Programme 2017 : un des colloques

Programme complet


QUELLES COMMUNICATIONS, QUELLES ORGANISATIONS À L'ÈRE DU NUMÉRIQUE ?

UN ÉTAT DES RECHERCHES FRANCOPHONES :
HISTOIRE, ÉPISTÉMOLOGIE, MÉTHODES, FRONTIÈRES


DU SAMEDI 24 JUIN (19 H) AU SAMEDI 1er JUILLET (14 H) 2017

[ colloque de 7 jours ]



DIRECTION :

François COOREN, Christian LE MOËNNE, Sylvie PARRINI-ALEMANNO


ARGUMENT :

La transformation numérique n'est pas seulement un phénomène technique. Elle affecte l'ensemble du monde vécu, toutes les formes sociales, les pratiques, les imaginaires, les relations aux espaces et aux temporalités, les dispositifs organisationnels et institutionnels. Ce bouleversement a donc une dimension anthropologique, globale, qui appelle un renouvellement des conceptualisations, appuyées sur des expérimentations, des observations et des recherches de longue durée. En effet, une imbrication se met en place entre des objets, des machines, des langages et les développements de logiques d'action et d'usage, qui interrogent à la fois les secteurs professionnels et scientifiques de l'information et de la communication. Et cela, non seulement par les mutations et crises que le numérique semble provoquer ou accentuer, mais encore par l'importance croissante que prennent dans le quotidien les pratiques sociales d'information et de communication.

Ce colloque international s'adresse aux chercheurs, aux professionnels et à tous ceux qui s'intéressent à ces évolutions pour soumettre au débat critique les conceptions et théories de chercheurs des différents secteurs du monde francophone (français, canadiens et belges) dans les domaines des communications organisationnelles, des systèmes d'information, des logiques d'actions en contextes numériques et, bien entendu, de la dimension épistémologique et stratégique de la transformation numérique.


CALENDRIER DÉFINITIF :

Samedi 24 juin
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Dimanche 25 juin
Matin
François COOREN, Christian LE MOËNNE & Sylvie PARRINI-ALEMANNO : Ouverture

MUTATIONS ORGANISATIONNELLES
Christian LE MOËNNE : Formes sociales et mutation anthropotechnique [enregistrement audio en ligne sur La forge numérique de la MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]
Frédérik MATTE : L'organisation (im)possible : différance, idéalité et pratique

Après-midi
SPÉCIFICITÉS DES APPROCHES COMMUNICATIONNELLES
Jean-Luc BOUILLON & Catherine LONEUX : "Approches communicationnelles" : quelles méthodes et quels cadres conceptuels pour penser communicationnellement l'organisation du social à "l'ère numérique" ?
Daniel ROBICHAUD : La pluralité des types de connexions organisantes


Lundi 26 juin
Matin
MUTATIONS HUMAINES
Valérie CARAYOL : Humanités digitales et communication organisationnelle : regards croisés
Maryse CARMES : Les fabriques numériques de l'organisation : agencements, scripts et sémio-politiques

Après-midi
ÉVOLUTIONS DES COMMUNAUTÉS
Olivier GALIBERT : Approche communicationnelle et organisationnelle de la communauté virtuelle
François SILVA : Le numérique dans les nouvelles communautés de management : nouvelle régulation, nouveaux acteurs

Soirée
ÉPITÉMÉ
Fabienne MARTIN-JUCHAT : Comment changer de siècle ? Repenser les fondements épistémologiques des approches communicationnelles pour les organisations


Mardi 27 juin
Matin
MATÉRIALITÉS ET CULTURES
Anne MAYÈRE : Agentivité du numérique
Dany BAILLARGEON : Faut-il réhabiliter le concept de culture organisationnelle ? Réflexions théoriques, méthodologiques et pratiques

Après-midi
MATÉRIALITÉS ET RELATIONS
Manuel ZACKLAD : Les approches transactionnelles entre information (artefacts) et communication (relations interpersonnelles)
Benoît CORDELIER : Dispositifs sociotechniques — Enjeux de pouvoir et stratégie

Soirée
QUESTION D'ENVIRONNEMENTS
Françoise BERNARD : Communications des organisations et tournants écologiques


Mercredi 28 juin
Matin
DEVENIRS TECHNIQUES EN ORGANISATION
Christian BOURRET & Claudie MEYER : La question du numérique au cœur des territoires et de l'intelligence économique territoriale
Valérie LÉPINE & Laurent MORILLON : Praticiens de la communication et professionnalisation face aux enjeux du numérique

Après-midi
DÉTENTE


Jeudi 29 juin
Matin
QUESTION DU TEXTE
Patrice de la BROISE : L'organisation comme texte : de la métaphore au paradigme
François LAMBOTTE : De la mémoire organisationnelle aux pratiques mémorielles en organisation : exploration des traces numériques de l'activité organisationnelle

Après-midi
MÉDIATIONS TECHNOLOGIQUES
Michel DURAMPART : Machines numériques, dislocation, recomposition : nouvelles formes d'apprentissage et d'approches organisationnelles
Pierre DELCAMBRE : Un travail de bureau à l'ère du numérique

Soirée
QUESTION DE FORMES OBJECTALES
Nicolas BENCHERKI : Les mots des choses : comment les objets communiquent et participent à la constitution des organisations ?


