Programme 2025 : un des colloques

Programme complet


AVEC HABIB TENGOUR,
PENSER LES ESPACES LITTÉRAIRES ET ANTHROPOLOGIQUES


DU MERCREDI 13 AOÛT (19 H) AU MARDI 19 AOÛT (14 H) 2025

[ colloque de 6 jours ]



DIRECTION :

Farida AÏT FERROUKH, Stéphane BAQUEY, Regina KEIL-SAGAWE, Hervé SANSON

En présence de Habib TENGOUR


ARGUMENT :

En une séquence historique qui s'ouvre avec la fin des années 1960, l'œuvre et la trajectoire de Habib Tengour, né en 1947, se situent dans un espace de transferts et de traversées, entre ancrage algérien et déplacement vers la littérature mondiale. Elles s'inscrivent aussi bien dans le contexte socioculturel multilingue maghrébin que dans des espaces littéraires arabes, européens, méditerranéens… Elles associent, en partant d'une énonciation poétique, une grande variation dans l'usage des genres littéraires à une recherche anthropologique et sociologique. La multiplicité des aspects de cette œuvre est comparable à d'autres, durant la même période, qui ont, elles aussi, associé à la littérature une réflexivité étayée sur les sciences humaines et sociales ou sur l'histoire et la critique culturelles, telles celles du Marocain Abdelkébir Khatibi (1938-2009), de l'Algérien Nabile Farès (1940-2016) et du Tunisien Abdelwahab Meddeb (1946-2014). Le colloque envisagera l'exemplarité des écrits de Habib Tengour pour repenser, avec une génération d'écrivains, l'étude des littératures maghrébines dans leurs contextes anthropologiques, sociologiques, culturels, historiques, écologiques, ainsi que dans leurs modalités d'appartenance à une pluralité d'espaces littéraires. Il rassemblera des poètes et des acteurs culturels pour faire résonner aujourd'hui l'action de poésie de Habib Tengour, au Maghreb et au-delà.


MOTS-CLÉS :

Anthropologie, Espaces, Ethnopoétique, Génération post-indépendances, Littérature, Maghreb, Modernités, Poésie, Sciences humaines, Sciences sociales, Tengour (Habib), Traduction


CALENDRIER PROVISOIRE (10/03/2025) :

Mercredi 13 août
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, du colloque et des participants, ainsi que du Foyer de création et d'échanges


Jeudi 14 août
Matin
OUVERTURES
Naget KHADDA : Le texte tengourien : un positionnement dé-colonial
Anne ROCHE : Tengour, avec Farès et Meddeb : une convergence de recherches et d'écriture

Après-midi
L'ESPACE LITTÉRAIRE MAGHRÉBIN (I)
Wolfgang ASHOLT : Le Soufialisme d'Habib Tengour ou que reste-t-il du Surréalisme ?
Joyce SEBAG : Habib Tengour, une poésie politique ?

Poèmes en berbère, arabe, français autour de Kateb Yacine, introduction et lecture par Farida AÏT FERROUKH


Vendredi 15 août
Matin
L'ESPACE LITTÉRAIRE MAGHRÉBIN (II)
Susan SLYOMOVICS : Diwan ifrikiya, la Geste hilalienne, et l'écriture orale

La poésie mondiale depuis Alger, la collection "Poèmes du monde", table ronde animée par Hervé SANSON, avec Karim CHIKH (Éditions APIC, éditeur de la collection) et Habib TENGOUR (directeur de la collection)

Après-midi
EXTENSION DES ESPACES LITTÉRAIRES (I)
Christina OIKONOMOPOULOU : Aspects de la réception du théâtre grec antique dans l'œuvre dramatique de Habib Tengour
Juliane TAUCHNITZ : Littératures migrantes d'Octavio Paz à Habib Tengour

Soirée
Lecture en plusieurs langues de poèmes et de leur traduction parus dans la collection "Poèmes du monde", par Mia LECOMTE (italien), Issa MAKHLOUF (arabe) et Cécile OUMHANI (français)


Samedi 16 août
Matin
EXTENSION DES ESPACES LITTÉRAIRES (II)
Amina DJENANE : Penser l'espace sans frontières. Ou du nomadisme citadin postmoderne chez Habib Tengour

Traduire la poésie, table ronde animée par Regina KEIL-SAGAWE, avec Mia LECOMTE, Issa MAKHLOUF, Cécile OUMHANI et Cole SWENSEN

Après-midi
DÉTENTE

Soirée
Lecture, avec Habib TENGOUR


Dimanche 17 août
Matin
DEVENIR DES ESPACES ANTHROPOLOGIQUES (I)
Abderrahmane MOUSSAOUI : La question de l'appartenance. Entre le poétique et l'anthropologique. Habib Tengour le poète des "récits d'origines"
Stéphane BAQUEY : Appartenance écouménale et écritures de la déliaison : conjonctions entre recherches anthropologiques et invention poétique chez Abdelkébir Khatibi, Nabile Farès, Abdelwahab Meddeb et Habib Tengour

Après-midi
DEVENIR DES ESPACES ANTHROPOLOGIQUES (II)
Ibtissem CHACHOU : Mise en mots de la mémoire de la ville de Mostaganem à travers l'œuvre de Habib Tengour
Gaëlle DE L'ESTOILE : Habib Tengour : le mythe et la déception

ATELIER D'ÉCRITURE (I) : entre écriture de création et carnet de terrain, à l'initiative des chercheurs, poètes ou acteurs culturels et associant les doctorants présents au foyer de Cerisy

Soirée
Conversation des lointains, entretien et lectures, animée par Stéphane BAQUEY, avec Golan HAJI et Cole SWENSEN


Lundi 18 août
Matin
TRAJECTOIRES, DÉBATS (I)
Mourad YELLES : Ulysse et le Maître de l'Heure. Éléments pour une poétique du sacré dans l'œuvre de Habib Tengour
Vincent BONTEMS : L'Odyssée de Habib Tengour, le point de vue d'Orphée

Après-midi
TRAJECTOIRES, DÉBATS (II)
Khalid ZEKRI : Une lecture de Dans le soulèvement : la maghrébine condition
Khalid LYAMLAHY : Habib Tengour et les poètes marocains : dialogues, affinités et traces littéraires

ATELIER D'ÉCRITURE (II) : entre écriture de création et carnet de terrain, à l'initiative des chercheurs, poètes ou acteurs culturels et associant les doctorants présents au foyer de Cerisy

Soirée
Lectures poétiques accompagnées au piano, par Laure CAMBAU et Mia LECOMTE


Mardi 19 août
Matin
CONCLUSIONS
Retour sur les ATELIERS D'ÉCRITURES
Rapports d'étonnement des doctorants et jeunes chercheurs
Habib TENGOUR "à la question" : discussion ouverte

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Farida AÏT FERROUKH
Farida Aït Ferroukh est maître de conférences à l'INALCO (Alliance Sorbonne) où elle enseigne les "Littératures maghrébines". Rattachée au LACNAD (Langues et Cultures du Nord de l'Afrique et de la Diaspora), ses recherches portent sur l'Algérie et la diaspora en anthropologie et en littérature (Nabile Farès, Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Taos Amrouche) ou en ethnolittérature. Elle est notamment l'auteure de Kateb Yacine et Debza au coeur du Printemps berbère, Alger, Koukou éditions, 2023.

