SÉRIES TÉLÉ PAR-DELÀ LES FRONTIÈRES :
APPROCHES TRANSNATIONALES ET TRANSCULTURELLES
DU DIMANCHE 24 JUILLET (19 H) AU SAMEDI 30 JUILLET (14 H) 2022
[ colloque de 6 jours ]
PRÉSENTATION VIDÉO :
ARGUMENT :
Vingt ans après le colloque de Cerisy (*) qui fut fondateur pour l'étude des séries télévisées en France, ce colloque rassemblera universitaires et créateurs pour réfléchir à la mondialisation du phénomène des séries en lien avec l'avènement du streaming et du binge-watching (visionnage marathon). Les intervenants interrogeront la manière dont les séries prennent en charge et éclairent les problématiques transculturelles aujourd'hui. La complexité et l'ampleur narrative, ainsi que le nombre potentiellement élevé de personnages permettent notamment aux séries de représenter les échanges entre différents pays et cultures, de modéliser, esthétiquement et narrativement, la complexité des enjeux transnationaux aujourd'hui. L'évolution des modes de production et de diffusion éclaire aussi notre rapport aux produits culturels, notamment la mondialisation du marché des biens culturels, avec notamment l'affirmation de nouvelles zones de création influentes comme la Corée par exemple. D'un point de vue méthodologique, la conversation transnationale sur les séries sera aussi reliée à une réflexion sur les nouvelles pratiques de recherche sur les images en mouvement, en particulier les essais vidéo. Ce colloque est ouvert à celles et ceux que les séries télé passionnent.
(*) Les séries télévisées, colloque dirigé par Anne Roche et Martin Winckler, du 14 au 21 août 2002.
MOTS-CLÉS :
Culture, Diffusion, Essais vidéo, Frontière, Globalisation, Médias, Mondialisation, Multiculturalisme, Production, Séries télévisées, Télévision, Transnational
CALENDRIER DÉFINITIF :
Dimanche 24 juillet
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS
Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants
Lundi 25 juillet
Matin
Tristan MATTELART : Penser les enjeux de l'internationalisation des séries télévisées : 50 ans de controverses théoriques
Marta BONI : Le principe d'incertitude dans les séries : une tendance transnationale ? [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]
Après-midi
Dominique MEMMI : Les Séries entre inquiétudes transnationales et traitement "local"
Dennis TREDY : Des algorithmes sans frontières, ou comment Netflix tente de "transnationaliser" les séries nationales et leurs publics
Soirée
Ariane HUDELET : Essai vidéo et enjeux transnationaux — projection et discussion
Mardi 26 juillet
Matin
Maryse PETIT : Le brouillage des frontières dans les séries Bron / The Bridge et Tunnel
Stéphane BENASSI : Bron, The Bridge, Tunnel : migration d'une matrice sérielle
Après-midi
Gilles MENEGALDO : Utopia (série britannique, Channel 4, 2013-2014) et sa reprise américaine (Amazon Prime Video, 2020) : les raisons du remake raté d'une série culte
Hélène BREDA : S'initier à la sexualité dans et par les séries télévisées. Regards croisés sur Sex Education (UK) et Sexify (Pologne)
Mercredi 27 juillet
Matin
Pierre BEYLOT : Que refait le remake sériel ? Broadchurch et ses déclinaisons transnationales : Malaterra et Gracepoint
Marjolaine BOUTET : La réception transnationale de Holocaust (NBC, 1978) : l'américanisation de la Shoah en questions
Après-midi
DÉTENTE
Jeudi 28 juillet
Matin
Fabienne DARLING-WOLF : Imaginaires 2.0 : nostalgie, connexions, et nouveaux publics à l'ère du numérique
Florent FAVARD : The Shape of Things to Come : quelle(s) structure(s) narrative(s) pour les séries de SVoD ?
