QUE FAIT LA COULEUR À LA PHOTOGRAPHIE ?
TECHNIQUES, USAGES, CONTROVERSES
DU MERCREDI 19 AOÛT (19 H) AU DIMANCHE 23 AOÛT (14 H) 2020
[ colloque de 4 jours ]
René Desclée (1868-1953), Nature morte au vase de fleurs, restitution couleur d'après trois négatifs de sélection, [sd] © Ministère de la culture, Médiathèque de l'architecture et du patrimoine, Diffusion RMN-GP
PRÉSENTATION VIDÉO :
DIRECTION :
Nathalie BOULOUCH, Gilles DÉSIRÉ DIT GOSSET
Colloque organisé dans le cadre du Festival Normandie Impressionniste, "La couleur au jour le jour" (4 juillet - 15 novembre 2020).
ARGUMENT :
Interrogé en 2006 sur la photographie couleur, Willy Ronis répondait : "oh non, ce n'était pas très intéressant !" Quelques semaines plus tard, il publiait Paris-couleurs. Cette anecdote résume la complexité de la question posée par ce colloque et l'exposition associée. Tandis que la couleur est aujourd'hui dominante, il convient de porter un point de vue tant rétrospectif que prospectif sur ce que ce progrès a fait, fait et fera à la photographie.
Le colloque, organisé en partenariat avec l'université Rennes 2 et la Médiathèque de l'architecture et du patrimoine (MAP), propose de faire le point sur l'évolution des techniques photographiques en couleur, puis de s'attacher à ses usages dans différents secteurs de la création. Mal aimée et parfois méprisée, la couleur a également suscité polémiques et controverses que le colloque interrogera.
Une séance publique réunira, sous forme d'une table ronde, des photographes contemporains dont la création artistique a été marquée par l'usage de la couleur. Une exposition grand public puisant dans les collections photographiques de la MAP sera accueillie par la ville de Saint-Lô, de juillet à septembre.
MOTS-CLÉS :
Archives, Art, Controverses, Couleur, Création, Photographie, Procédés, Usages
CALENDRIER DÉFINITIF :
Mercredi 19 août
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS
Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants
Jeudi 20 août
Matin
Nathalie BOULOUCH : Introduction
UN PROBLÈME, DES SOLUTIONS
Laure BLANC-BENON : La couleur : une autre idée de la photographie
Kim TIMBY : La palette du papier salé, ou l'appropriation artistique de la couleur
Après-midi
Édouard de SAINT-OURS : La quête d'un procédé direct pour la reproduction photographique des couleurs (1848-1908). Les promesses du sous-chlorure d'argent
Natalie COURAL & Anne WOHLGEMUTH : La trichromie à l'épreuve de la photographie. Discriminer les solutions matérielles et techniques apportées par Louis Ducos du Hauron grâce à l'imagerie multispectrale
Nicolas LE GUERN : Le développement à long terme du Kodachrome : des premières recherches de Mannes et Godowsky aux améliorations apportées au procédé en couleur
Soirée
Projection d'extraits de films sur la photographie couleur tirés des archives de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), animée par Nathalie BOULOUCH et Catherine GONNARD. Partenariat délégation INA Loire-Bretagne, Université Rennes 2
Vendredi 21 août
DE LA COULEUR AVANT TOUTE CHOSE
Matin
Diane TOUBERT : La photographie éloquente : autochromes du jardin Albert-Kahn [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]
Camille CONTE : Lucien Roy, un "architecte-photographe" face à la couleur
Jean DAVOIGNEAU : La couleur dans la production de l'Inventaire général : le constat d'une longue absence
Après-midi
Marlène VAN DE CASTEELE : La couleur appliquée à la photographie de mode : le cas des couvertures et éditoriaux du Vogue Amérique (1932-1942)
Audrey LEBLANC : Photojournalisme : la couleur des années 1960-70
Colette MOREL : Balthus et la photographie : "L'emploi des couleurs m'avantage"
Judith LANGENDORFF : Couleurs nocturnes dans la photographie contemporaine : distordre, sublimer ou transfigurer le réel ?
