REENACTMENT / RECONSTITUTION : REFAIRE OU DÉJOUER L'HISTOIRE ?
DU SAMEDI 22 SEPTEMBRE (19 H) AU SAMEDI 29 SEPTEMBRE (14 H) 2018
[ colloque de 7 jours ]
ARGUMENT :
La ferveur pour l'histoire s'étend aujourd'hui largement au-delà des cercles initiés et paroles consacrées. Elle prend notamment la forme de reconstitutions grandeur nature, en temps réel, d'événements à caractère historique : batailles, festivités, rites religieux ou civiques, ambassades, processions, repas, spectacles ou même modes de vie… En marge du discours scientifique (qui pourtant les nourrit) et surtout du discours institutionnel (dont pourtant elles s'inspirent), les initiatives de ces "reconstitueurs" ou performeurs attestent d'un rapport de réappropriation, voire de détournement, où les publics s'emparent de l'Histoire pour vivre une expérience sensible ou sensorielle, participative et immersive.
Rejouer l'histoire n'est pas un geste comme un autre, puisqu'à la faveur de la reconstitution, le temps se redéploie en cristallisant de nouveaux enjeux, entre commémoration, marchandisation, expérimentation et subversion. Ce que l'anglais nomme reenactment peine à trouver un équivalent en français, la traduction même du mot posant problème : remise en acte, réactivation, recréation, reconstitution, restitution…
L'objectif de ce colloque consiste à définir cet acte complexe et à cartographier ces pratiques diverses de reconstitution historique d'hier et d'aujourd'hui, depuis les exploitations mémorielles et récréatives jusqu'aux dispositifs scientifiques et artistiques, en passant par les avatars numériques, entre survivance du passé et acte de création imaginaire.
Largement ouvert aux expérimentations concrètes, il articulera ateliers, conférences, débats, tables rondes et projections autour de plusieurs thématiques structurantes. Une première séquence de travail permettra d'abord de distinguer usages anciens et pratiques contemporaines ; une seconde séquence interrogera les enjeux de production et de diffusion de cette "fabrique" d'histoires ; une troisième séquence étudiera les usages sociaux du Reenactment en fonction de leurs objectifs et implications, afin de mettre en évidence des points de tension entre différentes formes de médiation de l'Histoire.
CALENDRIER DÉFINITIF :
Samedi 22 septembre
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS
Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants
Dimanche 23 septembre
PERFORMANCE ET HISTOIRE
Matin
Estelle DOUDET & Martial POIRSON : Cadrage, définition, périodisation, typologie
Guy SPIELMANN : Re(con)stitution, Reenactment, reconstruction, revival : enjeux et défis épistémologiques d'une démarche paradoxale
Après-midi
Atelier
Sur les costumes d'époque, théâtre, opéra, cinéma (avec exposition de costumes mannequinés), par Mickael BOUFFARD
Atelier récurrent
Guy SPIELMANN [avec la Compagnie Sapasousakas et les participants au colloque volontaires] : Mise en scène d'une parade de société (Collé ou Carmontelle) [avec restitution le dernier après-midi]
Soirée
Projection-Débat
Benjamin Lazar, Le Bourgeois Gentilhomme / Jean-Marie Villégier, Atys | Commentaires de Guy SPIELMANN
Lundi 24 septembre
RITES CIVIQUES ET RELIGIEUX D'HIER ET D'AUJOURD'HUI
Matin
Mémoires autochtones et histoires locales, table ronde avec :
Isabel YAYA McKENZIE : Ce que l'histoire fait au rituel. Les représentations de la capture du dernier Inca dans les Andes péruviennes
Mathieu VIAU-COURVILLE : Post-mémoire, Embodiment et Reenactment au Musée : continuités et reconstructions symboliques [intervention établie avec Karen WORCMAN]
Après-midi
Mémoires officielles et histoires instituées, table ronde avec :
Pascal BRIOIST : Les spectacles d'histoire de Léonard de Vinci à la cour de François Ier
Isabelle BARBÉRIS : Figures votantes : rejouer les bifurcations de l'histoire ou de la fable
Atelier récurrent
Guy SPIELMANN
Soirée
Atelier
Le self-défense des suffragettes, par Daniel JAQUET
Mardi 25 septembre
RECONSTITUTIONS HISTORIQUES : USAGES POPULAIRES ET SPONTANÉS
Matin
Captations mémorielles, table ronde avec :
Romain JOBEZ : Batailles sans guerre. Reconstitution de conflits sur les scènes allemandes et françaises (XIXe-XXe siècles)
Tamara KONDRATIEVA : Bolchevicks et Jacobins, une captation d'héritage ?
Après-midi
Exploitations mémorielles, table ronde avec :
Audrey TUAILLON DEMÉSY : L'histoire vivante médiévale : les tendances
Pauline BORD : Concilier Recherche et Reconstitution à destination du grand public. Le défi d'Histoire Retrouvée
Frédérique TROUSLARD : Une pédagogie du passé : l'action des associations
Antoine de BAECQUE : Rêver et refaire un festival : Cannes 1939, l'événement qui n'eut pas lieu. Uchronie, histoire fiction, événement avorté
Soirée
Atelier
Recherches et recréations des cosmétiques du début du XVIIIe siècle. Pour une approche de la médiation par les sens, par Frédérique TROUSLARD
Mercredi 26 septembre
LA FABRIQUE DES HISTOIRES : USAGES SAVANTS ET HISTORIOGRAPHIQUES
Matin
Atelier
La reconstitution scientifique des arts martiaux et de l'équitation médiévale et renaissante, par Daniel JAQUET
Après-midi
Dispositifs optiques, sonores, olfactifs, tactiles, gustatifs, table ronde avec :
Isabelle PARESYS : La Renaissance au cinéma : la question du costume
Aurélie MOUTON-REZZOUK : Voir, entendre, penser comme… Dispositifs d'échange symbolique et muséographie
Dispositifs immersifs et cultures numériques : protocoles ludiques et pédagogiques, table ronde avec :
Isabelle BACKOUCHE : De l'histoire à l'immersion sonore : l'expérience de Gens de la Seine
Jeffrey M. LEICHMAN : La Foire aux reenactments : problématiques de la restitution d'un théâtre du dix-huitième siècle par le biais du jeu vidéo
Thomas FACCHINI : Histoire et jeux vidéo : quand la guerre devient un jeu
Soirée
Projection-Débat
Peter Watkins, Culloden | Commentaires d'Antoine de BAECQUE
Jeudi 27 septembre
USAGES ARTISTIQUES ET CULTURELS
Matin
Dispositifs immersifs et cultures numériques : protocoles ludiques et pédagogiques (suite), table ronde avec :
Sophie RAUX : La restitution numérique du pont Notre-Dame, quels enjeux pour l'histoire des marchés artistiques ?
