"UN COLLOQUE DE CERISY AUTOUR DE SON ŒUVRE"
RENCONTRE AVEC LEÏLA SEBBAR
Du lundi 2 au dimanche 8 août 2021, se déroulait le colloque Leïla Sebbar. D’une rive l’autre, croiser l’intime et le politique. Leïla Sebbar, l'auteure de Mon père, du Ravin de la femme sauvage ou encore de Shérazade, a bien voulu répondre à nos questions sur la manière dont elle a vécu toute cette semaine au milieu de personnes venues parler de son œuvre et de son parcours, de surcroît dans le cadre si singulier que l'on sait.
Comment appréhendiez-vous la perspective d'un colloque consacré à votre œuvre, autrement dit le fait de passer toute une semaine à entendre des intervenants interpréter vos écrits et votre parcours ?
Leïla Sebbar : Je trouvais qu'une semaine, cela risquait d'être un peu long (sourire). Moi, je suis plutôt encline à fuir les mondanités. Bien sûr, la perspective de revenir à Cerisy me plaisait. D'un autre côté, je me suis dit que la Covid pouvait empêcher la tenue du colloque et que, s'il devait en être ainsi, ce serait tout aussi bien ! (Rire)
Ces hésitations ne vous ont pas empêchée de vous montrer particulièrement disponible à l'égard des deux co-directeurs, Aline Bergé et Sofiane Laghouati. Tout en leur laissant une totale liberté, vous les avez accompagnés, y compris pour le montage d'une exposition…
L. S. : Oui et ce avec d'autant plus de plaisir qu'il y avait entre nous une estime et une confiance réciproques. La préparation n'en a été que plus agréable et m'aura motivée à venir. J'étais en particulier curieuse de savoir ce que Sofiane allait bien pouvoir faire avec tous ces petits objets personnels (broches, figurines, cartes postales…) que j'ai collectionnés et que j'ai mis à disposition à sa demande, en plus de manuscrits.
Et finalement, arrivée au terme de ce colloque, quelles sont vos impressions ?
L. S. : L'exposition "Ce qui se trame : sur le métier de Leïla Sebbar" m'a particulièrement surprise. Je mesure à quel point cela a été un difficile numéro d'équilibrisme. Sofiane l'a réussi et je lui en suis reconnaissante. Son exposition a aussi permis de tisser des liens avec le Foyer de création et d'échanges qui se tenait en parallèle — elle aura notamment inspiré à l'une de ses participantes, Jacqueline, un appel à textes à rédiger à partir d'un des objets exposés, au choix ; il en a résulté une dizaine de textes qui ont ensuite été lus à l'occasion de la dernière soirée du colloque. Quant au fait que l'on n'ait cessé de parler de moi, de me nommer, je n'en ai pas été gênée plus que cela car, au fond, j'avais l'impression que c'est de quelqu'un d'autre dont on parlait…
… au sens où vous ne vous reconnaissiez pas dans ce qui était dit de vous, de vos écrits ?
L. S. : Non, la personne dont on parlait, c'était bien moi de toute évidence. Mais j'ai eu le sentiment de découvrir mes écrits sous un autre jour. Certes, il est encore trop tôt pour tirer des enseignements de ce colloque. Je n'ai pas assez de recul. Mais d'ores et déjà, je peux dire que j'ai découvert un certain nombre d'éléments auxquels je n'avais pas pensé. Et je trouve cela intéressant car cela donne de la profondeur à un travail qui est probablement singulier et que je ne pensais pas susceptible d'intéresser des personnes aussi différentes.
Encore un mot sur l'exposition qui me semble avoir bien résumé l'esprit du colloque et son titre, "D'une rive l'autre, croiser l'intime et le politique". Elle nous faisait entrer dans votre intimité à travers des objets que vous collectionnez, mais en les articulant à des écrits relatifs à des engagements politiques… Est-ce ainsi que vous l'avez reçue ?
