Programme 2025 : un des colloques

Programme complet


L'ÉQUIPE DE FILM À L'ÉPREUVE DU TERRITOIRE


DU JEUDI 19 JUIN (19 H) AU MERCREDI 25 JUIN (14 H) 2025

[ colloque de 6 jours ]


Droits réservés Walter Limot. Collection Cinémathèque Française


ARGUMENT :

Qu'il s'agisse d'une fiction ou d'un documentaire, que le film soit tourné en studio ou en décors naturels, la création audiovisuelle s'inscrit toujours dans un territoire précis. Elle en exploite les ressources (économiques, techniques, humaines, environnementales) et contribue en retour à modeler son identité, voire à influencer sur son développement. En variant les échelles d'analyse, les zones géographiques et les époques, et en faisant dialoguer chercheurs et professionnels du cinéma, l'objectif de ce colloque est d'interroger la variété des interactions entre la production d'image audiovisuelles et les territoires dans lesquels elle s'inscrit.

L'objectif est d'analyser la manière dont les professionnels investissent les espaces de production à toutes les étapes du processus de création (repérages, tournage, post-production), s'adaptent aux conditions spécifiques des lieux (paysages, météo) ou mobilisent les ressources et la population locale, en portant une attention particulière au territoire normand. Il s'agira également de réfléchir à la manière dont les contraintes réglementaires, mais aussi les cultures professionnelles propres à chaque territoire, modèlent la composition et le fonctionnement de l'équipe de film. On s'intéressera enfin aux relations paradoxales entre création mondialisée et territoire : à l'heure où de plus en plus d'équipes de films se répartissent dans divers pays et continents, comment appréhender l'articulation entre territoire et création ?


MOTS-CLÉS :

Cinéma, Coopération cinématographique, Création collective, Film, Interactions créatives, Professionnels et métiers du cinéma, Territoires, Topographies


CALENDRIER PROVISOIRE (20/01/2025) :

Jeudi 19 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Vendredi 20 juin
Matin
LOCALISATION / DÉCENTRALISATION DES STUDIOS (APPROCHES HISTORIQUES)
Morgan LEFEUVRE : Marcel Pagnol : "Marseille deviendra le Hollywood français", le rêve inabouti d'un enfant d'Aubagne
Caroline RENOUARD : Entre mémoire, modernisation et innovation : quels défis territoriaux pour les studios français de demain ?
Léa CHEVALIER : S'approprier un territoire. Les architectes-décorateurs, acteurs des studios français

Après-midi
PLANTER LE DÉCOR
Maria MOUTOT : Le métier de repéreur | Discussion animée par Gwenaële ROT
Rencontre avec une régisseuse et un chef décorateur
Olivier CAUWET : Le superviseur des effets visuels, à l'épreuve de l'équipe de film et des territoires ? | Discussion animée par Caroline RENOUARD et Gwenaële ROT

Soirée
"Claude Simon", avec Maria MOUTOT et Bérénice BONHOMME


Samedi 21 juin
Matin
LE TRAVAIL DU SON
Julien FERRANDO : La prise de son en extérieur chez Pagnol
Camille PIERRE : Entre territoire sonore réel, fantastique et fantasmé : étude du Règne animal (Thomas Cailley, 2023)
Stéphane TRALONGO : Nagra/Niger. Mythologie de l'enregistreur sonore

Après-midi
RÉGIONS TRANSNATIONALES
Claire ALLOUCHE : De Historias Extraordinarias (2008) à Trenque Lauquen (2022) : la provincia de Buenos Aires topofictionalisée par El Pampero Cine
Daddy DIBINGA & Séverine MARGUIN : Fictionnalisation spatiale du quotidien ouest-africain : une analyse ethnographique sur les plateaux de tournages des Afronovelas
Eugénie ZVONKINE : Le Kirghizstan soviétique comme cas d'étude : lieu de tensions entre centre soviétique et identité nationale


Dimanche 22 juin
Matin
CINÉMA DE POCHE
Mathieu MALLARD : Organiser, regrouper, polariser. Tracer l'impossible frontière du "genba" dans l'industrie de l'animation japonaise (1956-1973)
Bérénice BONHOMME : Micro-histoire d'un territoire : le studio "Perseprod" à la loupe
Marie PRUVOST-DELASPRE : Cartographie du studio de poche : le travail à domicile dans la production animée française des années 1970

Après-midi
INTERNATIONAL
Réjane HAMUS-VALLÉE : L'Europe, un territoire pour les effets visuels ? Étude de la répartition territoriale des studios VFX européens
Katalin PÓR : Espaces périphériques aux studios hollywoodiens et regroupements d'européens dans les années 1930 et 1940
Nedjma MOUSSAOUI : Anatole Litvak (1902-1974), cinéaste caméléon ?