Patrick FRAYSSE : Rejouer le Moyen Âge avec les nouveaux dispositifs de médiation dits immersifs ou augmentés : entre renouvellement des représentations et performances documentaires
Après-midi
Anne BÉNICHOU : Disputer son rôle dans l'histoire : le reenactment dans les pratiques et les institutions de l'art contemporain [enregistrement audio en ligne sur La forge numérique de la MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]
Atelier
Reprise : "usure" et "renaissance" de l'œuvre performative, conférence-performance de Besnik HAXHILLARI & Flutura PREKA (The Two Gullivers)
Vendredi 28 septembre
USAGES ARTISTIQUES ET CULTURELS
Matin
Fictions d'histoire et archives vivantes, table ronde avec :
Estelle DOUDET : Histoires par personnages : les spectacles mémoriels dans la France médiévale
Martial POIRSON : Performances post-coloniales : entre déconstruction et remotivation des stéréotypes coloniaux
Estelle DOUDET & Martial POIRSON : Synthèse-conclusive, débats, restitutions, échanges
Après-midi
Atelier récurrent
Spectacle avec les participants du colloque volontaires. Parade de société et théâtre au château, suivi d'un débat animé par Guy SPIELMANN
Samedi 29 septembre
PASSAGE À L'ACTE
Matin
"HORS LES MURS" — AU MONT SAINT-MICHEL
• Accueil à l'entrée du site
• Visite proposée par Xavier BAILLY (Administrateur de l'abbaye du Mont-Saint-Michel)
• Faire vivre un lien, l'histoire en actes, table ronde animée par Xavier BAILLY, avec François JEANNEAU (Architecte en chef des monuments historiques)
• Débat
Après-midi
DÉPARTS
RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :
Isabelle BACKOUCHE : De l'histoire à l'immersion sonore : l'expérience de Gens de la Seine
La Ville de Paris a entrepris depuis plusieurs années de faire des bords de Seine un lieu de vie pour les Parisiens. Si ces nouveaux usages des rives sont propres au XXIe siècle, ils renvoient toutefois à l'histoire du fleuve. Pendant plusieurs siècles, il a été au cœur de la vie des Parisiens dans toute leur diversité. Vaste supermarché et gigantesque blanchisserie, lieu d'habitation comme place commerciale, la Seine était aussi un lieu de détente où il faisait bon se promener l'été et se distraire. Gens de la Seine est un parcours sonore dans lequel des personnages qui ont vécu et travaillé sur le fleuve content leur expérience aux Parisiens et aux touristes qui inscrivent leurs pas dans ceux des habitants de la capitale au XVIIIe siècle. Cette manière inédite de raconter l'histoire de Paris allie plaisir de l'expérience d'écoute, incarnation du passé le plus quotidien et respect d'une haute qualité scientifique. Elle a été conçue comme un projet citoyen : restituer aux chercheurs l'initiative de la production d'un savoir disponible pour le plus grand nombre.
Isabelle Backouche est directrice d'études à l'EHESS (CRH). Historienne, ses travaux portent sur l'histoire urbaine, en articulant transformations sociales et matérielles de la ville. Ses récentes enquêtes portent sur le terrain parisien, notamment sur les motivations de l'aménagement sous Vichy de l'îlot insalubre n°16 au sud du Marais (Paris transformé. Le Marais 1900-1980 : de l'îlot insalubre au secteur sauvegardé, Créaphis, 2016). Aujourd'hui, elle travaille sur le vaste transfert d'appartements des familles juives sous l'occupation dans la capitale (en savoir plus) et sur la Zone autour de Paris.
Publications
La Trace du fleuve. La Seine et Paris, 1750-1850, Éditions de l'EHESS, 2000 [rééd. 2016].
Aménager la ville. Les centres urbains français entre conservation et rénovation (de 1943 à nos jours), Armand Colin, 2013.
Isabelle BARBÉRIS : Figures votantes : rejouer les bifurcations de l'histoire ou de la fable
De Robert Hossein jusqu'à Yan Duyvendak, la mise en scène, et en action, d'un public votant joue la carte du re-examen de l'histoire (les procès rejoués par Hossein) ou bien de l'historicisation de la fable dramatique (Faust, Hamlet). Le monde parallèle du théâtre y concurrence de manière ambivalente l'histoire, en jouissant de son statut duplique de "fiction réelle". Le reenactment s'inscrit dans la tradition de la réécriture, mais avec l'agentivité spécifique de la scène, qui a un pied dans la fiction et l'autre dans la "non-fiction" (Frédéric Pouillaude). Ces remises en jeu sont également éclairantes des idéologies démocratiques qui se "rejouent", cette fois-ci de manière plus inconsciente, sur le terrain de l'art vivant.
Anne BÉNICHOU : Disputer son rôle dans l'histoire : le reenactment dans les pratiques et les institutions de l'art contemporain
À partir de la performance Two Undiscovered Amerindians Visit the West (1992-1994) de Coco Fusco et Guillermo Gòmez-Peña, du film qui en a été réalisé par Fusco et Paula Heredia, The Couple in the Cage (1993) et de l'exposition Re.Act Feminism 2. A Performing Archive (2011-2013), cette communication abordera la portée mémorielle et politique des reenactments en art contemporain. À travers eux, les artistes, les spectateurs et les professionnels des institutions muséales renégocient les représentations et les récits historiques, l'assignation des places que chacun y occupe, et la distribution des responsabilités et des pouvoirs dans leur élaboration, selon une dialectique complexe de l'archive et du vivant, du direct et du médiatisé, de la normativité et de l'agentivité (ou capacité d'agir). Quels sont les impacts de ces expériences sur les communautés et les institutions impliquées ? Participent-elles d'une mutation des rôles de l'art et des musées ?
