Programme 2022 : un des colloques

Programme complet


ARTS ET ÉCRITS REBELLES

IMAGES DISSIDENTES ET RÉSISTANCES DE LA LANGUE


DU MERCREDI 11 MAI (19 H) AU DIMANCHE 15 MAI (14 H) 2022

[ colloque de 4 jours ]



DIRECTION :

Idoli CASTRO, Sonia KERFA, Sophie LARGE, Evelyne LLOZE, Yolaine PARISOT


ARGUMENT :

Se rebeller, c'est repartir en guerre selon l'étymologie. Repartir implique un acte de réinvention des pratiques tant artistiques que littéraires, et il faut faire crédit à la rébellion et à la dissidence d'une capacité d'inventivité qui atteint l'ensemble des créations humaines, y compris les arts. Plus de soixante-dix ans après la célèbre définition de l'"artiste engagé" par Sartre, ce colloque propose d'analyser les reconfigurations actuelles de la résistance dans les arts et les écrits, et ainsi d'étudier en quoi l'émergence de nouvelles épistémologies ont pu profondément les modifier en faisant entrer dans le champ de la connaissance certaines pratiques. Les travaux s'intéresseront non pas à une aire culturelle mais à un réseau de relations : celles du monde dit occidental articulé aux mondes des "Suds" qui ont expérimenté des formes de rébellions et des révolutions multiples et diverses, mais aussi des manières de vivre la démocratie et de revendiquer des libertés individuelles qui ont été fécondes pour la création.

N.B. : Ce colloque ayant été initialement prévu en 2021, il vous est possible d'accéder à sa présentation 2021 : cliquer ici.


MOTS-CLÉS :

Arts visuels, Émancipation, Littérature, Rébellion, Réinvention


CALENDRIER DÉFINITIF :

Mercredi 11 mai
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Jeudi 12 mai
Matin
PERFORMANCES, UNE CORPOPOLITIQUE DES ARTS ?
Juan ALBARRÁN : Santiago Sierra et les sujets de la résistance
Béatrice JOSSE : Contre l'art des œuvres d'art
Lawrence LA FOUNTAIN-STOKES : Transformisme et politique dans les Caraïbes hispanophones (Cuba et Porto Rico)

Après-midi
LES CONTRE-NARRATIVITÉS
Paula BARREIRO LÓPEZ : De retour à l'archive visuelle révolutionnaire : pratiques artistiques mondialisées et leurs spectres tricontinentaux
Michèle SORIANO : Corps, production, signatures : créations collectives dans le cinéma contre-hégémonique argentin
Pascale THIBAUDEAU : Contre la normativité du visible : les nouveaux paris cinématographiques d'Ainhoa Rodríguez

Soirée
Hommage à Anne-Laure BONVALOT (1983-2022) — Lecture de textes


Vendredi 13 mai
Matin
RÉSISTANCE DE LA LANGUE, À L'INTERSECTION DES VOIES/X REBELLES
Florian ALIX : Réécriture de l'Histoire coloniale au féminin : médiation et sensation chez Assia Djebar (La Femme sans sépulture), Anna Moï (Riz noir) et Léonora Miano (La Saison de l'ombre)
Sylvie SERVOISE : Les "romans à voix" de Lyonel Trouillot ou la polyphonie adressée
Patrick SAVIDAN : Résister avec Adorno : l'art et la manière

Après-midi
PRATIQUES ARTISTIQUES DU SUD GLOBAL, ENTRE DÉCOLONIALITÉ ET NORMALISATION
Julia RAMÍREZ-BLANCO : Vers une iconographie des contre-cultures anti-industrielles
Valérie MAGDELAINE-ANDRIANJAFITRIMO : Créer et éditer depuis l'océan Indien : pratiques rebelles ou normalisation de l'expression artistique ?
María RUIDO : Autour de Estado de malestar, film-essai sur la folie comme forme de résistance [visioconférence]

Soirée
Lawrence LA FOUNTAIN-STOKES : Cabaret tropical [performance de Lola Von Miramar]


