ANGLES MORTS DU NUMÉRIQUE
LIMITES DE LA PROGRAMMATION
DU JEUDI 24 SEPTEMBRE (19 H) AU JEUDI 1er OCTOBRE (14 H) 2020
[ colloque de 7 jours ]
DISNOVATION.ORG — Predictive Art Bot
Exposition : Transmediale 2017 @ HKW — Photo : Dasha Ilina, CC NC-SA 4.0
PRÉSENTATION VIDÉO :
DIRECTION :
Yves CITTON, Francis JUTAND, Marie LECHNER, Anthony MASURE, Vanessa NUROCK et Olivier LECOINTE
Colloque organisé à l'initiative du Cercle des partenaires
ARGUMENT :
Les dernières décennies ont été caractérisées, à l'échelle mondiale, par une accélération exponentielle des domaines d'activités et des pans de réalité qui se voient reconfigurés de l'intérieur par la computation (digitalisation, algorithmisation, communication). Ce "numérique" (généralement conjugué au singulier), en passe de devenir "ubiquitaire", est alternativement interprété comme assurant une transparence intégrale ou comme imposant une surveillance généralisée. Transhumanistes et conspirationnistes ont toutefois en commun de négliger les angles morts (à décliner au pluriel) qui sont inhérents à toute perception du monde, fût-elle programmée et nourrie de big data. Ce sont quelques-uns de ces angles morts des visions programmatrices actuellement à l'œuvre dans la mise en place d'un numérique conçu à la fois comme une force et comme une menace, que ce colloque discutera, en s'appuyant sur des situations concrètes proposées par le Cercle des partenaires de Cerisy, avec l'espoir d'en tirer quelques leçons et orientations d'intérêt général. Il réunira des artistes, des chercheurs, des designers, des étudiants, des praticiens du numérique dans des institutions variées et des responsables d'entreprises, d'associations et de la fonction publique, ainsi que toute personne intéressée par les sujets traités.
MOTS-CLÉS :
Algorithme, Angle mort, Arts, Commun, Design, Digital, Données (base de), Droit, Écologie, Éthique, Genres, Identification imaginaire, Intelligence artificielle (IA), Métiers, Numérique, Programmation, Santé, Surveillance, Transparence, Travail, Ubiquitaire, Villes
DOCUMENTS PRÉPARATOIRES :
En attendant la tenue du colloque, Marie LECHNER et Yves CITTON vous proposent de consulter deux Cahiers de lectures regroupant des articles liés aux différentes thématiques qui y seront traitées :
• Cahier de lectures : Volume 1 (format PDF)
• Cahier de lectures : Volume 2 (format PDF)
CALENDRIER DÉFINITIF :
Jeudi 24 septembre
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS
Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants
Présentation de DisNovation
Vendredi 25 septembre
Matin
INTRODUCTION GÉNÉRALE ET CADRAGES ÉTHIQUES
Yves CITTON : Angles morts et visibilité ubiquitaire du numérique
Vanessa NUROCK : Angles morts et angles vifs de l'éthique by design
Après-midi
PERSPECTIVES ÉCOLOGIQUES
Fabrice FLIPO : L'enjeu de la sobriété numérique
Villes et low tech ?, table ronde avec Sénamé Koffi AGBODJINOU (Épistémicides - Cosmogonies : computationnalités primitives [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]), Ernesto OROZA (Within the Revolution, Everything) et Justinien TRIBILLON ("Dumb cities" ou le chemin des ânes)
Soirée
Problèmes posés par le Cercle des partenaires de Cerisy, table ronde animée par Olivier LECOINTE, avec Muriel BARNÉOUD & Hélène DELAHAYE (La Poste) [visioconférence], Côme BERBAIN (RATP), Nicolas DEMASSIEUX (Orange) et Fabrice JEANNE (Conseil départemental de la Manche)
Samedi 26 septembre
Matin
PERSPECTIVES ESTHÉTIQUES (I)
Quelques implications de la numérisation
Marie LECHNER : L'IA revisitée par les pratiques artistiques
Olivier BOSSON : Trois morts brutales [Conférence-Performance]
Après-midi
PERSPECTIVES SOCIO-POLITIQUES (I)
Algorithmes et méga-plateformes : quelles souverainetés ? quelles subjectivités ?
Nicolas DEMASSIEUX : Vers une IA douce
Côme BERBAIN : Numérisation : vers un nouveau partage de rôle entre humains et algorithmes ?
