Programme 2017 : un des colloques

Programme complet


LE POUVOIR DES LIENS FAIBLES


DU JEUDI 28 SEPTEMBRE (19 H) AU LUNDI 2 OCTOBRE (14 H) 2017

[ colloque de 4 jours ]



DIRECTION :

Alexandre GEFEN, Sandra LAUGIER


ARGUMENT :

La thèse centrale de l'article désormais classique de M. Granovetter, "La force des liens faibles" (1973), oppose des "liens forts" (amitié, famille, mariage, etc.) et des liens sociaux, à faible charge affective ou officielle, quoique essentiels dans le fonctionnement des structures relationnelles.

Écartés de la théorie de l'art, de l'éthique comme des philosophies traditionnelles du sujet, ces liens faibles sont pourtant au cœur de nos formes contemporaines d'attachement et d'attention : dans l'espace démocratique du commun réouvert par le champ numérique des réseaux sociaux, dans la sphère de notre vie culturelle, mais aussi dans l'espace de nos formes de présence à l'autre. Visages, objets, musiques, personnages, improvisations "d'un soir", lieux et situations ordinaires mais irremplaçables dans leurs singularités déterminent notre relation aux autres, nos engagements quotidiens comme le flux de nos identités et les inflexions de nos vies — et ce, tout autant que les passions de l'âme, les situations de longue durée, les identifications directes et les affects massifs.

Le concept est opératoire du côté de l'anthropologie (Victor W. Turner suggérait de repenser ce qu'il nommait le "pouvoir des faibles") comme de la politique lorsqu'elle s'intéresse aux liens sociaux dans l'espace public ou au souci des autres lointains ; du côté de l'écologie si l'on essaie de penser notre lien à l'environnement ou aux animaux ; du côté des arts et de la fiction si l'on pense à l'attachement aux objets et personnages. S'il offre des outils nouveaux pour analyser notre relation de projection ou d'affection pour des modèles originaux, il convient aussi à merveille pour décrire bien des aspects et rapports de notre vie numérique contemporaine. Poursuivant l'exploration initiée depuis deux ans dans le séminaire "Liens faibles", ce colloque décrira et analysera la richesse et l'importance de ce tissu sensible, de ces échos et de ces reconnaissances puissantes autant qu'inattendues.


CALENDRIER DÉFINITIF :

Jeudi 28 septembre
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants


Vendredi 29 septembre
Matin
L'ORDINAIRE. GESTES, OBJETS, SITUATIONS (animatrice : Catherine LARRÈRE)
Barbara FORMIS : Manger et converser. De la douceur obstinée des gestes ordinaires
Martine de GAUDEMAR : Doudous d'adultes. Une aire commune d'illusion
Alexandra BIDET : S'engager en passant auprès d'inconnus

Après-midi
L'ENQUÊTE SUR LES LIENS (animateur : Alexandre GEFEN)
Mathieu SIMONET : Comment mettre en place des dispositifs créatifs en entreprise pour révéler la force des liens faibles ?
Yaël KREPLAK : Une enquête sur les formes d'attention ordinaires aux œuvres d'art
Christine DÉTREZ : Enquêter sur l'intime : le recours aux liens faibles

Soirée
"Bal du silence", atelier animé par Mathieu SIMONET


Samedi 30 septembre
Matin
ATTACHEMENT ET CULTURES POPULAIRES, DES LIENS FAIBLES DE PLUS EN PLUS FORT (animatrice : Sandra LAUGIER)
Pauline BLISTÈNE : Séries télévisées et formes de vie démocratiques
Thibaut de SAINT MAURICE : Portrait du sériephile en philosophe : attachement et transformation de soi
Catherine GUESDE : "Our Band Could Be Your Life" : attachement à la musique et éducation de l'écoute dans les contre-cultures

Après-midi
LA FAIBLESSE DES RELATIONS (animatrice : Martine de GAUDEMAR)
Sophie POIROT-DELPECH : Les liens éphémères sont-ils des liens faibles ?
Joëlle ZASK : Les relations face-à-face : "un fait social pur" (Simmel) [enregistrement audio en ligne sur La forge numérique de la MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]
Nathalie HEINICH : Axiologie de la conjugalité (entre force des liens faibles et faiblesse des liens forts)