Stéphane BAQUEY : Appartenance écouménale et écritures de la déliaison : conjonctions entre recherches anthropologiques et invention poétique chez Abdelkébir Khatibi, Nabile Farès, Abdelwahab Meddeb et Habib Tengour
A. Khatibi, N. Farès, A. Meddeb et H. Tengour ont pris acte des critiques adressées au "roman ethnographique" maghrébin (A. Khatibi, 1968). Ils ont fondé leur écriture sur une poétique non réaliste de la déliaison, expérimentant dans l'invention littéraire, après Kateb Yacine, la transformation des liens d'appartenance tribaux, nationaux, religieux. Parallèlement, ils étudiaient ces mêmes liens dans leurs recherches anthropologiques, sociologiques ou dans leurs essais de critique culturelle. L'enjeu est celui de la brisure des écoumènes (A. Berque, 2000) ; la perspective, celle d'une anthropologie de la liminarité (M. Agier, 2013). Le propos partira d'une relecture des travaux de Jacques Berque, fondateurs pour une anthropologie de l'espace maghrébin, en particulier quand J. Berque considère les différents paliers de la pratique collective à partir de la base naturelle (J. Berque, 1978). Et l'accent sera mis sur l'essai de H. Tengour, "Rupture et transmission dans l'oralité en Algérie ou éloge du lien pendant la cassure" (Quel avenir pour l'anthropologie en Algérie ?, CRASC, 2002), où Tengour répond à un article d'A. Meddeb, dans le contexte post-"décennie noire" en Algérie. Pour les quatre auteurs, seront privilégiées des œuvres ou des séquences d'œuvres littéraires qui échappent à la représentation romanesque (Gontard, 1981 ; Chikhi, 1996 ; Bonn, 2016), voire à la diction autobiographique (Roche, 2019), et qui se fragmentent et tendent au poème (Raybaud, 1976, 1982, 1990) : La Mémoire tatouée et Lutteur de classe à la manière taoïste (1971, 1976) de A. Khatibi, la trilogie La Découverte du Nouveau Monde (1972, 1974, 1976) de N. Farès, Talismano et Phantasia (1979-1987, 1986) de A. Meddeb et les longs poèmes fragmentaires plusieurs fois réécrits par H. Tengour : L'Ancêtre cinéphile, La Sandale d'Empédocle, Traverser, Retraite — les plus anciens remontant aux années 1980.

Stéphane Baquey est maître de conférences à Aix-Marseille Université, membre CIELAM. Ses domaines de recherche sont la poésie française, les poésies des mondes arabes, la diction des lieux dans une perspective écopoétique, les constructions d'un espace littéraire méditerranéen.

Regina KEIL-SAGAWE
Regina Keil-Sagawe a enseigné les littératures maghrébines de langue française et leur traduction à l'université de Heidelberg. Ses recherches portent sur les problèmes de traduction/réception du texte maghrébin dans une perspective interculturelle. Elle a traduit nombre d'auteurs du Maghreb en allemand, parmi eux Habib Tengour, Mohammed Dib, Yasmina Khadra, Azouz Begag, Driss Chraïbi, Albert Memmi, Cécile Oumhani, Boualem Sansal. Elle a co-dirigé, avec Hervé Sanson, l'ouvrage Les portes du poème. Hommage à Habib Tengour, Alger, Apic 2022.

Hervé SANSON
Enseignant-chercheur à l'université de Mannheim, Hervé Sanson est spécialiste des littératures maghrébines de langue française, il est membre associé à Thalim (La Sorbonne nouvelle-Paris III) et à l'Item (CNRS). Il a travaillé notamment sur les œuvres d'Albert Memmi, d'Assia Djebar, de Habib Tengour, ou de Mohammed Dib, sur lequel il a soutenu une thèse de doctorat nouveau régime.


Wolfgang ASHOLT : Le Soufialisme d'Habib Tengour ou que reste-t-il du Surréalisme ?
Dans les recherches sur le surreálisme, la perspective globale devient de plus en plus importante, comme en témoignent la grande exposition "Surrealism Beyond Borders" (Metropolitan/Tate, 2021/22) ou le livre d'Andrea Gremels, Die Weltkünste des Surrealismus. Netzwerke und Perspektiven aus dem globalen Süden (2022), mais où le surréalisme maghrébin n'est pas mentionné. Cet élargissement nécessaire des recherches sur un surréalisme mondialisé pose pourtant la question de ce qu'il reste du projet initial du surréalisme. En prenant le "manifeste" d'Habib Tengour, qui ne revendique pas ce genre, "Le Surréalisme maghrébin, Le Surréalisme au Maghreb, Le Maghreb surréaliste, Les surréalistes maghrébins, Surréalité maghrébine, La Révolution surréaliste au Maghreb, Maghreb surréaliste presse service, Le Surréalisme au service, etc." (1981), les nombreuses déclinaisons du Surréalisme maghrébin indiquent déjà au moins autant de surréalismes, comme point de départ, je propose une lecture de ce "manifeste" et des œuvres de Tengour qui se situent dans ce contexte, pour voir non seulement ce qui y reste du mouvement (historique) de référence et de son manifeste fondateur mais aussi quel projet Tengour présente avec le "soufialisme" et de quelle manière, celui-ci représente un mouvement "beyond borders" qui fait (encore) partie de l'avant-garde littéraire et artistique.