Soirée
Benjamin LE BRUN & Sarah YADAVAR : "La couleur au cœur de nos travaux"
Samedi 22 août
LA COULEUR : INDIGNE OU ASSUMÉE ? (I)
Matin
Marion PERCEVAL : Jacques Henri Lartigue, pourquoi la couleur ?
Matthieu RIVALLIN : André Kertész : couleurs indignes ?
Après-midi
"HORS LES MURS" — À LA MÉDIATHÈQUE DE SAINT-LÔ
SÉANCE PUBLIQUE
Visite de l'exposition "Le Triomphe de la couleur" accueillie à la Médiathèque La Source de la ville de Saint-Lô
Table ronde avec des photographes, animée par Mathilde FALGUIÈRE, avec la participation de John BATHO et Yves TRÉMORIN
Dimanche 23 août
LA COULEUR : INDIGNE OU ASSUMÉE ? (II)
Matin
Ronan GUINÉE : Willy Ronis : la couleur écartée
Cynthia A. YOUNG : Robert Capa, Photojournalism and Early Color Film [visioconférence]
Nathalie BOULOUCH : Conclusions
Après-midi
DÉPARTS
RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :
John BATHO
Né en 1939, John Batho commence à photographier en 1961. En 1963, il entreprend une recherche qui affirmera une vision personnelle de la photographie en couleurs. Représentés à partir de 1977 par la galerie Zabriskie à Paris et à New York, ses travaux connaissent une diffusion internationale. De 1983 à 1990, il est chargé de cours à l'université de Paris VIII dans le département Arts plastiques. Professeur des Écoles nationales d'art, il enseigne de 1992 à 2001 à l'école nationale supérieure d'art de Dijon. Ses œuvres sont présentes dans de nombreuses collections publiques et privées en France et à l'étranger. Il est représenté par la galerie Nicolas Silin à Paris (galeriesilin.com).
johnbatho.com
Laure BLANC-BENON : La couleur : une autre idée de la photographie
La "photographie" comme invention technique et "l'idée de photographie" sont deux choses distinctes. "L'idée de photographie" a été inventée en même temps que le daguerréotype, dans sa concurrence avec le calotype. Or il s'agit là d'images monochromes. Nous nous intéresserons à des théories récentes issues de la philosophie en langue anglaise : ces nouveaux théoriciens critiquent l'identification abusive de l'essence de la photographie au moment de l'enregistrement et l'assimilation de la photographie à une empreinte. Au contraire, ils envisagent l'image photographique comme une image visible produite par un processus à plusieurs étapes (voir par exemple D. Costello, On Photography, Routledge, 2017). Nous montrerons en quoi cette opposition remonte à celle entre photographies monochromes et photographies en couleurs telle qu'elle s'est construite dès le XIXe siècle. En négligeant la couleur, des théoriciens comme A. Bazin, R. Barthes, R. Scruton ou K. Walton ont été empêchés de voir les limites de la notion d'indice ou de trace pour comprendre ce qu'est une photographie. Nous souhaitons montrer en quoi la photographie couleur est un allié précieux pour lutter contre les préjugés des théoriciens sur "l'idée de photographie".
Laure Blanc-Benon est maîtresse de conférences en philosophie de l'art à Sorbonne Université et membre du Centre Victor Basch. Membre fondateur du Groupement de Recherche Internationale "Photographs : Perception and Change" (dir. B. Lavédrine), elle conduit actuellement des recherches sur la photographie couleur et sur la question de l'enregistrement dans le cadre d'un livre en préparation sur l'image photographique.
Publication
La Question du réalisme en peinture, Vrin, 2009.