Anne Bénichou est professeure d'histoire et de théorie de l'art contemporain et d'études muséales à l'université du Québec à Montréal. Ses recherches actuelles sur les nouvelles formes de transmission des œuvres éphémères et performatives et sur le reenactment ont donné lieu à l'ouvrage collectif Recréer/Scripter. Mémoires et transmissions des œuvres performatives et chorégraphiques contemporaines (Dijon, Les Presses du Réel, 2015), au numéro thématique "Refaire/Redoing" (Intermédialités. Histoire et théorie des arts, des lettres et des techniques, n°28-29, 2017), ainsi qu'à des articles dans Performance Research, Ligeia, Thema, Ciel Variable.
Pauline BORD : Concilier Recherche et Reconstitution à destination du grand public. Le défi d'Histoire Retrouvée
Créé officiellement en janvier 2017, la société Histoire Retrouvée s'est fixée comme but de reconstituer des événements historiques en respectant les arts et les techniques de l'époque choisie. Avec des lieux de prestige comme les châteaux de Fontainebleau, Rambouillet ou encore Breteuil, cette société assure la documentation historique, la scénographie d'événements reconstitués de même que leur mise en œuvre. Elle commercialise également des reproductions d'objets ou de broderies historiques à destination du reconstituteur. Cette communication analysera ce style d'événementiel ainsi que les démarches de travail utilisées.
Site internet de l'entreprise où sont présentées les différentes manifestations et les reproductions en vente : lhistoireretrouvee.com.
Doctorante à l'université de Lille 3, laboratoire IRHIS, Pauline Bord achève une thèse sur Jean Bâtard d'Orléans, sous la direction de Bertrand Schnerb. Pratiquant la Reconstitution depuis six ans, elle organise en 2015 la fête costumée du Retour de l'Hermione, et les Journées Louis XV en 2016. Elle crée, avec M. Hervé Serrurier, la société Histoire Retrouvée en janvier 2017. Elle en assure la présidence.
Estelle DOUDET & Martial POIRSON : Cadrage, définition, périodisation, typologie
Cette introduction générale propose un cadrage théorique de ce qu'il est convenu d'appeler reenactment (définitions, typologie, problématiques), à partir de la cartographie des initiatives contemporaines en France comme à l'étranger et d'un état des recherches sur le sujet, notamment dans le monde anglo-saxon. Elle cherche à remettre en perspective historique les formes de reconstitution, afin d'isoler les phénomènes de concordance et de discordance des temps avec les pratiques actuelles. Elle proposera une typologie des formes de reenactment, en le distinguant de formes connexes, telles que revival, réitération, reconstitution, restitution ou encore réactivation…
Estelle DOUDET : Histoires par personnages : les spectacles mémoriels dans la France médiévale
Le Moyen Âge joue aujourd'hui un rôle central dans les spectacles d'histoire, où il est souvent représenté comme le temps d'émergence des identités locales et nationales. Mais rejouer les grands moments du passé, réinterpréter l'histoire récente grâce au spectacle est aussi, et peut-être surtout, une pratique médiévale, attestée par la vogue du tournoi-jeu de rôle parmi la chevalerie européenne comme par les mystères à partir desquels les croyants ont réinvesti l'histoire chrétienne. Cette contribution propose d'observer le développement exponentiel du "rejeu" mémoriel entre 1450 et 1530, en particulier dans les villes voisines du royaume de France, des Pays-Bas méridionaux aux rives du Léman. À travers les histoires romaines grâce auxquelles les habitants de Lille pensent leur identité civique au miroir des héros antiques, les spectacles qui performent des sièges célèbres, comme celui d'Orléans remporté par Jeanne d'Arc, et les fêtes qui célèbrent régulièrement l'alliance des cités suisses, sont questionnés les enjeux esthétiques et sociaux de la performance d'histoire au seuil de la modernité et esquissée une histoire longue du reenactment en français.
Professeur de langue et de littérature française du Moyen Âge à l'université Grenoble Alpes et membre junior de l'Institut Universitaire de France, Estelle Doudet est spécialiste de la communication publique dans les régions de langue française au seuil de la modernité. Elle a consacré plusieurs livres à l'histoire des spectacles aux XIVe-XVIe siècles, dont Moralités et jeux moraux, le théâtre allégorique en français (Garnier, 2018). Elle s'intéresse en particulier aux enjeux des représentations de l'actualité et de l'histoire par le biais de la performance.
Thomas FACCHINI : Histoire et jeux vidéo : quand la guerre devient un jeu
Depuis une vingtaine d'années, de nombreuses sciences sociales se sont intéressés à ce nouveau média culturel de masse que sont les jeux vidéo. La guerre, quelles que soit les époques et les conflits, occupe une place prégnante dans les productions vidéoludiques. Il faut questionner le processus de "mise en jeu" de la guerre, c'est-à-dire les diverses façons dont les créateurs de jeu (professionnels ou amateurs) s'approprient un conflit et comment ils synthétisent un fait historique dans un espace vidéoludique selon les attentes des joueurs. Cela amène à étudier le rapport du jeu aux diverses temporalités (contexte historique évoqué et simulé par le jeu, temps d'une partie de jeu) et les multiples dilatations temporelles qui en découlent. Si les joueurs peuvent être sensibles à une représentation historique, ils sont aussi à la recherche d'une temporalité particulière.
Publication
"Guerres et jeux vidéo : représentations et enjeux de mémoire de la Seconde Guerre mondiale", Amnis, 15 | 2016 [en ligne].