Après-midi
Hülya UĞUR TANRIÖVER : Des "ghettos roses" aux marchés internationaux : la popularité des séries turques
Ludivica TUA : Masculinité(s) et pouvoir dans les séries nationalistes turques
Vendredi 29 juillet
Matin
Florence CABARET : De Criminal Justice (BBC, 2008), à The Night Of (HBO, 2016), à Une si longue nuit : changements ethniques et changements de perspectives
Céline MASONI : Imaginaire(s) mafieux en circulation
Après-midi
Isabelle LABROUILLÈRE : La représentation des espaces frontaliers et du corps migrant dans la mini-série Eden réalisée par Dominik Moll
Dimitra Laurence LAROCHELLE : Décoder l’Autre : la réception des fictions sérielles turques par les Grecs
Samedi 30 juillet
Matin
Table ronde des scénaristes, animée par Sarah SEPULCHRE, avec Sylvie COQUART-MOREL (Des soucis et des hommes), Vania LETURCQ (Pandora) et Vincent POYMIRO (En Thérapie)
Ariane HUDELET, Sarah SEPULCHRE & Dennis TREDY : Compte-rendu du colloque
Après-midi
DÉPARTS
RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :
Ariane HUDELET : Essai vidéo et enjeux transnationaux — projection et discussion
Succession (HBO, 2018-) nous offre le spectacle de la déliquescence morale et familiale des 1% les plus riches, incarnés par la famille Roy, propriétaire d'une multinationale de médias et divertissements. Avec brio, la série exhibe les luttes intestines en vue de la succession du patriarche Logan Roy, à la santé déclinante. Si l'essentiel de la série se déroule aux États-Unis, principalement à New York où se trouve le siège de l'entreprise Waystar-Royco, la série nous dépeint plus largement un capitalisme mondialisé qui abolit les frontières et les distances. Cette communication s'attachera à la manière dont la série représente cette internationalisation de la richesse, et dépeint l'éradication des distances ou des différences culturelles pour les ultra riches. Loin de proposer une forme de "pornographie de la richesse" ("wealth porn") à la manière d'autres séries récentes (Big Little Lies, The Morning Show, The Undoing), Succession nous propose des voyages toujours similaires, des sites de pouvoir et de richesse dont la diversité s'estompe sous les effets du luxe mondialisé, à l'arrière-plan des tourments familiaux qui occupent toujours le devant de la scène. L'exemple de Succession et sa représentation d'une richesse internationalisée seront replacés dans un contexte plus vaste : l'histoire de la production de la série elle-même, et celui d'une histoire plus longue de la mondialisation et du capitalisme.
Ariane Hudelet est professeure en études anglophones, spécialiste de culture visuelle, notamment des séries télévisées américaines (XXIe siècle), et de l'adaptation cinématographique et télévisuelle d'œuvres littéraires. Elle co-dirige la revue TV/Series et a publié de nombreux articles sur les séries américaines (Treme, Masters of Sex, The Good Wife, Mad Men, The Knick, Fargo).
Publications
La Sérialité à l'écran (co-dir.), PUFR, 2020.
Exploring Seriality on Screen (co-dir.), Routledge, 2021.
The Wire. Les règles du jeu, PUF, 2016.
Dennis TREDY : Des algorithmes sans frontières, ou comment Netflix tente de "transnationaliser" les séries nationales et leurs publics
C'est en janvier 2016 que Reed Hastings, PDG et co-fondateur de Netflix, a choqué le public présent au Las Vegas Consumer Electronic Show en annonçant que son service de streaming serait désormais disponible dans 130 pays du monde — la plupart lançant même le service pendant son discours — faisant ainsi de Netflix "la première chaîne de télévision globale". Sur le moment, Hastings semblait imaginer que leur offre de séries américaines et britanniques de qualité et l'arrivée de grands acteurs et réalisateurs du cinéma anglophone sur leur service séduiraient aussi les nouveaux publics internationaux. Cela dit, les choses se sont passées autrement, et bien que Netflix semble avoir toujours su s'adapter aux effets et aux entraves inattendus de leur grand projet transnational, leur notion même d'une "télévision globale" s'est fortement modifiée depuis ce grand lancement. Quel aura été alors l'impact de tous ces changements et corrections de tir sur l'offre actuelle de productions internationales sur Netflix ? Le service a-t-il réussi son pari de créer une "télévision globale" et a-t-il vraiment "transnationalisé" les séries nationales du monde ? La suprématie des productions américaines sur Netflix est-elle toujours d'actualité, et le public américain se nourrit-il désormais et de manière inédite d'un régime de séries internationales ? Surtout, cet effort de plaire, algorithmes à l'appui, au plus grand nombre à l'échelle planétaire a-t-il changé la définition même d'une "bonne série" selon Netflix, s'adressant alors au "plus petit dénominateur commun", au détriment des ambitions "prestige TV" soulignées par Reed en 2016 ?
Dennis Tredy est maître de conférences en littérature américaine à l'université de la Sorbonne Nouvelle et enseignant d'adaptation filmique à Sciences Po Paris. Il est également co-fondateur de la Société Européenne des Études Jamesiennes (ESJS). Il a publié de nombreux articles sur James et d'autres auteurs américains, bon nombre de ses publications traitant l'adaptation filmique ou télévisuelle des auteurs américains et britanniques, tels que James, Poe, Forster, Austen, Orwell, Burgess et Nabokov, entre autres. Il publie également des études sur la série télévisée américaine, notamment sur la sitcom, sur l'adaptation des émissions radio au milieu du vingtième siècle, et sur la représentation des femmes, des minorités et de la contreculture dans les années 1950, 1960 et 1970.
