissements de tous ces acteurs officiels et professionnels. Notre vie de tous les jours est impliquée dans leurs décisions. La pollution et surtout le changement climatique mobilisent l'opinion et maintenant aussi de nombreux jeunes dans la rue. La paix de la tour d'ivoire est définitivement troublée. Le mot "technoscience" résume cette nouvelle condition.

Andrew Feenberg est philosophe. Il a occupé la Canada Research Chair in Philosophy of Technology à Simon Fraser University. Il est aussi Directeur de Programme au Collège International de Philosophie.
Ses recherches portent sur la philosophie de la technologie, l'internet et L'École de Frankfort. Il a écrit de nombreux articles et livres sur la philosophie de la technologie.
Sont disponibles en français (Re)Penser la technique (La Découverte, 2004) ; Pour une théorie critique de la technique (Lux Éditeur, 2014) ; Philosophie de la praxis (Lux Éditeur, 2016). Son dernier livre est Technosystem : The Social Life of Reason (Harvard, 2017).
Pour plus d'information, consulter sa page web : sfu.ca/~andrewf.

Georges GUILLE-ESCURET : Les paroles s'envolent et les techniques restent : une source d'instabilité des sciences sociales dans l'interdisciplinarité
Les techniques représentent avec le langage et le substrat biologique l'une des trois entrées principales dans les faits humains, y compris au niveau de la société. Hélas, depuis le milieu du XIXe siècle, l'antagonisme idéologique qui hante les sciences sociales entre le réductionnisme biologique et la puissance de la faculté symbolique, a systématiquement marginalisé et amoindri le rôle intrinsèque des techniques dans l'organisation des modes de vie humains. Le fait est que, sans le rétablissement complet de cette catégorie de faits au premier plan des discussions, l'interdisciplinarité incorpore une instabilité désastreuse dès qu'elle implique l'action des données sociologiques dans ses recherches. On peut d'ailleurs inverser la formulation : le rééquilibrage de l'interdisciplinarité, grâce à une prise en compte complète des rapports techniques, constitue sans doute le meilleur moyen de délivrer l'anthropologie des obsessions que l'évolutionnisme infiltre encore et toujours dans nos problématiques.

Georges Guille-Escuret est directeur de recherche en anthropologie au CNRS, centre Norbert Elias, UMR 8562, Marseille et Avignon, il a orienté ses domaines de recherche en ethno-écologie, c'est-à-dire au niveau de l'interaction entre sciences naturelles (du vivant) et sciences humaines et sociales, selon une approche épistémologique et méthodologique des relations interdisciplinaires sur la frontière sciences naturelles/sciences sociales.
Publications
2018, Structures sociales et systèmes naturels : l'assemblage scientifique est-il réalisable ?, ISTE, Londres, 233 pages (puis parution en anglais chez ISTE & Wiley).
2017, avec S. Park, Sociobiology vs Socioecology : Consequences of an Unraveling Debate, ISTE & Wiley, London, 196 pages (puis paru aussi en français chez ISTE).
2017, avec G. Anichini, F. Carraro, Ph. Geslin, Technicity vs Scientificity : Complementarities and Rivalries, ISTE & Wiley, London, 203 pages (puis paru aussi en français chez ISTE).
2016, "L'observation des hommes boutée hors du champ scientifique : une rouerie épistémologique", Raison Présente, n°195 ("L'anthropologie et ses raisons"), p. 91-100.
2015, "Darwin Charles", "Écologie humaine" et "Haeckel Ernst", in D. Bourg et A. Papaux (dir.), Dictionnaire de la pensée écologique, Paris, PUF, p. 239-240, p. 328, 330, et p. 516-518.
2015, "Un homme renversant. Réflexions sur l'escamotage de l'anthropologie de Darwin", in Guillaume Lecointre et Patrick Tort (éds), Le monde de Darwin, Paris, Éditions de La Martinière, p. 133-149.
2014, L'écologie kidnappée, Paris, PUF, 360 pages.
2012, Les mangeurs d'autres. Civilisation et cannibalisme, Paris, Éditions de l'EHESS, Cahiers de L'Homme, 292 pages.
2011, "Retour aux modes de production sans contrôle philosophique", in Cultures matérielles, Techniques & Culture, n°54-55, pp. 484-503, (daté 2010).
2010, "L'homme modifié, la nature manipulée et les savoirs décousus", Actes de la Xe Rencontres Internationales de Carthage, L'Homme et la Nature (2007), Académie Beit El Hikma, Tunis, pp. 79-104.
2008, "Le syndrome micromégas et les glissières du rapport nature/culture : l'exemple du cannibalisme", Techniques & Culture, n°50, pp. 182-205.
2007, "L'homme modifié, la nature manipulée et les savoirs décousus", Xe Rencontres Internationales de Carthage, L'Homme et la Nature, Académie Beit El Hikma, Tunis, pp. 79-104.
2004, "Les techniques entre tradition et intention", Techniques & Culture, n°42, pp. 97-110.
1994, Le décalage humain - Le fait social dans l'évolution, Paris, Éditions Kimé.

José HALLOY : Contraintes de l'anthropocène : des technologies zombies aux technologies vivantes
L'avènement de l'anthropocène pose des questions existentielles et remet en question l'ensemble des technologies issues des révolutions industrielles survenues depuis le XVIIIe siècle. L'anthropocène impose des analyses sur la longue, voire la très longue durée. L'utilisation progressivement massive des combustibles fossiles (charbons, pétroles, gaz) a favorisé le développement de technologies basées sur des matériaux, essentiellement d'origines minérales, ou des dérivés de la pétrochimie. L'ensemble de ces technologies posent deux questions fondamentales qui sont liées : d'une part, leurs contributions respectives aux dérèglements climatiques, et, d'autre part, l'épuisement des ressources minérales. Les technologies devraient perdurer sur la très longue durée et être installables à l'échelle planétaire. L'essentiel des technologies héritières de la révolution industrielle sont en fait des technologies zombies qui agissent et continuent d'envahir le monde, mais sont déjà mortes à l'aune de la durabilité. Par comparaison et comme élément de solution, le vivant sur Terre existe depuis environ 3 milliards d'années, ce que nous pouvons considérer comme durable. L'agriculture inventée depuis environ 12000 ans est potentiellement durable. Hélas, l'agriculture industrielle est également devenue un zombie. Dès lors, les questions qui nous occupent sont de déterminer les liens entre technologies vivantes et soutenabilité maus aussi de rappeler à la vie certaines des technologies zombies. De nouveaux systèmes techniques, fondés sur des machines vivantes, devraient permettre à l'humanité de traverser des millénaires.
Bibliographie
IPCC, 2014, Climate Change 2014 : Synthesis Report. Contribution of Working Groups I, II and III to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Core Writing Team, R.K. Pachauri and L.A. Meyer (eds.)], IPCC, Geneva, Switzerland, 151 pp.
IPCC, 2018, Summary for Policymakers. In : Global Warming of 1.5°C. An IPCC Special Report on the impacts of global warming of 1.5°C above pre-industrial levels and related global greenhouse gas emission pathways, in the context of strengthening the global response to the threat of climate change, sustainable development, and efforts to eradicate poverty [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, H.-O. Pörtner, D. Roberts, J. Skea, P.R. Shukla, A. Pirani, W. Moufouma-Okia, C. Péan, R. Pidcock, S. Connors, J.B.R. Matthews, Y. Chen, X. Zhou, M.I. Gomis, E. Lonnoy, Maycock, M. Tignor, and T. Waterfield (eds.)], World Meteorological Organization, Geneva, Switzerland, 32 pp.
Smil, V. (1994), Energy in world history.
Smil, V. (2008), Energy in nature and society : general energetics of complex systems, MIT press.
Smil, V. (2016), Making the modern world : materials and dematerialization, Lulu Press, Inc.

José Halloy est professeur de physique au Laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain, LIED UMR 8236 à l'université Paris Diderot. Il enseigne la modélisation de systèmes complexes et la physique. Ses recherches portent sur deux domaines : la durabilité et les systèmes bio-hybrides. La recherche sur la durabilité porte sur le couplage entre les matériaux, la production d'énergie et les technologies. La recherche sur les systèmes bio-hybrides porte sur les comportements collectifs et l'intelligence émergente que les systèmes biologiques et artificiels peuvent produire. Il est nécessaire de développer des interfaces entre systèmes intelligents vivants et artificiels tels que des robots et des systèmes intelligents.
Publications
Halloy J., Sempo G., Caprari G., Rivault C., Asadpour M., Tâche F., … & Detrain C. (2007), "Social integration of robots into groups of cockroaches to control self-organized choices", Science, 318 (5853), 1155-1158.
Caprari G., Colot A., Siegwart R., Halloy J., & Deneubourg J. L. (2005), "Building mixed societies of animals and robots", IEEE Robotics & Automation Magazine, 12 (2), 58-65.
Gribovskiy A., Halloy J., Deneubourg J. L., Bleuler H., & Mondada F. (2010, October), "Towards mixed societies of chickens and robots", 2010 IEEE/RSJ International Conference on Intelligent Robots and Systems (pp. 4722-4728), IEEE.
Bonnet F., Gribovskiy A., Halloy J., & Mondada F. (2018), "Closed-loop interactions between a shoal of zebrafish and a group of robotic fish in a circular corridor", Swarm Intelligence, 12 (3), 227-244.
Cazenille L., Collignon B., Chemtob Y., Bonnet F., Gribovskiy A., Mondada F., … & Halloy J. (2018), "How mimetic should a robotic fish be to socially integrate into zebrafish groups ?", Bioinspiration & biomimetics, 13 (2), 025001.
Bonnet F., Mills R., Szopek M., Schönwetter-Fuchs S., Halloy J., Bogdan S., … & Schmickl T. (2019), "Robots mediating interactions between animals for interspecies collective behaviors", Science Robotics, 4 (28), eaau7897.

Liliane HILAIRE-PÉREZ : Le cultural turn de l'histoire des techniques
Depuis deux générations, l'histoire des techniques s'est détachée d'approches internalistes qui la réduisaient à la succession de grandes inventions — une histoire linéaire et eurocentrée fondée sur le culte du progrès. Une attention croissante a été portée aux dynamiques culturelles, aux médiations et aux contextes locaux : sciences du génie, inventivité, circulations et transmissions, "espace public" des techniques, secret et publicité des savoirs, littérature technique sont devenus des objets d'histoire. L'un des apports majeurs concerne l'histoire de l'invention, thème classique de l'histoire des techniques. Loin du mythe du génie et des révolutions techniques, loin des dynamiques internes du changement technique, l'invention a été analysée à la lumière des travaux sur l'intelligence technique, comme résultant de capacités à imiter, adapter, transposer et combiner des procédés, des outils, des équipements d'un secteur à un autre. C'est la nature relationnelle de l'invention qui a retenu l'attention, ses liens avec les aptitudes au réseau et à l'échange. Cette dynamique sociale de l'invention est indissociable de dispositifs institutionnels. De multiples manières, les pouvoirs publics, conscients des atouts de la technique pour la guerre, le prestige et la puissance économique, ont encouragé la publicisation des inventions et les dynamiques d'intéressement collectives. Un jalon dans ces approches a été fourni par la notion d'"open technology", de "technique ouverte". En parallèle, s'est développé un courant d'étude spécifique sur la pensée technique. D'une part, des études sur les ingénieurs ont mis en valeur les sciences de la conception, les méthodes de résolution de problème et les modes de communication spécifique à cette communauté naissante depuis la fin du Moyen Âge. D'autre part, l'analyse d'un genre littéraire, les réductions en art, a promu une compréhension des techniques comme objet d'abstraction et de théorisation. Ces arts participent de la naissance d'une science des arts qui aboutit au XVIIIe siècle à des grandes entreprises, comme l'Encyclopédie. En même temps, en Allemagne, apparaissent des enseignements de "technologie", définie comme la science des arts. On retient notamment L'introduction à la technologie (Anleitung zur Technologie) de Johann Beckmann en 1777. C'est au cours du XIXe siècle que le mot "technologie" acquiert le sens de technique industrielle, notamment en anglais, aux États-Unis. L'un des points forts de l'histoire culturelle des techniques a été de montrer que la technique pouvait donner lieu à une théorisation qui ne se confondait pas avec l'application de la science à la pratique. Actuellement, de nouvelles pistes sont ouvertes comme l'attestent, d'une part, les études sur les processus intellectuels de l'analogie et de la pensée de synthèse, clés de voûte de la pensée technique, pratique et théorique, et, d'autre part, les recherches sur la place des techniques dans la pensée métaphorique et symbolique, qu'il s'agisse des cosmogonies grecques antiques, de l'étude des concepts économiques qui, depuis le XVIIIe siècle, ont fait un large usage de la mécanique et de la thermo-dynamique, de l'analyse des figures du discours de la transition énergétique ou encore du vocabulaire des sciences sociales dans les années 1990-2000. Ainsi, alors que les techniques sont omniprésentes dans notre monde, les historiens se donnent la possibilité d’historiciser les schèmes techniques qui informent nos "images du monde" (du vivant, de l'univers, du social …). Cet exercice réflexif, ce jeu de miroirs entre la pensée et l'objet qui est le propre des techniques et que les logiques instrumentales effacent si souvent, fait l'une des originalités de la recherche actuelle.

Liliane Hilaire-Pérez est professeur d'histoire moderne à l'université Paris Diderot et directrice d'études à l'EHESS. Ses travaux actuels concernent l'histoire intellectuelle des techniques, qu'il s'agisse de la théorisation des techniques, codifiées et réduites en principes ou de l'histoire de l'abstraction en milieu artisanal, à partir des langages des praticiens. Elle est directrice de la revue ARTEFACT. Techniques, histoire et sciences humaines.
Publications
L'invention technique au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 2000.
La pièce et le geste. Artisans, marchands et savoirs techniques à Londres au XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 2013.

Séverine LAGNEAUX : Penser l'inter-relation humain - animal - machine
L'approche "humanimachine" repose sur une empirie longue dans différents élevages européens. Deux éléments la caractérisent. Tout d'abord, adopter les points de vues "humanimachines", c'est d'emblée penser par trois. Grâce à cette triple prise en compte des pratiques quotidiennes des protagonistes principaux de l'élevage (l'éleveur, les animaux de rente et les machines), il est possible de s'extraire de la polémique opposant technophiles et technophobes, d'outrepasser la controverse envisageant la machine soit comme un instrument de libération soit comme une menace d'asservissement. En effet, et c'est là une seconde caractéristique, ce sont les processus multiples à l'œuvre dans les étables qui sont au cœur de l'analyse. Suivre les formes d'attachement/détachement, upgradation/rétrogradation, connexion/déconnexion/dysconnexions sans toutefois faire de ces processus l'apanage exclusif des humains permet de comprendre que les catégories ontologiques fluctuent. Par-delà toute forme d'essentialisation, il s'agit donc d'analyser les jeux de forces contraires ou convergentes entre les protagonistes et leurs environnements. Ainsi que le dévoile le terrain, les éleveurs sont pris dans des agencements suscités par les non-humains, en même temps que bêtes et robots sont également producteurs de liaison et de déliaison. Cette approche évite de poser un regard trop statique sur les protagonistes de l'élevage. Elle vise à penser les effets, les adaptations ou les transformations que chacun fait subir aux autres. En plongeant au cœur d'un élevage laitier robotisé, en observant les interactions et les pratiques quotidiennes de chaque protagoniste, une esthétique de la routine ouverte s'est faite jour. En analysant les processus qui président à l'anticipation dont l'éleveur doit sans cesse faire preuve pour maintenir l'équilibre éphémère de son système d'élevage fondé sur la routine, diverses formes de décentrement et de multiples manières de faire exister les altérités constituantes surgissent. Elles permettent de composer et de penser une communauté de dissemblables en permanente transformation.

Séverine Lagneaux est chercheure en anthropologie, professeure invitée de l'UCLouvain où elle coordonne la Chaire P. Lamy "Anthropologie de l'Europe contemporaine". Ses travaux portent sur la paysannerie européenne ainsi que sur les relations entre humains et non humains (animaux d'élevage et robots) dans divers milieux techniques en Belgique, France et Roumanie. Récemment, ses recherches s'ouvrent aux multiples formes d'attachements/détachements entre les acteurs du milieu danubien (les riverains, le Danube, ses infrastructures, sa faune, les institutions, …). Ce projet a pour ambition de dégager des trajectoires cosmopolitiques le long du fleuve, de penser et construire un "vivre ensemble et séparé en même temps" au cœur de l'Europe infrapolitique.
Ouvrages publiés
LAGNEAUX S., Eternel provisoire. Ethnographie de la paysannerie roumaine à l'heure européenne, Louvain-la-Neuve, Academia/L'Harmattan, 2016.
VAN DAM D., LAGNEAUX S., STREITH M., NIZET J., Les collectifs en agriculture bio, entre idéalisation et réalisation, Paris, Educagri, 2017.
LAGNEAUX S., SERVAIS O. (dir.), Humanimachine : fabriquer, apprivoiser, intégrer, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2019 (à paraître).
LAGNEAUX S., BECKER J., Routines et peau de vache, film documentaire, 30 minutes (à paraître).
Chapitres d'ouvrages
LAGNEAUX S., "Joana et l'héritier du gospodar : une incorporation réciproque à valoriser", in MIHAILESCU V. (dir.), Noi culturi. Noi antropologii, Bucarest, Humanitas, 2012, pp. 155-161 (en ligne).
LAGNEAUX S., ""Transition insécurisée" dans les campagnes roumaines ?", in BREDA C., DERIDER M., LAURENT P-J. (dir.), Modernité insécurisée, LLN, Academia, 2012.
LAGNEAUX S., "Robot de ferme : reformuler la dichotomie naturel – artefact", in MAZZOCCHETTI J., SERVAIS O., BOELLSTORFF T., MAURER B. (dir.), Humanités réticulaires. Nouvelles technologies, altérités et pratiques ethnographiques en contextes globalisés, LLN, Academia/L'Harmattan, 2015, pp. 217-241.
LAGNEAUX S., "La ferme 2.0 ou la libération contrainte d'une communauté hybride en Belgique", in CROS M., BONDAZ J., LAUGRAND F. (dir.), Bêtes à pensées. Visions des mondes animaux, Vrin, 2015, pp. 87-115.
CHARLIER B., LAGNEAUX S., SIMON L., STRIVAY L., "Animaux", in SAILLANT F., KILANI M. (dir.) Anthropen. Le Dictionnaire francophone d'anthropologie ancré dans le contemporain.
LAGNEAUX S., "Domesticating the machine ? (Re)configuring domestication practices in robotic dairy farming", in STEPANOFF C., VIGNE J-D., Hybrid Communities. Biosocial Approaches to Domestication and Other Trans-species Relationships, London, Routledge, 2018.
LAGNEAUX S, BECKER J., "Routines. Le travail en élevage laitier robotisé : de la libération à la coopération humanimachine", in LAGNEAUX S., SERVAIS O. (dir.), Humanimachine : fabriquer, apprivoiser, intégrer, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2019 (à paraître).
LAGNEAUX S., "What is like to be a vache ? Réflexion sur l'ethnographie et l'expérimentation de points de vue autres", in CHARLIER B., GRARD C., LAUGRAND F., et al., Écritures des terrains anthropologiques, L'Harmattan, 2019 (à paraître).
Articles
LAGNEAUX S., "La vache, l'éleveur et l'investisseur. De la tradition à l'industrialisation une reconfiguration des campagnes ?", in Sociologie romaneasca, n°2/2012.
LAGNEAUX S., SERVAIS O., "De la traite robotisée aux raids d'avatar. Incorporation et virtualisation", in Parcours anthropologique, 2014 (en ligne).
LAGNEAUX S., "Faire comme si et faire comme ça. Imitation et analogisme en élevage laitier robotisé", in Tsantsa, n°20, 2015.
LAGNEAUX S., STREITH M., VAN DAM D., NIZET J., "Fabriquer un fromage de chèvre et démultiplier le "local"", in Anthropology of food, 2018 (en ligne).
Articles à paraître et en soumission
LAGNEAUX S., "Cosmogonie et agonie, le dilemme du cochon roumain", in Frontières (en révision).
LAGNEAUX S., NIZET J., ""Faut que ça tourne !", une esthétique de la routine ouverte en élevage européen ?", in Anthropologica (révision soumise).

Rémi LAURENT : La transformation digitale de l'agriculture comme mutation de l'activité humaine
L'agriculture bénéficie aujourd'hui de la croissance rapide des technologies numériques. Les robots, d'abord fixes pour la traite, se déploient à présent dans les champs pour désherber. Les drones, équipés de caméras multi-spectrales, viennent compléter les images satellite pour cartographier les parcelles et optimiser les différents apports (engrais, phytosanitaires). Les objets connectés mettent à disposition des alertes ou des données alimentant en continu des outils d'aide à la décision basés sur des modèles issus de la R&D, contribuant ainsi à une "agriculture de précision". Les outils et réseaux sociaux permettent aux agriculteurs d'échanger des bonnes pratiques, imaginer ensemble de nouveaux itinéraires techniques, partager main d'œuvre et matériel, avec la pratique du "co-farming". Ces technologies, mises au service d'une agriculture durable, renforcent la culture collective du secteur agricole et pose de nouvelles questions. L'une d’elles, centrale, est la place de l'activité humaine. Celle-ci, qui pouvait parfois apparaître comme une application de recettes issues de la recherche, (re)devient une activité d'agronome et de décideur grâce aux informations disponibles à tout moment et appliquées à l'exploitation agricole. Ces technologies améliorent considérablement les conditions de travail (organisation, pénibilité) mais transforment aussi radicalement le métier d'agriculteur. Plus que les technologies, qui trouveront progressivement leur place partout où elles prouveront leur utilité, c'est donc bien par la place de l'homme et de ses nouvelles activités que se fera la réussite de cette transformation digitale, ce qui forgera l'agriculture de demain.