Samedi 14 mai
Matin
"ON SE LÈVE ET ON SE CASSE" (VIRGINIE DESPENTES)
Claire LAGUIAN : Les nouvelles Guérillères lesbiennes dans la poésie espagnole contemporaine
Meri TORRAS : Se rebeller pour écrire et pour aimer : La insumisa de Cristina Peri Rossi
Nathalie WATTEYNE : Femmes, colère et poésie au Québec : Carole David, Monique Deland et Natasha Kanapé Fontaine

Après-midi
DÉTENTE


Dimanche 15 mai
Matin
SUBJECTIVITÉS ET ESTHÉTIQUES REBELLES
Romuald FONKOUA : Léon-Gontran Damas, les voies rebelles de l'anthropologie et de la poésie
Nadia LOUAR : Les postures insolentes de Virginie Despentes
Inès HORCHANI (Ines ORCHANI) : Gazelle théorie, une expérience d'écriture rebelle [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie]

Atelier de clôture du colloque, avec les doctorantes Cristina GARCIA MARTINEZ (S. Kerfa - UGA), Sihong LIN (E. Lloze - UJM) et Juliette STELLA & Murielle VAUTHIER (Y. Parisot - UPEC)

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Juan ALBARRÁN : Santiago Sierra et les sujets de la résistance
Les plus connus (et les plus polémiques) projets de l'artiste espagnol Santiago Sierra ont été construits à partir d'un recrutement de travailleurs rémunérés pour faire des tâches absurdes, improductives, voire humiliantes. De cette manière, Sierra se place dans la position d'un entrepreneur qui exploite ses employés pour produire de l'art. Face à ces œuvres qui veulent formuler une critique du capitalisme actuel, on se demande quel type de sujet-artiste incarne Sierra ? Quelle marge d'action reste aux travailleurs, ou performeurs délégués ? Comment peuvent-ils résister aux relations de travail conçues par l'artiste ? Et, finalement, quelle est la position du spectateur dans ce type de performances ? Cette contribution tentera de répondre à ces questions en prenant en considération certains des plus importants apports théoriques qui ont transformé le concept de sujet/subjectivité pendant les dernières décennies.

Juan Albarrán est professeur d'histoire de l'art à l'universidad Autónoma de Madrid. Il s'intéresse aux rapports entre art et politique depuis les années 70. Il est membre du projet international MoDe(s) et dirige le magazine Utopía. Revista de crítica cultural (Madrid-Ciudad de México).
Dernières publications
Disputas sobre lo contemporáneo, Exit, 2019.
Performance y arte contemporáneo, Cátedra, 2019.

Florian ALIX : Réécriture de l'Histoire coloniale au féminin : médiation et sensation chez Assia Djebar (La Femme sans sépulture), Anna Moï (Riz noir) et Léonora Miano (La Saison de l'ombre)
Dans cette communication, on se proposera de lire l'œuvre de trois romancières contemporaines à l'aune du concept postcolonial de writing back, conçu par Bill Ashcroft, Garreth Griffiths et Helen Tiffin, comme une réécriture critique d'un corpus européen depuis des espaces marqués par l'implantation coloniale. Dans le cas qui nous occupe, l'approche prendra une coloration intersectionnelle puisqu'à cette question politique s'ajoute dans les romans une réflexion sur le genre et, dans une certaine mesure, sur les groupes sociaux (sinon sur les classes). Le writing back doit alors être conçu dans toute sa complexité : les romancières ne mobilisent pas simplement une reconfiguration littéraire mais aussi d'autres arts ou médias. En même temps, ce travail passe aussi par une tentative de se détacher d'un cadre épistémique au profit de la mise en œuvre d'une écriture de la sensation, comme outil stratégique de déplacement de la pensée de l'Histoire. L'écriture romanesque des trois romancières se situe donc entre complexité de la médiatisation et usage de la sensation (apparemment) immédiate : c'est cet entre-deux que nous nous proposons d'explorer

Florian Alix est maître de conférences à la Faculté des Lettres de Sorbonne-Université, rattaché au CIEF / CELLF. Il travaille en particulier sur les littératures africaines et caribéennes. Il est membre du collectif "Write back".
Publications
A co-dirigé Postcolonial Studies : modes d'emploi, P.U.L., 2013.
A co-dirigé, avec Evelyne Lloze et Romuald Fonkoua, Poésies des francophonies : état des lieux (1960-2020), Hermann, 2021.
L'Essai postcolonial, Karthala, 2022.