Vendredi 30 juin
Matin
QUESTION CRITIQUE
François COOREN : Matérialisation et idéation
Christian LE MOËNNE : Critique des concepts nord américains

Après-midi
Sylvie PARRINI-ALEMANNO : Recherches qualitatives en contexte numérique : à partir d'une Recherche Action
Thomas HELLER : Technologies info-communicationnelle, management et organisation : variations critiques

Conclusions, animées par François COOREN & Sylvie PARRINI-ALEMANNO


Samedi 1er juillet
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Dany BAILLARGEON : Faut-il réhabiliter le concept de culture organisationnelle ? Réflexions théoriques, méthodologiques et pratiques
Le titre même de cette présentation semble appeler un projet mort-né. Pourquoi tenter de réhabiliter un concept, qui n'a connu qu'une courte gloire dans les études communicationnelles des organisations de l'espace francophone, et qui a été préempté par les approches managériales dans la littérature anglo-saxonne (Massiera, 2007) ? Or le vocable a encore cours dans les organisations, et les chercheurs en SIC, souhaitant "favoriser un dialogue interdisciplinaire susceptible de fournir des réponses adaptées au monde professionnel et social" (Farchy et Froissart 2006 cités dans Morillon, 2011), sont aux prises avec ce concept zombie (Beck, 1992). Le malaise épistémologique d'une vue réifiée, fonctionnaliste, figée et homogène de la culture organisationnelle (Alvesson, 2002) peut rapidement prendre le pas sur l'intérêt d'observer les dynamiques communicationnelles à l'œuvre. Nous proposons donc une voie de réhabilitation en rapprochant le concept de culture organisationnelle avec les idées de la communication comme constitutive des organisations (Putnam & Fairhurst, 2015 ; Putnam & Nicotera, 2009 ; Schoeneborn, et al., 2014), particulièrement à partir de la métaphore de la ventriloquie (Cooren, 2010, 2013). Nous démontrons ainsi qu'il est possible d'aborder la culture d'une organisation dans ce qu'elle a de dynamique, et ce, depuis la terre ferme des interactions (Cooren, et al., 2011) en prenant en compte les différentes figures culturelles qui sont animées et animantes dans les organisations. Nous proposons un cadre d'appropriation qui identifie non plus une culture organisationnelle, mais des cultures qui dynamiquement attachent et détachent les actants et participent à ce que nous nommerons des "cultures constitutives". Une étude de cas d'organisations créatives est présentée en support à notre proposition, particulièrement dans la façon dont le numérique participe à ces cultures constitutives, de façon à relever des considérations méthodologiques.

Professeur au Département des lettres et communication de l'université de Sherbrooke, Dany Baillargeon ancre ses recherches à la confluence de trois thèmes : la créativité, les organisations et la communication publique. Plus spécifiquement, il s'intéresse, dans une perspective communicationnelle, à la façon dont la créativité se déploie dans les organisations. Cette triade s'applique tant aux organisations traditionnellement créatives — agence de design, de communication marketing, d'architecture, d'innovation technologique — mais également dans les organisations publiques et hybrides, dont les laboratoires d'innovations sociales. Dans cette foulée, il s'intéresse à la créativité en communication marketing, entre autres dans la façon dont elle se manifeste publiquement et est appropriée par différents publics. Ces projets de recherche, Dany Baillargeon les mène entre autres au sein du Réseau international sur la professionnalisation des communications (RESIPROC), du Centre de recherche sur le vieillissement du CIUSS-CHUS Estrie et de la Chaire de communication marketing et relations publiques de l'UQAM.

Nicolas BENCHERKI : Les mots des choses : comment les objets communiquent et participent à la constitution des organisations ?
La recherche en communication organisationnelle a traditionnellement réservé la parole aux êtres humains. Cependant, certains auteurs proposent que les "choses font des choses avec les mots" et critiquent la "bifurcation de la nature" en deux domaines, celui de la matérialité d'un côté, celui du langage de l'autre. Si nos méthodes de recherche continuent de donner l'impression que seuls les humains parlent, il n'en faut pas pour autant conclure qu'il s’agit là d'un fait ontologique. On montrera comment reconnaître l'accès des choses au langage, via le truchement d'autres objets, et donc mieux reconnaître leur contribution à la constitution des organisations et de nos collectifs.

Nicolas Bencherki (Ph.D., Université de Montréal et Sciences Po Paris) est professeur adjoint de communication à la University at Albany, State University of New York. Ses recherches portent sur la communication organisationnelle au sein des organisations communautaires et sans but lucratif. Ses travaux, publiés entre autres dans Journal of Communication ; Human Relations et Management Communication Quarterly, se penchent sur l'intersection de la communication et de la matérialité dans le partage de l'action entre l'organisation et ses membres potentiels, et dans la constitution de divers phénomènes organisationnels.

Françoise BERNARD : Communications des organisations et tournants écologiques
Dans cette présentation synthétique, l'on mettra l'accent sur les points suivants. Premièrement, la notion d'Anthropocène introduit un déplacement épistémique, non seulement dans le champ de la géologie où elle a été forgée, mais également dans le champ des SHS et, plus particulièrement, dans celui des Sciences de l'information et de la Communication (SIC). Deuxièmement, si l'on considère que les travaux consacrés à la communication environnementale peuvent être catégorisés en deux groupes : l'un plutôt centré sur l'analyse de récit, l'autre plutôt sur l'analyse des mobilisations et des engagements des parties prenantes. Troisièmement, l'on prendra appui sur plus de 15 ans de travaux qui ont débouché sur de nombreuses publications qui ont exploré, d'une part, les problématiques environnementales des régions méditerranéennes et, d'autre part, les apports de ces problématisations à une recherche critique. L'on examinera enfin les interrelations entre la communication et l'institutionnalisation de questions environnementales et soulignera combien il est important de prendre en compte les dynamiques organisationnelles pour comprendre l'actualité de ces questions.