Publications
Reading Henry James in the Twenty-First Century (2019).
Henry James and the Poetics of Duplicity (2013).
Henry James's Europe : Heritage and Transfer (2011).
Pierre BEYLOT : Que refait le remake sériel ? Broadchurch et ses déclinaisons transnationales : Malaterra et Gracepoint
Saluée par la critique et le public, la série britannique Broadchurch créée par Chris Chibnall (ITV, 2013-17) a connu deux déclinaisons transnationales le temps d'une seule saison : aux États-Unis avec Gracepoint (Fox, 2014) et en France, avec Malaterra réalisée par Jean-Xavier de Lestrade (France 2, 2015). Au-delà des similitudes et des différences de scénario, de lieux et de distribution, ce cas de figure nous amène à nous interroger sur ce que "refait" le remake sériel. Le terme de remake est-il lui-même approprié pour une production sérielle ? Sur quoi porte la transposition : développement de l’intrigue et des personnages ? Rôle des décors et des paysages ? Incarnation par des acteurs différents (ou au contraire, identiques, dans le cas de David Tennant qui reprend dans la version américaine le rôle qu'il tenait dans la version originale) ? Spécificités nationales liées aux comportements sociaux ou aux règles de procédure policières et judiciaires ? Des falaises du Dorset aux rivages de la Corse ou de la Californie, on analysera les effets de cette transposition d'une matrice sérielle : on examinera en particulier la façon dont elle affecte l'agencement narratif de la série et la construction des identités nationales à laquelle elle participe.
Pierre Beylot est professeur en Études cinématographiques et audiovisuelles à l'université Bordeaux Montaigne où il est responsable du Master "Approches historiques et socioculturelles du cinéma et de l'audiovisuel". Il a participé au premier colloque de Cerisy, Les séries télévisées en 2002, et les a analysées dans plusieurs articles et ouvrages, notamment Les Séries policières (co-dir., 2002) ; Le Récit audiovisuel (2005) ; "Homeland / Hatufim : intertextualité sérielle et transfert culturel", in Mise au Point (2015) et "Comment définir l'identité d’une série ? Le cas de Homeland", in Troubles en séries (2020).
Marta BONI : Le principe d'incertitude dans les séries : une tendance transnationale ?
De plus en plus, les séries télé présentent des personnages marginaux : des femmes, des adolescent(e)s, des queers. Ainsi, par la création d'expériences de doute, de désorientation ou d'échec, de nouvelles manières de concourir à la "structure de sentiment" de crise de l'ère contemporaine apparaissent. Cette contribution portera sur les lieux et les modes de circulation transnationaux de cette tendance. Aux États-Unis — notamment avec Netflix ou Amazon Prime Video — l'incertitude est devenue une importante stratégie de marché, à lire dans le cadre d'un "humanisme libéral" des plateformes. Nous pouvons donc nous demander comment celle-ci s'inscrit suivant ou s'écartant des logiques de "proximité culturelle" dans les pays européens, sur le plan de la production et de la réception ?
Marta Boni est professeure agrégée au Département d'histoire de l'art et d'études cinématographiques de l'université de Montréal, où elle enseigne et dirige des recherches sur le cinéma et la télévision. En 2015 elle a fondé le Labo Télé qui prône une approche pragmatique et intersectionnelle des séries, avec une attention particulière pour les liens entre les formes et les technologies de la télévision à l'ère du numérique.
Hélène BREDA : S'initier à la sexualité dans et par les séries télévisées. Regards croisés sur Sex Education (UK) et Sexify (Pologne)
Cette communication propose de comparer deux séries diffusées sur la plateforme Netflix, dont le thème commun est la découverte de la sexualité par de jeunes gens en contexte scolaire ou estudiantin. La première, Sex Education (UK, 3 saisons), se caractérise par une représentation diverse et inclusive d'identités de genre comme d'orientations sexuelles. La seconde, Sexify (Pologne), se saisit de la question du plaisir féminin dans un contexte relativement conservateur. Il s'agira ici de comprendre comment, dans l'un et l'autre cas, une approche progressiste dotée d'une portée pédagogique permet d'aborder une variété de situations individuelles encore rarement prises en compte dans les médias. L'articulation entre des analyses de contenu et une étude de réception mettra en lumière l'importance des enjeux sociaux sous-tendus par ces représentations, autour de la notion philosophique de "lutte pour la reconnaissance".