Wolfgang Asholt est Professeur émérite de l'université d'Osnabrück (depuis 2011), Professeur honoraire à l'université Humboldt de Berlin (2013-2023), co-éditeur de la revue Lendemains (2000-2012), membre de comités de revues (par ex. Revue d'histoire littéraire de la France), recherches sur la littérature du XIXe, les avant-gardes, la littérature contemporaine, la littérature du Maghreb (Assia Djebar). Il est également membre du Conseil d'administration de l'Association des Amis de Pontigny-Cerisy.
Dernières publications
Alexander Kluge. Cartographie d'une œuvre plurielle, Colloque de Cerisy, Hermann, 2022 (co-éditeur).
Das lange Leben der Avantgarde. Eine Theoriegeschichte, Wallstein, 2024.

Vincent BONTEMS : L'Odyssée de Habib Tengour, le point de vue d'Orphée
L'œuvre poétique, narrative et anthropo-sociologique de Habib Tengour s'inscrit principalement dans l'espace méditerranéen, à travers le dialogue de ces deux rives, et dans la temporalité de l'exil et du retour (impossible) comme rythme profond de l'existence. Nombreux sont ceux qui ont souligné le rôle archétypal de la figure d'Ulysse pour en éclairer l'unité personnelle. En nous appuyant sur la brève définition du "complexe d'Orphée" proposée par Gaston Bachelard dans la Psychanalyse du feu, en tant que complexe positif de la psyché parvenant à convertir en beauté sa souffrance, et sur le parallèle ainsi souligné avec le "complexe de Prométhée" comme "désobéissance adroite", nous pointerons quelques aspects saillants de l'œuvre d'un ami et d'un maître, sans aucune prétention à résumer le sens de sa traversée de la langue française et de l'humaine condition.

Vincent Bontems est Philosophe des sciences et des techniques, directeur de recherche au CEA, professeur à l'université Paris-Saclay, co-directeur du master 2 "Management de la Technologie et de l'Innovation" et directeur de la collection "L'Âne d'or" aux éditions Les Belles Lettres. Spécialiste de Gaston Bachelard et de Gilbert Simondon, son dernier livre s'intitule Au nom de l'innovation. Finalités et modalités de la recherche au XXIe siècle (2023, Les Belles Lettres). Au siècle dernier, il a écrit et publié de la poésie et des nouvelles, notamment en tant qu'éditeur du fanzine Orphée et les Assassins, ayant eu l'honneur d'accueillir Habib Tengour dans ses pages.

Laure CAMBAU
Laure Cambau est poète, pianiste et auteur de contes pour enfants ainsi que de paroles de chansons. Elle a publié 10 recueils de poésie traduits dans plusieurs langues dont, en 2015, La fille peinte en bleu (Caractères/Écrits des Forges) et Ma peau ne protège que vous (Le Castor Astral) ; elle a reçu le Prix Poncetton de la SGDL pour Lettres au voyou céleste (L'Amandier, 2010), le Prix Vénus Khoury-Ghata pour Le Manteau rapiécé, un voyage au fil du souffle (Unicité, 2018), et le prix Léon Paul Fargue pour Grand Motel du Biotope (Apic, Alger, 2022). En 2023 est sorti Les yeux de la mouche (Castor Astral). Laure Cambau fait partie de la Compagnia delle Poete (Mia Lecomte) et a sorti, en tant que pianiste, un disque de musique romantique, avec hautbois (Laurent Hacquard).

Ibtissem CHACHOU : Mise en mots de la mémoire de la ville de Mostaganem à travers l'œuvre de Habib Tengour
À travers cette contribution, je souhaite mettre l'accent sur la mise en mots de Mostaganem, la ville natale de Habib Tengour, et ce par le biais des repères linguistique, toponymique, patronymique, ethnonymique et autres qui jalonnent ses écrits. Ces repères se présentent comme autant de marqueurs spatiaux dont les dimensions anthropologiques et hagiographiques sous-tendent la trame narrative des récits à l'instar des Gens de Mosta et Le Maître de l'heure. En effet, l'écriture de la mémoire et de l'histoire transite à travers le prisme de ces marqueurs qui ré/ancrent l'auteur et le lecteur dans le vieux Mostaganem de son enfance et plus précisément dans le quartier central de Tidjdit (Benchehida, 2003) mais également dans la saga des Béni Zeroual du bas Chéliff. Une "topologie de la sainteté" (Maarouf, 1997) s'y voit également traversée par la figure de l'ancêtre éponyme par qui le récit des origines arrive et se déroule, un récit où la fiction se met au service de l'Histoire mouvementée du Maghreb central du XVIe siècle. La mise en discours de soi et du lieu transite par différents registres discursifs dont les chants de la transcendance qui rythment la place du marché de Tidjditt, le quartier de l'enfance et la plage de Sidi el Medjdoub (l'illuminé) où se meuvent diseurs et troubadours. Dans l'œuvre de Tengour, la ville de Mostaganem se donne ainsi à lire comme un espace culturel (Calvet, 1994) et un espace-temps anthropologique.

Ibtissem Chachou est Professeure de sciences du langage à l'université de Mostaganem, chercheure associée au CRASC à Oran. Elle a publié des articles sur le contact des langues dans le domaine médiatique, le statut des langues en Algérie et la question des urbanités sociolangagières au Maghreb. Elle est notamment l'auteure de La Situation sociolinguistique en Algérie : pratiques plurilingues et variétés à l'œuvre (L'Harmattan, 2013), de Sociolinguistique du Maghreb (Hibr, 2018), et a édité avec M. Stambouli le collectif Pour un plurilinguisme algérien intégré (Riveneuve éditions, 2016).

Karim CHIKH
Karim Chikh est directeur des éditions Apic à Alger, qu'il a fondées en 2003 avec son épouse Samia Zennadi. La maison d'édition comporte un vaste catalogue, constitué de romans, de poésie, d'essais, et promeut l'ancrage africain de la culture algérienne, en participant par exemple en 2013 au salon du livre de Yaoundé (Cameroun). Elle accueille depuis 2018 la collection "Poèmes du Monde" dirigée par Habib Tengour.

