Programme 2024 : un des colloques

Programme complet


FIGURES DE MICHEL GUÉRIN


DU LUNDI 15 JUILLET (19 H) AU DIMANCHE 21 JUILLET (14 H) 2024

[ colloque de 6 jours ]



DIRECTION :

Jean ARNAUD, Pierre BAUMANN, Amélie de BEAUFFORT, Pascal KRAJEWSKI, Pierre SAUVANET

En présence de Michel GUÉRIN


ARGUMENT :

Michel Guérin est philosophe, écrivain, membre honoraire de l'Institut Universitaire de France, Professeur émérite à Aix-Marseille Université. Il a publié plus d'une quarantaine d'ouvrages. Son travail, avant tout esthétique et philosophique — mais encore anthropologique, technique, ou politique — se veut la mise en lumière et à l'épreuve d'une pensée inédite, celle de la Figure, qui prend sa place à côté du concept et du schème kantiens. Elle propose une troisième voie, celle de la pensée affectée, celle d'un geste pensé, presque d'une danse de la pensée. Son œuvre se répartit ainsi entre deux grands massifs, celui de la Figurologie conceptualisant son approche, et celui des Figurologiques, la mettant en scène dans des œuvres romanesques, théâtrales ou de critiques d'art.

Si l'originalité de sa pensée se construit à travers ses travaux de la fin des années 1980 (Qu'est-ce qu'une œuvre ? et La Terreur et la pitié en deux tomes), cela fait maintenant plus de quarante ans que le philosophe interroge son intuition séminale, en réfléchissant sur le geste, la croyance, l'amitié, l'espace plastique, etc.

Ami des artistes et professeur ayant marqué plusieurs générations d'étudiants, d'étudiantes et de docteurs, Michel Guérin est aussi un homme du présent. Son engagement a nourri des îlots intellectuels basés sur des amitiés durables et stimulé des débats d'idées ; il a notamment collaboré étroitement à la revue La pensée de midi et son œuvre s'articule en territoires et archipels variés, de Vienne à Berlin et Athènes, de Bruxelles et Lisbonne à Aix-en-Provence, jusqu'au jardin d'Hélian à côté d'Apt…

Fruit d'une collaboration entre l'université Bordeaux-Montaigne, Aix-Marseille Université, l'Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles et les Beaux-Arts de Lisbonne, et bénéficiant du prêt d'œuvres du Frac Normandie ainsi que de la Maison François Méchain, ce colloque-exposition se propose d'allier conférences, discussions et expériences pratiques en présence du philosophe. Il est ouvert à un large public de chercheurs, d'étudiants et d'amateurs d'art, de littérature, de poésie, d'anthropologie et de philosophie.


MOTS-CLÉS :

Art, Art contemporain, Esthétique, Figure, Geste, Guérin (Michel), Littérature, Philosophie, Technique, Topoïétique


CALENDRIER PROVISOIRE (29/04/2024) :

Lundi 15 juillet
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants, ainsi que du Foyer de création et d'échanges


Mardi 16 juillet
Matin
INTRODUCTION
Jean ARNAUD, Pierre BAUMANN, Amélie de BEAUFFORT, Pascal KRAJEWSKI et Pierre SAUVANET

OUVERTURE
Michel GUÉRIN

MODERNITÉ
Fernando ROSA DIAS : Réflexions sur la construction de la modernité dans l'art : le "tournant subjectif" du XVIIIe siècle et le changement de paradigme dans le discours

Après-midi
ŒUVRE
Dirk DEHOUCK : L'œuvre ou le retrait du sujet en ses figures
Sabine FORERO MENDOZA : L'archaïsme des modernes


Mercredi 17 juillet
Matin
EXPÉRIENCE
Jean ARNAUD : La chasse aux figures
Pierre BAUMANN : Prendre, poser, placer : expérience et disposition pratiques de quelques outils philosophiques de Michel Guérin

Après-midi
DIALOGUES
Table ronde, avec Carine KRECKÉ, Amélie de BEAUFFORT, Sylvie PIC, Dominique DE BEIR, Bruno GOOSSE et Miguel-Angel MOLINA

CRÉER / PENSER
Vernissage de l'exposition


Jeudi 18 juillet
Matin
INFLUENCES
Sami EL HAGE : Le geste de la pensée à l'œuvre
Pierre WINDECKER : De l'affectivité au "point pathique" de la pensée