Paula BARREIRO LÓPEZ : De retour à l'archive visuelle révolutionnaire : pratiques artistiques mondialisées et leurs spectres tricontinentaux
Avec la première conférence tricontinentale à La Havane (1966), la configuration d'un mouvement transnational de résistance et de soutien aux luttes de libération dans le sud global (Amérique latine, Afrique et Asie) s'est formée. Ce mouvement a fourni une structure qui allait au-delà des tactiques politiques et militaires, s'étendant au-delà du champ de bataille paysan et urbain pour devenir une tactique utile dans le domaine de l'art et de la culture en Europe, aux États-Unis et en Amérique latine dans les années soixante et soixante-dix. Quarante années plus tard, l'archive tricontinentale et son arsenal d'images, longtemps oubliés, sont en train de renaître à travers des pratiques rebelles d'une multitude d'artistes visuels et réalisateurs afin de contrecarrer la colonialité du pouvoir et le capitalisme cognitif de notre monde actuel.

Paula Barreiro López est professeure d'histoire de l'art contemporain à l'université de Grenoble-Alpes (LARHRA UMR 5190). Elle dirige la plateforme internationale MoDe(s) et, dans ce cadre, le projet Résistance(s) Partisane(s).
Publications
Atlántico Frío. Historias transnacionales del arte y la política en los tiempos del telón de acero, 2019.
Avant-garde Art and Criticism in Francoist Spain, 2017.
Modernidad y vanguardia : rutas de intercambio entre España y Latinoamérica, 2015 (édité avec Fabiola Martínez).
Crítica(s) de arte : discrepancias e hibridaciones de la Guerra Fría a la globalización, 2014 (avec Julian Díaz).

Inès HORCHANI (Ines ORCHANI) : Gazelle théorie, une expérience d'écriture rebelle
En interrogeant l'espace vide entre "écrits" et "rebelles", Orchani propose un retour à l'expérience d'écriture rebelle. En tant que chercheuse, mais aussi en tant qu'écrivain, elle s'essaie ici à une phénoménologie de l'écriture rebelle. Elle se demande si l'on peut écrire et se rebeller en même temps, si l'on peut écrire au lieu de se rebeller, et s'il existe un âge de la rébellion. Ces questions liées à l'expérience rebelle conduisent Orchani à revenir aux formes de l'art rebelle. La rébellion, allant de l'antinomie à l'anomie, de l'anticonformisme à l'invention de formes nouvelles. Orchani montre qu'il n'y a peut-être pas d'écrits rebelles, mais seulement de l'écriture rebelle. Parce que l'écrit, dans sa forme recevable, définitive, est figé, assagi. En partant d'exemples francophones, arabophones et anglophones, et de l'expérience de Gazelle Théorie, Orchani conclut que la rébellion et l'amour sont deux exceptions à l'intentionnalité chère à la phénoménologie : l'amour serait une inconscience de (expérience du tout objet) et la rébellion serait une prise de conscience sans objet (expérience du tout sujet). Car le rebelle dit "je". Ce "je" n'est pas nécessairement un "ego". Il peut l'être, parce l'ego est l'expérience première du soi, mais lorsque le rebelle dit "je", puis lorsqu'il l'écrit, c'est de façon plus réflexive qu'égocentrée. Car ce "je" est un "soi" qui tend vers le "nous". Un "je" qui déborde, et qui dépasse l'indicible humiliation. Orchani parle ici d'ipse, d'un soi comme conscience commune, nourrie d'expériences singulières.