Lundi 23 juin
"HORS LES MURS" — JOURNÉE À CHERBOURG
- Hangar à dirigeable
- Visite de L'Autre-lieu
- Léa CHEVALIER : Bernard Evein et Jacques Demy
- Cité de la Mer


Mardi 24 juin
Matin
DÉCOR NATUREL
Camille GENDRAULT : Les tournages dans les villes moyennes. L'Exemple de la ville d'Agen
Nathalie FEBVRE-SEVERIN : Que font les séries quotidiennes aux territoires ? L'Occitanie studio à ciel ouvert. Du décor à l'espace de négociation
Yves BOURGEOIS : Quand le territoire d'un tournage devient une menace !

Après-midi
NORMANDIE
Gwenaële ROT : Le Havre ville-décor pour La fée (2011)

Table ronde autour de la commission du film Normandie Images et le bureau d'accueil des tournages

Soirée
Projection du documentaire d'Yves Bourgeois sur François Bel


Mercredi 25 juin
Matin
Conclusion / Projection

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Bérénice BONHOMME : Micro-histoire d'un territoire : le studio "Perseprod" à la loupe
Une des conditions de Marjane Satrapi, pour coréaliser le film d'animation Persepolis et accepter l'adaptation au cinéma de sa bande dessinée, était que l'ensemble du film soit fabriqué à Paris. Cette contrainte spatiale a eu de nombreuses conséquences tout au long de la production, en particulier l'installation d'un studio d'animation 51 rue du Faubourg Saint Denis qui rassemblait plus de 80 personnes. À partir des archives de fabrication du film et des entretiens réalisés avec les membres de l'équipe, je tenterai de mettre en évidence les dynamiques spatiales à l'œuvre dans un studio d'animation, et leur lien avec le processus de création comme avec le travail en équipe. Cette communication proposera également une approche réflexive, afin montrer comment il est possible d'interroger un fonds documentaire autour de la question du territoire.

Bérénice Bonhomme est professeure en études cinématographiques à l'université Bordeaux Montaigne. Elle est membre junior de l'Institut universitaire de France et fait partie du laboratoire de recherche Artes. Elle travaille sur les thématiques suivantes : image et imaginaire ; la technique cinématographique dans son rapport à la création ; la question de l'équipe de film. Elle coordonne avec Katalin Pór un programme de recherche sur l'équipe de film intitulé "Création Collective au Cinéma".

Morgan LEFEUVRE : Marcel Pagnol : "Marseille deviendra le Hollywood français", le rêve inabouti d'un enfant d'Aubagne
Marcel Pagnol est sans aucun doute l'un des cinéastes français les plus étroitement associés dans notre imaginaire collectif à un territoire précis : Marseille et la Provence. Si à la fin des années 1910 le jeune Marcel ne rêve que de Paris où il fera ses débuts au cinéma en 1931, c'est finalement en implantant sa production à Marseille à partir de 1934 et en s'entourant d'acteurs et de collaborateurs originaires de la région, qu'il accède au rang de réalisateur mondialement connu. Dans un secteur aussi centralisé que l'industrie cinématographique française des années 1930 et 1940, comment Pagnol est-il parvenu à implanter et faire perdurer une activité de production dans une région si éloignée de Paris et sans tradition cinématographique préexistante ? En s'appuyant notamment sur les archives personnelles de Pagnol, on s'interrogera sur les difficultés et les contradictions d'un réalisateur qui oscille entre désir d'indépendance et rêves de grandeur.

Morgan Lefeuvre est chercheuse indépendante. Elle a récemment publié Les Manufactures de nos rêves. Histoire des studios de cinéma français des années 1930 (PUR, 2021) ainsi que divers articles sur les coopérations franco-italiennes des années 1930-1960. Membre du projet STUDIOTEC à la Queen Mary University, elle enseigne également au sein du master Réseau cinéma de l'université de Lausanne. Ses travaux actuels portent notamment sur la carrière cinématographique de Marcel Pagnol.