Après-midi
DÉTENTE


Vendredi 19 juillet
Matin
GESTES
Pierre SAUVANET : Percussions Répercussions
Bertrand PRÉVOST : Faire un geste, avoir une posture

Après-midi
TECHNIQUE
Pascal KRAJEWSKI : L'autre du geste technique
Pierre-Damien HUYGHE : Construire un possible

Soirée
RÉPERCUSSIONS
Concert performance de Pierre SAUVANET et Stéphane ABBOUD


Samedi 20 juillet
Matin
ÉCRITURE
Renaud EGO : Ce que le poète fait au philosophe
Jean-Claude PINSON : De l'écriture comme danse

Après-midi
FIGURE
Lucien MASSAERT : L'antagonisme et la conciliation
Marco BASCHERA : Pour une pensée affective. À propos de la figure de la Figure dans l'œuvre de Michel Guérin


Dimanche 21 juillet
Matin
Rapport d'étonnement des doctorants

Échanges avec Michel GUÉRIN

Après-midi
DÉPARTS


EXPOSITION :

Depuis ses débuts littéraires, Michel Guérin a toujours entretenu une relation intime avec de nombreux artistes, peintres, sculpteurs, photographes, vidéastes, plasticiens, musiciens, poètes…, présences ininterrompues qui jalonnent son travail philosophique et littéraire. Il a également encadré un nombre significatif de thèses qui, pour beaucoup, trouvèrent un ancrage dans la recherche expérimentale et la recherche-création. Sa contribution à une pensée de l'art en action, réglée par une logique pratique, fera l'objet d'une exposition conçue comme une promenade, associée à une soirée performative. Des œuvres d'artistes qu'il a cotoyés viendront dialoguer avec des œuvres mises à disposition par le Frac Normandie.
Artistes présentés : Francis ALŸS, Jean ARNAUD, Pierre BAUMANN, Amélie de BEAUFFORT, Damien BEYROUTHY, Christian BONNEFOI, David CLAERBOUT, Dominique DE BEIR, Bruno GOOSSE, Douglas GORDON, Joan JONAS, William KENTRIDGE, Carine et Élisabeth KRECKÉ, François MÉCHAIN, Miguel-Angel MOLINA, Sylvie PIC, Bertrand PRÉVOST, Anri SALA.

L'exposition sera associée à un concert d'improvisation musicale et vidéographique proposé par Pierre SAUVANET et Stéphane ABBOUD.


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Jean ARNAUD : La chasse aux figures
Pour Michel Guérin, c'est une pratique de l'écriture et la forme de l'essai qui donnent corps à la Figure pour composer une pensée du réel. Mais l'artiste, comme le philosophe, configure lui aussi, produisant du réel afin de caractériser son époque. On envisagera ici comment la plasticité de la Figure philosophique se concrétise en art, les artistes s'exprimant par des gestes, médiums et technologies plus diversifiés pour faire œuvre, déplaçant des images, transformant la matière ou faisant visuellement récit. On analysera donc quelques méthodes de chasse aux figures avec des images, liées à des expériences artistiques personnelles et à l'usage récurrent de quelques gestes (entrelacer, métamorphoser, troubler, flotter, raconter, ouvrir/fermer). À travers une réflexion sur la vie des différentes formes ainsi produites, celles-ci conservant toujours une mémoire de leur genèse, il sera principalement question de la figure biomorphique du nuage.

Jean Arnaud est artiste et professeur des universités en Arts plastiques à AMU (Laboratoire d'Études en Sciences des Arts — LESA). Il a récemment (co)dirigé plusieurs programmes de création-recherche concernant les phénomènes de déplacement des images et leurs relations actuelles au récit visuel. Ses recherches concernent également les interactions entre formes de vie et vie des formes artistiques (biomorphisme). Il a récemment publié Biomorphisme. Approches sensibles et conceptuelles des formes du vivant (Romand, Bernard, Pic et Arnaud (dir.), Naima/PUP, 2023), co-fondé la revue en ligne Turbulences (LESA) dont il a codirigé le n°1 ("Images en tr@nsit", fin 2023). Il expose régulièrement ses œuvres plastiques en France et ailleurs.
https://jeanarnaud.fr/

