Programme 2019 : un des colloques

Programme complet


LES SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

EN RECHERCHE TECHNOLOGIQUE


DU MERCREDI 5 JUIN (19 H) AU MERCREDI 12 JUIN (14 H) 2019

[ colloque de 7 jours ]



DIRECTION :

Charles LENAY, Pascal SALEMBIER, Loic SAUVÉE, Mathieu TRICLOT


ARGUMENT :

L'idée d'une recherche technologique en sciences humaines et sociales peut apparaître comme un paradoxe, tant elle prend à rebours les partages institués entre comprendre et faire, sciences humaines et sciences pour l'ingénieur, savoirs fondamentaux et applications... Alors que le faire technique devrait être une question centrale pour les sciences humaines, la rencontre prend souvent la forme décevante d'une opposition ou d'une instrumentalisation. Opposition, lorsque les techniques sont considérées comme de simples moyens, par différence avec la culture, seule source de sens. Instrumentalisation, lorsque les sciences humaines sont convoquées comme vecteur d'acceptabilité. Mais, à front renversé, ce sont aussi les sciences humaines qui s'emparent des techniques comme des instruments supposés neutres quant à leur propre questionnement.

Le mot d'ordre d'une recherche technologique a réémergé récemment au sein des universités de technologie. De cette "expérimentation" résulte aujourd'hui une diversité de pratiques : elle peut désigner l'ambition d'une techno-logie, prenant les techniques comme terrain d'études, mais elle peut aussi conduire, à rebours, à des formes d'instrumentation technique originales des disciplines des sciences humaines et sociales sur le mode d'un "faire pour comprendre", ou encore s'inscrire dans des démarches de co-conception embarquées sur des projets technologiques. Le groupement d'intérêt scientifique "Unité des Technologies et des Sciences de l'Homme", regroupant les chercheurs des universités de technologie et de l'école d'agronomie UniLaSalle, a nourri la réflexivité sur ces pratiques. L'enjeu de ce colloque consiste à confronter les travaux, menés sur des terrains particuliers — agronomie, design, soin, humanités du numérique, transport —, avec d'autres modes d'intervention des sciences humaines dans les processus d'innovation, de façon à relever le défi du caractère constituant des techniques pour nos sociétés, nos savoirs, nos formes d'expérience.


CALENDRIER DÉFINITIF :

Mercredi 5 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Jeudi 6 juin
CONCEPTION
Matin
Charles LENAY : Introduction : Enjeux d'une recherche technologique en SHS

Conception et design, table ronde organisée par Charles LENAY, Pascal SALEMBIER, Matthieu TIXIER & Mathieu TRICLOT, avec :
Nicolas NOVA : Ethnographie du présent, ethnographie des possibles
Emeline EUDES & Véronique MAIRE : La Chaire IDIS, un outil de co-transformation
Anne GUÉNAND : Le design en Université de Technologie
Jacques THEUREAU : La construction d'un programme de recherche technologique en relation organique avec des recherches en sciences humaines et sociales

Après-midi
Véhicule autonome, atelier organisé par Nathalie KROICHVILI, Charles LENAY & Pascal SALEMBIER, animé par Florence BAZZARO, Marjorie CHARRIER & Denis CHOULIER (UTBM)

Soirée
Bernard STIEGLER & Maël MONTÉVIL : La recherche technologique à l'IRI : méthode pour une clinique contributive, avec une intervention vidéo de Gerald MOORE


Vendredi 7 juin
Matin
CONCEPTION
Technologie du Care, table ronde organisée par Xavier GUCHET & Matthieu TIXIER, avec :
Gaël GUILLOUX : La recherche au Care Design Lab
Jean-Philippe PIERRON : Éthique du soin
Benoît SIJOBERT

Après-midi
TECHNO-LOGIES
Faire l'histoire de la technologie / faire de la technologie en histoire : quelle place pour les concepts technologiques en histoire des techniques ?, table ronde organisée par Timothée DELDICQUE & Sacha LOEVE, avec :
Liliane HILAIRE-PÉREZ : Le cultural turn de l'histoire des techniques
Delphine SPICQ : L'Histoire des techniques en Chine dans l'histoire des techniques
Catherine VERNA : L'histoire des techniques médiévales au miroir de la technologie
Pascal BRIOIST : Réseaux et pratiques techniques à la Renaissance

Soirée
Gaëlle GARIBALDI : Expérimenter le design minimaliste avec Tactos


Samedi 8 juin
TECHNO-LOGIES
Matin
Promesses technologiques, table ronde organisée par Guillaume CARNINO, avec :
Cecilia CALHEIROS : IA et corps augmentés : registres d'anticipation chez les transhumanistes
Arnaud SAINT-MARTIN : Le New Space
Aurore STEPHANT : Les promesses de l'extraction minière du futur

Après-midi
Constitutivité sociale, organisée par Guillaume CARNINO, avec Andrew FEENBERG : Technoscience et déréification de la Nature [enregistrement audio en ligne sur La forge numérique de la MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site France Culture]


Dimanche 9 juin
Matin
TECHNO-LOGIES
Qu'est-ce qu'un milieu technique ?, atelier animé par Victor PETIT

Après-midi
AGROTECHNIES
Agrotechniques, table ronde organisée par Michel DUBOIS (La problématique de la domestication dans le contexte des enjeux agricoles contemporains) & Loïc SAUVÉE (L'agriculteur et l'innovation agrotechnique : enjeux contemporains), avec :
José HALLOY : Contraintes de l'anthropocène : des technologies zombies aux technologies vivantes
Georges GUILLE-ESCURET : Les paroles s'envolent et les techniques restent : une source d'instabilité des sciences sociales dans l'interdisciplinarité
Rémi LAURENT : La transformation digitale de l'agriculture comme mutation de l'activité humaine
Séverine LAGNEAUX : Penser l'inter-relation humain - animal - machine

Soirée
Documenter la recherche en train de se faire, animée par Sébastien AUGIER


Lundi 10 juin
AGROTECHNIES
Matin
Constitutivité cognition, organisée par Pierre STEINER, avec Lambros MALAFOURIS : How things shape the mind ?

Après-midi
"HORS LES MURS"
Visite de la ferme expérimentale de La Blanche Maison, animée par Michel DUBOIS et Loïc SAUVÉE

Soirée
Projection-Débat du film Bienvenue les vers de terre, en présence du réalisateur François STUCK


Mardi 11 juin
HUMANITÉS DU NUMÉRIQUE ET PATRIMOINE
Matin
"HORS LES MURS"
Visite du site Fonderie de cloches Cornille-Havard à Villedieu-les-Poêles, animée par Marina GASNIER et Yannick LECHERBONNIER
Présentation de l'activité des fondeurs de cloches sur le long terme, par Philippe CLAIRAY, conservateur des musées de Villedieu, sur le site dit de la Cour du Foyer
Visite de l'entreprise de Fonderie, Villedieu-les-Poêles
Échanges avec Paul BERGAMO, président de Cornille-Havard

Après-midi
Humanités du numérique, table ronde organisée par Marina GASNIER, avec :
Sébastien REMY : Numérisation 3D et conception mécanique
Alexandre DURUPT : Le concept de jumeau numérique
Florent LAROCHE : Le numérique comme outil pour comprendre notre histoire : pour une nécessaire interdisciplinarité


Mercredi 12 juin
Matin
Synthèse, conclusion et perspectives

Après-midi
DÉPARTS


VIDÉO :

Court métrage issu de l'installation "le Confessionnal", réalisé par Sébastien AUGIER (UFC / IUT de Belfort-Montbéliard - Département Métiers du Multimédia & d'Internet).


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Cecilia CALHEIROS
Cecilia Calheiros est en doctorat de sociologie et d'anthropologie à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales où elle est accueillie au sein du laboratoire le Cesor. Ses recherches portent sur les façons dont les technosciences et les environnements technoscientifiques suscitent des croyances autour de la notion de dépassement de soi chez les transhumanistes.