Ingénieur en intelligence artificielle et robotique de formation, Rémi Laurent est directeur Innovation-R&D des Chambres d'agriculture de Normandie. Il a contribué au développement de l'innovation dans les TPE régionales durant vingt ans avant de mettre en place et de diriger un pôle d'innovation national dédié à l'intelligence économique, l'innovation et les technologies numériques pour l'artisanat. Il coordonne les actions d'innovation et de R&D des Chambres d'agriculture de Normandie depuis bientôt dix ans et pilote plusieurs actions de transformation digitale de l'agriculture.
Publications
Bisson Christophe, Guibey Ingrid, Laurent Rémi, Dagron Pascal, "Prospective territoriale et Système Stratégique de Signaux Précoces pour une Intelligence Collective de l'Agriculture appliquée aux filières de l’élevage bovin", in Torre A., Vollet D. (eds), 2016, Partenariats pour le développement territorial, Éditions Quæ, Collection "Update Sciences & technologies", 256 p.
"Droit des données agricoles : dossiers propriété (Christophe ALLEAUME), contrats (Thibault DOUVILLE), droit de la concurrence (Anne-Sophie CHONÉ-GRIMALDI)", in Droit rural, n°469 (janvier 2019).
Management de l'innovation : recueil de normes, AFNOR, mai 2014, 428 p.

Charles LENAY : Introduction : Enjeux d'une recherche technologique en SHS
Il s'agira de montrer l'urgence, l'ambition et en même temps la nécessaire humilité, d'une recherche sur le fait et le faire technique. En effet, si les outils et systèmes techniques sont bien constituants de notre humanité — de nos façons d'agir, de percevoir, de penser, d'interagir et de former des collectifs — alors il est urgent de comprendre ce qui nous arrive avec les grandes mutations technologiques actuelles, numériques, systémiques et écologiques. L'ambition d'une telle recherche technologique devrait être de comprendre comment les schèmes de fonctionnement des outils, machines et algorithmes structurent nos interactions avec le monde et nos organisations sociales, comment le sens même de nos activités humaines est reconfiguré dans le mouvement de l'innovation. Mais, en même temps, la constitutivité technique de nos activités cognitives implique une nécessaire réflexivité sur les conditions de nos propres recherches, réflexivité qui désarme les classiques positions de surplomb de la philosophie et des sciences humaines vis-à-vis des phénomènes techniques et sociaux. Pour cela, nous avons besoin de cadres théoriques et de méthodes originales, comme de savoir participer aux processus de conception, savoir négocier les questions de recherche avec le monde industriel, ou savoir outiller les débats citoyens sur les orientations de politique technologique.

Charles Lenay est professeur en philosophie et sciences cognitives à l'université de technologie de Compiègne, directeur adjoint du laboratoire Connaissances, Organisations et Systèmes TECHniques (COSTECH), co-responsable du master User eXperience Design (UxD) et du Groupement d'Intérêt Scientifique (GIS) - Unité des Technologies et des Sciences de l'Homme (UTSH). Ses travaux visent à développer une recherche technologique en sciences humaines, en particulier dans le champ des technologies cognitives. Dans ce cadre, il a mis en place une plateforme de Suppléance Perceptive dans laquelle sont développés différents systèmes d'aide pour les personnes aveugles (système Tactos, Intertact, Dialtact). En sciences et technologies cognitives il développe un paradigme expérimental minimaliste permettant une étude systématique de la constitutivité technique de l'expérience humaine, et ouvrant sur une approche interactionniste de la cognition sociale.
Publications
C. Lenay, P. Salembier, P. Lamard, Y.-C. Lequin, et L. Sauvée, "Pour une recherche technologique en sciences humaines et sociales", in SHS Web of Conferences, Vol. 13, Paris-Est Créteil, 2014.
C. Lenay et M. Tixier, "From Sensory Substitution to Perceptual Supplementation : Appropriation and Augmentation", in Living Machines : A Handbook of Biomimetic and Biohybrid Systems, Oxford University Press, Tony J. Prescott, Nathan Lepora, and Paul F.M.J Verschure (Eds.), 2018, pp. 548-555.
C. Lenay, "Leroi-Gourhan : Technical trends and human cognition", in French philosophy of Technology, Springer, 2018.
C. Lenay et G. Declerck, "Technologies to Access Space Without Vision. Some Empirical Facts and Guiding Theoretical Principles", in Mobility of Visually Impaired People, E. Pissaloux et R. Velazquez (Eds.), Springer, 2018, pp. 53 75.
C. Lenay, "Explanatory schemes for social cognition - A minimalist Interaction-based approach", Pragmatism Today, Vol. 8, Issue 1, 2017, pp. 63-86.

Nicolas NOVA : Ethnographie du présent, ethnographie des possibles
Si des formes diverses d'observation, participante ou non, ont été mobilisées par les designers tout au long du XXe siècle, les trente dernières années ont vu une intensification des liens entre ethnographie et design. En parallèle des démarches maintenant courantes de design centré-utilisateurs — qui s'appuient sur une compréhension des usages afin d'imaginer des produits ou services technologiques — d'autres approches sont apparues récemment. En présentant une série d'exemples, cette intervention décrira comment l'enquête de terrain ethnographique peut être mobilisée dans la création de design fiction, c'est-à-dire de scénarios prospectifs matérialisés sous forme d'objets (court-métrage vidéo, catalogues ou manuels d'objets fictifs). Le résultat peut être vu comme une forme d'"ethnographie des possibles" (Halse, 2016) ou d'"ethnographie spéculative" dont l'objet est moins de décrire une situation présente en vue de la modifier, que de servir de moyen pour débattre des produits, services ou technologies, et, plus largement, de discuter des conséquences et enjeux éventuels posés par ceux-ci.

Bibliographie
Léchot Hirt L., Nova N., Kilchör F. & Fasel S., 2016, "Design et ethnographie : comment les designers pratiquent les études de terrain", Technique et Culture, n°64, "Essais de bricologie. Ethnologie de l’art et du design contemporains", p. 27-38.
Nova N., Léchot Hirt L., Kilchör F. & Fasel S., 2015, "De l’ethnographie au design, du terrain à la création : tactiques de traduction", Sciences du design, n°1, pp. 86-93.
Nova N., 2014, Futurs ? La panne des imaginaires technologiques, Lyon, Les Moutons Électriques.
Nova N. 2014, Beyond Design Ethnography : How Designers Practice Ethnographic Research, SHS Publishing, Berlin.

Jean-Philippe PIERRON : Éthique du soin
Les philosophies du soin et les éthiques du care ont mis en valeur, à partir d'une anthropologie de la vulnérabilité, l'importance d'une autonomie relationnelle. À cette fin, elles nous rendent attentives à toutes ces relations qui nous individuent, valorisant de ce fait des interactions humaines, souvent invisibles ou invisibilisées, qu'elles haussent au rang de relations pour prendre leur distance à l'égard de rapports fonctionnels purs. Dans cet esprit la technique demeure impensée, sous-entendu elle serait impersonnelle, ne serait pas du soin et risquerait de le perturber sinon de l'empêcher. Pourtant, cette valorisation des relations questionne le cadre organisationnel et technique au sein duquel ces relations se déploient. Plutôt que de le concevoir simplement comme un décor, peut-on l'envisager comme un cadre interprétatif au sein duquel des valorisations sont présentes et à vivre ? La chambre d'hôpital par exemple, plutôt que de n'être pensée que comme une théorie matérialisée (asepsie, pneumologie avec la rampe à oxygène, etc.), pourrait-elle se penser comme du soin matérialisé (ergonomie de la prise en charge avec le lit médicalisé, numéro de chambre sans nom et arbitrage sur la confidentialité) ? Dans cette perspective, le soin ne sera pas toujours là où il s'exhiberait le plus. Non seulement il forcerait à prendre soin des donneurs de soin, mais également à mettre au jour le soin par et dans la technique comme elle-même porteuse de valeurs du soin. Peut-on faire l'hypothèse alors que le soin se donne aussi dans de légitimes objectivations — ce qui n'empêche pas de contester les formes que prennent les relations humaines quand elles sont distordues par des systèmes techniques ? Nous prendrons l'exemple de l'irruption du numérique dans le monde du soin, sous la triple figure de la robotique (le carebot), de l'Intelligence artificielle dans le traitement des données massives et du logiciel de saisie des actes de soin, comme donnant l'occasion de penser ce que pourrait être un soin dans la technique, dans un système technique concret et individuant, de façon à ce que les valeurs relationnelles du soin pénètrent la technique.

Loïc SAUVÉE : L'agriculteur et l'innovation agrotechnique : enjeux contemporains
Comprendre le fait technique agricole et son évolution, c'est tenter de saisir le mouvement à la fois constitutif et constituant des multiples interactions entre l'agriculteur et ses réseaux sociotechniques, le vivant animal et végétal, et la société. La conjonction de demandes sociétales, de transformations numériques et de changement climatique place l'évolution agrotechnique contemporaine dans un vaste champ des possibles, avec de nombreuses opportunités permises par les potentialités quasi infinies d'invention, d'innovation, de concrétisation à l'interface vivant/technique, avec l'émergence de solutions souvent implémentées par les agriculteurs eux-mêmes. Le fait technique agricole apparaît ainsi au cœur des problématiques d'intensification écologique, de changement d'échelle de la production agricole (du modèle permacole au méga fermes) et d'activation plus ou moins poussée d'interactions agroécologiques mobilisant les espèces vivantes. L'agriculteur, en tant que praticien de l'activité agricole, mobilise en effet le vivant et le technique, agit conjointement sur et avec le vivant, sur et avec la technique. L'activité agricole s'opérationnalise donc en systèmes où territoires et acteurs définissent, et redessinent en permanence, leurs espaces de configurations et d'interactions sociotechniques. La place future des agriculteurs dans les activités de conception et leur rôle dans les configurations organisationnelles de R&D et de transfert technologique sont au cœur des interrogations contemporaines sur le devenir du fait technique agricole.

Loïc Sauvée, enseignant-chercheur HDR en sciences de gestion, docteur en agroéconomie et ingénieur agronome, est directeur de l'unité de recherche InTerACT à UniLaSalle et chercheur associé au laboratoire COSTECH, UTC. Il est membre fondateur du GIS UTSH. Ses recherches traitent des formes de gouvernance de l'innovation dans les secteurs agricoles et agroalimentaires, de l'apprentissage organisationnel de la RSE dans les PME agroalimentaires, de la transition sociotechnique agricole dans un contexte de développement durable.
Articles
Abdirahman Z.-Z., Shiri G., Sauvée L., 2019, "Network characteristics and the adoption of organizational innovation in the food sector", International Journal of Entrepreneurship and Innovation Management, vol. 19, forthcoming.
Fourati-Jamoussi F., Dubois M. J., Agnès M., Leroux V., Sauvée L., 2019, "Sustainable development as a driver for educational innovation in engineering school : the case of UniLaSalle", European Journal of Engineering Education, pp 1-19, forthcoming.
Abdirahman Z.-Z., Bourquin L. D., Sauvée L., Thiagarajan D., 2018, "Food safety implementation in the perspective of network learning", International Journal of Food Studies, October, Vol. 7, 2, pp 17-29.
Abdirahman Z. Z., Sauvée L., 2016, "Non-technological innovations from organisational design and change perspectives in VSEs and SMEs : the case of management systems", International Journal of Organisational Design and Engineering, 4(3-4), pp 177-194.
Bossle M. B., de Barcellos M. D., Vieira L. M., Sauvée L., 2016, "The drivers for adoption of eco-innovation", Journal of Cleaner Production, 113, pp 861-872.
Ceapraz I. L., Kotbi G., Sauvée L., 2016, "The territorial biorefinery as a new business model", Bio-based and Applied Economics, v. 5, n. 1, pp 47-62, April.
Ghozzi H., Soregaroli C., Boccaletti S., Sauvée L., 2016, "Impacts of non-GMO standards on poultry supply chain governance : transaction cost approach vs resource-based view", Supply Chain Management : An International Journal, 21(6), pp 743-758.
Ouvrages et chapitres d'ouvrages
Caroux D., Dubois M. J. F., Sauvée L., 2018, Évolution agrotechnique contemporaine II. Transformation de l'agromachinisme : fonctions, puissance, information, invention, Collection "Ingénieur au XXIe siècle", Presses de l’UTBM, 236 p., Mai, 246 p.
Abdirahman Z.-Z., Sauvée L., 2017, "RSE dans le secteur agroalimentaire", in Écoconception et innovation responsable, Techniques de l'Ingénieur, 14 p., octobre.
Ceapraz I. L., Kotbi G., Sauvée L., 2017, "Conceptualiser la bioraffinerie territorialisée : quelle approche théorique ?", in Écologie Industrielle et territoriale, COLEIT 2014, Brullot S. et Junqua G. (Eds) Presses des Mines, Juillet.
Dubois M. J. F., Sauvée L., 2016, Évolution agrotechnique contemporaine. Les transformations de la culture technique agricole, Collection "Ingénieur au XXIe siècle", Presses de l'UTBM, 236 p.
Lenay C., Salembier P., Lamard P., Lequin Y. C., Sauvée L., 2014, "Pour une recherche technologique en sciences humaines et sociales", in SHS Web of Conference, vol. 13. SHST 2013-UPEC : sciences humaines en sciences et techniques – Les sciences humaines dans les parcours scientifiques et techniques professionnalisants : quelles finalités et quelles modalités pratiques ? Paris-Est Créteil, France, 7–8 Février, 2013, A. Bernard, M. Dell’Angelo, S. de Montgolfier, A.-S. Godfroy, M. Huchette, A. Mayrargue et C. Roux (Eds.).

Delphine SPICQ : L'Histoire des techniques en Chine dans l'histoire des techniques
Il s'agira d'interroger les rapports Orient Occident pour ce qui concerne l'histoire des techniques, notamment l'évolution de la façon dont ces techniques ont été envisagées et analysées de part et d'autre. Nous nous attacherons notamment à montrer la place croissante de l'Asie et de la Chine dans l'étude de l'histoire des techniques au gré de l'évolution des questionnements de la discipline, depuis la vision universelle euro-centrée des techniques jusqu'aux notions plus récentes de circulation, de divergence, d'histoire globale et connectée dans lesquelles une place grandissante est faite aux conditions sociales et culturelles de production des techniques, loin du discours traditionnel centré sur les aspects économiques.

Delphine Spicq est maître de conférences à l'Institut des hautes études chinoises du Collège de France, responsable de la bibliothèque de l'Institut et membre statutaire de l'UMR 8173 Chine Corée Japon, EHESS/CNRS. Ses travaux portent sur l'histoire et l'histoire des techniques en Chine sous la dynastie des Qing et sous la République.
Publications
Caroline Bodolec, Delphine Spicq (coord.), Aperçus sur les recherches en histoire des techniques sur la Chine, Artefact, Techniques, histoire et sciences humaines, n°8, 2018.
Chapitre 3. "Linqing, official handbooks and the construction of knowledge on water conservancy", in Jami Catherine (ed.), Human mobility and the circulation of scientific and technical knowledge in late imperial China, Paris, Institut des hautes études chinoises, Collège de France, 2017, p. 99-132.
Hilaire-Perez Liliane, Nègre Valérie, Spicq Delphine et Vermeir Koen (dir.), Le livre technique avant le XXe siècle. À l’échelle du monde, actes de colloque, Paris, CNRS éditions (collection Alpha), 2017, 502 p.
"Les cartes traditionnelles hydrologiques chinoises : le Huang Yun hekou gujin tushuo 黃運河口古今圖說 de Linqing 麟慶 (1791-1846)", in Le livre technique avant le XXe siècle. À l’échelle du monde, actes de colloque, Paris, CNRS éditions (collection Alpha), 2017, p. 43-57.
Avec Virol Michèle, chapitre 11 "les Techniques de la puissance", in Carnino Guillaume, Hilaire-Perez Liliane et Aleksandra Kobiljski (dir.), Histoire des techniques, mondes, sociétés, cultures (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, PUF (Nouvelle Clio), 2016, p. 253-292.
"A Collection of the College de France Institute of Advanced Chinese Studies", Collège de France Newsletter, 9, 2015, p. 113-114.

Jacques THEUREAU : La construction d'un programme de recherche technologique en relation organique avec des recherches en sciences humaines et sociales
La recherche technologique diffère de la simple recherche technique par sa relation organique avec une ou plusieurs sortes de recherches scientifiques. Aujourd'hui, l'épistémologie scientifique, à la suite des débats du siècle dernier entre Karl Popper, Thomas Kuhn, Paul Feyerabend et Imre Lakatos, tend à s'accorder sur la "méthodologie des programmes de recherche" proposée par ce dernier. Comme l'ont bien remarqué ses critiques, cette dernière n'a rien qui la réserve à la recherche scientifique. C'est justement ce qui ouvre sur sa spécification à différentes sortes de recherches et, en particulier, à la recherche technologique. Après avoir précisé les principes de cette spécification à la recherche technologique en relation organique avec des recherches en sciences humaines et sociales, je montrerai comment se sont construits de tels programmes de recherche technologiques, portant sur artefacts et procédures, dans deux cas, (1) en ingénierie de situations informatisées, (2) en ingénierie de l'éducation, et généraliserai en considérant plus sommairement d'autres cas.

Jacques Theureau, chargé de recherche au CNRS retraité, a reçu notamment une formation d'ingénierie, puis de physiologie du travail et d'ergonomie. Après 10 années, durant lesquelles, après quelques stages d'ingénieur, il a occupé des fonctions variées, il a développé, avec d'autres chercheurs et praticiens, deux programmes de recherche, (1) empirique sur l’activité humaine dans des situations variées et (2) technologique en ingénierie de ces situations, en relation organique entre eux et avec (3) un programme de recherche philosophique.

Catherine VERNA : L'histoire des techniques médiévales au miroir de la technologie
Si l'histoire des techniques médiévales partage des concepts avec celle des autres périodes, elle s'est également emparée de certains d'entre eux différemment, en partie du fait des sources dont elle dispose (il est certain que l'irruption de l'archéologie, de l'archéométrie et des sciences dures dans le socle interdisciplinaire de l'histoire des techniques médiévales a bousculé sa construction) et également de par sa confrontation avec l'histoire du Moyen Âge dans son ensemble et très spécifiquement avec l'histoire des sciences médiévales. Ainsi, des concepts ont été particulièrement discutés par les médiévistes. Je souhaiterais en présenter la place spécifique et les débats dont ils ont été l'objet, en particulier (1) la question de l'innovation technique, qui rejoint celle de l'inventivité; (2) la question des savoirs, autour de la notion de "savoirs tacites" et de la pratique de la codification des savoirs, une façon d'appréhender la pensée technique au Moyen Âge.

Catherine Verna est professeur d'histoire médiévale à l'université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. Ses recherches sont consacrées à l'histoire du travail dans les campagnes de la fin du Moyen Âge, à l'histoire des techniques et aux relations entre science et technique médiévales. Dans sa thèse, elle a étudié le processus d'émergence et de diffusion d’une innovation technique (Le temps des moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales, XIIIe-XVIe siècles, Publications de la Sorbonne, Paris, 2001). Elle travaille régulièrement avec des historiens des sciences, des archéologues et des archéomètres sur les relations entre scientia et ars et sur les "savoirs tacites", des thèmes qu'elle a explorés récemment avec Joël Chandelier et Nicolas Weill-Parot dans Science et technique au Moyen Âge, Saint-Denis, 2017. Son dernier ouvrage, publié aux Belles-Lettres en 2017, s'intitule L'industrie au village. Essai de micro-histoire (Arles-sur-Tech, XIVe et XVe siècles). Cette enquête, à partir de l'exploitation de sources inédites et de la reconstitution de biographies d'entrepreneurs ruraux, révèle le dynamisme de l'industrie et de l'entreprise au Moyen Âge.


Humanités du numérique, table ronde organisée par Marina GASNIER, avec Alexandre DURUPT (Le concept de jumeau numérique), Florent LAROCHE (Le numérique comme outil pour comprendre notre histoire : pour une nécessaire interdisciplinarité) et Sébastien REMY (Numérisation 3D et conception mécanique)
Le champ récent de "l'archéologie industrielle avancée" (Laroche, 2007) consiste à partir du présent pour remonter au passé en croisant les sources d'archives et les observations de terrain, puis à enrichir ces données historiques par l'utilisation des outils numériques (notamment dans une démarche de rétro-conception). Cette session a pour objectif d'interroger la diversité des approches scientifiques dans ce domaine autour d'objets patrimoniaux dont la modélisation 3D devient de plus en plus courante. Le questionnement sera double et portera, non seulement sur l'apport des technologies numériques dans la connaissance du patrimoine industriel et technique et la gestion de ses données, mais aussi sur la transformation des usages qu'elles suscitent. Les humanités numériques apparaissent en effet tout à fait intéressantes pour générer de nouvelles formes de relations avec l'héritage patrimonial en tant qu'objet d'étude, mais aussi pour déployer un éventail d'outils favorisant la production de la connaissance et sa diffusion. Comment l'outil numérique peut-il aider à se réapproprier les gestes techniques et les mécanismes anciens, ainsi que leur filiation à travers le temps ? En quoi l'usage du numérique modifie-t-il notre rapport à l'histoire des techniques ? Comment assurer l'évolution du contenu des outils développés et la compatibilité des formats ? Telles sont les questions auxquelles tentera de répondre cette table ronde, en écho à la première session consacrée à l'histoire des techniques.

