RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :
Léa BOSSHARD & Rémy HÉRITIER : Retours sur L'usage du terrain
Dans cette communication l'on reviendra sur la recherche intitulée L'usage du terrain, qui aura lieu d'avril à juin 2018 au stade Sadi-Carnot à Pantin. "Tentative d'épuisement" d'un lieu en transition autant "qu'essai d'archéologie préventive", il s'agit de donner la place à une recherche sur la spatialité de se faire sur le terrain. En prenant appui sur cinq notions liées à la composition spatiale définie par le travail chorégraphique de Rémy Héritier — la trace, le seuil, le témoin, le landmark, l'espace relatif —, cinq artistes ont été invités à y contribuer : Samira Ahmadi Ghotbi (artiste visuel), Julien Berberat (artiste visuel), Marcelline Delbecq (artiste et écrivain), Sébastien Roux (compositeur), La Tierce (chorégraphes) ainsi que Rémy Héritier développeront chacun leur recherche pendant trois semaines. Chaque session se conclura par un moment de partage public, mis en perspective critique et théorique par un invité extérieur. Il s'agira lors de ce colloque de revenir sur cette expérience et de tirer les fils offerts par cette recherche collaborative.
Léa Bosshard a fait des études d'histoire de l'art, de gestion de projets culturels et de recherche en danse. Depuis juin 2014, elle collabore avec le chorégraphe Rémy Héritier sur la recherche et le développement des activités de la compagnie GBOD!. Dans ce cadre, elle a notamment analysé les archives (cahiers des créations, vidéos, dossiers de présentation, presse, etc.) dont elle a tiré un glossaire. Celui-là est devenu un appui central pour creuser au fil d'entretiens les enjeux, les références et les processus à l'œuvre dans l'écriture chorégraphique de Rémy Héritier. En s'appuyant sur ces recherches et en souhaitant l'ouvrir à d'autres, ils conçoivent L'usage du terrain.
Danseur et chorégraphe, Rémy Héritier est auteur d'une œuvre qui étend les contours de l'art chorégraphique à l'intertextualité, au document ou encore à l'entropie, à la recherche de nouvelles poétiques du geste. Il engage à travers ses différentes écritures chorégraphiques des résurgences de strates temporelles et spatiales creusant ainsi l'épaisseur du passé pour parvenir au présent. Parallèlement, il poursuit depuis 1999 un parcours d'interprète auprès de Boris Charmatz, Laurent Chétouane, DD Dorvillier, Christophe Fiat, Philipp Gehmacher, Matthieu Kavyrchine, Jennifer Lacey, Mathilde Monnier, Laurent Pichaud, Sylvain Prunenec et Loïc Touzé. En 2016 et 2017, il est associé aux recherches Composition (dir. Myriam Gourfink, Julie Perrin, Yvane Chapuis) et Figure : que donne à voir une danse (dir. Mathieu Bouvier, Loïc Touzé) à La manufacture à Lausanne. En 2016-18, il est artiste chercheur associé à l'École Supérieure d'Art de Clermont Métropole.
Claire BUISSON : Les alentours, dispositifs participatifs de mise en parole
Cette intervention porte sur la pratique partagée du document dans une démarche de médiation. Elle s'appuie sur deux dispositifs élaborés par mes soins et qui proposent à des publics, de manière différente, de déplier des documents d'archive par le mot, le geste ou la voix. À travers le récit de ces deux dispositifs, l'on cherchera à problématiser les enjeux performatifs et relationnels qui les sous-tendent.
Claire Buisson, d'abord formée en Arts et Anthropologie à l'université, a achevé en 2010 un doctorat en Danse sur la notion d'environnement chorégraphique. En 2014, elle participe au PEPCC (programme de recherche et création chorégraphique) à Lisbonne et, en 2017, au programme pour chorégraphes "Édition Spéciale" proposé par le CND et la Belle Ouvrage. Entre 2010 et 2017, elle développe son propre travail chorégraphique au sein de Dolce Punto (DP). Son travail reçoit le soutien du Vivat-scène conventionné d'Armentières, le Gymnase-CDC Roubaix, Espace Alkantara, O Rumo O Fumo, Materiais Diversos. Par ailleurs, elle collabore avec Arkadi Zaides pour la pièce "Talos" et enseigne dans différents contextes (Université Lille 3, Galerie du Jeu de Paume, École Boulle...). Depuis 2018, elle est chargée d'éducation artistique et culturelle au CND.