Michel DUBOIS : La problématique de la domestication dans le contexte des enjeux agricoles contemporains
Lorsque la possibilité de créer des plantes transgéniques est apparue il y a quarante ans, les acteurs du monde professionnel des semences étaient partagés : était-ce un nouvel apport dans la continuité de la multimillénaire domestication ou était-ce une rupture ? De même actuellement, où la génomique prend le pouvoir dans l'orientation de la sélection végétale et animale, est-ce pensable comme une continuité de la domestication ou comme une rupture ? On peut penser le fait technique agricole et son évolution sous le prisme de la domestication. Si F. Sigaut a estimé que "la notion empirique de domestication confond des réalités différentes, qu'il faut démêler pour mettre fin à la confusion", notre hypothèse est que, si la production agricole conduit à la domestication, mais que celle-ci semble possible sans agriculture, c'est que la domestication est un processus plus général qu'agricole qui doit être pensé dans une interaction entre technicité humaine et vivant soumis à cette technicité. C'est le triangle vivant-technique-humain qui doit être interrogé. La domestication est un processus qui implique les trois pôles; analyser la relation technique-animal, dans un contexte humain de production, c'est décortiquer le processus de la domestication qui n'est ni une technique, ni un système technique, ni un dispositif technique, et dont la "disparation" vient du fait de l'originalité de chaque espèce et des conditions et contextes de sa domestication. Penser la domestication, c'est donc aussi revoir notre relation aux objets techniques complexes qui peu à peu deviennent biomimétiques, par concrétisation, et "demandent" à être considérés...

Michel Dubois, enseignant-chercheur HDR en épistémologie et philosophie des techniques, ingénieur agronome, docteur en biologie moléculaire végétale, est chercheur dans l'unité de recherche InTerACT à UniLaSalle et chercheur associé au LIED, Univ. Paris-Diderot. Il est membre du GIS UTSH. Ses recherches traitent des problématiques du développement durable et de la transition énergétique, de la transition sociotechnique agricole dans un contexte de développement durable et des mutations conceptuelles associées.
Publications
Dubois M. J. F., 2019, "De nouveaux agriculteurs pour une nouvelle agriculture ?", Nouvelle Revue de Psychosociologie, 28 (à venir).
Fourati-Jamoussi F., Dubois M. J. F., Agnès M., Leroux V., Sauvée L., 2019, "Sustainable development as a driver for educational innovation in engineering school : the case of UniLaSalle", European Journal of Engineering Education, pp 1-19 (à venir).
Dubois M. J. F., Fourati-Jamoussi F., Dantan J., Rizzo D., Jaber M., & Sauvée L., 2019, "The Agricultural Innovation Under Digitalization", in Business Transformations in the Era of Digitalization (Mezghani K., Aloulou W., Eds), pp 276-303, Hershey, Pennsylvania, IGI Global.
Caroux D., Dubois M. J. F., Sauvée L., 2018, Évolution agrotechnique contemporaine II. Transformation de l'agromachinisme : fonctions, puissance, information, invention, Collection "Ingénieur au XXIe siècle", Presses de l'UTBM, 248 p.
Dubois M. J. F., Vitali M.-L., Sonntag M., 2018, Création, créativité et innovation dans la formation et l'activité d'ingénieur, Collection "Ingénieur au XXIe siècle", Presses de l'UTBM, 282 p.
Traitler H., Dubois M., Heikes K., Petiard V., Zilberman D., 2017, Megatrends in Food and Agriculture : Technology, Water Use and Nutrition, London, John Wiley & sons.
Dubois M. J. F., Fourati-Jamoussi F., 2017, "Intelligence économique et développement durable : réflexion intégrative", Revue internationale d'Intelligence Économique, 9 (1), pp 77-94.
Dubois M. J. F., Sauvée L., 2016, Évolution agrotechnique contemporaine. Les transformations de la culture technique agricole, Collection "Ingénieur au XXIe siècle", Presses de l'UTBM, 236 p.
Dubois M. J. F., 2016, Vivre dans un monde sans croissance - Quelle transition énergétique ?, Paris, Desclée de Brouwer, 278 p.
Fourati-Jamoussi F., Agnès M., Dubois M. J. F., Leroux V., Rakotonandraina N., Kotbi G., & Sauvée L., 2015, "How to promote, support and experiment sustainability in higher education institutions ? The case of LaSalle Beauvais", in France. Int. J. Innovation and Sustainable Development, 9 (3-4), pp 227-245.
Dubois M. J. F., 2015, La métaphore et l'improbable, Paris, L'Harmattan, Col. "Ouverture philosophique".

Emeline EUDES & Véronique MAIRE : La Chaire IDIS, un outil de co-transformation
À la Chaire IDIS - Industrie, Design & Innovation Sociale, nous développons une esthétique du déplacement. Déplacement des compétences, des discours, déplacement des manières de fabriquer du sens, de l'objet et des histoires. Projet après projet, nous interrogeons la forme de "l'entreprise collective" (Guattari, 1989) dans le but de créer des milieux de production et de vie où s'active la co-transformation des acteurs d'un territoire. La méthodologie du design y est exploitée en tant qu'outil pour une recherche engagée vers des solutions réelles, pour les acteurs de la production locale, mais aussi pour les habitants et le milieu associatif. En passant par le projet de design et les collaborations avec différents corps professionnels (sociologues, designers, entrepreneurs, artisans, compagnons du devoir, formateurs…), nous prototypons des situations de recherche, des situations de transfert de connaissances, mais aussi des situations pédagogiques donnant elles-mêmes lieu à des prototypes d'objets. Au fil des rencontres et des projets, c'est finalement l'enjeu de la co-transformation qui s'est fait jour et que nous proposons ici d'explorer davantage.

Docteur en Esthétique, Sciences et Technologies des Arts de l'Université Paris 8, Emeline Eudes est chercheuse en esthétique environnementale. Ses travaux s'attachent à étudier les points de rencontre entre art, environnement et politique. Elle a ainsi travaillé sur les créativités habitantes en milieu urbain (post-doctorat au Ladyss-CNRS), sur l'art et l'activisme environnemental ou encore sur le rôle culturel et politique de l'artiste en milieu scolaire (chargée du post-diplôme Artiste Intervenant en Milieu Scolaire - AIMS - de l'ENSBA, Paris).
Publications
Avec Sandrine Baudry : "Urban Gardening : between Green Resistance and Ideological Instrument", in The Sage Handbook of Resistance, dir. Couprasson & Vallas, 2016.
Machines de guerre urbaines, dir. Antonioli, 2015.
Faut pas pousser, Design et végétal, ESAD de Reims, 2013.
Au-delà du Land Art, revue Marges, n°14, 2012.
Elle est actuellement responsable de la recherche à l'ESAD de Reims et accompagne la Chaire IDIS dans sa démarche de recherche en design, avec qui elle a publié, en co-direction avec Véronique Maire, La fabrique à écosystèmes. Design, territoire et innovation sociale, Loco, 2018.

Véronique Maire est designer et enseignante en design à l'ESAD de Reims. Elle a débuté sa carrière au sein du studio de création Andrée Putman où elle a développé des produits pour la maison. En 2001, elle a cofondé le studio IK Design, puis elle a créé son propre bureau de création en 2006, en privilégiant son intérêt pour les savoir-faire et l'univers de la table. Elle a, aujourd'hui, lancé sa propre marque, mamama, dédié aux objets de la table, lui permettant de toucher directement les problématiques de la production et de la distribution. Au sein de l'ESAD de Reims, elle est impliquée dans le programme de recherche fondateur sur l'autoproduction, qui s'inscrit dans l'unité de recherche "Formes de l'Innovation Sociale". Depuis 2015, elle est titulaire de la Chaire IDIS. Son rôle est d'animer, de fédérer et de médiatiser les différentes actions de la Chaire IDIS et de mener des projets de recherche avec les étudiants de Master Design objet. En 2018, elle a publié, en co-direction avec Emeline Eudes, La fabrique à écosystèmes. Design, territoire et innovation sociale (Loco).

