Rapport d'étonnement

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"CERISY FACE AUX TECHNOLOGIES "ZOMBIES""

PAR PHILIPPINE COUTAU ET CYRIL MONETTE


Du mercredi 30 août au mardi 6 septembre, s'est tenu le colloque Où sont les technologies d'avenir ? De Simondon à la science-fiction sous la direction de Vincent Bontems, Christian Fauré et Roland Lehoucq. Deux étudiants de la Fondation suisse d'études avec laquelle le CCIC a engagé un partenariat, Philippine Coutau (Bachelor d'arts et sciences tourné vers les sciences environnementales et les beaux-arts) et Cyril Monette (doctorant en biorobotique), nous ont adressé leurs impressions et interprétations à la fois sur les travaux du colloque et sur les modalités de vivre et de penser à Cerisy.

Dai Li, Vincent Bontems, Pierre-Marie Pouget, Philippine Coutau,
Jacques Jacot, Cyril Monette, Cléo Collomb, Élie Chevignard


Philippine COUTAU : Une autre façon de comprendre notre relation au monde

Cette semaine passée à Cerisy a démontré avant toute chose les bienfaits d'imaginer d'autres réalités potentielles. Dans un monde fragmenté, où tout va à une vitesse folle, où la précarité croît en parallèle avec la croissance économique, où le "progrès" repose sur de gigantesques émissions de CO2, quand trouvons-nous le temps de ralentir ? C'est pourquoi j'ai adoré toutes ces présentations et débats qui m'ont fait entrevoir une autre façon de comprendre notre relation au monde, malgré des termes techniques parfois difficiles à suivre.

Se rapprocher de la science-fiction, redéfinir les méthodologies philosophiques et les appliquer sur le terrain, retracer les généalogies d'objets techniques, interroger l'héritage, le terroir, pour réactualiser le présent, "déprojetiser", sont des idées qui permettent d'élargir nos imaginaires. À Cerisy, je n'ai plus eu l'impression que le progrès était exponentiel, mais qu'il grouillait dans plusieurs domaines se recoupant pour former une vision d'un monde rempli de technologies à "soutenabilité forte", prenant en compte des ontologies diverses.

Face au changement climatique et à un monde qui se "zombifie", l'envie de se terrer dans un bunker semble plus forte que celle d'agir. Cependant, il souffle un joli vent d'espoir quand on est encouragé à s'affranchir des normes en place et à créer une nouvelle diversité de valeurs épistémiques et d'actions, inscrites dans des réalités potentielles. Alors, je me dis en écoutant les différents participants que peut être nous ne fonçons pas droit dans le mur et qu'il reste une chance d'articuler de nouveaux futurs.

Les comportements émergents résultent d'actions collectives, et je quitte Cerisy en pensant qu'il faudrait enseigner dès le plus jeune âge à penser différemment, ensemble, avec, et que tous les obstacles des situations limites peuvent être surmontés. Si l'on parvient à combiner éducation et imaginations débridées, à déconstruire la compétitivité pour apprendre à écouter et dialoguer, peut-être parviendrons-nous à construire collectivement les technologies d'une humanité résiliente.

Enfin, ce furent de très belles journées passées à échanger et à apprendre, à prendre le temps de comprendre grâce à de longues conversations hors de la bibliothèque (et grâce à la gentillesse des intervenants qui prenaient le temps de m'expliquer certaines de leurs idées !). Je vous remercie donc encore mille fois pour ces heures passées à réfléchir à d'autres futurs !


Cyril MONETTE : Du tissage intime de la technologie aux sociétés…

Ce colloque a su pertinemment traiter de la question technologique et de son tissage intime aux questions de société sous-jacentes. C'est donc ce tissage que je vais mettre en lumière en synthétisant les propositions faites en ajoutant quelques pistes de réflexion peu abordées.

Comme l'a présenté José Halloy, le problème est assez simple : comment équilibrer un système Terre dont l'entrée est l'énergie solaire et la sortie la somme d'autres flux (matériels, thermiques, etc.) qui régissent nos environnements, mais aussi nos existences (il faut bien manger…). Autrement dit, à quel point voulons-nous altérer l'entropie de notre environnement avec une quantité finie d'énergie (énergie fossile ou nucléaire pour en nommer deux) et l'apport constant dont nous jouissons grâce au soleil ?

À mesure que le stock s'épuise, on se rend compte de notre dépendance à cette abondance énergétique, dont la meilleure traduction est la traduction démographique (+300% dans ce dernier siècle). Nous sommes donc face à un problème de sevrage. C'est précisément cette question qui a été traitée par Jean-Hugues Barthélémy et Ludovic Duhem avec le concept d'écotechnologies, ou par les “Right techs” de Vincent Bontems, ou encore les "Middle techs" de Victor Petit. Leur point commun est le dépassement des oppositions faciles entre high tech et low tech, technique et nature, technosolutionnisme et écologisme technophobe. Ce sont des approches analytiquement pertinentes dans le sens où elles prennent en compte notre dépendance aux énergies fossiles tout en étant conscient de l'aspect transitoire de ces réserves. Il s'agit en effet de mettre en place des technologies à soutenabilité faible (c'est à dire non-utilisables à très long terme) qui nous permettront de concevoir des technologies à soutenabilité forte développées entre temps.

Cependant, comme l'a rappelé Anaïs Nony, le savoir seul ne suffira pas à résoudre tous nos maux et une implémentation relève d'autres compétences que de la technique. Il est clair qu'un changement de trajectoire technologique doit s'accompagner d'une "réforme" de la culture technique sous-jacente, par une approche patrimoniale comme l'a proposé Florence Hachez-Leroy ou encore par la valorisation de la notion de terroir technique, comme Élie Chevignard l'a illustré au travers de l'industrie horlogère jurassienne. Il me semble possible d'élargir cette notion de terroir technique pour non seulement relater des arcs technologiques du passé, mais aussi envisager ceux qui sont à venir et, notamment, avec les idées de Philippe Bihouix de redistribution de certaines industries technologiques directement au sein des territoires.

Ce changement de culture doit s'ancrer autour d'une réappropriation des technologies : si on ne comprend pas facilement une technologie, alors il y a de grandes chances qu'elle soit "zombie", c'est à dire qu'elle repose sur des sources d'énergie qui n'existeront plus dans 100 ans. Ce regard critique me semble être une priorité : il s'agit d'une pièce de Mikado qui ne fait pas s'effondrer les autres (le système) et permet de préparer le paysage socio-culturel à une transition des pratiques et habitudes. Et ce sont des lieux de réparations, comme des Hackerspaces, FabLabs ou encore des Repairs Cafés qui joueront un rôle majeur.

Je terminerai par mentionner une approche qui n'a que très peu été considérée, si ce n'est par Edith Heurgon en mentionnant le colloque Le renouveau du sauvage de fin juin 2023, qui consiste à considérer les questions spirituelles pour ancrer cette culture éco-technologique. Le concept d'écotechnologies vise à dépasser l'opposition nature/culture, mais il est difficile de parler d'ancrage culturel des technologies — en interaction obligatoire avec l'environnement naturel — en balayant de la main la question de la spiritualité, quelle qu'elle soit d'ailleurs. Un colloque sur nos horizons de "spiritualités éco-technologiques” n'aurait-il pas tout son sens pour combler ce manque de sens dont souffrent les jeunes ingénieurs ?