Félix TRÉGUER : L'utopie déchue. Une contre-histoire d'Internet (Éditions Fayard, 2019)
Dimanche 27 septembre
Matin
PROSPECTIVES IMAGINAIRES
Ré-ouverture des imaginaires
Francis JUTAND : Prospective de l'imaginaire numérique
Numérique, imaginaire et design
Anthony MASURE : Promesses, limites, bifurcations : du "design pour la vie" aux angles morts du numérique
Saul PANDELAKIS : Genre et algorithmes
Après-midi
Potentiels du design et de ses contre-emplois, avec Jürg LEHNI [visioconférence] et Manon MÉNARD (Culture des singularités et "accessibilité" numérique : paradoxes d'une conception globalisante)
Retours des doctorants et doctorantes : rapports d'étonnement et alternatives de recherches, avec Allan DENEUVILLE, Adrien PEQUIGNOT et Guillem SERRAHIMA
Soirée
PERSPECTIVES ESTHÉTIQUES (II)
Atelier 1 de DisNovation, animé par Nicolas MAIGRET et Maria ROSZKOWSKA
Lundi 28 septembre
Matin
PERSPECTIVES ALTERNATIVES SUR L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Anaïs BERCK : Quand les arbres organiques vont à la rencontre de l'arbre binaire
Alban LEVEAU-VALLIER : Le projet d'intelligence artificielle et la notion d'intuition
Samuel SZONIECKY : Intelligences végétales
Après-midi
"HORS LES MURS" — À GRANVILLE
Visites en deux groupes sur deux sites, organisées avec Florent LESAUVAGE (Manche Numérique)
1- Site de la Manche Open School (1h) :
• Présentation de l'entreprise Factor FX, par François-Xavier GUIDET
• Présentation et retour d'expérience de la Manche Open School, par Mikaël REGO
• Retour d'expérience StopCovid50, par David KATANA
2- Site de Granville Digital (1h) :
• Présentation de Granville Digital, par Camille PILLAIS
• Visite de l'incubateur et rencontre avec les startups incubés
Soirée
Nicole ORANGE : Intelligence artificielle, la Normandie cherche un algorithme gagnant - Rapport du CESER de Normandie (Mars 2019)
Mardi 29 septembre
Matin
PERSPECTIVES SOCIO-ÉTHIQUES (I)
Le travail humain en contexte de numérique ubiquitaire
François PICHAULT : Anticiper les compétences nécessaires à l'ère de l'IA : retour sur une démarche méthodologique au sein du groupe Orange
Le facteur humain est-il soluble dans le Numérique ?, dialogue entre Yohan AMSTERDAMER (RATP) et Fatie TOKO (La Poste)
Jean-Philippe MOREUX : Les angles mort du numérique : le cas de la BNF
Après-midi
PERSPECTIVES SOCIO-POLITIQUES (II)
Numérisation des espaces publics
Hubert GUILLAUD : Ce que le tableau Excel fait au monde
Espaces publics et dispositifs d'identification numériques, atelier organisé par La Fabrique de la Cité, avec Emmanuel LÉGER (CEO de Cyclope.ai) [visioconférence], Myrtille PICAUD (La sécurité numérique des villes : un marché ?) et Félix TRÉGUER (La ville sous surveillance algorithmique)
Raphaël LANGUILLON : Économie politique du déploiement urbain du numérique [visioconférence]
Soirée
PERSPECTIVES ESTHÉTIQUES (III)
Atelier 2 de DisNovation, animé par Nicolas MAIGRET et Maria ROSZKOWSKA
Mercredi 30 septembre
Matin
PERSPECTIVES SOCIO-ÉTHIQUES (II)
Muriel BARNÉOUD : La Poste et les dilemmes d'un praticien de l'éthique numérique, avec la participation de Laure CASTELLAZZI (Fondation "Femmes@Numérique") [visioconférence]
Les algorithmes sont-ils bons pour la santé ?
Philippe AUBERT : Communiquer par logiciel pour des personnes n'ayant pas l'usage de la parole [enregistrement vidéo en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]
Après-midi
La santé numérisée : l'illusion de mise sous contrôle seulement par les droits individuels, table ronde animée par Jean-Louis BANCEL, avec Roxane ADLE AIGUIER (Les enjeux éthiques de la santé numérique) et Margo BERNELIN (Les données de santé : une protection illusoire ?)
Présentation et discussion du manifeste des doctorants et doctorantes, animée par Sylvain ALLEMAND, avec Angelica CECCATO, Roch DELANNAY et Kenza GHARBI
Jeudi 1er octobre
Matin
SÉANCE CONCLUSIVE
• Synthèse, par Yves CITTON & Francis JUTAND
• Enseignements recueillis sur les problèmes présentés par les entreprises, par Olivier LECOINTE
• Table ronde, organisée avec Fabrice JEANNE (Conseil départemental de la Manche) et animée par Sylvain ALLEMAND
Après-midi
DÉPARTS
PRESSE / MÉDIAS :
• "Les angles morts du numérique", entretien avec Yves CITTON (co-directeur du colloque) réalisé par Sylvain ALLEMAND [en ligne sur le site L'EPA Paris-Saclay | 9 octobre 2020].
RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :
Sénamé Koffi AGBODJINOU : Épistémicides - Cosmogonies : computationnalités primitives
Il est soupçonné d'être l'origine de la crise actuelle. C'est l'animal le plus braconné au monde. Anciennement pourtant, dans certaines communautés africaines, de grands discours posés comme indépassables, le plaçaient au centre du Système du Monde : il servait ainsi en tant que concept à projeter des constructions complexes pour l'articulation harmonieuse de la structure sociale dans la structure naturelle. La figure du pangolin, glissé en Afrique d'une position de clé de voûte d'architecture de pensée vertueuse à vil objet de marché, informe singulièrement le poids des épistémicides dans la capitalocène avec le sujet nouveau du virus. S'il est admis que le libéralisme mondialisé fait le lit des crises sanitaires cette communication suggère que : pareillement pandémies, capitalisme et germes entretiennent l'un avec l'autre identité de méthode par l'incohérence insinuée dans les systèmes dont elles perturbent des structures organiques qu'elles soient biologiques ou socio-économiques. Mais que ce n'est pas tout encore du viral. Qu'immiscée, subreptice, colon, il se propose, le viral, plus stimulant encore à envisager dans le cyber-système industriel au travers justement le solutionnisme technologique débridé par la crise de la contagion. Voici désormais trois niveaux intriqués de virus à exorciser ! Peut-être par des cosmogonies nouvelles investies du défi d'enchasser idéalement biosphérique, social et technologique.