Marina GASNIER
Marina Gasnier est maître de conférences HDR à l'université de technologie Belfort-Montbéliard en histoire des techniques et épistémologie du patrimoine industriel. Membre du pôle Humanités, elle exerce ses recherches au sein de RECITS, axe transverse pluridisciplinaire en sciences humaines et sociales de l'institut FEMTO-ST (UMR 6174).
Publications
"Réflexion épistémologique sur le patrimoine industriel. De la pluridisciplinarité à l'interdisciplinarité", Revue d'Histoire des Sciences, à paraître au 1er semestre 2019.
Le patrimoine industriel au prisme de nouveaux défis. Usages économiques et enjeux environnementaux, Besançon, PUFC, 2018, 295 p.
Patrimoine industriel et technique. Perspectives et retour sur 30 ans de politiques publiques au service des territoires, Lyon, Lieux Dits, 2011, 304 p. (Cahiers du patrimoine).

Florent LAROCHE
Florent Laroche est Maître de conférences HDR à l'École Centrale de Nantes, directeur du Département IPSI. Chercheur au laboratoire LS2N - Laboratoire des Sciences du Numérique de Nantes (UMR CNRS 6004). D'abord ingénieur puis docteur, il utilise son expérience en ingénierie au profit du patrimoine culturel en utilisant les outils du numérique pour préserver et valoriser les connaissances du passé. Ses travaux de recherches portent sur la Gestion du Cycle de Vie des Connaissances Patrimoniales - "KLM for Heritage". "Pourquoi réinventer la roue ?" : l'objectif est de pouvoir réutiliser notre savoir-faire ancien comme base pour l'innovation sociétale, vers un patrimoine durable. Il travaille tant pour les entreprises que comme expert pour les Musées ou l'ICOMOS. Il est également le parrain de la Fête de la Science en tant qu'ambassadeur pour la Région Pays de Loire.


Projection-Débat du film Bienvenue les vers de terre, en présence du réalisateur François STUCK
Bienvenue les vers de terre est un film sur l'agriculture de conservation et de régénération des sols cultivés. Le réalisateur nous en fait découvrir les enjeux en donnant la parole à ceux qui pratiquent et travaillent au développement de cette agriculture. Le film nous parle de la transition agroécologique commencée par des agriculteurs engagés dans l’émergence de pratiques culturales qui tendent à faire de nos sociétés des sociétés durables. La vie du sol, et donc des hommes, est au cœur de cette agriculture. D'une durée de 1h11, il s'agit d'une production IDÉtorial en partenariat avec l'association Clé 2 sol conçue pour créer un lieu d'échange et d'information sur le semis direct sous couverture végétale et toutes les techniques favorisant la restauration et la régénération des sols.

Pour François Stuck, "Être réalisateur, c'est être comme un messager de la parole et du sens. Depuis qu'il réalise des films, la préoccupation de la paix et de la dignité est un fil rouge qui traverse ses documentaires. Bienvenue les vers de terre s'inscrit dans cette lignée sur le thème de la réconciliation de l'homme avec son milieu, la terre, avec lui-même et avec les autres".


SOUTIEN :

• GIS-UTSH - Unité Technologies & Sciences de l'Homme

Les quatre établissements fondateurs du GIS-UTSH :

UniLaSalle
• Université de Technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM)
• Université de Technologie de Compiègne (UTC)
• Université de Technologie de Troyes (UTT)

Programme 2019 : un des colloques

Programme complet


ART, INDUSTRIE ET SOCIÉTÉ

AU TEMPS DE LA RECONSTRUCTION ET DE LA CROISSANCE D'APRÈS-GUERRE


DU MERCREDI 5 JUIN (19 H) AU MERCREDI 12 JUIN (19 H) 2019

[ colloque de 7 jours ]



DIRECTION :

Gwenaële ROT, François VATIN


ARGUMENT :

Art et industrie peuvent-ils faire bon ménage ? La question est probablement aussi ancienne que l'industrie elle-même et rares sont ceux qui, tel Achille Kaufmann en 1853, ont revendiqué la "poésie de l'industrie".

Après la première guerre mondiale, la "querelle du machinisme" fit rage entre ceux qui ne voyaient plus dans la machine qu'un instrument de mort et ceux que fascinaient sa puissance et sa beauté fonctionnelle. L'après seconde guerre ne laissa guère de place au refus romantique du progrès, car il fallait reconstruire, et vite. Mais, des exigences de rapidité de la Reconstruction, on a trop vite conclu, rétrospectivement, qu'on n'aurait, à l'époque, eu aucun souci de l'esthétique. C'est cette question que l'on entend revisiter en discutant des relations entre art et industrie au cours de cette époque.

Il s'agira d'abord de s'interroger sur l'esthétique fonctionnelle de l'usine elle-même et sur son influence sur l'ensemble de l'architecture de la période. La question est, ensuite, celle des médias artistiques et de leur renouvellement : la photographie et le cinéma sont directement en phase avec l'esthétique usinière, mais la peinture, la sculpture, la tapisserie sont aussi mobilisées. Il faut réconcilier les hommes avec leur nouvel univers. Si l'industrie peut pénétrer l'art, l'art pourra aussi pénétrer l'industrie. Car l'enjeu est aussi social. Cette période est celle des grandes ambitions de démocratisation artistique. La beauté doit appartenir à tout le monde comme l'affirmait André Malraux. Il faudra aussi s'intéresser aux représentations de l'activité productive, longtemps marquées par la figure ouvriériste de la puissance corporelle. Comment rendre compte de l'usine moderne, celle où l'homme semble disparaître derrière le gigantisme industriel ?

L'organisation de ce colloque en Normandie, région durement touchée par les destructions de la guerre et où la "Reconstruction" d'après-guerre fut en conséquence particulièrement importante, a une portée symbolique. Mais ce sera aussi l'occasion d'aborder, in situ, notamment à Saint-Lô, "capitale des ruines", ville détruite à 90% pendant la guerre, un certain nombre de problématiques du colloque. L'idée de "l'heure de la Reconstruction" est en ce sens à entendre dans une acception plus large que les années d'immédiat après-guerre. Elle renvoie à l'idée de "relèvement" de la France, urbanistique, industriel, mais aussi social et culturel qui marqua les décennies d'après-guerre et a laissé des traces vives jusqu'à aujourd'hui.


CALENDRIER DÉFINITIF :

Mercredi 5 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Jeudi 6 juin
Matin
Gwenaële ROT & François VATIN :
Introduction générale

ESTHÉTIQUE ET MACHINISME
Max BONHOMME : Machinisme ou humanisme ? La culture visuelle du communisme français de 1925 à 1939
Thierry PILLON : De la couleur dans les bureaux en France de 1950 à 1970

Après-midi
RECONSTRUIRE PLUS BEAU, PLUS FONCTIONNEL ET PLUS ÉCONOMIQUE
Robert BLAIZEAU : La Reconstruction de Saint-Lô
Patrice GOURBIN : La belle et la bête. Esthétique urbaine et nécessités industrielles pendant la Reconstruction
Carlos SAUTCHUK : Corps, nature, béton : technique et rythme à Brasilia


Vendredi 7 juin
Matin
TECHNIQUE ET ESTHÉTIQUE USINIÈRE
Stéphanie DUPONT : Minoteries reconstruites : programmes et esthétique architectural. Les cas de Caen (14) et de Cérences (50)
Florence HACHEZ-LEROY : L'aluminium et l'esthétique architecturale
Nicolas PIERROT : "Refuser d'enlaidir la vie" : l'esthétique de l'usine dans la France de la "grande croissance" (1945-1973)

Après-midi
DES OBJETS DE L'INDUSTRIE
Florence BRACHET-CHAMPSAUR : Les Galeries Lafayette, pionner de l'esthétique industrielle. "Le Festival de la création française" (1954)
Guillaume BLANC : L'industrie photographique et sa nation. Kodak-Pathé et la Biennale Photo-Optique à Paris (1955)
Delphine DROUIN-PROUVÉ : L'œuvre de Jean Prouvé dans l'urgence de la Reconstruction, une réponse industrielle et humaniste au mal logement (1945-1956)


Samedi 8 juin
Matin
LES ENTREPRISES, LES COMITÉS D'ENTREPRISE ET L'ART
Jean-Michel LETERRIER : Les comités d'entreprise de la médiation au métissage
Patrick FRIDENSON : Renault et l'art (1945-1985)
Gwenaële ROT & François VATIN : L'art et l'usine. Raymond Gosselin (1924-2017) et la sculpture automobile

Après-midi
"HORS LES MURS" — À L'USINE UTOPIK (Centre d'Art Contemporain de Tessy-Bocage)

Soirée
MUSIQUE ÉLECTROACOUSTIQUE ET INDUSTRIE
Hubert MICHEL : Présentation d'œuvres du répertoire de musique concrète


Dimanche 9 juin
Matin
L'ART EN SES LIEUX : MUSÉES, GALERIES, ÉTAT
Julie VERLAINE : Le marché de l'art français, créateur de liens entre art et industrie ?
Clothilde ROULLIER : Origine et devenir des peintures d'industrie achetées ou commandées par l'État
Clémence DUCROIX : Le musée-outil de Reynold Arnould. Le Havre, 1952-1961

Après-midi
DÉCORER LA VILLE
Marie-Laure VIALE : Sculpter, peindre à l'échelle monumentale : les modes de fabrication au service du 1% artistique
Raphaëlle SAINT-PIERRE : Les interventions d'artistes dans la Chambre de Commerce et d'Industrie du Havre et le Palais des Consuls de Rouen
Marie-Domitille PORCHERON : "Le lieu naturel du peintre est dans les grands moments de la civilisation, sur les chantiers (…) La vie des échafaudages est passionnante humainement (…)" [Alfred Manessier, 1978]
Grégor BLOT-JULIENNE & Sophie DERROT : Le luxe public de la reconstruction : le mobilier de Jacques Quinet pour l'université de Caen


Lundi 10 juin
Matin
LA PEINTURE ET LE MOTIF INDUSTRIEL
Bénédicte DUVERNAY : Fernand Léger, peinture et architecture
Odile LASSÈRE : La peinture industrielle de Camille Hilaire
Gwenaële ROT & François VATIN : Reynold Arnould : un portrait de la France industrielle à la fin des années 1950

Après-midi
PHOTOGRAPHIER L'INDUSTRIE
Véronique FIGINI-VERON : Aux frontières de l'art, la documentation photographique industrielle comme communication d'État
Dominique VERSAVEL : John Craven (1912-1981), chantre du développement industriel ?
Sandrine BULA : La France industrielle dans l'objectif d'Alain Perceval


Mardi 11 juin
SÉANCE PUBLIQUE
"HORS LES MURS" — À SAINT-LÔ
La reconstruction de la "capitale des ruines" : Saint-Lô, coordonnée par Robert BLAIZEAU (Directeur du pôle attractivité et développement territorial, Directeur des musées)
Visite de l'hôpital-mémorial (architectes P. Nelson, M. Mersier, Ch. Sébillotte, Roger Gilbert, 1956)
Visite du théâtre municipal et de sa salle des fêtes (architecte M. Mersier, 1963)
Visite de l'hôtel de ville de Saint-Lô (architecte Marcel Mersier, 1958) et de la place de l'hôtel de ville
Visite de l'appartement-témoin des années 1950
Balade dans le cœur historique reconstruit de Saint-Lô : préfecture, église Notre-Dame, remparts
Musée des beaux-arts : présentation du projet d'espace historique dédié à l'histoire de la Reconstruction de Saint-Lô et visite du musée


Mercredi 12 juin
Matin
Bilan et perspectives

Après-midi
SÉANCE PUBLIQUE
"HORS LES MURS" — À L'UNIVERSITÉ DE CAEN NORMANDIE (amphithéâtre de la MRSH)
La patrimonialisation de l'art d'après-guerre : villes, entreprises, musées, table ronde avec :
Daniel DELAHAYE (Vice-président de l'université de Caen Normandie) : L'université reconstruite : une vision qui s'impose [enregistrement vidéo en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]
Stéphanie DUPONT (Pôle "Inventaire général du patrimoine culturel", Région Normandie) & Isabelle ROBERGE (Service "Aménagement", Région Normandie) : Région Normandie : Label "Patrimoine de la reconstruction [enregistrement vidéo en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]
Nicolas PIERROT : La difficile patrimonialisation de l'héritage industriel des années 50-70 [enregistrement vidéo en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]
Marie de LAUBIER (Directrice des relations générales de Saint-Gobain) : Saint-Gobain, le paradoxe de l'âge d'or de la reconstruction
Christine MANESSIER (Créatrice en textiles - Fille du peintre Alfred Manessier - Ancienne documentaliste au Musée des arts décoratifs de Paris) : Autour d'Albert Manessier (1911-1993) [enregistrement vidéo en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]

François VATIN : Bilan du colloque [enregistrement vidéo en ligne sur la Chaîne YouTube de Cerisy]

Visite du patrimoine artistique du campus de l'université de Caen Normandie

DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Robert BLAIZEAU : La Reconstruction de Saint-Lô
Préfecture du département de la Manche en Normandie, Saint-Lô a été reconstruite en quasi-totalité après les bombardements alliés de juin et juillet 1944. Le nouveau plan d'urbanisme prend en compte la dimension historique et patrimoniale de la ville mais apporte aussi plusieurs nouveautés en matière de circulation, de règles de construction, d'aménagement public. Ville avant tout administrative et commerçante, Saint-Lô compte toutefois un certain nombre d'équipements techniques qui font écho à la modernisation de la société : hôpital, stations services, etc. L'art est également présent dans l'espace public comme au sein des équipements scolaires. À la présentation générale à Cerisy succèdera une visite d'application à Saint-Lô.

Robert Blaizeau est conservateur du patrimoine à la Ville de Saint-Lô depuis 2015. Il dirige les musées de Saint-Lô et est également directeur général adjoint en charge de la culture et de l'attractivité. Ses travaux de recherche portent notamment sur le patrimoine de la Reconstruction. Il conduit actuellement le réaménagement du musée des beaux-arts de Saint-Lô en vue d'y présenter l'histoire de la Reconstruction de la ville.

Guillaume BLANC : L'industrie photographique et sa nation. Kodak-Pathé et la Biennale Photo-Optique à Paris (1955)
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'industrie photographique française entreprend sa reconstruction et sa réorganisation. Son principal objectif, dans un contexte de pénurie de matières premières, est de retrouver le plus rapidement possible une productivité vigoureuse et stable face aux pays concurrents qui la distancent largement du point de vue technique. Mais rapidement se dessinent dans l'industrie des impératifs qui excèdent son périmètre d'activité et de compétence : on se donne pour mission de répondre aux enjeux de la Nation, à savoir regagner la souveraineté culturelle perdue au cours de la guerre et réaffirmer pour la France un statut d'universalisme. À partir du cas de la maison Kodak-Pathé, dirigée par Alfred Landucci depuis 1946 et jusqu'à son décès en 1962, on cherchera à opérer un retour critique sur cette stratégie pour interroger, d'une part, les fondements idéologiques d'une telle entreprise, et, d'autre part, ses conséquences sur la fonction de la photographie dans la constitution d'un imaginaire national, à l'heure où progrès et modernisation constituent les maîtres-mots d'une France en pleine transformation.

Guillaume Blanc, doctorant en histoire de l'art contemporain à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est secrétaire général de la Société française de photographie et chargé de cours à l'université catholique de l'Ouest et l'université Paris-Est Marne-la-Vallée. Il prépare une thèse sur le champ photographique français d'après-guerre et les enjeux idéologiques qui le traversent et le structurent. Ses publications récentes incluent des articles pour les revues Transbordeur (2019) et Image & Narrative (2019) et un essai pour le catalogue de l'exposition Icônes de Mai 68. Les images ont une histoire (BnF, 2018).

Grégor BLOT-JULIENNE & Sophie DERROT : Le luxe public de la reconstruction : le mobilier de Jacques Quinet pour l'université de Caen
La reconstruction de l'université de Caen, à partir de 1949, se déroule sur un programme, celui de la modernité d'un campus à l'organisation repensée. Dans ce cadre, l'architecte Henry Bernard est chargé de la construction, mais le mobilier ne fait largement pas partie de ses attributions. Il s'agit ici d'évoquer la commande faite au designer et ébéniste Jacques Quinet d'un ensemble mobilier destiné à la bibliothèque et à la faculté de Droit, qui s'inscrit pleinement dans l'idée d'aménagement d'un palais du savoir. Cette réalisation, qui intervient à un moment de transition dans la carrière de Quinet, doit s'inscrire dans des bâtiments soigneusement organisés et dans un fonctionnement moderne, notamment celui d'une grande bibliothèque universitaire au service des étudiants et des professeurs.

Grégor Blot-Julienne est conservateur des bibliothèques, directeur du service commun de documentation de l'université de Caen Normandie.

Docteure en histoire de l'art, Sophie Derrot est conservatrice à la bibliothèque de l'Institut national d'histoire de l'art, responsable des fonds d'archives patrimoniaux.

Max BONHOMME : Machinisme ou humanisme ? La culture visuelle du communisme français de 1925 à 1939
De façon à éclairer les débats sur l'art et l'industrie après 1945, il est nécessaire de revenir à la période de l'entre-deux-guerres, dans laquelle la question a été débattue de façon particulièrement intense. Alors que les courants modernistes en architecture et en design prônent une "esthétique de la machine", celle-ci fait l'objet de vives critiques de part des contempteurs du "machinisme". Vers 1930 en effet, le monde intellectuel français est saisi d'une hantise anti-moderne, nourrie d'un imaginaire du déclin civilisationnel, qui n'est pas le fait exclusif de penseurs conservateurs. La presse illustrée donne corps à ces spéculations, par le biais d'une iconographie apocalyptique. À l'encontre de ce pessimisme techno-critique, les communistes accompagnent en général l'élan moderniste au nom d'un rationalisme technophile, et la propagande par l'image qu'ils développent va grandement contribuer à forger une vision humaniste du rapport entre l'homme et la machine.

Max Bonhomme est diplômé de l'École du Louvre et doctorant en histoire de l'art à l'université Paris–Nanterre. Il travaille sous la direction de Rémi Labrusse et Christian Joschke et sa recherche est financée par le Labex Arts-H2H. Sa thèse s'intitule "Propagande graphique : les usages politiques du photomontage en France face aux exemples étrangers (1925-1945)". Dans l'optique d'une histoire graphique de la presse politique, ses recherches interrogent les formes du graphisme militant, qui engagent nécessairement une collaboration entre amateurs et professionnels de l'image. Il a contribué au catalogue de l'exposition "Photographie, arme de classe" qui s'est tenue au Centre Pompidou en 2018-2019.

Florence BRACHET-CHAMPSAUR : Les Galeries Lafayette, pionner de l'esthétique industrielle. "Le Festival de la création française" (1954)
Le Festival organisé en 1954 par les Galeries Lafayette, pour mettre en relation créateurs et fabricants, est à replacer plus largement dans le contexte d'émergence en France d'une "esthétique industrielle" après la Seconde Guerre mondiale. Cette initiative du grand magasin renvoie aux deux grands enjeux qui ont alimenté un siècle de débats depuis le milieu du XIXe siècle : la démocratisation de la création par la production en série et la difficile collaboration entre artistes, artisans et industriels. Après 1945, la question du rapport entre créateurs et industriels se pose en des termes nouveaux. Dans la France des années 1950, deux associations font la promotion du design industriel : Formes Utiles sous l'égide de l'architecte André Hermant et l'Institut d'esthétique industrielle fondé par Jacques Viénot. Elles mettent en place des stratégies différentes. Par leur initiative, les Galeries Lafayette s'engagent dans la voie ouverte par Jacques Viénot convaincu qu'une sensibilisation des producteurs donnera des résultats plus rapidement que l'éducation des consommateurs. Le dispositif mis en œuvre par le grand magasin pour le festival de 1954 montre plus largement que les fonctions du grand magasin ne peuvent se résumer à acheter et vendre des marchandises. La distribution n'est pas à la périphérie, elle est plus que le chaînon manquant entre le producteur et le consommateur, elle est au cœur du management de la création.