Inès Horchani enseigne la littérature à la Sorbonne Nouvelle depuis 2006 et a pour nom de plume Ines Orchani. Agrégée de langue arabe, Inès Horchani est la co-auteure de Marhaba Grand manuel d'arabe (Dunod, 2022, 592 pages). Elle a par ailleurs traduit une vingtaine d'auteurs/autrices arabophones. Ines Orchani a publié Gazelle Théorie, chez Fayard, dans la collection "Pauvert", dans le sillage de King Kong Théorie de Despentes. Sous le pseudonyme NES, aux éditions Les Centres du Monde, elle a fait paraître deux recueils de poésie trilingue arabe-français-anglais, intitulés Lâm et Sîn. Sa nouvelle "L'homme de lointaine tendresse et de silence" obtient le Prix spécial du jury du jeune écrivain francophone, son poème "La femme au miroir" figure dans l'Anthologie de la poésie mondiale (Éditions Caractères, 2021), et Gazelle Théorie est sélectionné pour le prix Livre et Droits humains. Ses recherches actuelles portent sur la sécularisation des textes sacrés, sur la fonction critique de la poésie et sur la place du poète dans l'espace public.

Béatrice JOSSE : Contre l'art des œuvres d'art
Évincées de l'histoire de l'art académique, la performance ainsi que les autres formes d'œuvres protocolaires ou collectives n'ont guère eu de place dans les collections muséales, focalisées exclusivement sur les aspects matériels des œuvres. Alors que la notion de patrimoine immatériel est officialisée par l'Unesco à la fin des années 90, j'intègre des œuvres performatives, souvent conjuguées au féminin, au Fonds régional d'art contemporain de Lorraine basé à Metz. Il constitue ainsi la première collection publique en France à entériner cette forme d'acquisitions de formes live à réactiver, à interpréter. Animée par une démarche profondément féministe qui permet de révéler plus largement les questions d'invisibilité, je poursuis au MAGASIN des horizons à Grenoble la sape d'un certain monde de l'art arc-bouté sur la valeur marchande.

Béatrice Josse s'est formée en droit et en histoire de l'art avant d'être nommée au 49 Nord 6 Est - Frac Lorraine en 1993 puis au MAGASIN à Grenoble en 2006, destiné à collectionner des œuvres d'art. Elle a réussi à infléchir considérablement le nombre d'artistes masculins tout en y infiltrant des pratiques immatérielles (performances, protocoles…). Outre des monographies d'artistes femmes historiques : Vera Molnar, Nil Yalter, Cécilia Vicuna, Tania Mouraud…, elle a aussi organisé de nombreuses expositions collectives en lien avec ses engagements féministes : "Territoire occupé", "2 ou 3 choses que j'ignore d'elles", "Les Immémoriales"… Dorénavant à la direction du Magasin des horizons à Grenoble, elle s'oriente vers une nouvelle définition du rôle de l'artiste dans la société en proposant des projets pluridisciplinaires, ainsi qu'une formation professionnelle ouverte aux questions art/société/climat…

Lawrence LA FOUNTAIN-STOKES : Transformisme et politique dans les Caraïbes hispanophones (Cuba et Porto Rico)
Quelle est la politique de la performance de drag dans les Caraïbes hispaniques ? Dans cette communication, nous nous concentrerons sur deux artistes : Mickey Negrón (Porto Rico) et Pedro Manuel González Reinoso, mieux connu sous le nom de Roxana Rojo (Cuba). Nous contextualiserons leur travail par rapport à une politique de résistance dissidente qui négocie selon des contextes spécifiques. Dans le cas de Mickey Negrón, nous parlerons de sa performance PonerMickeytarme : ritual de pluma y purificación (2015), qui a été réalisée comme une intervention et protestation contre une marche menée par les églises pentecôtistes et évangéliques qui s'opposent à l'éducation avec une perspective de genre à Porto Rico. Dans le cas de González Reinoso, nous discuterons de son livre Vidas de Roxy, ó el aplatanamiento de una rusa en Cuba (2010) et sa participation à deux documentaires du jeune cinéaste Lázaro González González, Máscaras (2014) et Villa Rosa (2016), dans lesquels l'artiste drag discute de son incarnation d'un personnage russe à Cuba. Travaillant avec l'idée que la performance remet en question le genre et que la culture peut servir dans le cadre d'un processus décolonial, nous examinerons comment ces artistes questionnent et défient les cadres hégémoniques et les relations de pouvoir en lien avec la sexualité et l'État.