Katalin PÓR : Espaces périphériques aux studios hollywoodiens et regroupements d'européens dans les années 1930 et 1940
Salons mondains, associations diverses, cantines ou restaurants… Entre remobilisation de sociabilités préexistantes et avènement de nouvelles solidarités, les espaces périphériques aux studios offrent aux émigrés européens des lieux de rencontres qui débordent les simples regroupements par nationalités, et recoupent bien souvent des affinités politiques. Quels rôles jouent les interactions qui s'y déroulent dans la constitution de liens professionnels ? Dans quelle mesure ces espaces, qui articulent interactions professionnelles, amicales et politiques, sont-ils susceptibles de favoriser l'émergence de projets reflétant les préoccupations spécifiques de ces populations ? À travers quelques études de cas, on essaiera de montrer comment ces espaces informels participent aux dynamiques créatives, inscrivant la genèse des projets dans une géographie sud-californienne qui déborde les seuls espaces formalisés des studios.

Katalin Pór est professeure en études cinématographiques à l'université Paris 8 et membre de l'Institut universitaire de France. Elle a récemment publié Lubitsch à Hollywood. L'exercice du pouvoir créatif dans les studios (2021) et codirigé, avec Caroline Renouard, L'équipe de film au travail. Coopérations artistiques et cadres industriels (2023). Elle coordonne, avec Bérénice Bonhomme, le réseau de recherche Création Collective au Cinéma, et est également présidente de l'Association Française de Recherche sur l'Histoire du Cinéma. Ses travaux actuels portent sur la place des réseaux transnationaux dans la politisation du champ hollywoodien dans les années 1930 et 1940.

Caroline RENOUARD : Entre mémoire, modernisation et innovation : quels défis territoriaux pour les studios français de demain ?
Comment les nouvelles infrastructures de production — alliant tournage et postproduction — cherchent-elles à optimiser des environnements de travail centralisés, intégrant les différentes étapes de création, tout en réduisant coûts, délais et empreintes carbone ? La modernisation de sites historiques, chargés d'un patrimoine cinématographique fort, impose de concilier innovation et préservation, tandis que la création de nouveaux pôles, sur des sites réhabilités, se doit de forger de toutes pièces des identités et des expertises attractives. En comparant ces approches, nous questionnerons la manière dont les multiples enjeux territoriaux façonnent le renouvellement des pratiques des équipes de film — et comment les logiques de production influencent la dynamique d'un territoire et les stratégies des collectivités à différentes échelles. Enfin, nous explorerons le rôle des pouvoirs publics, des plans d'investissement et des politiques culturelles dans le financement et l'ancrage de ces projets.

Caroline Renouard est MCF à l'université de Lorraine, au sein du CREAT – Centre de Recherche sur les Expertises, les Arts et les Transitions. Avec Réjane Hamus-Vallée, elle a codirigé le n°155 de CinémAction "Les métiers du cinéma à l'ère du numérique" (mai 2015), publié Superviseur des effets visuels pour le cinéma (Eyrolles, 2015) et Les Effets spéciaux au cinéma, 120 ans de création en France et dans le monde (Armand Colin, 2018) et, avec la codirection de Giusy Pisano, Truquer, Créer, Innover. Les effets spéciaux en France (PUS, 2024). Avec Katalin Pór, elle a codirigé l'ouvrage L'Équipe de film au travail. Créations artistiques et cadres industriels (éd. AFRHC, 2022).

Gwenaële ROT : Le Havre ville-décor pour La fée (2011)
Le Havre, ville de la reconstruction, labellisée "Unesco" est un personnage à part entière du film La fée tourné par un trio de cinéastes. Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy y ont trouvé une palette de décors inspirants pour nourrir leur scénario et tourner leur film. À partir d'une enquête menée auprès des principaux membres de l'équipe du film et l'exploitation des archives confiées par le chef décorateurs Nicolas Girault, nous examinerons comment une équipe de film s'est appropriée Le Havre. Alors qu'il est courant d'opposer tournages en décors naturels et tournages en studio, comme deux modalités de production antithétiques, le choix et la fabrique des décors de La fée montre à quel point cette distinction est peu opérante pour rendre justice à la manière dont des cinéastes et leur équipe de décoration et de lumière s'emparent d'une ville comme matériau de mise en scène.