Florence Brachet-Champsaur a soutenu sa thèse en histoire, "Créer c'est avoir vu le premier. Les Galeries Lafayette et la mode (1893-1969)", à l'École des hautes études en sciences Sociales (EHESS) en juin 2018. Elle est diplômée de l'EM Lyon business school et de l'université de Lyon. Rattachée au Centre de recherches historiques (CRH), en tant qu'historienne des entreprises, ses recherches portent sur les industries créatives, l'histoire de la mode, des grands magasins, et l'histoire de la distribution.
Publications récentes
"Buying abroad, selling in Paris : the 1953 Italian fair at Galeries Lafayette", in Regina Lee Blaszczyk & Véronique Pouillard (ed.), European fashion : The creation of a global industry, Oxford University Press, 2018.
"Madeleine Vionnet and Galeries Lafayette. The unlikely marriage of a couture house and a French department store. 1922-1940", Business History, special issue on fashion, Volume 54, Issue1, 2012, pp. 48-66.

Sandrine BULA : La France industrielle dans l'objectif d'Alain Perceval
Les années d'après-guerre sont marquées par l'essor du marché de la photographie aérienne. Des pilotes-opérateurs, souvent à la tête de leur propre société, répondent aux demandes éditoriales émanant d'institutions et d'entreprises privées. Alain Perceval est l'un de ces entrepreneurs-photographes, acteur majeur dans son secteur d’activité depuis la fin des années 1950. Il a, au cours de près de trois décennies, saisi l'évolution du territoire français dans toutes ses composantes, notamment les paysages et sites industriels. Dans quel contexte technique et économique ces vues aériennes ont-elles été produites par Alain Perceval ? Pour répondre à quels impératifs de communication et d'information, suivant quelles intentions esthétiques ? À travers l'étude des commandes passées par Saint-Gobain, EDF et la Documentation française, l'on tentera de cerner les spécificités de création et d'usage de ces photographies, replacées dans la perspective du regard porté durant les Trente Glorieuses sur le monde industriel.

Sandrine Bula est conservateur aux Archives nationales, depuis 2012 responsable de la mission photographie à la Direction des fonds.
Publications
"Les archives photographiques de presse aux Archives nationales : un patrimoine adventice ?", in In situ - Revue des patrimoines, n°36, octobre 2018.
"Sels et lumière : un siècle de procédés photographiques", in La Haute-Marne vue par les premiers photographes : 1850-1880, 2019.

Marie de LAUBIER : Saint-Gobain, le paradoxe de l’âge d’or de la reconstruction
La période de la reconstruction est une période faste pour Saint-Gobain, qui participe de manière intense à l’effort de reconstruction : nouveaux centres de recherche, nouveaux produits, nouveaux procédés industriels, nouveaux marchés. Le chiffre d'affaires de Saint-Gobain croît d'environ 10% chaque année de 1950 à 1969. C'est la plus forte progression de la longue histoire de ce Groupe tricentenaire, créé par Louis XIV et Colbert. Saint-Gobain a saisi toutes les occasions que la reconstruction lui offrait et a compris aussi que l'esthétique avait un rôle important à jouer dans ce vent de modernité. Cela ne va pas sans quelques contradictions : tout en s'intéressant à son histoire, Saint-Gobain ne prend pas toujours soin de son patrimoine industriel; tout en étant soucieux de l'esthétique des réalisations architecturales auxquelles il concourt, dans ses usines, le rationalisme passe avant l'esthétique. Tout en soutenant ou en initiant des démarches artistiques originales et remarquables dans le monde industriel, le Groupe n'a pas toujours le souci de la conservation ou de la pérennité des œuvres qu'il commande. À partir de 1980, un centre d'archives et de mémoire est créé qui va permettre de retrouver l'héritage de cette période, d'en conserver la mémoire et de mettre en place une politique d'acquisitions, de préservation et de partage de ce patrimoine.

Marie de Laubier rejoint le groupe industriel Saint-Gobain en 2012 en tant que directrice des relations générales, en charge des archives et de l'histoire du Groupe, de la coordination des célébrations du 350e anniversaire de Saint-Gobain en 2015, du mécénat culturel. La responsabilité de la Fondation du Groupe lui est également confiée. Elle a publié en 2015 un ouvrage sur Saint-Gobain aux éditions Albin Michel. Auparavant, Marie de Laubier, archiviste paléographe, a été conservateur à la Bibliothèque nationale de France (1997-2012) où elle a rempli plusieurs missions.

Delphine DROUIN-PROUVÉ : L'œuvre de Jean Prouvé dans l'urgence de la Reconstruction, une réponse industrielle et humaniste au mal logement (1945-1956)
Jean Prouvé (1901-1984) a grandi dans le milieu artistique de l'École de Nancy qui visait à concilier l'homme et la nature par le biais de l'art et de l'industrie. Il appliqua ce précepte tout au long de sa vie professionnelle dont le point culminant se situe entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le premier choc pétrolier. Au cours des années 1950, en particulier, Jean Prouvé propose une réponse à la crise du logement en mettant au point un outil industriel à même de produire des éléments de construction — métal en feuilles d'acier ou d'aluminium pliées — ajustables à la demande, légers et bon marché : "il faut des maisons usinées !". Il conçoit notamment la Maison des Jours Meilleurs en réponse à l'appel de l'Abbé Pierre (1954) puis l'École de Villejuif en 1956. Un nouveau vocabulaire constructif voit le jour, faisant l'objet de brevets d'invention. De ses "Ateliers" sortent des meubles, des maisons et des écoles préfabriquées dont les structures creuses et élancées expriment les lignes de force. Avant que Studal, la filière économique de Péchiney, ne prenne le contrôle financier des Ateliers en 1952, les Ateliers Jean Prouvé maîtrisaient toute la chaine de production, depuis la conception jusqu'à la fabrication d'un produit fini, sa livraison et son montage. Le passage de ce modèle de petite "industrie fermée" à un modèle d'"industrie ouverte", ne produisant et ne commercialisant que les fragments d'un tout, entraîne la démission de Jean Prouvé en 1954. Il crée en 1956 un bureau d'études où il poursuit ses créations et innovations. Mais malgré ses efforts, les pouvoirs publics ne lui accordent pas l'homologation nécessaire pour la reproductibilité du modèle. À l'échelle de l'État, la Reconstruction est une affaire de poids lourds avec des enjeux d'emplois à la clé. L'industrialisation ouverte permet de rendre interdépendants les industriels et de contrôler la répartition des marchés. Le débouché pour la préfabrication légère se limitera aux parois des immeubles (cloisons et façades) tandis que la préfabrication lourde se concentrera sur les structures (noyaux et planchers). Les "techniques" de Jean Prouvé influenceront toutefois l'architecture de la seconde moitié du XXe siècle. Ses œuvres figurent aujourd'hui dans les plus grands musées d'art contemporain.

Delphine Drouin-Prouvé est architecte DPLG, et diplômée de troisième cycle en Histoire culturelle et sociale à l'université de Saint-Quentin-en-Yvelines. Collaboratrice régulière du service régional de l'Inventaire général du patrimoine de la Région Île-de-France, elle travaille sur l'architecture des années de reconstruction et de croissance, et notamment sur l'œuvre de Jean Prouvé.
Publication
"Les Renardières, centre de recherches et d'essais EDF", dans L'Industrie au vert, patrimoine industriel et artisanal de la vallée de la Seine en Seine-et-Marne, Paris, Somogy Éditions d'Art, 2017.
Bibliographie
Olivier CINQUALBRE, Jean Prouvé bâtisseur, collection "Carnets d'architectes", Éditions du Patrimoine / Centre des monuments nationaux, Paris, 2016.
Armelle LAVALOU, Jean Prouvé par lui-même, Éditions du Linteau, Paris, 2001.
Nicolas PIERROT (sous la direction de), L'Industrie au vert, patrimoine industriel et artisanal de la vallée de la Seine en Seine-et-Marne, p. 164-169: "Les Renardières, centre de recherches et d'essais EDF", Éditions Somogy, Paris, 2017.
Peter SULZER, Jean Prouvé, œuvre complète, volumes 3 (1944-1954) et 4 (1954-1984), Éditions Birkäuser, Bâle, 2008.
Jean Prouvé "constructeur", collection "Monographie", Éditions du Centre Pompidou, Paris, 1990.
Jean Prouvé, Monographies de la Galerie Patrick Seguin, volumes 1 (maison démontable 6x6, 1944), 7 (maison démontable métropole, 1949), 8 (maison démontable Les jours meilleurs, 1956) et 10 (école provisoire Villejuif, 1957).

Bénédicte DUVERNAY : Fernand Léger, peinture et architecture
La communication mettra en relation les décorations monumentales de Fernand Léger avec l'évolution interne à sa peinture. Elle s'attachera particulièrement à la période de la reconstruction, marquée par des relations étroites avec deux personnalités importantes de l'architecture et de sa théorie : Sigfried Giedion et Paul Nelson. Elle s'intéressera également de près à la dernière commande passée à l'artiste, la décoration murale de la cokerie d'Alfortville.

Bénédicte Duvernay est docteure en histoire de l'art. Elle a étudié à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, puis a enseigné dans les universités Paris XII, Paris I et Rennes 2. Elle est actuellement professeure à l'École supérieure d'art de Lorraine et chargée de recherches et d'expositions au Centre Pompidou-Metz. Elle prépare une exposition Fernand Léger au musée des beaux-arts de Caen pour le prochain festival Normandie impressionniste.

Véronique FIGINI-VERON : Aux frontières de l'art, la documentation photographique industrielle comme communication d'État
Alors qu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, démonstration est faite d'une efficacité politique de l'image, les photothèques publiques se développent en corollaire d'une demande croissante en documentation, notamment industrielle. Destinée en premier lieu comme aide à la prise de décision des pouvoirs publics en vue de redresser et de moderniser la France, cette information revêt d'autres fonctions, dont celle de préparer les citoyens à un monde nouveau. Sur fond de défiance à l'égard d'une communication d'État assimilée systématiquement à de la propagande, l'élaboration d'une information neutre est revendiquée, parmi laquelle figure la documentation photographique. À partir de l'exemple industriel, comment traduire cette neutralité sous forme visuelle ? Quels rôle et enjeux sont réservés à la documentation photographique ? Sous couvert d'objectivité et d'impartialité, une nouvelle forme de propagande n'est-elle pas mise en place ? En dehors des circuits des musées ou des galeries, une légitimation artistique peut-elle exister ? Autant d'approches qui permettront de questionner tant les frontières entre propagande et communication publique, entre secteurs public et privé, que celle entre document et œuvre d'art où le regard de l'ingénieur sera mis en exergue.

Maître de conférences à l'ENS Louis-Lumière, expert près la cour d'appel de Paris, Véronique Figini-Veron est historienne de la photographie. Ses recherches sont centrées sur l'État et la Photographie ; les politiques publiques photographiques (patrimoine, création, information et communication) et leurs enjeux tant sur le plan national (leurs usages à caractère social et pédagogique) que transnational (leur rôle dans les relations internationales). Son champ d'étude est axé sur les problématiques liées à l'objet/photographie, sans exclusive, du domaine des médias à celui des arts visuels. Carnet de recherches : 4p.hypotheses.org.
Prochain ouvrage à paraître
L'État et le patrimoine photographique (1968-2000). Son rôle, ses ambitions, ses réalisations, Paris, Éditions Filigranes.

Patrick FRIDENSON : Renault et l'art (1945-1985)
La présence de l'art dans l'entreprise et pas seulement dans la conception des produits apparaît progressivement comme un des signes de rupture entre le Renault nationalisé et le Renault privé. Nous examinerons trois éléments distinctifs. Le premier est la conférence de 1954 du PDG Pierre Lefaucheux sur l'esthétique industrielle. Le deuxième est le recours à de grands architectes : Bernard Zehrfuss pour l'usine de Flins sous Pierre Lefaucheux, Oscar Niemeyer pour le projet de nouveau siège social sous son successeur Pierre Dreyfus. Le troisième est la constitution à partir de 1967, à l'initiative d'un cadre supérieur, Claude Renard, d'une collection Renault d'art contemporain. Comment s'expliquent ces trois développements ? Forment-ils ou non un ensemble ? Comment sont-ils perçus dans et hors de Renault ? Qu'en reste-t-il aujourd'hui ?

Patrice GOURBIN : La belle et la bête. Esthétique urbaine et nécessités industrielles pendant la Reconstruction
Dans le Projet de reconstruction et d'aménagement, document réglementaire servant de socle à la reconstruction, les rapports entre la ville et l'industrie sont énoncés sous forme d'exclusion. La ville doit suivre les règles de l'esthétique classique alors que l'industrie doit être mise à distance par de grands espaces et camouflée par des alignements d'arbres. Mais dans la réalité, les choses ne sont pas si tranchées. Certaines usines ou activités annexes se maintiennent en centre-ville. Elles doivent alors se plier avec plus ou moins de bonheur à la discipline architecturale prévue pour le logement. Ailleurs, on conçoit de véritables quartiers industriels, qui sont réglés par des normes esthétiques inspirées de celles des quartiers centraux. Enfin les usines qui répondent à la règle de la mise à l'écart dans les zones industrielles sont à la recherche de formes monumentales et signifiantes. Elles peuvent être inspirées par le rationalisme structurel de Perret. Elles peuvent aussi se concentrer sur des bâtiments de bureaux très architecturés, qui dissimulent des installations industrielles très frustes.

Patrice Gourbin est actuellement enseignant à l'École nationale supérieure d'architecture de Normandie. Ses recherches portent sur le patrimoine ancien pendant la seconde guerre mondiale et la reconstruction, sur le patrimoine comme objet politique et social, et sur son utilisation au service du projet d'architecture. Il dirige actuellement un programme de recherche sur le devenir des villes reconstruites et leur capacité à répondre aux attendus du XXIe siècle. Il participe à la mise en place d'un label régional "villes reconstruites".

Florence HACHEZ-LEROY : L'aluminium et l'esthétique architecturale
L'industrie française de l'aluminium, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, doit faire face à une situation complexe : outre les dégâts sur son appareil de production, la nationalisation des équipements de production électrique prive le premier producteur d'électricité d'avant-guerre de l'ensemble de son parc énergétique. Ces obstacles surmontés, l'entreprise Pechiney se relance dans la conquête des marchés interrompue pendant la guerre. Nous nous attacherons ici à comprendre le rapport de l'entreprise à l'Art, en interne comme en externe, au travers notamment du cas de la décoration et de l'architecture, dont le secteur est perçu comme l'un des plus prometteurs. Fer de lance du développement, la société de vente L'Aluminium Français promeut une certaine image de l'aluminium. Celle-ci évolue ensuite au contact d'architectes qui s'approprient le métal au nom d'une esthétique qui se veut nouvelle.

Odile LASSÈRE : La peinture industrielle de Camille Hilaire
En 2016, le musée de l'Histoire du fer a reçu en don de la société ArcelorMittal France une œuvre monumentale de Camille Hilaire (1916-2004) intitulée "Sidérurgie". Cette œuvre constitue un portrait de l'industrie sidérurgique lorraine dans les années de "grande croissance". De dimensions monumentales (7,45 m x 3,25 m), d'une valeur décorative plus que documentaire, cette œuvre est à la fois un témoin et un manifeste de la puissance sidérurgique lorraine, l'homme semblant disparaître derrière le gigantisme industriel. La communication mettra en perspective la permanence du motif industriel dans la peinture de Camille Hilaire, son systématisme pour répondre aux commandes des industriels, ses influences et son cercle artistique. Elle s'intéressera tout particulièrement à "Sidérurgie", la commande de Sidélor à l'artiste en 1956 en tant qu'œuvre décorative de la salle du Conseil d'administration à Paris, aujourd'hui œuvre muséale présentée dans les espaces permanents du musée, elle traitera également des commandes effectuées pour l'entreprise Saint-Gobain de Pont-à-Mousson.

Odile Lassère est conservatrice en chef du patrimoine à la Métropole du Grand Nancy depuis 2012. Elle dirige le musée de l'Histoire du fer de Jarville-la-Malgrange dont elle conduit actuellement la refonte des espaces permanents en vue, d'une part, d'y présenter l'histoire industrielle de la région et, d'autre part, d'y créer un espace dédié aux sciences et aux techniques. Elle a mené des travaux de recherche d'inventaire du patrimoine industriel et agit pour faire connaître et valoriser patrimoine et objets techniques en direction du plus large public.
Publications récentes
L'industrie au vert, patrimoine industriel et artisanal de la vallée de la Seine en Seine-et-Marne, Paris, Somogy, 2017.
Des maisons métalliques pour l'Afrique, la maison tropicale de Jean Prouvé, Cahiers du LHAC, École Nationale Supérieure d'Architecture de Nancy, 2017.
Tour Eiffel made in Lorraine, petit journal de l'exposition présentée du 24 février 2018 au 7 janvier 2019, Musée de l'Histoire du fer, 2018.
Neuves-Maisons, une ville industrielle dans la nature, collection "Les Patrimoines", Édition L'Est Républicain, 2019.

Hubert MICHEL : Présentation d'œuvres du répertoire de musique concrète
La musique concrète a été conçue par Pierre Schaeffer en 1948. Cette nouvelle façon de composer de la musique est en résonance avec le contexte de l'époque, celui de la reconstruction de la France d'après-guerre. Lors du concert, seront exécutées deux œuvres de Pierre Henry composées dans les année 1950, une œuvre contemporaine de Samuel Sighicelli, ainsi qu'une œuvre personnelle sur le thème du polystyrène.

Hubert Michel est titulaire du diplôme d'étude musicale en composition électroacoustique (Prix Sacem). Compositeur de musique concrète, il travaille la matière sonore pour réaliser des musiques de concert ou des installations sonores. Il collabore actuellement avec différentes compagnies de danse et de théâtre et intervient dans des festivals de musique contemporaine. Membre du collectif "Module étrange", il possède son propre instrument d'interprétation de la musique concrète : la Bétonneuse.

Nicolas PIERROT : "Refuser d'enlaidir la vie" : l'esthétique de l'usine dans la France de la "grande croissance" (1945-1973)
La Reconstruction et les années de la "grande croissance" ont-elles été le laboratoire de l'"usine nouvelle" ? En amont, face à l'urgence de reconstituer les moyens de production, les usines sont pour la plupart élevées sans architecte. Quel fut alors l'écho des appels d'un André Chastel, rêvant d'une reconstruction soignée, contrôlée par "la masse française, de l'instituteur au journaliste, de l'industriel au paysan", ou d'un Albert Laprade, prônant le "travail en commun des ingénieurs et des architectes" pour "rechercher la beauté dans les usines" et "refuser d'enlaidir la vie" ? En aval, à partir des années 1970, sous la triple influence des revendications sociales de Mai 1968, du "tournant environnemental" et des premiers signes de la désindustrialisation, s'élabore le projet d'une "usine post-industrielle" dont le programme serait certes toujours dicté par les ingénieurs — garants des exigences de la production — mais dont l'"humanisation" et l'insertion dans l'environnement seraient confiées aux architectes, jusqu'alors cantonnés à valoriser '’image de marque de l'entreprise par le dessin des façades… Qu'en est-il entre ces deux périodes ? On esquissera ici, à partir des revues d'architecture et des travaux de l'inventaire général, l'évolution de la pensée architecturale de l'usine, marquée durant ces trente années de constructions massives et de radicalité de choix esthétiques oscillant entre l'effacement visuel des fonctions, le retour au décor et l'hypertrophie formelle, par la fréquence du gigantisme, l'évolution des chaînes opératoires vers toujours plus de modularité, la rivalité entre les professions.

Nicolas Pierrot est conservateur en chef du patrimoine au service Patrimoines et Inventaire de la Région Île-de-France et chercheur associé au Centre d'Histoire des techniques de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne (IHMC). Il partage ses activités entre l'histoire culturelle de l'industrie et l'archéologie industrielle.
Dernières publications
L'industrie au vert, Paris, Somogy, 2017.
Industries. Paysages, formes, patrimoines, avec P. Ayrault, F. Hébel et J. Corteville, coll. "Ré-Inventaire", n°3, Paris, Éd. Loco, 2018.

Marie-Domitille PORCHERON : "Le lieu naturel du peintre est dans les grands moments de la civilisation, sur les chantiers (…) La vie des échafaudages est passionnante humainement (…)" [Alfred Manessier, 1978]
Né et élevé dans le paysage industriel textile de la Somme (Usines Saint-Frères de Saint-Ouen près de Flixecourt), Alfred Manessier, formé, en 1931 à l'architecture à l'École des Beaux-Arts de Paris (atelier Recoura et Mathon) à la fresque à l'Académie Ranson, collabore en 1937 à l'exposition internationale de Paris, avec l'équipe de Félix Aublet et de Robert Delaunay : une composition monumentale sur le thème de la machine. Dès 1948 commence l'aventure du "peintre-verrier" : les vitraux à Sainte-Agathe des Bréseux, les murs de lumière de l'église Sainte-Thérèse-de-l'Enfant-Jésus-et-de-la-Sainte-Face de Hem (1956), qui trouvera son acmé dans la reconstruction "intime" de l'artiste avec le Saint-Sépulcre d'Abbeville (1993). De la peinture, au vitrail, à la tapisserie, cette intervention s'attachera à cerner l'un des acteurs majeurs et dérangeant de la reconstruction come du renouveau de l'art sacré.