Sénamé Koffi Agbodjinou, Architecte et anthropologue, commissaire d'exposition, fondateur de L'Africaine d'architecture. Il est promoteur de la pensée néovernaculaire qu'il décline concrètement en tant qu'innovateur, designer, entrepreneur aux différentes échelles du produit, du bâtiment et de la ville. Il est le créateur de L'Africaine d'architecture, une plateforme de recherche et d'expérimentation sur les questions de l'architecture et de la ville africaines et des WoeLabs : réseau de tech-hubs togolais entièrement financé de lui, dont l'ambition est de "rendre tout le monde égal en face de la technologie" ! Avec sa communauté, il contribue à prototyper un Collectivisme Digital qui a permis de lancer la demi-douzaine de startups du Groupe HubCity. Sa vision prospective éclaire plusieurs conférences, institutions et grands groupes.
Yohan AMSTERDAMER
L'humain est-il soluble dans l'I.A. ? L'histoire des automatismes et des automations à la RATP n'est pas nouvelle, on peut la retracer dans un continuum qui va des aiguillages aux premiers systèmes d'aide à la conduite et au métro automatique. L'I.A. porte un potentiel qui nous interroge dans nos relations avec l'environnement et les outils du travail : s'agit-il d'un changement de degré ou de nature de cette collaboration homme/machine déjà ancienne ? En illustrant différents champs où nous utilisons l'I.A., nous tenterons de décrire comment nous traduisons de l'intelligence et de l'humain dans les systèmes de régulation du trafic RER, de traduction instantanée, de maintenance prédictive, de conduite autonome.
Yohan Amsterdamer est responsable du programme IA au sein du groupe RATP. Ingénieur diplômé des Mines de Paris, détenteur d'un master à l'ESSEC, il a débuté sa carrière dans l'ingénierie des transports où il a évolué en tant que responsable performance financière et opérationnelle, un poste transverse qui lui a permis d'acquérir une solide expérience en matière de gestion de projets et de conduite du changement. Il rejoint la RATP en août 2018 pour structurer et activer les leviers de l'IA au service de l'excellence opérationnelle et l'expérience client.
Philippe AUBERT : Communiquer par logiciel pour des personnes n'ayant pas l'usage de la parole
Il s'agit d'un retour et d'une analyse d'expériences, visant à illustrer et comprendre comment une personne vivant avec un handicap très conséquent s'est approprié des outils du numérique tout au long de sa vie.
Cette démarche m'a permis d'aller à la rencontre des autres, dans une démarche de négociation constante avec les nouvelles technologies, afin de maintenir sans cesse l'humain au centre de mes relations personnelles et professionnelles.
Il ne s'agit pas d'un témoignage, mais d'une analyse de l'usage des outils du numérique par une personne très dépendante, qui revendique un pouvoir d'agir toujours plus grand, nécessitant une alliance subtile entre solutions numériques et accompagnement humain.
Cette alliance repose donc sur un ensemble d'acteurs humains et non humains formant un réseau facilitant le développement de ce pouvoir d'agir.
En savoir plus : ragedexister.com
Muriel BARNÉOUD : La Poste et les dilemmes d'un praticien de l'éthique numérique
Les engagements de La Poste autour du "numérique inclusif" montre qu'elle adresse encore une grande partie de la population, qui a besoin d'être formée, d'avoir un accès spécifique au numérique… mais cette ambition pose question : quelles difficultés a-t-elle rencontré dans la mise en place de ce "numérique inclusif" et comment convaincre de sa légitimité ? Comment les a-t-elles surmontées ? Et aujourd'hui, quels sont les dilemmes en cours ? Quel statut mettre derrière cette "mission" ? Doit-on faire évoluer un engagement existant ? Invoquer un principe de mutabilité de nos missions ? Dans un autre registre, le Groupe s'interroge sur la meilleure façon de prendre des précautions sur le plan éthique lorsqu'elle lance une offre ou un service qui repose sur des outils numériques (son coffre-fort numérique mais aussi son service d'aide à la déclaration de revenus). Si le consentement des données du facteur avec son "factéo" a été rondement mené, quelles précautions prendre vis-à-vis des clients quand le service est "intermédié" par un facteur ?
Nommée Directrice de l'Engagement Sociétal du Groupe La Poste en 2016, Muriel Barnéoud porte la stratégie du Groupe La Poste en vue de favoriser un numérique éthique et responsable et d'accélérer les transitions climatiques. Elle a été Président Directeur Général de Docapost, filiale du Groupe La Poste spécialiste de la transition numérique et mobile des entreprises et des institutions de 2010 à 2017. Elle a occupé auparavant le poste de Directeur général adjoint du Courrier, en tant que directeur industriel. Elle y a notamment porté la modernisation de l'appareil industriel de traitement du courrier "Cap Qualité Courrier", un programme à forte composante informatique et numérique.
Côme BERBAIN : Numérisation : vers un nouveau partage de rôle entre humains et algorithmes ?
Les nouvelles possibilités offertes par le numérique questionnent la répartition des rôles entre humains et algorithmes : les algorithmes sont-ils au service des humains ou au contraire ont-ils besoin d'eux ou en sont-ils les donneurs d'ordres ? Quels services ne sont pas numérisables ? Quel apport de l'humain par rapport à la machine ? Nous illustrerons cette problématique par trois exemples :
• les réseaux sociaux qui, en faisant contribuer le citoyen à la création de contenus, ont permis à la fois un développement sans précédent de la liberté d'expression, mais aussi la multiplication des contenus haineux ou des fausses nouvelles. Quelles formes (automatique ou humaine) prend l'action des réseaux sociaux et quel contrôle démocratique est envisageable ?