Gwenaële Rot est professeure des universités à l'nstitut d'études politiques de Paris, chercheuse au Centre de sociologie des organisations (CSO/CNRS). Sociologue du travail des mondes industriels et artistique, elle publié notamment Planter le décor. Une sociologie des tournages, Paris, Presses de Sciences Po, 2019 ; Travailler aux chantiers (dir.) Paris, Hermann, 2023 ; Le poème mécanique de Raymond Gosselin. L'art en mouvement dans le second XXe siècle (avec François Vatin), Trouville, Illustria, 2024 (sous presse).


Claire ALLOUCHE : De Historias Extraordinarias (2008) à Trenque Lauquen (2022) : la provincia de Buenos Aires topofictionalisée par El Pampero Cine
El Pampero Cine, quatuor de cinéastes argentins qui travaille sur le modèle d'une coopérative artistique, a tourné une dizaine de fictions dans la provincia de Buenos Aires depuis le début des années 2000. Nous nous proposons d'étudier ici la méthode de "topofictionalisation" propre à El Pampero Cine, c'est-à-dire le processus de création cinématographique de la fiction ancré en un territoire spécifique. Nous privilégierons une approche géocritique et comparative en nous focalisant sur l'articulation entre forme de production et forme filmique dans deux très longs métrages significatifs, Historias Extraordinarias (2008) réalisé par Mariano Llinás et Trenque Lauquen (2022) réalisé par Laura Citarella.

Yves BOURGEOIS : Quand le territoire d'un tournage devient une menace !
Comment capter l'essence et les réalités d'une population au sein d'environnements extrêmes ? Deux aventures documentaires témoignent des nombreux défis qu'engendre parfois le territoire du tournage, susceptible entre autres de fragiliser l'accès à l'authenticité des acteurs, ou de mettre en péril la qualité de l'image. Deux univers opposés, l'un nous immerge dans les coursives du Porte-avions Charles de Gaulle où vivent à huis clos 2500 personnes durant l'une des missions de combat réel de l'OTAN, au large de l'océan Indien. L'autre nous embarque dans le sillage de la tragique Expédition Lapérouse disparue mystérieusement en 1788 dans les récifs d'une île perdue du pacifique Sud. L'enjeu de cette communication est de questionner les problématiques des processus créatifs et les tours de force de la mise en scène pour s'adapter aux limites physiques et humaines du tournage. En analysant les choix opérés parmi les différentes configurations techniques et narratives, il s'agit de comprendre comment chaque lieu impose ses propres lois à l'équipe de film, mais aussi ses secrets et ses coins obscurs, parfois difficile à "mettre au jour", au propre comme au figuré.

Olivier CAUWET : Le superviseur des effets visuels, à l'épreuve de l'équipe de film et des territoires ?
À travers cette discussion, Olivier Cauwet, superviseur des effets visuels, explorera comment les VFX transforment des lieux de tournage et redéfinissent les rapports au[x] territoire[s] et à l'équipe de film. Il reviendra sur les procédés par lesquels les artistes VFX participent à créer des espaces et des décors à la fois authentiques et fictionnels, adaptés aux besoins scénaristiques et aux contraintes topographiques et météorologiques. Par ailleurs, comment la dimension mondialisée des VFX, dont le recours généralisé façonne de nouvelles géographies, contribue-t-elle à l'interaction créative et symbolique entre territoire et cinéma ? Olivier Cauwet abordera aussi la place du superviseur VFX au sein de l'équipe de film et des différents lieux de fabrication d'un film (préproduction, plateau de tournage et postproduction). Comment mobiliser pour chacun de ces cadres des collaborations techniques et artistiques étroites et des modalités de communication spécifiques (en présence et à distance), sans empiéter sur le "territoire" (symbolique) des autres membres de l'équipe ?

Léa CHEVALIER : S'approprier un territoire. Les architectes-décorateurs, acteurs des studios français
Je souhaiterais observer la place et le rôle des architectes-décorateurs français au sein des studios entre les années 1940 et 1960. Intimement liés à ces espaces de tournage dans lesquels ils sont formés et où leur pratique s'affirme, les architectes-décorateurs sont perçus par l'industrie du cinéma comme les garants du bon entretien et développement de ces lieux. Au regard des missions de la Commission Studio-Décors, dont les comptes rendus des réunions sont préservés à la Cinémathèque française dans le fonds Lucien Aguettand, il s'agira de questionner l'appropriation matérielle, décisionnelle et affective de ces lieux d'identité et de mémoire collective par les architectes-décorateurs. Dans quelle mesure pourrions-nous considérer ces derniers comme les principaux acteurs des studios français ?