Marie-Domitille Porcheron est maître de conférences d'histoire de l'art moderne et contemporain à l'UFR Arts de l'université de Picardie Jules Verne (UPJV), Amiens. Membre du CRÆ - EA 4291 (Centre de Recherches en Arts et Esthétique), UFR Arts de l'UPJV.
Commissaire de l'exposition Alfred Manessier. Le tragique et la lumière (1937-1989), Abbaye de Saint-Riquier - Baie-de-Somme - Centre Culturel de Rencontre, 24 juin - 24 septembre 2012.
Catalogue de l'exposition, Alfred Manessier. Le tragique et la lumière (1937-1989) (dir.), Abbaye de Saint-Riquier - Baie-de-Somme - Centre Culturel de Rencontre, 24 juin- 24 septembre 2012, Service des Affaires culturelles de l'UPJV, Illustria, 2012.
Dir. sc. du colloque "Alfred Manessier : Le politique, le spirituel, le naturel", 11 et 12 avril 2012, Logis du Roy, Amiens, Villa Les Martinets, Saint-Valery-sur-Somme.
"Manessier à Paris, dans la seconde École de Paris", catalogue de l'exposition Alfred Manessier. Du crépuscule au matin clair. 1927-1992, Philippe Leburgue (dir.), Musée Mendjisky-Écoles de Paris, 5 juin-5 octobre 2015, Fonds de dotation Mendjisky-Écoles de Paris, 2015.
Conférence "Alfred Manessier, ancrages et encrages picards" dans le cadre du cinquantenaire de l'université de Picardie Jules Verne, jeudi 7 mars 2019, Logis du Roy, Amiens.

Gwenaële ROT & François VATIN : Reynold Arnould : un portrait de la France industrielle à la fin des années 1950
Formé par Jacques-Emile Blanche, Reynold Arnould fut d'abord un portraitiste. Prix de Rome en 1939, il a, dans le sillage de son premier maître, vécu de la réalisation de "portraits mondains". La rencontre en 1947 de Jacques Villon chez le restaurateur-mécène de Puteaux, Camille Renault, va réorienter son destin artistique. Prenant Camille Renault, surnommé big boy pour son obésité, pour modèle, il en développe, pour sa première grande exposition personnelle en 1949, l'image en 145 portraits dans une recherche de saisie de la multiplicité du personnage. En 1955, c'est une série de portraits d'automobiles qu'il présente au musée des Arts décoratifs. En 1959 enfin, c'est la France de la modernité industrielle qu'il entend fixer en une série de portraits de machines, d'usines, d'installations techniques. Il pratique, sur ces objets qu'on dit inanimés, mais qui sont en fait animés par les intentions des hommes, la même technique de décomposition analytique que celle dont il avait usé pour les portraits de Camille Renault. Ce n'est pas l'anatomie de la machine qu'il entend figurer, mais bien sa physiologie, c'est-à-dire sa dynamique productive. Il n'est pas étonnant en ce sens que l'enquête picturale de Reynold Arnould converge avec celle, sociotechnique, menée à la même époque par le sociologue Pierre Naville sur les mêmes terrains. Cet exposé s'efforcera d'interroger la signification d'une telle représentation picturale de l'industrie moderne, automatisée. La peinture peut-elle nous dire, à côté de la photographie, du cinéma, de la littérature, voire de la sociologie, quelque chose d'original sur l'industrie ? Autrement dit, peut-on faire un portrait de l'industrie ?

Gwenaële Rot est professeur de sociologie à l'Institut d'études politiques de Paris (CSO/CNRS). Ses travaux portent sur la sociologie du travail, la sociologie de l'art, la sociologie visuelle et l'histoire de la sociologie.

François Vatin est professeur de sociologie à l'université de Paris Nanterre (IDHES/CNRS) où il dirige le master de sciences économiques et sociales. Ses travaux portent sur la sociologie du travail, la sociologie économique et l'histoire des idées aux XIXe et XXe siècle.

Ils mènent ensemble depuis plusieurs années des recherches d'histoire et de sociologie des arts plastiques en France au cours de la seconde moitié du XXe siècle, centrées sur les relations entre les artistes et l'industrie. Dans ce cadre, ils ont notamment publié :
"Reynold Arnould : un peintre à l'usine. Esthétique industrielle et mécénat d'entreprises dans la France de la Reconstruction", Artefact, février 2016, n°2.
"The poectics of automation", Cogent – Arts & humanities, vol. 4, n°1.
"Effets de miroir à Saint-Gobain. Relations publiques et sociologie du travail (1956-1958)", Le Mouvement social, 2018, n°262 .
Reynold Arnould, La Poétique de l'industrie, Presses universitaires de Paris, Ouest (à paraître en juin 2019).

Clothilde ROULLIER : Origine et devenir des peintures d'industrie achetées ou commandées par l'État
Cette communication se propose de partir des fonds présents aux Archives nationales pour explorer les possibilités de réponses aux questions posées par le colloque, à travers la question de l'investissement de l'État dans les œuvres d'art donnant à voir l'activité industrielle sous ses différentes facettes. En 1945, l'enthousiasme qu'entraîne la libération du pays amène les représentants politiques — du maire au chef de l'État — à s'engager dans la célébration de la victoire. Par l'intermédiaire du bureau des Travaux d'art, les communes ont pu demander la réalisation d'œuvres hautement symboliques ou plus discrètes, installées sur l'ensemble du territoire. Prenant part au grand chantier de la reconstruction et côtoyant, au sein de l'espace public, l'architecture moderniste, les œuvres d'art s'attachent généralement à enraciner l'image d'une renaissance urbaine et culturelle succédant au délabrement de villes parfois réduites à l'état de ruines. Au sortir de la guerre, près de deux millions de bâtiments d'habitation — et plus de cent mille bâtiments industriels — sont en ruine sur le sol français. Face à cette situation, le ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme tente de mettre en place une véritable politique de reconstruction et d'aménagement. Dans ce contexte, les artistes sont confrontés, à travers la commande d'œuvres monumentales, à cette nouvelle architecture marquée par l'industrialisation, notamment au sein des grands ensembles qui connaissent leur essor au milieu des années 1950. Il a donc paru intéressant d'examiner de plus près l'attention portée, dans ce contexte, aux œuvres incarnant elles-mêmes ces thématiques, que ces œuvres aient eu vocation à enrichir les collections nationales (aujourd'hui sous la responsabilité du Centre national des arts plastiques) ou à décorer les édifices scolaires (via la procédure du 1% artistique).

Clothilde Roullier, docteur es lettres, chargée d'études documentaires aux Archives nationales, responsable des fonds relatifs à la création artistique.
Publications et direction d'ouvrages
Archives en acte – arts plastiques, danse, performance, avec Yann Potin et Paul-Louis Rinuy, Presses universitaires de Vincennes, 2018.
Un art d'État ? Commandes publiques aux artistes plasticiens (1945-1965), avec Christian Hottin et en collaboration avec le Centre national des arts plastiques, Archives nationales / Presses universitaires de Rennes, 2017 (qui accompagnait une exposition éponyme dont elle a été commissaire aux Archives nationales).

Raphaëlle SAINT-PIERRE : Les interventions d'artistes dans la Chambre de Commerce et d'Industrie du Havre et le Palais des Consuls de Rouen
Les chantiers de reconstruction de la Chambre de Commerce du Havre et du Palais des Consuls de Rouen ont débuté l'un et l'autre en 1953. D'importantes et diverses commandes sont alors passées à plusieurs artistes. Bien que transformé ensuite en hôtel-casino, le bâtiment havrais a conservé deux œuvres de très grandes dimensions : une fresque de Nicolas Untersteller rappelant les activités portuaires (navigation, industries, importation de produits exotiques) et un étonnant bas-relief de Paul Lemagny sur un monde sous-marin fantasmagorique. À Rouen, l'escalier monumental est accompagné d'un bas-relief sculpté en pleine pierre par Maurice de Bus : il évoque le port, les industries, les relations avec les pays d'Afrique. Dans le Grand Salon, une frise en staff de Sylvia Bernt illustre l'épopée des Vikings. Dans la Salle de l'Assemblée, une fresque du peintre Toutblanc symbolise l'économie rouennaise et une toile de Reynold Arnould est destinée à orner la grande galerie. Récemment vendu, le Palais a été vidé de son mobilier et d'une partie de ses œuvres d'art pour laisser place à une opération de promotion immobilière.

Historienne et journaliste d'architecture, Raphaëlle Saint-Pierre est l'auteure de Villas 50 en France et Villas 60-70 en France (éd. Norma, 2005 et 2013), Maisons-bulles (éd. du Patrimoine, 2015) et Roger-Henri Expert à Metz, l'église Sainte-Thérèse de l'Enfant-Jésus (avec Pierre Maurer, éd. Jean-Michel Place, 2018). Entre 2003 et 2005, elle a réalisé pour Docomomo France et la ville du Havre une étude sur son centre reconstruit dans le cadre de son inscription au Patrimoine mondial de l'Unesco.

Carlos SAUTCHUK : Corps, nature, béton : technique et rythme à Brasilia
Brasilia, la ville moderniste inaugurée en 1960, a suscité deux débats : l'un sur les raisons et les conséquences de la décision politique de construire la nouvelle capitale; l'autre sur le contraste entre le projet et la ville réelle. Il est vrai que les utopies politiques et urbanistes de Brasília ne se sont pas réalisé comme prévu. La conception moderniste de la ville-machine, avec ses fonctions combinées dans une totalité synergique, a subi des adaptations "brésiliennes" au cours de la réalisation du projet lui-même et a été ensuite l'objet d'une réélaboration des formes et des sens dans l'usage quotidien des habitants. Par conséquent, plutôt que de s'interroger sur la réalisation ou la trahison du plan original, il est plus pertinent de chercher à comprendre la relation entre le projet et le vécu. Le rapport dynamique entre le béton, la nature et les corps nous amène à penser la genèse de la technique et du rythme à Brasilia métropole du XXIe siècle.

Carlos Sautchuk est professeur du Département d'Anthropologie de l'université de Brasília. Il y enseigne l'anthropologie de la technique et de l'environnement. Il a mené des études de terrain dans l'Amazonie et dans le Cerrado (la savane du centre du Brésil) sur les savoirs traditionnels et les changements techniques. Il a récemment publié Técnica e Transformação: perspectivas antropológicas (ABA Publicações, 2017) ainsi que divers articles sur ces sujets.

Julie VERLAINE : Le marché de l'art français, créateur de liens entre art et industrie ?
La présente contribution examinera les diverses manières par lesquelles les galeries d'art parisiennes des années de la Reconstruction participent à (re)nouer des liens entre art et industrie, ou plutôt entre artistes et industriels : de la présentation d'expositions individuelles et collectives ayant pour thème la question de la reconstruction du pays, à la mise en relation de plasticiens avec des entrepreneurs et industriels (certains collectionneurs d'art, d'autres pas du tout), en passant par la théorisation d'un "art de la reconstruction" tournant délibérément la page des Années noires et faisant le lien avec la réconciliation entre l'art vivant et le public, les galeries d'art sont des lieux à considérer pour qui s'interroge sur les modalités intellectuelles et socio-économiques du rapprochement entre art et industrie après-guerre.

Julie Verlaine est agrégée d'histoire et maîtresse de conférences en histoire culturelle contemporaine à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, rattachée au Centre d'histoire sociale du XXe siècle (UMR 8058). Ses recherches portent sur les rapports entre arts et sociétés à l'époque contemporaine, avec une attention particulière pour le marché de l'art (thèse sur les galeries d'art parisiennes après 1945 publiée en 2012; monographie Daniel Templon, une histoire d'art contemporain, Flammarion, 2016), l'histoire des collections publiques et privées (ouvrage sur les Femmes collectionneuses d'art et mécènes publié chez Hazan en 2014), et la question des rapports artistiques de genre — assignations, frontières et transgressions du masculin et du féminin – qui est au centre de plusieurs projets achevés ou en cours. Le processus de patrimonialisation, dans ses dimensions sociales, économiques et culturelles, l'intéresse également, tout comme les questions de philanthropie et de mécénat au musée aux XXe et XXIe siècles.
Publications
Les Galeries d'art contemporain à Paris. Une histoire culturelle du marché de l'art, 1944-1970, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012, 584 p.
Avec Séverine Sofio, "Tableaux croisés : le marché de la peinture, entre sociologie de l'art et histoire culturelle", Biens symboliques / Symbolic Goods, n°3, 2018 [en ligne].
"Les associations professionnelles de marchands d'art après 1945 : lobbying et modernisation à Paris et à New York", Le Mouvement social, 2013/2, n°243, p. 53-65.
"Une histoire de la société ArtCo. Le commerce des reproductions d'art après la Seconde Guerre mondiale", Vingtième Siècle, n°108, octobre-décembre 2010, p. 141-151.

Dominique VERSAVEL : John Craven (1912-1981), chantre du développement industriel ?
On retient principalement de John Craven (1912-1981) son activité de photographe industriel, qui, des années 1950 à 1970, contribue à promouvoir l'essor de nouvelles infrastructures en France. Mais John Craven est alors également un fervent promoteur d'art (galeriste et commissaire d'expositions) et un grand reporter spécialiste des États-Unis. Comme le montre l'analyse des images qu'il produit ou promeut, ainsi que ses reportages et ses écrits dans la presse professionnelle ou artistique, le regard de Craven sur l'industrie varie en fonction du rôle qu'il endosse : selon qu'il l'aborde au travers de commandes photographiques à visée promotionnelle, en tant que promoteur d'un art avant-gardiste devant user de techniques de pointe ou comme reporter témoin des conséquences sociales et des limites du modèle américain, John Craven adopte face au développement industriel une posture changeante et ambiguë — entre enthousiasmes esthétiques et appréhension de l'avenir.

Archiviste-paléographe, Dominique Versavel est, depuis 2002, conservatrice chargée de photographie moderne ainsi que, depuis 2014, chef du service de la photographie au département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France. Elle a participé à de nombreux colloques ainsi qu'à la conception et aux catalogues de plusieurs expositions dont "Objets dans l'objectif" (2005), "La Photographie humaniste" (2006), "Presse à la Une" (2012), "Alix-Cléo Roubaud" (2014), "Icônes de Mai 68 : les images ont une histoire" (2018).

Marie-Laure VIALE : Sculpter, peindre à l'échelle monumentale : les modes de fabrication au service du 1% artistique
Le 18 mai 1951, paraît au Journal Officiel un arrêté, texte fondateur concernant les travaux de décoration dans les établissements scolaires et universitaires. En octobre de la même année, le Groupe Espace est fondé par l'ingénieur, sculpteur et directeur de revues André Bloc et l’artiste Félix Del Marle. Réunissant des architectes, des ingénieurs et des plasticiens, le groupe rassemble des créateurs autour d'une volonté commune: parvenir à une synthèse des arts pour dépasser le clivage traditionnel entre peinture, sculpture et architecture. Toujours en 1951, le ministère de l'Éducation crée une commission du Plan de l'Équipement scolaire, universitaire et sportif pour répondre à l'essor de la construction scolaire. Ces trois événements contribuent à la réalisation d'œuvres 1% dans l'architecture scolaire et favorisent les influences réciproques entre architectes et artistes. Ces derniers empruntent les modes industriels de la construction architecturale pour réaliser des œuvres à l'échelle de l’architecture qui les reçoit.

Marie-Laure Viale est enseignante à l'École des beaux-arts de Nantes-Saint-Nazaire. Elle développe depuis Nantes une pratique curatoriale en art public dans le cadre d'Entre-deux, association qu'elle a fondée en 1996 et qu'elle dirige avec Jacques Rivet. Suite à des missions d'inventaire des œuvres réalisées dans le cadre du 1%, elle entame un doctorat en histoire de l'art et de l'architecture à l'université de Rennes 2 sur le 1% artistique dans l'architecture scolaire (1948-1983). La recherche s'intéresse particulièrement à l'histoire de l'enseignement croisé de l'art et de l'architecture, aux influences réciproques des modes de production industrielles architecturales et artistiques, aux environnements sculptés et à la sculpture d'usage.
Publications
"M + O + I = Joséphine Chevry", Bulletin de la Bibliothèque Forney, n°212, 3e & 4e trimestre 2018, p. 24-27.
"Reprendre : Une histoire retrouvée de la commande publique", Substrat, carnet d’un chercheur, Saint-Nazaire, centre d’art contemporain (à paraître).
"Faire œuvre à la croisée des politiques des arts et de l'architecture sous la tutelle de l'éducation : les débuts du 1% de décoration", in Un Art d'État ? Commandes publiques aux artistes plasticiens 1945-1965, Paris, Rennes, coédition des Archives nationales et des Presses universitaires de Rennes, 2017, p. 50-65.
"Le concours d'art monumental à l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris : refonte d'un enseignement simultané et collectif des sections d'architecture, de peinture et de sculpture, de 1950 à 1967", in Carnets de recherche du ministère de la culture [en ligne].
"Le concours d'art monumental à l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris : refonte d'un enseignement simultané et collectif des sections d’architecture, de peinture et de sculpture, de 1950 à 1967", in Cahier HensA20, Strasbourg, Éd. Ensas, 2017.
"L'Œuvre d'Hervé Beurel produit de l'art en public", in Collection publique, Hervé Beurel, Rennes, Éd. Frac Bretagne, 2016, p. 54-57 (fr), p. 104-106 (an).
"Le 1% et l'architecture scolaire dans une ville en reconstruction : Saint-Nazaire (1951-1973)", In Situ, revue des patrimoines.
"À la cité scolaire de Saint-Nazaire, les premiers pas du 1% artistique", in Place Publique, n°54, nov-dec 2015, p. 140-146.


SOUTIENS :

SciencesPo, Paris
Région Normandie
Université de Caen Normandie
Ville de Saint-Lô
• Direction régionale des affaires culturelles Normandie (DRAC)

Programme 2019 : un des colloques

Programme complet


ENTREPRISE, RESPONSABILITÉ ET CIVILISATION :

UN NOUVEAU CYCLE EST-IL POSSIBLE ?


DU LUNDI 27 MAI (19 H) AU LUNDI 3 JUIN (9 H) 2019

[ colloque de 7 jours ]



DIRECTION :

Kevin LEVILLAIN, Blanche SEGRESTIN, Stéphane VERNAC

Colloque organisé à l'initiative du Cercle des partenaires


ARGUMENT :

L'entreprise était jusqu'à récemment un "point aveugle du savoir"(1), réduite à un acteur économique ou à un lieu de production et de confrontation entre capital et travail. Or, plusieurs travaux récents et le contexte contemporain conduisent à reconnaître aujourd'hui la capacité qu'a l'entreprise de transformer le monde.

Cette capacité de transformation a des conséquences multiples. Ce sont le plus souvent les conséquences "négatives" qui sont discutées : pollutions, consommations excessives des ressources naturelles, inégalités sociales. Pour autant, depuis 150 ans, l'entreprise contribue aussi à construire notre culture en introduisant de nouvelles technologies, de nouvelles médecines et de nouveaux arts… Ainsi, l'activité des entreprises n'a pas seulement un impact sur les rapports sociaux ou sur l'environnement. Elle participe aussi de la dynamique des connaissances, de la détermination des modes de vie, des cultures ou des écosystèmes.

Il faut donc considérer la responsabilité "civilisationnelle" de l'entreprise dans toute sa complexité. La notion de civilisation est ici envisagée dans son acception la plus dynamique et la plus opératoire, comme l'ensemble des pratiques, savoirs et valeurs qui conditionnent le fonctionnement des sociétés humaines. Face aux déstabilisateurs de civilisation que sont la menace climatique, la mondialisation, la digitalisation, les mutations financières, les inégalités ou les atteintes aux droits humains, l'entreprise ne peut se dérober. Un tel élargissement de sa responsabilité impose d'analyser les entreprises multinationales comme des puissances d'une nature nouvelle qui impose de repenser l'architecture du politique et la mission des États eux-mêmes. Il exige symétriquement de ne pas sous-estimer les capacités d'innovation de l'entreprise, qui se révèlent critiques pour faire face aux défis contemporains.

Le colloque portera sur les liens entre entreprise et civilisation et sur les nouvelles responsabilités de l'entreprise. Il cherchera d'abord à mieux comprendre comment l'entreprise a été, depuis son émergence et tout au long du XXe siècle, à la fois un objet, un vecteur ou un destructeur de civilisation. Il s'attachera ensuite à faire le point sur les réformes de l'entreprise engagées en France et à l'étranger, qui comme la loi PACTE, reconnaissent la responsabilité civilisationnelle de l'entreprise. Mais il reste à tirer toutes les implications pratiques et conceptuelles de ces réformes pour comprendre ce qu'elles apportent ou ce qu'elles désignent comme terrains de réformes futures. In fine, un nouveau cycle est-il possible ? Et quels sont les cadres de pensée qui permettraient de construire des rapports plus soutenables et plus souhaitables entre entreprise et civilisation ?

(1) Segrestin B., Roger B., & Vernac S. (Eds.), L'entreprise. Point aveugle du savoir, Colloque de Cerisy, Éditions Sciences Humaines, 2014.


