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RETOUR SUR LE COLLOQUE "DROIT ET LITTÉRATURE" (2024)

PAR CLAIRE PAULHAN


Du 19 au 25 août dernier, s'est déroulé à Cerisy le colloque Là où se déploie le monde… Droit et littérature : formes et sens à même l'histoire. En voici un compte rendu passionnant rédigé par Claire Paulhan, membre du Conseil d'administration de l'Association des Amis de Pontigny-Cerisy, qui a assisté à l'intégralité du colloque.

Photo de groupe du colloque


Ce colloque, initié, pensé et préparé de longue date par Sandra Travers de Faultrier que sont venus rejoindre Yves-Édouard Lebos, Nicolas Dissaux et Laurent Loty, s'est constamment confronté à ces questions premières : Le Droit comme la littérature peuvent-ils être définis dès lors que définitions procédurales, formelles, organiques n'en donnent pas les mêmes délimitations (Sandra Travers de Faultrier en ouvrant ces journées s'est interrogée sur l'objet de la démarche Droit et littérature dès lors que ces deux notions témoignent d'une variabilité définitionnelle) ? Faut-il savoir ce que sont le Droit et la littérature pour pouvoir en parler, alors qu'ils sont devenus, notamment le Droit, tout comme les idéaux politiques des années 60, un "objet de consommation"…

Après une très vivante communication d'Yves-Édouard Le Bos, "La Haine du Droit" (qui devait, au travers des figures haïes de la justice ou du notariat dans les romans du XIXe et XXe siècles, former le pendant à "L'Amour du Droit" que devait présenter Nicolas Dissaux, qui n'a pu venir), ce sont les rapports entre langage et loi, entre vocabulaire, style, et terminologie juridique, entre le roman et le Droit, qui ont été illustrés par trois écrivains : Jean-Paul Honoré, Gisèle Bienne, Odile Barral. Et théorisés dans les communications de Véronique Taquin, Anne-Elisabeth Crédeville et Jacques-Athanase Gilbert.

Marie-Hélène Boblet fit la synthèse entre langage, littérature et Droit et histoire du Droit. Sa communication, "La Langue du IIIe millénaire. Comment on parle ou la responsabilité en miettes" est consultable sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie.

Marco Sousa Alves, en suivant le destin de la notion d'auteur, et Nicolas Mathey ont offert des panoramas très complets des relations entre littératures romanesques (y compris romans policiers, avec Nicolas Bareït) et force de la loi, ce qui nous a entraînés vers la sociologie, l'ethnographie, la philosophie et même les droits des "éléments naturels" (avec Judith Sarfati-Lanter). Zola (Sophie Delbrel) et Michelet (Myriam Roman) nous sont apparus sous de nouveaux angles. Mais c'est bien le fait-divers qui apparaît comme le point de passage entre Droit et littérature. L'écrivain fait alors entendre une autre présence et un autre jugement que celui du juge ou du journaliste : de Mme Bovary à L'Adversaire, il y a une histoire des faits-divers travaillés par la littérature. Et aujourd'hui, les enjeux du "roman de procédure judiciaire" font émerger une autre problématique, du fait de l'introduction de la vie privée de personnages existants et d'une forme d'écriture chorale, caractérisée par une esthétique et une éthique du doute : comment saisir le réel ? Les interventions de Denis Salas, Christine Baron et Marion Mas nous ont aidé à comprendre ce qui était en jeu…

Daphné Vignon, à la faveur d'une nouvelle identification des mots "norme" et "valeur", insista sur l'usage matriciel du récit qui produit le récit. Quant à Laurent Loty, il déploya plus encore la réflexion autour de notions de droit public et de politique, telle celle de démocratie. Explorant la puissance constituante des utopies comme les contresens à leurs propos, il étudia les stratégies textuelles qui, alliant une fiction critique et des fictions "imaginantes", structurent un "dispositif invitant le lecteur à oser croire dans le possible", que Laurent Loty entend renouveler en favorisant textes et propositions "alterréalistes".

François Ost insista sur la fondation par la fiction de tout régime juridique et s'interrogea sur la capacité d'un Droit, aujourd'hui réduit à sa grammaire formelle, à générer une croyance partagée.

Enfin, Sandra Travers de Faultrier a conclu ce colloque en étudiant le "mythe" et la loi en référence au travail de Vico, faisant un lien généalogique entre Droit et poésie, Droit et littérature, insistant sur la dimension co-créatrice de la langue. Dans un dernier temps, elle a proposé que l'on parle de Ia Justesse comme modalité du juste, et cela au sens musical, de la structure de la scène judiciaire comme articulation permettant de penser l'épaisseur du réel mais aussi d'envisager la pratique et la "créance de sens de la démarche Droit et littérature" comme une "dé-coïncidence".

Les débats furent très riches : les participants — une petite trentaine, presque tous liés aux revues Droit et Littérature, Cahiers de la Justice, ou Considérant — ont rivalisé de nuances et d'informations, parfois contradictoires, se promettant de trouver un lieu commun, à constituer à travers les usages du quotidien… Deux projections de films (Le Prince de Hombourg, de Marco Bellochio d'après Kleist et Bartleby, ou les hommes au rebut, de Véronique Taquin) ont réalimenté la conversation commune, qui fut intéressante et passionnée.

Claire PAULHAN,
Membre du Conseil d'administration de l'AAPC