Soirée
Camille LAURENS : Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère


Dimanche 1er octobre
Matin
LE LIEN À LA NATURE (animatrice : Barbara FORMIS)
Catherine LARRÈRE : Protection de la nature et pouvoir des liens faibles : l'exemple du parc de la Courneuve
Rémi BEAU : Fantastic Mr Thoreau, les liens environnementaux

Après-midi
LES LIENS FAIBLES ET L'AVENIR DE LA DÉMOCRATIE (animatrice : Joëlle ZASK)
Françoise CAHEN : Faire société avec les liens faibles (Autour du Monde de Laurent Mauvignier / Vernon Subutex de Virginie Despentes / Féérie générale d'Emmanuelle Pireyre)
Sandra LAUGIER : Liens faibles, care et démocratie
Anthony PECQUEUX : "Une fois par mois" : un pouvoir de la participation ?

Soirée
Projection suivie d'une discussion


Lundi 2 octobre
Matin
Alexandre GEFEN & Sandra LAUGIER : Discussion générale et perspectives

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Alexandra BIDET : S'engager en passant auprès d'inconnus
Les liens entre inconnus dans l'espace public sont l'archétype de liens faibles. Évitement, inattention civile, routine et stéréotypes semblent faire l'ordinaire des relations entre passants, qui ne se connaissent pas par ailleurs. Mais ces liens faibles sont aussi l'occasion et l'objet d'engagements. On se demandera par quoi nous sommes concernés quand nous nous engageons en passant auprès d'inconnus, dans le cours de nos activités, que ce soit à travers un geste, un regard, un sourire, une moue, une réorientation de son activité, une intervention plus directe, ou en y songeant après coup. Des institutions dédiées, comme le 115, entretiennent et cristallisent cette attention portée aux liens faibles, qui fait ainsi courir en pointillés, d'une situation en public à l'autre, une interrogation sur ce que nous pouvons faire avec les inconnus et notre responsabilité à leur égard. À partir d'enquêtes, menées par auto-ethnographies, observations et entretiens, sur ces engagements en passant, on interrogera l'expérience, les intérêts et les visées d'éducation qui s'y élaborent au quotidien.

Alexandra Bidet est chargée de recherche en sociologie au CNRS, Centre Maurice Halbwachs. Elle coordonne avec C. Gayet-Viaud dans le cadre du Labex Tepsis des recherches sur L'expérience citoyenne au prisme de la coexistence urbaine et sur Nuit debout. Ses recherches portent aussi sur les formes et l'expérience du travail contemporain, sur la pratique du bénévolat et sur les enquêtes menées au quotidien sur ce qui vaut.
Publications en lien avec le colloque
2015, "Publicité, sollicitation, intervention. Pistes pour une étude pragmatiste de l'expérience citoyenne", SociologieS, avec M. Boutet, F. Chave, C. Gayet-Viaud, E. Le Méner.
2014, "Les ressorts collectifs des signalements de sans-abri au 115. Appel politisé, voisinage troublé et geste citoyen en milieu urbain démocratique", in M. Carrel et C. Neveu (Eds.), Citoyennetés ordinaires. Pour une approche renouvelée des pratiques citoyennes, avec E. Le Méner, Paris, Karthala, p. 101-130.
2013, "Au-delà de l'intelligibilité mutuelle : l'activité collective comme transaction. Un apport du pragmatisme illustré par trois cas", Activités.org, 10 (1), p. 172-191, avec M. Boutet et F. Chave.
2011, L'engagement dans le travail. Qu'est-ce que le vrai boulot ?, Paris, PUF, Le lien social.
2011, La formation des valeurs, Paris, La Découverte, Les empêcheurs de penser en rond (traduction et présentation avec L. Quéré et G. Truc).

Pauline BLISTÈNE : Séries télévisées et formes de vie démocratiques
La spécificité de l'expérience des séries télévisées est souvent avancée pour faire état de notre attachement à ces fictions. Toutefois, l'on peine encore à distinguer les contours d'une telle proposition. Partant de l'œuvre de Stanley Cavell et de ses écrits sur la télévision, cet exposé entend faire valoir l'importance du format (la sérialisation) dans l'appréciation des liens qui nous unissent aux séries télévisées. Tels des compagnons de vie qui nous montreraient ce qui importe, les séries télévisées participent à notre éducation morale et politique, en opérant une ré-articulation du privé et du public. Plus que de simples divertissements, elles permettent en somme d'interroger le lien individu-communauté dans un contexte politique en constante recomposition.