Gaëlle DE L'ESTOILE : Habib Tengour : le mythe et la déception
Notre communication propose de considérer la place du mythe dans l'œuvre d'Habib Tengour, et de cerner sa signification. C'est sur le sens qu'il convient de donner au mot mythe dans un contexte postcolonial que débute notre analyse. Si le mythe peut être défini comme récit fondateur chez certains prédécesseurs — on pense au fondateur Keblout ou au retour des Beni Hilal chez Kateb Yacine —, chez Tengour le mythe n'est pas tant un récit fondateur qu'une mystification. À cet égard, la différence de traitement de l'épisode des Lotophages, chez Kateb Yacine et chez Habib Tengour est révélatrice d'une évolution du recours au mythe dans l'Algérie pré puis post-coloniale. Habib Tengour, écrivain de la génération post-indépendance, détourne le mythe et son rôle fondateur pour en révéler le potentiel mystificateur et déceptif, comme le révèle cette interrogation du berger au faux Ulysse dans Gens de Mosta : "Mais dis-moi, n'es-tu pas en quête d'un Abdelmoumen ?". Cette question révèle la vanité de cette quête de fondation — quête romantique qui représente une fuite de la réalité, comme l'atteste la dernière phrase de L'Épreuve de l'arc : "Suffocant, on demande asile au mythe le plus proche…". À partir de l'analyse de trois œuvres de Tengour : Tapapakitaques, la poésie-île (1976), L'Épreuve de l'arc (1990) et Gens de Mosta (1997), nous nous proposons d'étudier le travail de dégradation burlesque du mythe. En effet, dans Tapapakitaques, Ulysse devient "un romantique attardé dans Ithaque retrouvé" ; son "impotente sérénité" est critiquée dans L'Épreuve de l'arc ; le chapitre "Les Lotophages" dans Gens de Mosta consiste, selon Denise Brahimi, en une "mise en question virulente de l'univers mythique que le poète s'est donné et qui apparaît comme relevant d'une ignorance de la réalité". Ce travail de dégradation du mythe peut être comparé à celui qu'esquisse Kateb Yacine dans Le Polygone Étoilé (1966) et qu'entreprend Tahar Djaout dans l'Invention du désert (1987).

Gaëlle de L'Estoille est agrégée de Lettres Modernes et doctorante à l'université de la Sorbonne Nouvelle, Paris 3. Sa thèse, dirigée par Catherine Brun, porte sur "Les contributions de la littérature à la mobilisation et à la résurgence des imaginaires nationaux au Maghreb durant la période des indépendances (1950-1980)".

Amina DJENANE : Penser l'espace sans frontières. Ou du nomadisme citadin postmoderne chez Habib Tengour
La plupart des écrivains algériens, quand ils représentent l'espace natal, se limitent à ses frontières, et ce pour mieux exprimer ses caractéristiques et dégager son "âme" la plus profonde. À l'exemple de Mohamed Dib, qui consacre La grande maison à sa ville natale Tlemcen, ou de Mouloud Feraoun, qui décrit en profondeur, dans ses romans, sa Kabylie d'enfance sans évoquer un autre lieu en parallèle. Ou encore de Kateb Yacine, qui représente dans son chef-d'œuvre Nedjma principalement Constantine, laquelle y figure comme un espace second, qui recoupe celui de la tribu des Keblout. Chez Habib Tengour, l'espace se distingue par sa forme complexe, résultant principalement d'une reconfiguration des frontières géographiques. Cela se manifeste, par exemple, à travers le surgissement de "l'ombre portée" de la campagne jusqu'au cœur des villes, ou encore à travers l'omniprésence de l'ailleurs (et donc de l'exil) qui occupe une place très importante dans l'imaginaire de l'auteur. Notre proposition tente donc de repenser la représentation de l'espace chez Habib Tengour à la lumière des interrogations suivantes : comment Habib Tengour redessine-t-il les frontières de ses espaces littéraires ? Quelles sont les stratégies d'écriture auxquelles il fait appel ? Quelles significations peuvent-elles avoir dans l'univers intérieur de l'auteur de Tapapakitaques et Gens de Mosta ? Pour tenter de répondre à ces questions, nous ferons principalement appel à l'approche de la géocritique en centrant notre analyse sur les interactions de l'espace humain réel avec son écho littéraire dans quelques textes de Habib Tengour.

Amina Djenane est maître de conférences à l'université Frères Mentouri Constantine 1. Elle est titulaire d'un Doctorat en littérature sur "la poétique du référent chez Habib Tengour". Plusieurs publications scientifiques : un chapitre dans l'ouvrage collectif Les Portes du poème, Hommage à Habib Tengour, en plus des articles scientifiques dont le plus récent est : "La Symbolique anthroponymique des figures féminines dans l'œuvre de Habib Tengour" (publié en juin 2024, revue Multilingual).

Golan HAJI
Golan Haji est poète, essayiste et traducteur kurde-syrien, né en 1977 à Amouda. Il a étudié la médecine à Damas. Il a publié, en arabe, nombre de recueils de poésie, dont le premier, Il appela dans les ténèbres (2004), avait obtenu, en 2006, le Prix Mohammad al-Maghout, suivi par Il y a quelqu'un qui voit en toi un monstre (2008), Le pèse-douleur (2016), Les tireurs sportifs (2018), Arbre dont j'ignore le nom (2020), Le mot refusé (2023), Les lettres du fer (2023). En exil depuis 2012, il vit actuellement à Saint Denis, en région parisienne. Il a publié, aux Éditions APIC (Alger, 2024), dans la collection "Poèmes du monde", un recueil en bilingue, Avant ce silence (trad. de l'arabe par Nathalie Bontemps et Marilyn Hacker). Il a traduit, de l'anglais, Alberto Manguel, Robert-Louis Stevenson ou Mark Strand, et du français, près de 40 recueils poétiques.

Naget KHADDA : Le texte tengourien : un positionnement dé-colonial
La littérature algérienne de langue française est née, on le sait, de la conjoncture coloniale et s'est inscrite dans le vaste champ qu'on nomma "francophonie". Cette littérature peut-elle échapper à ses conditions d'émergence qui en font un sous-produit de la littérature française ? C'est le défi que l'écriture tengourienne s'est employée à relever. En fait, dès ses débuts, estampillée ethnographique par la critique, cette littérature a cherché à s'émanciper de sa matrice pour accéder à une autonomie pouvant la qualifier comme membre à part entière des différentes littératures nationales. Mais c'est surtout après l'accession à l'indépendance politique que des écrivains comme Nabile Farès, par exemple, ont ouvertement œuvré à concrétiser ce décrochement. L'écriture de Habib Tengour s'installe d'emblée dans un espace ouvert, cherchant à y occuper un point de retrait qui soit un point de départ. Dès lors, sa quête esthétique, nourrie à sa réflexion anthropologique, exhume un projet transnational de citoyen du monde. Je me propose de revisiter les étapes de la constitution de cette littérature qui ont donné naissance à un tel projet ; parcours en tant que voyage selon la métaphore de prédilection mise en œuvre par le poète pour circonscrire sa propre quête.