Camille CONTE : Lucien Roy, un "architecte-photographe" face à la couleur
Au tournant des XIXe et XXe siècles, s'est développée une pratique de la photographie chez les architectes jusqu'ici formés à l'héritage académique. Bien que plusieurs profils "d'architectes-photographes" aient émergé au cours de récentes recherches, cette pratique reste encore peu explorée. Pourtant, la photographie se rencontre régulièrement dans leurs archives. Multiple, elle se décline dans des techniques et des usages variés, pouvant même être réunis sous la forme d'un corpus cohérent et indépendant. Issus d'une corporation qui a longtemps été considérée comme méfiante à l'égard de ce médium, Lucien Roy et Jules Antoine se distinguent par une pratique inédite du premier procédé de photographie couleur : l'autochrome. Déterminer les usages, les contextes de prise de vue et les sujets traités, permettra de comprendre comment les architectes considéraient la photographie couleur et s'ils avaient pleinement conscience des valeurs intrinsèques de ce procédé. De la représentation de l'architecture à la conquête de l'intime, l'autochrome ne sera pas seulement un support à valeur professionnelle ou mémorielle, il donnera également accès à la découverte d'une sensibilité chez les architectes à saisir les "variations colorées" du monde qui les entoure.
Camille Conte réalise un doctorat au sein du laboratoire du CRIHAM (Centre de Recherche Interdisciplinaire en Histoire, Histoire de l'Art et Musicologie) à l'université de Poitiers, elle propose une réflexion autour de la pratique de la photographie par les architectes français entre 1880 et 1939.
Natalie COURAL & Anne WOHLGEMUTH : La trichromie à l'épreuve de la photographie. Discriminer les solutions matérielles et techniques apportées par Louis Ducos du Hauron grâce à l'imagerie multispectrale
En 2015, a été constitué à l'initiative de Thomas Galifot (musée d'Orsay, Paris), Jean-Paul Gandolfo (ENSLL, École Nationale Supérieure Louis-Lumière, La Plaine Saint-Denis), Clotilde Boust et Natalie Coural (C2RMF, Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France, Paris), un groupe de travail se proposant d'identifier et de caractériser les photographies en couleur de Louis Ducos du Hauron (1837-1920) conservées dans les collections publiques françaises. Le corpus réuni jusqu'ici a permis une étude comparative caractérisant les procédés de fabrication de ces épreuves en couleur. À ce jour, vingt-sept photographies ont été analysées au C2RMF. Cette communication restitue les résultats de ces analyses en présentant les procédés photographiques trichromes mis en œuvre par Ducos du Hauron (charbon, photoglyptie et collotypie). Les inventions photographiques couleurs du photographe et les techniques d'imagerie employées aujourd'hui se font échos et révèlent chacune un aspect de la recherche complexe de ce "primitif" de la photographie en couleur.
Natalie Coural est conservateur du patrimoine, responsable de la filière Arts graphiques et photographies au département Restauration du Centre de Recherche et de Restauration des musées de France. Elle coordonne avec Clotilde Boust (responsable du groupe imagerie du département Recherche au C2RMF) les analyses menées sur un ensemble d'héliochromies de Louis Ducos du Hauron conservées dans les collections publiques françaises.
Anne Wohlgemuth a étudié la photographie à l'école nationale supérieure Louis-Lumière, et l'imagerie scientifique appliquée à la conservation et la restauration du patrimoine au Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France (C2RMF). Intègre, sous la direction de Clotilde Boust et Natalie Coural, avec le soutien de Jean-Paul Gandolfo, le Comité de recherche pour le centenaire de la disparition de Louis Ducos du Hauron. Elle participe à l'organisation du colloque sur Louis Ducos du Hauron qui se tiendra à Agen en septembre 2020, avec le concours de la ville d'Agen, du musée des Beaux-Arts de la ville, l'Association des Amis de Louis Ducos du Hauron et le C2RMF.