Patrick FRAYSSE : Rejouer le Moyen Âge avec les nouveaux dispositifs de médiation dits immersifs ou augmentés : entre renouvellement des représentations et performances documentaires
La visite théâtralisée des monuments, les ateliers de reconstitutions vivantes de l'histoire ou les jeux d'évasion à thématique historique sont aujourd'hui des formes de traduction du passé par une interprétation libre. Le spectacle historique offre une appréhension exaltée ou magnifiée du Moyen Âge qui permet d'atteindre l'histoire, le passé à travers des activités, une narration, des jeux. On a donc recours à d'autres types de discours que scientifique, à savoir mythologique et de divertissement. Notre propos est d'analyser ces moments où l'industrie du tourisme détourne le monument et son histoire en essayant de capter des signifiés de médiévalité. Le Moyen Âge est souvent résumé dans ces dispositifs en une image générique qui propose des décors éphémères, des costumes, un scénario, des personnages qui naviguent entre fiction et histoire afin d'augmenter la réalité des vestiges que les visiteurs peuvent voir et de nourrir les imaginaires. Cette réflexion sera fondée sur le personnage médiéval le plus documenté : Jeanne d'Arc, à partir d'un lieu privilégié : Rouen et ses 3 lieux d'accueil du public : l'historial Jeanne d'Arc dans le palais épiscopal derrière la cathédrale, le spectacle son et lumière touristique appelé Panorama XXL et la Tour Jeanne d'Arc qui accueille un jeu d'évasion. Dans chacun de ses lieux, les visiteurs sont invités à rejouer l'histoire en s'immergeant dans le décor d'un événement de la vie de Jeanne d'Arc (Historial et Panorama) ou dans une ambiance médiévalisante (le donjon). Nous pourrons nous demander quels choix sont opérés par ces acteurs de la médiation-spectacle pour communiquer le patrimoine médiéval. Quels stéréotypes du Moyen Âge sont véhiculés, de manière consciente ou pas ? Quel Moyen Âge est reconstruit ? Nous nous proposons d'apporter des éléments de réponse à partir de l'observation de dispositifs de médiation et de l'analyse de discours recueillis auprès d'acteurs du tourisme. Nous essaierons de rendre saillants les points de rencontres et les éventuels phénomènes d'écart, appréhendés à réception, entre histoire et fiction.
Patrick Fraysse est maître de conférences HDR en Sciences de l'Information et de la Communication, Université de Toulouse - IUT Paul Sabatier (Département Information Communication), EA 827, Laboratoire d'études et de recherches en sciences sociales (LERASS), Équipe Médiations en information et communication spécialisées (MICS).
Références bibliographiques
Amalvi Christian, 2002, Le Goût du Moyen-Âge, Paris, Boutique de l'Histoire.
Ferré Vincent (dir.), 2010, Médiévalisme, modernité du Moyen Âge, Paris, L'Harmattan.
Fraysse Patrick, Barthet Laure, 2018 (à paraitre), "Muret 2013, reconstitution d’une bataille médiévale méridionale oubliée", Revue Interrogations, n°26.
Fraysse Patrick, 2017, "Les mises en scène du Moyen Âge dans les fêtes populaires médiévales", Communication et Langages, n°191, p. 29-50.
Fraysse Patrick, 2012, "Illustrer Jeanne d'Arc dans le Midi : circulation des signes johanniques et échos toulousains', in Amalvi Christian & Deramond Julie (dir.), Jeanne d'Arc entre la terre et le ciel du Midi, Regards méridionaux sur la bonne Lorraine, Actes du colloque de Montpellier (10 et 11 avril 2012), Paris, Michel Houdiard Éditeur, p. 232-243.
Tuaillon Demésy Audrey, 2014, "L'histoire vivante médiévale : pour une ethnographie du "passé contemporain"", Ethnologie française, Vol. 44, n°4, octobre-décembre, p. 725-736.
Romain JOBEZ : Batailles sans guerre. Reconstitution de conflits sur les scènes allemandes et françaises (XIXe-XXe siècles)
La croissante popularité du reenactement dans les salles de spectacle européennes pose la question du rapport du théâtre à l'histoire et de la valeur heuristique de cette pratique scénique. Nous chercherons à y répondre en considérant son archéologie à partir d'études de cas situées aux confins des arts circassiens et du théâtre : L'Histoire d'un drapeau, drame militaire d'Adolphe d'Ennery (1811-1899) présenté au Cirque Olympique à Paris en 1865, et Europa in Flammen (L'Europe en flammes), spectacle du cirque Sarrasini joué pendant la Première Guerre Mondiale. En douze tableaux, d'Ennery reconstitue la geste napoléonienne à travers ses grandes batailles, comme par exemple la prise du pont d'Arcole ou Waterloo. Le cirque Sarrasini, pour sa part, présente au public allemand sous forme d'attraction les armes les plus modernes utilisées dans le conflit mondial. Ces deux spectacles censés exalter les vertus du patriotisme permettent de traiter de la question de la représentation de la guerre, entre écriture scénique de l'histoire et mise en spectacle de l'actualité.
Romain Jobez, maître de conférences HDR en études théâtrales à l'université de Poitiers, est professeur associé à l'université de Bochum. Ses recherches portent sur le théâtre allemand et sur l'histoire des spectacles.
Dernières publications
(Avec Christina Schmidt) "Du "théâtre post-migratoire" à la société théâtrale ouverte : l'exemple du Maxim-Gorki-Theater", Alternatives théâtrales, n°133, 2017, p. 24-26.
"Répertoire, mise en scène et avenir proche du théâtre allemand", Théâtre/Public, n°225, 2017, p. 23-31.
"La rose brisée : Charlotte Ackermann, vedette mort-née du théâtre allemand des Lumières", in Le Sacre de l'acteur, Florence Filippi et alii (dir.), Paris, 2017, p. 223-232.
Tamara KONDRATIEVA : Bolchevicks et Jacobins, une captation d'héritage ?
Avant 1917, la Russie était loin d'être le seul pays où l'on se référait à la Révolution française pour résister à l'oppression. Après 1917 en revanche, la situation en Russie a cela d'extraordinaire, que l'imaginaire issu de la Révolution française obtient ici une fonction dans la vie réelle, un poids politique et social inconnus ailleurs. Un exemple de reenactement apparaît alors. Lénine, bien que prévenu des impossibilités historiques par la Révolution française, sait aussi l'utiliser. En s'engageant dans la Nouvelle politique économique en 1921, il pense ouvrir des possibilités nouvelles par l'auto-thermidorisation. Staline, convaincu qu'il ne peut pas contourner les impossibilités de l'Histoire incarnées dans l'expérience française, met fin à la NEP pour éviter Thermidor. Cette intervention autour des enjeux de Thermidor en Russie propose de réfléchir sur la dimension performative des analogies historiques.
Tamara Kondratieva, professeur émérite des Universités et membre associé du Centre d'études des mondes russe, caucasien et centre-européen (cercec/ehess/cnrs).
Publications
Bolcheviks et Jacobins. Itinéraire des analogies, 2e édition, Paris, Les Belles Lettres, 2017.
"La fin des révolutions : Raskolnikov et Robespierre", Cahiers du Monde russe, 58/1-2, 2017.
"1917, la révolution à la française ou à la russe ?", in L'idée russe face aux idées occidentales (à paraître).