• les efforts de numérisation et de modernisation de l'administration qui modifient à la fois la relation citoyen-administration (en simplifiant certaines démarches mais également en imposant de nouvelles obligations) et le rôle du fonctionnaire ;
• le développement des nouvelles mobilités : de l'automatisation des lignes de métro à l'ubérisation et au développement du véhicule autonome.
Côme Berbain est directeur de l'innovation du groupe RATP et directeur du programme Véhicule Autonome. Ingénieur du corps des mines, docteur en cryptographie, son parcours alterne entre entités privées (Orange, Trusted Logic) et publiques (ministère de la défense, ANSSI, Direction interministérielle du numérique) dans les domaines de la transformation numérique et de la cybersécurité. En 2017 et 2018, il est conseiller au cabinet du secrétaire d'État chargé du numérique où il porte les sujets de transformations numériques de l'État et de confiance numérique, avant de devenir Chief Technology Officer à la direction interministérielle du numérique en 2019. Il rejoint la RATP en novembre 2019.
Anaïs BERCK : Quand les arbres organiques vont à la rencontre de l'arbre binaire [Performance]
Wikipedia et Wikidata sont utilisés dans le monde entier pour entraîner des logiciels de compréhension linguistique. Les données sont accessibles et gratuites, les informations sont à jour et existent dans de nombreuses langues différentes. Lorsqu'un arbre organique recherche sa représentation dans ces bases de données, les structures de pouvoir contemporaines et anciennes deviennent douloureusement visibles. Le concept d'arbre, par exemple, que même les enfants peuvent facilement indiquer dans la vie physique, est un défi pour les programmeurs dans le monde numérique suite à la culture de classification qui régnait au XVIIIe siècle. Anaïs Berck donne la parole aux arbres, aux algorithmes et aux êtres humains. Leurs récits nous offrent une perspective critique sur le processus de création d'applications et logiciels dont nous nous servons tous les jours.
La plupart des algorithmes sont conçus et utilisés à des fins commerciales. On pourrait dire qu'ils sont des esclaves du système néolibéral. Si les algorithmes se libéraient et pourraient choisir eux-mêmes les tâches, quel choix feraient-ils ? Anaïs Berck offre une réponse spéculative à cette question. Le nom est un pseudonyme et représente une collaboration égale entre les personnes, les algorithmes et les arbres. Après tout, les arbres sont actuellement les êtres vivants qui, avec toutes leurs symbioses, peuvent offrir la solution la plus efficace à la crise climatique. Dans le travail d'Anaïs Berck, les algorithmes se montrent au-delà de leur interface et racontent d'une "voix nue" leurs histoires sur les techniques, les gens et les arbres. Il en résulte des expériences poétiques dadaïstes, qui sont également instructives.
Anaïs Berck (alias l'artiste An Mertens) est un nom de plume qui indique la collaboration égale entre un ou plusieurs êtres humains, algorithmes et arbres. Si les arbres faisaient enfin entendre leur voix, en tant qu'êtres supérieurs sur cette planète ? Et si les algorithmes pouvaient choisir les buts pour lesquels ils travaillent ? Une planète plus saine serait-elle alors une priorité ? Le travail d'Anaïs Berck est le résultat d'années de recherche artistique sur les algorithmes, le texte et l'identité des arbres. Cette recherche a eu lieu dans le cadre des organisations artistiques bruxelloises Constant, Fo.am, Pianofabriek et Algolit, un groupe de travail artistique sur le code et le texte F/LOSS qui se réunit chaque mois à Bruxelles. En combinant des outils sensuels et techniques, elle donne forme à des histoires qui vivent là où le physique et le virtuel se rencontrent.
Olivier BOSSON : Trois morts brutales [Conférence-Performance]
À propos de trois faits divers révélateurs des conditions de vie dans les flux
C'était finalement à des équipes d'ingénieurs qu'on avait confié la mission de faire fonctionner la société. C'était eux qui avaient dessiné ces scénarios à la gloire des flux, et, tablant sur les bienfaits qu'apporterait une abondance de circulations, de circuits, de canalisations, ils ont programmé le déploiement autonome infini des machines et des réseaux.
De mon côté, j'ai été marqué par trois morts brutales survenues au cours de ces dernières années : celle de Nodar Kumaritashvili, celle d'Elaine Herzberg, celle de Jérôme Laronze. Chacun de ces drames nous rappelle les limites des fictions type ingénierie réseau et de leurs promesses.
Yves CITTON : Angles morts et visibilité ubiquitaire
La numérisation du monde extrait et traite toujours davantage de "données" des interactions qui trament nos environnements humains et non-humain. Cette intervention inaugurale proposera un repérage général de quelques angles morts affectant cette promesse de visibilité ubiquitaire. Il s'agira d'abord d'en mesurer les ambivalences : certains d'entre eux limitent nos capacités d'agir individuelles et collectives, d'autres les protègent. Il s'agira ensuite d'en esquisser certains enjeux, qui traverseront les discussions de la semaine à venir.