Andrew FEENBERG : Technoscience et déréification de la Nature
Quelle est le rapport entre la science et la technologie ? Autrefois on a cru que la technologie était une science appliquée et que la science proprement dite occupait une "tour d'ivoire", isolée du monde social. Mais on comprend aujourd'hui que la science dépend de la technologie tout autant que l'inverse. De plus, après la deuxième guerre mondiale, les gouvernements s'intéressent à la science et interviennent pour orienter son développement. Plus récemment, depuis la montée de la biologie comme science dominante, les entreprises pharmaceutique et chimique jouent de plus en plus un rôle actif dans les sciences, les subordonnant aux objectifs techniques et à la production de produits commerciaux. Et, finalement, c'est le public qui commence à s'intéresser aux agissements de tous ces acteurs officiels et professionnels. Notre vie de tous les jours est impliquée dans leurs décisions. La pollution et surtout le changement climatique mobilisent l'opinion et maintenant aussi de nombreux jeunes dans la rue. La paix de la tour d'ivoire est définitivement troublée. Le mot "technoscience" résume cette nouvelle condition.

Andrew Feenberg est philosophe. Il a occupé la Canada Research Chair in Philosophy of Technology à Simon Fraser University. Il est aussi Directeur de Programme au Collège International de Philosophie.
Ses recherches portent sur la philosophie de la technologie, l'internet et L'École de Frankfort. Il a écrit de nombreux articles et livres sur la philosophie de la technologie.
Sont disponibles en français (Re)Penser la technique (La Découverte, 2004) ; Pour une théorie critique de la technique (Lux Éditeur, 2014) ; Philosophie de la praxis (Lux Éditeur, 2016). Son dernier livre est Technosystem : The Social Life of Reason (Harvard, 2017).
Pour plus d'information, consulter sa page web : sfu.ca/~andrewf.

Georges GUILLE-ESCURET : Les paroles s'envolent et les techniques restent : une source d'instabilité des sciences sociales dans l'interdisciplinarité
Les techniques représentent avec le langage et le substrat biologique l'une des trois entrées principales dans les faits humains, y compris au niveau de la société. Hélas, depuis le milieu du XIXe siècle, l'antagonisme idéologique qui hante les sciences sociales entre le réductionnisme biologique et la puissance de la faculté symbolique, a systématiquement marginalisé et amoindri le rôle intrinsèque des techniques dans l'organisation des modes de vie humains. Le fait est que, sans le rétablissement complet de cette catégorie de faits au premier plan des discussions, l'interdisciplinarité incorpore une instabilité désastreuse dès qu'elle implique l'action des données sociologiques dans ses recherches. On peut d'ailleurs inverser la formulation : le rééquilibrage de l'interdisciplinarité, grâce à une prise en compte complète des rapports techniques, constitue sans doute le meilleur moyen de délivrer l'anthropologie des obsessions que l'évolutionnisme infiltre encore et toujours dans nos problématiques.

Georges Guille-Escuret est directeur de recherche en anthropologie au CNRS, centre Norbert Elias, UMR 8562, Marseille et Avignon, il a orienté ses domaines de recherche en ethno-écologie, c'est-à-dire au niveau de l'interaction entre sciences naturelles (du vivant) et sciences humaines et sociales, selon une approche épistémologique et méthodologique des relations interdisciplinaires sur la frontière sciences naturelles/sciences sociales.
Publications
2018, Structures sociales et systèmes naturels : l'assemblage scientifique est-il réalisable ?, ISTE, Londres, 233 pages (puis parution en anglais chez ISTE & Wiley).
2017, avec S. Park, Sociobiology vs Socioecology : Consequences of an Unraveling Debate, ISTE & Wiley, London, 196 pages (puis paru aussi en français chez ISTE).
2017, avec G. Anichini, F. Carraro, Ph. Geslin, Technicity vs Scientificity : Complementarities and Rivalries, ISTE & Wiley, London, 203 pages (puis paru aussi en français chez ISTE).
2016, "L'observation des hommes boutée hors du champ scientifique : une rouerie épistémologique", Raison Présente, n°195 ("L'anthropologie et ses raisons"), p. 91-100.
2015, "Darwin Charles", "Écologie humaine" et "Haeckel Ernst", in D. Bourg et A. Papaux (dir.), Dictionnaire de la pensée écologique, Paris, PUF, p. 239-240, p. 328, 330, et p. 516-518.
2015, "Un homme renversant. Réflexions sur l'escamotage de l'anthropologie de Darwin", in Guillaume Lecointre et Patrick Tort (éds), Le monde de Darwin, Paris, Éditions de La Martinière, p. 133-149.
2014, L'écologie kidnappée, Paris, PUF, 360 pages.
2012, Les mangeurs d'autres. Civilisation et cannibalisme, Paris, Éditions de l'EHESS, Cahiers de L'Homme, 292 pages.
2011, "Retour aux modes de production sans contrôle philosophique", in Cultures matérielles, Techniques & Culture, n°54-55, pp. 484-503, (daté 2010).
2010, "L'homme modifié, la nature manipulée et les savoirs décousus", Actes de la Xe Rencontres Internationales de Carthage, L'Homme et la Nature (2007), Académie Beit El Hikma, Tunis, pp. 79-104.
2008, "Le syndrome micromégas et les glissières du rapport nature/culture : l'exemple du cannibalisme", Techniques & Culture, n°50, pp. 182-205.
2007, "L'homme modifié, la nature manipulée et les savoirs décousus", Xe Rencontres Internationales de Carthage, L'Homme et la Nature, Académie Beit El Hikma, Tunis, pp. 79-104.
2004, "Les techniques entre tradition et intention", Techniques & Culture, n°42, pp. 97-110.
1994, Le décalage humain - Le fait social dans l'évolution, Paris, Éditions Kimé.

José HALLOY : Contraintes de l'anthropocène : des technologies zombies aux technologies vivantes
L'avènement de l'anthropocène pose des questions existentielles et remet en question l'ensemble des technologies issues des révolutions industrielles survenues depuis le XVIIIe siècle. L'anthropocène impose des analyses sur la longue, voire la très longue durée. L'utilisation progressivement massive des combustibles fossiles (charbons, pétroles, gaz) a favorisé le développement de technologies basées sur des matériaux, essentiellement d'origines minérales, ou des dérivés de la pétrochimie. L'ensemble de ces technologies posent deux questions fondamentales qui sont liées : d'une part, leurs contributions respectives aux dérèglements climatiques, et, d'autre part, l'épuisement des ressources minérales. Les technologies devraient perdurer sur la très longue durée et être installables à l'échelle planétaire. L'essentiel des technologies héritières de la révolution industrielle sont en fait des technologies zombies qui agissent et continuent d'envahir le monde, mais sont déjà mortes à l'aune de la durabilité. Par comparaison et comme élément de solution, le vivant sur Terre existe depuis environ 3 milliards d'années, ce que nous pouvons considérer comme durable. L'agriculture inventée depuis environ 12000 ans est potentiellement durable. Hélas, l'agriculture industrielle est également devenue un zombie. Dès lors, les questions qui nous occupent sont de déterminer les liens entre technologies vivantes et soutenabilité maus aussi de rappeler à la vie certaines des technologies zombies. De nouveaux systèmes techniques, fondés sur des machines vivantes, devraient permettre à l'humanité de traverser des millénaires.
Bibliographie
IPCC, 2014, Climate Change 2014 : Synthesis Report. Contribution of Working Groups I, II and III to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Core Writing Team, R.K. Pachauri and L.A. Meyer (eds.)], IPCC, Geneva, Switzerland, 151 pp.
IPCC, 2018, Summary for Policymakers. In : Global Warming of 1.5°C. An IPCC Special Report on the impacts of global warming of 1.5°C above pre-industrial levels and related global greenhouse gas emission pathways, in the context of strengthening the global response to the threat of climate change, sustainable development, and efforts to eradicate poverty [Masson-Delmotte, V., P. Zhai, H.-O. Pörtner, D. Roberts, J. Skea, P.R. Shukla, A. Pirani, W. Moufouma-Okia, C. Péan, R. Pidcock, S. Connors, J.B.R. Matthews, Y. Chen, X. Zhou, M.I. Gomis, E. Lonnoy, Maycock, M. Tignor, and T. Waterfield (eds.)], World Meteorological Organization, Geneva, Switzerland, 32 pp.
Smil, V. (1994), Energy in world history.
Smil, V. (2008), Energy in nature and society : general energetics of complex systems, MIT press.
Smil, V. (2016), Making the modern world : materials and dematerialization, Lulu Press, Inc.