Pauline Blistène est doctorante en philosophie à l'Institut des Sciences Juridiques et Philosophiques de la Sorbonne (ISJPS/Paris 1) sous la direction de Sandra Laugier. Ses recherches portent sur l'importance politique des fictions d'espionnage en démocratie (séries télévisées et cinéma) et mêlent perspectives philosophiques et entretiens, réalisés avec l'industrie du divertissement — scénaristes, showrunner, etc. — et services de renseignement aux États-Unis et en France. Elle dirige depuis mars 2016 le projet TESDEM (Terrorisme et Séries TV en Démocratie) financé par le CNRS dans le cadre de l'appel à projets "Attentats-Recherche".
Publication
"Homeland : l'ennemi, la menace et la guerre contre la Terreur", TV/Series, n°9, avec Olivier Chopin.

Françoise CAHEN : Faire société avec les liens faibles (Autour du Monde de Laurent Mauvignier / Vernon Subutex de Virginie Despentes / Féérie générale d'Emmanuelle Pireyre)
Comment Laurent Mauvignier, Virginie Despentes et Emmanuelle Pireyre décrivent-ils dans ces trois œuvres récentes la genèse d'une société ? Les histoires multiples qu'ils rassemblent dessinent à leur manière la cohérence réticulaire d'un monde solidaire. Vernon Subutex (I et II) est un roman qui montre le passage progressif des liens faibles à des liens forts entre des personnages, jusqu'à former une communauté utopique. Autour du Monde dessine la globalisation du monde à partir d'histoires apparemment isolées, reliées par le Tsunami qui va "transformer la planète en un immense corps conducteur". Dans Féérie générale d'Emmanuelle Pireyre, les liens faibles entre les personnages créent par sérendipité des rapprochements improbables mais riches, des ricochets se propageant entre les fragments narratifs distincts, un "small world phenomenon" assez malicieux et convivial. Les liens faibles entre des individus isolés et fragiles se transforment et font naître une société authentique. La fiction contemporaine serait-elle l'espace privilégié où a lieu cette métamorphose ?

Françoise Cahen, agrégée de lettres modernes et doctorante (Paris 3, Thalim), travaille sous la direction de B. Blanckeman sur "les réseaux romanesques à l'ère des réseaux sociaux numériques" après un Master 2 portant sur E. Reinhardt. Enseignante en lycée, formatrice académique, elle a publié des articles sur l'œuvre de J.-C. Massera, d'E. Reinhardt, sur la pédagogie et le numérique, et elle est l'auteure de la pétition sur la place des femmes dans les programmes de littérature.

Christine DÉTREZ : Enquêter sur l'intime : le recours aux liens faibles
Quoi de plus fort apparemment que le lien de filiation, que ce qui unit parents et enfants ? Quand ce lien disparaît, par "accident", et que la mémoire familiale réinvente une histoire, comment partir à la recherche de l'absente, de l'effacée des albums ? Cette communication vise à retracer les méandres d'une enquête, autour de la figure très intime de ma mère, tuée dans un accident de voiture en 1971 et exclue des récits familiaux. Paradoxalement, parce que la parole est interdite, c'est le recours aux liens faibles qui permet d'en retrouver la trace, et de pouvoir, enfin, poser les questions aux personnes les plus directement concernées : si la métaphore entre texte, tissu et linceul est certes déjà usée (jusqu'à la trame), c'est bien le fil de ces liens faibles qui permet de raccommoder les trous de la mémoire : qu'il s'agisse de l'éclairage par les archives d'une autre femme qui lui était contemporaine, de "complices" inattendues trouvées au gré de divers sites (Trombi, Copains d'avant…), de conseils et d'associations d'idées, ou de pistes laissées par la littérature… Le but, à partir d'un cas très précis, étant de révéler comment se construit, finalement, toute enquête.

Barbara FORMIS : Manger et converser. De la douceur obstinée des gestes ordinaires
La table est un espace de rencontre où les paroles se mélangent aux gestes, où les convives échangent des idées et partagent des aliments. De la même façon que tous les autres êtres vivants, en tant qu'êtres mangeurs et entièrement dépendants de la nourriture, nous sommes vulnérables et fragiles, La nourriture est donc ce qui nous relie à l'écosystème dans lequel nous vivons. À l'aide de problématiques propres au pragmatisme, tout particulièrement en suivant les pistes ouvertes par John Dewey et Jane Addams, il s'agira d'explorer les manières de co-existence entre le discours et l'alimentation afin de comprendre le repas comme un moment propice à la conversation et à l'expérience esthétique.