Yves Citton est professeur de littérature et media à l'université Paris 8. Il est jusqu'en 2021 directeur exécutif de l'EUR ArTeC (Arts, Technologies, numérique, médiations humaines et Création). Il co-dirige la revue Multitudes et a publié récemment Générations Collapsonautes. Naviguer en temps d'effondrements (avec Jacopo Rasmi, 2020), Contre-courants politiques (2018), Médiarchie (2017), Pour une écologie de l'attention (2014), Zazirocratie (2011). Ses articles sont en accès libre sur yvescitton.net.
Fabrice FLIPO : L'enjeu de la sobriété numérique
La trajectoire du numérique n'est pas soutenable, c'est un fait ancien qui est désormais en passe d'être largement reconnu. De toutes parts s'élèvent des voix en faveur de la sobriété numérique. Mais qu'est-ce que la sobriété numérique ? L'intervention esquissera brièvement trois niveaux d'analyse : la trajectoire écologique du numérique, l'enjeu de la sobriété et la maîtrise des modes de vie. Elle se concluera sur une proposition de solution.
Francis JUTAND : Prospective des imaginaires : la métamorphose des idées, des valeurs et des esprits
La matière et les idées se succèdent et se construisent mutuellement comme causes premières alternatives et créatrices d'une spirale ascendante. Ce processus a pour ressorts essentiels l'imaginaire, la technologie et l'hubris qui créent un processus d'évolution, d'accumulation et de crise à résolution dialectique. Ce phénomène aboutit à chaque fois à une métamorphose de l'ensemble de la société humaine et crée un nouvel espace de recherche de sens et de spiritualité. L'imaginaire est une des caractéristiques avérées de l'être humain et fonctionne au niveau individuel et collectif comme une faculté de penser ce qui est hors de soi, dans le futur, le présent, le passé et l'ailleurs. Ce qui va nous intéresser là est l'imaginaire de l'avenir dans une période spéciale de l'humanité : la 4ème métamorphose, celle du numérique, et la mutation civilisationnelle qu'elle enclenche : le passage de la civilisation industrielle à la civilisation informationnelle. L'imaginaire collectif, ses fondements, ses composantes, ses mécanismes, constituent un des angles morts de la prospective du monde numérique vu comme une technologie ubiquitaire, une structuration nouvelle du monde, et un changement de cadre civilisationnel. L'objectif dans le cadre du colloque est d'éclairer, sous l'angle de l'imaginaire, les transformations en cours dans cet ensemble de mouvements en interaction, de la société, de l'économie et de l'écologie, des entreprises et de l’individu.
Raphaël LANGUILLON : Économie politique du déploiement urbain du numérique
Depuis 2005 et la première mention de l'idée d'une smart city par Bill Clinton, quinze ans se sont écoulés. Entre temps, les projets de smart city se sont multipliés dans des villes de tailles et de niveaux de développement différents : Barcelone, Songdo, Toronto, Medellin, Lyon, Yokohama, Singapour, Berlin, Nairobi, Shenzhen, Pune… Malgré sa large diffusion à la plupart des territoires urbains et la très grande diversité de ses déclinaisons, la smart city continue d'être évoquée au singulier. Sans doute cette vision homogène découle-t-elle des approches génériques qui caractérisent, à l'origine, sa formalisation par les grands groupes américains de la tech. Pourtant, la circulation globale de la smart city ne peut faire l'économie du constat de son adaptation à des contextes très variés : au regard des expérimentations indiennes, japonaises, européennes, sud-coréennes, ou africaines, la smart city n'est pas une évidence, tant se sont hybridées et mélangées ses multiples interprétations nationales et locales. La spécificité des enjeux de la smart city propre à chaque ville n'est que très rarement discutée. La diffusion globale du modèle pose pourtant de très nombreuses questions. Comment a-t-il émergé ? Pourquoi est-il apparu quasi simultanément en des lieux très différents et très éloignés les uns des autres ? Comment s'inscrit-il dans une histoire longue de la fabrique des espaces urbains, et dans l'économie politique des révolutions industrielles ? Urbanisation et industrialisation allant de pair, la smart city serait alors le dernier né des relations complexes entre régimes capitalistiques et dynamiques d'urbanisation. La présentation s'attachera dès lors à comprendre en quoi la smart city est d'abord un processus politique inscrit dans le temps long de l'histoire des transformations urbaines avant d'être un objet technologique du temps court des innovations du numérique.
Raphaël Languillon est enseignant-chercheur de l'université de Genève et chargé d'études senior de La Fabrique de la Cité. Normalien, agrégé, docteur de géographie et aménagement, il s'intéresse aux transformations urbaines contemporaines, comme les smart cities, le vieillissement des villes, ou les grands événements urbains (à l'image des Jeux olympiques et paralympiques), en particulier en Asie orientale et en Europe de l'ouest.
Alban LEVEAU-VALLIER : Le projet d'intelligence artificielle et la notion d'intuition
En postulant que tous les aspects de l'intelligence sont descriptibles (Dartmouth, 1955-56), le projet d'IA se place à son insu dans l'impasse décrite par Kant selon laquelle il nous est impossible de postuler à la fois le principe de causalité (qui fonde la possibilité de l'explication) et l'existence de la liberté. Avec cette hypothèse, les chercheurs mettent hors de leur portée les phénomènes de pensées impliquant la liberté (comme l'interprétation, l'invention ou le choix) et se condamnent à revivre la même déception scientifique à chaque exploit technique : les machines effectuent des méthodes de plus en plus complexes mais échouent toujours à "décrire" l'intelligence qui les invente ("théorème de Tesler"). Les succès techniques du projet d'IA invitent donc à reconsidérer ses hypothèses scientifiques, ce que nous ferons en menant une réflexion sur le hasard et l'intuition.