Hélène Breda est Maîtresse de conférences en Sciences de l'Information et de la Communication au LabSIC (Université Sorbonne Paris Nord) et chercheuse associée à l'IRCAV. Elle est l'autrice d'une thèse consacrée à la notion de "tissage narratif" dans les séries télévisées étatsuniennes (2015). Ses recherches actuelles portent sur la représentation des identités culturelles dans la fiction et les médias ainsi que sur la réception d'œuvres (pop-)culturelles, notamment dans sa dimension genrée.
Florence CABARET : De Criminal Justice (BBC, 2008), à The Night Of (HBO, 2016), à Une si longue nuit : changements ethniques et changements de perspectives
Entre la minisérie britannique Criminal Justice (BBC, 2008) et son adaptation étatsunienne The Night Of (HBO, 2016), plusieurs changements d'identités ethniques sont intervenus dans la réécriture des personnages de cette enquête policière et judiciaire. Le jeune Ben Coulter (Ben Whishaw) est devenu Nasir Khan (Riz Ahmed) tandis que d'autres personnages autour de lui se sont vus attribuer une filiation ethnique différente de celle des personnages d'origine (les parents de l'accusé, la jeune femme rencontrée dans le taxi, les avocat(e)s qui le défendent, le détenu qui devient son mentor). Ces modifications seront l'occasion d'interroger la mise en fiction de deux univers nationaux où la "minorité modèle" indo-pakistanaise découvre que son statut est remis en cause dans un monde où la crainte du terrorisme islamiste ébranle différemment les relations inter-ethniques que les deux scénarios redessinent également.
Florence Cabaret est Maître de conférences à l'université de Rouen et membre du laboratoire ERIAC. Elle travaille sur les romans et films de la diaspora indienne de langue anglaise, et sur la représentation des personnages qui incarnent cette diaspora dans les séries télévisées britanniques et étatsuniennes. Elle a co-édité plusieurs numéros de la revue en ligne TV/Series avec Sylvaine Bataille, Claire Cornillon et Virginie Douglas. Elle traduit également les romans et essais d'Hanif Kureishi (chez Christian Bourgois).
Fabienne DARLING-WOLF : Imaginaires 2.0 : nostalgie, connexions, et nouveaux publics à l'ère du numérique
Si le tournant numérique accentue la mondialisation des publics et facilite la création de nouveaux imaginaires construits grâce à un accès plus rapide et varié aux productions internationales, il est aussi fondé sur des relations de pouvoir ayant influencé, en amont des développements technologiques, les échanges culturels transnationaux. Toute analyse de la reconfiguration de la télévision à l'heure du numérique doit donc nécessairement prendre en compte l'impact de ces relations historiques et (trans)culturelles sur les publics et sur leurs modes d'engagement avec la culture populaire "mondiale". Cette communication propose une réflexion sur ces thèmes : quel effet ont ces relations sur les modalités d'inclusion (ou d'exclusion) de différentes zones de création dans l'imaginaire de publics divers ? Pour quels publics ces nouvelles problématiques transnationales sont-elles le plus profondément perturbatrices ?
Fabienne Darling-Wolf enseigne l'étude des médias à Temple University (Philadelphie, États-Unis). Ses recherches portent sur les problématiques d'influence transculturelle et leur négociation "locale" dans différents contextes, notamment au Japon, en Europe et aux États-Unis.
Publication
Imagining the global : Transnational media and popular culture beyond East and West, University of Michigan Press, 2015.
Florent FAVARD : The Shape of Things to Come : quelle(s) structure(s) narrative(s) pour les séries de SVoD ?
Les séries des plateformes de SVoD augurent d'une nouvelle ère de la "télévision", ou plutôt, des "petits écrans", où la fiction audiovisuelle ne cesse de se réinventer. La question qui sera posée ici porte sur la forme même de ces fictions, à l'heure de leur livraison en blocs saisonniers (sur Netflix), du mélange des modèles économiques et culturels dans un cadre transnational, et de l'articulation de grandes franchises transmédiatiques (notamment sur Disney+). Quelles sont les conséquences pour ces objets dont la sérialité se trouve reformatée, reformulée, recadrée, au gré d'un calendrier qui dépasserait les frontières et les grilles de programmes locales ? Il s'agira notamment de s'interroger sur la structure narrative de ces séries, sur la façon dont elles déploient leur monde fictionnel, et sur leur capacité à générer une nouvelle expérience sérielle qui se voudrait, peut-être, "universelle".