Lawrence La Fountain-Stokes est professeur de culture américaine et de langues et littératures romanes à la University of Michigan, Ann Arbor (États Unis). Ses recherches portent sur la littérature, le théâtre et la performance queer des Caraïbes hispanophones et de la diaspora.
Publications
Queer Ricans : Cultures and Sexualities in the Diaspora (2009).
Uñas pintadas de azul/Blue Fingernails (2009).
Abolición del pato (2013).
A Brief and Transformative Account of Queer History (2016).
Keywords for Latina/o Studies (2017).
Escenas transcaribeñas : ensayos sobre teatro, performance y cultura (2018).

Claire LAGUIAN : Les nouvelles Guérillères lesbiennes dans la poésie espagnole contemporaine
La poésie espagnole contemporaine est marquée par l'avènement de nombreuses poètes qui explorent dans leurs vers les identités lesbiennes et queer. Ces dissidences langagières et vitales sont influencées par l'apparition de courants de pensée récents qui ont surgi bien après les féminismes européens des années 70. Nous pensons par exemple aux perspectives queer et aux études de genre qui inspirent ces poètes dont la radicalité s'aventure sur des terrains relativement neufs dans l'histoire des féminismes, tels que le postporn ou le pornoterrorisme. Néanmoins, nous verrons comment cette dissidence contemporaine s'inscrit également dans la continuité des générations théoriques et artistiques antérieures, en reconfigurant la figure fondamentale des Guérillères poétisée par Monique Wittig en 1969, et en conservant la viscéralité wittiguienne (Le corps lesbien) et sa déconstruction générique du langage.

Claire Laguian est docteure en littérature espagnole contemporaine et MCF à l'université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis. Elle a entre autres travaillé sur les créations de nombreuses écrivaines espagnoles depuis la perspective des désirs lesbiens et de l’écriture des luttes féministes et queer. Par ailleurs, elle a dirigé des ateliers d'écriture créative et d'autotraduction autour des stéréotypes et représentations de genre en littérature.
Pour plus d'informations : https://etudes-romanes.univ-paris8.fr/?Claire-Laguian-MCF.

Nadia LOUAR : Les postures insolentes de Virginie Despentes
Dans le cadre de ce colloque axé sur la rébellion et la dissidence, je me propose d'interroger la fable concoctée par la critique d'une Virginie Despentes "assagie". Si Baise-moi a assuré à la jeune auteure punk un lectorat fidèle et a invité des perspectives critiques nouvelles, ce premier roman a dessiné du même coup un horizon d'attente à l'aune duquel on a parfois jugé durement son ascension littéraire. Il ne s'agira donc pas de retracer ici un remarquable parcours de la marge au centre mais d'analyser une entreprise littéraire qui a radicalement altéré le paysage culturel français et instauré un nouveau discours sur les femmes, les genres, et la sexualité.

Nadia Louar est professeure de français et co-directrice du Département de Langues et Littératures à l'université Wisconsin-Oshkosh. Ses recherches portent sur les littératures francophones et les études féminines et de genres.

Valérie MAGDELAINE-ANDRIANJAFITRIMO : Créer et éditer depuis l'océan Indien : pratiques rebelles ou normalisation de l'expression artistique ?
Des revues artistiques, culturelles et littéraires contemporaines des îles du sud-ouest de l'océan Indien comme Indigo, Fragments, Project'îles, Lettres de Lémurie, Kanyar ou Point barre, résolument plurielles et pluridisciplinaires, rendent compte des productions artistiques des îles en s'appuyant sur un postulat : l'idée d'une Relation indianocéane ou "lémure". Ces revues contribuent-elles à poser un acte politique fort, en proposant une recomposition des champs artistiques internationaux devant prendre en considération des espaces anciennement minorés, ou bien contribuent-elles à une certaine normalisation des pratiques littéraires et artistiques ? Ces nouveaux regards sur les arts offrent ainsi l'occasion de réfléchir à une redéfinition de ce que peuvent être la rébellion et la résistance d'un "Sud global".

Valérie Magdelaine-Andrianjafitrimo est Maître de conférences en littératures françaises et francophones à l'université de La Réunion. Rédactrice en chef de la revue NEF - Nouvelles Études Francophones de 2014 à début 2022, directrice des Presses universitaires Indianocéaniques. Francophoniste spécialisée dans les littératures de l'océan Indien. A codirigé ou dirigé plusieurs ouvrages ou numéros de revues, dont, avec G. Armand et Y. Parisot, TROPICS, n°4, Discours artistiques du contemporain au prisme de l'océan Indien : fictions, critique et politiques (2018).