Jean DAVOIGNEAU : La couleur dans la production de l'Inventaire général : le constat d'une longue absence
La création, en 1964, de l'Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France répondait à la nécessité de renouveler la connaissance du patrimoine. Bien qu'André Malraux qualifiât le projet d'aventure de l'esprit, l'Inventaire général est avant tout une entreprise documentaire. Son originalité réside dans la primauté du terrain sur la recherche et l'analyse des sources. Pour cela, le service se dota d'outils méthodologiques nationaux avant d'arpenter localement le territoire. Ces documents normatifs ne cessent de rappeler que la description des œuvres est l'ensemble des informations qui ressortent de leur observation, recueilli tant par le texte que par l'image. Avec un rôle primordial accordé à l'illustration photographique, le premier livret de prescription technique, établi dès 1968, souligne que le texte de la description doit servir de "texte de liaison" à la documentation figurée. Mais dans l'esprit des prescripteurs, il n'y a de photographie que noir et blanc. Elle constitue la norme, la photographie couleur constitue l'exception. Les photographies aériennes, les clichés de situation et d'ensemble pris d'un point de vue naturel (hauteur des yeux) et les photographies de détail sont en noir et blanc, grand et moyen format ; et ceci pour l'architecture, comme pour les objets mobiliers. La couleur, ne trouve grâce, dans l'enregistrement documentaire, que pour les cas de polychromie remarquable, mais il est rappelé que l'on préférera effectuer des vues de détails que des vues d'ensemble, en moyen et surtout petit format ; et, surtout, on n'oubliera pas de doubler toutes ces prises de vues couleur par des clichés noir et blanc. L'auteur propose de présenter ces normes, leur application et les exceptions constatées dès les débuts du service ; il entend surtout montrer l'évolution des prescriptions et des pratiques à la lumière de deux phénomènes : la part de plus en plus importante prise par les publications dans les restitutions des travaux du service et l'arrivée du numérique.
Ronan GUINÉE : Willy Ronis : la couleur écartée
Chantre de la photo sur le vif en noir et blanc, Willy Ronis (1910-2009) s'est forgé, à partir des années 1980, une image personnelle, forte et autobiographique, dans laquelle la couleur a été soigneusement écartée. Il lui faut atteindre sa quatre-vingt-quinzième année pour exhumer de ses archives une sélection restreinte de photographies en couleurs et accepter de l'exposer et de la publier. Pourtant, lors de sa carrière, la couleur s'impose à lui dès 1941, par obligation professionnelle mais également par adhésion. Cette contribution sera l'occasion de présenter le corpus couleur de la donation faite par l’auteur à l'État et la place de la couleur dans sa carrière professionnelle.
Judith LANGENDORFF : Couleurs nocturnes dans la photographie contemporaine : distordre, sublimer ou transfigurer le réel ?
Il s'agira de comprendre les processus des photographes en conditions nocturnes et les effets esthétiques qui en découlent, à travers des images de Darren Almond, Rut Blees Luxemburg, Daniel Boudinet, Gregory Crewdson, Nicolas Dhervillers, Bill Henson, Laurent Hopp et Chrystel Lebas. Certains d'entre eux fixent la ville et ses périphéries dans leurs parures polychromes, d'autres distordent l'espace pour le rendre plus graphique, d'autres encore restituent les lueurs impressionnistes et éphémères du ciel et de la nature ou construisent des tableaux vivants inspirés par la peinture et le cinéma. Tous mettent en œuvre différents processus afin de restituer un réel, bien moins distinct en conditions nocturnes. Les vues qu'ils construisent alors, en argentique comme en numérique, témoignent d'une perception aussi subtile que déconcertante, atteignent parfois un sublime dont la grâce n'est pas nécessairement celle du beau, ou transfigurent l'environnement, par des teintes nocturnes éphémères, uniquement perçues par leurs appareils.
Judith Langendorff est docteure en études cinématographiques et audiovisuelles (Université Sorbonne Nouvelle-Paris III), également diplômée du second cycle de l'École du Louvre et de l'université Panthéon-Sorbonne Paris I. Elle est chargée de cours à l'université Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Elle a également exercé le métier d'acheteuse d’art pour la photographie auprès de grands groupes privés.
Publications
Les couleurs du nocturne en photographie et cinéma contemporains, PU de Rennes, 2020 (à paraître).
Essai sur Gregory Crewdson pour la revue Écrans, Éditions Garnier, 2020 (à paraître).