Jean-Luc BOUILLON & Catherine LONEUX : "Approches communicationnelles" : quelles méthodes et quels cadres conceptuels pour penser communicationnellement l'organisation du social à "l'ère numérique" ?
Au cours de la seconde moitié des années 2000, le programme de recherche ACO (Approches Communicationnelles des Organisations) a été mis en œuvre au sein du champ de la communication organisationnelle en France (Bouillon, Bourdin, Loneux, 2005, 2007, 2008). L'objectif était de cartographier et de capitaliser les résultats des travaux effectués en la matière afin de dépasser le caractère peu lisible associé à la notion de "communication organisationnelle". Nous croiserons trois niveaux d'analyse : les situations de travail comme lieux d'échange multiples, les processus organisationnels structurant et équipant les échanges en contexte organisationnel, les discours entrepreneuriaux visant à construire symboliquement l'organisation. À ces trois niveaux, correspondent trois modalités ou "registres" communicationnels, considérant la communication au travers des interactions situées, des dispositifs sociotechniques assurant des médiations et de la mise en récit du social. Ce projet a conduit à des questionnements épistémologiques sur les spécificités des "approches communicationnelles" dans le domaine étudié, mais aussi plus largement en sciences de l'information et de la communication, en lien avec les disciplines connexes des sciences humaines et sociales. Il nous est apparu susceptible d'apporter une clef de lecture supplémentaire aux chercheurs en communication organisationnelle, la problématisation de leurs objets d'études et la construction de leurs socles théoriques. Cette communication interroge d'abord la notion même d'approches communicationnelles, prise à la fois comme concept et comme méthode. Elle pose ensuite des questions d'ordre épistémologique et de construction d'un objet de recherche. Secondairement, elle examinera l'accueil réservé à cette proposition ACO par les chercheurs. De quelles appropriations a-t-elle fait l'objet ? L'on s'arrêtera sur les travaux qui ambitionnent de mieux définir les dimensions communicationnelles inhérentes à deux domaines d'études : l'évolution des systèmes normatifs et la rationalisation des pratiques communicationnelles.

Jean-Luc Bouillon est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université de Rennes 2 et chercheur au PREFICS (EA 4246). Ses recherches portent sur les transformations organisationnelles associées aux processus de rationalisation organisationnelle contemporains, affectant de multiples secteurs (formation professionnelle, opérateurs de télécommunication, construction et bâtiment). Il s'intéresse à la rationalisation des formes de la communication et de la construction des collectifs (question collaborative) liées aux TNIC et aux méthodes managériales.

Catherine Loneux est professeure en sciences de l'information et de la communication à l'université Rennes 2 et chercheure au PREFICS (EA 4246). Ses travaux portent sur les évolutions des discours et des modes de mise en récit des organisations (tels qu'ils sont par exemple apparus dans la Responsabilité Sociale des Entreprises), ainsi que sur les recompositions de différents types d'organisations (entreprises marchandes, collectivités territoriales) liées aux technologies numériques d'information et de communication (TNIC).

Jean-Luc Bouillon et Catherine Loneux ont coordonné, avec Sylvie Bourdin (Université de Toulouse – CERTOP), le programme de recherches Approches Communicationnelles des Organisations.

Christian BOURRET & Claudie MEYER : La question du numérique au cœur des territoires et de l'intelligence économique territoriale
Le développement du numérique modifie fortement les rapports des différents acteurs, individuels et collectifs, avec les territoires. Se pose en particulier la question des "territoires numériques" avec l'utilisation des outils (sites internet, plateformes, réseaux, dispositifs socio-techniques, etc.) par les acteurs du territoire : organisations (collectivités territoriales, entreprises, chambres consulaires, associations, etc.) mais aussi citoyens dans leurs différentes modalités d'interactions. Nous nous situerons dans une perspective d'intelligence économique territoriale en analysant les enjeux de développement durable et de solidarité sur les territoires, en particulier à travers trois secteurs : celui de la santé et de la protection sociale (territoires de soins numériques, actions de la MSA (Mutualité Sociale Agricole) et des CAF (Caisses d'Allocations Familiales), du tourisme (smart destinations) et des tiers lieux.

Christian Bourret est professeur des Universités en Sciences de l'Information et de la Communication à l'université Paris Est Marne-la-Vallée (UPEM). Ses recherches portent sur l'Intelligence Économique Territoriale, principalement dans le secteur des services, avec des travaux sur la santé et la protection sociale, notamment l'évaluation comme aide au développement d'organisations d'interfaces, en particulier des réseaux de santé.

Patrice de la BROISE : L'organisation comme texte : de la métaphore au paradigme
La construction du champ scientifique en SIC est, depuis l'origine de la discipline, aux prises avec une série d'influences, de rapports de forces, de transfuges, de concepts nomades, de domaines partagés… qui fondent autant qu'ils le complexifient le positionnement des SIC dans le paysage universitaire et scientifique français (Lancien et al., 2001). Sans revenir aux origines littéraires de la discipline (Tétu, 2002 ; Boure, 2007), il convient néanmoins de rappeler que la littérature, la linguistique et la sociolinguistique, comme la philosophie du langage, ont contribué à l'institutionnalisation cognitive et sociale des SIC (Boure, 2007). Or les "lettres de noblesse" de cette discipline, encore récente, font paradoxalement assez peu de cas du concept de "texte" auquel les sciences de l'information préfèrent celui de "document". Il existe pourtant un lien fort entre l'organisation et le texte, lequel en constitue une métaphore possible, au même titre que l'organisme, métaphore biologique. En parlant d'organisation, on replace un peu d'intention sans y mettre totalement de l'artefact. Or le texte désigne ce système de traces qui permet de lire des intentions pour y donner du sens. En étudiant l'organisation en tant que texte, on évite précisément de l'étudier pour le texte que d'autres voudraient lui associer…