José Halloy est professeur de physique au Laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain, LIED UMR 8236 à l'université Paris Diderot. Il enseigne la modélisation de systèmes complexes et la physique. Ses recherches portent sur deux domaines : la durabilité et les systèmes bio-hybrides. La recherche sur la durabilité porte sur le couplage entre les matériaux, la production d'énergie et les technologies. La recherche sur les systèmes bio-hybrides porte sur les comportements collectifs et l'intelligence émergente que les systèmes biologiques et artificiels peuvent produire. Il est nécessaire de développer des interfaces entre systèmes intelligents vivants et artificiels tels que des robots et des systèmes intelligents.
Publications
Halloy J., Sempo G., Caprari G., Rivault C., Asadpour M., Tâche F., … & Detrain C. (2007), "Social integration of robots into groups of cockroaches to control self-organized choices", Science, 318 (5853), 1155-1158.
Caprari G., Colot A., Siegwart R., Halloy J., & Deneubourg J. L. (2005), "Building mixed societies of animals and robots", IEEE Robotics & Automation Magazine, 12 (2), 58-65.
Gribovskiy A., Halloy J., Deneubourg J. L., Bleuler H., & Mondada F. (2010, October), "Towards mixed societies of chickens and robots", 2010 IEEE/RSJ International Conference on Intelligent Robots and Systems (pp. 4722-4728), IEEE.
Bonnet F., Gribovskiy A., Halloy J., & Mondada F. (2018), "Closed-loop interactions between a shoal of zebrafish and a group of robotic fish in a circular corridor", Swarm Intelligence, 12 (3), 227-244.
Cazenille L., Collignon B., Chemtob Y., Bonnet F., Gribovskiy A., Mondada F., … & Halloy J. (2018), "How mimetic should a robotic fish be to socially integrate into zebrafish groups ?", Bioinspiration & biomimetics, 13 (2), 025001.
Bonnet F., Mills R., Szopek M., Schönwetter-Fuchs S., Halloy J., Bogdan S., … & Schmickl T. (2019), "Robots mediating interactions between animals for interspecies collective behaviors", Science Robotics, 4 (28), eaau7897.

Liliane HILAIRE-PÉREZ : Le cultural turn de l'histoire des techniques
Depuis deux générations, l'histoire des techniques s'est détachée d'approches internalistes qui la réduisaient à la succession de grandes inventions — une histoire linéaire et eurocentrée fondée sur le culte du progrès. Une attention croissante a été portée aux dynamiques culturelles, aux médiations et aux contextes locaux : sciences du génie, inventivité, circulations et transmissions, "espace public" des techniques, secret et publicité des savoirs, littérature technique sont devenus des objets d'histoire. L'un des apports majeurs concerne l'histoire de l'invention, thème classique de l'histoire des techniques. Loin du mythe du génie et des révolutions techniques, loin des dynamiques internes du changement technique, l'invention a été analysée à la lumière des travaux sur l'intelligence technique, comme résultant de capacités à imiter, adapter, transposer et combiner des procédés, des outils, des équipements d'un secteur à un autre. C'est la nature relationnelle de l'invention qui a retenu l'attention, ses liens avec les aptitudes au réseau et à l'échange. Cette dynamique sociale de l'invention est indissociable de dispositifs institutionnels. De multiples manières, les pouvoirs publics, conscients des atouts de la technique pour la guerre, le prestige et la puissance économique, ont encouragé la publicisation des inventions et les dynamiques d'intéressement collectives. Un jalon dans ces approches a été fourni par la notion d'"open technology", de "technique ouverte". En parallèle, s'est développé un courant d'étude spécifique sur la pensée technique. D'une part, des études sur les ingénieurs ont mis en valeur les sciences de la conception, les méthodes de résolution de problème et les modes de communication spécifique à cette communauté naissante depuis la fin du Moyen Âge. D'autre part, l'analyse d'un genre littéraire, les réductions en art, a promu une compréhension des techniques comme objet d'abstraction et de théorisation. Ces arts participent de la naissance d'une science des arts qui aboutit au XVIIIe siècle à des grandes entreprises, comme l'Encyclopédie. En même temps, en Allemagne, apparaissent des enseignements de "technologie", définie comme la science des arts. On retient notamment L'introduction à la technologie (Anleitung zur Technologie) de Johann Beckmann en 1777. C'est au cours du XIXe siècle que le mot "technologie" acquiert le sens de technique industrielle, notamment en anglais, aux États-Unis. L'un des points forts de l'histoire culturelle des techniques a été de montrer que la technique pouvait donner lieu à une théorisation qui ne se confondait pas avec l'application de la science à la pratique. Actuellement, de nouvelles pistes sont ouvertes comme l'attestent, d'une part, les études sur les processus intellectuels de l'analogie et de la pensée de synthèse, clés de voûte de la pensée technique, pratique et théorique, et, d'autre part, les recherches sur la place des techniques dans la pensée métaphorique et symbolique, qu'il s'agisse des cosmogonies grecques antiques, de l'étude des concepts économiques qui, depuis le XVIIIe siècle, ont fait un large usage de la mécanique et de la thermo-dynamique, de l'analyse des figures du discours de la transition énergétique ou encore du vocabulaire des sciences sociales dans les années 1990-2000. Ainsi, alors que les techniques sont omniprésentes dans notre monde, les historiens se donnent la possibilité d’historiciser les schèmes techniques qui informent nos "images du monde" (du vivant, de l'univers, du social …). Cet exercice réflexif, ce jeu de miroirs entre la pensée et l'objet qui est le propre des techniques et que les logiques instrumentales effacent si souvent, fait l'une des originalités de la recherche actuelle.

Liliane Hilaire-Pérez est professeur d'histoire moderne à l'université Paris Diderot et directrice d'études à l'EHESS. Ses travaux actuels concernent l'histoire intellectuelle des techniques, qu'il s'agisse de la théorisation des techniques, codifiées et réduites en principes ou de l'histoire de l'abstraction en milieu artisanal, à partir des langages des praticiens. Elle est directrice de la revue ARTEFACT. Techniques, histoire et sciences humaines.
Publications
L'invention technique au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 2000.
La pièce et le geste. Artisans, marchands et savoirs techniques à Londres au XVIIIe siècle, Paris, Albin Michel, 2013.

Séverine LAGNEAUX : Penser l'inter-relation humain - animal - machine
L'approche "humanimachine" repose sur une empirie longue dans différents élevages européens. Deux éléments la caractérisent. Tout d'abord, adopter les points de vues "humanimachines", c'est d'emblée penser par trois. Grâce à cette triple prise en compte des pratiques quotidiennes des protagonistes principaux de l'élevage (l'éleveur, les animaux de rente et les machines), il est possible de s'extraire de la polémique opposant technophiles et technophobes, d'outrepasser la controverse envisageant la machine soit comme un instrument de libération soit comme une menace d'asservissement. En effet, et c'est là une seconde caractéristique, ce sont les processus multiples à l'œuvre dans les étables qui sont au cœur de l'analyse. Suivre les formes d'attachement/détachement, upgradation/rétrogradation, connexion/déconnexion/dysconnexions sans toutefois faire de ces processus l'apanage exclusif des humains permet de comprendre que les catégories ontologiques fluctuent. Par-delà toute forme d'essentialisation, il s'agit donc d'analyser les jeux de forces contraires ou convergentes entre les protagonistes et leurs environnements. Ainsi que le dévoile le terrain, les éleveurs sont pris dans des agencements suscités par les non-humains, en même temps que bêtes et robots sont également producteurs de liaison et de déliaison. Cette approche évite de poser un regard trop statique sur les protagonistes de l'élevage. Elle vise à penser les effets, les adaptations ou les transformations que chacun fait subir aux autres. En plongeant au cœur d'un élevage laitier robotisé, en observant les interactions et les pratiques quotidiennes de chaque protagoniste, une esthétique de la routine ouverte s'est faite jour. En analysant les processus qui président à l'anticipation dont l'éleveur doit sans cesse faire preuve pour maintenir l'équilibre éphémère de son système d'élevage fondé sur la routine, diverses formes de décentrement et de multiples manières de faire exister les altérités constituantes surgissent. Elles permettent de composer et de penser une communauté de dissemblables en permanente transformation.