En 2018 et 2019, elle a collaboré avec la revue internationale de théorie du cinéma La Furia Umana qui a mis en ligne : Visions Nocturnes de la ville et Stanley Kubrick, David Lynch : "noir" - coïncidences, différences, musicalités.
Audrey LEBLANC : Photojournalisme : la couleur des années 1960-70
Au milieu des années 1960, les quotidiens sont intégralement en noir et blanc et les hebdomadaires publient couramment leur couverture et environ 20% de leur iconographie en quadrichromie. La presse magazine d'actualité est alors dominée en France par L'Express, Le Nouvel Observateur et Paris Match. Chacun de ces magazines a ses propres habitudes éditoriales, y compris dans l'usage du noir et blanc ou de la couleur. Dans l'histoire du photojournalisme au XXe siècle, la valorisation du noir et blanc par la profession est une constante : il est associé au sujet noble, le news, au contraire de la couleur qui, dévalorisée, serait réservée aux sujets plus frivoles et plus mondains, que le photojournalisme peine à revendiquer pour sa propre histoire. Cette distinction dans la mémoire du métier est cependant démentie par les publications et les fonds photographiques, qui autorisent d'autres récits sur la couleur des années 1960-70.
Audrey Leblanc est docteure en histoire et civilisation de l'EHESS. Lauréate de la bourse annuelle Roederer pour la photographie, chercheuse associée à la BnF, elle a été commissaire de l'exposition issue de ses recherches de doctorat "Icônes de Mai 68 : les images ont une histoire" ; dont elle a également dirigé le catalogue (BnF, 2018). Elle enseigne en histoire et culture visuelle à l'université de Lille et a animé à l'EHESS le séminaire "Photographie, édition, presse : histoire culturelle des producteurs d'images" (2018-2019). Lauréate d'une bourse de recherche annuelle de l'Institut Pour la Photographie des Hauts de France en 2019, elle mène actuellement un projet de recherche, en partenariat avec la Mission photographie des Archives nationales et l'INA, sur la place de la photographie dans les logiques documentaires de l'ORTF.
Carnet de recherche en ligne : clinoeil.hypotheses.org
Dernières publications
Audrey Leblanc, "La fabrique de l'image de Mai 68 : retour d'expérience", revue numérique d'histoire actuelle Entretemps, Patrick Boucheron, Adrien Genoudet (dir.), Collège de France, 2018.
Audrey Leblanc, Dominique Versavel (dir.), Icônes de Mai 68 : les images ont une histoire, Paris, BnF éditions, 2018 (catalogue d'exposition).
Audrey Leblanc, "Le fonds Sygma exploité par Corbis, une autre histoire du photojournalisme", Études photographiques, n°35, printemps 2017, p. 88-111.
Nicolas LE GUERN : Le développement à long terme du Kodachrome : des premières recherches de Mannes et Godowsky aux améliorations apportées au procédé en couleur
Cette intervention considère la mise au point à long terme du Kodachrome trichrome, issue de la collaboration scientifique entre les chercheurs indépendants Léopold Mannes, Léopold Godowsky et Eastman Kodak, en la situant dans le cadre des technologies couleur de l'entre-deux-guerres, de l'incertitude de la recherche et des stratégies industrielles d'innovation. L'analyse inédite du fonds d'archives Kodak de la British Library de Londres permet de mieux appréhender les rapports entre les débuts de la photographie et du cinéma amateur en couleur à grande échelle et les stratégies d'investissement des grandes firmes photographiques au vingtième siècle. Des archives manuscrites de Mannes et Godowsky révèlent combien la recherche industrielle façonna une photographie en couleurs naturelles en devenir et, ce faisant, notre vaste culture visuelle du vingtième siècle. Le développement physicochimique du Kodachrome trichrome, lancé dans sa version cinématographique 16mm en 1935, n'était pas abouti et cette intervention traitera également des moyens mis en jeu par Kodak pour simplifier ce procédé dans les années qui suivirent.
