Programme 2018 : un des colloques

Programme complet


LOUIS ALTHUSSER : POLITIQUE, PHILOSOPHIE


DU LUNDI 25 JUIN (19 H) AU LUNDI 2 JUILLET (14 H) 2018

[ colloque de 7 jours ]



DIRECTION :

Julia CHRIST, Bertrand OGILVIE

Avec le concours de François BORDES, Agnès GRIVAUX et Gildas SALMON

À l'initiative de l'École normale supérieure (ENS) et de l'Institut Mémoire de l'édition contemporaine (IMEC)


ARGUMENT :

Dans le champ de la philosophie et de la théorie, Louis Althusser a produit un type d'intervention qui a déplacé durablement certaines lignes et souligné pour longtemps certains enjeux primordiaux. Par là, son travail apparaît lui-même comme l'effet d'une certaine "surdétermination" qui a dessiné une spécifique constellation de problèmes hiérarchisés (science/théorie/politique/philosophie) et a marginalisé, pour un temps, plusieurs orientations traditionnelles (morale, éthique, justice…). Le point central est sans doute le nouage considéré comme fondamental et non négociable entre philosophie et politique.

Sans traiter de la dimension traditionnelle de l'histoire des systèmes de pensée — celle qui analyserait principalement l'économie, le contenu ou la systématicité de l'œuvre de Louis Althusser — mais en présupposant la connaissance, ce colloque interrogera une conjoncture suivant deux directions de recherche.

Tout d'abord, il s'agira de comprendre la singularité de la position d'Althusser, à la fois nationale et internationale. Singularité dans le champ de la philosophie française de son temps, qui font de lui dans les années 60, "un auteur pas comme les autres" : d'une part, avec son rapport direct/indirect à la politique, central/latéral à l'université ; d'autre part, avec la constitution d'un groupe de travail consistant dans le temps, à géométrie variable, articulé autour de certains principes ("honneur" de "ne pas céder sur") et d'objectifs (ordonnés autour de l'idée de révolution). Singularité aussi au niveau international repérable à une large audience mondiale liée au contexte de la guerre froide, atypique en France à l'époque et comparable, dans un tout autre registre, à celle de Sartre. Ensuite, s'agissant de la capacité de certaines orientations d'Althusser à éclairer le monde contemporain, on se demandera si l'on peut déterminer ses spécificités aptes à dépasser ses propres problématiques pour en ouvrir d'autres ? Et cela tant en ce qui concerne la crise du marxisme, que son renouvellement ou son dépassement.

À côté des intervenants émanant de nombreuses disciplines, ce colloque s'adresse à tous ceux qu'intéresse la pensée de ce philosophe qui a marqué son temps et ouvre des perspectives pour le monde à venir.


CALENDRIER DÉFINITIF :

Lundi 25 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Mardi 26 juin
PRENDRE POSITION EN PHILOSOPHIE ? QU'EST-CE QUE LIRE, AVEC ALTHUSER ? [présentation]
Matin
Warren MONTAG : Tracer les lignes de démarcation : image ou concept ?

Après-midi
Gabriel ALBIAC : D'un lire matérialiste. Pascal et Spinoza aux sources de la lecture symptômale de Louis Althusser ?
Gildas SALMON : Les appareils idéologiques de l'État colonial : Althusser et l'Inde britannique


Mercredi 27 juin
Matin
DÉTENTE

Après-midi
"HORS LES MURS" — À L'IMEC (Abbaye d'Ardenne à Caen)
• Présentation de l'IMEC et des archives Althusser et visite de l'exposition
Perspectives de recherches, table ronde animée par François BORDES, avec Anthony CRÉZÉGUT (L'art d'écrire d'Althusser), Thomas HIPPLER et Nick NESBITT
Yann MOULIER-BOUTANG : Le rôle de l'archive dans le récit biographique
• Buffet


Jeudi 28 juin
ÉPISTÉMOLOGIE / STRUCTURALISME ? COUPURE, SCHISME [présentation]
Matin
Nick NESBITT : Le problème du "réel" capitaliste dans "L'Introduction de 1857" (Marx) et "Du Capital à la philosophie de Marx" (Althusser)
Étienne BALIBAR : Althusser et la question des déviations du marxisme

Après-midi
Emmanuel TERRAY : Althusser libérateur des sciences sociales [enregistrement audio en ligne sur La forge numérique de la MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]

Débat autour de "la crise du concept de capital", avec Étienne BALIBAR, Fabio BRUSCHI, Warren MONTAG et Nick NESBITT


Vendredi 29 juin
Matin
LA QUESTION DE L'IDÉOLOGIE (THÉORIE DU SUJET. LANGAGE ET INTERPELLATION) [présentation]
Jean MATTHYS : Les fins sans fin d'Althusser. Décalages, limites et finalité dans la pratique théorique : réflexions à partir du spinozisme althussérien
Agon HAMZA : Reconstructing Althusserian critique of ideology : from Spinoza to Hegel

Après-midi
"ANTHROPOLOGIE" ET "SOCIOLOGIE" (RAPPORT SOCIAL OU EFFET DE SOCIÉTÉ ? L'ÉTAT QUI PENSE) [présentation]
Panagiotis SOTIRIS : Comment on peut avoir des bonnes rencontres ? Idéologie, subjectivité, organisation et la question d'une nouvelle pratique politique
Riccardo FANCIULLACCI : La lecture althusserienne de Montesquieu, entre Marx et Durkheim
Julia CHRIST : Des appareils qui pensent


Samedi 30 juin
DÉTENTE


Dimanche 1er juillet
Matin
QUELLE FOLIE ! DU RÔLE DE LA FOLIE DANS LA SPÉCULATION : LOIN DES REPRÉSENTATIONS CONVENUES ET GÉNÉRALES, CERNER DES SINGULARITÉS ET DES CONJONCTURES [présentation]
Jean ALLOUCH : Penser, agir
Discutante : Agnès GRIVAUX

HISTOIRE ET MATÉRIALISME : ÉVÉNEMENT, CONJONCTURE, MATÉRIALISME ALÉATOIRE… [présentation]
Vittorio MORFINO : Relations, temporalité plurielle, matérialisme aléatoire

Après-midi
Fabio BRUSCHI : Pour une histoire des devenirs interrompus
Hervé OULC'HEN : Marxisme et structuralisme. F. Jameson lecteur d'Althusser


Lundi 2 juillet
DÉPARTS


PRÉSENTATION DES THÉMATIQUES :

PRENDRE POSITION EN PHILOSOPHIE ? QU'EST-CE QUE LIRE, AVEC ALTHUSER ?
Cette section s'intéressera à la manière dont Althusser pratiquait la philosophie. Deux postulats althussériens formeront le point de départ de nos travaux : premièrement le postulat de la lutte des classes dans la théorie : en quoi la visée de transformer le monde affecte-elle la pratique de la philosophie, dont la visée traditionnelle est de dire la vérité sur ce monde ? Deuxièmement, et en étroit lien avec cette première préoccupation d'Althusser, son postulat sur la philosophie comme discipline sans histoire : que signifie écrire l'histoire de cette discipline sans histoire propre ? En quoi l'histoire de la philosophie est une manière de prendre position ?

ÉPISTÉMOLOGIE / STRUCTURALISME ? COUPURE, SCHISME
"Prendre position" dans l'œuvre d'Althusser va de pair avec les notions de coupure, rupture, voire de schisme. La coupure épistémologique qu'aurait opérée Marx est mise en œuvre par Althusser lui-même : par rapport au marxise humaniste bien évidemment, mais aussi par rapport au structuralisme (de Lévi-Strauss notamment). Quelle est le déplacement qu'Althusser introduit dans le structuralisme ? Comment combiner structuralisme et dialectique ? Quel est son mobile politique ? Quels sont ses effets théoriques pour l'épistémologie des sciences sociales ?

LA QUESTION DE L'IDÉOLOGIE (THÉORIE DU SUJET. LANGAGE ET INTERPELLATION)
Aucun motif de la philosophie d'Althusser n’a connu une aussi importante postérité que celui de l’interpellation des individus en sujets. Le lien avec la psychanalyse se tisse ici : c'est le langage qui fait advenir le sujet. Plus précisément : le langage de l'Autre qui s'adresse au sujet, l'interpelle. Dire, pour Althusser, n'est pas seulement faire, mais "faire faire", voire "faire penser". Quels effets a cette conception du langage dans son rapport à la subjectivité pour le concept d'idéologie ? Comment penser autrement, faire autre chose, faire le pas de côté nécessaire pour l'agir politique ? Quel est le rapport entre science et politique dans cette constellation ?

"ANTHROPOLOGIE" ET "SOCIOLOGIE" (RAPPORT SOCIAL OU EFFET DE SOCIÉTÉ ? L'ÉTAT QUI PENSE)
Qu'est-ce qu'une structure qui a des effets de société ? Quel est le concept de société d'Althusser et comment se situe-t-il par rapport à la société telle que Marx la pense, à savoir comme "ensemble des rapports sociaux" ? Si les sujets ne sont que des supports (Träger) des rapports sociaux, est-il juste de parler en sociologie ou en anthropologie de rapports sociaux ? Que se passe-t-il entre les sujets ? Peuvent-ils transformer les rapports, et partant eux-mêmes comme Träger, bref, sont-ils des acteurs ? Sinon, est-ce que la seule postérité que la pensée d'Althusser peut avoir en sociologie une postérité bourdieusienne. Sa théorie de l'État semble s'opposer à cette restriction : durkheimienne d'essence, elle suscite la question de savoir qui pense quand l'État pense dans les sujets ? Que pense l'État : des fonctions ou des actions ?

QUELLE FOLIE ! DU RÔLE DE LA FOLIE DANS LA SPÉCULATION : LOIN DES REPRÉSENTATIONS CONVENUES ET GÉNÉRALES, CERNER DES SINGULARITÉS ET DES CONJONCTURES
Althusser menait une vie à l'intérieur d'institutions : l'École Normale, le Parti Communiste, l'institution psychiatrique. Sa productivité philosophique se lit comme autant d'échappées à ces cadres institutionnels, sa singularité, y compris ou plutôt dans sa folie, se situe dans ces prises de tangents par rapport à ce qui, selon lui-même, le faisait tenir. Quelle est ce rôle singulier qu'Althusser a fait jouer à sa propre folie ? Quelle conjoncture a permis à cette folie d'être productive ? En quelle mesure une folie qui voit juste lorsqu'elle transforme des questions en problèmes est-elle délirante ? Y a t-il pour le cas singulier d'Althusser un rapport entre savoir juste et institution contraignante ?

HISTOIRE ET MATÉRIALISME : ÉVÉNEMENT, CONJONCTURE, MATÉRIALISME ALÉATOIRE…
Comment penser l'histoire en structuraliste dialectique ? Une des questions centrales en ce domaine est certainement celle de savoir comment faire place à l'imprévu, comment donner droit, en pensée, d'abord et davantage aux ruptures qu'aux continuités, sans pour autant abandonner l'idée de la réalité sociale comme étant une structure de structures ? Althusser doit développer un concept inédit de "tendance historique" pour répondre à ce problème dont l'esquisse ontologique se trouve dans le concept de matérialisme aléatoire. Mais il semble que le concept clé qui lui permet de penser ensemble structure et événement est celui de surdétermination. D'autres concepts psychanalytiques serait à examiner dans ce domaine où on s'interrogera sur la question de savoir comment faire de l'histoire avec Althusser : celui de transmission, de latence, de traumatisme, de retour du refoulé. L'histoire peut-elle accueillir ces concepts ? Peut-elle lire des symptômes, du négatif, pour développer un nouveau concept de tendance historique ?


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Gabriel ALBIAC : D'un lire matérialiste. Pascal et Spinoza aux sources de la lecture symptômale de Louis Althusser ?
Au moment d'écrire les articles qui sont à l'origine de Pour Marx, quels sont les recours théoriques dont Althusser dispose pour développer la perspective matérialiste qu'il fixe dans le concept de "lecture symptômale" ? Nous essaierons de montrer que le point de départ de cette lecture devrait être cherché dans deux auteurs auxquels Althusser s'est voué depuis sa jeunesse, et dont la préoccupation majeure a été celle de se doter d'un instrument adéquat à l'interprétation de l'Écriture Sainte : Baruch Spinoza, qui mène à bout ce projet dans le texte révolutionnaire du Traité Théologico-Politique, et Blaise Pascal, dont le concept de "figure" chercherait à établir, dans les Pensées, la clé de voute du déchiffrement d'un texte codé, celui de l'Ancien Testament. À partir de cette double source, nous voudrions analyser l'essentielle nouveauté — et aussi les paradoxes — que l'application d'une telle procédure sur les textes de Marx nous amène à comprendre.

Gabriel Albiac, docteur en philosophie par la Universidad Complutense de Madrid, est professeur honoraire de philosophie à l'université Complutense de Madrid. Actuellement Professeur Émérite. Prix National de Littérature (Essaie).
Publications
Louis Althusser, cuestiones del leninismo, Madrid, Zero, 1976.
De la añoranza del poder o consolación de la filosofía, Madrid, Hiperión, 1979.
Pascal, Barcelona, Barcanova, 1981.
La sinagoga vacía, Madrid, Hiperión, 1987 (réed. Ed. Tecnos, 2013), Traduction française (La synagogue vide) aux Presses universitaires de France, Paris, 1994.
Mayo del 68. Una educación sentimental, Madrid, Temas de hoy, 1993 (réed. Ed. Confluencias, 2018).
Diccionario de adioses, Barcelona, Seix Barral, 2005.
Sumisiones voluntarias, Madrid, Ed. Tecnos, 2011.
Édition de l'Éthique de Spinoza, Madrid, ed. Tecnos, 2008.
La máquina de buscar a Dios. Blaise Pascal : una antología, Madrid, ed. Tecnos, 2013.
Édition critique des Pensées de Blaise Pascal, En presse ed. Tecnos, Madrid (2018).

Jean ALLOUCH : Penser, agir
Sans doute parce que l'acte s'obstine à se soustraire au commentaire, voire à l'analyse, et parce que l'on ne cesse là de s'interroger, deux événements marquants ont récemment revisité le geste de Louis Althusser, meurtrier d'Hélène Rytmann le 16 novembre 1980 : un écrit de Jean-Claude Milner, "Au centre du texte, un voyage", qui — l'avouerai-je ? — m'a touché, et une pièce de théâtre, L'avenir dure longtemps. Le testament d'Althusser. Avec le séminaire L'Acte analytique (1967-1968), Jacques Lacan fit valoir l'irréductibilité de l'acte à toute prise signifiante. Ce qui a rendu plus tangible et plus problématique encore cette diversité des agirs répertoriés par la psychanalyse : acte manqué, acting-out, passage à l'acte, acte psychanalytique, autant de termes auxquels on ajoutera un nouveau venu : le saut épique. On se propose de revenir sur ce 16 novembre 1980 et ce qui s'y serait joué du rapport, ou de l'absence de rapport, de l'acte à la pensée.

Jean Allouch exerce la psychanalyse à Paris. Dès 1962, il suit les séminaires de Jacques Lacan (qui fut aussi son analyste) ; après la dissolution de l'École freudienne de Paris, il contribue aux premiers pas de la revue Littoral puis à la fondation de l'École lacanienne de psychanalyse. Avec la collection "Les grands classiques de l'érotologie moderne", qu'il dirige chez Epel, il s'emploie à faire connaître en France les travaux érudits issus du champ gai et lesbien.
Publications
Lettre pour lettre (1984).
Marguerite, ou l'Aimée de Lacan (1990).
Érotique du deuil au temps de la mort sèche (1995).
Le sexe du maître (2001).
Contre l'éternité. Ogawa, Mallarmé, Lacan (2009).
L'Amour Lacan (2009).
"Prisonniers du grand Autre", L'Ingérence divine I, 2012.
"Schreber théologien", L'Ingérence divine II, 2013.
"Une femme sans au-delà", L'Ingérence divine III, 2014.
L'Autresexe (2015).
Pourquoi y a-t-il de l'excitation sexuelle plutôt que rien ? (2017).
La Scène lacanienne et son cercle magique. Des fous se soulèvent (2017).

Étienne BALIBAR : Althusser et la question des déviations du marxisme
L'exposé se concentrera sur le retournement d'attitude qui survient en 1976 dans le langage d'Althusser à propos du rapport entre la théorie et la politique, au travers notamment d'une comparaison entre "Freud" et "Marx". Pour la première fois, dans ce qu'on peut considérer comme sa véritable "autocritique" au regard de la tradition communiste dont il s'est toujours réclamé, il reconnaît le fait suivant : dans l'histoire de sciences intrinsèquement "schismatiques" comme la psychanalyse et le matérialisme historique, dont les sujets sont immanents à leur propre objet, les "déviations" inévitables ne correspondent à aucune "orthodoxie". Ce qui veut dire que leur "rectification" ne conduit à aucune vérité définitive ou simplement acquise. Cette thèse, qui retrouve implicitement une proposition de Pascal à propos des théologies de la grâce, libère définitivement du dogmatisme. Elle soulève néanmoins sur le terrain épistémologique des difficultés qu'on essayera d'expliciter et de rendre productives.

Étienne Balibar, né le 23 avril 1942 à Avallon (Yonne), professeur émérite (Philosophie politique et morale) à l'université de Paris-X Nanterre, est aujourd'hui Anniversary Chair in Modern European Philosophy, Kingston University, London.
Principales publications
1965, Lire le Capital (en collaboration avec L. Althusser, P. Macherey, J. Rancière, R. Establet), Éditions François Maspéro.
1985, Spinoza et la politique, PUF.
1988, Race, Nation, Classe. Les identités ambiguës (en collaboration avec I. Wallerstein), Éditions La Découverte.
1997, La crainte des masses. Politique et philosophie avant et après Marx, Éditions Galilée.
1998, Droit de cité. Culture et politique en démocratie, Éditions de l'Aube (réédition 2002, PUF).
2001, Nous, citoyens d'Europe ? Les frontières, l'État, le peuple, Éditions La Découverte.
2010, Violence et Civilité, Éditions Galilée.
2010, La proposition de l'égaliberté. Essais politiques 1989-2009, PUF.
2011, Citoyen-Sujet et autres essais d'anthropologie philosophique, PUF.
2012, Saeculum. Culture, religion, idéologie, Galilée.
2016, Europe, crise et fin ?, Le Bord de l'Eau.
2016, Des Universels, Éditions Galilée.

Fabio BRUSCHI : Pour une histoire des devenirs interrompus
Selon Althusser, les modes de production n'existent qu'en étant surdéterminés par leurs conditions d'existence dans une formation sociale donnée. Dans notre communication, nous montrerons que cette idée conduit Althusser à développer le concept de sous-détermination pour rendre compte du "devenir interrompu" des modes de production n'ayant pas franchi le "seuil de détermination" qui leur aurait permis de durer. Nous soutiendrons ainsi que la théorie althussérienne de la révolution comme production d'une "unité de rupture" dans la formation sociale est accompagnée par une théorie souterraine de la transition comme réunion — avant et après la révolution — des conditions d'existence d'un mode de production dont le devenir est entravé par les conditions existantes.

Fabio Bruschi est chargé de cours à l'université catholique de Louvain, où il a soutenu en 2017 une thèse sur la pensée de Louis Althusser. Membre du Groupe de Recherches Matérialistes, il a publié plusieurs articles et deux numéros thématiques de revue (Cahiers du GRM, 7/8, 2015) consacrées au marxisme althussérien et ses héritages contemporains.

Riccardo FANCIULLACCI : La lecture althussérienne de Montesquieu, entre Marx et Durkheim
En analysant la pensée de Montesquieu, Althusser examine pour la première fois dans son œuvre l'enchevêtrement entre le travail théorique-philosophique et le parti pris politique-idéologique, sur lequel il reviendra ensuite dans Lénine et la philosophie. Cet enchevêtrement caractérise la lecture althussérienne elle-même de L'esprit des lois, qui se développe dans un corps à corps tacite avec la lecture élaborée par Durkheim dans sa thèse latine. L'enjeu de cette confrontation est le suivant : quel savoir hérite de la révolution scientifique inaugurée par Montesquieu et l'achève véritablement ? S'agit-il de la sociologie ou plutôt du matérialisme historique ? Bien qu'Althusser défende la deuxième thèse, l'on voudrait montrer que le passage par Durkheim a eu des effets importants sur ses recherches, notamment au moment où Althusser a arraché la conception matérialiste de la formation sociale à l'économicisme, sans toutefois revenir au concept hégélien de totalité expressive.

Riccardo Fanciullacci (Université de Venise) a été chercheur postdoctoral à l'université Ca'Foscari de Venise et il a enseigné à l'université de Vérone dans le cadre du Master "Consulenza filosofica di trasformazione". Il prépare un livre sur Althusser et Montesquieu.
Publications
Forme dell'agire. Ontologia sociale, conflitto e ideologia in un confronto con Louis Althusser, Napoli, 2012.
La misura del vero. Un confronto con l'epistemologia contemporanea sulla natura del sapere e la pretesa di verità, Napoli, 2012.
L'esperienza etica. Per una filosofia delle cose umane, Napoli, 2012.

Jean MATTHYS
Jean Matthys est doctorant en philosophie, titulaire d'un mandat "Aspirant" du Fonds de la Recherche Scientifique (FNRS). Rattaché au Centre de Philosophie du Droit et à l'Institut Supérieur de Philosophie de l'université catholique de Louvain (Belgique), il est également membre du Groupe de Recherches Matérialistes. Ses recherches portent sur les réceptions françaises de Spinoza en lien avec les théories politiques marxistes au XXe siècle.
Publications
"Notes sur un communisme de la finitude. Hommage à André Tosel", Cahiers du GRM, n°11, 2017 [mis en ligne le 19 décembre 2017].
"L'autre de la science. Finitude et altérité chez Althusser", Interpretationes. Studia Philosophica Europeanea, Vol. VI, n°1-2, Prague, 2016, pp. 133-153.
""Dans le principe, les idées vraies servent toujours le peuple". Science et émancipation chez Althusser", Cahiers du GRM, n°7, 2015 [mis en ligne le 5 juin 2015].

Vittorio MORFINO : Relations, temporalité plurielle, matérialisme aléatoire
L'intervention prendra en considération les derniers écrits des années quatre-vingt sur le matérialisme aléatoire pour en mesurer la compatibilité avec les grand textes des années soixante et, en particulier, avec la théorie de la nature constitutive des relations et de la temporalité plurielle. On cherchera à montrer qu'il y a, dans ceux des années quatre-vingt, sinon la coprésence de deux philosophies de l'aléatoire, du moins deux tendances différentes : la première, déjà présente dans plusieurs notes ou manuscrits des cours des années soixante et du début des années soixante-dix, non seulement compatible, mais nécessaire au développement de la théorisation de la nature constitutive des relations et de la temporalité plurielle, que l'on appellera tendance matérialiste ; la deuxième, en discontinuité avec l'élaboration précédente par voie de simplification, on la nommera tendance eschatologique.

Vittorio Morfino est professeur associé en Histoire de la philosophie à l'Università degli Studi di Milano-Bicocca et directeur de programme au Collège international de philosophie. Il a été professeur invité à l'Universidade de São Paulo, à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, à l'université Bordeaux-Montaigne et à l'Universidad Nacional de Cordoba. Il est rédacteur de Quaderni materialisti et de Décalages. An Althusserian Journal.
Publications
Le temps de la multitude, Amsterdam, 2010.
Le temps et l'occasion : la rencontre Spinoza-Machiavel, Garnier, 2012.
Plural temporality : transindividuality and the Aleatory between Spinoza and Althusser, Brill, 2014.
Genealogia di un pregiudizio : L'immagine di Spinoza in Germania da Leibniz a Marx, Olms, 2016.