Barbara Formis, docteure en philosophie, est maître de conférences en esthétique et philosophie de l'art à l'université Paris I, Panthéon-Sorbonne et directrice de l'équipe EsPAS (Esthétique de la Performance et des Arts de la Scène) au sein de l'UMR ACTE, CNRS. Elle est co-fondatrice et co-directrice avec Mélanie Perrier du Laboratoire du Geste.
Publications
Gestes à l'œuvre, De L'Incidence, 2015.
Esthétique de la vie ordinaire, P.U.F., 2010.
Penser en Corps, L’Harmattan, 2009.

Martine de GAUDEMAR : Doudous d'adultes. Une aire commune d'illusion
Il s'agira d'éclairer comment notre rapport à des personnages partagés crée des liens entre ceux qui les partagent, comment cela contribue à produire un "nous", à nous faire sentir que nous partageons un même monde ou une même culture. À cette fin, je relierai ces "nous" à des pratiques et des interactions caractéristiques de la zone transitionnelle, intermédiaire entre monde interne et monde externe selon Winnicott. Les rapports aux personnages partagés sont inséparables d'une activité de "playing" qui nous permet de partager des émotions protégées de la dureté du monde purement externe, d'expérimenter des styles d'existence ou des formes de vie, d'alléger le tragique de l'existence et la brutalité de la vie actuelle. Ils nous font entrer dans ce que Winnicott appelait une "aire commune d'illusion". Grâce aux personnages qui peuplent cette aire commune d'illusion, nous prenons soin de nous en entretenant la dimension rêveuse de l'existence. L'espace transitionnel de la culture partagée, aire commune d'illusion, est l'espace d'un jeu et d'un rêve en commun. Ce pourquoi j'ai parlé à propos de ces personnages de "doudous d’adultes".

Ancienne élève de l'ENS Paris, agrégée de Philosophie et docteure d'état, diplômée de psychopathologie, Martine de Gaudemar est professeure émérite à l'université de Paris-Nanterre et membre honoraire de l'IUF. Connue pour ses travaux sur l'expression, les formes de vie et les mondes possibles emblématisés par des personnages (Leibniz, Cavell), elle travaille à une philosophie de la culture enracinée dans les gestes et pratiques élémentaires (une philosophie de l'embodyment) qui donne un rôle crucial à l'expressivité et aux formes, entre langage et corps.
Ouvrages et articles pertinents
La voix des Personnages, Les éditions du Seuil, 2011.
Les plis de la voix, Martine de Gaudemar (éd.), Lambert-Lucas, 2013.
"Opéra et Philosophie", in Implications philosophiques, 2013.
"Le souffle et le chant à l'opéra : un cogito sans personne", in Les plis de la voix, 2013.
"Le personnage de la femme inconnue : un nouveau Cogito", Revue Internationale de Philosophie, 2011.
"Personnages et formes de vie, ou Les filles de Médée", in Une éthique pour la vie, 2007.

Catherine GUESDE : "Our Band Could Be Your Life" : attachement à la musique et éducation de l'écoute dans les contre-cultures
Une contre-culture telle que le metal extrême donne à voir une forme particulière d'attachement à la musique, qui joue d'une part un rôle structurant, organisant autour d'elle les valeurs et pratiques des individus qui y participent, mais qui suppose, d'autre part, un goût particulier, défini par une opposition affichée au bon goût ou au mainstream. Si la question de l'appartenance à une contre-culture a bien été étudiée par les cultural studies (notamment dans l'ouvrage fondateur de Dick Hebdige, Sous-culture, le Sens du style) et par les sciences sociales, la part esthétique de cette intégration demande encore à être développée. Comment l'engagement dans ces contre-cultures s'articule-t-il à une éducation de la sensibilité ? Nous nous interrogerons sur la manière dont la formation du goût de l'amateur de musiques extrêmes permet de renforcer ces liens faibles à la musique.

