ATTENTION FICTION !
MONDES IMAGINAIRES, POSSIBLES NARRATIFS ET FICTIONS PENSANTES
DE L'ÂGE CLASSIQUE AUX INTELLIGENCES ARTIFICIELLES
DU JEUDI 19 JUIN (19 H) AU MERCREDI 25 JUIN (14 H) 2025
[ colloque de 6 jours ]
DIRECTION :
Françoise LAVOCAT, Franck SALAÜN
COMITÉ D'ORGANISATION :
Nathalie KREMER, Anthony MANGEON, Pascal NOUVEL
ARGUMENT :
Longtemps considérée comme contraire au savoir et à l'utile, trompeuse, corruptrice, la fiction a largement pris sa revanche. On lui prête aujourd'hui d'innombrables vertus (pour l'éducation de l'enfant à la sociabilité, pour le développement de l'empathie chez l'individu, pour le soin et même pour la préservation de l'espèce), tant et si bien que la frontière entre le fictif et le réel peut parfois sembler disparaître. Elle dirait aussi bien ou mieux la réalité que le récit historique, elle permettrait au lecteur de développer son sens moral ou d'accéder à la complexité du réel en le plongeant dans des expériences de pensée ou des études de cas.
Ce colloque réunira des écrivains, des universitaires et des comédiens dans le but de dresser un état des lieux des théories et des usages de la fiction, en explorant notamment les oppositions traditionnelles ou plus récentes, les frontières et les intersections. On s'interrogera collectivement sur ce retour en grâce et les éventuels malentendus qu'il pourrait cacher, mais surtout sur la nature de la fiction, ses présupposés anthropologiques et ses multiples potentialités. Les conférences, tables rondes, ateliers et spectacles permettront en particulier d'explorer les mondes imaginaires, les possibles narratifs et les fictions pensantes.
MOTS-CLÉS :
Éducation, Fake news, Fiction, Fictionnalité, Imagination, Intelligence artificielle, Philosophie, Réalité, Récit, Référentialité, Roman, Story-telling, Théâtre, Théorie littéraire
CALENDRIER DÉFINITIF :
Jeudi 19 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS
Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants
Vendredi 20 juin
USAGES ET FRONTIÈRES DE LA FICTION DU XVIe SIÈCLE À AUJOURD'HUI
Matin
Françoise LAVOCAT, Pascal NOUVEL & Franck SALAÜN : Introduction
Franck SALÄUN : Usages et frontières de la fiction du XVIe siècle à aujourd'hui
Après-midi
Présentation de la Société internationale des recherches sur la fiction et la fictionnalité (SIRFF)
Charlotte KRAUSS : Les Cités obscures de Schuiten et Peeters comme fictions pensantes
Les dangers de la fiction, atelier animé par Luca PENGE
Soirée
Linda GIL : Cunégonde ou Voltaire contre ses interprètes [conférence interactive]
Samedi 21 juin
Matin
TÉMOIGNAGE ET FICTION
Dominique MEMMI : Vers une vengeance des femmes ? Fictions et sciences sociales
Aude DÉRUELLE : Le désir de roman des historiens [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]
Après-midi
L'UNIVERS DU ROMAN SANS FICTION. AUTOUR DU TRAVAIL DE PATRICK DEVILLE
Table ronde et lectures, avec Patrick DEVILLE, Linda GIL, Françoise LAVOCAT et Franck SALAÜN
Soirée
En commun avec le colloque en parallèle : L'équipe de film à l'épreuve du territoire
Dimanche 22 juin
Matin
PENSER DANS ET PAR LA FICTION
Anthony MANGEON : Fictions primates : quand les singes parlent [visioconférence]
Ridha BOULAÂBI : Mise en fiction des enjeux postcoloniaux
Après-midi
ESPACES FICTIONNELS
Franck SALÄUN : À propos de Diderot, avec Michel TOMAN
À propos de La Blessure et la Soif, avec Pascal NOUVEL, Laurence PLAZENET et Catherine SCHAUB
Soirée
La Blessure et la Soif, lecture par Cassandre VITTU DE KERRAOUL
Lundi 23 juin
Matin
ARBITRAIRE DU TEXTE ET VÉRITÉ DE LA FICTION
Franc SCHUEREWEGEN : Attention fiction d'auteur (à propos d'un problème qui n'est pas réglé)
Sjef HOUPPERMANS : Impressions d'Afrique de Raymond Roussel
Répondante : Camille BORTIER
Après-midi
DÉTENTE
Soirée
En commun avec le colloque en parallèle : L'équipe de film à l'épreuve du territoire
Mardi 24 juin
Matin
LES ENJEUX DU RÉCIT
Colas DUFLO : Le "roman politique" au XVIIIe siècle ou la philosophie politique par fiction
Pascal NOUVEL : Histoire, politique et puissance du narratif
Après-midi
Présentation de mise en voix de contes, écrits par les élèves de 6ème du collège Anne Heurgon-Desjardins de Cerisy-la-Salle