Professeur des universités en sciences de l'Information et de la Communication et chercheur au GERiiCO (EA 4073), Patrice de la Broise analyse l'organisation dans son rapport au texte. Ses recherches portent sur les processus de normalisation et l'écriture de l'activité par des acteurs "enrôlés" dans une activité d'écriture qui affecte l'accomplissement (et le sens) de leur action.
Publications
P. de la Broise (2016), "Rapports d'éducateurs : essai d'analyse d'un genre de texte argumentatif", in P. Delcambre, C. Matuszak (dir.), Écrire au magistrat, p. 177-208.
P. de la Broise (2012), "Signes d'un management public en voie d'accomplissement : une approche socio-sémiotique de l'université française en mutation", Communication & Organisation, n°39, p. 137-149.
P. de la Broise & S. Grosjean (2010), Études de communication, n°34, "Normes et écriture de l'organisation".

Valérie CARAYOL : Humanités digitales et communication organisationnelle : regards croisés
Les développements des pratiques de communication numérique dans un contexte organisationnel et de travail soulèvent pour les sciences sociales et les SIC (sciences de l'information et de la communication) en particulier, des questions d'ordre épistémologique, méthodologique et théorique, mais aussi éthique et socio-politique. Pour certains chercheurs prônant une transversalité disciplinaire autour du numérique, les questions nouvelles qui se posent aux chercheurs dessinent les contours d'une nouvelle trans-discipline, celle des Humanités Digitales ou Numériques. Ce champ qui se développe et s'institutionnalise, d'un point de vue international, depuis une dizaine d'année à travers des associations, des revues et des colloques, permettrait d'interroger globalement les transformations des pratiques sociales à l'aune du développement des pratiques numériques contemporaines. La démarche recoupe, à bien des égards, les efforts pluridisciplinaires faits pas les SIC au cours de ces trente dernières années, pour accompagner d'un regard réflexif et critique les développements sociotechniques liés aux pratiques médiatiques, informationnelles et communicationnelles. La communication s'attachera à dégager les principaux axes de réflexion des Humanités digitales et tentera d'en éclairer les contours. Ce faisant, elle argumentera pour que, collectivement, les chercheurs en communication organisationnelle et en SIC valorisent et partagent les travaux du champ qui ont ouvert la voie à des analyses originales avec les chercheurs en Humanités digitales. À bien des égards en effet, les SIC peuvent se prévaloir d'une avance certaine sur un domaine d'étude, les pratiques de communication numériques, qu'elles travaillent depuis de longues années.

Valérie Carayol, professeure des Universités à l'université Bordeaux Montaigne, est en délégation CNRS auprès de l'Institut des Sciences de la communication du CNRS pour l'année 2016-2017. De 2009 à 2012, elle a dirigé le laboratoire MICA de présidé l'Association Internationale de chercheurs en communication Euprera. Elle dirige actuellement une équipe de chercheurs au sein du laboratoire MICA (EA 4426) intitulée "Communication, organisations, sociétés". Depuis 2005, elle dirige la publication de la revue académique Communication & Organisation. Ses publications concernent la communication organisationnelle, les temporalités et les mutations numériques des environnements de travail. Elle est responsable d'un programme de recherche partenarial sur "Les incivilités numériques au travail".

Maryse CARMES : Les fabriques numériques de l'organisation : agencements, scripts et sémio-politiques
Cette communication propose une analyse de l'instauration de politiques numériques organisationnelles à partir d'une mise en résonance des perspectives offertes par le concept "d'agencement" de G. Deleuze et F. Guattari et par les approches de l'Actor-Network Theory de Bruno Latour et Michel Callon. Il s'agit d'habiter les processus d'élaboration de ces politiques, une "fabrique telle qu'elle se fait, se vit et se dit" selon une pluralité de mouvements et de dimensions techno-politiques. La fabrique numérique organisationnelle est décrite au prisme de plusieurs phénomènes et dynamiques de formatage : instauration de scripts sociotechniques pris dans des conflictualités et rapports de force divers, élaboration d'une narratique généralisée nourrissant des désirs d'innovation permanente, déplacement vers "un imperium datacentrique". Que ce soit à l'occasion de la conception d'un système d'information, des rapports de force et des épreuves qui s'expriment là, mais aussi en mettant au devant tout un ensemble de processus de performation, on montrera également combien le numérique oblige à mettre au cœur de l'analyse la question politique des interfaces et la "révolution moléculaire" qui la caractérise (Guattari, 2012/1977 ; Noyer, 2016, 2013). La sémio-politique insiste sur l'action des sémiotiques non linguistiques, sur la croissance exponentielle des traces-données numériques et des traitements automatisés de celles-ci, sur le mouvement des sémiotiques comme actants majeurs de la performation des pratiques et d'une économie politique organisationnelle.

Maryse Carmes est maître de conférences au Conservatoire National des Arts & Métiers, chercheur au laboratoire DICEN-IDF. Ses travaux portent sur les économies politiques du numérique et des données, l'instauration de processus socio-techniques, dans le cadre des transformations de l'action publique, de l'Open Data Territorial, des milieux organisationnels.