"La Révolution française et la révolution d'Octobre dans le discours historiographique", à paraître en russe dans les Actes du colloque "100 ans de la Grande révolution russe" (Moscou, 9-11 octobre 2017).
Jeffrey M. LEICHMAN : La Foire aux reenactments : problématiques de la restitution d'un théâtre du dix-huitième siècle par le biais du jeu vidéo
VESPACE (Virtual Early modern Spectacles and Public, Active and Collaborative Environment) est une collaboration internationale de chercheurs en histoire du théâtre, littérature et préservation numérique du patrimoine, qui renouvelle la reconstitution des systèmes culturels disparus par le biais du jeu vidéo. L'objet de notre travail est le théâtre de la Foire Saint-Germain pendant la régence de Philippe d'Orléans (1715-1722), dont l'importance a été sous-estimée dans l'Ancien Régime. Nous sommes confrontés à plusieurs objets de reconstitution, allant des bâtiments et espaces intérieurs aux spectacles représentés, en passant par les interactions des spectateurs entre eux et avec la scène. Afin d'arriver à une recréation efficace d'un public d'antan, et de contraindre les joueurs à évoluer selon les règles de comportement de l'époque, une modélisation du monde sensible et social du théâtre de la Foire s'avère nécessaire et pleine d'écueils. En misant sur des interfaces corporelles et émotives que permettent les technologies de la réalité virtuelle, ce projet donne lieu à des produits de recherche inhabituels : ici, le jeu représente notre argument, qui se joue au lieu de se lire. La "lectrice" est plongée au sein d'une expérience affective et sensorielle rythmée par le déroulement du divertissement théâtral. En même temps, elle participe à la recherche, chaque campagne ajoutant des données sur l'efficacité des théories de reconstruction que représentent les environnements visuel, sonore, et social du jeu. Ce paradigme représente un départ important dans l'organisation des recherches en sciences humaines et dans la collaboration avec les chercheurs en informatique. Le projet VESPACE soulève des questions urgentes quant à la fiabilité des représentations, et appelle à une conceptualisation prenant en compte non seulement le désir d'attirer et de retenir l'attention des joueurs, mais aussi les exigences de rigueur scientifique de la recherche. Le "London Charter for the computer-based visualization of cultural heritage" souligne l'importance des normes internationales dans la reconstitution informatique du patrimoine historique et le danger des représentations de plus en plus convaincantes sur le plan sensoriel, qui risquent de passer pour "la réalité" chez les utilisateurs naïfs. Nous appelons à fonder un design "en profondeur" (deep design) qui permette à l'utilisateur d'accéder aux métadonnées, recherches, et théories alternatives qui sont autant de cautions visant à restaurer la posture critique du spectateur-participant au théâtre de la Foire du XVIIIe siècle.
Aurélie MOUTON-REZZOUK : Voir, entendre, penser comme… Dispositifs d'échange symbolique au musée
Nous nous proposons, à partir d'un ensemble d'études de cas (en particulier les expositions Dans la peau d'un soldat, de la Rome antique à nos jours, Musée de l'Armée, Paris, 12 octobre 2017 - 28 janvier 2018, et Corps Rebelles, Musée des Confluences, Lyon, 13 septembre 2016 - 5 mars 2017) de réfléchir à ce qu'impliquent les dispositifs muséographiques "participatifs" qui proposent au visiteur de prendre la place de, d'adopter la posture de, d'endosser les frusques de, d'entrer dans la peau d'un autre (le soldat, le danseur, le peintre, le modèle, le badaud, le scientifique…) — fut-ce de façon sommaire, très brève, ou métaphorique. En dehors de l'hypothèse qui est faite d'une facilitation et d'une intensification de l'apprentissage et de l'appropriation des "savoirs" sur le plan cognitif, il convient en effet d'interroger plus avant les présupposés et les enjeux de ces formes institutionnalisées du jeu de rôles, tant au regard des missions des institutions muséales que sur le plan symbolique, anthropologique et politique. Qu'est-ce qui se "joue", se "change", ou s'"échange" ? Pour quoi faire ? À quel prix ?
Aurélie Mouton-Rezzouk est maître de conférences en Études Théâtrales à l'Institut d'Études Théâtrales de l'université Sorbonne-Nouvelle Paris 3, et membre de l'Institut de Recherches en Études Théâtrales. Ses recherches portent tant sur les Arts du Spectacle — lieux et institutions, publics, patrimoines — que sur les musées et expositions qui leur sont consacrés, et qui ont fait l'objet de sa thèse (Exposer le théâtre, 2013) — et, plus largement, sur ces territoires communs au musée, à l'exposition, aux arts du spectacle, à la performance, et à la littérature. Elle co-anime avec François Mairesse et Flore Garcin-Marrou le programme de recherche "Ces lieux où l'on pense. Scène, Musée Bibliothèque".
Dernières publications
"L'opéra baroque sur la scène muséale, ou l'opéra autrement", en collaboration avec Julie Deramond, Culture et Musées, n°29, juin 2017.
"Remédiation. Les arts du spectacle dans l'exposition, un art de la manipulation", dans Corps/esprit/objet : Réinventons nos collections, Dominique Dewind et Nicole Leclercq (dir.), TLA, Performing arts resources #32, New York, 2016.
"Exposer le théâtre ?", Bernadette Dufrêne, Jérôme Glicenstein (dir.), Histoires d'Expositions, Paris, Hermann, 2016.
Le musée par la scène, avec Pauline Chevalier et Daniel Urrutiaguer, à paraître aux éditions Seconde Époque.
Isabelle PARESYS : La Renaissance au cinéma : la question du costume
Si l'on considère la production cinématographique française, ni le costume historique, ni même la représentation de la Renaissance sur les écrans n'ont spécialement attiré les chercheurs. Or les costumes, comme les décors, sont des artefacts visuels indispensables à la localisation de l'action dans un temps historique donné. Ils provoquent chez le spectateur un sentiment d'altérité et de distance temporelles, que le spectateur ait ou non une culture des modes anciennes. La communication abordera la façon dont le cinéma français costume la Renaissance au regard des représentations que l'on a de cette période et spécifiquement comment le costume l'habille pour l'écran.
Isabelle Paresys est maîtresse de conférences en histoire au département Culture de l'université de Lille, laboratoire IRHiS-UDL/CNRS. Ses travaux portent sur l'histoire culturelle des vêtements et de la mode à la Renaissance et à l'époque moderne ainsi que sur le costume historique au cinéma (pro.univ-lille.fr/isabelle-paresys/).