Alban Leveau-Vallier prépare un doctorat sur l'intelligence artificielle et l'intuition à l'université Paris 8, sous la direction de Pierre Cassou-Noguès. Il enseigne à Sciences Po Paris.
Manon MÉNARD : Culture des singularités et "accessibilité" numérique : paradoxes d'une conception globalisante
Alors que les singularités des personnes en situation de handicap soulignent la difficulté, pour un individu, de construire une relation avec un système dominant et normatif, les enjeux d'accessibilité numérique possèdent leurs propres normes (WCAG 2.0, WCAG 2.1, RGAA, etc.) selon lesquelles ces populations sont ou non en capacité de participer au développement des technologies numériques de façon autonome. En s'attachant principalement à concevoir des interfaces "adaptées", l'accessibilité se focalise sur des problématiques physiologiques et biologiques propres à l'encapacitation des individus, pour lesquelles sont sollicitées des réponses techniques et fonctionnelles. En agissant comme tel, les acteurs du numérique mettent en évidence une politique d'adaptabilité dans laquelle les représentations sociales du handicap s'expriment encore par le prisme du validisme, c'est-à-dire le fait de considérer une personne en pleine possession de ses capacités physiques et psychologiques comme la norme sociale. Envisager l'accessibilité numérique par une culture des singularités permettrait au contraire de dépasser la perception du handicap comme un manque à combler, où perdure la dichotomie du corps et de l'esprit et de la personne à réparer et à appareiller. Dans cette quête vers l'individu comme sujet autonome, il convient de s'interroger sur les processus de conception des appareils numériques et leurs pratiques à l'égard du modèle social du handicap (disability studies). De l'inclusive design à des programmes d'intelligence artificielle, il s'agit en outre d'explorer comment deux cultures plaidoyant pour l'émancipation de l'individu affectent simultanément le lien social et notre relation à l'autre.
Manon Ménard est doctorante en Design au sein du laboratoire PROJEKT (EA 7447), sous la direction de Michela Deni (PR en Sémiotique, Université de Nîmes) et le co-encadrement d'Anthony Masure (Directeur de la recherche à la HEAD, Genève). Il s'agit d'un contrat doctoral financé par une bourse ANR NCU dans le cadre du projet Aspie-friendly. La thèse en cours porte sur les enjeux du design dans l'accompagnement social et pédagogique des personnes avec Troubles du Spectre Autistique (TSA) dans l'enseignement supérieur. La recherche-projet a pour objectif d'interroger les principes de l'inclusion pédagogique au regard des problématiques culturelles et sociales des personnes TSA. Manon Ménard est également doctorante associée du laboratoire LLA-CRÉATIS (EA 4152) et est chargée d'enseignement en Licence Design, Prospective et Société à l'université Toulouse - Jean Jaurès.
Nicole ORANGE : Intelligence artificielle, la Normandie cherche un algorithme gagnant - Rapport du CESER de Normandie (Mars 2019)
L'intelligence artificielle n’est pas née du XXIe siècle, mais l'explosion des données, la puissance de calcul des ordinateurs et la masse de données collectées en ont accéléré l'essor. Alors que les GAFAM américains affrontent les BATX chinois, on peut se demander quelle est la place de la Normandie dans ce combat géopolitique. La région a pourtant bel et bien son rôle à jouer autour de ses entreprises, de ses laboratoires et de son écosystème de financement et d'accompagnement. L'ensemble des politiques régionales sont touchées par l'IA : formation, transports, développement économique, aménagement du territoire. Cette réalité doit amener le Conseil Régional à considérer qu'il doit adapter son organisation interne pour répondre aux besoins nouveaux.
Nicole Orange, Professeur des Universités à l'université de Rouen, Présidente de la commission Recherche, Innovation et Coopération au CESER de Normandie. Chercheur en Sciences Biologiques, Nicole Orange a activement participé à la structuration de la recherche en Normandie, notamment par la mise en place des réseaux de Recherche d'Intérêt Normand. Très sensible à la richesse des connaissances issues de la transversalité des domaines de recherche, l'importance de l'IA est un des sujets mis en avant dans ses recherches pour explorer la complexité des systèmes biologiques appliqués à la santé, au travers de l'analyse d'un grand nombre de données.
Bibliographie récente sur Researchgate Nicole Orange
Ernesto OROZA : Within the Revolution, Everything
This lecture deals with popular digital practices that update, or "crack", the cultural politics of the Cuban Revolution. To this end, I analyze three vernacular and unregulated computing protocols that have spread across the island since the first decade of the 2000s, and which are articulated as ways of making based on practices that are collectivist, anti-monopoly, and of cultural resistance, and technological disobedience:
1- SNet (Street Net), or RoG (Red of Gamers) : a system of Local Area Networks (LAN), developed by teenagers in order to game in their neighborhoods, which became an enormous, wireless urban intranet. SNet was self-sustaining and independent until it was absorbed by the state in 2020.
2- El Paquete Semanal/The Weekly Package : a system of distribution, on a national scale, for a terabyte of pirated digital content. External hard drives are used for distribution ; these contain series, movies, soap operas, documentaries, music, videoclips, reality shows, memes, comics, animated films, software, apps, antivirus software, language courses, magazines in PDF format, and ads.