François COOREN : Matérialisation et idéation
Historiquement, les études en communication ont été marquées par un matérialisme que l'on pourrait qualifier d'implicite, matérialisme que l'on peut retrouver, sous diverses formes, dans les travaux fondateurs de Claude Shannon et Warren Weaver, dans la sémiotique et le pragmatisme de Charles Sanders Peirce, dans les études sur l'archéologie médiatique de Friedrich Kittler, mais aussi dans les écrits de Jacques Derrida sur la matérialité du signifiant. Penser les médias et l'interaction, c'est, en effet, a priori reconnaître qu'il ne peut y avoir communication ou relation sans l'établissement concret d'un lien toujours matériel/matérialisé, autrement dit, fait littéralement de quelque chose (vibration, signal électrique, encre, pixels, etc.). Malgré ses acquis précieux, les études en communication souffrent encore trop souvent d'une opposition malencontreusement entretenue entre, d'un côté, le monde du discours, des idées et de la communication, et, de l'autre, le monde dit matériel, présenté comme celui des outils, de la technologie, de l'architecture, mais aussi de la nature. Dans cette communication, je tâcherai de démontrer l'inanité de cette opposition en analysant le devenir d'un être a priori on ne peut plus abstrait, à savoir une idée dont je propose de suivre l'évolution tout au long d'un événement créatif organisé au Musée des beaux arts de Montréal.

François Cooren est professeur et ancien directeur du Département de communication de l'université de Montréal. Président de l'International Communication Association (ICA) en 2010-2011, il y a été élu Fellow en 2013. Auteur d'une dizaine d'ouvrages parus, entre autres, chez Oxford University Press, Routledge et John Benjamins, il a publié plus d'une cinquantaine d'articles dans des revues internationales, ainsi qu'une quarantaine de chapitres de livres. Il est actuellement président de l'International Association for Dialogue Analysis (IADA, 2012-2017).

Benoît CORDELIER : Dispositifs sociotechniques — Enjeux de pouvoir et stratégie
La technologie introduit, transforme et stabilise des pratiques organisationnelles. Cet aspect normatif est généralement accompagné d'un discours qui oriente l'attitude des acteurs organisationnels à son égard. La technologie est donc un actant porteur de sens pluriels qui sont stratégiquement mobilisés aussi bien en faveur qu'à l'encontre d'un projet organisationnel. Pour en rendre compte, l'on reviendra sur une théorie de l'objet socio-technique dans les processus organisationnels. On l'établira autour de deux systèmes de changement discursif et concret qui articulent les différentes fonctions de l'objet technique (objet normatif neutre, objet médiateur cognitif, dispositif normatif stabilisé, dispositif normatif dynamique, dispositif agi symbolique, dispositif agi stratégique) dans ses interactions avec les acteurs et l'organisation. Ainsi, l'objet sert à la fois à la structuration symbolique des transactions organisationnelles et à l'analyse des dynamiques de changement.

Benoît Cordelier est professeur au Département de communication sociale et publique de l'université du Québec à Montréal (UQAM), chercheur à la Chaire de relations publiques et communication marketing et au Centre de recherche sur la communication et la santé (ComSanté) ainsi que chercheur associé au MICA (EA 4426, axe Communication, organisations et société, Université de Bordeaux), directeur de Communiquer Revue de communication sociale et publique. Ses recherches portent sur les logiques de transaction dans les processus organisationnels, la pragmatique du silence organisationnel ainsi que le lien social et la consommation dans les communautés en ligne.

Pierre DELCAMBRE : Un travail de bureau à l'ère du numérique
Cette communication prendra comme terrain un "travail de métier" ("chargée de relations avec les publics") dans des établissements de diffusion culturelle en France. Elle cherchera néanmoins à confronter l'état de cette activité équipée et normée avec d'autres terrains bien décrits quant à leur équipement, notamment informatique (entreprises de production industrielles équipées d'ERP (Vinck & Penz, 2008), hôpitaux (Mayère & Bazet, 2016)... Ici les "RP" mettent en œuvre de multiples "projets culturels" prenant place dans la temporalité de la saison organisée par l'établissement culturel. L'observation s'attachera au travail et à la panoplie d'artéfacts du travail "de bureau" réalisé sur le lieu de travail. Ce travail communicationnel s'inscrit dans des espaces et emprunte de nombreuses "formes communicationnelles". Un intense "travail de l'écrit" (Denis, 2015) fait jongler d'un artéfact à un autre dans des pratiques de "report" construisant une mémoire vive articulée aux nombreux artéfacts mémoriels. L'équipement informatique dans un tel contexte semble bien être "à la main" des personnes au travail, permettant de fluidifier et assurer le travail d'organisation propre à cette activité.

Pierre Delcambre, Professeur émérite, Sciences de l'information et de la communication, à l'université de Lille 3 (Gériico/Lille3), s'attache à l'étude des communications de travail.
Publication
"Formes communicationnelles et opérations sociales : une approche par les échanges au travail (des échanges en travail)", Revue française des sciences de l'information et de la communication, 9 | 2016.

Michel DURAMPART : Machines numériques, dislocation, recomposition : nouvelles formes d'apprentissage et d'approches organisationnelles
Qu'il s'agisse du temps, des espaces, des relations, des formes du travail, les machines numériques dessinent un devenir instable et un horizon ouvrant sur des recompositions en cours. Dans les industries de la connaissance, l'évolution paraît emprunter un détour homéostatique qui voit le traitement de l'activité se modifier sans que la structure ou l'institution évolue véritablement. Dans des organisations privées, c'est l'horizon de la collaboration, de la cognition au travail, qui est nettement traversé par des évolutions plus que sensibles qui mettent en exergue la notion d'organisation apprenante. Dans le secteur de la santé, on peut assister à un véritable hiatus entre l'évolution de l'activité et le maintien d'une forme organisée. Depuis les travaux des années 1990-2000 (Zarifian, Le Moigne, Alter) jusqu'à aujourd'hui (Leplat, Conein, J.R. Taylor, D'Almeida, Durampart et tant d'autres), des constats pointent à la fois la nature instable des changements conduits avec des apories entre activité, hiérarchisation et formes de structuration du travail. Les recherches soulignent aussi des tensions entre rationalisation et bien être commun (Boltanski, 2009). L'insertion des machines numériques comme levier d'orientation fixant un devenir plus plastique et flexible d'une organisation supposée s'apparenter à une souplesse neuronale (Malabou, 2004) est autant une affaire d'incantation que de ferments constatés d'un mouvement combinant de nouvelles temporalités plus ou moins maitrisées (Rosa, 2010) en relation avec l'action, la réaction et la performance des fondements de l'organisation.