CALENDRIER DÉFINITIF :

Lundi 27 mai
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants


Mardi 28 mai
REPÈRES ET OUVERTURES. L'ENTREPRISE, OBJET DE CIVILISATION ?
Matin
Kevin LEVILLAIN, Blanche SEGRESTIN & Stéphane VERNAC : Ouverture
Armand HATCHUEL : Entreprise et civilisation : des couplages à repenser
Patrick FRIDENSON : L'éducation au management comme marqueur de civilisation

Après-midi
Pascal LE MASSON : Histoire de l'entreprise et révolutions scientifiques : inventer des formes de liberté et de responsabilité face à l'inconnu [communication établie avec Benoît WEIL]
Joël RUET : L'impensé de l'entreprise en Chine

Soirée
Hamid BOUCHIKHI : L'entreprise moderne au Maroc. Regard d'un indigène sur une autre civilisation


Mercredi 29 mai
ENTREPRISE, FACTEUR DE CIVILISATION ET RESPONSABILITÉ COLLECTIVE
Matin
Aurore CHAIGNEAU : Entreprise et commun
François EWALD : Responsabilité, entreprise, civilisation : un nouveau cycle est-il possible ? [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]

Après-midi
Jean-Louis BANCEL : L'entreprise un monde en soi ou un levier pour un monde meilleur ? Les coopératives, mutuelles et autres entreprises sociales et solidaires comparées à l'entreprise à capital
Jean-Baptiste BARFETY & Jean-Baptiste de FOUCAULD : L'Entreprise vis-à-vis de l'État : civilisatrice ou à civiliser ?

Soirée
Perspective syndicale sur l'histoire de l'entreprise, table ronde animée par Stéphane VERNAC, avec Jean-Paul BOUCHET, Claude CAMBUS, Vincent GAUTHERON et Nicolas HATZFELD


Jeudi 30 mai
ENTREPRISE DESTRUCTRICE DE CIVILISATION ? LE CHOC CONTEMPORAIN
Matin
Elsa BERTHET : Face aux défis de l'Anthropocène, s'inspirer de l'écologie pour innover ? [communication établie avec Vincent BRETAGNOLLE]
Bettina LAVILLE : L'entreprise face à la notion de capital naturel

Après-midi
DÉTENTE


Vendredi 31 mai
CHOCS CONTEMPORAINS ET NOUVELLES VOIES
Matin
Arnaud STIMEC & Pierre VICTORIA : Entreprises et territoires
François FAURE : Inverser la relation entre entreprise et capital

Après-midi
Francis JUTAND : La Métamorphose Numérique
Gilles BERHAULT : Lost in transitions ? Accélérons !

Soirée
Les pionniers de l'entreprise à mission, table ronde animée par Kevin LEVILLAIN, avec Isabelle LESCANNE, Laurence MÉHAIGNERIE et Pierre-Dominique VITOUX


Samedi 1er juin
CHOCS CONTEMPORAINS ET NOUVELLES VOIES
Matin
Errol COHEN & Kevin LEVILLAIN : Les entreprises à mission
Christophe CLERC : L'avenir du modèle pluraliste de gouvernement d'entreprise

Après-midi
Véronique CAMERER & Mathilde MESNARD : L'avenir des normes internationales
Stéphane VERNAC : Quelles nouvelles réformes pour l'entreprise ? [communication établie avec Antoine LYON-CAEN]

Soirée
Quelles perspectives après la loi PACTE ?, table ronde animée par Armand HATCHUEL, avec Antoine FRÉROT et Philippe ZAOUATI


Dimanche 2 juin
UN NOUVEAU CYCLE ?
Matin
Paul ALLIBERT & Bernard RAMANANTSOA : Quelles perspectives pour l'enseignement ?

Clôture et discussion générale

Après-midi
DÉTENTE & PROMENADE


Lundi 3 juin
DÉPARTS


ENTRETIENS RÉALISÉS PAR SYLVAIN ALLEMAND :

"De la responsabilité et du rôle civilisationnel… de l'entreprise", entretien avec Blanche SEGRESTIN (co-directrice du colloque) [en ligne sur le site de Paris-Saclay Le Média].

"Entre science et débat, la Revue française de gestion", entretien avec Jean-Philippe DENIS (participant au colloque) [en ligne sur le site de Paris-Saclay Le Média].

"Entreprise à mission ou comment transformer le monde en innovant", entretien avec Kevin LEVILLAIN (co-directeur du colloque) [en ligne sur le site de Paris-Saclay Le Média].

"Écosystème à mission : le point de vue du juriste", entretien avec Stéphane VERNAC (co-directeur du colloque) [en ligne sur le site de Paris-Saclay Le Média].


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Jean-Louis BANCEL : L'entreprise, un monde en soi ou un levier pour un monde meilleur ? Les coopératives, mutuelles et autres entreprises sociales et solidaires comparées à l'entreprise à capital
Analyser les pratiques coopératives, mutualistes et autres formes d'Économie Sociale et Solidaire pour comprendre l'interaction entre entreprise et civilisations vient spontanément à l'esprit lorsqu'on se rappelle que le slogan retenu par l'ONU pour l'année internationale des coopératives, en 2012, était : "les coopératives, des entreprises pour un monde meilleur". Cette communication analysera le rôle et la place des valeurs et des principes définis par l'Alliance Coopérative Internationale comme outil d'identification de l'entreprise coopérative au-delà de la diversité des référentiels historiques, juridiques et culturels qui prévalent dans les différents pays où ces structures agissent. Nous tenterons de voir comment s'exercent les tensions au sein de l'Entreprise entre les aspirations des humains qui la mettent en mouvement et les nécessités induites par la durabilité du projet et sa capacité à avoir un impact sur le Monde. Seront également examinées les analyses conduites sur la démarche coopérative afin de voir si, en tant qu'entreprise, une coopérative est une communauté qui constitue par elle-même un monde meilleur ou si elle est un levier pour construire au-delà d'elle-même un monde meilleur. Ces analyses s'appuieront sur des éléments théoriques mais également seront nourries par de nombreux exemples concrets existant dans différents pays. Il sera également fait référence aux apports du colloque de Cerisy de 2016 "Vers une république des biens communs ?" en ce qui concerne les entreprises.

Jean-Louis Bancel est le président d'une banque coopérative et exerce depuis de nombreuses années des responsabilités à l'échelon national et international dans les secteurs coopératifs et mutualistes. À ce titre, il connaît bien la diversité des expériences coopératives en France et à l'étranger. Il a été en charge, au sein de l'Alliance Coopérative internationale, de rédiger, en 2015, les notes d'orientation pour les principes coopératifs. Il a été co-directeur du colloque de Cerisy de 2016 "Vers une république des biens communs ?". Il est fondateur de la Coop des communs, association qui travaille à construire des alliances entre l'Économie Sociale et Solidaire et les Communs et qui s'intéresse à l'émergence de nouvelles formes d'entreprises autour des communs.

Jean-Baptiste BARFETY : L'Entreprise vis-à-vis de l'État : civilisatrice ou à civiliser ?
L'État et l'entreprise se situent a priori sur deux plans différents et sont donc davantage complémentaires que concurrents. L'injonction entrepreneuriale faite à l'État d'une part, la théorie moderne de l'entreprise d'autre part, qui la présente comme une institution politique, rebattent cependant les cartes. L'entreprise se comporte dès lors en civilisatrice de l'État, tandis que celui-ci cherche lui-même à civiliser l'entreprise par ses normes et selon ses représentations. Quelle est cette guerre des représentations, voire de civilisations ? Comment a-t-elle été rendue possible et a-t-elle des précédents historiques ? Que serait la civilisation de l'entreprise et qui désigne-t-elle comme "barbares" ? L'entreprise n'apparaît-elle pas réciproquement comme un pouvoir primitif, d'une faible civilité politique, bien peu responsable en comparaison de l'auto-contrainte que l'État s'impose à lui-même ? Peut-on enfin dépasser cette opposition par un mouvement politique de l'entreprise ?

Jean-Baptiste Barfety, ancien élève de l'ESSEC et de l'ENA, inspecteur des affaires sociales, est secrétaire général du Conseil de l'inclusion dans l'emploi et conseiller inclusion auprès du Délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle et maître de conférences à Sciences Po Paris.
Publications
Co-rédacteur du rapport de l'IGAS-IGF-CGEDD sur le reporting de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (2016).
Co-auteur du manuel Politiques économiques (Lextenso éditions, 2017).
Rapporteur du rapport de Jean-Marc Borello sur l'inclusion dans l'emploi (2018).
Rapporteur du rapport de Nicole Notat et de Jean-Dominique Senard "L'Entreprise, objet d'intérêt collectif" (2018).

Gilles BERHAULT : Lost in transitions ? Accélérons !
Comment se comporter face aux grands enjeux sociétaux ? Nous nous devons de penser et d'agir sur une démarche large qui adresse le changement d'échelle. C'est d'autant plus important qu'il ne s'agit plus d'inventer une nouvelle bonne pratique mais bien de changer d'ambition sociétale pour l'entreprise en s'engageant dans les Objectifs de développement durable dont la lutte contre les exclusions. Est-ce justement l'opportunité pour l'entreprise de prendre toute sa place en une réconciliation avec la société ? […] La notion d'intégrité sociétale est particulièrement questionnée par des crises profondes : écologiques, sociales, sociétales, sanitaires, culturelles… L'innovation technologique change tout, apporte des solutions, mais cela ne suffit pas. Les changements de comportements, et même de modèles civilisationnels, s'imposent. […] La démarche transitionnelle se nourrit d'une approche pluriacteurs et très transversale autour de cinq clés pour une transition réussie — utile, efficace et agréable. La première clé est un socle : renforcer les capacités et attirer les talents. La deuxième clé consiste à donner toute sa place à l'innovation technologique. La troisième est celle de l'acceptabilité, et donc de l'adaptation. La quatrième est liée à l'innovation dans le financement et aussi dans les modèles économiques. Enfin la cinquième clé réside dans la gestion des différences temporelles. Ce qui caractérise les transitions actuelles auxquelles sont confrontées les entreprises est leur rapidité, et le fait qu'elles soient en accélération depuis 10 ans. C'est une question générationnelle bien sûr, mais pas seulement. Chacun intègre, avance, expérimente à son rythme… C'est une grande cohabitation, où l'intégration des transitions renvoie à une individuation renforcée.

Ancien président du Comité 21, du Club France Développement durable, du Pavillon de la France lors du Sommet de la Terre Rio+20, de l'exposition SolutionsCOP21 au Grand Palais, du comité de programme de la MedCOP Climat 2016/COP22 Maroc… Après avoir été comédien, agent artistique, producteur, Gilles Berhault s'est intéressé à l'interactivité (site pour les professionnels de la musique, bornes interactives). Il s'est ensuite consacré à la communication principalement événementielle, se centrant de plus en plus sur des sujets liés au développement durable. Il a créé en 2000 ACIDD (Association communication et innovation pour le développement durable), et organise de nombreuses rencontres et événements, dont depuis 16 ans l'Université d'été de la communication pour le développement durable, devenue en 2017 l'Université d'été des Transitions. Ses premiers engagements sociétaux orientés sur les droits de l'homme et l'éducation populaire se sont ouverts à l'écologie suite aux premières grandes marées noires sur les côtes bretonnes, sa région d'origine.
Publications
Développement durable 2.0, Éd. de l'Aube, 2009 (Aube Poche, 2011).
Propriétaire ou artiste ? Manifeste pour une écologie de l'être, Éd. de l'Aube, 2015.
Co-auteur de GreenIT (Éd. Lavoisier), Métamorphose numérique (Alternative Gallimard), Nouveaux imaginaires pour un monde durable (Éd. Les Petits Matins), Un autre monde est possible. Lost in transition ? (Éd. de l'Aube).
Auteur de deux rapports pour la DATAR : Adaptation aux changements climatiques et Aménagement numérique et durable des territoires.

Elsa BERTHET : Face aux défis de l'Anthropocène, s'inspirer de l'écologie pour innover ? [communication établie avec Vincent BRETAGNOLLE]
La science écologique s'est développée au fil des derniers siècles en restant fidèle au programme énoncé par Humboldt en 1799, à savoir "explorer l'unité de la nature": elle cherche à comprendre les interactions complexes et dynamiques entre les êtres vivants et avec leur milieu. Cette connaissance de la nature a souvent été utilisée par notre civilisation pour en améliorer la maîtrise, dans une perspective de domination de la nature par l'homme. Cependant, alors que l'impact environnemental des activités humaines s'est intensifié et généralisé depuis la révolution industrielle, au point que certains scientifiques parlent aujourd'hui d'Anthropocène, l'écologie s'est affirmée comme "une pensée des limites et de la complexité de notre monde" ainsi que "la conscience aigüe des dangers de cette évolution" (Deléage, 1992). L'écologie a progressivement renouvelé ses concepts, non seulement pour mieux appréhender les systèmes complexes, mais aussi pour prendre davantage en compte l'action de l'homme. Ces concepts ont essentiellement été introduits en vue de produire de nouvelles connaissances. Or, face aux crises multiples auxquelles notre civilisation est confrontée, les connaissances ne suffisent pas; nous avons aussi besoin d'imaginaires inspirants pour penser conjointement des solutions sociales et écologiques. N'est-ce pas l'un des défis actuels de l'écologie que de contribuer à les formuler ? Dans cette intervention, nous analyserons en quoi mobiliser les concepts scientifiques, non plus pour simplement produire des connaissances mais aussi pour imaginer de nouvelles modalités d'action, peut nous aider à repenser les liens entre notre civilisation et la nature.

Elsa Berthet est Chargée de recherches à l'INRA. Ingénieur agronome, elle est titulaire d'un doctorat en Sciences de Gestion (Mines ParisTech et INRA) et a réalisé un post-doctorat de deux ans à l'université McGill (Canada). Sa recherche porte sur la gouvernance des écosystèmes cultivés, et plus particulièrement sur la générativité de la science en vue d'imaginer des formes de gouvernance innovantes. Elle est l'auteur du livre Concevoir l'écosystème, un nouveau défi pour l'agriculture, paru en 2014 aux Presse des Mines, ainsi que d'une quinzaine d'articles dans des revues à comité de lecture dans le champ des sciences de gestion, de l'écologie et de l'agronomie.

Vincent Bretagnolle est Directeur de echerches au CNRS. Il a fondé en 1994 la Zone Atelier Plaine & Val de Sèvre (département des Deux Sèvres), dans laquelle il mène des recherches sur les conséquences du changement global (principalement l'intensification des pratiques agricoles) sur la dynamique spatiale et temporelle des populations et des communautés animales et végétales dans les milieux agricoles. Ses recherches en Agroécologie des territoires visent à concilier l'agriculture et l'environnement, en identifiant des systèmes de culture innovants à partir de solutions fondées sur la nature. Il est l'auteur de plus de 300 publications scientifiques et siège dans de nombreux comités d'experts sur la biodiversité.

Claude CAMBUS
L'activité humaine a toujours eu un effet sur son environnement, naturel et social. La sédentarisation depuis le néolithique, l'exode rural avec l'ère industrielle, la globalisation aujourd'hui. L'impact dépasse l'aménagement du territoire, il porte sur les libertés et l'humanité elle-même avec le génie génétique, l'intelligence artificielle… Et l'entreprise intervient plus ou moins volontairement dans ces impacts. La relation de l'entreprise à la société et à la civilisation est affectée désormais par la globalisation et la financiarisation qui concourent à abstraire l'humain de la décision économique. Il est impératif de sortir de l'analyse du conflit d'intérêt entre actionnaires et salariés comme de la relation d'aide ou de charge fiscale avec la puissance publique. Il faut inventer des modes de régulation intégrant l'ensemble des parties prenantes de l'entreprise, fondés sur la coopération, l'intérêt partagé et la définition de son objet social et des conditions de sa pérennité.
La CFE-CGC, confédération syndicale de l'encadrement, est une organisation singulière qui a, du fait de ses adhérents, toujours considéré que l'intérêt des salariés et celui des propriétaires de la société avaient en commun le succès et la pérennité de l'entreprise. Pour cette confédération, l'entreprise aurait dû considérer ses salariés comme un second groupe d'associés. En ce sens, elle a soutenu "la participation" des salariés dès l'origine, dans les années 60. Elle a ensuite participé activement au développement de la responsabilité sociétale des entreprises en fondant l'ORSE avec Geneviève Férone. Aujourd’hui, elle est tout à fait convaincue que l'émergence d'un nouveau statut juridique de l'entreprise est nécessaire et elle fait des propositions en ce sens.

Claude Cambus est Ingénieur Arts et Métiers ParisTech, 1960. Ancien Secrétaire général et Vice-président délégué de la CFE-CGC et Secrétaire général de la CEC (confédération européenne des cadres). Ancien membre du CESE et du CES européen. Co-auteur de Cadres et Techniciens témoins pour l'avenir (Le Centurion, 1981) et coordinateur de Considérations économiques et sociales (IRSEH Institut du management LEXIES), ainsi que de nombreuses publications de la CFE-CGC.

François EWALD : Responsabilité, entreprise, civilisation
Nous vivons un nouveau temps de la responsabilité des entreprises : en-dehors ou au-delà d'une référence à des obligations légales, on demande aux entreprises, en raison des pouvoirs qu'elles exercent, d'expliciter ce dont elles s'estiment devoir répondre, non seulement aux apporteurs de capitaux, mais à la société. Il ne s'agit pas seulement pour elles de définir leur raison d'être ou leur mission, mais de leur vision des conséquences de leur activité pour la société. Mais cette demande est-elle si nouvelle ? Le triangle "responsabilité, entreprise, civilisation" n'accompagne-t-il pas la présence d'acteurs économiques et financiers dans la cité ? Et pour comprendre le moment contemporain, ne convient-il pas de le comparer aux figures précédentes qu'il a pu prendre ?

Philosophe, juriste, François Ewald est professeur honoraire au Conservatoire national des arts et métiers où ses travaux portent plus particulièrement sur la politique du risque. Ancien assistant de Michel Foucault au Collège de France, il a créé l'Association pour le centre Michel-Foucault. François Ewald est délégué général du Comité Médicis. Sa publication la plus récente est : Aux risques d'innover : Les entreprises face au principe de précaution, Autrement, 2009.

François FAURE : Inverser la relation entre entreprise et capital
L'entreprise doit pouvoir mettre en concurrence les fournisseurs de capitaux propres, comme elle le fait pour les préteurs et pour tous les fournisseurs de ses ressources essentielles. Cela libérera l'entreprise de son objectif contestable de maximiser à tout prix la valeur pour l'actionnaire, et créera un cadre favorable à une relation plus saine et efficace avec l'ensemble de ses parties prenantes, en plaçant le capital humain au centre du projet d'entreprise. Une telle approche est implémentable en utilisant l'infrastructure actuelle des marchés financiers, qui s’en trouvera revalorisée aux yeux du public, de manière synergique avec la montée en puissance des considérations ESG des grands investisseurs. Du côté de l'entreprise, elle est également implémentable en utilisant les dispositions légales existantes, en particulier les plus récentes, du droit des sociétés. Au plan opérationnel, elle favorisera une transformation de la fonction managériale, en établissant pour les dirigeants une communauté d'intérêt avec et une responsabilité vis-a-vis du capital humain de l'entreprise.

François Faure a 30 ans d'expérience en banque d'affaires. Il a exercé des responsabilités importantes dans plusieurs établissements financiers de premier rang, français, européens et américains. Il est le co-fondateur de l'Académie NewCode, qui propose un cadre formel pour une refonte de l'entreprise dans ses 5 dimensions fondamentales : Le Projet d'Entreprise, sa Gouvernance, le Partage de la Valeur, la Gestion des Difficultés, et la Structuration Financière (academienewcode.com).

Pascal LE MASSON : Histoire de l'entreprise et révolutions scientifiques: inventer des formes de liberté et de responsabilité face à l'inconnu [communication établie avec Benoît WEIL]
On peut difficilement faire l'histoire des entreprises sans noter ce que ces dernières doivent à la science — depuis les mathématiques et l'astronomie si nécessaires pour la navigation commerciale à la physique la plus pointue pour les semi-conducteurs contemporains. Il est moins évident, et pourtant tout aussi vrai, que les entreprises ont contribué aux avancées de la science, en fournissant les instruments, les organisations, voire les phénomènes et les questions nécessaires. Les interactions fortes entre science et entreprise sont au cœur de nos civilisations contemporaines — et il importe donc d'en comprendre la variété, la fécondité mais aussi les risques, voire les limites intrinsèques. Car on est surpris de voir que, si les rapports entre science et entreprise ont pu conduire à des réussites remarquables, ils prennent aussi parfois la forme d'un asservissement dramatique ou d'une déresponsabilisation mutuelle. Lors de la présentation, on reviendra sur ces formes d'interdépendance. On s'interrogera ensuite sur le fait que science et entreprise réclament toutes deux, face à l'inconnu, une forme de liberté (liberté du chercheur, liberté d'entreprendre) doublée d'une responsabilité limitée. La similitude est d'autant plus troublante qu'elles en sont parfois mutuellement garantes, ce qui pourrait être la clé des formes d'interdépendance entre science et entreprise pour explorer l'inconnu.

Pascal Le Masson et Benoît Weil sont professeur à MINES ParisTech - PSL, chaire de théorie et méthodes de la conception innovante. Leurs travaux sur la conception, et notamment l'histoire des bureaux d'études et des laboratoires de recherche, ont contribué à mettre en lumière le rôle crucial de la conception dans le développement de la grande entreprise et l'importance des inconnus communs non-appropriables dans l'invention des formes nouvelles de l'action collective.