Bibliographie
Clifford James & Marcus Georges, Writing culture : the poetics and politics of ethnography, University of California Press, Berkeley, 1986.
Deleuze Gilles, Pourparlers, Éditions de Minuit, 1990.
Perec Georges, Espèces d'espaces, Galilée, 1974.
Quiblier Marie, "Saisir le document : enjeux et formes chorégraphiques", in Gestes en éclats – art, danse, performance, Presses du Réel, 2016.
Sekula Allan, "The body and the Archive", in October, Vol. 39 (Winter, 1986), 3-64.
Aline CAILLET : Corps / danse / document / témoignage
"Quelles formes de relation ou d'interaction entre le corps performatif et les traces documentaires", la pratique du réel en danse établit-elle ? S'il convient, sur un plan conceptuel, de distinguer le corps médiateur (celui qui se fait vecteur d'une réalité qui lui est étrangère et qu'il transmet à autrui par l'entremise du document) ; le corps témoin (celui qui, depuis sa position et son expérience singulières, atteste d'une réalité qui lui est extérieure mais qu'il a lui-même perçue ou vécue) ; et le corps autobiographique (celui qui témoigne de sa propre histoire et d'elle seule), les pratiques artistiques engagées par les chorégraphes qui "pratiquent le réel en danse" déclinent ces trois figures en se plaçant à leur intersection, tout en donnant à voir leur besoin de réel. Les trois pièces chorégraphiques présentées dans cette communication ont pour point commun de mettre en rapport un corps avec un matériau documentaire. Comment faire danse avec un matériau ? Quel mode de relation dès lors peut s'établir entre eux afin de permettre l'écriture chorégraphique ? Comment le document vient-il nourrir, compléter, innerver, transformer, perturber la pensée (le désir de projet), la construction (la dramaturgie) et l'écriture (la chorégraphie) ?
Maître de conférences en esthétique et philosophie de l'art à l'université Paris 1, Aline Caillet mène des recherches sur les nouvelles pratiques documentaires en arts visuels au XXIe siècle.
Corpus
Sa prière, de et par Malika Djardi, 2015.
Moto Cross, de et par Maud Le Pladec, 2017.
Talos, de Arkadi Zaides, 2017.
Publications
Dispositifs Critiques. Le documentaire du cinéma aux arts visuels, Presses universitaires de Rennes, 2014.
Un art documentaire. Enjeux esthétiques, politiques et éthiques (co-dirigé avec Frédéric Pouillaude), Presses universitaires de Rennes, 2017.
Leslie CASSAGNE : Faire corps avec le document : les chorégraphes contemporains face aux crises et aux conflits
Cette communication se centrera autour de pièces chorégraphiques qui abordent des situations de crises politiques, économiques, humaines, à travers des matériaux documentaires. Il s'agira de dresser un panorama de l'utilisation du document — archives sonores, photographiques, audiovisuelles — et du témoignage, depuis la fin des années 1990, afin de cerner les enjeux esthétiques et politiques d'une danse qui convoque sur le plateau une réalité extra-chorégraphique. S'emparant du document, forme d'indice du réel, des chorégraphes et danseurs mettent en crise une certaine vision de la création chorégraphique, qui a pu être trop exclusivement rattachée à des préoccupations formelles ou pulsionnelles. Nous circulerons entre différentes façons de travailler avec le document, depuis son utilisation en écho lointain, comme trace, jusqu'à des expériences qui en font le centre de leur recherche. Cela nous permettra de questionner des formes qui revendiquent une portée critique pour leur art en même temps qu'elles appellent à faire dialoguer la matière documentaire avec la dimension sensible du mouvement.
Ancienne élève de l'École Normale Supérieure (Ulm), Leslie Cassagne est doctorante en théâtre et danse à l'université Paris 8 (EA 1573 "Scènes du monde, création, savoirs critiques") depuis septembre 2017. Dans le cadre de sa thèse, "Crise et mise en crise du médium chorégraphique : la matière documentaire dans la création chorégraphique contemporaine", elle s'intéresse au travail d'artistes tels que Luciana Acuña, Héloïse Desfarges, Sandra Iché, Dorothée Munyaneza, Rachid Ouramdane, Arkadi Zaides.