Pierre BAUMANN : Prendre, poser, placer : expérience et disposition pratiques de quelques outils philosophiques de Michel Guérin
L'anthropologie, plus précisément l'ethnologie et l'archéologie expérimentale représentent souvent une source d'inspiration importante pour les artistes, parce que ces approches sont chargées de savoirs pratiques élémentaires. Peut-on appréhender de même la philosophie de Michel Guérin comme on s'emparerait d'outils au service de l'expérience plastique ? Autrement dit, les grandes idées de Michel Guérin peuvent-elles porter une pensée pratique évidente, directe, sans détour ni effet rebond ? Cette pensée pratique, ductile, chère à Leroi-Gourhan, placerait les concepts battus par Guérin (comme la transparence, le geste, la courbure, la figure, le nihilisme ou la topoïétique) dans le champ anthropologique, comme une philosophie au plus près de l'humain, rabaissée délibérément à son potentiel opératoire élémentaire : prendre, poser, placer. Est-il possible, sinon d'en faire un inventaire, tout au moins de disposer concrètement quelques-uns de ces outils façonnés par le philosophe écrivain ? Quelle portée actuelle pourraient avoir ceux-ci dans et en dehors de l'art, au cœur des processus d'apprentissage ?

Pierre Baumann est professeur des Universités en Arts, membre de l'Unité de Recherche ARTES 24141 de l'université Bordeaux Montaigne, responsable du master recherche Arts plastiques. Il a créé en 2015 Le laboratoire des objets libres, qui étudie le caractère migratoire des objets artistiques dans un contexte anthropologique élargi à partir d'une approche écologique et mésologique. Il dirige depuis 2017 le programme de recherche expérimentale Moby-Dick. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont L'usure (codir.), 2016, PUB/ARBA, Dire Moby-Dick, PUB, 2018, Réalités de la recherche (collective) en arts, PUB, 2019, Sillage Melville, PUB, 2020.

Amélie de BEAUFFORT
Amélie de Beauffort est artiste, responsable de l'atelier de dessin, Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles.

Pascal KRAJEWSKI : L'autre du geste technique
Dans l'idée de continuer et d'interroger les derniers écrits de Michel Guérin autour de la Troisième main et de Leroi-Gourhan, nous voudrions proposer l'analyse d'un geste qui est peut-être le comble de ce que l'auteur appelle des "gestes actés" : celui de reposer. Ce terme doit résonner dans diverses directions : se reposer (pour la main qui ouvrage), laisser reposer (le fer qui refroidit), laisser en repos (la ressource qui s'amenuise). Ce geste serait alors peut-être comme le double, sage et limitatif, du geste technique, impétueux et efficace : geste qui contraint l'hybris prométhéenne de l'homme par la prise en compte de la limitation des moyens disponibles et des forces en présence, littéralement son garde-fou. Il serait ainsi le geste hyper-contemporain de notre société technicienne, devenue soudainement consciente de l'abîme qui la guette à l'heure du glas "anthropocène"…

Pascal Krajewski est docteur en sciences de l'art, chercheur associé au CIEBA de l'université de Lisbonne (FBAUL). Sa recherche porte sur les effets de la technologie dans les arts plastiques et les arts médiatiques du XXe siècle. Ses plus récents travaux s'intéressent au livre, au jeu et au jeu vidéo. Il est l'auteur de trois essais : L'art au risque de la technologie (2013), L'enquête : sur l'art de Marc-Antoine Mathieu (2016) et L'ordre technologique (2016).

Pierre SAUVANET : Percussions Répercussions
Avec son intitulé en écho, cette communication entend suivre le fil tissé par la trilogie du geste de Michel Guérin (Philosophie du geste, 1995, 2011 ; La Troisième Main, 2021 ; Le Signe et la touche, 2023). En reprenant notamment la typologie des percussions d'André Leroi-Gourhan (posée, lancée, ou posée avec percuteur ; perpendiculaire ou oblique ; linéaire longitudinale, linéaire transversale, punctiforme ou diffuse ; le tout à croiser dans un tableau à vingt-quatre entrées), il s'agira d'interroger les gestes de percussion depuis le domaine musical, par une sorte de transfert entre la technique et la musique. Quels enjeux, quels objectifs ? Quelles différences, quelles correspondances ? Logiquement, la communication devrait se faire avec un instrument de percussion entre les mains.