3- Revolico/The Lists : a webpage for classified ads that reorganized and proposed a new use for "the lists" (text-based documents [spreadsheets] created by workers, containing information for buying, selling, and trading products, which circulate over the state’s intranets). Revolico has an online version and an offline version, which is updated and distributed by the matrices of The Weekly Package.
Cette conférence aborde les pratiques numériques populaires qui actualisent — ou "craquent" — la politique culturelle de la Révolution cubaine. À cette fin, j'analyse trois protocoles informatiques vernaculaires et non réglementés qui se sont répandus dans l'île depuis la première décennie des années 2000, et qui s'articulent comme des façons de faire fondées sur des pratiques collectivistes, anti-monopoles et de résistance culturelle et de désobéissance technologique.
1- SNet (Street Net), ou RoG (Red of Gamers) : un système de réseaux locaux (LAN), développé par des adolescents pour jouer dans leur quartier, qui est devenu un énorme intranet urbain sans fil. Le SNet était autonome et indépendant jusqu'à ce qu'il soit absorbé par l'État en 2020.
2- El Paquete Semanal/The Weekly Package : un système de distribution, à l'échelle nationale, d'un téraoctet de contenu numérique piraté. Des disques durs externes sont utilisés pour la distribution ; ils contiennent des séries, des films, des feuilletons, des documentaires, de la musique, des clips vidéo, des émissions de télé-réalité, des mèmes, des bandes dessinées, des films d'animation, des logiciels, des applications, des logiciels antivirus, des cours de langues, des magazines au format PDF et des publicités.
3- Revolico/The Lists : une page web pour les petites annonces qui a réorganisé et proposé une nouvelle utilisation pour "les listes" (documents textuels [feuilles de calcul] créés par les travailleurs, contenant des informations pour l'achat, la vente et le commerce de produits, qui circulent sur les intranets de l'État). Revolico a une version en ligne et une version hors ligne, qui est mise à jour et distribuée par les matrices du "Weekly Package".
Designer, chercheur, responsable du 3e cycle Design et recherche à l'École Supérieure d'art et de design de Saint-Étienne, directeur éditorial d'Azimuts, Ernesto Oroza s’est intéressé aux architectures de la nécessité, à la désobéissance technologique et autres sujets qui relient design et société en temps de crise économique et politique. Il produit et distribue des modèles spéculatifs et des recherches par le biais de diverses méthodes de publication, expositions, pratiques de collaboration, documentaires et incursions peu orthodoxes en architecture, design d'intérieur et objet. Son travail a été présenté au Museum of Modern Art de New York, au Musée Groninger, Pays-Bas ; au LABoral Centro de Arte y Creación Industrial, Espagne ; au Musée des beaux-arts de Montréal ; au Museo Rufino Tamayo, Mexico ; à l'Institut de Culture La Virreina, Barcelone. Il a participé à deux reprises à la Biennale internationale du design de Saint-Étienne et a reçu des bourses de la Fondation Guggenheim, de la Fondation Christoph Merian, Bâle, Suisse, du Centre danois pour le développement culturel et de la Fondation Ludwig.
Samuel SZONIECKY : Intelligences végétales
Depuis les premières interfaces graphiques, nous utilisons des analogies pour manipuler les informations. Par exemple, nous travaillons avec nos ordinateurs de la même manière que nous le faisons quand nous sommes à notre bureau entouré de dossiers et de documents. Cette analogie bureautique qui fait de l'information une matière quasi inerte, crée de nombreux angles morts face aux flux continus d'information qui se métamorphosent sans cesse. Le bureau n'est plus aussi éclairant quand l'information est vivante, que sa gestion devient collective et qu'elle ambitionne le développement d'une intelligence collective et réflexive. Nous proposons d'explorer une autre analogie de design des connaissances qui trouve dans les végétaux le modèle d'une intelligence complexe mais accessible car basé sur une expérience simple du vivant : une graine pousse ici et maintenant vers les nuages suivant une arborescence documentaire et vers l'intériorité d'un espace conceptuel commun suivant des rhizomes intuitifs.
Après des recherches en histoire de l'art, Samuel Szoniecky est devenu ingénieur informatique, chef de projet et créateur d'entreprise. Depuis 2006, il oriente son travail vers la recherche et l'enseignement à l'université Paris 8 où il est maître de conférences en sciences de l'information et de la communication. Il explore des méthodes de design des connaissances pour le développement d'une intelligence collective centrée sur la stimulation, l'expression et le partage des intelligences individuelles.
Publications
Szoniecky S., Écosystème de connaissances : méthode de modélisation et d'analyse de l'information et de la communication, ISTE Éditions, 2017.
Szoniecky S. & Bouhaï N., Intelligence collective et archives numériques, Systèmes d'information, web et société, ISTE Éditions, 2017.
Justinien TRIBILLON : Les villes
Si certaines villes sont intelligentes, c'est bien que d'autres sont stupides, non ? Voire sales, crasseuses. Smart en anglais, c'est l'intelligence intellectuelle, c'est aussi l'élégance, la classe. La lourdeur et la vacuité du concept de smart city n'a pas empêché son succès. Il caresse entrepreneur, maire, technocrate, dans le sens du poil en jouant sur le fantasme inavoué de l'édile démiurge soutenu par l'ingénieur omniscient — on effleure sa tablette et le CO2 diminue ; une manette abaissée, fini les embouteillages ; double-clic sur son écran, la criminalité disparue. Gouverner devient ludique, pratique, et puis c'est automatique. Les questions éthiques disparaissent dans la boîte noire des infrastructures, dans des lignes de codes que personne ne comprend de toute façon. Vidéos de promotions, applications, renders se nourrissent au biberon des codes de la science-fiction… en oubliant qu'Asimov, Orwell ou Bradbury décrivaient des dystopies. La critique de la smart city n'est pas forcément anti-technologique, mais elle permet d'interroger ces "angles morts" et de repenser le rôle du "numérique" dans la ville, pour plus de démocratie, d'inclusivité. Bref, d'intelligence.