Véronique FERRERO DELACOSTE
Danseuse de formation, Véronique Ferrero Delacoste travaille dans le domaine de la programmation artistique depuis 1994. De 1995 à 2005, elle dirige un théâtre pour jeune public. Parallèlement, elle est engagée au far° festival des arts vivants à Nyon, en 1996, comme responsable de la programmation danse et performance. Elle rejoint la Bâtie — Festival de Genève en 2002 où elle est en charge de la programmation danse pendant quatre ans. En 2008, elle obtient un diplôme universitaire en gestion culturelle à l'université de Lausanne ainsi qu'un Master HES-SO en arts visuels, MAPS_Art in public Sphere. Elle prend la direction du far° festival des arts vivants à Nyon en automne 2009. Parallèlement, elle a fait partie de différentes commissions telles que la Corodis, ThéâtrePro Valais, Culture-aides ponctuelles Régionyon… Elle est régulièrement invitée en tant que membre de jurys : Journées de Danse Contemporaine Suisse, Plateforme IETM, Prix de la performance suisse, Écoles d'art…
François FRIMAT : Rythmes et cadences (auto)biographiques dans Baron Samedi (Alain Buffard), Samedi détente (Dorothée Munyaneza) et Legacy (Nadia Beugré)
Le projet chorégraphique est considéré ici à partir de la prééminence de la question "Que faire ?" sur "Que connaître ?". L'acte même d'investir et de pratiquer l'histoire ou sa mémoire particulière procède d'une transformation induite nécessairement sur soi-même ou sur celui qui en est témoin. Dans Baron Samedi, Alain Buffard reste fidèle à un régime de délégation qui parcourt son œuvre en convoquant sur le plateau des interprètes qui exposent chacun à leur tour des souvenirs personnels, leur histoire au fil d'un propos qui pourtant ne s'y résume pas. Deux d'entre eux écriront ensuite une pièce largement (auto)biographique (Samedi détente) et une autre qui affiche son ambition mémorielle (Legacy). Comment faire coexister et se confronter des temporalités différentes comme celle du souvenir, de la mémoire collective, d'une histoire toujours réinterrogée et qui fait actualité, celle interne au propos d'une pièce ? C'est la pratique du temps qui alors se pose. Cette communication misera sur les ressources d'une esthétique de la ponctuation pour tenter de comprendre et démêler comment les jeux d'espace produits par le chorégraphique constituent "un jeu de rapports où le temps est en jeu" (M. Blanchot, L'Entretien Infini).
François Frimat, philosophe, enseigne en CPGE à Valenciennes, à Sciences-Po Lille et à l'université de Lille. Il est également président du festival Latitudes Contemporaines de Lille.
Publication
Qu'est-ce que la danse contemporaine ? Politiques de l'hybride, PUF, 2011.
Isabelle GINOT : Les "autres" en pratiques ou IMAGINE, politiques du collectif
Qui sont les autres de la danse ? ceux qui ne dansent pas, ne vont pas au spectacle, n'ont pas pour pratique de soi l'introspection sensorielle, ne pensent pas le monde comme un studio d'improvisation ou de composition instantanée, ne réfléchissent pas à la subjectivité à partir d'une critique du dualisme corps esprit, ne prennent pas soin d'eux-mêmes selon des techniques d'auto-thérapie soigneusement acquises dans le marché libéral du bien-être et de l'alternatif ? De quelles danses deviennent-ils les acteurs, dans les projets "contextuels", "situés", "relationnels" ? dans les actions culturelles dites "de territoire" ? Saurions nous nous représenter un monde de la danse majoritairement peuplé de danseurs amateurs, noirs (ou autre !), obèses, handicapés, vieux, repris de justice, logeant dans des foyers d'accueil, analphabètes, bossus ? Que seraient des scènes où les danseurs jeunes blancs élancés virtuoses feraient figures d'altérité, d'exception symbolique ? Nous apparaîtraient-ils comme des "fragments de réel" faisant irruption dans le monde de la danse ? Et en attendant cet improbable renversement, à quoi rêvent les danseurs (souvent moins jeunes, mais quand même assez blancs, souvent virtuoses, mais en cours de sevrage ou de techniques de substitution, si rarement obèses que ça ne compte pas…) lorsqu'ils vont "à la rencontre du réel", font danser en prison, en foyers, en cité, en hôpital ? Quels espoirs, sensations fortes, utopies, déconvenues, forment l'horizon de leurs danses avec ces autres ? Voilà ce qu'on tentera de penser en commun.