Daddy DIBINGA & Séverine MARGUIN : Fictionnalisation spatiale du quotidien ouest-africain : une analyse ethnographique sur les plateaux de tournages des Afronovelas
Depuis une dizaine d'années, les Afronovelas, soaps ivoiriennes et sénégalaises, sont en plein essor. Faute d'infrastructures de tournage, notamment de studios de production, les tournages ont lieu en décors naturels. Sur la base d'une enquête ethnographique, réalisée à Dakar et Abidjan entre 2022-2024, nous avons analysé la relation des équipes de film aux territoires en suivant au plus près repéreurs, décorateurs, réalisateurs et producteurs. Pour faire face aux contingences en termes de lumière, de bruits, d'accessibilité et de vacances légales, la comparaison de plusieurs boîtes de production, aux budgets et rythmes de production différenciés, révèle des stratégies se déployant à diverses échelles : des tournages concentrés au niveau d'un quartier pour une réplication mimétique du territoire ; des tournage distribués au niveau de la ville, reliant ponctuellement des lieux emblématiques ; ou encore des tournages déployés au niveau de la région, construisant des villes imaginaires par la mise en relation translocale de contrées séparées et lointaines.

Nathalie FEBVRE-SEVERIN : Que font les séries quotidiennes aux territoires ? L'Occitanie studio à ciel ouvert. Du décor à l'espace de négociation
Les séries quotidiennes transforment les territoires en plateaux de tournage avec une organisation industrielle et un rythme soutenu. En s'appuyant sur deux exemples concrets et d'échelle différente, Un Si Grand Soleil à Montpellier et Ici Tout Commence à Saint-Laurent d'Aigouze, cette étude analyse comment ces productions reconstruisent les espaces qu'elles investissent. Les tournages en décors naturels, bien qu'exigeants en termes de logistique et de négociation avec les acteurs locaux, offrent de multiples avantages. Notamment, ils valorisent les territoires, développent le tourisme et l'emploi. Cependant, ces interactions complexes nécessitent une gestion fine afin d'éviter les frictions et de garantir une cohabitation harmonieuse entre les équipes de production, les habitants et les institutions. Les séries quotidiennes apparaissent ainsi comme de véritables acteurs du développement territorial, à condition de mettre en place des dispositifs de médiation et de concertation adaptés.

Julien FERRANDO : La prise de son en extérieur chez Pagnol
Lorsque l'on examine avec soin les œuvres de Marcel Pagnol, on découvre un univers sonore profondément ancré dans un territoire. Dès son premier film en tant que réalisateur (Jofroi, 1933), Pagnol privilégie les tournages en décors réels, afin de restituer avec justesse et authenticité l'atmosphère sonore de ses espaces narratifs. Ses compositeurs, Scotto et Honegger en particulier, jouent un rôle clé dans le processus de création, participant à la préparation et au tournage. Cette attention particulière portée à la musique et aux sons d'ambiance qui viennent enrichir le dialogue pour créer un univers sonore géographiquement marqué, préfigure les théories du paysage sonore développées par Murray Schafer dans les années 1970. En s'appuyant sur l'étude de quatre films tournés entre 1933 et 1937 (Jofroi, Angèle, Merlusse et Regain) nous analyserons la manière dont Pagnol parvient, à travers une collaboration étroite avec ses ingénieurs du son et ses compositeurs et en installant ses tournages au cœur des paysages qu'il décrit, à restituer l'univers sonore des collines de son enfance.

Camille GENDRAULT : Les tournages dans les villes moyennes. L'Exemple de la ville d'Agen
Cartographier les lieux de tournage des longs-métrages de fiction en Nouvelle-Aquitaine amène à constater combien les villes petites et moyennes sont peu filmées, et d'autant plus invisibilisées que le contexte du récit est alors souvent celui d'une ville "de province" présentée de façon générique. Dans quelques cas interviennent toutefois des traits plus spécifiquement locaux. Cette communication vise à analyser, à partir de deux d'entre eux — Mercenaire (Sacha Wolff, 2016), En Guerre (Stéphane Brizé, 2018) — et des données du bureau d'accueil des tournages du Lot-et-Garonne, les modalités et temporalités, dans l'économie d'un tournage, de cet apprentissage d'un territoire dont certains films témoignent. Elle cherchera de plus à en estimer les effets sur un temps plus long : observe-t-on un retour sur les lieux dans les filmographies des réalisateurs et/ou d'une partie des équipes ?