Naget Khadda est Professeure émérite de langue et littérature françaises (Universités d'Alger, de Paris VIII et de Montpellier III), elle est spécialiste des grands auteurs qui, dans les années 1950, ont donné ses lettres de noblesse à la littérature de langue française en Algérie, notamment de Mohammed Dib (Dib, cette intempestive voix recluse, Edisud, 2003) dont l'œuvre constitue une sorte de concentré de cette littérature et offre, de ce fait, une vision aiguë des enjeux culturels qui s'y disputent et se reflètent jusque dans les écrits de la génération suivante, dont Habib Tengour, Nabile Farès et d'autres. Elle s'intéresse aussi aux arts plastiques pour avoir accompagné la réflexion et la création de son mari, Mohammed Khadda, un des pionniers de la peinture moderne en Algérie.

Mia LECOMTE
Mia Lecomte est poétesse et écrivaine italo-française basée en Suisse. Sa production littéraire, traduite dans de nombreuses langues, a été publiée en Italie et à l'étranger dans des collections personnelles ainsi que dans nombreuses revues et anthologies. Son recueil Là où tu as ton corps (2004-2016) figure dans la collection "Poèmes du monde" (Alger, Apic 2021) dirigée par Habib Tengour. Traductrice, elle est connue comme critique et éditrice dans le domaine de la littérature transnationale, en particulier de la poésie. Elle fait partie du comité de rédaction de plusieurs revues et magazines italiens et internationaux, par ex. de la revue de poésie comparée Semicerchio. Elle est la fondatrice de l'ensemble de théâtre poétique Compagnia delle poete ainsi que, en 2017, de l'agence littéraire transnationale Linguafranca.

Khalid LYAMLAHY : Habib Tengour et les poètes marocains : dialogues, affinités et traces littéraires
Habib Tengour partage avec les poètes marocains de la génération Souffles des affinités littéraires dont les échos traversent son œuvre protéiforme. Comme Mohammed Khaïr-Eddine, dont il salue la parole fulgurante dans son "Manifeste du surréalisme maghrébin", Tengour est sensible à la capacité du langage poétique à dire l'expérience de l'errance et à traduire les pulsations du réel. Comme Abdelkébir Khatibi, qu'il reconnaît pour son travail fondamental sur le bilinguisme et son approche innovante de l'essai et de l'autobiographie, Tengour porte une attention particulière à la rencontre des cultures, au regard sociologique et au dépassement des frontières géographiques et génériques. Comme Abdellatif Laâbi, qui lui dédie un poème issu de son recueil La poésie est invincible, Tengour a pratiqué la traduction et effectué des incursions remarquables dans l'écriture théâtrale. En analysant les affinités entre Tengour et les poètes marocains ainsi que les traces d'écriture et les réseaux de transmission dans leur sillage, cette communication a pour objectif de définir les contours d'une poétique maghrébine basée sur l'appropriation d'une mémoire partagée et l'inscription d'un élan dialogique et émancipateur dans les variations de la matière littéraire.

Khalid Lyamlahy est Maître de conférences en littératures francophones à l'université de Chicago, écrivain et critique littéraire, il a codirigé l'ouvrage collectif Abdelkébir Khatibi : Postcolonialism, Transnationalism, and Culture in the Maghreb and Beyond (Liverpool University Press, 2020). Ses travaux ont été publiés dans plusieurs revues académiques dont PMLA, Research in African Literatures, The Journal of North African Studies et Expressions maghrébines. Il est également l'auteur de deux romans publiés aux éditions Présence Africaine, Un roman étranger (2017) et Évocation d'un mémorial à Venise (2023, prix Éthiophile et mention spéciale du Prix des Cinq Continents de la Francophonie).

Issa MAKHLOUF
Issa Makhlouf est écrivain et poète, né au Liban, il réside à Paris. Docteur en anthropologie sociale et culturelle (Paris IV - Sorbonne), il a publié plusieurs ouvrages en arabe et en français, et a traduit également des auteurs français et latino-américains. Il était directeur de l'Information à Radio Orient à Paris, et aussi conseiller spécial des affaires culturelles à l'ONU / New York, session 2006-2007.
Publications
Beyrouth ou la fascination de la mort, Paris, 1988.
La solitude de l'or, Beyrouth, 1992, APIC, en bilingue, traduit de l'arabe par Jamal Eddine Bencheikh et Esma Hind Tengour, 2018.
Egarements, traduit de l'arabe par Jamel Eddine Bencheikh et accompagné de six gravures d'Assadour, Paris, 1993.
Rêves d'Orient. Borges aux confins des Mille et Une Nuits, Beyrouth, 1996.
Mirages, traduit par Nabil El Azan, Paris, 2004.
Lettre aux deux sœurs, traduit par Abdellatif Laâbi, Paris, 2008.
Une ville dans le ciel, traduit par Philippe Vigreux, Paris, 2014 - Prix Max Jacob 2009.

Abderrahmane MOUSSAOUI : La question de l'appartenance. Entre le poétique et l'anthropologique. Habib Tengour le poète des "récits d'origines"
La présence récurrente de la généalogie dans l'œuvre de Habib Tengour est emblématique d'une quête renouvelée et ininterrompue de l'origine. Partant du présent, à la recherche d'un passé matriciel, l'auteur évoque/invoque l'étrange et l'onirique pour apprivoiser le familier et le réel. Il convoque le lointain pour domestiquer le proche et recourt au passé pour se réconcilier l'actuel. Il porte son regard vers les confins les plus éloignés de la mémoire pour tenter de répondre aux injonctions du présent. Fables, récits hagiographiques et autres manaqib-s l'aident à tisser le lien et établir le sens. Une sorte d'anthropologie de l'errance se profile alors à travers une ethnologie du local mise à l'épreuve de l'universel. En partant notamment de son roman Le Maître de l'heure et de quelques-uns de ses textes académiques ; et en nous appuyant sur la littérature anthropologique de manière générale, nous essaierons de "lire par-dessus l'épaule" (C. Geertz) de Habib Tengour comment se reformule le lien identitaire par l'invocation d'instances afin de cautériser les blessures de l'appartenance dans une société algérienne en mal d'identification. Dans l'esprit de l'anthropologie interprétative développée par Clifford Geertz, nous nous intéresserons au sens et au vécu de la culture par ceux qui y sont insérés et la reproduisent, quelquefois, par devers eux-même. Nous mobiliserons la catégorie "récit d'origine" chère au regretté Pierre Bonte (Récits d'origine : contribution à la connaissance du passé ouest-saharien (Mauritanie, Maroc, Sahara occidental, Algérie et Mali), Paris, Karthala, 2016) pour tenter de saisir comment, tour à tour, l'anthropologue et le poète s'évertuent, à retisser obstinément la même toile effilochée et ensevelie sous les terrains mouvants d'un présent précaire et continument menacé.