Catherine Guesde, doctorante en esthétique et chargée de cours à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est membre du comité de rédaction de Volume ! la revue des musiques populaires et critique pour les revues New Noise magazine et Magic, revue pop moderne. Elle rédige une thèse sous la direction de Danièle Cohn sur les modes d'écoute spécifiques à la noise et au metal extrême.
Publications
"Création musicale et inconfort d'écoute : au-delà du principe de plaisir", pour WikiCréation, l'encyclopédie de la création et de ses usages.
"L'écoute de la harsh noise, de la physiologie à l'esthétique" (avec Pauline Nadrigny), in Perspectives philosophiques sur les musiques actuelles (dir. Clément Canonne), Éd. Delatour, Sampzon, 2017.

Nathalie HEINICH : Axiologie de la conjugalité (entre force des liens faibles et faiblesse des liens forts)
Un parallèle sera établi entre les types de liens de couples (tels que décrits dans mon livre États de femme) et les différents "registres de valeurs" mobilisés (tels que caractérisés dans mon livre Des valeurs). Du plaisir comme lien faible à l'institution comme lien fort, l'on verra de quelle façon se déploient, entre états de "première", de "seconde" et de "tierce", les registres aesthésique, affectif, économique, juridique et réputationnel. La question de la faiblesse ou de la force des liens conjugaux pourra être ainsi repensée dans sa dimension axiologique, en fonction du nombre et de la nature des valeurs concernées.

Nathalie Heinich est sociologue, directeur de recherches au CNRS. Elle a consacré de nombreux articles et plusieurs ouvrages au statut d'artiste et à l'art contemporain, à l'identité féminine, à la question des valeurs et à l'histoire des sciences sociales.
Publications
États de femme. L'identité féminine dans la fiction occidentale, Gallimard, 1996.
Les Ambivalences de l'émancipation féminine, Albin Michel, 2003.
Être écrivain. Création et identité, La Découverte, 2000.
Des Valeurs. Une approche sociologique, Gallimard, 2017.

Yaël KREPLAK : Une enquête sur les formes d'attention ordinaires aux œuvres d'art
Qu'est-ce que voir une œuvre ? Ou plutôt, comment rendre compte des modalités de réalisation particulière d'une pratique qui consiste à voir une œuvre (esthétiquement, techniquement, scientifiquement) ? Voir, décrire, manipuler, installer, nettoyer, sont autant de pratiques ordinaires par lesquelles s'accomplissent la plupart des activités avec les œuvres dans l'environnement muséal — qu'il s'agisse de travailler à un accrochage pour une exposition, d'emballer une œuvre ou de rédiger un constat de restauration. En m'appuyant sur des données d'enquête ethnographiques, c'est à l'examen des modalités concrètes de réalisation de ces pratiques que je consacrerai cette intervention. En montrant ce à quoi tiennent les différentes personnes qui participent de la vie des œuvres, en examinant la nature de la familiarité de leurs rapports distincts à elles, il s'agira de réfléchir à la dimension politique et morale des œuvres, au sens où elles organisent les relations entre les acteurs, et de poser les jalons d'une approche sensible à la diversité de nos formes d'attention ordinaires aux œuvres, susceptible de les intégrer à notre compréhension du fait artistique.

Yaël Kreplak est actuellement postdoctorante (Labex Patrima) et membre associée au CEMS-IMM (EHESS). Ses recherches, d'inspiration interactionniste et pragmatique (ethnométhodologie et analyse conversationnelle), visent à élaborer une approche praxéologique de l'art contemporain, fondée sur la description des pratiques ordinaires de mise en exposition, de conservation et de restauration observées dans les institutions muséales.
Publications
"Voir une œuvre en action. Une approche praxéologique de l'étude des œuvres", Cahiers du CAP, 2017, n°5, p. 189-213.
Des récits ordinaires, avec Grégory Castéra et Franck Leibovici, 2014, Dijon, Les presses du réel (coll. "Villa Arson").

Catherine LARRÈRE : Protection de la nature et pouvoir des liens faibles : l'exemple du parc de la Courneuve
Pour parler des problèmes environnementaux, il faut abandonner le langage des causes et des effets, qui suppose l'extériorité entre les hommes et la nature, et adopter celui de la sociabilité, de la façon dont se rencontrent humains et non humains dans un monde commun. Cependant les liens que nous entretenons ainsi avec des êtres (vivants et non vivants) de notre environnement ne doivent-ils pas être caractérisés, par opposition aux liens des humains entre eux, comme des liens faibles, d'intensité moindre et de plus grande fragilité ? Cela ne leur interdit pas, pour autant, de jouer un rôle aussi inattendu qu'important dans la recomposition des rapports sociaux qu'étudie la pensée écologique. C'est ce pouvoir des liens faibles dans les questions environnementales que nous voudrions montrer à partir de l'exemple du parc de la Courneuve et du rôle qu'y a joué le crapaud calamite.