Réjane HAMUS-VALLÉE : L'Europe, un territoire pour les effets visuels ? Étude de la répartition territoriale des studios VFX européens
Depuis les années 1980, les effets visuels se déploient au sein de studios dédiés, à travers quelques pionniers épars, bientôt rejoints par de nombreux concurrents encouragés par la multiplication des outils numériques. Cette communication se demandera donc comment ces studios VFX se sont implantés en Europe, dans quels territoires, avec quelles configurations. Quels modèles se sont développés, entre le cluster centralisé, type Londres et Paris, et une forte décentralisation, comme par exemple en Allemagne ? En quoi ces implantations dépendent-elles d'aides politiques / économiques, d'enjeux techniques (comment les outils post covid ont-ils modifié en profondeur les conditions de travail, les possibilités et les envies de délocalisation) et de questionnements esthétiques (ces territoires géographiques recouvrent-ils des territoires symboliques, avec des effets spécifiques, pour une cinématographie spécifique) ?

Mathieu MALLARD : Organiser, regrouper, polariser. Tracer l'impossible frontière du "genba" dans l'industrie de l'animation japonaise (1956-1973)
Sur la base d'une étude de discours et de mémoires d'employés de l'industrie de l'animation japonaise, nous aurons pour objectif d'interroger la notion de "genba" (現場), à partir de l'analyse de deux studios cibles (Tôei Dôga, 1956-1972, et Mushi Pro, 1962-1973). Traduisible comme "lieu", "site", cette notion est employée par les anciens employés de l'industrie pour désigner le site de production de l'animation, où le travail d'animation s'effectue avec ses pairs. Pourtant, les contours de ce "genba" sont plus que flous : s'agit-il du studio compris comme entreprise ? Du bâtiment où s'organise la production ? Il s'agira d'interroger les modalités de constitution de cet espace social imaginaire — et donc, d'explorer les dynamiques de pouvoir qui façonnent cette frontière entre la communauté de ceux au cœur de la production, et ceux qui en sont exclus.

Nedjma MOUSSAOUI : Anatole Litvak (1902-1974), cinéaste caméléon ?
Ses facultés d'adaptation exceptionnelles, liées à ses capacités linguistiques, ont vraisemblablement permis à Litvak de se fondre dans les différents pays et milieux cinématographiques qu'il a traversé en qualité de double exilé russo-germanique, mais ont sans doute participé à le maintenir dans l'ombre malgré ses succès. Revenir sur sa trajectoire conduit à s'interroger sur les raisons et les modalités de son intégration plus rapide et plus précoce que d'autres à de nouveaux espaces professionnels. L'articulation entre les dimension biographiques et professionnelle mérite d'être explorée. Sa carrière internationale révèle un rapport différencié aux divers territoires investis. Un attachement durable à la France, et sans doute plus particulièrement à Paris et à la côte d'Azur, se dessine à travers son œuvre et dans sa vie.

Camille PIERRE : Entre territoire sonore réel, fantastique et fantasmé : étude du Règne animal (Thomas Cailley, 2023)
Le second long-métrage de Thomas Cailley, Le Règne animal (2023) est un film de science-fiction qui raconte, dans un futur proche, la vague de mutations qui transforme les humains en créatures animales. Étudier cette œuvre à travers le prisme du son nous permettra d'investiguer le lien entre le choix d'un territoire particulier et le rendu sonore de ce lieu au sein de la fiction. Michel Chion emploie le terme "son-territoire" pour décrire une ambiance identifiant un espace. Le film prend place en Nouvelle Aquitaine, majoritairement dans le parc naturel régional des Landes de Gascogne et en vallée du Lot. Pour son premier film, Les Combattants (2014), le réalisateur exprimait déjà son attachement à la région. Nous nous demanderons comment le territoire sonore s'est transformé au fil de ses passages entre le tournage et la post-production ? Comment cela s'est-il organisé ? La fabrication du film ayant été marqué par des incendies de grande envergure, nous interrogerons également la réaction de l'équipe face à ces imprévus.