Publications
Paresys Isabelle, "Avec ou sans fraise. La Renaissance fait son cinéma", in La Renaissance en Europe dans sa diversité. Tome 3 : Circulation des hommes, des idées et des biens, héritages, Actes du Congrès international organisé à Nancy (10-14 juin 2013), dir. par Michel Deshaies, Lioudmila Chvedova, Stanislaw Fiszer et Marie-Sol Ortola, Nancy, Université de Lorraine, 2015, p. 439-454.
Paresys Isabelle, "De l'habit au costume : L'image du vêtement comme marqueur de temporalité", in À perte de vue. Les nouveaux paradigmes du visuel, éd. par Sophie Raux et Daniel Dubuisson, Dijon, Presses du Réel, 2015, p. 195-208.
Paresys Isabelle, "Corps, apparences vestimentaires et identités en France à la Renaissance", Apparence(s), 4 | 2012 [en ligne].
Boucher Shazia, Anne-Claire-Laronde et Isabelle Paresys (éd.), Plein les Yeux ! Le spectacle de la mode / A Feast for the Eyes : Spectacular Fashions, Milano, Silvana Editoriale SPA, 2012.
Paresys Isabelle et Natacha Coquery (éd.), Se vêtir à la cour en Europe (1400-1815), Villeneuve d'Ascq, Centre de recherche du château de Versailles, Institut de recherches historiques du Septentrion et CEGES Université de Lille 3 (collection "Europe du Nord-Ouest"), 2011.
Martial POIRSON : Performances post-coloniales : entre déconstruction et remotivation des stéréotypes coloniaux
La polémique autour de l'installation–performance Exhibit B du sud-africain Brett Bailey à Paris en 2014 a mis en évidence, non seulement la fracture coloniale dans l'ordre de la représentation et le système d'emplois typés sur lequel repose encore aujourd'hui le théâtre occidental, mais encore les effets de réception malencontreux de spectacles cherchant à faire revivre la situation d'emprise coloniale. Cette contribution a un triple objectif : interroger la vocation heuristique de protocoles de reconstitution de spectacles exotiques (Slide Show, Freak Show, Ethnic Show, zoos humains, exhibitions), afin de mettre en évidence l'efficacité performative de stratégies destinées à faire éprouver les mécanismes d'exploitation des corps et de dépossession des récits ; identifier les effets pervers de ces dispositifs critiques susceptibles de remotiver les stéréotypes ethniques qu'ils sont supposés dénoncer ; jauger de tels gestes artistiques de réparation symbolique à l'aune de leurs potentialités émancipatrices.
Martial Poirson est professeur d'histoire culturelle, de littérature et d'études théâtrales à l'université Paris 8 et visiting professor en Cultural Studies à New York University. Il a coordonné plus d'une trentaine d'ouvrages et de revues sur le théâtre, la littérature, le cinéma, les musées, l'économie politique et les cultures populaires. Il est également commissaire d'exposition et dramaturge.
Publications
Spectacle et économie à l'âge classique, Classiques Garnier, 2011.
Les Audiences de Thalie, Classiques Garnier, 2013.
Économie du spectacle, Puf, 2013 (avec I. Barbéris).
Politique de la représentation, Champion, 2014.
Théâtre en temps de crise (à paraître en 2018).
Sophie RAUX : La restitution numérique du pont Notre-Dame, quels enjeux pour l'histoire des marchés artistiques ?
Sous l'Ancien Régime, le pont Notre-Dame à Paris était surmonté de deux rangées de maisons délimitant une rue pavée, bordée de boutiques, abritant une soixantaine de marchands pour la plupart liés au commerce d'art et de luxe. À certains moments de son histoire, il a réuni d'importantes concentrations de marchands de tableaux. Parmi ceux-ci, s'est distingué dans la première moitié du XVIIIe siècle Edme-François Gersaint, pour qui Jean-Antoine Watteau peignit, en 1720, la fameuse Enseigne de Gersaint. L'intervention rendra compte des résultats d'une équipe de recherche interdisciplinaire ayant eu pour but de faire progresser l'étude de ce tableau singulier dans son environnement urbain par le recours aux technologies numériques. Immersive et interactive, cette restitution en images de synthèse permet de mieux saisir la dimension spectaculaire et provocatrice de cette enseigne devenue l'une des grandes icônes de l'histoire de l'art.
Sophie Raux est professeur d'histoire de l'art à l'université de Lyon et est responsable de l'axe "Art, Images, Sociétés" au sein du Laboratoire de Recherche Historiques Rhône Alpes (UMR 5190). Elle prépare actuellement la publication d'un ouvrage collectif consacré à la restitution du pont Notre-Dame.
Publication
Lotteries, Art Markets, and Visual Culture in the Low Countries, 15th-17th c., Brill, 2018.
Co-direction d'ouvrges
Moving Pictures. Intra European Trade in Images 16th-18th c., Brepols, 2014.
À perte de vue, les nouveaux Paradigmes du visuel, Presses du réel, 2015.
Frédérique TROUSLARD : Une pédagogie du passé : l'action des associations
Les associations relevant de la pratique de la reconstitution occupent une place singulière dans le large champ de la reconstitution. Le modèle associatif permet un grande diversité d'objets, d'organisations et de pratiques. De la recherche, à l'expérimentation et à la médiation, toutes les pratiques reposent sur la coopération des membres de l'association dans le cadre défini par ses statuts. La prise en compte d'une approche sociologique du modèle associatif dans le champ de la reconstitution permet d'éclairer des pratiques hors du champ académique. Leur adhésion à des valeurs, leur connaissances et savoir-faire déterminent les différents modes de médiation proposés tant au sein de l'association que vers leurs publics. Déambulations, ateliers pratiques, conférences, expositions, démonstrations, roleplay… quels acteurs et modèles pour quels publics ?
Frédérique Trouslard a été pendant 6 années présidente de l'association Le ministère des modes dont elle est actuellement membre du conseil d'administration. De formation supérieure en histoire des arts, elle a accompagné la mise en place et anime les ateliers pédagogiques pour les membres de l'association. Elle élabore et coordonne des projets de médiation pour le grand public en partenariat avec des structures muséales ou culturelles. En 2017, elle a créé HISTOR, une structure de conseil et de formation spécialisée en histoire de la mode. Elle accompagne la réalisation de leurs costumes des bénévoles dans le cadre de reconstitutions historiques. Elle anime des ateliers pour le grand public et les adultes (mode et parfums au XVIIIe siècle). Elle a une approche pratique de la reconstitution historique : histoire des techniques, costume, cosmétique et cuisine.