Isabelle Ginot, professeure à l'université Paris 8, au département Danse, conduit des recherches, d'une part, sur les pratiques de danse et pratiques somatiques adressées à des publics autres que les danseurs, dans des contextes autres que le studio ou la scène. Et, d'autre part, sur l'analyse des œuvres scéniques impliquant des artistes handicapés. Elle est responsable du cursus "SOMADANSE - Danse, éducation somatique et publics fragiles" à l'université Paris 8. La plupart de ses publications sont accessibles sur le site danse.univ-paris8.fr.
Bérénice HAMIDI-KIM : La preuve par le corps et par la voix. Poétique du geste et de la parole dans l'œuvre de Mohamed El Khatib
L'expression "théâtre documentaire" renvoie à un style théâtral qui s'est expérimenté à partir des années 1930 puis s'est développé dans les années 1960, en particulier sous l'influence de figures du théâtre allemand d'Erwin Piscator à Peter Weiss. Il s'agit donc d'une esthétique qui prend forme et sens dans le cadre d'une vision du monde marxiste, confiante dans la capacité de l'art à critiquer la société et par là à la transformer. En découle la prédilection pour un certain type de matériau documentaire — archives, textes politiques, données chiffrées et tableaux scientifiques — qui correspond à un certain type d'usage : les documents sont présents comme argument et/ou comme preuve, pour instruire le procès d'une société et démontrer l'existence d'injustices. Pour autant, ce serait une erreur de croire que ces œuvres négligent les outils sensibles, car il s'agit aussi de pousser le spectateur à partager un sentiment d'injustice et, donc, d'indignation. Pour ce faire, certaines de ces œuvres, comme celles qui héritent aujourd'hui de cette tradition, recourent à une mise en scène de soi de l'artiste non seulement auteur et metteur en scène, mais interprète, comme conscience indignée. C'est à l'une de ces œuvres, celle de Mohamed El Khatib, que cette communication sera consacrée.
Bérénice Hamidi-Kim est maîtresse de conférences en études théâtrales, Université Lyon 2 et membre de l'Institut Universitaire de France. Ses recherches, qui combinent esthétique et sociologie, portent sur les enjeux politiques du théâtre et en particulier du théâtre public.
Publications récentes
"Quand la diversité fait diversion", in Martial Poirson & Sylvie Martin Lahmani, Alternatives théâtrales, n°133, 2017.
Avec Frédérique Aït-Touati, Tiphaine Karsenti & Armelle Talbot, La Révolution selon Pommerat, Revue électronique Theâtre, 2017.
Les Cités du théâtre politique en France depuis 1989, Préface de Luc Boltanski, L'Entretemps, 2013.
Sandra ICHÉ : L'aubaine chorégraphique : "Et si ?" (David) vs "C'est comme ça et puis c'est tout" (Goliath)
Ce que m'a légué ma pratique intensive de la danse classique puis contemporaine depuis l'enfance, c'est une certaine sensation, une certaine manière d'éprouver le réel, la mécanique de sa fabrication. Entre ce qu'il est, ce dont nous sommes faits, nos conditions historiques d'existence, et les possibilités d'irruption d'un changement, d'un virage, d'un événement. Sensation commune à tous, mais peut-être rendue plus aigüe, plus saillante pour le danseur. Se construire, s'éprouver, se pratiquer comme un corps-vecteur, attentif au feed-back du geste tout juste effectué et à la poussée du geste à venir. Une situation d'entre-deux sans cesse renouvelée, entre une écriture, ou simplement un état de faits, et son actualisation incarnée, entre le passé et le futur, entre mémoire et devenir, entre les choix possibles et le choix effectué. J'essaierai d'illustrer cette idée à partir d'un travail dit de "théâtre documentaire" tout juste terminé (création Festival Parallèle, Théâtre de la Joliette, Marseille, 2 et 3 février 2018), intitulé Droite-Gauche, en dégageant les intuitions ou principes chorégraphiques qui ont présidé à l'écriture et au montage des textes, des corps, des images et des sons (documents, témoignages et fables) présents sur scène.