Olivier GALIBERT : Approche communicationnelle et organisationnelle de la communauté virtuelle
Qu'est-ce qu'une organisation ? Qu'est-ce qui différencie une organisation de tout autre collectif ou groupe humain ? Est-ce qu'une communauté peut prétendre au qualificatif d'organisation ? A fortiori, est-ce qu'une communauté en ligne, que d'aucuns nomment "Communautés virtuelles" (Rheingold, 2000 ; Latzko-Toth, Proulx, 2000 ; Galibert, 2005), est une organisation et mérite, de facto, l'intérêt des chercheurs en communication des organisations ? Existe-t-il une heuristique capable d'identifier l'action communautaire dans l'organisation ou, à l'inverse, d'analyser les communautés en ligne comme le fruit de processus communicationnels qui les traversent ? Nous verrons donc dans cette communication que, si l'idée de communauté virtuelle paraît antinomique au monde de l'organisation, elle pourrait agir, dans les représentations et dans les pratiques professionnelles et stratégiques propres aux sociétés numériques, comme un renouveau d'une pensée des processus organisationnels par trop rationalisante.

Professeur en Sciences de l'Information et de la Communication à l'université de Bourgogne Franche-Comté (Laboratoire CIMEOS), Olivier Galibert centre ses réflexions sur les enjeux de la socialisation électronique. Il propose une approche info-communicationnelle des communautés virtuelles étayée empiriquement sur les champs de la santé et de la transition socio-écologique.

Thomas HELLER : Technologies info-communicationnelle, management et organisation : variations critiques
À partir d'exemples relevant principalement de travaux en communication organisationnelle, il s'agit d'esquisser quelques-unes des expressions de la critique quand celle-ci porte sur les transformations managériales et organisationnelles à l'ère du numérique. Par là, j'entends d'abord ce que les technologies numériques d'information et de communication, adossées à des préoccupations managériales d'efficacité, induisent comme formes de pouvoir (mis à jour par la critique) ou encore produisent comme effets psychologiques et sociaux en rapport avec les catégories de la critique ; j'entends également ce que ces technologies, prises comme objet de discours, produisent comme réalité inacceptable (L. Boltanski). Plus largement, l'ère du numérique est envisagée comme un esprit du temps, qui renvoie au nouvel esprit du capitalisme, caractérisé par une idéologie qui fait tenir ensemble efficacité/performance et réalisation de soi, qui s'actualise dans des discours et des pratiques de management, ainsi que dans des possibilités d'actions offertes par les technologies informationnelles et communicationnelles (par exemple, les technologies de mesure de soi). Ce sont plus particulièrement les implications critiques de cette assimilation entre efficacité productive et production/réalisation de soi qui sont alors interrogées.

Thomas Heller, maître de conférences à l'université de Lille, membre du laboratoire GERIICO., fait porter ses recherches sur la communication managériale et la gouvernementalité communicationnelle.

François LAMBOTTE : De la mémoire organisationnelle aux pratiques mémorielles en organisation : exploration des traces numériques de l'activité organisationnelle
Le stockage des documents formels de toutes sortes, qui prenaient autrefois la forme de dossiers papiers occupant plusieurs étagères ou armoires (premier mode), sur l'Intranet et plus récemment sur des outils de partages de connaissances, a permis la création d'un nouveau mode d'existence de la mémoire organisationnelle (deuxième mode). Ce mode d'existence offre la possibilité à son gestionnaire ; mais également à ses utilisateurs, de tisser des liens entre les documents par le biais de catégorisation ou de label. En soi, cela n'est pas nouveau, le classement de Dewey en témoigne. Ce qui est neuf, c'est la mise en visibilité de l'activité sociale dans et autour de cette mémoire organisationnelle. La mémoire ne se limite plus aux documents mais inclut ce que les utilisateurs en font par le biais notamment de l'enregistrement de l'activité reprise sous forme de métadonnées (troisième mode). Ces métadonnées sont ensuite traitées et données à voir aux utilisateurs et aux gestionnaires de communautés. Mais avec quelles implications ?

François Lambotte est professeur en communication organisationnelle à l'École de Communication de l'UCL. Ses recherches interrogent les processus de collaboration, de coopération et de négociation dans divers contextes organisationnels. Il coordonne le centre de recherche en communication de l'UCL et est fondateur du Social Media Lab de l'UCL dont les recherches interrogent l'utilisation des médias socionumériques en contexte professionnel.

Christian LE MOËNNE : Formes sociales et mutation anthropotechnique
Cette conférence, introductive au colloque, ouvre le débat sur les formes organisationnelles comme éléments fondamentaux de processus d'information, entendu à la fois comme mise en sens et mise en forme. Qu'est-ce qu'une forme organisationnelle ? Loin d'être un état, elle fait tenir ensemble l'ensemble des éléments par la production de normes, de règles, de procédures qui produisent, de façon indissociable, des effets symboliques et matériels. Il s'agit d'une forme sociale qui, au sens de Castoriadis, structure notre capacité à instituer la société et qui, au sens où Simmel, conserve de façon "cristallisée" les conceptions, les postures anthropologiques, la mémoire des actions collectives. D'où vient cette aptitude à faire émerger des formes sociales ? Il s'agit, pour Simondon, d'une aptitude anthropologique à faire surgir des formes puisant aux aptitudes sociales profondes de l'humanité. Dans cette perspective, la capacité à faire surgir des formes organisationnelles précède vraisemblablement l'aptitude langagière. Notre espèce a été sociale avant d'être humaine, n'a pu devenir humaine que parce que d'abord sociale. L'aptitude à faire surgir des formes organisationnelles et instrumentales, des outils, des objets, comme celle qui permet de faire émerger des formes sémiotiques participent de cette aptitude anthropologique à faire surgir des formes sociales qui est au fondement du couplage "cortex - silex", dont Leroi-Gourhan souligne l'importance dans le processus d'hominisation. Les formes sociales sous cet aspect, mêlent en permanence trois formes sources organisationnelles, objectales et sémiotiques.