Audrey TUAILLON DEMÉSY : L'histoire vivante médiévale : les tendances
L'histoire vivante (qui englobe la reconstitution historique et les Arts martiaux historiques européens) est une activité de loisir contemporaine qui donne à voir des réactivations du passé dans le présent, sous l'angle de pratiques corporelles. Il s'agit, ici, de s'intéresser à l'histoire vivante médiévale sur le territoire français, à l'aide d'une approche ethnographique réalisée entre 2009 et 2017. Plus spécifiquement, la question se pose de savoir comment les re-créations d'objets enclenchent une immersion dans le passé. Les vêtements, mais aussi les armes, facilitent le passage d'un monde (contemporain) à un autre (historique). En outre, ces re-créations (matérielles et techniques) sont aussi des outils donnant lieu à un sentiment d'appartenance à une communauté créée par les pratiquants d'histoire vivante, organisant des savoir-faire et induisant des savoir-être. Suivant cette logique, la corporéité en jeu permet de comprendre comment l'apparence, la présentation de soi, mais aussi l'usage fait de son corps en situation de mise en action de l'Histoire, font partie d'un système qui produit un dépaysement temporel et organise l'activité. Au-delà, ces recréations du passé interrogent l'imaginaire en jeu dans ces loisirs. Si l'accent est mis sur la rigueur historique et les expérimentations réalisées, l'imaginaire de la conformité à l'histoire demeure un élément central pour comprendre les pratiques contemporaines d'histoire vivante.
Bibliographie indicative
Chaize Pierre-Alexandre, 2013, "Des mots aux gestes : le rôle du texte et du vocabulaire dans l'expérimentation historique", Revue STAPS, Vol. 101, pp. 103-118.
Fournier Laurent Sébastien, 2008, Le "petit patrimoine" des Européens, Paris, L'Harmattan.
Gapps Stephen, 2002, Performing the Past : a Cultural History of Historical Reenactements, Thèse de Doctorat en Philosophie, Sydney, Université de Sydney.
Jaquet Daniel, 2016, "Entre jeux de mains et jeux de mot : faire l'expérience ou expérimenter les gestes d'après les textes techniques. Reproduire ou répliquer des objets…", Revue suisse d'histoire / Itinera, Vol. 39, pp. 11-18.
Jenkins Henry, 2013, La Culture de la convergence : des médias au transmédia, trad. fr., Paris, Armand Colin [2006].
Schwint Didier, 2002, Le Savoir artisan. L'efficacité de la mètis, Paris, L'Harmattan.
Audrey Tuaillon Demésy, docteure en sociologie, est maître de conférences en STAPS à l'université de Franche-Comté. Ses travaux, selon une approche socio-ethnographique, portent sur les mondes imaginaires mis en vie et les activités ludiques "alternatives", situées entre subculture et monde social (reconstitution historique, quidditch, etc.).
Publications
Tuaillon Demésy Audrey (2013), La re-création du passé : enjeux identitaires et mémoriels, Besançon, PUFC.
Tuaillon Demésy Audrey (2014), "L'histoire vivante médiévale : pour une ethnographie du "passé contemporain"", Ethnologie française, Vol. 44, n°4, pp. 725-736.
Tuaillon Demésy Audrey (2017), "Le quidditch moldu. De l'imaginaire à la réalité", Questions de communication, Vol. 31, pp. 393-413.
Tuaillon Demésy Audrey (2017), "La cuisine des reconstitutions historiques : réinventer l'alimentation du passé", Anthropologie et société, Vol. 41, n°3, à paraître.
Mathieu VIAU-COURVILLE : Post-mémoire, Embodiment et Reenactment au Musée : continuités et reconstructions symboliques [intervention établie avec Karen WORCMAN]
Quelles relations les musées entretiennent-ils avec les formes de mémoire culturelle fondées sur la réactivation et la réinterprétation de la mémoire individuelle et collective ? En s'appuyant sur les concepts de post-mémoire (M. Hirsch) et de construction sociale du trauma culturel (J. Alexander), nous présentons ici deux expositions récentes, au Québec et à São Paulo, qui s'écartent de la perspective historique traditionnelle au profit des expériences vécues. Comment les musées peuvent-ils soutenir les collectivités dans leurs efforts pour faire face aux souffrances sociales ? Par ailleurs, si l'on conçoit l'espace d'exposition comme davantage qu'un simple dispositif de commémoration, comment les expositions peuvent-elles renforcer l'engagement des collectivités et promouvoir la reconstruction sociale ? Nous tenterons de répondre à ces questions en tenant les concepts d'embodiment et de reenactment comme constitutifs du travail collectif de mémoire. Seront plus précisément examinées les notions de post-mémoire, soit la relation d'une génération à la précédente lorsque cette dernière a été témoin d'un trauma culturel et collectif, et celle de la construction sociale du trauma culturel. Nous viserons à illustrer l'utilité de ces cadres conceptuels à l'heure où les musées sont appelés à réconcilier les liens intergénérationnels et, ce faisant, à réaffirmer leur rôle et leur engagement dans la société contemporaine.
Mathieu Viau-Courville est coordonnateur de recherche à l'université du Luxembourg. Il était auparavant chargé de recherche au Musée de la civilisation, Québec. Ses publications récentes en muséologie et patrimoine incluent des articles dans Museum International, Museum and Society, Pasajes de pensamiento contemporáneo et Revista d'etnologia de Catalunya ainsi que dans le récent collectif Patrimoine et identités locales, L'Harmattan. Il est membre du conseil de rédaction de la revue Museum International publiée par le Conseil international des Musées (ICOM).
Karen Worcman est fondatrice et directrice du Museu da Pessoa, São Paulo, premier musée numérique du Brésil fondé en 1991. Historienne et chercheure rattachée au groupe Diversitas de l'université de São Paulo, elle est l'auteure, avec Joanne Garde-Hansen, de l'ouvrage Social Memory Tecnhology : Theory, Practice, Action (Routledge, 2016). Elle est membre (Fellow) des regroupements Ashoka et Wellbeing.org.