Arnaud STIMEC
L'intervention consiste à présenter une étude de cas, l'entreprise Legallais, installée à Caen. Cette entreprise se distingue par son engagement social et sociétal et sa capacité à s'adapter dans un contexte difficile. En outre, cette entreprise a défini sa "raison d'être", témoignant ainsi d'un intérêt marqué pour la thématique de ce colloque. L'étude de cas est menée avec des étudiants de l'IEP avec bienveillance mais sans complaisance. Quatre thématiques particulières sont étudiées: la gouvernance; l'engagement sociétal et territorial; l'économie circulaire et l'environnemen; le management, la gestion des ressources humaines et la qualité de vie au travail. Les données du cas seront confrontées aux acquis des études de cas antérieures et aux concepts issus des travaux sur les entreprises à mission.

Arnaud Stimec est professeur à l'Institut d'Études Politiques de Rennes et responsable du campus de Caen (consacré à la transition écologique). Ses travaux portent principalement sur le dialogue dans les organisations (mais aussi les conflits et les négociations), les conditions de sa pérennité et ses effets, notamment en termes de responsabilité sociétale des organisations (en particulier santé au travail et impact environnemental).

Philippe ZAOUATI
En créant Mirova, une société de gestion entièrement dédiée à l'investissement responsable, Philippe Zaouati a contribué à l'émergence d'une finance durable en France comme dans le reste de l'Europe. Il s'est également impliqué, à cette même fin, dans différentes associations professionnelles (l'Association française de la gestion financière — AFG et l'EFAMA, l'association qui représente l'ensemble des acteurs de la gestion collective d'actifs) et initiatives internationales (International Corporate Governance Network-ICGN, International Integrated Reporting Council-IIRC, Investment Leaders Group-ILG). Il a récemment été nommé membre du High-Level Expert Group on Sustainable Finance (HLEG) de la Commission européenne, et préside Finance for Tomorrow, une initiative lancée au sein de Paris Europlace pour développer et promouvoir l'écosystème français en matière de finance verte et durable. Philippe Zaouati était précédemment directeur général délégué de Natixis Asset Management. Son expérience antérieure comprend également des rôles de gestion de haut niveau au sein du Groupe Caisse des Dépôts, de La Banque Postale et du Crédit Agricole. Membre accrédité de la Société française des actuaires, il est diplômé de l'École nationale de la statistique et de l'administration économique (ENSAE).


SOUTIENS :

Chaire Théorie de l'Entreprise | MINES ParisTech
• Organisation de coopération et de développement économique (OCDE)
• Centre de droit privé et de sciences criminelles d'Amiens (Ceprisca) | Université de Picardie Jules Verne (UPJV)
Veolia

Programme 2019 : un des colloques

Programme complet


LA PENSÉE INDISCIPLINÉE DE LA DÉMOCRATIE ÉCOLOGIQUE

( DÉMOCRATIE, PARTICIPATION ET ENVIRONNEMENT )


DU LUNDI 13 MAI (19 H) AU VENDREDI 17 MAI (14 H) 2019

[ colloque de 4 jours ]



DIRECTION :

Loïc BLONDIAUX, Dominique BOURG, Marie-Anne COHENDET, Jean-Michel FOURNIAU


ARGUMENT :

Alors qu'il y a peu encore, le principe de "concerter autrement [et de] participer effectivement" semblait acquis à la vie démocratique, l'utilité du débat public est questionnée par différents vents contraires. Le retour du populisme d'une part, la tentation d'un retour à la décision autoritaire d'autre part, contribuent à cette remise en cause. Alors que la création de la Cndp (1995-2002) faisait sens dans un contexte où l'on s'imaginait pacifier les rapports de l'humanité avec la Nature, les potentialités de la délibération démocratique se trouvent confrontées à l'urgence climatique et écologique. C'est une des leçons de Notre-Dame-des-Landes (avec Sivens, Bure, etc.) : la démocratie se définit aussi à partir de conflits et de ruptures qu'exigent aujourd’hui de nouvelles formes de vie plus respectueuse de l'écologie. La démocratie confrontée à de nouveaux défis est toujours à réinventer.

La réflexion collective sur la démocratie écologique ne peut qu'être indisciplinée, une invitation à dépasser les disciplines à travers lesquelles sont pensées la démocratie, ses institutions et la participation. L'indiscipline est aussi un caractère du débat public, qui n'exclut ni ne trie, mais propose l'intelligence collective comme fabrique de la raison. L'indiscipline enfin, parce que les innovations et les formes nouvelles de vies démocratiques émergent en dehors de tout cadre institutionnel et n'en revendiquent pas nécessairement d'autres. La démarche indisciplinée de ce colloque vise une réelle confrontation entre la théorie et sa mise en œuvre dans des pratiques institutionnelles.


CALENDRIER DÉFINITIF :

Lundi 13 mai
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants


Mardi 14 mai
LA DÉMOCRATIE À L'ÈRE DE L'ANTHROPOCÈNE
Matin
Dominique BOURG [Université de Lausanne] : La difficulté à exprimer la radicalité écologique dans les modes d'expression démocratique actuels
Serge AUDIER [Paris IV Lettres Sorbonne Université] : Le défi écologique : une question soluble démocratiquement ? [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]

Après-midi
Loïc BLONDIAUX [Centre européen de sociologie et de science politique de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon-Sorbonne] : Les pathologies de la démocratie contemporaine : stratégies pour une renaissance

La réforme constitutionnelle et la démocratie écologique, table ronde avec :
Marie-Anne COHENDET [Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC), Université Paris I Panthéon-Sorbonne]
Loïc BLONDIAUX [Centre européen de sociologie et de science politique de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon-Sorbonne]
Dominique BOURG [Université de Lausanne]
Jean-Michel FOURNIAU [pilote de l'Observatoire des débats]

Soirée
Le "grand débat national", une réponse à la crise politique et sociale ?, table ronde avec :
Maxime GABORIT & Théo GRÉMION [équipe Enquêtes Gilets jaunes (Centre Émile Durkheim)]
Jean-Michel FOURNIAU [pilote de l'Observatoire des débats]
Manuel CERVERA MARZAL [UMR DICE 7318, LabexMed, Aix-Marseille Université]


Mercredi 15 mai
CONFLITS ENVIRONNEMENTAUX ET FORMES NOUVELLES DE VIE DÉMOCRATIQUE
Matin
L'écologie a-t-elle besoin de la démocratie ?
Joëlle ZASK [Aix-Marseille Université] : Qu'est-ce que la notion de "public" ? Pourquoi cette notion (ré)émerge-t-elle avec l'écologie ?
Étienne BALLAN : Généalogie des conflits : ce que l'environnement apporte à la vitalité démocratique
Corinne GENDRON & Mandy VEILLETTE [CRSDD, UQAM] : Science pacificatrice et controverses : dynamique de l'acceptabilité sociale au Québec

Après-midi
La démocratie entre procédures et émotions
Corine PELLUCHON [Université Paris-Est-Marne-La-Vallée] : La démocratie écologique au-delà des procédures

Expertise scientifique et débat public
Catherine LARRÈRE [Université Paris I Panthéon-Sorbonne] : Compétence et autonomie démocratiques
Françoise VERCHÈRE : Est-ce le projet qui est conflictuel ou est-ce la procédure, c'est-à-dire la manière dont les projets sont décidés ? À propos de Notre-Dame-des-Landes
Michel BADRÉ : Le rôle et la place de l'expertise dans le débat public

Soirée
Expérimentations démocratiques, participation du public et démocratie participative, table ronde avec les lauréates et lauréats des deux éditions du prix de thèse de la Commission nationale du débat public et du Gis Démocratie et Participation :
Baptiste GODRIE [CREMIS] : Savoirs expérientiels et professionnels en santé mentale : tensions entre les modèles intégrationniste et écologique [lauréat du deuxième prix en 2015]
Laura SEGUIN [Istéa] : Faire participer pour faire accepter ? Quand les sciences de la nature en appellent aux sciences sociales dans un projet de recherche participatif [lauréate du premier prix en 2017]
Barbara BERARDI-TADIÉ : Démocratie participative et pesticides : techniques de contre-lobbying citoyen [lauréate du troisième prix en 2017]


Jeudi 16 mai
L'INSTITUTIONNALISATION DE LA DÉMOCRATIE ÉCOLOGIQUE
Matin
Réinventer le débat public
Jean-Michel FOURNIAU : Le débat public et l'agir citoyen pour la transition écologique
Mario GAUTHIER [UQO] & Louis SIMARD [Université d'Ottawa] : Le BAPE, 40 ans de démocratie écologique : entre survie et innovation

Après-midi
Ce que peut le droit pour la démocratie écologique
Erin DALY [Université de Dalaware (USA)] : Le droit de la dignité humaine, comme instrument utile pour la démocratie écologique
Marie-Anne COHENDET [Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC), Université Paris I Panthéon-Sorbonne] : La synergie entre droit international et droit constitutionnel pour renforcer la démocratie écologique

Fin d'après-midi & Soirée
SÉANCE PUBLIQUE
"HORS LES MURS" — À ART PLUME (Saint-Lô)
La Parenthèse Utopique : explorons les possibles de la démocratie écologique, présentation animée par les étudiants du Parcours Concertation et Territoires en Transition du Master politiques publiques de Sciences Po Rennes à Caen : Emma BEAUDOIN, Noémie BESSETTE, Clément BRANDELON, Julie FRANÇOIS, Aloïse GERMAIN, Samuel LAFORGE, Goulven LEBRETON, Clara LE DIOLEN, Louison LEVRARD, Nala LORIOT, Flore PETIT, Coline PHILIPPE, Élise RIBARDIÈRE, Nolwenn THIRIET, Romane THOMAZEAU et Sandra VIAN, avec le concours d'Anne CHEVREL


Vendredi 17 mai
FACE AUX URGENCES, EST-IL ENCORE POSSIBLE ET TEMPS DE DÉLIBÉRER ?
Matin
Jeunes chercheurs, table ronde avec :
Juliette ROUSSIN [Centre de recherche en éthique, Université de Montréal] : La démocratie au secours de l'écologie
Caroline LEJEUNE [Institut de géographie et durabilité, Université de Lausanne] : De la justice environnementale à la justice écologique
Dimitri COURANT [Institut d'études politiques, historiques et internationales, Université de Lausanne, et CRESSPA-Paris 8 Saint-Denis] : Délibérer pour sauver la planète ? L'assemblée citoyenne irlandaise et la lutte contre le réchauffement climatique

Conclusions, par Floran AUGAGNEUR & Ilaria CASILLO [Cndp]

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIE :

Serge AUDIER : Le défi écologique : une question soluble démocratiquement ?
La crise écologique impose de repenser nos catégories politiques et notre conception même de la démocratie. En dialogue avec l'exposé de Dominique Bourg prononcé à Cerisy, et en réponse aux tentatives récentes de proposer en France une "démocratie écologique" — notamment dans l'ouvrage collectif, Pour une 6e République écologique —, Serge Audier esquisse quelques pistes de réflexion. La démocratie, dans ses modalités actuelles, est-elle armée pour affronter le péril écologique ? Doit-elle muter dans ses institutions ? Si les défis de l'anthropocène suggèrent la nécessité d'un renouvellement intellectuel, moral et institutionnel, ces questions ne sont toutefois pas toujours si inédites qu'on l'imagine. Dès le XIXe siècle, les enjeux de très long terme ont été affrontés par les théoriciens de la démocratie. Nous avons peut-être là un bagage théorique qu'il est possible de transformer sans faire un saut périlleux, et sans tomber dans les périls, agités par les adversaires d'une "démocratie écologique", d'une dictature des savants ou d'une expertocratie court-circuitant la souveraineté populaire. Ce qui suppose aussi d'articuler enjeux sociaux et environnementaux dans un sens égalitaire, et de réfléchir à ce que signifie le mot "peuple"…

Serge Audier, philosophe, est maître de conférences à l'université Paris-Sorbonne.
Publications
La Société écologique et ses ennemis. Pour une histoire alternative de l'émancipation, La Découverte, 2017.
Âge productiviste. Hégémonie prométhéenne, résistances et alternatives écologiques, La Découverte, 2018.

Loïc BLONDIAUX : Les pathologies de la démocratie contemporaine : stratégies pour une renaissance
La décomposition des institutions de la démocratie libérale représentative est à l'œuvre, l'épuisement est manifeste au point que l'effondrement semble désormais proche. Menaces sur les libertés, tentations autoritaires et épistocratiques, rétrécissement des espaces de délibération, discrédit des représentants : les pathologies qui affectent les démocraties contemporaines sont multiples et les dégâts qu'elles provoquent apparaissent pour beaucoup irréparables. Le dérèglement climatique et l'érosion de la bio-diversité risquent par ailleurs d'imposer un cadre de contraintes susceptible de rendre de plus en plus chimérique le gouvernement démocratique de nos sociétés. Au moment où certains en viennent à prophétiser la "mort des démocraties" (Levitsky et Ziblatt), le moment est venu d'une réflexion sur les antidotes. Tout en regardant le mal en face, il nous faut inventorier les remèdes mais aussi les alternatives possibles à cette démocratie malade. Car le moment présent est aussi celui de mobilisations nombreuses contre l'état des choses, de l'invention ou de la réinvention de formes démocratiques nouvelles, d'initiatives multiples de partage, de coopération et de vie commune. Quel bilan peut-on tirer de ces expériences ? Quelle stratégies peuvent-elle permettre de déjouer les mécanismes autoritaires à l'œuvre ? Comment sortir de ce piège mortel ? Au delà du précis de décomposition, il s'agira aussi de chercher des voies de guérison.

Loïc Blondiaux est professeur de science politique à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne où il dirige le parcours "Ingénierie de la concertation" du Master de science politique. Il est également chercheur au Centre d'études sociologiques et de science politique de La Sorbonne (CESSP/Paris I/CNRS/EHESS). Il dirige la revue Participations (De Boeck éditeurs) et participe à la direction collégiale du GIS Démocratie et participation. Il est membre du conseil scientifique de la Fondation pour la Nature et l'Homme (FNH), de "Décider ensemble" ainsi que du collectif "Mieux voter" et co-anime l'Institut de la Concertation et de la Participation Citoyenne. Ses travaux de recherche portent sur les théories de la démocratie, la démocratie participative et la démocratie délibérative.
Publications
En collaboration : Inventer la Démocratie du XXIe siècle, Les Liens qui Libèrent, 2017.
Avec C. Traïni : La démocratie des émotions, Presses de Sciences Po, 2018.

Dominique BOURG : La difficulté à exprimer la radicalité écologique dans les modes d'expression démocratique actuels
Le moment démocratique actuel : où en est la démocratie et comment la crise environnementale la questionne ? Je repartirai des difficultés présentes de la démocratie française avec au premier chef une crise violente de la représentation, manifeste avec la crise des Gilets jaunes et le soutien populaire qu'a connu durant des semaines ce mouvement. Les causes en sont probablement multiples, mais il semble que quelque chose comme un sentiment de trahison des élites politiques, soupçonnées de servir des intérêts financiers internationaux aux lieu et place de l'intérêt des citoyens, y ait joué un rôle déterminant. Vient créditer un tel soupçon l'effondrement général, largement au-delà du cas français, du capital public vis-à-vis du capital privé; effondrement qui, dans le cas spécifique du dirigisme français, ne pouvait se réaliser sans la collaboration des élites publiques, lesquelles passent désormais avec une grande facilité du public au privé. La revendication du RIC prend bien sûr tout son sens dans un tel contexte. Un contexte qui rend délicate l'interprétation du détonateur écologique de la crise des Gilets jaunes, à savoir une pseudo-taxe carbone, mal ficelée et essentiellement destinée à combler les déficits publics. Mais il n'en reste pas moins vrai que cette première crise se déploie sur fond de transformations plus profondes et au long cours. À la fin des trente glorieuses, qui n'est pas étrangère à la crise politique évoquée, se superpose l'incapacité des régimes représentatifs à faire face aux difficultés écologiques. Une incapacité qui était jusqu'alors sans conséquences, les problèmes en question paraissant lointains. Or, tel n'est plus le cas. Le dérèglement climatique devient accessible à nos sens. L'effondrement des faunes sauvages pourrait au moins dans ses effets devenir également sensible. Autrement dit le faux-semblant des politiques publiques environnementales devient visible. Or, en un sens, ni les élites politiques, trop proches des élites économiques, ni le "peuple" ne veulent en majorité sortir de ce faux-semblant. Du côté des élites politiques et économiques car la logique de la croissance exige la destruction de mécanismes naturels auquel il convient de substituer des processus industriels; du côté de la population, car elle reste, pour une grande part, attachée au confort matériel produit par le productivisme antérieur. Et si l'on prend au sérieux le devenir de quelque chose comme une démocratie écologique, force est de constater qu'il mettrait à mal l'un des fondements des démocraties représentatives, à savoir le renvoi à la seule liberté négative de la détermination des modes de vie individuels.

Dominique Bourg est philosophe, professeur, Université de Lausanne, Faculté des Géosciences et de l'Environnement. Dirige la collection "L'écologie en questions" et lapenseeecologique.com aux Puf. Appartenance à : CFDD, Commission Coppens, Conseil national du développement durable, Grenelle de l'environnement, etc.; à conseils scientifiques : Ademe (2004-2006), Fondation pour la Nature et l'Homme (1998-2018; Paris) ; Organe de prospective de l'État de Vaud (2008-2017); Fondation Zoein (Genève). Domaines de recherches : pensée écologique, risques et principe de précaution, économie circulaire et démocratie écologique.
Derniers ouvrages parus
Perspectives on Industrial Ecology, Greenleaf Publishing, 2003 / Routledge, 2017.
Dictionnaire de la pensée écologique, avec Alain Papaux, Puf, 2015.
Écologie intégrale. Pour une société permacirculaire, avec Christian Arnsperger, Puf, 2017.
Inventer la démocratie du XXIe siècle. Une Assemblée citoyenne du futur, D. Bourg et alii, L.L.L., 2017.
Une nouvelle Terre, Desclée de Brouwer, 2018.

Marie-Anne COHENDET : La synergie entre droit international et droit constitutionnel pour renforcer la démocratie écologique
À la fin des années 1960 pratiquement aucune constitution ne traite de la protection de l'environnement. La première à le faire est la Constitution de la Pennsylvannie, en 1970. Deux ans plus tard, la déclaration Stockholm ouvre la voie à l'échelle mondiale, à une reconnaissance du droit de l'homme à un environnement sain et, plus globalement, à une protection internationale des droits de l'homme. Depuis lors, la quasi-totalité des constitutions d'États démocratiques qui modifient leur constitution y intègrent la protection de l'environnement. La Conférence de Rio, en 1992, donne un nouvel élan à ce mouvement en droit international et c'est justement deux ans après que la Cour Européenne des Droits de l'Homme interprète la Convention de 1950 à la lumière de cette évolution pour reconnaître un droit de l'homme à un environnement sain à l'appui du droit à une vie familiale normale et du droit à la vie. Cette jurisprudence a exercé une grande influence pour la constitutionnalisation de la protection de l'environnement dans de nombreux pays et notamment en France, où la Charte de l'environnement est intégrée dans la Constitution en 2005. Aujourd'hui, 170 États sur 193 ont des dispositions constitutionnelles relatives à la protection de l'environnement. Les principes majeurs du droit international sont de plus en plus souvent reconnus et appliqués en droit constitutionnel et/ou directement dans l'ordre interne. Ainsi, les principes de la Convention d'Aahrus ont donné lieu à la moitié des décisions QPC du Conseil constitutionnel, via les dispositions de la Charte de l'environnement qui les reprend en grande partie, notamment sur la démocratie participative. Sur le terrain, la démocratie écologique a beaucoup progressé par cette voie dans de nombreux pays, puisque les constitutions s'imposent immédiatement à tous, pouvoirs publics, juges et particuliers. Cependant ces progrès restent très insuffisants.

Marie-Anne Cohendet est professeure de droit constitutionnel, et de droit constitutionnel de l'environnement à l'École de droit de la Sorbonne, Université Paris 1. Elle co-dirige l'axe "Environnement" à l'ISJPS (UMR CNRS).
Publications
Droit constitutionnel, Éditions LGDJ, 4ème éd., 2019 (à paraître).
Droit constitutionnel de l'environnement, (dir.), Éditions Mare et Martin, 2019 (à paraître).
Droit de l'environnement, avec M. Prieur, J. Bétaille, H. Delzancles, J. Makoviak et P. Steichen, précis Dalloz, 8ème éd., 2019 (à paraître).
Rapport sur Le Référendum d'Initiative Citoyenne délibératif, avec L. Blondiaux, M. Fleury, B. François, J. Lang, J.-F. Laslier, Q. Sauzay et F. Sawicki, Terra Nova, Février 2019.
Inventer la démocratie du XXIe siècle. L'Assemblée citoyenne du futur, avec F. Augagneur, L. Blondiaux, D. Bourg, J.-M. Fourniau, B. François et M. Prieur, Éditions Les Liens qui Libèrent, 2014.
Pour une 6ème République écologique, avec D. Bourg, J. Bétaille, L. Blondiaux, J.-M. Fourniau, B. François, P. Marzolf et Y. Sintomer, Éditions O. Jacob, 2011.