Abderrahmane Moussaoui est Professeur émérite d'anthropologie à l'université Lyon 2 et chercheur au LADEC, il a également enseigné aux universités d'Oran et de Provence.
Publications
Espace et sacré au Sahara algérien, CNRS, 2002.
De la Violence en Algérie. Les lois du Chaos, Actes Sud, 2006.
Les Oasis au fil de l'eau – De la foggara au Pivot, Éditions de l'Étrave, 2019.
J.-R. Henry et A. Moussaoui (éd), L'Église et les chrétiens d'Algérie ‎indépendante, Karthala, 2019.
Algérie, une longue marche – Hirak, mémoire(s) et histoire, Hémisphères Éditions et Maisonneuve & Larose, 2023.

Christina OIKONOMOPOULOU : Aspects de la réception du théâtre grec antique dans l'œuvre dramatique de Habib Tengour
Si on considère que l'œuvre poétique de Habib Tengour est souvent traversée par Ulysse, ce personnage célèbre de la mythologie, de l'histoire et des lettres helléniques, on repère parallèlement dans son œuvre théâtrale une réserve considérable d'éléments esthétiques, structuraux, thématiques et idéologiques qui font écho au théâtre grec antique. Nous nous proposons ainsi d'examiner le cadre et les horizons de la réception du théâtre grec antique dans l'ensemble de la production dramaturgique tengourienne. Pour donner un avant-goût de notre intervention, nous présentons ici quelques pistes de recherche :
- La question des genres : quels sont les genres du théâtre grec antique auxquels Habib Tengour a recours pour tisser ses propres pièces de théâtre ? Reste-t-il fidèle à leurs schémas de base, ou bien opte-t-il pour une actualisation de leur identité ?
- La question de structure : quelle est l'utilité de l'intégration du chœur et du coryphée chez Habib Tengour dramaturge ? S'agit-il d'un élément scénique et dramatique dont la fortune reste figée tout au long de sa production théâtrale ?
- La question des thèmes : par quels moyens et dans quel but Habib Tengour remanie-t-il dans ses pièces de théâtre la question du destin et du tragique, axes fondamentaux de l'idéologie de la dramaturgie hellénique ? Comment est-ce qu'il les met en connexion avec son système écopoétique, avec l'historicité algérienne, ainsi qu'avec la question de l'errance et du nomadisme, sujets par excellence de son art poétique ?
Dans ce cadre, nous ambitionnons de démontrer que la réception du théâtre grec antique acquiert dans l'œuvre théâtrale de Habib Tengour les dimensions d'une véritable déterritorialisation — au sens du terme établi par Deleuze et Guattari — de l'identité, de la forme et du contenu de la dramaturgie hellénique, et de leur reterritorialisation dans l'espace géographique, culturel et historique algérien, source principale, sinon unique, de l'imaginaire dramatique de l'auteur.

Christina Oikonomopoulou est Enseignante-Chercheuse au Département d'Études théâtrales de l'université du Péloponnèse (2003), spécialisée dans les écritures théâtrales-monde d'expression française (colloques, articles, contributions à des volumes collectifs).
Publications
Écritures théâtrales-monde d'expression française, Tome II : "Maghreb" (sous presse).
L'identité kaléidoscopique de l'écriture théâtrale de Habib Tengour (2025).
Écritures théâtrales-monde d'expression française, Tome I : "Europe" (2022).
Cours de Culture et de Terminologie théâtrales françaises (2022).

Cécile OUMHANI
Cécile Oumhani est poète et romancière, ex-maître de conférences à l'université Paris XII, s'intéressant aux littératures féminines et postcoloniales, elle a grandi entre l'anglais et le français. Son écriture aime à investir des lieux et des cultures autres. Les liens qu'elle a noués avec la Tunisie ont nourri plusieurs de ses livres. Parmi ses recueils de poèmes : Marcher loin sous les nuages (2018) aux éditions APIC, Mémoires inconnues (2019), La ronde des nuages (2022) chez La Tête à l'Envers. Parmi ses romans : Tunisian Yankee (2016), Les tigres ne mangent pas les étoiles (2024), chez Élyzad. Elle vient de publier un essai autobiographique, Ma mère et la peinture / Meine Mutter und die Malerei à Berlin, en bilingue (Bübül 2024, traduction allemande par Tanja Langer), et des nouvelles écrites dans l'anglais de sa mère, Like Birds in the Sky, à Delhi (Red River 2024). Elle est membre du Parlement des écrivaines francophones.

Anne ROCHE : Tengour, avec Farès et Meddeb : une convergence de recherches et d'écriture
Moins recherche d'influences que mise en évidence de communautés de trajectoires et de projets, on propose ici de mettre en relation les noms de Nabile Farès et d'Abdelwahab Meddeb avec celui de Habib Tengour. Nabile Farès, depuis ses premiers travaux d'ethnologue en accompagnement de Camille Lacoste-Dujardin, sa thèse sur l'Ogresse, jusqu'à ses dernières publications confiées à la jeune maison d'édition algérienne Koukou, basée à Tizi-Ouzou, a toujours œuvré au confluent de la recherche anthropologique, ce qui a irrigué sa production littéraire. Abdelwahab Meddeb quant à lui, descendant d'une famille de lettrés, fait converger ce qu'on peut appeler "l'orientalisme savant", les traditions poétiques arabes et occidentales, avec les chocs de la modernité. Or, les substrats anthropologiques de l'œuvre de Tengour, malgré les spécificités de chacun des trois auteurs, autorisent un rapprochement, qui tentera d'articuler leurs visées communes et la différenciation notamment scripturale.

Anne Roche est Professeur émérite à l'université d'Aix-Marseille (AMU), a publié une vingtaine d'ouvrages de théorie littéraire, critique littéraire et fiction (théâtre, romans). Ses recherches portent notamment sur les ateliers d'écriture, qu'elle a introduits à l'université d'Aix en 1968 après un séjour aux États-Unis, sur la littérature francophone, et sur les écrivains de l'extrême-contemporain. Prix de l'essai européen Walter Benjamin en 2018 pour son ouvrage Exercices sur le tracé des ombres - Walter Benjamin (Éditions chemin de ronde, 2010), Algérie, écritures de l'autre (Éditions Casbah à Alger, puis Kimé, 2019).

