"TÉMOIGNAGE D'UNE CHARGÉE D'ÉTUDES À LA FABRIQUE DE LA CITÉ"
RENCONTRE AVEC MARIANNE LALOY BORGNA
Suite de nos échos au colloque Les propagations : un nouveau paradigme pour les sciences sociales ? qui s'est déroulé du 25 au 31 juillet 2025, à travers, cette fois, un entretien avec Marianne Laloy Borgna, chargée d'études à la Fabrique de la Cité.
Pour commencer pouvez-vous préciser ce qui a décidé de votre participation à ce colloque-ci ?
Marianne Laloy Borgna : Je suis chargée d'études à la Fabrique de la Cité, qui a déjà été partenaire de différents colloques de Cerisy. Plusieurs de mes collègues y sont venus à différents titres. La Fabrique étant également partenaire de-celui, il m'a été proposé d'y assister. J'étais d'autant plus intéressée que j'ai une formation en sciences sociales — je suis titulaire d'un master 2 d'Affaires publiques parcours Transitions écologiques (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) et d'un master 2 de Géopolitique locale (Institut français de géopolitique) — ce qui m'a conduite à faire de la sociologie, de la science politique ou encore de la géographie. La promesse d'un nouveau paradigme, comme suggéré dans l'intitulé du colloque, ne pouvait donc que m'interpeller et m'intriguer. D'autant plus que je ne connaissais rien des phénomènes de propagations, le cadre théorique proposé par Dominique Boullier, dont l'ouvrage Les Propagations : un nouveau paradigme pour les sciences sociales (Armand Colin, 2023), a directement inspiré la thématique du colloque.
S'agissait-il aussi pour vous de nourrir un projet que la Fabrique de la Cité porterait sur des thématiques similaires ou bien de faire un travail de veille sur ce qui se débat dans les sciences sociales ?
Marianne Laloy Borgna : Nous sommes effectivement plus, à ce stade, dans une démarche de veille. Je suis donc venue ici sans préjuger d'une suite possible. Cela étant dit, j'ai récemment travaillé sur les problématiques du bruit en ville et des ambiances sonores urbaines. La communication de l'architecte et géographe Pascal Amphoux sur les propagations au prisme des ambiances, programmée demain, retient particulièrement mon attention. Elle fera très vraisemblablement écho avec plusieurs de mes constats ou hypothèses.
Connaissiez-vous Cerisy avant de vous y rendre ?
Marianne Laloy Borgna : J'avoue n'avoir commencé à en entendre parler qu'une fois que j'ai rejoint La Fabrique ; les témoignages de mes collègues n'ont fait qu'aiguiser ma curiosité.
Et alors ?
Marianne Laloy Borgna : Pour la jeune femme de 26 ans que je suis, il y a quelque chose d'impressionnant à pouvoir se rendre dans une institution pareille — car j'ai très vite compris que c'est bien d'une "institution" qu'il s'agit, au sens d'un lieu qui fait référence, riche d'une très longue histoire ; d'éminents penseurs, intellectuels et écrivains y sont venus de sorte qu'on peut dire qu'une grande partie de l'histoire intellectuelle et culturelle française s'est jouée ici. Je suis heureuse de pouvoir en faire à mon tour l'expérience, fut-ce en tant qu'auditrice.
Qu'en est-il quelques jours plus tard ? Que retenez-vous de ce que vous avez entendu ?
Marianne Laloy Borgna : Au regard du contenu, ce colloque a été l'occasion de nombreuses découvertes et ce, dès la toute première communication de Dominique Boullier — je n'étais pas familière du concept de propagations. J'ai été aussi intéressée, et pour tout dire inspirée, par le concept de "voisinage" : pour travailler sur l'environnement urbain, je vois le profit que je peux en tirer. Il fait écho avec des approches des espaces publics, des espaces où a priori des gens de différents milieux sociaux se croisent, se brassent, et éventuellement se rencontrent — soit des approches qui s'inscrivent dans la perspective du "droit à la ville", tel que défini dans les années 1960 par le philosophe et sociologue Henri Lefebvre.