Marie PRUVOST-DELASPRE : Cartographie du studio de poche : le travail à domicile dans la production animée française des années 1970
Le travail à domicile représente une modalité d'exercice professionnel de l'animation si prégnante en France dans les années 1970 qu'elle devient un sujet de débat au sein de la section animation du Syndicat des Techniciens de la Production de Cinéma et de Télévision. À partir des archives du syndicat et d'entretiens, nous tenterons de mettre en valeur les principaux enjeux de cette pratique, pour dessiner une forme de cartographie de ces studios de poche dans leur matérialité et leurs relations avec les espaces de production institués. L'hypothèse centrale renvoie à la circulation des travailleurs et des objets propres à leur activité, déplacements géographiques dont on cherchera à montrer qu'ils tracent une dynamique de rapports de force entre l'espace légitime du studio et des contextes plus instables ou précaires d'activité salariée, mais aussi entre les professionnels de l'animation eux-mêmes.

Stéphane TRALONGO : Nagra/Niger. Mythologie de l'enregistreur sonore
Lorsque le cinéaste suisse Henry Brandt se rend au Niger pour y tourner un film ethnographique en 1953, il entend être le premier à ramener des images de ce territoire et des Wodaabe qui l'habitent, mais aussi le premier à collecter les sons associés à ces images. Emblématique du cinéma expéditionnel de cette période, le film auquel il aboutit, Les Nomades du soleil (1954), est pris dans une double mythologie : s'il déploie la figure fantasmatique du cinéaste-explorateur œuvrant en solitaire dans une lutte contre les éléments, il participe aussi de la mythologie technique d'une machine, celle du magnétophone autonome Nagra fonctionnant dans toutes les conditions climatiques. Grâce à la redécouverte récente des bandes magnétiques réalisées in situ par Brandt, cette recherche propose de repartir de la matière sonore pour interroger le geste de captation du cinéaste sur ce territoire colonisé, mais aussi son pendant, le geste de restitution des sons, central au dispositif de tournage qu'il met en place.

Eugénie ZVONKINE : Le Kirghizstan soviétique comme cas d'étude : lieu de tensions entre centre soviétique et identité nationale
Durant les années 1950 et 1960, il est fréquent que des cinéastes venus de Russie soviétique ou bien tout juste diplômés du VGIK viennent travailler en Asie centrale. Deux cas sont particulièrement intéressants à envisager dans notre étude : Chaleur torride (Znoï, 1963) de Larissa Chepitko, ukrainienne, et Premier maître (Pervyi outchitel, 1965) d'Andreï Kontchalovski, russe, sont deux films de fin d'étude du VGIK tournés à Kirghizfilm. Tous deux sont des adaptations par des cinéastes venus d'ailleurs du grand écrivain kirghize, Tchinguiz Aïtmatov. L'étude des sténogrammes des discussions dans le studio, ainsi que des témoignages de collaboration, et des systèmes esthétiques des films, nous permettront d'envisager la manière dont se jouent les relations interprofessionnelles au sein de ces équipes multinationales et la manière dont on perçoit ces œuvres au Kirghizstan.


BIBLIOGRAPHIE :

• Bérénice Bonhomme, Simon Daniellou & Priska Morrissey (dir.), Penser la photographie, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2025.
• Patricia Caillé, Olivier Thévenin & Benjamin Thomas (dir.), "Le cinéma européen", Mise au point, n°13, 2020.
• Réjane Hamus-Vallée (dir.), Parcours "Les métiers du décors", Technès, encyclopédie raisonnée des techniques du cinéma, 2022.
• Réjane Hamus-Vallée, Giusy Pisano & Caroline Renouard (dir.), Truquer, créer, innover : les effets spéciaux français, Le Septentrion, Lille, 2024.
• Morgan Lefeuvre, Les manufactures de nos rêves. Les studios de cinéma français des années 30, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2021.
• Katalin Pór & Caroline Renouard (dir.), avec la collaboration de Mélisande Leventopoulos, L'Équipe de film au travail : créations artistiques et cadres industriels, AFRHC, Paris, 2023.
• Gwénaële Rot & Laure de Verdalle (dir.), Le cinéma : travail et organisation, La Dispute, Paris, 2013.
• Gwénaële Rot, Planter le décor. Une sociologie des tournages, Presses de Sciences Po, Paris, 2019.


BULLETIN D'INSCRIPTION


Les inscriptions à ce colloque ne seront ouvertes qu'à partir du 15 mars prochain. En attendant, nous vous invitons à consulter la page Inscription de notre site.