Né en 1966, agrégé de philosophie, ancien élève de l'ENS Fontenay-Saint-Cloud, Pierre Sauvanet est professeur d'esthétique à l'université Bordeaux Montaigne, et directeur du laboratoire ARTES (UR 24141). Ses recherches (qui s'appuient aussi sur une pratique) portent avant tout sur une approche philosophique des phénomènes rythmiques, dans des contextes aussi différents que la pensée grecque, l'histoire de l'esthétique, la survivance des images, les relations entre les arts, le jazz et les musiques improvisées. Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages (dont Le Rythme grec, d'Héraclite à Aristote, PUF, 1999, Le Rythme et la Raison, Kimé, 2000, Jazzs, avec Colas Duflo, MF, 2008, L'Insu. Une pensée en suspens, Arléa, 2011, Dionysos plasticien. Une lecture nietzschéenne de l'art contemporain, PUP, 2023).


Marco BASCHERA : Pour une pensée affective. À propos de la figure de la Figure dans l'œuvre de Michel Guérin
La pensée de Michel Guérin réagit d'une part à une évolution technologique qui a mené au monde digitalisé d'aujourd'hui d'où surgit la menace d’un transhumanisme. D'autre part, elle puise ses sources dans le terme présocratique de "rythmos", c'est-à-dire d'une pensée qui se garde à travers le temps proche d’un réel irreprésentable. En passant par le "réalisme" de Tertullien et ses prolongations pascaliennes autour du terme latin de "figura" et en s'appuyant sur l'emploi poétique qu'a fait Rilke de ce terme, Guérin réussit à forger une pensée affective qui, sous forme de "figurologie", servira de fil conducteur pour l'ensemble de ses œuvres. S'ajoute à cela une réflexion menée à partir du schématisme kantien qui le porte à constater "la fin des phénomènes" et de l'évidence phénoménologique. D'une part, la "figurologie" est donc une réflexion sur l'évolution technologique et les impacts qu'elle produit dans le monde contemporain et, d'autre part, elle est le résultat d'un long travail d'analyse portant sur la philosophie occidentale depuis ses origines. Dans mon intervention, je me propose de reconsidérer ces grandes lignes en me focalisant avant tout sur la figure de la Figure.

Marco Baschera est professeur émérite à l'université de Zurich pour la littérature française et la littérature comparée. Publications entre autres sur Kant, Diderot, Molière, Baudelaire, Novarina, Beckett, rapports entre théorie et théâtre et la théorie de la traduction. Auteur de Das dramatische Denken (Heidelberg 1989), Du masque au caractère : Molière et la théâtralité (Tübingen 1998), Das Zeichen und sein Double (Würzburg 2017), co-éditeur de Zwischen den Sprachen – Entre les langues (Bielefeld 2019), La République des traducteurs (Paris 2021).

Dominique DE BEIR
Dominique De Beir vit à Paris et en baie de Somme, elle enseigne à l'école supérieure d'art et de design de Rouen. Son travail est représenté par la Galerie Jean Fournier (Paris), la Galerie Réjane Louin (Locquirec) et la Galerie Phoebus (Rotterdam). Depuis 2022, elle met en place un cycle de rétrospectives "Accroc et Caractère", galerie Jean Fournier, centre d'art Les Tanneries, Amilly, musée départemental de Saint-Riquier en partenariat avec le Frac Picardie, galerie Réjane Louin, musée des Beaux-arts de Caen, musée Fabre de Montpellier…

Dirk DEHOUCK : L'œuvre ou le retrait du sujet en ses figures
Des nombreux ouvrages qui jalonnent le parcours philosophique de Michel Guérin, seul l'un d'entre eux, dès son titre, adresse une question : "Qu'est-ce qu'une œuvre ?". Ce trait distinctif au sein du corpus n'a peut-être rien d'anodin, s'il est vrai qu'avec "l'Œuvre" se joue, pour le philosophe, la tâche même de la création. Quelle place le sujet créateur occupe-t-il dans cette élaboration ? Que reste-t-il du sujet pris dans ses Figures ?

Dirk Dehouck est plasticien et philosophe de formation, professeur à l'Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles et éditeur.