Julia RAMÍREZ-BLANCO : Vers une iconographie des contre-cultures anti-industrielles
À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, une multitude de groupes et d'individus dans différents pays se sont engagés dans la recherche d'une vie plus "naturelle", s'opposant à la transformation radicale de la vie induite par la première révolution industrielle. La lebensreform en Allemagne, en Suisse et en Autriche, le transcendantalisme aux États-Unis et le simple life movement au Royaume-Uni convergeaient dans nombre de leurs propositions. En France et en Belgique prolifèrent les "milieux libres", petites communautés anarchistes que l'on peut considérer comme les précurseurs de l'environnementalisme. Dans la péninsule ibérique, le naturisme, le végétarisme et la culture libre ont, pour leur part, emprunté des chemins idéologiques différents. À partir d'une approche transnationale centrée sur les pays du Sud, cet article traite des formes d'autoreprésentation de ces communautés à partir d'images photographiques fortement mises en scène, qui donnent souvent lieu également à la production de cartes postales. Ce corpus visuel fait dialoguer des groupes de différents endroits et génère une sorte d'iconographie de la contre-culture anti-industrielle qui perdure encore aujourd'hui.

Julia Ramírez-Blanco, professeur à l'université de Barcelone, travaille sur la relation entre art, utopie et activisme. Elle a été co-commissaire de l'exposition Grande Révolution Domestique-Guise, est membre du comité de la Society for Utopian Studies, du Centre for Artistic Activism et codirige le groupe de travail Aesthetics & Technics between Prefiguration and Revolution (Université américaine de Paris). Elle travaille actuellement sur les mouvements de retour à la terre de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.
Publications
Artistic Utopias of Revolt, Palgrave, 2018.
"Non Textual Utopias" (ed.), Regac Journal, 2018.
Pequeño bestiario de monstruos políticos (ed.), Cendeac, 2020.
15M. El tiempo de las plazas, Alianza, 2021.
Amigos, disfraces y comunas (Cátedra, sous presse, 2022).

María RUIDO : Autour de Estado de malestar, film sur la folie comme forme de résistance
"Le capital rend le travailleur malade, puis les multinationales pharmaceutiques lui vendent des médicaments pour qu'il aille mieux. Les causalités sociales et politiques de la détresse mentale sont mises de côté en même temps que le mécontentement est individualisé et intériorisé." [Mark Fisher, Réalisme capitaliste]
Estado de malestar ["État de détresse"] (2019) prend comme point de départ une série de textes de Mark Fisher, Franco Berardi "Bifo" et Santiago López Petit, ainsi que des conversations avec des philosophes, des psychiatres et des patients ou des personnes diagnostiquées, notamment le collectif militant InsPiradas, à Madrid. Il se présente comme un essai visuel sur la symptomatologie et la souffrance psychique à l'ère du réalisme capitaliste, sur la douleur que notre mode de vie nous inflige et sur les lieux et modalités de résistance et/ou de changement que nous pouvons construire pour le combattre.
Estado de malestar - María Ruido - Video HD, super 8mm, 16 mm - 63 mn - 2019 - VO : espagnol - Sous-titres : anglais

Maria Ruido est réalisatrice, artiste, chercheure et enseignante. Elle vit à Madrid et à Barcelone, où elle enseigne au département d'Arts visuels depuis 2002, et où elle participe à plusieurs études sur les représentations et leurs contextes de production. Ses travaux des recherches portent sur les imaginaires du travail dans le capitalisme post-fordiste, sur les mécanismes qui construisent la mémoire et ses relations avec les différents récits historiques et, actuellement, sur l'imaginaire décolonial et ses possibilités d’émancipation.
Filmographie
2002 - La memoria interior (33 mn)
2003 - Tiempo real (43 mn)
2005 - Ficciones anfibias (33 mn)
2008 - Plan Rosebud 1 (114 mn) + Plan Rosebud 2 (120 mn)
2009 - Zona Franca (20 mn)
2010 - Le paradis (4 mn)
2010 - Lo que no puede ser visto debe ser mostrado (12 mn)
2011 - ElectroClass (53 mn)
2014 - Le rêve est fini / The dream is over (47 mn)
2015 - L'œil impératif / The imperative eye (63 mn)
2017 - Mater Amatísima (55 mn)
2019 - Estado de malestar (63 mn)

Pascale THIBAUDEAU : Contre la normativité du visible : les nouveaux paris cinématographiques d'Ainhoa Rodríguez
Dans le cinéma d'"auteur" espagnol actuel, plusieurs cinéastes s'attachent à filmer l'"Espagne vide" et les processus de désertification des zones rurales. Il s'agit de montrer, depuis un régime documentaire, fictionnel ou mixte, des personnes — le plus souvent âgées —, des lieux et des modes de vie en voie de disparition. Souvent de tonalité crépusculaire et mélancolique, ces films (depuis Le ciel tourne (2005) de Mercedes Álvarez, jusqu'à Face au vent (2018) Meritxell Colell, en passant par Elogio de la distancia (2009) de Julio Llamazares y Felipe Vega) rendent compte de l'attente d'une fin déjà à l'œuvre en adoptant un rythme le plus souvent contemplatif. Si le premier long métrage d'Ainhoa Rodríguez s'inscrit dans la liste des films qui prennent pour objet la mort annoncée d'un village, il le fait en réinvestissant certains codes des films cités (longs plans fixes, refus de la transparence narrative, effets soustractifs) mais en les faisant exploser par l'émergence de forces enfouies sous les apparences tranquilles d'une ruralité fantasmée : forces occultes, libido et violences patriarcales refont surface à la veille d'une catastrophe annoncée (ici la fin sera brutale et cosmique, non dilatée dans le temps ni mélancolique). Outre l'articulation peu commune entre les approches anthropologique, fantastique et expérimentale, la réalisatrice — qui a vécu un an dans le village — vient bousculer les habitudes spectatorielles contemporaines en exposant des visages, des nudités et des corps non normatifs, rarement montrés au cinéma. Cette intervention s'intéressera à la façon dont ce film déconstruit à la fois les regards normés par la photogénie dominante, les codes du cinéma mainstream autant que de certaines formes de cinéma plus exigeantes.

Pascale Thibaudeau est agrégée d'espagnol, professeure à l'université Paris 8 et spécialiste du cinéma hispanique. Ses recherches actuelles portent sur les rapports entre cinéma, histoire et mémoire, depuis une perspective spectrale. Elle a écrit plusieurs articles et coordonné deux numéros de revues sur ces questions : "Spectres de la guérilla dans les cinémas hispaniques", HispanismeS, n°7, 2016 ; "Fantasmas, justicia y reparación en Guatemala. La Llorona de Jayro Bustamante", Pandora, n°16, 2021. Elle dirige actuellement le Laboratoire d'Études Romanes de l'université Paris 8.

Meri TORRAS : Se rebeller pour écrire et pour aimer : La insumisa de Cristina Peri Rossi
Cristina Peri Rossi (Montevideo 1941) a récemment reçu les prestigieux prix José Donoso (2019) et Cervantes (2021). Entre les deux, La insumisa (2020) est apparue comme la première publication autobiographique de l'auteure uruguayenne. Le texte se concentre sur les années d'enfance à Montevideo et se termine par l'exil à Barcelone. Ainsi, on assiste au développement d'une enfance et jeunesse queer, où le sujet résiste à sacrifier son désir et son objectif de devenir écrivaine, parallèlement à son insoumission à la norme, sa résistance à obéir aveuglément aux commandements sexuels, ainsi qu'à une rébellion consciente et qui perdure jusqu'à maintenant, reconnaissable dans toute son œuvre. Si l'étymologie de rébellion nous conduit à la guerre, sans complètement abandonner ce champ sémantique, l'étymologie de insoumission imprime un geste de résistance et nous conduit à celui qui n'est pas soumis(e), qui ne fait pas preuve de soumission, de docilité, d'obéissance, qui ne se soumet pas à l'autorité et qui réaffirme son non, sans pour autant être moins combatif.