Christian Le Moënne, professeur émérite des Universités en Sciences de l'Information-Communication. Président d'Honneur de la Société Française des Sciences de l'information et de la communication (SFSIC), membre pendant dix ans du comité Information-communication de la Commission Nationales française de l'UNESCO, il est le fondateur d'un groupe d'études et de recherches sur les informations et communication organisationnelles (Org & Co) qui rassemble plus de 300 chercheurs au niveau international.

Valérie LÉPINE & Laurent MORILLON : Praticiens de la communication et professionnalisation face aux enjeux du numérique
Selon l'Union Des Annonceurs, le secteur de la communication emploierait 370 000 personnes. Depuis les années 1980, une logique "compétences" imprègne les institutions impliquées dans la définition et la régulation du marché de l'emploi ainsi que les instances et organisations éducatives et formatives. Outre leur potentielle capacité structurante, les référentiels et indicateurs standardisés de mesure et d'évaluation des activités de communication constituent des opérateurs sociaux de la professionnalisation des acteurs. Pourtant, le chercheur qui s'intéresse aux praticiens de la communication se confronte à une hétérogénéité et une ambiguïté de dénominations de métiers qui empêchent l'établissement de catégories et de hiérarchies professionnelles précises. En outre, depuis la fin des années 1990, le développement accéléré des médiations techniques et des usages info-communicationnels du numérique contribue à une évolution des pratiques et des conditions de construction du champ. Inscrits dans une course en avant technologique, certains acteurs de la sphère professionnelle imposent modèles et normes. Dans ce contexte, quelle peut être l'influence de cette inflation de métiers émergents et de compétences spécialisées sur les processus de professionnalisation des praticiens de la communication ?

Valérie Lépine est maître de conférences en Sciences de l'Information et de la Communication à l'université Grenoble Alpes et membre du GRESEC. Vice-présidente de la Société française des sciences de l'information et de la communication, elle est co-fondatrice du RESIPROC. Ses travaux portent sur les communications organisationnelles, leurs évolutions, enjeux, acteurs et pratiques. Elle interroge les dynamiques de professionnalisation, les ré-articulations qui s'opèrent entre compétences managériales et communicationnelles ainsi que les enjeux de reconnaissance des praticiens et des activités de la communication.

Laurent Morillon est maître de conférences habilité à diriger des recherches en Sciences de l'Information et de la Communication à l'université de Toulouse. Animateur de l'équipe Organicom du LERASS (EA 827), ses recherches portent sur les pratiques et modèles épistémologiques des acteurs en contexte organisationnel, notamment les chercheurs en communication des organisations et les communicants. Il est le directeur adjoint du LERASS et co-dirige le Laboratoire Commun RiMeC financé par l'ANR.

Fabienne MARTIN-JUCHAT : Comment changer de siècle ? Repenser les fondements épistémologiques des approches communicationnelles pour les organisations
Depuis l'apparition de la fonction communication dans les organisations, les politiques ont été pensées à partir de l'agir communicationnel habermassien et de la philosophie du langage d'Austin et de Searle : défini comme un être rationnel doté de langage et pour autant qu'il jouit des facultés de son entendement, l'individu humain se trouverait en capacité de déterminer les règles lui permettant d'agir de manière droite et juste, à partir de l'éthique de la discussion et de la force illocutoire du langage. Ces conceptions du langage, de l'action et de l'espace public, même si elles sont critiquées, font reposer les capacités actionnelles des organisations sur cette vulgate reprise par les acteurs de la communication. Ces derniers n'ont donc pas pu prévoir le rôle du capitalisme dans sa capacité à construire et à capter les affects des collectifs via les applications numériques, et à structurer la communication comme l'action individuelle et collective au sein même des organisations. L'usage intensif addictif et quotidien des outils numériques par certains salariés dans un régime de multi-activités (Dumas, Martin-Juchat, Pierre 2017) est dominé par des logiques d'ambivalence affective entre aveux de perte d'efficacité et désirs de contrôle. Si bien que les politiques de communication définies à partir des théories modernes et contemporaines, semblent inappropriées pour appréhender ces transformations de l'activité professionnelle, dans un contexte d'explosion des frontières des organisations (Linhart, 2015). Les salariés au sein de celles-ci, quant à leurs usages des applications numériques, semblent à la recherche de nouveaux modèles, pour penser le sens de leurs actions soutenues ou non par les acteurs de la communication (Charpentier, Brulois, 2014). Ce bilan critique de la situation, à partir de sa généalogie politique, nous conduira à nous interroger sur la nécessité de repenser les fondements épistémologiques des approches communicationnelles pour les organisations.

Fabienne Martin-Juchat, professeure des universités en sciences de l'information et de la communication à l'université Grenoble Alpes, est chercheuse au sein du GRESEC. Elle développe une anthropologie par la communication corporelle et affective médiée ou non par des technologies, afin de proposer un cadre théorique pour penser le corps et les émotions au sein des organisations. Elle coopère avec des chorégraphes et des praticiens du corps pour la conception de dispositifs de recherche-action innovants.