Maître de conférences en Sciences de l'Information et de la Communication à l'IECA de Nancy, Florent Favard se spécialise dans la complexité narrative des séries télévisées et des franchises cinématographiques contemporaines. Ses recherches se focalisent actuellement sur la narration sérielle des services de streaming, et sur les liens entre sérialité et worldbuilding.
Publications
Écrire une série TV, PUFR, 2019
Le récit dans les séries de science-fiction, Armand Colin, 2018.
Isabelle LABROUILLÈRE : La représentation des espaces frontaliers et du corps migrant dans la mini-série Eden réalisée par Dominik Moll
Cette intervention se proposera d'analyser la dimension esthétique et narrative de la représentation du corps migrant et des espaces frontaliers dans Lampedusa de Marco Pontecorvo, et Eden de Dominik Moll, deux mini séries européennes respectivement produites par la Rai et Arte, mais aussi dans Stateless d'Emma Freeman et Jocelyn Moorehouse, série australienne co-produite par Cate Blanchett que la diffusion sur Netflix a promue sur le plan international. Nous nous demanderons notamment si l'approche chorale adoptée dans ces œuvres, en diffractant la réalité par le prisme de lieux et de personnages singuliers, permet de les envisager "non pas comme un miroir de la société, mais comme un dispositif qui reflète des manières de voir et qui peut donc bouleverser les stéréotypes" (Olivier Estève, Sébastien Lefait, La question raciale dans les séries américaines). Nous chercherons ainsi à interroger la façon dont ces séries tentent d'embrasser une réalité plurielle et labile, et d'ainsi questionner notre regard en opposant à la stérilité du stéréotype la possibilité d'un nomadisme de la pensée.
Isabelle Labrouillère est maître de conférences à l'École Nationale Supérieure d'AudioVisuel, école interne à l'université Toulouse Jean Jaurès. Ses travaux de recherche portent notamment sur la représentation de l'identité et de l'altérité ("La défiguration comme geste de re/création : figures en miroir et trouble des formes dans Stolen Face, Four-Sided Triangle et Curse of Frankenstein de Terence Fisher") et ses derniers articles interrogent de façon plus précise la question du corps à l'écran chez Christopher Nolan ("L'écriture de la peau dans Memento (Christopher Nolan, 2000) : du mutisme du corps tatoué à son devenir image") ou chez des réalisatrices telles que Su Friedrich ou Barbara Loden ("Barbara Loden's Recovered Voice : from Wanda's Mutism to the Piece's "Pensiveness"" (Wanda, Barbara Loden, 1970)).
Dimitra Laurence LAROCHELLE : Décoder l’Autre : la réception des fictions sérielles turques par les Grecs
Depuis le début des années 2000, la production et l'exportation des feuilletons télévisés turcs vers l'étranger est en constante expansion, accordant ainsi à l'industrie sérielle turque un rôle de leader sur la scène médiatique internationale. Les feuilletons télévisés turcs proposent un monde imaginaire de consommation mondialisée et d'amour romantique qui défie les frontières nationales. Toutefois, ce qui différencie les feuilletons turcs des biens culturels similaires produits ailleurs, c'est qu'ils proposent une modernité alternative caractérisée non seulement par des rôles de genre et des structures sociales traditionnelles, mais aussi par le conservatisme social. À travers cette présentation, je souhaite discuter une partie des résultats de ma recherche empirique concernant la représentation des identités genrées et des structures conjugales et amoureuses projetées par les feuilletons turcs ainsi que leur réception par les publics féminins grecs. Plus précisément, mon objectif est de mettre en évidence les modes de résistance des femmes grecques face aux hiérarchies dominantes imposées par le système patriarcal à travers leur lecture de ces textes médiatiques particuliers. Comment la résistance aux hiérarchies dominantes se produit-elle à travers la lecture de ces textes proposant une modernité alternative et qu'est-ce que cela nous apprend sur la condition des femmes qui consomment des feuilletons turcs en Grèce ?
Dimitra Laurence Larochelle est chercheuse postdoctorale à l'université Polytechnique Hauts-de-France. Après trois masters en sociologie (Université de Paris), en anthropologie (Université Paris 8 Vincennes - Saint-Denis) et en communication (Université Panthéon Assas), elle a effectué sa thèse sur la réception des fictions sérielles turques par les publics féminins grecs à l'université Sorbonne Nouvelle - Paris 3. Elle est Youth Representative de l'Association Internationale de Sociologie (AIS) aux Nations Unies, membre du bureau du CR 14 (Sociologie de la Communication, de la Connaissance et de la Culture) de l'AIS et éditrice associée des revues internationales Art Style | Art & Culture International Magazine et THESIS. Ses publications portent sur les fictions sérielles, l'interculturalité, le genre, les rapports entre culture populaire et politique, le numérique et l'étude des fans.