Nicolas Le Guern est docteur en histoire de la photographie (PHRC DMU, Leicester), anciennement diplômé de l'EHESS et de l'ENSLL. Il est responsable technique dans l'industrie photographique et chargé de cours à l'université Paris-Est-Marne-la-Vallée. Sa thèse récente porte sur la recherche industrielle chez Kodak en Europe au vingtième siècle.
Publications
"La recherche à long terme du Kodachrome trichrome : la collaboration scientifique entre Mannes, Godowsky et Eastman Kodak", Support Tracé, n°18, à paraître.
"Des recherches de Rodolphe Berthon chez Pathé en 1913-1914 au procédé lenticulaire Kodacolor", dans Recherches et innovations dans l'industrie du cinéma. Les Cahiers des ingénieurs Pathé (1906-1927), Stéphanie Salmon et Jacques Malthête (dir.), Paris, Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, 2017, p. 225-241.
Colette MOREL : Balthus et la photographie : "L'emploi des couleurs m'avantage"
En 2013 paraît The Last Studies, un recueil de polaroids présentés comme les dernières études du peintre Balthus. Le recours à l'appareil est justifié par le grand âge : "Je vois encore assez bien pour peindre, moins bien pour dessiner. L'emploi des couleurs m'avantage" déclare-t-il. Les couleurs vives dont se parent ses dernières toiles sont indissociables de leurs modèles photographiques. Aux cartes postales, reproductions et photographies de préférence monochromes utilisées depuis les années 1930, se substitue la photographie couleur dans les années 1980. En revenant sur la continuité du recours à la photographie chez Balthus, cette intervention sera l'occasion de questionner ce que la couleur photographique peut faire à l'œuvre d'un peintre.
Colette Morel est doctorante à l'université Paris 1 - Panthéon Sorbonne, où elle prépare une thèse sur la photographie dans l'œuvre du peintre Balthus. Assistante de collections à la Société Française de photographie, elle enseigne dans le département photographique de l'École de Condé.
Marion PERCEVAL : Jacques Henri Lartigue, pourquoi la couleur ?
Alors que John Szarkowski présente au Moma en 1963 les photographies de Jacques Henri Lartigue (1894-1986), il l'évoque comme la figure emblématique de la photographie instantanée en noir et blanc de la Belle Époque. Pourtant, Lartigue réalise près de 40000 phototypes couleurs entre 1912 et 1986. De l'autochrome aux diapositives sur support souple, l'introduction de la couleur va transformer son approche de la prise de vue, devenant plus réflexive. Son rapport à la couleur tient autant de son œuvre picturale que de sa recherche de captation du réel. Lartigue tentera d'imposer tout au long des années 70 et 80 une pratique qui, loin d'être anecdotique, était jugée à l'époque trop commerciale et décorative.
Marion Perceval est directrice de la Donation Jacques Henri Lartigue depuis septembre 2017. Elle s'emploie depuis sa nomination à montrer que l'œuvre du photographe, essentiellement connu pour ses photographies de la Belle Époque, est bien plus riche et complexe qu'il n'y paraît au premier regard.
Matthieu RIVALLIN : André Kertész : couleurs indignes ?
En 1994, la Mission du patrimoine photographique organise une rétrospective de l'œuvre d'André Kertész à Paris, composée de tirages modernes réalisés à partir des négatifs originaux conservés par l'Association française de diffusion du patrimoine photographique (AFDPP). L'exposition présente une vingtaine de tirages couleur de l'auteur. Ces tirages ont été réalisés d'après les diapositives originales conservées dans la donation qu'André Kertész a consentie à l'État français en 1984. Le fonds d'archives regroupe aujourd'hui plus de 20000 supports photographiques couleur. Ces tirages couleur vont alimenter une large polémique dans la presse. En détricotant cette histoire, il est possible de s'interroger sur le travail très méconnu d'un des photographes les plus importants du XXe siècle. Dés le début des années 1940, à la demande d'éditeurs américains comme Hyperion Press, André Kertész réalise des photographies en couleur. Il poursuit cette exploration lors des travaux commerciaux qui lui sont notamment commandés par le magazine House & Garden jusqu'en 1962. À ce travail commercial s'ajoute des prises de vues couleur, au format 24x36, reprenant les thèmes de la recherche de Kertész et ses points de vue sur la ville, à New York notamment. Ce sont plus de 15000 diapositives Kodachrome qui sont réalisées entre 1950 et 1980. Seules quelques unes de ces images sont publiées dans les années 1970, dans la revue Boy's Life. Ce n'est qu’à la fin de sa vie, avec la découverte du Polaroïd, qu'André Kertész accepte de montrer des images en couleur.