Catherine Larrère est professeure émérite à l'université Paris 1-Panthéon-Sorbonne. Spécialiste de philosophie morale et politique, elle a contribué à introduire en France les grands thèmes de l'éthique environnementale d'expression anglaise et à développer la philosophie environnementale, autour des questions de protection de la nature et de prévention des risques, aux niveaux local et global.
Publications récentes
Penser et agir avec la nature, une enquête philosophique, avec Raphaël Larrère, Paris, La Découverte, 2015.
Bulles technologiques, Marseille, Éditions Wildproject, 2017.

Anthony PECQUEUX : "Une fois par mois" : un pouvoir de la participation ?
La problématique des liens faibles est particulièrement appareillée à l'analyse des relations quotidiennes dans l'espace urbain : il suffit de penser aux développements de G. Simmel sur la réserve, à laquelle s'opposeraient les émotions issues d'événements (selon le paradigme de la fête). Entre ces deux extrêmes, il peut être heuristique de se pencher sur des formes intermédiaires, à même de mettre en évidence une diversité de sentiments et de relations, et de seuils entre ceux-ci. Parmi ces formes intermédiaires, les dispositifs de participation non-institutionnels offrent un terrain privilégié, dans la mesure où ils réunissent des individus qui ne partagent pas des relations forcément régulières (sans même parler de quotidiennes), ni des convictions communes précises. En somme, de tels dispositifs cherchent à faire émerger du commun sans faire fond sur la moindre communauté.

Anthony Pecqueux, docteur en sociologie de l'EHESS, est chargé de recherche au CNRS et directeur de l'équipe CRESSON de l'UMR Ambiances, Architectures, Urbanités (ENSAG). Ses recherches portent de manière générale sur l'ethnographie des expériences urbaines, et plus spécifiquement sur l'ethnographie de la perception.
Publications
2017, direction du dossier "La sensibilité urbaine des images filmiques", Multitudes, n°65.
2015, direction avec Olivier Roueff du dossier "Écouter de la musique ensemble", Culture et Musées, n°25, Actes Sud.
2012, direction du dossier "Les bruits de la ville", Communications, n°90, Éd. du Seuil.
2009, Le rap, Paris, Le cavalier bleu ("Idées reçues").
2009, dir. avec Olivier Roueff, Écologie sociale de l'oreille. Enquêtes sur l'expérience musicale, Paris, Éd. de l'EHESS.
2007, Voix du rap. Essai de sociologie de l'action musicale, Paris, L'Harmattan.

Sophie POIROT-DELPECH : Les liens éphémères sont-ils des liens faibles ?
Comme la force ou la faiblesse, la durée est un caractère essentiel des liens sociaux. On associée communément la durabilité aux liens forts. Pour autant, les liens qui se nouent de façon éphémères sont-ils nécessairement des liens faibles ? Et ne s'opposent-ils pas plus au continu qu'au durable ? En m'appuyant sur les contributions, réunies, le temps d'un numéro de la Revue Socio-Anthropologie, de chercheurs venus de différentes disciplines, autour de la question des collectifs éphémères, il s'agira de montrer la puissance que peuvent recéler les liens éphémères.

Sophie Poirot-Delpech est sociologue, maître de conférences à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Spécialiste des techniques aéronautiques, elle a en particulier étudié différents types de collectifs qui composent ce monde (contrôleurs aériens, équipage des avions, réglementateurs, pratiquants de la petite aviation ou de l'ULM).
Publication
Sophie Poirot-Delpech (dir), "Des collectifs éphémères", Revue Socio-Anthropologie, n°33, Publications de la Sorbonne, Paris, 2016.