FAÇONS DE REPRÉSENTER
Ivan JABLONKA : Représenter le féminicide avec des fictions
Nathalie KREMER & le ZufallKollektiv : Mettre en scène le Pygmalion de Rousseau
Soirée
Pygmalion de Rousseau, spectacle par le ZufallKollektiv (Suisse) : Dominique BOURQUIN, Joséphine DE WECK, Simon LAMBELET, Nicolas MÜLLER et Michel TOMAN
Mercredi 25 juin
Matin
MYSTIFICATIONS, SAVOIRS, DROITS : L'AVENIR DE LA FICTION
Franck SALAÜN : Conclusions
Rapports d'étonnement des doctorants, par Julia DE IPOLA, Vittoria DELL'AIRA, Mathilde MAUDET, Salomé PASTOR et Luca PENGE
Après-midi
DÉPARTS
VIDÉOS RÉALISÉES PAR FRANCE MANHES — INIT - Éditions - Productions :
RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :
Ridha BOULAÂBI : Mise en fiction des enjeux postcoloniaux
À partir de la littérature francophone maghrébine du XXIe siècle, cette communication s'attache à retracer les contours d'un discours postcolonial romanesque, narratif et fictionnel. Il s'agit de montrer comment les formes littéraires mettent à l'épreuve le canon culturel aussi bien occidental qu'oriental et les théories postcoloniales elles-mêmes. Paradoxalement, cette appropriation littéraire des savoirs contemporains se caractérise par un retour à la fois critique et bienveillant des différents orientalismes. On prendra comme exemple de fiction pensante Le Silence de Mahomet, roman de Salim Bachi (Gallimard, 2008) qui met le récit au service d'une confrontation du discours religieux et du discours littéraire.
Ridha Boulaâbi est professeur de littératures francophones à l'université de Paris Nanterre. Il est co-directeur de l'équipe de l'Observatoire des Écritures Contemporaines (laboratoire CSLF). Ses recherches traitent des transferts linguistiques et culturels entre l'Orient et l'Occident dans les littératures contemporaines du monde arabe. Il est notamment l'auteur de : L'Orient des langues au XXe siècle : Aragon, Ollier, Barthes, Macé (Éditions Geuthner, 2011), Nedjma de Kateb Yacine (Champion, coll. "Entre les lignes/littératures Sud", 2015) et Orientalism Writes Back. Quand la littérature francophone du Maghreb met en fiction la pensée postcoloniale (Éditions Geuthner, 2024). Il a par ailleurs dirigé aux Éditions Geuthner les collectifs : Les Orientaux face aux orientalismes (2013) et Voix d'Orient – Mélanges offerts à Daniel Lançon (2019).
Aude DÉRUELLE : Le désir de roman des historiens
Un désir de roman s'observe chez les historiens et historiennes actuels : il se manifeste à la fois par l'envie de lire, critiquer, utiliser les romans, et par la tentation de s'adonner à ce genre comme expérience littéraire proprement dite — avec des glissements de la critique à la pratique. On se propose ici d'en dégager le contexte et d'en explorer les modalités.
Aude Déruelle est professeure de littérature française du XIXe siècle à l'université d'Orléans. Elle travaille sur la représentation de l'histoire dans le roman et l'historiographie, a par exemple codirigé avec Jean-Marie Roulin Les Romans de la Révolution (1790-1912) (Armand Colin), et a édité les œuvres d'Augustin Thierry (Bouquins, 2025).
Colas DUFLO : Le "roman politique" au XVIIIe siècle ou la philosophie politique par fiction
Des Aventures de Télémaque de Fénelon (1699) jusqu'à Aline et Valcour de Sade (1795) un vaste corpus romanesque entreprend d'aborder des questions de philosophie politique dans des textes fictionnels. On partira ici de ces "romans politiques" pour s'interroger sur ce que signifie faire de la philosophie politique par fiction, et sur les questions que ces textes posent aujourd'hui à nos approches de la fiction. On s'interrogera en particulier sur le statut des énoncés formulés par des personnages fictionnels dans un cadre fictionnel et qui pourtant ont une ambition de vérité extra fictionnelle et on se demandera pourquoi ce corpus, pourtant très riche, et bien compris par les contemporains comme un des lieux possibles et vivants de discussion critique sur les idées politiques et religieuses et sur les politiques alternatives, est manifestement une source d'embarras pour les historiens des idées politiques ou les historiens de la philosophie, qui se gardent bien d'en parler. Attention, fictions !