Sandra Iché a étudié l'histoire et les sciences politiques (publication juin 2009 : "L’Orient-Express, chronique d'un magazine libanais des années 1990", Cahiers de l'Institut Français du Proche-Orient, n°3, Beyrouth), avant de devenir artiste chorégraphique (formation à P.A.R.T.S (Bruxelles) 2004-2006, et interprète permanente de la Compagnie Maguy Marin/Centre Chorégraphique National de Rillieux-La-Pape 2006-2010). Elle mène ses activités d'auteure et d'interprète à travers l'association Wagons libres, questionnant les modalités de "fabrication" de l'Histoire, de sa mise en récit (Wagons libres, 2012 ; Variations orientalistes, 2014 ; Droite-Gauche, 2018). Elle est membre fondatrice de MANSION (Beyrouth, Liban), maison partagée d'artistes, chercheurs, activistes, de LIEUES (Lyon), espace expérimental de recherche et de création artistique, et de la revue rodéo, revue pluridisciplinaire, plateforme de rencontres entre pratiques académiques et artistiques.
Mahalia LASSIBILLE : Terrain et sous-terrain. L'ethnographie entre témoignage et fiction narrative
"Dans la réalité pratique de la recherche sur le terrain, l'anthropologue doit toujours traiter son matériel d'observation comme s'il faisait partie d'un équilibre global, autrement toute description serait presque impossible. Tout ce que je demande est une reconnaissance explicite de la nature "fictionnelle" de cet équilibre." (Edmund Leach, Les Systèmes politiques des hautes terres de Birmanie, 1954, Trad. 1972, p. 285)
Cette citation introduit, de façon peu conventionnelle, la complexité du travail du chercheur de terrain, à la fois sur le terrain et à partir du terrain en prenant en compte les écrits qu'il produira. Au-delà de la dichotomie entre réalité et fiction, il s'agira ici d'en envisager les liens, d'en saisir les échos, d'en questionner les paradoxes, en anthropologie de la danse en particulier. En premier lieu, le terrain implique de "se frotter en chair et en os à la matière que l'on entend étudier" (J.-P. Olivier de Sardan, 1995), se confronter à la réalité du terrain, ce qui nécessite un positionnement essentiel à définir et un exercice réflexif constant de par le rapport "affecté" (J. Favret-Saada, 1990) que cela comprend. D'autant que le but de l'anthropologue est de rester au plus près des pratiques, des gestes, des paroles qu'il rencontre afin de rendre compte du point de vue des acteurs et d'éviter les dangers ethnocentriques qui ont marqué l'histoire de la discipline. Observer, écouter, prendre part deviennent des outils nécessaires mais le "hors piste" et une posture d'apparence peu scientifique s'avèrent parfois plus fructueux pour la recherche que les outils classiques de l'enquête. Abandonnant alors le débat entre objectivité et subjectivité, le travail est à construire à la croisée entre la relation enquêteur/enquêté, l'ethnographie, la relation auteur/texte, l'ethno-graphie, c'est-à-dire dans les interstices entre témoignage et fiction narrative.
Anthropologue en danse, Mahalia Lassibille est maître de conférences au département danse de l'université Paris 8 et membre de l'équipe "Analyse des discours et des pratiques en danse". Après un travail ethnographique mené sur les danses des Peuls WoDaaBe du Niger, elle mène actuellement ses recherches sur l'usage des catégories en danse, en particulier celles de "danse africaine" et de "danse africaine contemporaine", en croisant des outils utilisés en danse et en anthropologie. Elle a pour cela réalisé plusieurs études de terrain au Niger, Mali et Sénégal.
Dernières publications
""Lever les bras" ou "être possédé" : le redoutable transfert de l'écriture du geste. Ethno-graphie(s) de la possession chez les Peuls WoDaaBe du Niger", Corps, n°14, 2016, p. 239-248.
"La "danse africaine contemporaine" : un paradoxe chorégraphique. Une ethnographie de la catégorisation au Niger", in C. Delaporte, L. Graser, J. Péquinot (dir.), Penser les catégories de pensée, L'Harmattan, Paris, 2016, p. 99-113.