Thibaut de SAINT MAURICE : Portrait du sériephile en philosophe : attachement et transformation de soi
Regarder une série, ce n'est pas seulement regarder plusieurs épisodes d'un même récit continu à la suite. On dit d'ailleurs que l'on "suit" une série, comme si l'on "suivait" quelqu'un. Et comme tout suivi, être spectateur d'une série signifie en fait une certaine forme d'engagement : cela prend du temps, cela suppose des capacités de remémoration régulière de la narration passée ou une attention particulière aux variations qui apparaissent dans le cadre général de la répétition d'un format ou d'un univers narratif. Suivre une série, c'est enfin se découvrir attaché à des personnages que l'on prend l'habitude de retrouver et qui deviennent peu à peu la raison principale de notre engrangement dans la fiction. Les séries sont des fictions qui nous attachent et qui, finalement, nous délivrent après nous avoir transformés. Le sériephile en fait l'expérience, à charge pour le philosophe de penser cette expérience et de renouveler la compréhension de la place que peut prendre la fiction dans nos vies.

Thibaut de Saint Maurice, professeur de philosophie dans un lycée d'Ile-de-France, fait porter sa réflexion sur la culture de masse et ses enjeux. Il travaille plus précisément sur les séries télévisées, le cinéma d'animation et les comédies romantiques. Deux fois par semaine, il propose sa chronique "La Petite Philo" sur les ondes de France Inter. En 2009 et 2010, il publie aux Éditions Ellipses, Philosophie en séries et Philosophie en séries saison 2. De 2011 à 2015, il est le directeur de la collection "Culture pop" toujours aux Éditions Ellipses.

Mathieu SIMONET : Comment mettre en place des dispositifs créatifs en entreprise pour révéler la force des liens faibles ?
Depuis plusieurs années, Mathieu Simonet met en place des dispositifs artistiques pour créer du lien. Il a par exemple organisé des échanges de secrets entre deux établissements scolaires, proposé à des détenus d'écrire les rêves qu'ils faisaient la nuit pour qu'ils soient lus à l'extérieur, orchestré une visite dans un musée où chacun devait tenir la main à un inconnu, invité 1000 patients de 37 hôpitaux à écrire leur adolescence sur un carnet pour analyser l'impact de l'écriture sur le bien-être. Depuis 2016, il utilise son expérience pour mettre en place des ateliers créatifs en entreprise qui répondent à des enjeux de ressources humaines (le "Bal du silence" pour développer un réseau interne, le "Dîner de l'échec" pour valoriser l'innovation, les "Déambulations en entreprise" pour intégrer les jeunes salariés, etc.). Dans quelle mesure ces dispositifs, qui favorisent les liens faibles, peuvent-ils améliorer la performance des entreprises ?

Mathieu Simonet est avocat et écrivain. Vice-président aux affaires juridiques de la Société des Gens de Lettres (SGDL) qu'il représente au sein de l'Observatoire de la Liberté de Création, il est actuellement artiste-chercheur associé aux Ateliers Médicis. Auteur notamment de trois romans publiés au Seuil, il vient de réaliser son premier documentaire. Il est par ailleurs co-fondateur de l'agence Gibraltar qui utilise la créativité pour accompagner les entreprises dans leur conduite du changement.

Joëlle ZASK : Les relations face-à-face : "un fait social pur" (Simmel)
Les relations face-à-face, largement sous-estimées, seraient elles pourtant déterminantes ? À partir d'une lecture de Simmel et de Tarde, elles s'imposent comme "un fait social pur" : autosuffisantes, libres, "flottantes", égalitaires, ce sont elles qui font le charme de la conversation, les plaisirs de la compagnie d'autrui, les formes les plus élémentaires comme les plus complexes de la sociabilité. Liens "faibles" par excellence, elles n'en laissent pas moins de transformer l'association humaine autrement mécanique ou contrainte en une "bonne société".

Joëlle Zask enseigne au département de philosophie de l'université Aix-Marseille. Spécialiste de philosophie politique et de la philosophie pragmatiste américaine, notamment celle de John Dewey, elle étudie les enjeux politiques des théories de l'art et de la culture. Outre des articles dont certains sont présents sur son site (joelle.zask.over-blog.com), elle est l'auteur de divers ouvrages dont John Dewey, philosophe du public (L'Harmattan, 2000), Art et démocratie ; Peuples de l'art (PUF, 2003), Participer ; Essais sur les formes démocratiques de la participation (Le bord de l'eau Éditions, 2011) et Outdoor Art. La sculpture et ses lieux (Éditions la Découverte, coll "Les empêcheurs de penser en rond", 2013). Son dernier ouvrage s'intitule La démocratie aux champs (Éditions la Découverte, 2016).


SOUTIEN :

• Équipe de recherche THALIM | Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle