Programme 2017 : un des colloques

Programme complet


CARTE D'IDENTITÉS. L'ESPACE AU SINGULIER


DU SAMEDI 22 JUILLET (19 H) AU SAMEDI 29 JUILLET (14 H) 2017

[ colloque de 7 jours ]



DIRECTION :

Yann CALBÉRAC, Olivier LAZZAROTTI, Jacques LÉVY, Michel LUSSAULT


ARGUMENT :

Ce colloque explorera les diverses représentations du vide dans la création littéraire (fiction, poésie, théâtre, essai) et artistique (peinture, dessin, sculpture, installation, livre-objet) des XXe et XXIe siècles, en particulier dans les avant-gardes. Le vide reflète avant tout un parti pris esthétique de dépouillement et d'épure des formes. Mais il débouche aussi dans de nombreux cas sur l'expression d'une crise, sinon d'une "fin de l'art" dans la culture occidentale, comme l'a suggéré le mouvement "Fluxus" dans les années 1960/1970 et comme le montre encore l'art contemporain aujourd'hui.

Au-delà de ces principes formels et de ces tensions philosophiques, le vide renvoie également à des sensibilités extra-occidentales, venues en particulier d'Asie. Dès lors il implique un processus conscient de rapprochement des cultures qui met en valeur la qualité méditative et spirituelle de l'art, en particulier dans son rapport au bouddhisme zen.

Ce colloque, à la fois interdisciplinaire et interculturel, s'adresse prioritairement à un public d'étudiants et d'enseignants-chercheurs qui travaillent dans le domaine de la critique littéraire (française ou comparée) et de l'histoire de l'art des XXe et XXIe siècles. Il devrait intéresser en particulier ceux d'entre eux qui se consacrent à l'étude des avant-gardes.


CALENDRIER DÉFINITIF :

Samedi 22 juillet
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Dimanche 23 juillet
Matin
Yann CALBÉRAC, Olivier LAZZAROTTI, Jacques LÉVY & Michel LUSSAULT : Introduction [enregistrement audio en ligne sur La forge numérique de la MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]
Jacques LÉVY : Je de cartes

Après-midi
THÉORIES DU SINGULIER
Philippe VASSET : Espaces vides, spatialités pleines | Entretien avec Michel LUSSAULT


Lundi 24 juillet
Matin
Michel LUSSAULT : Approche conceptuelle de la singularité spatiale

Après-midi
Carole LANOIX : Habiter l'espace. Penser l'individu par la carte
Pauline BOIVINEAU : Les identités mises au travail en danse contemporaine : nudités et singularités en exergue dans l'espace public

Soirée
Présentation de l'exposition "Lo vivido y lo sucedido" ("Vécu et événement"), avec Jaime SERRA (Chroniques de la spatialité)


Mardi 25 juillet
Matin
QUANTITÉS DE QUALITÉ
Dominique BOULLIER : Hotel California ou habitèle ?

Après-midi
Boris BEAUDE : Sur les traces numériques de l'individu
Jessica PIDOUX : Toi et moi, une distance quantifiée

Soirée
Atelier Théâtre : Les sciences sociales se donnent en spectacle, animé par Michel LUSSAULT, avec Yann CALBÉRAC et Laurence VET


Mercredi 26 juillet
Matin
Joseph MORSEL : Le diable est dans les détails ? L'historien, l'indice et le cas singulier

Après-midi
DÉTENTE

Soirée
Tourisme : masse et/ou individu, table ronde avec Lauriane LÉTOCART (Le tourisme : identité spatiale, identité sociale. Le cas de la Baltique du Mecklembourg-Poméranie), Isabelle SACAREAU (La station entre généricité et singularité. Réflexions à partir de l'exemple des hill stations indiennes nées en situation coloniale) et Benjamin TAUNAY (S'engager hors de la densité. La Chine au prisme des déviances corporelles)


Jeudi 27 juillet
Matin
Lucas TIPHINE : La post-régulation de la circulation dans les espaces publics donne-t-elle plus de liberté aux usagers ? Le cas des piétons
Djemila ZENEIDI : La singularité à l'épreuve de la migration

Après-midi
HABITANS
Olivier LAZZAROTTI : "Qui es-tu Franz Schubert ?" : approches géographiques du singulier, avec la participation de Cécile GRÉVIN

Soirée
Atelier Chorégraphie : danser les théories spatiales, avec Jacques LÉVY et Mélanie PERRIER


Vendredi 28 juillet
Matin
Sylvain KAHN : Quand les Européens inventent un régime singulier de territorialité [enregistrement audio en ligne sur La forge numérique de la MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]
Hélène NOIZET : Habiter la ville médiévale : une co-construction d'espaces et de spatialités

Après-midi
Jean-Nicolas FAUCHILLE : Petits acteurs, grands enjeux : urbanité et éthique
Ana PÓVOAS : Singularité et théorie sociale de l'ethos spatial


Samedi 29 juillet
Matin
CONCLUSIONS
Débat animé par Yann CALBÉRAC et Olivier LAZZAROTTI

Après-midi
DÉPARTS


COMPTE-RENDU :

Vive les géographes kinésphero-cerisyens !, par Sylvain ALLEMAND

Du 22 au 29 juillet se déroulait le colloque "Carte d'identités. L'espace au singulier" sous la direction notamment des géographes Michel Lussault et Jacques Lévy. Le secrétaire général de l'Association des Amis de Pontigny-Cerisy, Sylvain Allemand, y a assisté. Il explique ici l'intérêt qu'il en a tiré au regard du tout premier colloque de géographie que ces derniers avaient organisé à Cerisy… en 1999.

Le colloque se proposait de rendre compte de la manière dont des singularités individuelles, collectives et spatiales pouvaient se manifester, y compris dans le double contexte de la mondialisation et de la révolution numérique que nous connaissons, non sans prendre à rebours les craintes de standardisation ou d'homogénéisation qu'on associe spontanément à celles-ci. À dominante géographique (à en juger par le nombre d'intervenants se définissant a priori comme géographe et/ou ayant fait une thèse de géographie), ce colloque nous a, personnellement, d'autant plus intéressé que nous avions assisté à celui, Logique de l'espace, esprit des lieux que deux de ses co-directeurs (Jacques Lévy et Michel Lussault) avaient organisé près de vingt ans plus tôt, en 1999, avec pour objectif, alors, de renouveler la géographie (non sans par la même occasion faire entrer cette discipline à Cerisy : ce colloque fut le premier qui y fut consacré).

Nous avons pu ainsi non pas tant mesurer le chemin parcouru par ces deux géographes dans leur effort pour la faire reconnaître pleinement comme une science sociale (d'autres occasions nous avaient été données de le faire, à travers ne serait-ce que des interviews, la lecture de plusieurs de leurs publications ou d'autres moments d'échanges à Cerisy même, où ils ont eu, depuis, le loisir de revenir à plusieurs reprises comme intervenants ou directeurs de colloque), que d'éprouver de manière sensible leur cheminement. En disant cela, nous ne songeons pas au poids des années qui auraient pu se lire sur leur visage, une photo du tout premier colloque, exposée au premier étage du Château de Cerisy, ne laissant rien paraître de leur basculement dans une tout autre tranche d'âge… (au contraire, Jacques Lévy et Michel Lussault ne paraissent pas avoir tant changé que cela, suggérant ainsi que la géographie, à moins que ce ne soit la fréquentation régulière de Cerisy, a le pouvoir de maintenir jeune !).

Non. Nous songions davantage à la manière dont ce cheminement s'est traduit par une réelle capacité à s'ouvrir à d'autres disciplines, y compris non spécifiquement académiques comme l'infographie (à travers l'intervention de l'artiste espagnol Jaime Serra, dont plusieurs dessins ont été exposés dans l'ancienne Étable), le théâtre sans oublier la danse. D'ailleurs, si une notion découverte au cours de ce colloque devait bien résumer ce qui, à notre sens, s'est joué au cours de ces dix-huit années, c'est bien celle de "kinésphère", évoquée lors d'un atelier proposé en soirée. Due à l'allemand Rudolf Von Laban — celui-là même auquel on doit la "notation du mouvement" —, elle désigne l'espace à trois dimensions qu'une personne est à même de balayer depuis une position fixe, rien qu'en se déployant au plan frontal, sagittal et vertical. En un sens métaphorique, on pourrait dire rétrospectivement que le colloque de 1999 et ses enjeux, auraient pu se résumer en un croquis représentant Jacques Lévy et Michel Lussault dans… leurs kinésphères respectives, autrement dit leur déploiement frontal, sagittal et vertical, depuis un point fixe, le tout symbolisant bien l'ambition de leur colloque : aller aux confins de leur discipline, rendre compte de sa porosité avec bien d'autres sciences sociales et humaines, sans récuser pour autant leur appartenance à la géographie (laquelle était au contraire valorisée dans sa pluralité, comme le soulignait le sous-titre des actes issus du colloque : Géographies à Cerisy).

En filant cette métaphore, on pourrait résumer le colloque de cet été en le représentant par des kinésphères plus nombreuses puisque à celles de Jacques Lévy et de Michel Lussault, se sont ajoutées celles des deux autres co-directeurs (Olivier Lazzarotti et Yann Calbérac), sans oublier celles de leurs doctorants respectifs, en suggérant au passage par-là que les deux premiers sont parvenus non pas tant à faire école, mais à convaincre d'autres personnes de participer à la démarche programmatique initiée à l'occasion du colloque de 1999 — faire reconnaître, rappelons-le, la géographie comme une science sociale. Non sans élargir le spectre des disciplines couvertes ni entendre celles-ci en un sens plus générique, puisque nos géographes se sont proposés cette fois d'entrer résolument au contact du champ de la création artistique : la danse et le théâtre, donc, mais aussi la musique (en l'occurrence celle de Franz Schubert évoquée à travers la communication d'Olivier Lazzarotti). Surtout, tout s'est passé comme si nos géographes avaient mis en mouvement leurs kinésphères. Non qu'ils aient renoncé à tout ancrage (indispensable dans la conception labanienne de cette sphère particulière). Ils ont juste voulu montrer en quoi il peut s'inscrire, tout comme l'habiter, dans le mouvement (hypothèse très largement évoquée au cours de ce colloque).

Pour autant, ce colloque n'avait pas vocation à se livrer à une défense et illustration de quelque interdisciplinarité que ce soit. Ni même d'une pluridisciplinarité ou encore d'une multidisciplinarité. Parmi les très nombreuses approches mises en avant par les intervenants, celles-ci ont été très peu évoquées. Un paradoxe et non des moindres quand on y pense de prime abord. Sauf à admettre qu'en réalité, les intervenants ont su incarner cette autre voie promue par Laurent Loty, chercheur au CNRS, à savoir l'"indisciplinarité" (consistant à se risquer à poursuivre des recherches sans objectifs préalables, d'une manière sérendipienne en somme). De fait, bien des intervenants se sont risqués à investir des terrae pas nécessairement incognitae, mais que les géographes n'avaient pas jugé utile d'explorer jusqu'ici, ou si peu, au prétexte qu'elles ne concernaient pas des disciplines académiques. Étant entendu qu'indisciplinaire ne veut pas dire indiscipliné (quoique très convivial, le programme du colloque a été tenu avec rigueur, et pas seulement grâce à l'appel impérieux des cloches du Château).

À cet égard, les ateliers sur le théâtre et la danse ont été des moments particulièrement importants. Nos géographes ne se sont pas contentés d'en appeler à un dialogue avec ces arts. Ils se sont, encore une fois, risqués à une expérimentation autour d'un dispositif scénique directement inspiré au théâtre, dans le premier cas, à des exercices chorégraphiques, dans le second, et à chaque fois pour mettre corporellement à l'épreuve des concepts spatiaux, si l'on peut dire. Kinésphériens et indisciplinaires, telles pourraient donc être les caractéristiques du géographe contemporain tel qu'il s'est manifesté au cours de ce colloque, quitte à entraîner un effacement progressif de sa discipline au profit d'une science plus générale — la science sociale — à laquelle il concourrait au même titre que les sociologues, les économistes, les anthropologues ou encore les politologues, sa valeur ajoutée résidant dans la prise en compte des logiques spatiales des enjeux sociaux. Dans cette perspective d'unification du champ des sciences sociales, l'enjeu ne serait plus d'apprécier l'apport du géographe à l'aune des concepts, des théories et méthodes qu'il serait en capacité d'exporter vers ou d'importer d'autres disciplines (une vision présente au cours du premier colloque, mais que Jacques Lévy a dit ne plus souhaiter défendre), mais par sa capacité à restituer toute leur place aux logiques spatiales qui président à notre rapport au monde et aux autres.

Si ce colloque a donc permis de caractériser une nouvelle espèce de géographe, il aura aussi permis, avec leur concours, de mieux apprécier la singularité d'un lieu comme Cerisy. Bien plus : montrer en quoi ses apparents archaïsmes (la cloche et quelques autres rites) et contraintes (des colloques de plusieurs jours, organisés au milieu de nulle part, au fin fond du Cotentin) en font en réalité la force et tout l'intérêt même, ou plutôt surtout, à l'heure de la mobilité et de la connectivité généralisées. À Cerisy, on prend le temps de l'échange formel (autour de communications) et informel (lors des repas que les participants prennent ensemble). On se risque aussi à des rencontres avec des personnes venant d'autres horizons professionnels, disciplinaires et géographiques que les siens. C'est dire si on est tout sauf déconnecté du monde. À certains moments, Cerisy prend même des airs d'"hyper-lieu", au sens où Michel Lussault les définit dans son dernier ouvrage (Hyper-Lieux. Les nouvelles géographies de la mondialisation, Seuil, 2017) : des lieux qui pour être très "locaux", n'en vivent pas moins en étant au diapason du Monde.


BIBLIOGRAPHIE :

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• Zeneidi Djemila, 2013, Femmes/Fraises. Import/Export, Paris, PUF.


SOUTIENS :

• Laboratoire Chôros | École polytechnique fédérale de Lausanne
• Unité de Recherche "Habiter le Monde" | Université de Picardie Jules Verne