Gérard MAYEN : Une pièce rejouée et relue au travers du réel : deux décennies de mutations scéniques à partir du solo Good Boy, d'Alain Buffard
Alain Buffard crée Good Boy en 1998 — un solo alors reçu comme énonciateur de la contamination de son auteur par le VIH, dans un registre autobiographique. En 2001, Good For contrecarre cette perception réductrice, en redistribuant l'écriture de cette pièce à destination de trois autres interprètes rejoignant son auteur. À partir de 2003, la série des occurrences de Mauvais Genre démultiplie les effectifs des distributions d'interprètes développant cette écriture, tout en ouvrant des marges de variations de plus en plus considérables dans ses modalités d'exécution. Ainsi traversée par le réel de contextes variés (de New-York au Brésil ou à Nîmes, de coalitions temporaires de performers à une promotion d'école de danse), cette même pièce déploie des significations renouvelées, selon les espaces et les époques par lesquels elle est traversée. Sans que ces pièces successives n'aient jamais débordé du domaine scénique, l'observation du processus enclenché par Good Boy au-delà de son processus de création initial, conduit à interroger ce que le réel de contextes successifs de redistribution, d'interprétation et de réception parviennent à altérer du sens originel qui lui fut attribué. Dans ce même mouvement, c'est l'impact du sida, subi par un seul artiste de la danse, qui paraît apte à se détourner, voire se renverser et s'amplifier à l'endroit des bouleversements divers et plus généraux affectant une époque entière.
Gérard Mayen est journaliste, critique de danse. Il est titulaire d'un master 2 du Département d'études de danse de l'université Paris 8. Il est praticien de la méthode Feldenkrais de prise de conscience des représentations du mouvement. Ses objets de recherche se situent au croisement de l'analyse d'œuvres chorégraphiques, et du questionnement des conditions de production et de formulation du geste dansé. Dans cette optique, il a bénéficié de deux bourses de recherches sur le patrimoine en danse (Dispositif ARPD - Centre national de la danse) autour de la question : "Ce que le sida a fait à la danse - Ce que la danse a fait du sida".
Mélanie MESAGER : L'entretien comme pratique chorégraphique
Se revendiquant d'un imaginaire ethnographique, certains chorégraphes, de nos jours, éprouvent le besoin de sortir du studio de danse et d'aller à la rencontre d'une réalité extérieure à leur propre univers gestuel et imaginaire, en donnant la parole à "d'autres personnes". Ces pratiques d'interactions verbales, bien que diverses, peuvent être assimilées à celles de l'entretien : il s'agit de discussions sollicitées sur une question précise, en vue de faire émerger un "témoignage", une parole qui tire sa légitimité du vécu des personnes interrogées. Comment cette pratique s'articule-t-elle à la chorégraphie, l'art d'écrire la danse ? Je m'intéresserai lors de cette intervention à deux propositions dans lesquelles l'entretien n'est pas seulement le déclencheur ou l'élément d'un processus de création scénique habituel, mais où cette pratique vient contaminer, déterminer, interroger la forme même que prend la chorégraphie. Deux questions émergeront alors : à quel endroit du chorégraphique touchent les énoncés produits lors des entretiens ? et comment la pratique même de l'entretien participe de la performance chorégraphique ?
Mélanie Mesager est doctorante à l'université Paris 8 et agrégée de lettres. Formée à la linguistique médiévale puis enseignante, danseuse et chorégraphe, elle mène des recherches sur la façon dont certaines chorégraphies actuelles intègrent les pratiques verbales de l'entretien et de la conversation.
Alix de MORANT : Événement ou non événement : pratiques de l'in situ, du réel au sensible
La présence d'un corps dansant, faisant irruption dans l'espace public a-t-elle indubitablement un effet perturbateur ? Cette corporéité qui s'interpose de manière inattendue dans un espace donné, parmi et en dialogue avec d'autres corps, fait-elle effraction en imposant une dimension événementielle ou bien est-elle consubstantielle de l'espace et du temps dans lesquels elle s'inscrit ? De quel effet de réalité ou de virtualité ce corps dansant, comme manifestation du sensible, est-il porteur ?