Séverine Lagneaux est chercheure en anthropologie, professeure invitée de l'UCLouvain où elle coordonne la Chaire P. Lamy "Anthropologie de l'Europe contemporaine". Ses travaux portent sur la paysannerie européenne ainsi que sur les relations entre humains et non humains (animaux d'élevage et robots) dans divers milieux techniques en Belgique, France et Roumanie. Récemment, ses recherches s'ouvrent aux multiples formes d'attachements/détachements entre les acteurs du milieu danubien (les riverains, le Danube, ses infrastructures, sa faune, les institutions, …). Ce projet a pour ambition de dégager des trajectoires cosmopolitiques le long du fleuve, de penser et construire un "vivre ensemble et séparé en même temps" au cœur de l'Europe infrapolitique.
Ouvrages publiés
LAGNEAUX S., Eternel provisoire. Ethnographie de la paysannerie roumaine à l'heure européenne, Louvain-la-Neuve, Academia/L'Harmattan, 2016.
VAN DAM D., LAGNEAUX S., STREITH M., NIZET J., Les collectifs en agriculture bio, entre idéalisation et réalisation, Paris, Educagri, 2017.
LAGNEAUX S., SERVAIS O. (dir.), Humanimachine : fabriquer, apprivoiser, intégrer, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2019 (à paraître).
LAGNEAUX S., BECKER J., Routines et peau de vache, film documentaire, 30 minutes (à paraître).
Chapitres d'ouvrages
LAGNEAUX S., "Joana et l'héritier du gospodar : une incorporation réciproque à valoriser", in MIHAILESCU V. (dir.), Noi culturi. Noi antropologii, Bucarest, Humanitas, 2012, pp. 155-161 (en ligne).
LAGNEAUX S., ""Transition insécurisée" dans les campagnes roumaines ?", in BREDA C., DERIDER M., LAURENT P-J. (dir.), Modernité insécurisée, LLN, Academia, 2012.
LAGNEAUX S., "Robot de ferme : reformuler la dichotomie naturel – artefact", in MAZZOCCHETTI J., SERVAIS O., BOELLSTORFF T., MAURER B. (dir.), Humanités réticulaires. Nouvelles technologies, altérités et pratiques ethnographiques en contextes globalisés, LLN, Academia/L'Harmattan, 2015, pp. 217-241.
LAGNEAUX S., "La ferme 2.0 ou la libération contrainte d'une communauté hybride en Belgique", in CROS M., BONDAZ J., LAUGRAND F. (dir.), Bêtes à pensées. Visions des mondes animaux, Vrin, 2015, pp. 87-115.
CHARLIER B., LAGNEAUX S., SIMON L., STRIVAY L., "Animaux", in SAILLANT F., KILANI M. (dir.) Anthropen. Le Dictionnaire francophone d'anthropologie ancré dans le contemporain.
LAGNEAUX S., "Domesticating the machine ? (Re)configuring domestication practices in robotic dairy farming", in STEPANOFF C., VIGNE J-D., Hybrid Communities. Biosocial Approaches to Domestication and Other Trans-species Relationships, London, Routledge, 2018.
LAGNEAUX S, BECKER J., "Routines. Le travail en élevage laitier robotisé : de la libération à la coopération humanimachine", in LAGNEAUX S., SERVAIS O. (dir.), Humanimachine : fabriquer, apprivoiser, intégrer, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2019 (à paraître).
LAGNEAUX S., "What is like to be a vache ? Réflexion sur l'ethnographie et l'expérimentation de points de vue autres", in CHARLIER B., GRARD C., LAUGRAND F., et al., Écritures des terrains anthropologiques, L'Harmattan, 2019 (à paraître).
Articles
LAGNEAUX S., "La vache, l'éleveur et l'investisseur. De la tradition à l'industrialisation une reconfiguration des campagnes ?", in Sociologie romaneasca, n°2/2012.
LAGNEAUX S., SERVAIS O., "De la traite robotisée aux raids d'avatar. Incorporation et virtualisation", in Parcours anthropologique, 2014 (en ligne).
LAGNEAUX S., "Faire comme si et faire comme ça. Imitation et analogisme en élevage laitier robotisé", in Tsantsa, n°20, 2015.
LAGNEAUX S., STREITH M., VAN DAM D., NIZET J., "Fabriquer un fromage de chèvre et démultiplier le "local"", in Anthropology of food, 2018 (en ligne).
Articles à paraître et en soumission
LAGNEAUX S., "Cosmogonie et agonie, le dilemme du cochon roumain", in Frontières (en révision).
LAGNEAUX S., NIZET J., ""Faut que ça tourne !", une esthétique de la routine ouverte en élevage européen ?", in Anthropologica (révision soumise).

Rémi LAURENT : La transformation digitale de l'agriculture comme mutation de l'activité humaine
L'agriculture bénéficie aujourd'hui de la croissance rapide des technologies numériques. Les robots, d'abord fixes pour la traite, se déploient à présent dans les champs pour désherber. Les drones, équipés de caméras multi-spectrales, viennent compléter les images satellite pour cartographier les parcelles et optimiser les différents apports (engrais, phytosanitaires). Les objets connectés mettent à disposition des alertes ou des données alimentant en continu des outils d'aide à la décision basés sur des modèles issus de la R&D, contribuant ainsi à une "agriculture de précision". Les outils et réseaux sociaux permettent aux agriculteurs d'échanger des bonnes pratiques, imaginer ensemble de nouveaux itinéraires techniques, partager main d'œuvre et matériel, avec la pratique du "co-farming". Ces technologies, mises au service d'une agriculture durable, renforcent la culture collective du secteur agricole et pose de nouvelles questions. L'une d’elles, centrale, est la place de l'activité humaine. Celle-ci, qui pouvait parfois apparaître comme une application de recettes issues de la recherche, (re)devient une activité d'agronome et de décideur grâce aux informations disponibles à tout moment et appliquées à l'exploitation agricole. Ces technologies améliorent considérablement les conditions de travail (organisation, pénibilité) mais transforment aussi radicalement le métier d'agriculteur. Plus que les technologies, qui trouveront progressivement leur place partout où elles prouveront leur utilité, c'est donc bien par la place de l'homme et de ses nouvelles activités que se fera la réussite de cette transformation digitale, ce qui forgera l'agriculture de demain.

Ingénieur en intelligence artificielle et robotique de formation, Rémi Laurent est directeur Innovation-R&D des Chambres d'agriculture de Normandie. Il a contribué au développement de l'innovation dans les TPE régionales durant vingt ans avant de mettre en place et de diriger un pôle d'innovation national dédié à l'intelligence économique, l'innovation et les technologies numériques pour l'artisanat. Il coordonne les actions d'innovation et de R&D des Chambres d'agriculture de Normandie depuis bientôt dix ans et pilote plusieurs actions de transformation digitale de l'agriculture.
Publications
Bisson Christophe, Guibey Ingrid, Laurent Rémi, Dagron Pascal, "Prospective territoriale et Système Stratégique de Signaux Précoces pour une Intelligence Collective de l'Agriculture appliquée aux filières de l’élevage bovin", in Torre A., Vollet D. (eds), 2016, Partenariats pour le développement territorial, Éditions Quæ, Collection "Update Sciences & technologies", 256 p.
"Droit des données agricoles : dossiers propriété (Christophe ALLEAUME), contrats (Thibault DOUVILLE), droit de la concurrence (Anne-Sophie CHONÉ-GRIMALDI)", in Droit rural, n°469 (janvier 2019).
Management de l'innovation : recueil de normes, AFNOR, mai 2014, 428 p.