Frédérik MATTE : L'organisation (im)possible : différance, idéalité et pratique
Avec cette communication, je rendrai compte de la manière dont certaines tensions s'incarnent et s'expriment dans les activités quotidiennes de l'organisation humanitaire Médecins sans frontières (MSF). Pour procéder, je ferai appel à une approche dite "ventriloque" de la communication, approche qui vise à montrer que les tensions organisationnelles que vivent les intervenants humanitaires dans leur travail peuvent s'analyser à partir des figures qui animent leurs conversations et leurs activités de tous les jours. J'ai identifié puis analysé, grâce à une approche d'inspiration ethnographique, deux figures et deux tensions qui traduisent les mécanismes communicationnels à l'œuvre au cours de l'implémentation des activités humanitaires de MSF. Les figures dont nous ferons les analyses sont celles du patient et de la sécurité et puis, les tensions, celles entre la distance et la proximité et entre la coopération et l'indépendance.

Frédérik Matte est professeur adjoint au département de communication de l'université d'Ottawa (Canada). Il est titulaire d'un doctorat en communication de l'université de Montréal. Ses recherches portent sur l'aide humanitaire, les organisations internationales non gouvernementales (ONGI) ainsi que sur les situations d'urgence. Il s'intéresse aux aspects organisationnels tels que les tensions, l'adaptation, l'apprentissage ainsi qu'aux notions d'engagement, d'attachement et de bénévolat. Son approche s'inscrit dans un cadre collaboratif avec l'organisation d'aide humanitaire Médecins Sans Frontières (MSF). Son travail a été publié dans Journal of Communication, Communication Monographs, Discours & Communication et Pragmatics & Society.

Anne MAYÈRE : Agentivité du numérique
Le numérique est fait d'un ensemble de techniques qui visent à équiper les productions d'information et les relations, soit ce qui contribue en bonne part à constituer les êtres humains comme êtres sociaux (Simondon, 2005). C'est dire l'importance qu'il y a à questionner ces techniques, dans le projet qui fonde leur conception et du point de vue de leur agentivité — ou capacité à faire une différence dans l'action (Cooren, 2006). Notre hypothèse centrale est que, dans le champ des organisations tant privées que publiques, ces techniques participent à former des interdépendances renouvelées entre le global et le local ; à travers leurs mises en lien, elles viennent équiper des instruments de pilotage économique (Giraud, 2012) ou d'action publique (Lascoumes & Le Galès, 2005) ; ce faisant, elles matérialisent et opérationnalisent de façon renouvelée les normes et standards, leurs emboîtements et leurs tensions, et contribuent aux transformations des processus organisants (Le Moënne, 2013). De telles transformations projetées sont confrontées à des mises en pratiques qui viennent aménager, reconfigurer, repositionner les techniques. À ce questionnement s'articule une démarche méthodologique : il s'agit non pas de décréter ces dynamiques mais d'en identifier et suivre les traces à travers ce qui est ventriloqué, ce qui est inscrit et recomposé dans les textes et les architextes (Cooren, 2013 ; Jeanneret, 2015). Ces questions seront traitées à partir d'études de cas approfondies dans le domaine des organisations de santé et du travail de santé.

Anne Mayère est professeure en sciences de l'information et de la communication à l'université Paul Sabatier Toulouse 3, chercheure au CERTOP, UMR CNRS 5044, et directrice-adjointe de l'IFERISS. Ses recherches interrogent le numérique comme équipement de la rationalisation des activités de production d'information et de communication, en particulier dans les organisations de santé et plus largement ce qui a trait au travail de santé.

Daniel ROBICHAUD : La pluralité des types de connexions organisantes
Une part importante de la recherche et de la théorisation en communication organisationnelle des 30 dernières années a insisté sur les dimensions symboliques, signifiantes, voire discursives des organisations. Ce point de vue a permis de mettre en évidence comment la communication peut être dite "organisante", précisément parce qu'elle constitue un lieu privilégié d'exercice du langage où les aspects signifiants des organisations sont créés, reproduits dans le temps et éventuellement transformés. Cette communication montrera les limites de cette perspective et surtout mettra en évidence le caractère hétérogène et pluriel des types de relations qui structurent la vie organisationnelle. À côté des relations symboliques et discursives, des relations matérielles et naturelles participent aux modes d'existence multiples des réalités dites organisationnelles. Cette pluralité appelle une conception renouvelée de la communication organisationnelle qui dépasse le cadre idéaliste qui a dominé le champ jusqu'ici.

Daniel Robichaud, professeur agrégé au département de communication de l'université de Montréal, fait porter ses recherches sur le rôle du langage et de la communication dans les processus d'organisation. Il est actuellement professeur invité à l'université de Toulouse III Paul Sabatier.
Publications
Organization and Organizing. Materiality, Agency, Discourse, avec François Cooren, New York & London, Routledge, 2013.
Numéro spécial de la revue Sciences de la société, n°88, 2013, avec Bertrand Fauré.
Divers articles dans des revues scientifiques internationales : Communication Theory, Academy of Management Review, et Organization.


SOUTIENS :

• Groupe de recherche "Langage, Organisation et Gouvernance" (LOG) | Université de Montréal
• Master CCOSII (UFR Lettres, Arts et Sciences Humaines) | Université Nice Sophia-Antipolis
• Laboratoire DICEN-IdF (EA 7339) | Conservatoire National des Arts et Métiers // Université Gustave Eiffel // Université Paris-Nanterre
• PREFICS (EA 4246) | Université Rennes 2