Céline MASONI : Imaginaire(s) mafieux en circulation
Dans un environnement pluri-sémiotisé, où circulent de multiples images et récits du crime organisé, issus de multiples cultures, comment les productions sérielles participent-elles de la fabrication ou de la composition de nos représentations et façonnent-elles nos imaginaires ? À partir de quelles associations d'éléments visuels et audiovisuels, langagiers, narratifs et discursifs ? Vers la production de quel(s) invariant(s) ou de quelles variations ? Sur la base des approches anthropologiques et structurales des représentations sociales, nous revisiterons le lien entre culture(s) et représentation(s), en vue d'interroger les reconfigurations symboliques et sémantiques que les objets sériels offrent ou imposent à nos systèmes culturels d'interprétation.
Céline Masoni, Maître de conférences en sciences de la communication est membre du LIRCES (Laboratoire Interdisciplinaire Récits, Cultures et Sociétés) de l'université Côte d'Azur. Croisant analyses du récit et du discours, esthétique et études visuelles, elle interroge les pratiques créatives irriguées par la circulation de textes et d'images dans un environnement médiatique multi-sémiotisé. Elle a co-fondé, avec Manuela Bertone, l'ORC, Observatoire du Récit Criminel : orc.hypotheses.org.
Tristan MATTELART : Penser les enjeux de l'internationalisation des séries télévisées : 50 ans de controverses théoriques
La circulation des séries par-delà les frontières nationales a suscité, depuis la fin des années 1960, de vives controverses. Les séries américaines exportées aux quatre coins du monde constituent-elles les agents d'une hégémonie culturelle ou des sources d'inspiration pour les producteurs des autres pays ? Comment sont-elles réappropriées par leurs téléspectateurs à l'étranger ? L'apparition de nouveaux centres d'exportation télévisuels contribue-t-elle à un monde culturellement multipolaire ? Dans quelle mesure l'avènement du web a-t-il transformé les rapports de pouvoir régissant la circulation transnationale des séries ? C'est à l'examen de ces questions que se consacrent plusieurs courants théoriques, souvent antagonistes. Cette communication reviendra sur ces différentes façons de penser l'internationalisation des séries, en s'appuyant sur quelques-uns des textes les plus représentatifs de chacun de ces courants.
Tristan Mattelart est professeur à l'Institut français de presse de l'université Paris 2 Panthéon-Assas et chercheur au Centre d'analyse et de recherche interdisciplinaires sur les médias (Carism). Après avoir, depuis les années 1990, travaillé sur les enjeux attachés aux processus de transnationalisation des médias, de l'information et des produits culturels, il explore aujourd'hui la façon dont ces processus sont reconfigurés par l'avènement de plateformes numériques aux ambitions globales.
Dominique MEMMI : Les Séries entre inquiétudes transnationales et traitement "local"
On dit communément que le cinéma est un art "populaire" par l'ampleur quantitative et sociale de la réception dont il est capable de bénéficier. La chose paraît encore plus évident pour les Séries, a fortiori depuis le début des années 2000 : quand on a vu leur horizon de réception s'élargir considérablement et s'internationaliser. L'hypothèse qu'on voudrait tester ici, c'est que ce produit culturel spécifique tire les conditions de félicité de sa réception du fait d'être pris dans une tension entre la participation à des questionnements et "air du temps" internationaux, et une surenchère — que la longueur de la série permet de nourrir — sur les caractères nationaux de ses récits et personnages, ce qui confère à la série à la fois une sorte de "marque" de fabrique et un séduisant exotisme. Le meilleur exemple en serait sans doute les déclinaisons israélienne, américaine, québécoise et française respectivement de Betipoul (2005-2008), In Treatment (2008-2010), En thérapie (2012-2014) et En analyse (février-mars 2021). Mais nous voudrions tester cette hypothèse avant tout sur la Série Killing Eve (2018-2021) qui à la fois participe fortement de l'ère post MeToo (elle-même jalonnée par plusieurs films allant dans le même sens) tout en en américanisant les traits. C'est alors que les Séries se confirment comme un formidable matériau pour le sociologue et l'historien, à condition d'accepter qu'elles ne sont pas un reflet du réel… mais qu'elles constituent une manière (nationale, ou prétendue telle) de le penser.