Édouard de SAINT-OURS : La quête d'un procédé direct pour la reproduction photographique des couleurs (1848-1908). Les promesses du sous-chlorure d'argent
En 1848, Edmond Becquerel invente un procédé photochimique permettant la reproduction directe des couleurs projetées sur une plaque d'argent. La découverte d'une substance douée de mimétisme chromatique est ardemment désirée par les cercles photographiques depuis 1839. Toutefois, le procédé est incomplet, requérant plusieurs heures d'exposition pour obtenir des couleurs approximatives et qui ne peuvent être fixées. Si Becquerel est vite découragé par ces limites, ses résultats orientent la recherche vers une solution directe et chimique. Ses travaux sont poursuivis dès 1850 par Abel Niépce de Saint-Victor puis par de nombreux émules qui tentent, en vain, de finaliser le procédé jusqu'à la fin du siècle. Le procédé interférentiel de Gabriel Lippmann, publié en 1891, demeure trop complexe pour concurrencer la trichromie, une méthode indirecte et optique rendue publique en 1869. La quête d'un procédé direct pour la reproduction photographique des couleurs a suscité de nombreux échanges des deux côtés de l'Atlantique, parfois collaboratifs, parfois conflictuels. Cette intervention mettra l'accent sur les réseaux qui ont favorisés la circulation des savoirs dans ce domaine tout en entretenant le mythe d'une substance "caméléon".
Édouard de Saint-Ours est doctorant contractuel aux universités de St Andrews (Écosse) et du Havre, où il prépare une thèse sur la place de la photographie au sein de l'entreprise coloniale française en Indochine au XIXe siècle. Il a pris part en 2015 au programme PHOTOCHROMA, au sein du Centre de recherche sur la conservation des collections, par des recherches sur la réception critique des procédés couleur d'Edmond Becquerel et Abel Niépce de Saint-Victor. Il a depuis communiqué deux fois sur ce sujet, au Muséum national d'histoire naturelle en décembre 2015 et à l'université de St Andrews en octobre 2019.
Kim TIMBY : La palette du papier salé, ou l'appropriation artistique de la couleur
La photographie des premières années était monochrome, mais loin d'être monotone. Une riche culture de la couleur s'est développée dans les années 1850 à travers l'usage du tirage sur papier salé, qui présentait des tonalités produites chimiquement mais malléables à l'intérieur d'une certaine gamme. La maîtrise chromatique est devenue une marque de talent chez le photographe et un argument en faveur du statut artistique de la photographie. Certaines tonalités, notamment celles associées au dessin, étaient dotées d'associations particulièrement heureuses. Ainsi, la couleur a été un outil important par lequel des individus se sont appropriés la photographie — un procédé de production d'images d'une mécanicité sans précédent — en tant que moyen de création.
Kim Timby est historienne de la photographie, enseigne à l'École du Louvre et travaille pour une collection privée de photographies du XIXe siècle. Ses recherches explorent l'histoire culturelle des technologies photographiques. Elle a publié de nombreux textes touchant à la couleur en photographie, analysant notamment l'association de la photographie en couleurs avec le "naturalisme perceptif", son utilisation dans la presse, et les tonalités de tirage.