Alix de Morant est Maître de Conférences à l'université Paul-Valéry Montpellier 3 et membre du RIRRA 21 (EA 4209). Elle est à ce titre associée au Master EXERCE adossé à l'université Paul Valéry et à ICI - Centre Chorégraphique National de Languedoc-Roussillon dirigé par Christian Rizzo et dirige le Master pro DAPCE. Auteur avec Sylvie Clidière d'Extérieur Danse, essai sur la danse dans l'espace public (Montpellier, L'Entretemps 2009), elle a participé aux ouvrages, La scène et les images (Paris, CNRS 2001), Butô(s) (Paris, CNRS, 2002), Rythmes, flux, corps. Art et ville contemporaine (CIEREC-PU de Saint Étienne, 2012), Danser la rue (PU de Rouen, à paraître). Outre son intérêt pour les démarches chorégraphiques in situ et les expériences participatives en espace public, ses recherches portent sur les esthétiques chorégraphiques contemporaines et la performance.
Bibliographie
Formis Barbara, Esthétique de la vie ordinaire, Paris, Presses universitaires de France, 2010.
Hölscher Stephan & Siegmund Gerald, Dance, politics&community, Berlin, Diaphanes, 2013.
Manning Erin, Always more than one, London, Duke University press, 2013.
Pouillaude Frédéric, Le désœuvrement chorégraphique, Paris, Vrin, 2009.
Rosset Clément, Le réel et son double, Paris, Gallimard, Coll. "Folio Essais", 1993.
Rubige Sarah & Schiller Gretchen, Choreographic Dwellings : Practicing Place, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2014.
Žižek Slajov, Event, Penguin Book, 2014.
Julie PERRIN : L'imaginaire comme dimension du réel, dans la chorégraphie située
Les chorégraphies situées sont presque toujours présentées par leurs auteurs comme s'inscrivant dans le réel, comme des réponses directes à celui-ci, ou comme un dialogue immédiat avec un contexte donné. Sans autre forme d'explication, il faudrait alors comprendre comment le geste chorégraphique serait issu de ce monde qui semble pouvoir être saisi tout crûment, sans intermédiaire, en transparence. À quoi bon pourtant une œuvre qui coïnciderait avec le réel ? Elle serait comme cette carte fictive à l'échelle 1 du récit de Borgès (De la rigueur de la science, 1946), sorte de calque recouvrant le monde, et par là devenue inutile. De quelle nature alors est la relation entretenue avec le réel par cet art chorégraphique situé ? Si les artistes semblent vouloir engager la chorégraphie vers une dimension indicielle (dimension jusqu'alors réservée à la photographie ou au cinéma), il faudra néanmoins envisager d'autres régimes de capture et monstration du réel, afin de saisir combien les stratégies descriptives mises en œuvre par les chorégraphes sont inséparables d'un exercice incontournable et salutaire de l'imaginaire. Car au fond, c'est à l'endroit de cet imaginaire immanquablement noué au réel que se joue l'articulation du geste et du monde.
Maîtresse de conférences au département danse de l'université Paris 8 Saint-Denis (MUSIDANSE – E.A. 1572) et chercheuse à l'IUF (2016-2021), Julie Perrin est membre de l'aCD. Ses recherches portent sur la danse contemporaine à partir de 1950 aux États-Unis et en France, en particulier sur la spatialité en danse et la chorégraphie située.
Publications
Projet de la matière – Odile Duboc : Mémoire(s) d'une œuvre chorégraphique, CND / Les presses du réel, 2007.
Figures de l'attention. Cinq essais sur la spatialité en danse, Les presses du réel, 2012.
Écrits disponibles sur le site : danse.univ-paris8.fr
Frédéric POUILLAUDE : Un pas au-delà. Réalité et altérité en danse
Posons que le "réel" est toujours susceptible d'une entente au moins double. Le réel, c'est assurément ce dont je fais l'expérience ici et maintenant, ce qui se donne en chair et en os dans l'intimité corporelle d'un espace et d'un temps radicalement miens. On tient alors pour "réelle" l'évidence perceptive en tant précisément qu'elle refuse de s'aventurer au-delà du donné, en tant qu'elle n'est rien d'autre que l'immanence d'un "pas au-delà" : le réel comme cercle clos de mes expériences. Mais le réel, c'est aussi bien l'objet d'une visée, ce qui posé à l'horizon de mes expériences n'est en définitive jamais simplement là, toujours un peu au-delà, indéfiniment repoussé, toujours signifié et jamais éprouvé. On passe alors d'une caractérisation du réel comme immanence perceptive à une détermination avant tout relationnelle et négative : le non-moi, le pas-là, le lointain, le différent, l'autre… En somme : le réel comme ce qui exige toujours pour être rejoint que s'accomplisse un certain "pas au-delà". Il s'agira alors de voir comment les pratiques de danse parviennent à tenir ensemble, selon un équilibre vraisemblablement précaire et instable, ces deux sens du "pas au-delà".