Joyce SEBAG : Habib Tengour, une poésie politique ?
Sous le vocable générique de poésie, nous aborderons le travail d'Habib Tengour à partir d'une approche sensible de la lecture de son œuvre. Émotion du lecteur, fluidité du style, perception de l’espace, humanité des relations, envahissement de la mémoire. Le politique qui sature son propos transparaît à travers l'évocation de personnages aux dimensions mythiques mais aussi tellement ordinaires. La mémoire des lieux est l'occasion d'évoquer une histoire qui le hante tout au long de ses écrits. Elle l'inscrit dans une culture arabo-musulmane qui se conjugue avec une interrogation sur l'universalisme. Ambivalence dont il se nourrit pour élaborer son œuvre pétrie de l'histoire présente. Sollicitation permanente d'Homère dont les mythes imprègnent son regard sur l’actualité. Il fait vivre intensément la sociologie, l'ethnologie, l'anthropologie. En cela son analyse des sociétés à travers ses personnages est une invitation à la critique de celles-ci autant qu'une interrogation sur ses points de vue… Face à l'étendue de l'œuvre d'Habib, je n'aborderai que quelques-unes d'entre elles : Le poisson de Moïse, Le vieux de la montagne, Sultan Galiev

Joyce Sebag est Professeur émérite de Sociologie à l'université Évry Paris-Saclay. Elle a séjourné à l'Île Maurice où elle s'est intéressée aux cultures et aux religions venues du continent indien, avant d'enseigner la Sociologie à Constantine et à Alger. En 1998, elle a fondé à l'université d'Évry le Master "Image et Société" et le doctorat en "Sociologie filmique" qui permettent de développer une écriture cinématographique de la sociologie. Elle a publié, avec Jean-Pierre Durand, Sociologie Filmique, Théories et Pratiques aux Éditions CNRS (2020). Cet ouvrage a été édité en anglais par Palgrave. Les traductions au Mexique, au Brésil et en Corée du Sud sont en cours.

Susan SLYOMOVICS : Diwan ifrikiya, la Geste hilalienne, et l'écriture orale
D'après Habib Tengour, la place consacrée à l'oralité dans l'anthologie Diwan ifrikiya (Joris et Tengour, 2013) s'explique par le fait qu'"écriture" et "voix" se recoupent : "c'est la voix qui porte le texte, elle le module et l'anime pour en partager le plaisir". Par ailleurs, trois sections sur les traditions orales sont insérées dans leur University of California Book of North African Literature dont deux sont tirées des traductions françaises de la Geste hilalienne versions tunisiennes. Dans cet exposé, j'examine les problèmes de la transposition de la performance orale en texte écrit illustrés par des textes transcrits et des versions imprimées de la Geste hilalienne. En m'appuyant sur les méthodes de la théorie et pratique de l'ethnopoétique (ethnopoetics), je souhaite analyser la façon dont certains facteurs linguistiques et culturels influencent la présentation d'une performance récitée et chantée.

Susan Slyomovics est Distinguished Professor dans les deux départements d'Anthropologie et de Langues et cultures du Proche-Orient à l'University of California Los Angeles.
Publications
Race, Place, Trace : Essays in Honour of Patrick Wolfe, édité avec Lorenzo Veracini (2022).
"L'inévitable prison", Année du Maghreb, édité avec Marc André (2019).
How to Accept German Reparations (2014).
The Performance of Human Rights in Morocco (2005).
The Object of Memory : Arab and Jew Narrate the Palestinian Village (1998).
The Merchant of Art : An Egyptian Hilali Oral Epic Poet in Performance (1987).

Cole SWENSEN
Cole Swensen est l'autrice de vingt recueils de poésie, dont dix ont été traduits en français. Son dernier volume, And And And (Shearsman Books, 2023), a été finaliste du prix Griffin. Ancienne boursière Guggenheim, elle a remporté l'Iowa Poetry Prize, le SF State Poetry Center Book Award et le National Poetry Series, et a été finaliste du National Book Award et du Los Angeles Times Book Award. Également traductrice, entre autres de Habib Tengour, elle a remporté le prix PEN USA de traduction, le prix national de traduction ALTA 2024 et le prix de traduction Stephen Mitchell 2025. Elle partage son temps entre Paris et San Francisco. Son prochain recueil, Art in Time, paraîtra en 2025 dans la collection "Poètes du monde", traduit par Habib Tengour lui-même.

Juliane TAUCHNITZ : Littératures migrantes d'Octavio Paz à Habib Tengour
Dans son recueil d'essais Dans le soulèvement (2012), Habib Tengour cite différents auteurs qui ont exercé une influence déterminante sur son œuvre dont, en plus des écrivains maghrébins, James Joyce, Benjamin Péret — et Octavio Paz. Bien qu'à part cette petite mention de l'auteur mexicain, l'impact du dernier sur les textes de Tengour ne paraisse pas évident dans un premier temps, il y a des ressemblances et des rencontres conceptuelles considérables qui relient les deux. C'est pourquoi je propose une lecture croisée entre les textes littéraires et essayistes d'Habib Tengour et d'Octavio Paz pour analyser non seulement comment leur pensée part des points de vue similaires, mais surtout pour rendre visible comment ils développent une poétique (littérairement et théoriquement) qui est en mouvement incessant, qui flotte et fait de leur littérature une littérature "migrante".

Juliane Tauchnitz est Professeure contractuelle à l'université de Wuppertal, elle focalise sa recherche sur les phénomènes de créolité, d'hybridité et de métissage dans les littératures francophones et hispanophones. Sa thèse portait sur La Créolité dans le contexte du discours international et postcolonial du métissage et de l'hybridité. De la mangrove au rhizome (L'Harmattan, 2014), sa thèse d'état sur Konstruktion eines werdenden Kulturraums in hispano-marokkanischer Literatur (Vervuert, sous presse). Elle était co-directrice, avec Alfonso de Toro, du centre de recherche francophone de l'université de Leipzig, ainsi que des collections "Passagen" (Olms) et "Transversalité" (L'Harmattan).