L. S. : Pas exactement. Je n'ai pas perçu ce lien immédiat entre intime et politique. J'ai davantage vu le lien entre objet, pratique de la collection, fétichisme sans oublier l'écriture que je considère comme une pratique fétichiste… Du moins quand elle vire, comme chez moi, à l'obsession !
Un moment m'a particulièrement touché : c'est l’échange de haute volée entre deux jeunes femmes, l'une française (Manon Paillot) intervenue sur le thème "Leïla Sebbar au miroir d'Isabelle l'Algérien", l'autre gallo-néerlandaise (Rebekah Vince) qui présidait la séance ; et vous, assise au premier rang les écoutant avec attention. On imagine le bonheur que cela a dû être pour vous de voir ainsi votre œuvre traverser les générations…
L. S. : Comment ne pas éprouver du plaisir, en effet ? Forcément, c'est gratifiant de voir deux intellectuelles, qui pourraient être mes filles, s'intéresser à ce que j'écris et en parler avec autant d'intelligence, de pertinence et de sensibilité.
Un autre moment m'a intéressé, c'est celui où Aline Bergé s'est employée à montrer combien votre œuvre, l'air de rien, avait à voir avec l'éco-critique et en quoi elle pouvait donc être convoquée pour instruire la défense et illustration de nouveaux rapports des humains au vivant non humain…
L. S. : Cela m'a aussi intéressée. Je n'ai pas pour habitude de renier ce que j'ai écrit, mais suite à cette intervention, j'aimerais relire quelques-uns des textes qu'elle a cités, ceux où il est question justement du rapport à la terre, au jardin. Car si ces textes peuvent s'inscrire dans la veine de l'éco-critique, je n'en avais pas conscience jusqu'alors. Il n'y a pas eu de ma part de claire volonté d'écrire ceci ou cela pour afficher une inscription dans ce qu'il est convenu d'appeler plus généralement l'éco-littérature.
Je trouve amusant d'ailleurs de voir que la dernière diapositive projetée à ce colloque ait donné à voir la couverture du Ravin de la femme sauvage : on y voit notamment tout un espace de verdure…
L. S. : Ce ravin de la femme sauvage est d'abord le nom d'un quartier d'Alger. Enfant et adolescente, j'en entendais souvent parler. L'école du Clos-Salembier dont mon père fut directeur, s'y trouvait. La formule m'a toujours paru mystérieuse, énigmatique. Bien plus tard, elle me revint en mémoire dans des circonstances particulières : c'était à l'occasion d'une exposition organisée en 2020 par le musée Jacquemart-André sur des peintres et la Méditerranée. J'appris ainsi que Renoir avait séjourné à Alger et qu'il y a peint notamment un petit tableau : on peut y voir des plantes exotiques, dans un fond verdoyant. Ce n'est autre qu'une représentation du ravin de la femme sauvage !
Ce colloque aurait-il pu avoir lieu ailleurs ? En quoi le cadre de Cerisy, avec son château et son parc, a contribué à sa réussite ?
L. S. : A-t-il contribué à la réussite du colloque, je ne saurais le dire. En revanche, une chose est sûre : Cerisy est un lieu d'exception. Les colloques, a fortiori quand ils sont universitaires, se déroulent rarement dans un tel cadre, un château, avec un jardin arboré, propice à des promenades. Quand je participe à un colloque, je ne peux prétendre exiger de pouvoir jouir d'un tel environnement ! (Rire)
Je ne résiste pas à l'envie d'évoquer l'anagramme que vous m'avez inspirée, car ce jeu littéraire a à voir avec ce sens de l'observation dont au cours de la dernière matinée on vous a caractérisé : "Et Leïla Sebbar et Cerisy" qui donne "S'y écrit et relie sa Babel". Fait-elle sens pour vous ?
L. S. : Oui. Je prends ! J'aime le principe de l'anagramme, car c'est un exercice à la fois intellectuel et poétique.
Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC
D'après Jacques Perry-Salkow, l'un de nos plus éminents anagrammistes, l'anagramme ne se décrète pas : il faut la laisser advenir à force d'observation des mots, des lettres.