Colas Duflo est professeur de Littérature française du XVIIIe siècle à l'université Paris Nanterre et membre senior de l'Institut Universitaire de France. Ses travaux actuels portent sur les relations entre roman et philosophie au XVIIIe siècle. Il a notamment publié Les Aventures de Sophie, la philosophie dans le roman au XVIIIe siècle, CNRS édition, "Biblis", 2013 ; Philosophie des pornographes, les ambitions philosophiques du roman libertin, Seuil, "L'ordre philosophique", 2019 ; Les Aventures de Télémaque de Fénelon ou Le roman politique, Champion, "Commentaires", 2023.
Sjef HOUPPERMANS : Impressions d'Afrique de Raymond Roussel
Dans sa publication posthume Comment j'ai écrit certains de mes livres (1935) Raymond Roussel souligne le fait que "chez moi l'imagination est tout". Cette affirmation constitue l'aboutissement d'une sorte de manifeste où il explique et illustre son "procédé". Celui-ci consiste à explorer la langue notamment dans le domaine de l'homonymie. Ses récits courts et ensuite ses grands romans tels Impressions d'Afrique (1910) et Locus Solus (1914) se fondent sur des couples d'homonymes qu'il s'agit de réunir par le moyen de la fiction. On a donc affaire à des sortes d'"équations" selon l'auteur. L'imagination surgit dans le pli de ces exercices stylistiques. Pourtant Roussel ne donne que peu d'exemples et d'autre part avoue qu'il prend beaucoup de liberté dans la pratique. La fiction roussellienne se nourrit également à partir de tout un ensemble de sources différentes. On peut ainsi faire remarquer l'influence de la tradition littéraire, du contexte de la société contemporaine, des apports des dictionnaires, des échos de la biographie et surtout aussi des créations de l'inconscient. Dans ce sens sera proposée une lecture d'Impressions d'Afrique.
Sjef Houppermans est professeur émérite de l'université de Leiden (Pays-Bas). Il a publié des livres sur Proust, Beckett, Roussel, Robbe-Grillet, Ollier entre autres. Il a régulièrement contribué aux Cahiers Raymond Roussel (Classiques Garnier). Pour ses recherches il combine des approches stylistiques et psychanalytiques.
Charlotte KRAUSS : Les Cités obscures de Schuiten et Peeters comme fictions pensantes
Publiées entre 1983 et le début des années 2000, Les Cités obscures de François Schuiten et Benoît Peeters n'ont été pensées comme un univers fictionnel qu'au fur et à mesure que la publication des albums avançait. S'il existe aujourd'hui un Guide des Cités (2011), une grande carte complète et même un site internet très fourni (altaplana.be), le monde obscur reste incertain, labyrinthique et inachevé — un enchevêtrement de différentes projections. Cette communication s'intéressera aux cartes des cités obscures pour déplier ce labyrinthe fictionnel vertigineux. Je m'appuierai surtout sur La Frontière invisible (2002-2004), qui met en scène un jeune cartographe en Sodrovno-Voldachie, au nord-ouest du monde obscur. L'action est située à une époque où la gloire des anciennes cités s'est déjà estompée et où un gouvernement autocratique cherche à réécrire les données géographiques. Or il s'avère que la véritable carte du pays est mystérieusement inscrite dans le corps de l'un des personnages, un fait qui permet de comprendre les Cités obscures comme un organisme vivant et intelligent, comme une fiction donnant l'illusion de se penser elle-même.
Charlotte Krauss est professeure de littérature comparée à l'université de Poitiers et directrice de l'unité de recherches FoReLLIS (UR15076). Elle travaille entre autres sur la bande dessinée et les relations entre texte et image. La communication sur les Cités obscures s'inscrit dans un projet en cours qui s'intéresse aux atlas et aux cartes de mondes fictionnels.
Anthony MANGEON : Fictions primates : quand les singes parlent
Depuis le milieu du XVIIIe siècle, et l'étude comparative des humains et des anthropoïdes, notre espèce s'est inscrite dans une histoire naturelle où, tout en appartenant aux grands primates, elle n'a cessé de chercher à s'en distinguer. Les recherches biologiques, anthropologiques et primatologiques ont néanmoins mis en évidence, au fil du temps, un certain nombre d'aptitudes et de fonctions que nous aurions en partage avec nos cousins éloignés que sont les bonobos, chimpanzés, gorilles et orangs-outans, comme par exemple la bipédie, la fabrication d'outils, la capacité de développer des pratiques culturelles et celle de maîtriser divers langages. Une faculté fait cependant exception : définie comme une aptitude à la feintise partagée, la fiction a joué un rôle déterminant et unique dans l'évolution de l'espèce humaine, constituant ainsi un "propre de l'homme".