Isabel YAYA McKENZIE : Ce que l'histoire fait au rituel. Les représentations de la capture du dernier Inca dans les Andes péruviennes
Chaque année, au cours des festivités votives de Santa Rosa de Lima, le village de Chiquían (Pérou) est le théâtre d'une représentation tendue. Dans les rues, pendant de longues heures, les hommes et les femmes qui ont la charge, à tour de rôle, de la célébration, mettent en scène la capture du dernier souverain Inca par les troupes de Francisco Pizarro (1532). À l'instar de plusieurs communautés dispersées des hauts plateaux andins, Chiquían perpétue la représentation de cette confrontation historique dans un cadre ritualisé. Ces collectivités, pour beaucoup éloignées des espaces formels de production du savoir, façonnent ainsi leur propre trame narrative de l'invasion espagnole. Au delà de la question de l'origine de ce topos, cette conférence propose d'interroger les constructions vernaculaires de l'histoire à partir d'une ethnographie réalisée en 2017. Il s'agira de mettre en lumière les modalités de transmission de cette mémoire historique, de dégager les affects que suscite sa mise en acte, et d'éclairer les enjeux locaux qui gouvernent le choix des acteurs sociaux dans leur formulation du passé.
Historienne, Isabel Yaya McKenzie est pensionnaire de la Fondation Thiers, chargée de recherche temporaire du CNRS depuis 2016. Rattachée au Laboratoire d'anthropologie sociale, ses recherches proposent une anthropologie historique du politique dans les Andes. Ses publications portent sur la production, les usages et les enjeux du savoir historique, les dispositifs hégémoniques et l'articulation entre organisation sociale et logiques d'action.
ATELIERS :
Recherches et recréations des cosmétiques du début du XVIIIe siècle. Pour une approche de la médiation par les sens, par Frédérique TROUSLARD
Le développement d'outils numériques prend une part importante dans les actions de médiation scientifiques et culturelles. Ces approches privilégient dans un environnement virtuel la vue et l'ouïe. Mais quelle place pour une approche concrète et sensorielle ? De la recherche, à l'expérimentation et à la médiation, je vous présenterai la démarche, le matériel, les cosmétiques recréés dans le cadre d'un projet autour des cosmétiques parfumés d'après Le Parfumeur françois, qui enseigne toutes les manières de tirer les odeurs des fleurs et de faire toutes sortes de compositions de parfums… par le Sr Barbe, parfumeur (Lyon, 1693).
Frédérique Trouslard a été pendant six années présidente de l'association Le ministère des modes dont elle est actuellement membre du conseil d'administration. De formation supérieure en histoire des arts, elle a accompagné la mise en place et anime les ateliers pédagogiques pour les membres de l'association. Elle élabore et coordonne des projets de médiation pour le grand public en partenariat avec des structures muséales ou culturelles. En 2017 elle a créé HISTOR, une structure de conseil et de formation spécialisée en histoire de la mode. Elle accompagne la réalisation de leurs costumes des bénévoles dans le cadre de reconstitutions historiques. Elle anime des ateliers pour le grand public et les adultes (mode et parfums au XVIIIe siècle). Elle a une approche pratique de la reconstitution historique : histoire des techniques, costume, cosmétique et cuisine.
Reprise : "usure" et "renaissance" de l'œuvre performative, conférence-performance de Besnik HAXHILLARI & Flutura PREKA (The Two Gullivers)
Inspiré directement de l'œuvre de Marina Abramovic, ainsi que de notre expérience de la reprise de son œuvre pour laquelle nous possédons la permission légale de neuf de ses performances, nous allons parler de l'"usure" et de la "renaissance" de l'œuvre performative et de son rapport avec le théâtre. Il s'agit d'une réflexion théorique et pratique, sur les effets que le temps produit sur la performance, le temps qui efface certains traits et en accentue d'autres. À travers des opérations de répétitions, de reprises et de renouvellements, nous voulons découvrir et mettre en évidence le noyau de l'œuvre performative qui résisterait au temps et à l'oubli. Pour appuyer notre réflexion, nous allons parler de notre re-enactment de Nightsea-Crossing de Marina Abramovic & Ulay ainsi que de la reprise de notre propre performance Transparent Travel (2004-2018). Tout au long de notre communication, il y aura des démonstrations de reprises d'actions performatives pour et avec le public présent.
Nés en Albanie, Besnik Haxhillari & Flutura Preka (The Two Gullivers), ont étudié les arts visuels à Tirana, Lausanne, Berlin et à Montréal (PhD à UQÀM). Depuis 1998 ils travaillent en duo sous le nom d'artiste The Two Gullivers. Ils ont présenté leur travail performatif à la Biennale de Venise (1999), à Hamburger Bahnhof Berlin (2000), à la Biennale de Pékin (2005), à VIVA Art Action (2006, 2010) à Montréal, à la Galerie Leonard & Bina Ellen, Montréal (2013) et au Musée national des beaux-arts du Québec (2016). Ils ont fait partie de : Installation Art in the New Millenium (2003), East Art Map (2006), Marina Abramovic : The Artist is Present (2010).
Besnik Haxhillari est professeur au Département de philosophie et des arts à Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Il s'intéresse au processus de création et à la génétique de l'art de la performance à travers le dessin préparatoire.
Flutura Preka est artiste-chercheure, membre du groupe de recherche URAV à UQTR. Ses recherches portent sur les enjeux de re-enactment en performance et en art contemporain.
BIBLIOGRAPHIE :
• MIRC Sébastien (dir.), Les cahiers du jeu vidéo : La guerre, Vol. 1, Châtillon, Édition Pix'n Love, 2008.
• NEITZEL Sönke & WELZER Harald, Soldats : combattre, tuer, mourir, Procès-verbaux de récits de soldats allemands, Paris, Gallimard, 2013 [2011].
• RUFAT Samuel & TER MINASSIAN Hovig, Les jeux vidéo comme objet de recherche, Paris, Questions théoriques, 2012.
SOUTIENS :
• EA 1573 "Scènes du monde, création, savoirs critiques" (Labex Arts H2H) | Université de Paris 8
• UMR 5316 "Litt&Arts", composante Imaginaire et Socio-Anthopologie | Université Grenoble Alpes
• Institut universitaire de France
• Abbaye du Mont-Saint-Michel