Renaud EGO : Ce que le poète fait au philosophe
Michel Guérin ne cesse de dialoguer avec Rainer Maria Rilke, depuis 1976. C'est de lui qu'il tient le paradigme de la Figure sous le signe de laquelle il a placé son œuvre, la répartissant en deux classes, la Figurologie et les Figurologiques. Au-delà des analyses que Michel Guérin a consacrées à R.M. Rilke, on peut repérer la trace de Figures rilkéennes (l'ange, l'adieu, la danse, la paume de la main), rejouées d'une tout autre manière dans son œuvre philosophique. Mais ce que le poète a fait au philosophe c'est bien davantage encore de l'avoir ouvert à une nécessaire "affectivité de la pensée", venue de cette intelligence nouvelle que la Figure apporte dans le langage et, partant, dans le monde tel que nous le faisons en le disant. Elle a conduit Michel Guérin à assumer autant, sinon plus qu'une vérité de la connaissance, une vérité de l'imagination dans la langue propre de sa philosophie.

Renaud Ego est un écrivain et un poète, auteur d'une quinzaine de livres. Certains d'entre eux questionnent la pensée des yeux, sous la forme du poème (La réalité n'a rien à voir, 2006), du récit (Une légende des yeux, 2010) ou de l'essai, Le geste du regard (2017) qui est une méditation sur l'avènement de la figure graphique. Il poursuit par ailleurs une longue enquête consacrée à l'art rupestre de l'Afrique australe (L'animal voyant, 2015). Son dernier livre de poème, Vous êtes ici (2021) a reçu le prix Max Jacob.

Sami EL HAGE : Le geste de la pensée à l'œuvre
"Le geste est commencement", écrit Guérin. Comment l'appréhender ? Qu'est-ce qu'il augure ou inaugure ? Inchoatif, peut-il le rester s'il est le geste DE quelque chose, ici de penser ? Si la philosophie est une discipline qui s'enseigne, qui s'incarne dans un enseignement, comment alors transmettre (et l'est-il ?) le geste ? Si "Le geste est son propre écho" ("La finitude du geste"), et si "La pensée n'a pas d'extérieur" ("Philosophie du geste"), l'idée d'œuvre serait-elle une possible sortie d'une aporie, l'imposition d'une effectivité, ou d'une nécessité de la pensée, ou du retour de la question du mode du discours et du fondement de la philosophie ? Nous ferons également un détour par la danse.

Sami El Hage, Libraire à Tropismes, Bruxelles (1998-2023), lecteur.

Sabine FORERO MENDOZA : L'archaïsme des modernes
Dans un dialogue libre avec l'ouvrage de Michel Guérin Le temps de l'art – Anthropologie de la création des modernes (2018), l'intervention s'attachera à montrer comment les artistes avant-gardistes du début du XXe siècle ont associé volonté de la rupture — parfois envisagée sous la forme extrême de la table rase — et recherche d'antécédents permettant d'établir de nouvelles filiations. Qu'ils exaltent les arts populaires, réinterprètent les arts anciens ou promeuvent les arts dits "primitifs", ces artistes se sont essayés à décrire les formes de leur création et à écrire leur propre histoire, à partir de mythiques origines, liant ensemble aspirations futuristes et archaïsmes. Tel est le lien que je souhaiterais interroger en montrant qu'il est constitutif d'une pensée de l'art dominée par les thèmes de la réflexivité, de l'autonomie et de la pureté.

Ancienne élève de l'École normale supérieure de Paris et agrégée de philosophie, Sabine Forero Mendoza est professeur des universités en esthétique et histoire de l'art contemporain à l'université de Pau et des Pays de l'Adour. Elle est spécialiste de l'esthétique des ruines. Ses recherches récentes portent sur les liens entre art et mémoire, les artistes femmes et les pratiques contemporaines participatives, notamment dans le domaine de l'écologie.