Dimitri COURANT : Délibérer pour sauver la planète ? L'assemblée citoyenne irlandaise et la lutte contre le réchauffement climatique
Depuis presque dix ans, la démocratie délibérative irlandaise se développe et constitue un laboratoire pour des transformations politiques majeures. Trois assemblées citoyennes tirées au sort se sont succédées faisant la preuve par l'exemple que l'inclusion de citoyens ordinaires dans les processus de décision permettait d'avancer sur des enjeux complexes et clivants. Les récents référendums issus des propositions des assemblées et ayant permis la légalisation du mariage pour tous, du droit à l'IVG et du blasphème, ont monopolisé l'attention médiatique et académique, au point de faire oublier les autres sujets traités par les mini-publics irlandais. En effet, outre la question de l'avortement, la troisième assemblée citoyenne a également délibéré sur les enjeux du vieillissement de la population, des référendums, des parlements et de la lutte contre le réchauffement climatique. C'est sur ce dernier thème que la présente contribution se concentre. Elle se base sur des données empiriques de première main, observations ethnographiques, entretiens semi-directifs, analyses de discours et de documents, produites lors d'une enquête de terrain qualitative de plusieurs années. Comment délibérer pour sauver la planète ? Quels sont les effets de cadrage du dispositif ? En quoi les délibérations sur des enjeux écologiques de long terme sont-elles différentes de celles sur des enjeux sociétaux précis, comme le droit à l'avortement ? Quels sont les apports d'un mini-public comparés à la délibération de politiciens élus ? Comment penser la légitimité démocratique de citoyens tirés au sort ?

Dimitri Courant est doctorant en science politique à l'université de Lausanne (IEPHI) et à l'université Paris-VIII-Saint-Denis (CRESPPA). Ses travaux portent sur la délibération, la représentation politique, la démocratie et les usages du tirage au sort aux XXe et XXIe siècles. Ses enquêtes qualitatives de terrain comparent les assemblées citoyennes irlandaises, le CSFM français et les PubliForums suisses, ainsi que le groupe citoyen du CESE et le Grand Débat National. Sa thèse s'intitule "Le nouvel esprit du tirage au sort. Représentation et principes démocratiques au sein de dispositifs délibératifs contemporains".
https://www.cresppa.cnrs.fr/csu/equipe/les-membres-du-csu/courant-dimitri/
Publications
"Penser le tirage au sort. Modes de sélection, cadres délibératifs et principes démocratiques", in Chollet A., Fontaine A. (dir.), Expériences du tirage au sort en Suisse et en Europe : un état des lieux, Berne, Schriftenreihe der Bibliothek am Guisanplatz, p. 257-28, 2018.
"Les assemblées citoyennes en Irlande. Tirage au sort, référendum et constitution", La Vie des Idées, 2019a.
"Petit bilan du Grand Débat National", AOC, 2019b.
"Délibération et tirage au sort au sein d’une institution permanente. Le Conseil Supérieur de la Fonction Militaire (1968-2016)", Participations, vol. 23, n°1, 2019c.
"Du klérotèrion à la cryptologie. L'acte de tirage au sort au XXIe siècle, pratiques et instruments", Participations, numéro hors-série : Tirage au sort et démocratie, Pratiques, instruments, théories, 2019d.
Le tirage au sort au XXIe siècle, (dir.) avec Yves Sintomer, (Participations, dossier spécial, vol. 23, n°1), 2019e.

Erin DALY : Le droit de la dignité humaine, comme instrument utile pour la démocratie écologique
En cherchant des approches indisciplinées et transversales qui transcendent les voies bien établies pour aborder les défis de la démocratie environnementale, la reconnaissance du droit à la dignité humaine peut constituer l'un des terrains les plus fertiles. Le droit à la dignité humaine est inhérent à la personne humaine et globalement reconnu comme un droit constitutionnel et fondamental qui lie tous les autres droits de l'homme. La dignité humaine est comprise comme protégeant le droit de toute personne de développer pleinement sa personnalité, en tant qu'individu et en tant que membre d'un groupe. Elle nourrit ainsi l'action démocratique et, en particulier, les activités particulièrement liées à l'environnement naturel dont dépendent tous les êtres humains, car elle fonde le droit de chacun de prendre des décisions au niveau de l'individu et de la communauté. Ainsi, participer à la démocratie environnementale est en soi un acte de dignité. De plus, le caractère unique de la dignité humaine réside dans le fait qu’elle n'est pas seulement la source des droits, mais aussi leur objectif : les personnes peuvent exercer leurs droits démocratiques en matière d'environnement parce qu'elles jouissent de la dignité humaine, et elles y participent dans le but de renforcer leur capacité de vivre dans la dignité.

Erin Daly, professeur de droit au Delaware Law School, aux États-Unis, est la co-fondateur du Dignity Rights Project.
Publications
Dignity rights : courts, constitutions and the worth of the human person, Penn. Press, 2013.
Avec James R May, Global environmental constitutionalism, Cambridge 2015.
Co-editeur de plusieurs tomes, y compris, Implementing environmental constitutionalism (Cambridge, 2018) et Encyclopedia of human rights and the environment legality, indivisibility, dignity, and geography (Edward Elgar, 2019).

Jean-Michel FOURNIAU : Le débat public et l'agir citoyen pour la transition écologique
Après vingt années d'existence, il ne s'agit pas seulement pour la Commission nationale du débat public de renouveler les modalités de son activité mais d'en refonder la légitimité et l'efficacité. Le cycle engagé avec la création de la CNDP, de démocratisation de la décision environnementale, s'achève en effet. D'une part, la défiance vis-à-vis des institutions et des experts à laquelle un débat ouvert offre une occasion d'expression libre tend à favoriser des formes de populisme quand les transitions imposées aux populations conduisent la force des attachements territoriaux et la montée des peurs devant les risques au repli sur une identité territoriale restreinte, plutôt qu'au travail du commun dont le déploiement déborde le temps du débat. D'autre part, la défiance des élus et des exécutifs face à l'expression populaire se lit dans les divers retours de la décision tranchée (y compris sous des formes apparemment démocratiques comme le référendum sur Notre-Dame-des-Landes) pour couper court à la recherche de compromis sociotechniques partagés. Dans ce jeu de défiances croisées, l'élargissement des missions et la consolidation d'une ingénierie de la participation attentive aux évolutions des attentes des publics ne suffisent plus à assurer le fait politique du débat public. Son institution perd en légitimité et sa pratique tend à être perçue comme une technique de participation. L'éviction de la CNDP de la conduite du "grand débat national" l'a souligné. Aussi, face aux enjeux radicalement nouveaux qu'impose la crise écologique à la vie démocratique, il s'agit de réinventer le débat public comme forme d'exploration et d'expérimentation de l'agir démocratique dans une société en transition.

Jean-Michel Fourniau est sociologue et directeur de recherche au laboratoire Dynamiques Économiques et Sociales des Transports de l'IFSTTAR. Il enseigne à l'EHESS où il est chercheur associé de Groupe de sociologie pragmatique et réflexive. Il est président du Groupement d'Intérêt scientifique du CNRS Démocratie et Participation. Il préside le programme de recherche Cit'in, financé par le ministère de la transition écologique et composé de 12 projets de recherche qui explorent "Les expérimentations démocratiques pour la transition écologique". Il pilote l'Observatoire des débats, initiative indépendante organisée dans le temps du "grand débat national". Il est membre du comité éditorial de la revue Participations (Éditions De Boeck) et co-directeur de la collection "Pragmatismes" aux Éditions Petra.
Publications
Inventer la Démocratie du XXIe siècle, Les Liens qui Libèrent, 2017.
La portée de la participation face au retour du conflit territorial, Ifsttar, 2015.
Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Gis Démocratie & Participation, 2013.
Démocratie et participation : un état des savoirs, De Boeck, 2011 (Participations, n°1).
Pour une 6ème République écologique, Paris, Odile Jacob, 2011.

Mario GAUTHIER & Louis SIMARD : Le BAPE, 40 ans de démocratie écologique : entre survie et innovation
Après 40 ans d'existence, le BAPE est devenu une véritable institution dans le paysage québécois de la démocratie écologique. Pionnier dans le domaine de la participation publique en aménagement du territoire et en évaluation environnementale, au fil des décennies, il a fait face à plusieurs tentatives de réformes qui visaient tant à freiner voir à bannir ses activités qu'à les renforcer ou les développer. Le BAPE apparait aujourd'hui comme une référence tant par les principes qu'il a développés que pour les pratiques qu'il a engendrées. Au cœur des tensions entre développement économique, protection de l'environnement et acceptabilité sociale, le BAPE a participé au développement d'une culture de la participation au Québec dans le domaine et au-delà. La communication propose de rendre compte des principales étapes qui ont marqué son parcours, des innovations observables et de l'influence que l'institution a pu avoir au-delà des disciplines et des tensions en tant qu'instrument participatif.

Mario Gauthier (Ph. D. études urbaines) est professeur titulaire au Département des sciences sociales de l'université du Québec en Outaouais (UQO) depuis 2006, où il enseigne aux trois cycles universitaires. Géographe et urbaniste de formation, il est chercheur régulier au sein du réseau de recherche Villes Régions Monde et du Centre de recherche sur le développement territorial, deux regroupements stratégiques reconnus par le FRQSC. Ses travaux de recherche et publications portent sur la planification urbaine et métropolitaine, l'aménagement du territoire et l'urbanisme, l'évaluation environnementale et le développement durable des territoires. Au cours des dernières années, il s’est particulièrement intéressé à la question de la participation publique en environnement, aménagement et urbanisme.
Publications
Bacqué M.-H. & Gauthier M., 2017, "Participation, Urban Planning and Urban Studies : Four Decades of Debates and Experiments since S. R. Arnstein's "A Ladder of Citizen Participation"", in C. Silver, R. Freestone and C. Demaziere (Ed.), Dialogues in Urban and Regional Planning 6, Routledge, Taylor & Francis group.
Bherer L., Gauthier M. & Simard L. (eds.), 2017, The Professionalization of Public Participation, Routledge, Taylor & Francis.
Bherer L., Gauthier M. & Simard L. (eds.), 2018, "Quarante ans de participation publique en environnement, aménagement du territoire et urbanisme au Québec : entre expression des conflits et gestion consensuelle", Les Cahiers de géographie du Québec, Vol. 62, n°175, p.15-40.
Gauthier M. & Simard L., 2017, "Le BAPE et l'institutionnalisation de la participation publique au Québec", dans A. Chaloux (dir.), L'action publique environnementale au Québec : entre local et mondial, Montréal, Les Presses de l'université de Montréal, p.129-151.

Détenteur d'un doctorat de sociologie de l'Institut d'études politiques de Paris et d'une maîtrise en science politique de l'UQAM, Louis Simard enseigne l'administration publique à l'École d'études politiques de l'université d'Ottawa. Ses travaux de recherche portent sur la participation publique dans les secteurs de l'environnement et de l'énergie, plus particulièrement sur les effets des instruments de participation publique sur les processus de régulation, la mise en œuvre de l'action publique et l'apprentissage organisationnel. Il travaille actuellement sur l'acceptabilité sociale comme instrument normatif de l'action publique. Il est notamment co-auteur du livre The Professionalization of the Public Participation (2017, Routledge).

Baptiste GODRIE : Savoirs expérientiels et professionnels en santé mentale : tensions entre les modèles intégrationniste et écologique
Cette intervention décrit les tensions actuelles entre les modèles intégrationniste et écologique des savoirs expérientiels et professionnels dans les institutions publiques de la santé à la lumière d'enquêtes empiriques réalisées à Montréal dans des équipes multidisciplinaires en santé mentale qui emploient des intervenants pairs-aidants. La perspective écologique se situe au cœur du projet des épistémologies du Sud proposé par le sociologue Boaventura de Sousa Santos. Elle offre une perspective critique de la vision positiviste de la connaissance et des soins au cœur du modèle intégrationniste, qui vise essentiellement à valider et à mobiliser les différents savoirs professionnels et expérientiels au sein du cadre médical. L'écologie des savoirs vise, quant à elle, à interroger les mondes rendus possibles par ces savoirs et les pratiques qu'ils permettent de développer sans les ramener à une seule et unique hiérarchie médicale.

Baptiste Godrie est sociologue au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales, les discriminations et les pratiques alternatives de citoyenneté (CREMIS) où il dirige l'axe Savoirs et professeur associé au Département de sociologie de l'université de Montréal. Il co-dirige le groupe de travail 21 Diversité des savoirs de l'AISLF. Ses recherches portent sur les inégalités sociales, la participation sociale et la production des savoirs dans le champ des services sociaux et des soins de santé.

Catherine LARRÈRE : Compétence et autonomie démocratiques
La démocratie reconnaît, dans son principe, la capacité de chaque citoyen à participer aux décisions qui engagent l'avenir commun. Mais la compétence ainsi reconnue concerne le juste, l'action politique entre citoyens. Qu'en est-il quand ces décisions, comme c'est souvent le cas dans les questions écologiques, font appel à un savoir scientifique et technique, censé réservé à des experts ? Le risque, dans ce genre de cas, d'une extension du pouvoir technique et bureaucratique au détriment de l'autonomie politique des citoyens, a souvent été dénoncé. Peut-on lutter contre ce risque ? Il s'agira, à partir d'exemples tirés des débats publics sur les questions environnementales, d'examiner quelles peuvent être les compétences du public dans ce genre de débat. Renvoient-elles à l'information et à la capacité à comprendre les enjeux techniques d'une question, capacité que les conférences de citoyens mettent régulièrement en évidence ? Ou y a-t-il des compétences propres au public, au citoyen ordinaire, non réductibles à un savoir technique ou scientifique ?

Catherine Larrère, philosophe, professeure émérite à l'université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, travaille depuis 1992 sur les questions de philosophie et d'éthique environnementales.
Publications
Avec Raphaël Larrère, Penser et agir avec la nature, une enquête philosophique, La Découverte, 2015.
Avec Raphaël Larrère, Bulles technologiques, Marseille, Éditions Wildproject, 2017.
Collectif, Les inégalités environnementales, Paris, PUF, 2017.
Direction avec Rémi Beau, Penser l’anthropocène, Presses de Sciences Po, 2018.

Caroline LEJEUNE : De la justice environnementale à la justice écologique
La notion de "démocratie écologique" est née dans les années 90 de l'engagement de chercheurs anglosaxons et francophones en sciences humaines et sociales au sein de la théorie politique environnementale. Cette notion a été construite pour apporter des solutions pragmatiques aux défis politiques du long terme qu'impose la réalité physique de la crise écologique aux systèmes participatifs et représentatifs des démocraties occidentales. Des propositions ont tenté de faire entrer la nature en politique en conciliant des systèmes de valeurs et des temporalités politiques des démocraties occidentales, a priori incompatibles, avec ceux de la nature. Elles ont nourri jusqu'ici les débats théoriques en tentant d'inclure les générations futures et les données physiques par des ajustements procéduraux. Certains ont parfois été diffusés dans les procédures participatives et institutionnelles. Le dilemme de la compatibilité des valeurs semble toutefois perdurer. Cette communication reviendra sur ces propositions. Elle insistera sur les valeurs ontologiques et épistémiques que la notion de "démocratie écologique" diffuse dans les arènes participatives et institutionnelles. Elle énoncera enfin quelques angles morts de la démocratie écologique visant à discuter des sentiers inexplorés de cette notion.

Caroline Lejeune, docteure en sciences politiques environnementales, travaille dans le domaine des humanités environnementales sur les implications éthiques et politiques des transformations environnementales à partir des enjeux de justice. Pour cela, elle questionne les cadres théoriques des sciences humaines et sociales à partir d'études empiriques. Elle est première assistante au sein du groupe des humanités environnementales de l'Institut de géographie et de durabilité de l'université de Lausanne en Suisse. Elle est secrétaire de rédaction de la revue La Pensée écologique et membre du comité de rédaction de la revue Développement durable et territoires.
Pour en savoir plus : https://igd.unil.ch/clejeune/

Corine PELLUCHON : La démocratie écologique au-delà des procédures
Les conditions sont-elles réunies pour mettre en œuvre la transition écologique et solidaire qui implique une reconversion des modes de production et des changements importants dans les styles de vie des personnes, mais aussi dans la manière de penser le rapport entre le local et le global ? Lorsqu'elle est conçue comme une sagesse de l'habitation de la Terre et de la cohabitation avec les autres, l'écologie ne se limite pas à sa dimension environnementale. Elle est articulée à une écologie sociale, liée à la répartition équitable des coûts de la pollution et à une réorganisation du travail. Elle est aussi indissociable d'une modification profonde de notre manière de nous rapporter aux autres et de consommer. Ainsi, au lieu de conduire à des mesures atomistes, souvent vécues comme des punitions, cette approche holistique de l'écologie, qui ne sépare pas les impératifs de réduction des GES des enjeux d'équité sociale, requiert aussi des remaniements importants dans notre manière de faire de la politique. Il s'agira d'insister sur les traits moraux qui sont requis de la part des gouvernants et des gouvernés afin de transformer la transition énergétique en un projet de coopération. Nous verrons que, si les citoyen.ne.s doivent s'organiser afin de valoriser leurs expérimentations et leur savoir-faire dans le domaine de l'efficacité énergétique, de l'agriculture, de l'alimentation et des échanges, les représentants, de leur côté, sont invités à abandonner leur conception technocratique de l'État et à réaffirmer ses missions principales.

Corine Pelluchon, philosophe, professeur à l'université Paris-Est-Marne-La-Vallée. Spécialiste de philosophie politique et d'éthique appliquée (bioéthique, philosophie de l’environnement et de l'animalité).
Publications
Leo Strauss, une autre raison, d'autres Lumières, Vrin, 2005, Prix F. Furet.
L'autonomie brisée. Bioéthique et philosophie, PUF, 2009, 2014.
Éléments pour une éthique de la vulnérabilité. Les hommes, les animaux, la nature, Cerf, 2011, Grand Prix Moron de l'Académie française.
Les Nourritures. Philosophie du corps politique, Seuil, 2015, Prix É. Bonnefous de l'Institut des Sciences Morales et Politiques et Prix de l'essai francophone Paris Liège.
Manifeste animaliste. Politiser la cause animale, Alma, 2017.
Éthique de la considération, Seuil, 2018.
http://corine-pelluchon.fr/

Juliette ROUSSIN
Juliette Roussin est chercheuse postdoctorale au Centre de recherche en éthique de l'université de Montréal. Elle travaille sur la légitimité démocratique et les conditions sociales du jugement politique.
Publications
"Frontiers of Responsibility for Global Justice", Journal of Social Philosophy, 2018 (avec Mathilde Unger).
"Démocratie contestataire ou contestation de la démocratie ? L'impératif de la bonne décision et ses ambiguïtés", Philosophiques, 2013.
Constitution de la démocratie : Ronald Dworkin et le principe d'égalité, Hermann Éditeurs, À paraître fin 2019.


La Parenthèse Utopique : explorons les possibles de la démocratie écologique, présentation animée par les étudiants du Parcours Concertation et Territoires en Transition du Master politiques publiques de Sciences Po Rennes à Caen : Emma BEAUDOIN, Noémie BESSETTE, Clément BRANDELON, Julie FRANÇOIS, Aloise GERMAIN, Samuel LAFORGE, Goulven LEBRETON, Clara LE DIOLEN, Louison LEVRARD, Nala LORIOT, Flore PETIT, Coline PHILIPPE, Romane RAIFFÉ, Élise RIBARDIÈRE, Lucile TAMAGNAN, Nolwenn THIRIET, Romane THOMAZEAU et Sandra VIAN, avec le concours d'Anne CHEVREL

Cette présentation grand public, organisée dans les locaux d'Art Plume à Saint-Lô, proposera à chacun(e) de s'interroger sur la ou les manière(s) de faire entendre sa voix et de contribuer à la démocratie environnementale. Il s'agira de questionner et d'entendre celles et ceux qui sont déjà impliqués comme celles et ceux qui ne se sentent pas encore concernés dans ce lieu utopique de la démocratie écologique, un espace/temps d'échanges simple et lisible, déculpabilisant et permettant à chacun d'imaginer une véritable capacité d'agir.
Les sujets abordés à travers les différents ateliers proposés viseront à répondre aux questions suivantes :
- démocratie sauvage, démocratie d'élevage : quelle(s) forme(s) de démocratie(s) pour assurer les transitions ?
- quelle place pour les citoyens, les associations, les partis politiques, les syndicats dans la démocratie environnementale ?
Cette présentation se voudra également un temps de convivialité et d'échanges informels associant restauration, musique et arts graphiques.

Les étudiants du Master Politiques Publiques de Sciences Po Rennes à Caen, parcours Concertation et Territoires en Transition se forment à devenir des "transitionneurs", citoyens et professionnels en capacité de comprendre les enjeux de la démocratie écologique pour mettre en œuvre des politiques et projets de transition. Leur enseignante, Anne Chevrel, est consultante, dirigeante du cabinet de concertation Vox Operatio et maître de conférences associée à Sciences Po Rennes.


SOUTIENS :

• Commission nationale du débat public (Cndp)
• Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (ISJPS, UMR 8103) | Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
• Centre européen de sociologie et de science politique de la Sorbonne (CESSP, UMR 8209) | Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
• Groupement d'intérêt scientifique Démocratie & Participation
• Université de Lausanne (Unil)