Mourad YELLES : Ulysse et le Maître de l'Heure. Éléments pour une poétique du sacré dans l'œuvre de Habib Tengour
L'un des épisodes centraux de la mythologie personnelle de Habib Tengour met en scène Ulysse de retour dans sa patrie et contraint de subir une ultime épreuve : être reconnu par les siens. Par-delà sa résonnance littéraire, voire philosophique, une fois replacée dans un contexte proprement algérien, l'épreuve homérique renvoie inévitablement aussi à un contexte politique (déjà présent chez Homère avec le thème du rétablissement de la légitimité royale). Comme c'est le cas dans Tapapakitaques ou dans L'Épreuve de l'arc, le narrateur, double algérien d'Ulysse, tente ainsi de négocier un rapport pour le moins difficile avec sa société mais également avec le Pouvoir. Par ailleurs, la notion d'épreuve renvoie à un autre volet de la mythologie tengourienne : le culte des saints et le sacré populaire maghrébin. Il est évidemment question ici des voies de l'ascèse mystique. Mais les études anthropologiques (dont celles de Habib Tengour lui-même) ont montré l'importance du lien étroit entre sacré, religion et politique dans l'histoire culturelle du Maghreb. Et ceci jusque dans ses aspects les plus tragiques (cf. la "décennie noire" algérienne). Entre mirages du pouvoir et vertiges de l'extase, à l'image d'"Ulysse chez les intégristes" (Gens de Mosta), le héros tengourien tente de résoudre une équation insoluble à travers une quête qui demeure fondamentalement poétique.

Mourad Yelles est Professeur des universités émérite en littératures maghrébines et comparées à l'Inalco et membre de l'équipe LACNAD, il a également enseigné aux universités d'Alger, de Paris VIII et de Paris III. Comparatiste et anthropologue, il travaille notamment sur les processus de métissage des formes, des pratiques et des imaginaires dans le champ littéraire maghrébin (arabophone et francophone) et des Antilles : Les Miroirs de Janus. Littératures orales et écritures postcoloniales (Alger, OPU, 2002), Habib Tengour ou l'ancre et la vague. Traverses et détours du texte maghrébin (dir., Karthala, 2003), Cultures et métissages en Algérie. La racine et la trace (L'Harmattan, 2005), Habib Tengour. L'arc et la lyre. Dialogues (1988-2004) (Casbah Éditions, 2006), Traduire la pluralité du texte littéraire (avec Patrick Maurus et Marie Vrinat-Nikolov, Paris, Éditions L'Improviste, 2015).

Khalid ZEKRI : Une lecture de Dans le soulèvement : la maghrébine condition
Dans son essai Dans le soulèvement, Algérie et retour, Habib Tengour "n'enseigne point, il raconte" comme disait Montaigne à propos de ses propres essais. Il raconte ce qu'on pourrait s'aventurer à appeler ici "l'algérienne condition". Mais pas seulement. Car il s'agit aussi de la "maghrébine condition" qu'il raccroche à une histoire et à des références beaucoup plus larges pour l'inscrire, in fine, dans l'humaine condition. J'analyserai dans ma communication les idées développées dans cet essai tout en faisant référence à d'autres ouvrages de Habib Tengour.

Khalid Zekri est Professeur des universités en littérature comparée et sciences sociales et membre de l'Équipe d'Études Culturelles et Linguistiques à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Meknès. Il a également été professeur invité aux universités de Leipzig, Aix-la-Chapelle et Mannheim. Il est lauréat en 2019 du Grand Prix du Maroc (catégorie sciences sociales) pour son ouvrage : Modernités arabes : de la modernité à la globalisation.


BIBLIOGRAPHIE :

• Jacqueline Arnaud, La Littérature maghrébine de langue française, Deux tomes, Paris, Publisud, 1986.
• Jacques Berque, L'Intérieur du Maghreb. XVe-XIXe siècles, Gallimard, 1978.
• Charles Bonn, Lectures nouvelles du roman algérien. Essai d'autobiographie intellectuelle, Classiques Garnier, 2016.
• Beida Chikhi, Maghreb en textes. Écritures, histoires, savoirs et symboliques, Paris, L'Harmattan, 1996.
• James Clifford & George E. Marcus (éd.), Writing culture. The Poetics and Politics of Ethnography, University of California Press, 1986.
• Nabile Farès, Maghreb, étrangeté et amazighité, Alger, Koukou, 2016.
• Ernest Gellner, Muslim Society, Cambridge University Press, 1981.
• Marc Gontard, Violence du texte. La Littérature marocaine de langue française, Paris, L'Harmattan, 1981.
• Pierre Joris & Habib Tengour (éd.), Poems for the Millenium, Vol. Four : "The University of California Book of North African Literature", Berkeley, University of California Press, 2013.
• Abdelkébir Khatibi, Maghreb pluriel, Paris, Denoël, 1983.
• Regina Keil-Sagawe & Hervé Sanson (éd.), Les portes du poème. Hommage à Habib Tengour, Alger, APIC, 2022.
• Ghyslain Lévy, Catherine Mazauric & Anne Roche (éd.), L’Algérie, traversées, Colloque de Cerisy, Paris, Hermann, 2018.
• Abdelwahab Meddeb, L'Exil occidental, Paris, Albin Michel, 2005.
• Anne Roche, Algérie : écritures de l'autre, Alger, Casbah, 2017 (Paris, Kimé, 2019).
• Hervé Sanson, La Trace et l'écho : Une écriture en chemin. Entretiens avec Habib Tengour, Blida, Le Tell, 2012.
• Habib Tengour, Dans le soulèvement, Essais. Algérie et retours, Paris, La Différence, 2012.
• Mourad Yelles (éd.), Habib Tengour ou l'ancre et la vague. Traverses et détours du texte maghrébin, Paris, Karthala, 2003.
• Mourad Yelles, L'Arc et la lyre, Alger, Casbah, 2006.
• Mourad Yelles, Cultures et métissages en Algérie. La racine et la trace, Paris, L'Harmattan, 2006.
• Sonia Zlitni-Fitouri (éd.), "Les écritures nomades de Habib Tengour", Expressions Maghrébines, vol. 11, n°1, 2012.


SOUTIENS :

• Centre interdisciplinaire d'étude des littératures d'Aix-Marseille (CIELAM, EA 4235) | Aix Marseille Université (amU)
• THALIM (UMR 7172, CNRS) | Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3
• Langues et Cultures du Nord de l'Afrique et Diasporas (LACNAD, EA 4092) | Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)
Centre Pierre Naville | Université d'Évry
Institut français d'Algérie
Association Victor Hugo
Printemps des poètes - Luxembourg


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