Rapport d'étonnement

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"UNE RENCONTRE IMPROBABLE POUR DÉCOUVRIR LES CYCLES DE L'EAU"

PAR THÉOPHILE GERVAIS


Du 16 au 21 mai 2024, s'est tenu à Cerisy le colloque Vers des politiques des cycles de l'eau, sous la direction de Mathias Rollot et Marin Schaffner. Voici le retour d'un étudiant de la Fondation suisse d'études avec laquelle le CCIC a engagé un partenariat : Théophile Gervais, originaire de la région lausannoise et actuellement en cursus d'ingénierie mécanique à l'École Polytechnique de Zurich.

Théophile Gervais, Edith Heurgon

Il convient en premier lieu de remercier Edith Heurgon, sa famille et toute l'équipe d'organisation pour leur accueil qui est pour beaucoup dans l'agrément de ces quelques jours à Cerisy. Un grand merci à Marin Schaffner et Mathias Rollot ainsi qu'à tous les intervenants pour la richesse des interventions proposées durant ce colloque. Enfin je souhaite remercier la Fondation suisse d'études pour avoir rendu possible ma participation à cet événement.

Dans la continuité d'une tradition de plus d'un siècle, l'Association des Amis de Pontigny-Cerisy organise, dans le cadre magnifique du château de Cerisy-la-Salle (France), les Colloques de Cerisy. Ces rencontres s'articulent autour de sujets variés et réunissent à la fois des experts spécialisés sur le thème du colloque, des artistes, des chercheurs et, dans une moindre mesure, des auditeurs, venus par curiosité ou toute autre raison, comme cela a été mon cas.

Le colloque

Le colloque était dirigé par Marin Schaffner et Mathias Rollot. Marin Schaffner, ethnologue de formation, auteur et traducteur, codirige la collection de poche des éditions Wildproject. Il est aussi le fondateur du collectif pluridisciplinaire Hydromondes, inspiré par les idées biorégionalistes et dont le travail gravite autour des thèmes de l'eau et des bassins versants. Mathias Rollot est docteur en architecture, enseignant-chercheur à l'École nationale supérieure d'architecture de Grenoble, auteur et traducteur. Il a notamment traduit en français Dwellers in the Land : The Bioregional Vision de Kirkpatrick Sale qu'il considère comme l'ouvrage de référence du mouvent biorégionaliste. La toile de fond du colloque faisait largement écho au travail des deux directeurs, aux publications des éditions Wildproject et plus largement au mouvement biorégionaliste ainsi qu'à certains de ses penseurs-clés, notamment le poète américain Gary Snyder et la militante indienne Vandana Shiva. Plus spécifiquement, les différentes interventions étaient axées sur les thèmes des cycles de l'eau et des bassins versants. Bien que liées par un sujet commun, les natures des présentations étaient diverses allant de l'anthropologie à la géochimie, de l'architecture à l'ethnologie, sans oublier différentes performances artistiques. Une des caractéristiques partagées par la plupart des participants était un haut niveau d'éducation supérieure, ainsi qu'une certaine familiarité avec les concepts liés au biorégionalisme. Étaient représentés parmi les participants les environnements académique, artistique, militant, étudiant et associatif, les absents notables étant les entreprises et autres parties prenantes issues de l'industrie privée.


Retour d'expérience

La structure de colloque, alternant conférences-débats et excursions dans les alentours de Cerisy était très agréable et l'investissement que demande l'organisation et la coordination d'activités très diverses mérite d'être souligné. Les excursions en particulier ont eu un double effet positif sur le colloque, d'abord en appuyant le propos de ce dernier d'encourager un ancrage des individus et des communautés au sein de leur environnement naturel, et donc d'en connaître les particularités et les richesses, mais aussi d'éviter une approche trop scolaire permettant "d'aérer les esprits" et d'éviter le désengagement du public que risque d'apporter aux activités une constance de format et le lieu. Comme de nombreux participants, j'ai eu le sentiment que davantage de temps aurait pu être alloué aux échanges informels, mais j'estime que souvent dans ces circonstances, une forme de contrainte (dans ce cas-ci temporelle) oblige à une meilleure structuration des idées et mène à des discussions de meilleure qualité. Un autre aspect intéressant du colloque du point de vue des membres de la Fondation est de se confronter à la manière de réfléchir "à la française" qui présente des différences claires avec l'approche "suisse" des choses (par exemple dans le degré de pragmatisme et l'importance accordée à la faisabilité et à l'efficacité).

La diversité des approches soulevées vis-à-vis de l'intitulé du colloque représente selon moi la force mais aussi une forme de limitation de ces quelques jours à Cerisy. Une force puisqu'elle augmente la probabilité que des auditeurs puissent s'identifier au moins à un des propos avancés ou expériences partagées par les intervenants. Une force également dans la mesure où, au même titre que celle qui caractérisait la forme et le lieu des activités, la diversité du contenu permet d'éviter l'installation d'une routine et d'un éventuel ennui. Une faiblesse parce que le large éventail d'idées empêche dans une certaine mesure de progresser dans une direction définie (donnant le sentiment que, plutôt que d'avancer vers des politiques des cycles de l'eau, les idées irradiaient dans de nombreuses directions depuis les notions de cycles de l'eau). Nonobstant, et en dépit de l'intitulé du colloque, je ne pense pas que l'intention était d'arriver à des conclusions définissant une marche à suivre ferme et claire à propos desdits cycles de l'eau. Ainsi, cette "faiblesse" pourrait tout aussi bien être considérée comme une force (it's not a bug, it's a feature).

Les idées biorégionalistes m'étant inconnues, elles font donc partie des découvertes que m'a offert ce colloque. Je retiendrai en outre les différences drastiques de comportement entre un lit de rivière en fonction de son degré d'aménagement, ainsi que la mesure dans laquelle cet aménagement a été systématisé en Europe au point de faire oublier à une partie significative sinon majoritaire de la population à quoi ressemble un lit de rivière vierge de toute construction humaine.

Cependant, la leçon centrale de ces quelques jours reste pour moi la notion selon laquelle tenter d'analyser une idée au travers du prisme de son propre paradigme et de son propre ensemble de valeurs alors qu'il n'en est pas issu mène à l'incompréhension, l'approche davantage enrichissante étant de tenter de concevoir quel paradigme a conduit à l'éclosion de cette idée, en ayant comme but non de tomber d'accord avec l'autre, mais de le comprendre. Ces idées peuvent paraître évidentes au premier abord, mais seule l'expérience de la contradiction permet de les ancrer dans un esprit et une approche d'analyse des philosophies qui nous sont étrangères.

Conclusion

Ces quelques jours en Normandie ont été une expérience très enrichissante. La combinaison de la découverte d'un domaine de réflexion avec lequel je n'avais à titre personnel aucune familiarité, d'un contenu riche et varié ainsi que du cadre aussi splendide qu'accueillant, a donné tout son intérêt à ce colloque, et je recommande vivement aux membres de la Fondation en ayant la possibilité de participer à ceux qu'elle propose.