Dominique Memmi est directrice de recherche au CNRS, en sciences sociales, et auteur d'une dizaine d'ouvrages et de nombreux articles. Une réflexion ininterrompue sur l'évolution du statut du corps, au cœur de la société mais aussi des sciences sociales, lui a permis de mettre en valeur la succession depuis le milieu du XXe siècle des modes d'exercice de la domination sociale, à partir notamment de ce qu'en réfracte la production cinématographique sur laquelle elle a publié aussi bien dans des revues ou des ouvrages de cinéma (Vertigo, Cinémaction, Le corps filmé) que de sciences sociales (Le Mouvement social, Politix, Politique La Revue, Culture et musées).
Publications sur la production cinématographique
"Corps à corps et domination rapprochée : ou comment le cinéma 'réfléchit' le monde social", Culture et musées, n°7, 2006, pp. 81-95.
"'S'en sortir' ou pas : contes cinématographiques et impatience sociale", in Carole Aurouet (dir.), Contes et Légendes à l'écran, Cinémaction, n°116, Paris, Corlet Éditions, 2005, pp. 42-50.
Domination de classes
"Une situation sans issue ? Maîtres et domestiques dans le cinéma anglais et français", Cahiers du genre, n°35, 2003, pp. 209-236.
"La recomposition du masculin dans les classes populaires : une issue à la domination sociale ? À propos de Billy Eliot, de Full Mounty et de quelques autres dans le cinéma réaliste anglais depuis 40 ans", Le Mouvement social, n°198, janvier-mars 2002, pp. 151-154.
"L'introuvable 'peuple' dans le cinéma français", CinémAction, n°110, 2004, pp. 46-51.
"Alien ou les dents de l'Autre", Vertigo, n°16, 1997, pp. 183-188.
"Journal intime de Nanni Moretti ou le miroir aux intellectuels", Politix, n°30, vol. 8, 1995, pp. 178-182.
"Reprise de Hervé le Roux ou : ce monde que nous avons perdu", Politique La Revue, n°7, janvier-février-mars 1998, pp. 83-86.
Domination de sexes
"Entre domination physique et domination symbolique : La Leçon de piano", in CURAPP, La gouvernabilité, Paris, Puf, 1996, pp. 45-62.
"Naturaliser la domination masculine ou comment ne pas en sortir", Cahiers du genre, n°29, 2000, pp. 128-135.
"Nommer le sexuel à l'écran depuis le milieu des années 1970" (avec Nathalie Nikolic), in Andrea Grunert (dir.), Le corps filmé, Paris, Corlet Éditions, 2006.
"La leçon de piano", Politique La Revue, n°1, juillet-août-septembre 1997, pp. 95-97.
Gilles MENEGALDO : Utopia (série britannique, Channel 4, 2013-2014) et sa reprise américaine (Amazon Prime Video, 2020): les raisons du remake raté d'une série culte
Utopia (2014, Channel 4), scénarisé par Dennis Kelly et mis en scène par Mark Mundsen est une série britannique qui comporte deux saisons de 6 épisodes d'une heure. C'est un thriller paranoïaque et conspirationniste qui dénonce, entre autres, la collusion entre le pouvoir politique, certains trusts industriels et une mystérieuse organisation, le "Network", qui vise à stériliser une bonne partie de l'humanité pour sauver l'autre. La dimension apocalyptique est présente et apparaît graduellement mais il s'agit plutôt d'une apocalypse annoncée et temporairement évitée. Malgré les éloges critiques, l'attribution d'un prix et l'enthousiasme des fans, la série n'est pas reconduite pour une troisième saison, en raison de la trop faible audience. Le projet d'un remake pour HBO avec David Fincher n'aboutit pas, mais Amazon Prime confie un nouveau projet à Gillian Flynn qui scénarise 8 épisodes (au lieu de 10 initialement prévus). De nouveau la série n'est pas reconduite pour une deuxième saison. La série de Channel 4 est très ancrée dans le contexte anglais, mais comporte aussi une dimension transnationale, d'abord dans l'univers diégétique qu'elle met en scène (la dimension mondiale de l'épidémie, les contextes historiques et politiques, les références à plusieurs cultures, plusieurs langues), ensuite dans sa dimension intertextuelle, enfin au niveau des publics de nombreux pays qui ont contribué à faire d'Utopia une série culte par le biais en particulier des réseaux sociaux. Le remake produit par Amazon est interrompu avant de pouvoir développer son univers fictionnel qui de ce fait est nettement moins transnational (en dehors de quelques références ponctuelles). Ce qui frappe, c'est l'américanisation de la série diffusée en pleine pandémie et qui s'exprime de différentes manières, en particulier par le choix des lieux, les références politiques, sociales et culturelles, mais aussi par l'ajout de personnages. La dimension transnationale s'exprime cependant autrement, dans les collaborations d'artistes, en particulier par l'apport de l'artiste brésilien João Ruas, créateur des romans graphiques Dystopia et Utopia qui sont au cœur de l'intrigue. La réflexion portera enfin sur l'arrêt prématuré des deux séries et tentera aussi d'analyser les raisons de l'échec de la reprise américaine, pâle reflet de la série anglaise originelle.