Par "fiction primate", je désignerai d'abord cette aptitude et cette propension des primates humains à concevoir, partager et transmettre des fictions. Parmi ces dernières, force est cependant de constater que depuis le milieu du XVIIIe siècle, une fois encore, se sont aussi multipliées, en Occident, des fictions consacrées à des primates non humains qui s'approprient des comportements humains, et qui notamment parlent et écrivent. Les "fictions primates" désigneraient ainsi, dans un second temps, toutes les histoires imaginaires où de grands singes parlants s'humanisent.
Dans cette conférence, je voudrais étudier comment les fictions primates, en tant que corpus littéraire, sont une manifestation éclatante de la fiction primate en tant qu'aptitude. Je montrerai notamment comment, dans leurs variations thématiques et poétiques, les fictions primates participent d'un usage métaphorique voire métaleptique de la fiction qui se fait ainsi "pensante" de plusieurs manières. Les fictions primates réfléchissent, d'une part, aux rapports entre les primates humains et les primates non humains ou, plus largement, au sein du monde vivant ; elles figurent souvent, d'autre part, les relations entre les Occidentaux et les peuples qu'ils ont colonisés, exploités et dominés.
Anthony Mangeon est professeur à l'université de Strasbourg, où il dirige l'unité de recherches Configurations littéraires et l'institut thématique interdisciplinaire Lethica (littératures, éthique et arts). Il est l'auteur ou le codirecteur de plusieurs ouvrages parus dans la collection "Fictions pensantes", dirigée par Franck Salaün aux éditions Hermann, dont Crimes d'auteur (2016), Fictions pansantes (2023) et L'Afrique au futur (tome 1 en 2022, tome 2 en 2025).
Dominique MEMMI : Vers une vengeance des femmes ? Fictions et sciences sociales
À partir des années 60, la relation de domesticité s'assombrit au cinéma : tuer les employeurs devient la solution aux souffrances ancillaires. À partir des années 80, le forçage sexuel des femmes trouve une nouvelle issue au cinéma : les femmes s'en vengent désormais elles-mêmes, sauvagement. Bref, "On les baise (au sens propre ou figuré) mais ils/elles nous tuent" : tel est le nouveau récit en honneur ici. Or, après dépouillement d'environ 800 décisions judicaires, guère de traces de cette violence dans le monde social "réel" ! Quelles sont donc les fonctions sociales de la fiction — et de cette fiction-là ? Voilà qui oblige à découvrir et à prendre au sérieux l'énergie sociétale considérable mise à produire des "solutions" que les fictions, de manière fort homogène, inventent sans relâche comme autant de dispositifs permettant de s'adapter aux évolutions terriblement menaçantes du réel… tout en s'en protégeant et s'en consolant.
Séduite par la capacité de la production cinématographique à "penser" les problèmes sociaux, Dominique Memmi s'en est souvent servie pour repérer les solutions mentales trouvées à un certain nombre de difficultés sociales : au premier rang desquelles les angoisses et souffrances engendrées par une domination sociale particulière, conceptualisée comme une "domination rapprochée" : celle exercée dans le privé, entre hommes et femmes, maîtres et serviteurs, parents et enfants. D'où son ouvrage à paraître au PUF en octobre 2025 : Vers une vengeance des femmes au XXIème siècle ? Cinéma et domination sociale (Cf aussi : Dominique Memmi, "Corps à corps et domination rapprochée : comment le cinéma "réfléchit" le monde social", Revue Culture et musées, vol. n°7, année 2006, p. 81-97 [lire en ligne].
SOUTIENS :
• Institut universitaire de France (IUF)
• Institut de recherche sur la Renaissance, l'Âge classique et les Lumières (IRCL, UMR 5186) | CNRS / Université Paul-Valéry Montpellier 3
• Éducation Éthique Santé (EA 7505) | Université de Tours
• Formes et idées de la Renaissance aux Lumières (FIRL, EA 174) | Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3
• Centre d'études et de recherches comparatistes (CERC, EA 172) | Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3
• Laboratoire Configurations littéraires (EA 1337) | Université de Strasbourg (Unistra)
• University of Antwerp
• Normandie Livre & Lecture
• Société Diderot
• Société internationale des recherches sur la fiction et la fictionnalité (SIRFF)
• Fondation Clarens pour l'humanisme | Fondation de France