Pierre-Damien HUYGHE : Construire un possible
Proposition : Que veut dire Michel Guérin quand il évoque l'idée "d'éclairer le donné depuis la construction d'un possible" ? Qu'est-ce que le possible s'il est non pas à réaliser, mais à construire ? Et qu'est-ce que cette construction elle-même ? Comment se peut-il qu'elle se produise ? Je voudrais montrer qu'il en va, avec ces questions, de ce qui "traverse" la vie humaine, de ce qui y "transparaît" ou encore de ce qui la "transit". Ce dernier verbe, Michel Guérin le préfère aux précédents. Il dit à sa façon ce qui conjugue les deux notions que toute l'œuvre n'aura cessé de travailler de façon singulière : le geste et la figure.

Pierre-Damien Huyghe est philosophe, Professeur émérite à l'université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne.

Lucien MASSAERT : L'antagonisme et la conciliation
La figure janusique de ce titre est évidemment calquée sur le titre des deux volumes de Michel Guérin intitulés La terreur et la pitié. Nous voulons montrer, à partir de l'œuvre de Hans Memling, que ce champ sémantique en forme d'oxymore — celui de l'affrontement/pacification (ou dit encore autrement de la jonction/disjonction) — joue, parmi quelques autres, un rôle central dans l'articulation du sens. Nous voulons donner à voir que l'espace, tel que le déploie Memling, n'a rien de banal, rien de commun, qu'il s'agit de l'un des archétypes de la plasticité. Son œuvre rend sensible, par son espace, une des articulations fondamentales de la pensée en général et de la pensée des œuvres plastiques en particulier.

Lucien Massaert a étudié le dessin et la peinture murale à l'Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Il a été titulaire de l'atelier de dessin dans le même établissement jusqu'en 2015. Ses recherches et publications concernent principalement une tentative d'élaboration d'une théorie structurale des arts plastiques au départ notamment des œuvres de Greimas, Jean Petitot et François Wahl. Il est cofondateur avec Luc Richir de la revue La Part de l'Œil.

Jean-Claude PINSON : De l'écriture comme danse
Au plan anthropologique, l'écriture, à la différence de la danse, n'est pas initialement la chose du monde la mieux partagée. Ce déficit d'universalité cependant n'est que "momentané". Sous l'angle de ce que Michel Guérin appelle une "gestique transcendantale", l'écriture, comprise comme geste dansé, non seulement compense cet apparent déficit d'universalité, mais, en tant que littérature déployant son régime propre d'intellectualité et d'affectivité, en accomplit la promesse. En écho à la formule fameuse de Valéry établissant une analogie entre danse et poème, on voudrait montrer que cette écriture littéraire est foncièrement poétique.

Né en 1947, Jean-Claude Pinson a longtemps enseigné la philosophie de l'art à l'université de Nantes. Il est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages. Derniers en date : Pastoral, De la poésie comme écologie, Champ Vallon, 2020, Sur Pierre Michon, Trois chemins dans l'œuvre, éditions Fario, 2020, Vita poetica, Essais d'écopoéthique, éditions Lurlure, 2023.

Bertrand PRÉVOST : Porter. Faire un geste, avoir une posture
À partir d'une relecture de La philosophie du geste et de La troisième main, on essaiera de penser le geste comme port ou gestion : façon par là de détacher le geste de toute question de forme corporelle, façon par là de garantir l'extériorité de ce qu'on porte (si tant est que ce qu'on porte ne se confond pas avec le sujet porteur). La belle notion de "troisième main" développée par MG, en tant que pensée de la dépose, ne constituera à cet égard pas la moindre des aides, puisqu'elle nous permet d'éviter l'aporie de l'opposition entre un geste transitif, qui se voudrait productif ou poïétique (technique, artisanal) et un geste intransitif, qui se voudrait artistique ou esthétique, existant en soi (danse). Du côté de l'histoire de l'art, on s'intéressera ainsi à tous ces gestes d'abandon, réputés passifs (repos, sommeil, assise, gisant…) par lesquels certains artistes ont proposé parfois de très singulières images. Une question : les dormeurs, et a fortiori les morts font-ils des gestes ? ; du côté de la philosophie, c'est la logique et la physique stoïcienne des incorporels qui nous permettra de penser à nouveaux frais une prédication — autant dire de la forme pure, infinitive du geste — dégagée de tout appareil attributif (au sens aristotélicien de l'être-à), au profit d'une conception du port réellement possessif. C'est ainsi que faire un geste devra se penser d'abord comme avoir une posture.