Nathalie WATTEYNE : Femmes, colère et poésie au Québec : Carole David, Monique Deland et Natasha Kanapé Fontaine
Une colère contre la violence faite aux femmes se fait entendre depuis la prise de parole collective "Moi aussi". Mais le phénomène ne date pas d'hier et on peut l'observer dans plusieurs écrits au Canada français depuis le XIXe siècle, comme l'a fait Lori Saint-Martin en 1989. Analysé comme "moteur textuel" dans la prose narrative des femmes au Québec par Ariane Gibeau (2018), un tel phénomène est-il bien différent en vers ? Nous aimerions cerner des modalités de la colère dans trois recueils contemporains, à partir des dynamiques propres à chacun, en faisant ressortir un décalage entre "tableau" et "cadre", pour reprendre la terminologie du linguiste Dominique Maingueneau. La prise en compte des deux plans langagiers permettra de dégager l'aspect novateur inhérent à la construction des recueils et, si possible, les éléments d'une convergence des trois paroles poétiques rebelles de Carole David, Monique Deland et Natasha Kanapé Fontaine.

Spécialiste de la poésie des femmes au Québec, Nathalie Watteyne est professeure de littérature et directrice du Centre Anne-Hébert à l'université de Sherbrooke. Après avoir dirigé les Œuvres complètes d'Anne Hébert en cinq tomes publiés aux Presses de l'université de Montréal (2013 à 2016), elle a fait paraître deux collectifs, dont, avec Amir Biglari, Scènes d'énonciation de la poésie lyrique moderne (Classiques Garnier, 2019). Son quatrième recueil de poèmes, Le sourire des fantômes, a paru aux éditions du Noroît en octobre 2021. Elle est codirectrice du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ).


BIBLIOGRAPHIE :

• BALASINSKI Justyne, "Art et constestation", in Olivier FILLEULE (éd.), Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, pp. 67-73.
• BALASINSKI Justyne & MATHIEU Lilian, "Introduction", in Justyne BALASINSKI & Lilian MATHIEU (éd .), Art et contestation, Rennes, PUR, 2010, pp. 9-27.
• BRETON André & RIVERA Diego, Pour un art révolutionnaire indépendant, Mexico, le 25 juillet 1938 [Manifeste de la Fédération internationale des Artistes révolutionnaires indépendants / rédigé avec la collaboration de Léon Trotsky], Service d'édition et de librairie du Parti communiste internationaliste (IVe Internationale), 1938, 4 p.
• DELEUZE Gilles, "Qu'est-ce que l'acte de création ?", Conférence donnée dans le cadre des mardis de la fondation Femis 17/05/1987 [Disponible sur https://www.webdeleuze.com/].
• DEWITTE Jacques, Le Pouvoir de la langue et la liberté de l'esprit, essai sur la résistance au langage totalitaire, Michalon, 2007.
• SAID Edward, L'Orientalisme : L'Orient créé par l'Occident, Paris, Éditions du Seuil [1980], 2005.
• SARTRE Jean-Paul, "Qu'est-ce que la littérature ?", Les Temps modernes, 1947.
• SCOTT James C., La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne, Paris, Éditions Amsterdam [1992], 2008.
• TARROW Sidney, "La mondialisation des conflits : encore un siècle de rébellion ?", Études internationales, n°24, vol. 3, 1993, p. 513–531.


SOUTIENS :

• Laboratoire de recherche "Lettres, idées, savoirs" (LIS, EA 4395) | Université Paris-Est Créteil (UPEC)
ANR-18-EURE-0015 FRAPP
• Unité de recherche "Études du Contemporain en Littératures, Langues, Arts (ECLLA) | Université Jean Monnet Saint-Étienne
• Laboratoire Passages XX-XXI | Université Lumière Lyon 2
• Unité de recherche interdisciplinaire "Interactions culturelles et discursives" (ICD, EA 6297) | Université de Tours
• Institut des langues et cultures d'Europe, Amérique, Afrique, Asie et Australie (ILCEA4) | Université Grenoble Alpes (UGA)
• Genre et Arts dans une perspective poét(h)ique et politique | GAPP
• Laboratoire de recherche historique Rhône-Alpes (LARHRA, UMR 5190) | Université Grenoble Alpes (UGA)