De la communication du sociologue Emmanuel Didier, en particulier, sur les "Méthodes quantitatives et caractéristiques de la société", je retiens aussi les problèmes inhérents à la réalisation de recensements : les biais, les risques d'une "objectivisation" du monde social sous prétexte de le mesurer. La profondeur historique qu'il s'est employé à restituer est précisément quelque chose que j'essaie d'apporter dans mes propres études.
Si c'est la première fois que vous veniez à Cerisy, vous avez cependant l'expérience de colloques scientifiques…
Marianne Laloy Borgna : N'ayant pas poursuivi jusqu'en thèse, je n'ai pas l'expérience de colloques proprement scientifiques, plutôt celle de séminaires et autres tables rondes comme en organisent des institutions privées, non académiques, ou des milieux professionnels. Des académiques y interviennent mais aux côtés d'experts, de consultants et autres professionnels d'un secteur. C'est dire si le format du colloque de Cerisy était nouveau pour moi : même s'il mêle lui aussi des académiques et des non académiques, il se rapproche des colloques scientifiques de par le format des communications, l'importance accordée aux enjeux de méthode et d'épistémologie.
C'est ce qui fait précisément, selon moi, l'intérêt d'un colloque de Cerisy. Le fait de pouvoir passer du regard d'un virologue à celui d'un philosophe, d'un géographe ou d'un tout autre spécialiste, permet de voir comment un concept élaboré dans un champ d'étude donné en vient à se décliner dans d'autres domaines disciplinaires ou professionnels. Cela rend les discussions d'autant plus stimulantes en plus de rassurer : un concept n'est pas l'apanage d'une discipline, d'un domaine ; on peut se l'approprier moyennant un minimum de précaution. Il faut donc remercier les organisateurs d'avoir organisé ce type de rencontre car, ce faisant, ils prennent eux-mêmes un risque.
Je trouve heureux le fait d'évoquer une prise de risque. Armand Hatchuel, familier du lieu, recommande justement de faire à Cerisy les communications qu'on ne se risquerait pas de faire dans un colloque scientifique, devant ses pairs, car, estime-t-il, Cerisy est précisément le lieu où on peut avoir l'audace de faire un pas de côté pour explorer de nouvelles pistes de réflexion et de recherche.
Cela étant dit, comment avez-vous vécu les autres aspects de l'expérience cerisyenne : un colloque qui se déroule sur plusieurs jours, dans un château, avec son parc arboré, et au rythme des cloches qui battent le rappel à la reprise des communications ou pour les repas qu'on partage ensemble ?
Marianne Laloy Borgna : De prime abord, j'appréhendais de vivre cette immersion totale avec des personnes que je n'ai pas l'habitude de fréquenter. Me retrouver ainsi au petit déjeuner avec le géographe Jacques Lévy a été pour moi une expérience étrange ! [Rire]. Je l'avais lu pendant mes années de classes préparatoires… J'étais à mille lieues d'imaginer pouvoir un jour échanger avec lui de manière aussi informelle. D'ailleurs, Cerisy m'a fait aussi penser à ces années de classes prépas. C'était au Lycée Carnot de Dijon, j'étais interne. La petite chambre que j'occupe actuellement ressemble presqu'en tout point à celle que j'occupais dans l'internat. J'ai aimé la possibilité de m'y retirer le temps de me remettre de la densité des débats, de me poser un peu. Le fait que les sujets me soient pour la plupart nouveaux, loin de mes domaines de spécialité, me rappelle aussi ces années de classes préparatoires et le plaisir que j'avais alors d'apprendre des choses totalement nouvelles.
Comment vous projetez-vous dans l'avenir au regard de Cerisy ? Vous imaginez-vous y revenir en tant qu'intervenante voire co-directrice de colloque ?
Marianne Laloy Borgna : [Rire]. Organiser un colloque à Cerisy ? Alors là, au stade où j'en suis dans ma carrière, je ne l'imagine même pas ! En revanche, y revenir, oui bien sûr, fût-ce en tant que simple auditrice.
Propos recueillis par Sylvain ALLEMAND
Secrétaire général de l'AAPC