Bertrand Prévost est Maître de conférences HDR en histoire de l'art et esthétique à l'université Bordeaux-Montaigne. Il a notamment publié La peinture en actes (Actes Sud, 2007), Botticelli. Le manège allégorique (Ed. 1/1, 2011), Peindre sous la lumière (PUR, 2013), Hubert Duprat. Marqueterie générale (La part de l'œil, 2020), L'élégance animale (à paraître).

Fernando ROSA DIAS : Réflexions sur la construction de la modernité dans l'art : le "tournant subjectif" du XVIIIe siècle et le changement de paradigme dans le discours
Nous proposons de réfléchir au processus généalogique de la modernité dans l'art et l'autonomisation de la sphère artistique (domaine, monde ou système de l'art). Nous voudrions émettre l'hypothèse d'un tournant subjectif, au cours duquel les anciens fondements artistiques de l'œuvre (le beau) déclinent au profit de nouvelles modalités dans le rapport au sujet (le goût, le sublime, l'esthétique). Ce tournant impliquerait un changement de paradigme crucial dans le plan du discours : délaissant le discours sur la production de l'œuvre (le traité) pour élaborer un discours sur la réception et le jugement de l'œuvre une fois réalisée (la critique d'art, l'histoire de l'art).

Fernando Rosa Dias est professeur à la Faculté des Beaux-Arts de l'université de Lisbonne. Membre du Centre de Recherches et d'Études des Beaux-Arts (CIEBA), il est le coordinateur général du magazine Convocarte : CONVOCARTE | revista de ciências da arte (ulisboa.pt).

Pierre WINDECKER : De l'affectivité au "point pathique" de la pensée
"Loin, donc, que la plus haute pensée "rationnelle" — la philosophie — se constitue comme un déni péremptoire et univoque de toute modalité affective, il apparaît au contraire qu'elle est inséparable d'un pathos augural…" (L'Affectivité de la pensée, p. 65-66). Pour Michel Guérin, la philosophie n'est pas un discours, mais une psychagogie et une pédagogie. Si elle crée des "Figures", c'est parce qu'elle n'a jamais de "contenu" prédicatif qu'on puisse croire indépendant d'un "point pathique" et, partant, d'une modalité dont témoignent un geste, un tour ou un style. C'est ce que Michel Guérin met au principe de sa lecture des philosophes. Parce que c'est, avant tout, ce qu'il s'applique à mettre en œuvre, depuis La Terreur et La Pitié, dans son écriture philosophique propre.

Pierre Windecker est Professeur de philosophie en classes Terminales, associé plusieurs années à la formation des professeurs dans la discipline, honoraire depuis 2007. Il a animé deux séminaires extérieurs au Collège International de Philosophie. Auteur (ou coauteur) de quelques ouvrages parascolaires et d'articles de philosophie dont plusieurs, portant sur des œuvres de Michel Guérin, sont publiés par la revue en ligne La Cause littéraire.


BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE DE MICHEL GUÉRIN :

Philosophie (Figurologie)
Nietzsche, Socrate héroïque, Paris, Grasset, coll. "Théoriciens", 1975.
Le génie du philosophe, Paris, Seuil, coll. "L'ordre philosophique", 1979.
Qu'est-ce qu'une œuvre ?, Arles, Actes Sud, coll. "Le génie du philosophe", 1986.
La Terreur et la Pitié - t. 1 (La Terreur), Arles, Actes Sud, coll. "Le génie du philosophe", 1990.
L'Affectivité de la pensée, Arles, Actes Sud, 1993.
Philosophie du geste-Essai, Arles, Actes Sud, 1995 ; 2e édition augmentée Philosophie du geste-Essai philosophique, Arles, Actes Sud, 2011.
La Terreur et la Pitié - t. 2 (La Pitié – Apologie athée de la religion chrétienne), Arles, Actes Sud, 2000.
Le Fardeau du monde (De la consolation), Paris, Les Belles Lettres, coll. "Encre marine", 2011.
La Croyance de A à Z (Un des plus grands mystères de la philosophie), Paris, Les Belles Lettres, coll. "Encre marine", 2015.
Le temps de l'art : Anthropologie de la création des modernes : essai, Arles, Actes Sud, 2018.
André Leroi-Gourhan : l'Évolution ou la liberté contrainte, Paris, Hermann, 2019.
Expérience et intention, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2020.
La Troisième main (des techniques matérielles aux technologies intellectuelles), Arles, Actes Sud, octobre 2021.
Le signe et la touche, philosophie du toucher, Paris, Hermann, 2023.