Charles LENAY : Introduction : Enjeux d'une recherche technologique en SHS
Il s'agira de montrer l'urgence, l'ambition et en même temps la nécessaire humilité, d'une recherche sur le fait et le faire technique. En effet, si les outils et systèmes techniques sont bien constituants de notre humanité — de nos façons d'agir, de percevoir, de penser, d'interagir et de former des collectifs — alors il est urgent de comprendre ce qui nous arrive avec les grandes mutations technologiques actuelles, numériques, systémiques et écologiques. L'ambition d'une telle recherche technologique devrait être de comprendre comment les schèmes de fonctionnement des outils, machines et algorithmes structurent nos interactions avec le monde et nos organisations sociales, comment le sens même de nos activités humaines est reconfiguré dans le mouvement de l'innovation. Mais, en même temps, la constitutivité technique de nos activités cognitives implique une nécessaire réflexivité sur les conditions de nos propres recherches, réflexivité qui désarme les classiques positions de surplomb de la philosophie et des sciences humaines vis-à-vis des phénomènes techniques et sociaux. Pour cela, nous avons besoin de cadres théoriques et de méthodes originales, comme de savoir participer aux processus de conception, savoir négocier les questions de recherche avec le monde industriel, ou savoir outiller les débats citoyens sur les orientations de politique technologique.

Charles Lenay est professeur en philosophie et sciences cognitives à l'université de technologie de Compiègne, directeur adjoint du laboratoire Connaissances, Organisations et Systèmes TECHniques (COSTECH), co-responsable du master User eXperience Design (UxD) et du Groupement d'Intérêt Scientifique (GIS) - Unité des Technologies et des Sciences de l'Homme (UTSH). Ses travaux visent à développer une recherche technologique en sciences humaines, en particulier dans le champ des technologies cognitives. Dans ce cadre, il a mis en place une plateforme de Suppléance Perceptive dans laquelle sont développés différents systèmes d'aide pour les personnes aveugles (système Tactos, Intertact, Dialtact). En sciences et technologies cognitives il développe un paradigme expérimental minimaliste permettant une étude systématique de la constitutivité technique de l'expérience humaine, et ouvrant sur une approche interactionniste de la cognition sociale.
Publications
C. Lenay, P. Salembier, P. Lamard, Y.-C. Lequin, et L. Sauvée, "Pour une recherche technologique en sciences humaines et sociales", in SHS Web of Conferences, Vol. 13, Paris-Est Créteil, 2014.
C. Lenay et M. Tixier, "From Sensory Substitution to Perceptual Supplementation : Appropriation and Augmentation", in Living Machines : A Handbook of Biomimetic and Biohybrid Systems, Oxford University Press, Tony J. Prescott, Nathan Lepora, and Paul F.M.J Verschure (Eds.), 2018, pp. 548-555.
C. Lenay, "Leroi-Gourhan : Technical trends and human cognition", in French philosophy of Technology, Springer, 2018.
C. Lenay et G. Declerck, "Technologies to Access Space Without Vision. Some Empirical Facts and Guiding Theoretical Principles", in Mobility of Visually Impaired People, E. Pissaloux et R. Velazquez (Eds.), Springer, 2018, pp. 53 75.
C. Lenay, "Explanatory schemes for social cognition - A minimalist Interaction-based approach", Pragmatism Today, Vol. 8, Issue 1, 2017, pp. 63-86.

Nicolas NOVA : Ethnographie du présent, ethnographie des possibles
Si des formes diverses d'observation, participante ou non, ont été mobilisées par les designers tout au long du XXe siècle, les trente dernières années ont vu une intensification des liens entre ethnographie et design. En parallèle des démarches maintenant courantes de design centré-utilisateurs — qui s'appuient sur une compréhension des usages afin d'imaginer des produits ou services technologiques — d'autres approches sont apparues récemment. En présentant une série d'exemples, cette intervention décrira comment l'enquête de terrain ethnographique peut être mobilisée dans la création de design fiction, c'est-à-dire de scénarios prospectifs matérialisés sous forme d'objets (court-métrage vidéo, catalogues ou manuels d'objets fictifs). Le résultat peut être vu comme une forme d'"ethnographie des possibles" (Halse, 2016) ou d'"ethnographie spéculative" dont l'objet est moins de décrire une situation présente en vue de la modifier, que de servir de moyen pour débattre des produits, services ou technologies, et, plus largement, de discuter des conséquences et enjeux éventuels posés par ceux-ci.

Bibliographie
Léchot Hirt L., Nova N., Kilchör F. & Fasel S., 2016, "Design et ethnographie : comment les designers pratiquent les études de terrain", Technique et Culture, n°64, "Essais de bricologie. Ethnologie de l’art et du design contemporains", p. 27-38.
Nova N., Léchot Hirt L., Kilchör F. & Fasel S., 2015, "De l’ethnographie au design, du terrain à la création : tactiques de traduction", Sciences du design, n°1, pp. 86-93.
Nova N., 2014, Futurs ? La panne des imaginaires technologiques, Lyon, Les Moutons Électriques.
Nova N. 2014, Beyond Design Ethnography : How Designers Practice Ethnographic Research, SHS Publishing, Berlin.

Jean-Philippe PIERRON : Éthique du soin
Les philosophies du soin et les éthiques du care ont mis en valeur, à partir d'une anthropologie de la vulnérabilité, l'importance d'une autonomie relationnelle. À cette fin, elles nous rendent attentives à toutes ces relations qui nous individuent, valorisant de ce fait des interactions humaines, souvent invisibles ou invisibilisées, qu'elles haussent au rang de relations pour prendre leur distance à l'égard de rapports fonctionnels purs. Dans cet esprit la technique demeure impensée, sous-entendu elle serait impersonnelle, ne serait pas du soin et risquerait de le perturber sinon de l'empêcher. Pourtant, cette valorisation des relations questionne le cadre organisationnel et technique au sein duquel ces relations se déploient. Plutôt que de le concevoir simplement comme un décor, peut-on l'envisager comme un cadre interprétatif au sein duquel des valorisations sont présentes et à vivre ? La chambre d'hôpital par exemple, plutôt que de n'être pensée que comme une théorie matérialisée (asepsie, pneumologie avec la rampe à oxygène, etc.), pourrait-elle se penser comme du soin matérialisé (ergonomie de la prise en charge avec le lit médicalisé, numéro de chambre sans nom et arbitrage sur la confidentialité) ? Dans cette perspective, le soin ne sera pas toujours là où il s'exhiberait le plus. Non seulement il forcerait à prendre soin des donneurs de soin, mais également à mettre au jour le soin par et dans la technique comme elle-même porteuse de valeurs du soin. Peut-on faire l'hypothèse alors que le soin se donne aussi dans de légitimes objectivations — ce qui n'empêche pas de contester les formes que prennent les relations humaines quand elles sont distordues par des systèmes techniques ? Nous prendrons l'exemple de l'irruption du numérique dans le monde du soin, sous la triple figure de la robotique (le carebot), de l'Intelligence artificielle dans le traitement des données massives et du logiciel de saisie des actes de soin, comme donnant l'occasion de penser ce que pourrait être un soin dans la technique, dans un système technique concret et individuant, de façon à ce que les valeurs relationnelles du soin pénètrent la technique.