Nick NESBITT : Le problème du "réel" capitaliste dans "L'Introduction de 1857" (Marx) et "Du Capital à la philosophie de Marx "(Althusser)
Si, dans son texte de 1965, Althusser souligne l'importance fondamentale du concept de "reproduction du concret" dans l'objet-pensé (Gedankenkonkretum), son argument semble retomber dans un modèle classique du rapport sujet-objet quand, pour conclure, il parle de "l'appropriation de l'objet réel". Comment donc penser le réel capitaliste, au-delà de tout empirisme pré-critique ? Selon Lacan et Badiou, le réel serait l'impasse ou l'impossibilité de toute formalisation. Pour le capital, ce réel est de toute évidence la vie, catégorie qui résiste à toute formalisation, tout en constituant la "substance" nécessaire de la survaleur. Ce réel capitaliste est ce qui ne se compte pas, ni en nombres d'heures de travail socialement nécessaires (Postone), ni même en forme de prix (Heinrich, Bellofiore). Mais à l'encontre de Michel Henry (Marx, 1976), pour qui "la vie" serait le fond réel préalable à tout processus de valorisation, il faut réaffirmer avec Althusser et Balibar que, sous le capitalisme, on ne "vit" pas, qu'on est plutôt assujetti au "sujet automate" et à l'obligation catégorielle de valorisation (Jappe). "La vie" est donc cet horizon postérieur à l'événement millénaire que nous subissons actuellement depuis le tournant du siècle, événement encore obscur, qui est l'effondrement de la valorisation du fait de l'automatisation générale de tout processus de production, matériel et immatériel. Ainsi, pour "vivre", pour déployer une politique adéquate à cette actualité, il faut tenter de "s'incorporer aux conséquences" (Badiou, LM 530) de cet événement qui est la crise mortelle de la valorisation du "sujet automate". Le réel du capital est cette impasse ou impossibilité de la valorisation, impasse que nous entrevoyons dans cette disposition entrecroisée d'Althusser, de Lacan, de Badiou, de Marx.

Panagiotis SOTIRIS : Comment on peut avoir des bonnes rencontres ? Idéologie, subjectivité, organisation : la question d'une nouvelle pratique politique
Un des plus importants aspects de l'œuvre de Louis Althusser est l'insistance qu'il porte à une nouvelle pratique politique pour le communisme. Cette intervention se propose d'interroger cette conception à partir, d'une part, des recherches d'Althusser sur l'idéologie et de la manière dont elles peuvent aider à formuler une conception non-subjectiviste de la "subjectivité politique", et, d'autre part, de la centralité de la notion de rencontre afin de repenser la politique pour le communisme comme une intervention et une pensée collectives pour de bonnes rencontres.

Panagiotis Sotiris, docteur en philosophie (Université Panteion, 1999), a enseigné la philosophie politique et sociale dans diverses universités grecques (Université de Crète, Université d'Égée, Université Panteion). Actuellement, il enseigne la philosophie Européenne à l'université ouverte Hellénique. Il est membre du comité éditorial de Historical Materialism Journal. Son livre A Philosophy for Communism. Rethinking Althusser, va paraitre chez l'éditeur Brill dans la série "Historical Materialism".

Emmanuel TERRAY : Althusser libérateur des sciences sociales
En récusant la notion de totalité expressive, en écartant toute spéculation sur l'origine, en introduisant le concept de tout-complexe-déjà-donné-à dominante, Althusser libère les sciences sociales du carcan où les avait enfermées le marxisme "orthodoxe".

Né en 1935, Emmanuel Terray a fait des études de philosophie sous la direction de Louis Althusser à l'ENS. Travaux d'anthropologie au Sénégal, en Côte d'Ivoire et en Allemagne.
Dernière publication
Mes Anges gardiens, Seuil, 2017.


SOUTIENS :

• Institut universitaire de France (IUF)
• Institut Marcel Mauss (IMM) | EHESS
• ANR ReMouS (Religions monothéistes et mouvements sociaux d'émancipation)
• École normale supérieure (ENS)
• Université de Princeton