Justinien Tribillon est urbaniste et sociologue. Doctorant et enseignant à University College London, il est également co-fondateur et co-rédacteur en chef de la revue Migrant Journal. En tant qu'écrivain et critique d'architecture, il a écrit pour The Guardian, The Architectural Review, MONU.
Site internet : tribillon.com
Espaces publics et dispositifs d'identification numériques, atelier organisé par La Fabrique de la Cité, avec Emmanuel LÉGER (CEO de Cyclope.ai) et Myrtille PICAUD (chercheuse, Centre d'études européennes et de politique comparée [CEE] et Centre européen de sociologie et de science politique [CESSP]) — Grand témoin : Marta REVUELTA (sous réserve)
Alors que la Chine déploie son dispositif de surveillance de masse des populations via la reconnaissance faciale qui couple vidéo et intelligence artificielle, d'autres régions du monde tentent de légiférer sur la captation de données biométriques au sein des espaces publics — ou des espaces ouverts au public. C'est le cas de l'Union européenne, dont le Règlement Général de Protection des Données (RGPD) confère aux habitants un cadre juridique solide sur la protection de leurs données personnelles.
Point besoin toutefois de passer par les données biométriques pour surveiller les citoyens. Singapour inaugure ainsi en 2020 un système de péage urbain satellitaire, qui permet de suivre tout véhicule à tout moment de la journée et de lui imposer une tarification dynamique de son usage de la route et de ses accès à certains espaces urbains. En Europe, des start up développent des applications variées aux dispositifs ayant recours à l'intelligence artificielle et à la vidéo, comme par exemple Cyclope, hébergée par Léonard, l'incubateur du groupe VINCI SA, qui met au point un système de reconnaissance des véhicules. Bien que ne tombant pas sous le coup de la juridiction sur les données biométriques, ces dispositifs ultraperformants d'un genre nouveau posent la question du déploiement quasi ubiquitaire de l'intelligence artificielle à des fins de surveillance de masse de l'espace — espaces publics, routes, infrastructures privées…
Le recours à la reconnaissance numérique (vidéo, satellitaire, audio…) des individus et des objets est-il un progrès souhaitable ou une dérive autoritaire ? Si le questionnement donne l'impression d'une alternative binaire manichéenne, les termes du débat sont bien plus complexes et subtils. Afin de contribuer à structurer l'horizon politique et éthique du déploiement spatial de l'intelligence artificielle, La Fabrique de la Cité convit les membres du Cercles des Partenaires de Cerisy à un atelier de réflexion et d'échange sur les dispositifs d'identification numériques.
Emmanuel LEGER
Emmanuel Léger bénéficie de 15 années d'expériences dans le développement de start-ups et la croissance de projets innovants à forte composante technologique. Après 10 ans au sein du Groupe Total, au cours desquels il lance Awango, spin-off dédiée aux énergies renouvelables dans les pays émergents, il part co-fonder Westwing France, plateforme de E-commerce lancée par Rocket Internet. Il prend ensuite la direction de Datacity, programme de Data Innovation monté par le NUMA, incubateur spécialisée dans la transformation digitale, et la Ville de Paris. Diplômé d'HEC Paris et fort de ses expériences entrepreneuriales, il est passionné par les enjeux autour de la mobilité intelligente et son impact sur la ville.
Présentation de Cyclope.ai
Cyclope.ai est une entreprise de haute technologie, spécialisée en Intelligence Artificielle appliquée au traitement d'image et à l'analyse vidéo. Elle conçoit, développe et commercialise des logiciels d'IA dédiés aux exploitants d'infrastructures routières et gestionnaires de trafic. Elle met les dernières technologies de Computer Vision et Deep Learning au service des défis quotidiens de la gestion des routes, pour apporter un support à une échelle industrielle en rendant "intelligentes" les centaines de caméras déjà installées sur le réseau [Soutenue par le groupe VINCI, leader mondial de la gestion d'infrastructures, elle a pour mission de propulser les routes vers la mobilité de demain, pour en faire un lieu plus sécurisé et mieux partagé, plus fluide et plus durable].
En savoir plus : cyclope.ai/fr/
Myrtille PICAUD
Après avoir travaillé sur les enjeux artistiques et urbains de la transformation des scènes musicales à Paris et Berlin dans sa thèse de sociologie, Myrtille Picaud s'est intéressée aux politiques de sécurité concernant les événements musicaux, notamment les festivals de musique. Elle enquête aujourd'hui sur le développement de dispositifs numériques destinés aux espaces urbains, à la fois dans le domaine général de la "smart city", mais aussi de la sécurité des espaces publics. Elle examine la construction de ce marché en France et ses implications pour la gestion et les usages de l'espace par les individus
SOUTIENS :
• École universitaire de recherche ArTeC | Université Paris-Lumières (UPL)
• Haute école d'art et de design - Genève (HEAD)
• Université de Paris 8 | Vincennes - Saint-Denis