Loïc SAUVÉE : L'agriculteur et l'innovation agrotechnique : enjeux contemporains
Comprendre le fait technique agricole et son évolution, c'est tenter de saisir le mouvement à la fois constitutif et constituant des multiples interactions entre l'agriculteur et ses réseaux sociotechniques, le vivant animal et végétal, et la société. La conjonction de demandes sociétales, de transformations numériques et de changement climatique place l'évolution agrotechnique contemporaine dans un vaste champ des possibles, avec de nombreuses opportunités permises par les potentialités quasi infinies d'invention, d'innovation, de concrétisation à l'interface vivant/technique, avec l'émergence de solutions souvent implémentées par les agriculteurs eux-mêmes. Le fait technique agricole apparaît ainsi au cœur des problématiques d'intensification écologique, de changement d'échelle de la production agricole (du modèle permacole au méga fermes) et d'activation plus ou moins poussée d'interactions agroécologiques mobilisant les espèces vivantes. L'agriculteur, en tant que praticien de l'activité agricole, mobilise en effet le vivant et le technique, agit conjointement sur et avec le vivant, sur et avec la technique. L'activité agricole s'opérationnalise donc en systèmes où territoires et acteurs définissent, et redessinent en permanence, leurs espaces de configurations et d'interactions sociotechniques. La place future des agriculteurs dans les activités de conception et leur rôle dans les configurations organisationnelles de R&D et de transfert technologique sont au cœur des interrogations contemporaines sur le devenir du fait technique agricole.

Loïc Sauvée, enseignant-chercheur HDR en sciences de gestion, docteur en agroéconomie et ingénieur agronome, est directeur de l'unité de recherche InTerACT à UniLaSalle et chercheur associé au laboratoire COSTECH, UTC. Il est membre fondateur du GIS UTSH. Ses recherches traitent des formes de gouvernance de l'innovation dans les secteurs agricoles et agroalimentaires, de l'apprentissage organisationnel de la RSE dans les PME agroalimentaires, de la transition sociotechnique agricole dans un contexte de développement durable.
Articles
Abdirahman Z.-Z., Shiri G., Sauvée L., 2019, "Network characteristics and the adoption of organizational innovation in the food sector", International Journal of Entrepreneurship and Innovation Management, vol. 19, forthcoming.
Fourati-Jamoussi F., Dubois M. J., Agnès M., Leroux V., Sauvée L., 2019, "Sustainable development as a driver for educational innovation in engineering school : the case of UniLaSalle", European Journal of Engineering Education, pp 1-19, forthcoming.
Abdirahman Z.-Z., Bourquin L. D., Sauvée L., Thiagarajan D., 2018, "Food safety implementation in the perspective of network learning", International Journal of Food Studies, October, Vol. 7, 2, pp 17-29.
Abdirahman Z. Z., Sauvée L., 2016, "Non-technological innovations from organisational design and change perspectives in VSEs and SMEs : the case of management systems", International Journal of Organisational Design and Engineering, 4(3-4), pp 177-194.
Bossle M. B., de Barcellos M. D., Vieira L. M., Sauvée L., 2016, "The drivers for adoption of eco-innovation", Journal of Cleaner Production, 113, pp 861-872.
Ceapraz I. L., Kotbi G., Sauvée L., 2016, "The territorial biorefinery as a new business model", Bio-based and Applied Economics, v. 5, n. 1, pp 47-62, April.
Ghozzi H., Soregaroli C., Boccaletti S., Sauvée L., 2016, "Impacts of non-GMO standards on poultry supply chain governance : transaction cost approach vs resource-based view", Supply Chain Management : An International Journal, 21(6), pp 743-758.
Ouvrages et chapitres d'ouvrages
Caroux D., Dubois M. J. F., Sauvée L., 2018, Évolution agrotechnique contemporaine II. Transformation de l'agromachinisme : fonctions, puissance, information, invention, Collection "Ingénieur au XXIe siècle", Presses de l’UTBM, 236 p., Mai, 246 p.
Abdirahman Z.-Z., Sauvée L., 2017, "RSE dans le secteur agroalimentaire", in Écoconception et innovation responsable, Techniques de l'Ingénieur, 14 p., octobre.
Ceapraz I. L., Kotbi G., Sauvée L., 2017, "Conceptualiser la bioraffinerie territorialisée : quelle approche théorique ?", in Écologie Industrielle et territoriale, COLEIT 2014, Brullot S. et Junqua G. (Eds) Presses des Mines, Juillet.
Dubois M. J. F., Sauvée L., 2016, Évolution agrotechnique contemporaine. Les transformations de la culture technique agricole, Collection "Ingénieur au XXIe siècle", Presses de l'UTBM, 236 p.
Lenay C., Salembier P., Lamard P., Lequin Y. C., Sauvée L., 2014, "Pour une recherche technologique en sciences humaines et sociales", in SHS Web of Conference, vol. 13. SHST 2013-UPEC : sciences humaines en sciences et techniques – Les sciences humaines dans les parcours scientifiques et techniques professionnalisants : quelles finalités et quelles modalités pratiques ? Paris-Est Créteil, France, 7–8 Février, 2013, A. Bernard, M. Dell’Angelo, S. de Montgolfier, A.-S. Godfroy, M. Huchette, A. Mayrargue et C. Roux (Eds.).

Delphine SPICQ : L'Histoire des techniques en Chine dans l'histoire des techniques
Il s'agira d'interroger les rapports Orient Occident pour ce qui concerne l'histoire des techniques, notamment l'évolution de la façon dont ces techniques ont été envisagées et analysées de part et d'autre. Nous nous attacherons notamment à montrer la place croissante de l'Asie et de la Chine dans l'étude de l'histoire des techniques au gré de l'évolution des questionnements de la discipline, depuis la vision universelle euro-centrée des techniques jusqu'aux notions plus récentes de circulation, de divergence, d'histoire globale et connectée dans lesquelles une place grandissante est faite aux conditions sociales et culturelles de production des techniques, loin du discours traditionnel centré sur les aspects économiques.

Delphine Spicq est maître de conférences à l'Institut des hautes études chinoises du Collège de France, responsable de la bibliothèque de l'Institut et membre statutaire de l'UMR 8173 Chine Corée Japon, EHESS/CNRS. Ses travaux portent sur l'histoire et l'histoire des techniques en Chine sous la dynastie des Qing et sous la République.
Publications
Caroline Bodolec, Delphine Spicq (coord.), Aperçus sur les recherches en histoire des techniques sur la Chine, Artefact, Techniques, histoire et sciences humaines, n°8, 2018.
Chapitre 3. "Linqing, official handbooks and the construction of knowledge on water conservancy", in Jami Catherine (ed.), Human mobility and the circulation of scientific and technical knowledge in late imperial China, Paris, Institut des hautes études chinoises, Collège de France, 2017, p. 99-132.
Hilaire-Perez Liliane, Nègre Valérie, Spicq Delphine et Vermeir Koen (dir.), Le livre technique avant le XXe siècle. À l’échelle du monde, actes de colloque, Paris, CNRS éditions (collection Alpha), 2017, 502 p.
"Les cartes traditionnelles hydrologiques chinoises : le Huang Yun hekou gujin tushuo 黃運河口古今圖說 de Linqing 麟慶 (1791-1846)", in Le livre technique avant le XXe siècle. À l’échelle du monde, actes de colloque, Paris, CNRS éditions (collection Alpha), 2017, p. 43-57.
Avec Virol Michèle, chapitre 11 "les Techniques de la puissance", in Carnino Guillaume, Hilaire-Perez Liliane et Aleksandra Kobiljski (dir.), Histoire des techniques, mondes, sociétés, cultures (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, PUF (Nouvelle Clio), 2016, p. 253-292.
"A Collection of the College de France Institute of Advanced Chinese Studies", Collège de France Newsletter, 9, 2015, p. 113-114.

Jacques THEUREAU : La construction d'un programme de recherche technologique en relation organique avec des recherches en sciences humaines et sociales
La recherche technologique diffère de la simple recherche technique par sa relation organique avec une ou plusieurs sortes de recherches scientifiques. Aujourd'hui, l'épistémologie scientifique, à la suite des débats du siècle dernier entre Karl Popper, Thomas Kuhn, Paul Feyerabend et Imre Lakatos, tend à s'accorder sur la "méthodologie des programmes de recherche" proposée par ce dernier. Comme l'ont bien remarqué ses critiques, cette dernière n'a rien qui la réserve à la recherche scientifique. C'est justement ce qui ouvre sur sa spécification à différentes sortes de recherches et, en particulier, à la recherche technologique. Après avoir précisé les principes de cette spécification à la recherche technologique en relation organique avec des recherches en sciences humaines et sociales, je montrerai comment se sont construits de tels programmes de recherche technologiques, portant sur artefacts et procédures, dans deux cas, (1) en ingénierie de situations informatisées, (2) en ingénierie de l'éducation, et généraliserai en considérant plus sommairement d'autres cas.