Frédéric Pouillaude est maître de conférences (HDR) en philosophie de l'art à l'université Paris-Sorbonne. Depuis 2013, il est membre junior de l'Institut universitaire de France pour un projet de recherche consacré aux liens entre art et pratiques documentaires.
Publications
Le Désœuvrement chorégraphique. Étude sur la notion d'œuvre en danse, Paris, Vrin, 2009 (Trad. anglaise par Anna Pakes, Unworking Choreography : The Notion of the Work in Dance, New York, Oxford University Press, 2017).
Un art documentaire. Enjeux esthétiques, politiques et éthiques, Co-direction avec Aline Caillet, Presses universitaires de Rennes, 2017.
Cécile PROUST : Autour d'Ethnoscape
Je partirai du concept Ethnoscape de l'anthropologue indo-américain Arjun Appadurai et de ma chorégraphie, dont le titre est tiré, pour articuler quelques questions. En voici certaines : qu'est-ce qu'une chorégraphie documentaire ? Qu'est-ce qu'une chorégraphie documentée ? Qu'est-ce qu'un document ? Qu'est-ce qu'un support ou un médium pour un document au sein d'une œuvre ? Quel type de présence occupe un document dans une œuvre ?
Danseuse, chorégraphe, Cécile Proust est titulaire du Master d'Expérimentation Arts et Politiques, SciencePo Paris. Ses œuvres interrogent la fabrique des corps, des danses, des genres, des images et des regards. Elles sont reliées à des questions anthropologiques, croisent de multiples champs théoriques et tissent des liens spécifiques avec les gender studies et les arts plastiques. Cécile Proust est directrice du projet femmeuses et signe des chorégraphies documentaires qui mêlent danse, chant, vidéo, entretiens, vidéos et textes. Les vidéos sont faites en collaboration avec Jacques Hoepffner. Pour ces recherches, Cécile Proust effectue plusieurs séjours en Inde et au Japon, en tant que lauréate de la bourse Romain Rolland et du programme de la Villa Kujoyama afin de pratiquer le Kathak à Delhi, le Jiuta Maï à Kyoto, le Raqs Sharqi au Caire et le Flamenco à Madrid. Elle collabore à l'émergence de la nouvelle danse française des années 1980 et 1990 en travaillant auprès des chorégraphes Alain Buffard, Dominique Brun, Odile Duboc, le quatuor Albrecht Knust, Daniel Larrieu, Thierry Thieu Niang et des metteurs en scène Robert Carsen et Robert Wilson.
Arkadi ZAIDES : Extrapolating / Pre-Enacting TALOS
What kind of choreography arises in the proximity of borders ? Which strategies of restriction define movement ? Arkadi Zaides' new work sets out to explore a dynamic system of action and reaction, limitation and transgression, stasis and mobility. The work is a response to TALOS, an EU-funded initiative that designed an advanced system for protecting European land borders. TALOS was a collaborative project between ten countries that was officially conducted between the years 2008-2012. It resulted in a demonstration of a surveillance system that could be deployed in a matter of hours at any location. The system included mobile, semi-autonomous robots that were designed to replace human border guards in patrol missions in border areas. The TALOS project was never launched and remained an experiment, a test, and a proof of technological capabilities. Delegating the act of decision-making to a technological agent envisions a system that acts via protocols and scripts only, deprived of ethical, political and human aspects. The work strives to continue Zaides' interest in documentary materials while pushing these materials towards what is currently still unthinkable in terms of ideology, dehumanization, ethics and law. Using different materials (documents from the original project, documentary footage, interviews) Zaides' team is interested in speculating on a not so far into the future scenario of an encounter between humans and autonomous border-technologies.
arkadizaides.com