Essais critiques et littérature (Figurologiques)
Lettres à Wolf ou la Répétition, Paris, Grasset, 1976.
Les Compagnons d'Hélène, roman, Paris, Hallier (et Albin Michel), 1976.
L'Homme Déo, roman, Paris, Grasset, 1978.
La Politique de Stendhal, Paris, PUF, 1982.
Jour/Goethe-ballet, Arles, Actes Sud, 1983.
L'Île Napoléon, Arles, Actes Sud, 1989.
Les Quatre Mousquetaires, Paris, Rocher, 1995 ; autre édition princeps H.C. : Quatre Mousquetaires à Vienne ou de l'Âge, Athènes, Éditions d'un jour (Patrick Penot éditeur), 1993.
Nihilisme et modernité (Essai sur la sensibilité des époques modernes de Diderot à Duchamp), Nîmes, Jacqueline Chambon, 2003.
La grande Dispute (Essai sur l'ambition, Stendhal et le XIXe siècle), Arles, Actes Sud, 2006.
L'Artiste ou la toute-puissance des idées, Aix-en-Provence, PUP, 2007.
La Deuxième Mort de Socrate, Québec, Presses de l'université Laval, 2007.
Marcel Duchamp, portrait de l'anartiste, Nîmes, Lucie Éditions, 2008.
L'Espace plastique, Bruxelles, La Part de l'Œil, 2008.
Pour saluer Rilke, Belval, Circé, 2008.
La Peinture effarée – Rembrandt et l'autoportrait, Paris, La Transparence, 2011.
Origine de la peinture (sur Rembrandt, Cézanne et l'immémorial), Paris, Les Belles Lettres, coll. "Encre marine", 2013.
Le cimetière marin au boléro, Paris, Les Belles Lettres, coll. "Encre marine", 2017.
François Méchain ou Le souci du monde, Aix-en-Provence, PUP, 2018.

Théâtre
Robert le Diable, mise en théâtre par Marcel Maréchal, Théâtre National de Marseille (1976).
Le Chien (O ΚΥΩΝ), Athènes, Hestia, 1993, trad. Takis Theodoropoulos.


SOUTIENS :

ARTES UR 24141 | Université Bordeaux Montaigne
MSH Bordeaux | Université Bordeaux Montaigne / Université de Bordeaux / CNRS
• Laboratoire d'Études en Sciences des Arts (LESA - EA 3274) | Aix-Marseille Université
• Centro de Investigação e de Estudos em Belas-Artes (CIEBA) | Universidade de Lisboa
• Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles (ArBA-EsA)
Éditions La Part de l'Œil
Frac Normandie


BULLETIN D'INSCRIPTION


Les inscriptions à ce colloque sont maintenant ouvertes. Au regard de notre capacité d'accueil, celles-ci pourront être mises sur une liste d'attente.


Avant de remplir ce bulletin, consulter la page Inscription de notre site.

Tous les champs marqués d'un (*) doivent être renseignés.


Présentation personnelle


Adresse personnelle ou professionnelle
Ces renseignements figureront sur la liste des participants qui sera remise lors du colloque.


Sélectionner la mention adéquate (le statut de contributeur est défini au préalable, en accord avec le CCIC, par la direction du colloque).


Versement à effectuer

Frais de séjour : *

Total à verser :

Si différente, merci d'indiquer une adresse de facturation


[ Formats autorisés : jpg, jpeg, png, pdf, doc, docx, txt ]
Vous pouvez ajouter ici, si besoin, les documents nécessaires pour compléter votre inscription : copie de carte d'étudiant(e), justificatifs de revenus, ...


Précisions à nous communiquer pour l'agrément de votre séjour :
[par exemple : grande taille (plus de 1,80 m), problèmes de mobilité, partage d'une chambre ou voisinage de chambres, inscription groupée, régime médicalement surveillé, ...]
Ces renseignements sont utiles à la répartition des chambres. Le logement est assuré au château de Cerisy et ses dépendances, en chambres doubles ou individuelles. En cas de grande affluence, les inscrits tardifs se logeront aux alentours.