Jacques Theureau, chargé de recherche au CNRS retraité, a reçu notamment une formation d'ingénierie, puis de physiologie du travail et d'ergonomie. Après 10 années, durant lesquelles, après quelques stages d'ingénieur, il a occupé des fonctions variées, il a développé, avec d'autres chercheurs et praticiens, deux programmes de recherche, (1) empirique sur l’activité humaine dans des situations variées et (2) technologique en ingénierie de ces situations, en relation organique entre eux et avec (3) un programme de recherche philosophique.

Catherine VERNA : L'histoire des techniques médiévales au miroir de la technologie
Si l'histoire des techniques médiévales partage des concepts avec celle des autres périodes, elle s'est également emparée de certains d'entre eux différemment, en partie du fait des sources dont elle dispose (il est certain que l'irruption de l'archéologie, de l'archéométrie et des sciences dures dans le socle interdisciplinaire de l'histoire des techniques médiévales a bousculé sa construction) et également de par sa confrontation avec l'histoire du Moyen Âge dans son ensemble et très spécifiquement avec l'histoire des sciences médiévales. Ainsi, des concepts ont été particulièrement discutés par les médiévistes. Je souhaiterais en présenter la place spécifique et les débats dont ils ont été l'objet, en particulier (1) la question de l'innovation technique, qui rejoint celle de l'inventivité; (2) la question des savoirs, autour de la notion de "savoirs tacites" et de la pratique de la codification des savoirs, une façon d'appréhender la pensée technique au Moyen Âge.

Catherine Verna est professeur d'histoire médiévale à l'université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. Ses recherches sont consacrées à l'histoire du travail dans les campagnes de la fin du Moyen Âge, à l'histoire des techniques et aux relations entre science et technique médiévales. Dans sa thèse, elle a étudié le processus d'émergence et de diffusion d’une innovation technique (Le temps des moulines. Fer, technique et société dans les Pyrénées centrales, XIIIe-XVIe siècles, Publications de la Sorbonne, Paris, 2001). Elle travaille régulièrement avec des historiens des sciences, des archéologues et des archéomètres sur les relations entre scientia et ars et sur les "savoirs tacites", des thèmes qu'elle a explorés récemment avec Joël Chandelier et Nicolas Weill-Parot dans Science et technique au Moyen Âge, Saint-Denis, 2017. Son dernier ouvrage, publié aux Belles-Lettres en 2017, s'intitule L'industrie au village. Essai de micro-histoire (Arles-sur-Tech, XIVe et XVe siècles). Cette enquête, à partir de l'exploitation de sources inédites et de la reconstitution de biographies d'entrepreneurs ruraux, révèle le dynamisme de l'industrie et de l'entreprise au Moyen Âge.


Humanités du numérique, table ronde organisée par Marina GASNIER, avec Alexandre DURUPT (Le concept de jumeau numérique), Florent LAROCHE (Le numérique comme outil pour comprendre notre histoire : pour une nécessaire interdisciplinarité) et Sébastien REMY (Numérisation 3D et conception mécanique)
Le champ récent de "l'archéologie industrielle avancée" (Laroche, 2007) consiste à partir du présent pour remonter au passé en croisant les sources d'archives et les observations de terrain, puis à enrichir ces données historiques par l'utilisation des outils numériques (notamment dans une démarche de rétro-conception). Cette session a pour objectif d'interroger la diversité des approches scientifiques dans ce domaine autour d'objets patrimoniaux dont la modélisation 3D devient de plus en plus courante. Le questionnement sera double et portera, non seulement sur l'apport des technologies numériques dans la connaissance du patrimoine industriel et technique et la gestion de ses données, mais aussi sur la transformation des usages qu'elles suscitent. Les humanités numériques apparaissent en effet tout à fait intéressantes pour générer de nouvelles formes de relations avec l'héritage patrimonial en tant qu'objet d'étude, mais aussi pour déployer un éventail d'outils favorisant la production de la connaissance et sa diffusion. Comment l'outil numérique peut-il aider à se réapproprier les gestes techniques et les mécanismes anciens, ainsi que leur filiation à travers le temps ? En quoi l'usage du numérique modifie-t-il notre rapport à l'histoire des techniques ? Comment assurer l'évolution du contenu des outils développés et la compatibilité des formats ? Telles sont les questions auxquelles tentera de répondre cette table ronde, en écho à la première session consacrée à l'histoire des techniques.

Marina GASNIER
Marina Gasnier est maître de conférences HDR à l'université de technologie Belfort-Montbéliard en histoire des techniques et épistémologie du patrimoine industriel. Membre du pôle Humanités, elle exerce ses recherches au sein de RECITS, axe transverse pluridisciplinaire en sciences humaines et sociales de l'institut FEMTO-ST (UMR 6174).
Publications
"Réflexion épistémologique sur le patrimoine industriel. De la pluridisciplinarité à l'interdisciplinarité", Revue d'Histoire des Sciences, à paraître au 1er semestre 2019.
Le patrimoine industriel au prisme de nouveaux défis. Usages économiques et enjeux environnementaux, Besançon, PUFC, 2018, 295 p.
Patrimoine industriel et technique. Perspectives et retour sur 30 ans de politiques publiques au service des territoires, Lyon, Lieux Dits, 2011, 304 p. (Cahiers du patrimoine).

Florent LAROCHE
Florent Laroche est Maître de conférences HDR à l'École Centrale de Nantes, directeur du Département IPSI. Chercheur au laboratoire LS2N - Laboratoire des Sciences du Numérique de Nantes (UMR CNRS 6004). D'abord ingénieur puis docteur, il utilise son expérience en ingénierie au profit du patrimoine culturel en utilisant les outils du numérique pour préserver et valoriser les connaissances du passé. Ses travaux de recherches portent sur la Gestion du Cycle de Vie des Connaissances Patrimoniales - "KLM for Heritage". "Pourquoi réinventer la roue ?" : l'objectif est de pouvoir réutiliser notre savoir-faire ancien comme base pour l'innovation sociétale, vers un patrimoine durable. Il travaille tant pour les entreprises que comme expert pour les Musées ou l'ICOMOS. Il est également le parrain de la Fête de la Science en tant qu'ambassadeur pour la Région Pays de Loire.


Projection-Débat du film Bienvenue les vers de terre, en présence du réalisateur François STUCK
Bienvenue les vers de terre est un film sur l'agriculture de conservation et de régénération des sols cultivés. Le réalisateur nous en fait découvrir les enjeux en donnant la parole à ceux qui pratiquent et travaillent au développement de cette agriculture. Le film nous parle de la transition agroécologique commencée par des agriculteurs engagés dans l’émergence de pratiques culturales qui tendent à faire de nos sociétés des sociétés durables. La vie du sol, et donc des hommes, est au cœur de cette agriculture. D'une durée de 1h11, il s'agit d'une production IDÉtorial en partenariat avec l'association Clé 2 sol conçue pour créer un lieu d'échange et d'information sur le semis direct sous couverture végétale et toutes les techniques favorisant la restauration et la régénération des sols.

Pour François Stuck, "Être réalisateur, c'est être comme un messager de la parole et du sens. Depuis qu'il réalise des films, la préoccupation de la paix et de la dignité est un fil rouge qui traverse ses documentaires. Bienvenue les vers de terre s'inscrit dans cette lignée sur le thème de la réconciliation de l'homme avec son milieu, la terre, avec lui-même et avec les autres".


SOUTIEN :

• GIS-UTSH - Unité Technologies & Sciences de l'Homme

Les quatre établissements fondateurs du GIS-UTSH :

UniLaSalle
• Université de Technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM)
• Université de Technologie de Compiègne (UTC)
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