Gilles Menegaldo est Professeur émérite de littérature et cinéma à l'université de Poitiers. Fondateur et ancien directeur du département "Arts du spectacle". Éditeur ou co-éditeur de 35 ouvrages collectifs et auteur de 140 articles dont trois publiés sur les séries TV: Deadwood, The Frankenstein Chronicles, The Prisoner et d'un sur la sérialité.
Dernières publications
Tim Burton, a Cinema of Transformations, PULM, février 2018.
Spectres de Poe dans la littérature et dans les arts (avec Jocelyn Dupont), Colloque de Cerisy, Le Visage vert, décembre 2020.
Le goût du noir dans la fiction policière contemporaine (avec Maryse Petit), Colloque de Cerisy, PU Rennes, juillet 2021.
Dark Recesses in the House of Hammer (avec Mélanie Boissonneau et Anne-Marie Paquet-Deyris), Peter Lang, janvier 2022.
Maryse PETIT : Le brouillage des frontières dans les séries Bron / The Bridge et Tunnel
La série policière suédo-danoise Bron / The Bridge, comme sa reprise (pour la première saison) franco-britannique Tunnel, commence par la mise en évidence de la radicalité de la frontière, coupure géographique qui s'applique aux corps des victimes. La collaboration sera nécessaire, de chaque côté de cette frontière, pour des enquêteurs que tout oppose. Chacun devra la traverser quotidiennement, et ainsi mettre en cause cette radicalité. Bientôt, c'est la frontière elle-même qui va se déplacer : distance dans les rapports sociaux des personnages, failles dans leurs comportements, ruptures dans leurs environnements, qu'il leur faudra à chaque fois, surmonter d'une manière ou d'une autre pour que la recherche de la vérité puisse progresser. Au fil des saisons, les intrigues des deux séries se différencient, explorant néanmoins ces limites géographiques et politiques imposées par l'Histoire, mais que les histoires humaines ne cessent de transgresser.
Ludivica TUA
Doctorante en Science de l'information et de la communication à l'université Toulouse Jean Jaurès (LERASS), en co-direction avec l'université Aix-Marseille, Ludovica Tua travaille sur les séries télévisées turques à sujet historique, et notamment sur celles diffusées par la chaîne étatique TRT. Ces dernières sont étudiées sous le prisme du nationalisme et du genre, afin de saisir les enjeux identitaires et politiques qu'elles véhiculent et leur affinité avec le gouvernement turc actuel.
Hülya UĞUR TANRIÖVER : Des "ghettos roses" aux marchés internationaux : la popularité des séries turques
Malgré l'arrivée tardive de la télévision, on observe une adaptation rapide des producteurs et des publics à la culture télévisuelle en Turquie. Sur l'exemple des grands succès américains comme Dallas puis des telenovelas brésiliens, les séries nationales commencent à conquérir les écrans. Considérées au départ comme des genres destinés aux femmes, pour mieux les enfermer dans des "ghettos roses", ces séries acquièrent en peu de temps une popularité non seulement nationale mais aussi internationale. Nous partagerons, dans le cadre de ce colloque, les résultats de plusieurs recherches que nous avons réalisées depuis vingt-cinq ans sur la production (et l'exportation) des séries turques d'une part et sur les discours qu'elles véhiculent ainsi que leur réception, de l'autre, afin de mieux comprendre leur popularité et le rapport de cette popularité avec les orientations politiques au sens général.
Hülya Ugur Tanriöver, est professeure émérite en radio, télévision et cinéma (Université Galatasaray d'Istanbul et Université Giresun), elle travaille dans le domaine de la sociologie du cinéma et de la télévision ainsi que celui des études de genre. Elle est aussi conseillère de différentes organisations de femmes et de cinéma et participe en activiste à leurs travaux et actions.
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SOUTIENS :
• Laboratoire de recherche sur les cultures anglophones (LARCA, CNRS UMR 8225) | Université Paris Cité
• Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3
• Aix-Marseille Université
• Université catholique de Louvain (UCLouvain)