Diane TOUBERT : La photographie éloquente : autochromes du jardin Albert-Kahn
À Boulogne, dans la propriété d'Albert Kahn devenue musée départemental, on trouve à côté du registre A répertoriant les autochromes des Archives de la Planète, un curieux registre B regroupant plus de 2443 photographies dont 1740 autochromes, prises entre 1910 et 1956 dans le jardin à scènes du banquier. La coexistence de deux régimes au sein de cet ensemble, l'un esthétique, l'autre épistémique, et la dimension spectaculaire des projections qui lui sont consacrées à Boulogne nous invitent à étudier la fonction rhétorique de la couleur en photographie. Caution scientifique et argument sensible, la couleur favorise l'adhésion du spectateur au projet documentaire d'Albert Kahn et révèle tout à la fois sa singularité et son appartenance à la modernité photographique.
Titulaire d'un master en histoire de la photographie (Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne), Diane Toubert est chargée de recherche au MNAM/CCI - Centre Pompidou, Paris et travaille actuellement au sein du service Recherche et Mondialisation.
Marlène VAN DE CASTEELE : La couleur appliquée à la photographie de mode : le cas des couvertures et éditoriaux du Vogue Amérique (1932-1942)
À partir des années 1930, les procédés photographiques en couleurs sont tributaires non seulement de la demande cinématographique, de la demande publicitaire, mais aussi d'une presse féminine à caractère élitiste. En 1932, l'éditeur et magnat de presse Condé Nast met en place des méthodes de traitement de la photographie couleur, se confrontant aux difficultés de reproduction photomécanique des couleurs, formant des photographes à ces techniques, allouant un budget conséquent pour ces nouvelles formes d'expérimentation. Cette présentation se propose de s'appuyer sur les Condé Nast Papers(1), sources primaires inexplorées rassemblant, de 1932 à 1942, des documents de travail en circulation interne entre les différents collaborateurs de Vogue, afin de faire montre des différents usages de ces photographies et de témoigner de la relation intrinsèque entre photographie couleur et industrie de la mode.
(1) Les Condé Nast Papers, entreposés dans les archives du groupe Condé nast à New York, rassemblent principalement des mémos, télégrammes, lettres, enquêtes, contrats d'exclusivités, statistiques, listes comptables envoyés au directeur artistique Mehemed Fehmy Agha, à la rédactrice-en-chef Edna Woolman Chase, aux rédactrices de mode Jessica Daves ou Babs Simpson, aux photographes Hoyningen-Huene, Horst P. Horst, Cecil Beaton, Toni Frissel, André Durst, Mclaughlin, Rawlings etc. et aux différents collaborateurs à New York, en France ou en Angleterre (Lucien Vogel, Michel de Brunhoff, Harry Yoxall, Alexander Liberman, etc.).
Docteure en histoire de l'art contemporain et enseignante en histoire de la mode et des médias à l'ENSAD, Marlène Van de Casteele est actuellement conseillère scientifique au Palais Galliera, Musée de la Mode de la Ville de Paris, pour l'exposition célébrant le centenaire du Vogue Paris (novembre 2020-mars 2021).
Publication
"La photographie de mode aux XXe et XXIe siècles", in Sénéchal P. et Delille D. (dir.), Mode et vêtement. Études visuelles et culture matérielle, Paris, Éditions Les Arts Décoratifs, à paraître en avril 2020.
Cynthia A. YOUNG : Robert Capa, Photojournalism and Early Color Film
Robert Capa is known as a pioneering photojournalist of the 20th Century, but never as a photographer who worked or experimented with color film. His work in color was virtually unknown until an exhibition in 2014 dedicated to his color photographs made it known that Capa regularly used color film from the 1941 until his death in 1954. Some of these photographs were published in magazines of the day, but the majority were never printed, seen, or even studied. This talk will present some of his color work and discuss the challenges of the medium and in getting the work published in the magazines, as well as why his color work was not part of posthumous exhibitions and publications.
Cynthia A. Young is the Curator of the Robert Capa Archive at the International Center of Photography, where she has worked since 2000. She curated numerous exhibits for ICP, including Capa in Color, We Went Back : Photographs from Europe 1933-1956 by Chim and The Mexican Suitcase : The Rediscovered Negatives of the Spanish Civil War by Capa, Chim and Taro. All have been shown in widely across Europe and South America and had related publications.