Programme 2019 : un des colloques

Programme complet


PORTRAITS DE PAYS. TEXTES, IMAGES, SONS


DU MERCREDI 3 JUILLET (19 H) AU MERCREDI 10 JUILLET (14 H) 2019

[ colloque de 7 jours ]



DIRECTION :

Sophie LÉCOLE SOLNYCHKINE, David MARTENS, Jean-Pierre MONTIER


ARGUMENT :

Dépeindre un lieu, quoi de plus courant ? La pratique est si ancienne que sa familiarité a pour une large part occulté l'existence d'un genre à part entière, le portrait de territoire, dédié à la (re)présentation de lieux tels que des villes, des régions et des pays. Ce genre n'a cessé d'évoluer au cours d'une histoire qui l'a vu se décliner sous différentes formes médiatiques : du livre aux sites web en passant par la photographie, le cinéma et la télévision, la radio ou encore dans le cadre d'expositions.

Ce colloque a pour ambition de proposer la cartographie de ce genre aussi méconnu qu'extraordinairement courant. Pour ce faire, des spécialistes de différentes disciplines (études littéraires, histoire et esthétique de la photographie, du cinéma…) seront conviés à un dialogue avec des auteurs de portraits de pays ainsi qu'avec celles et ceux que ces questions intéressent.


Vies de château (Joachim Glaude)


CALENDRIER DÉFINITIF :

Mercredi 3 juillet
Après-midi
ACCUEIL DES PARTICIPANTS

Soirée
Présentation du Centre, des colloques et des participants


Jeudi 4 juillet
Matin
Sophie LÉCOLE SOLNYCHKINE, David MARTENS & Jean-Pierre MONTIER : Introduction
Jean-Pierre MONTIER : Qu'est-ce, finalement, qu'un "pays" ? Rives, dérives de Pierre Loti au Japon

Après-midi
Jean ARROUYE : Portraits gioniens de la Haute-Provence ou la photographie multiréférentielle instrument d'un art moderne de la vanité
Entretien entre Thomas CLERC (écrivain) et Sophie LÉCOLE SOLNYCHKINE

Vernissage de l'exposition de Benjamin LE BRUN : "Le Centre des loisirs" [lauréat du "prix Cerisy" lors d'un concours photographique, organisé en 2018 par le collectif Point-Virgule, à l'occasion du colloque de Cerisy : "Nouveaux enjeux prospectifs des territoires et co-construction des stratégies"]

Soirée
Projection du film documentaire Les Habitants (2016), en présence du réalisateur Raymond DEPARDON et animée par Danièle MÉAUX


Vendredi 5 juillet
Matin
Laurence LE GUEN : De "Children of all Lands Stories" à la collection "Enfants du monde", offrir un regard sur l'Autre en littérature jeunesse
Gyöngyi PAL : Les portraits du pays de bocage de Trassard

Après-midi
Danièle MÉAUX : Le territoire comme il est habité. À propos de réalisations photographiques et filmiques de Raymond Depardon
Marcela SCIBIORSKA : Des "livres de photographies pour tous". Stratégies éditoriales derrière les portraits de pays à la Guilde du Livre

Soirée
Julien POIDEVIN, créateur sonore - auteur d'un portrait sonore de Caen


Samedi 6 juillet
Matin
Alexandre GALAND : L'enregistrement de terrain, pour des portraits sonores de "mondes inconnaissables"
Pauline NADRIGNY : Knud Viktor : images sonores du Lubéron

Après-midi
DÉTENTE


Dimanche 7 juillet
Matin
Catherine BERTHO-LAVENIR : Il Bel Paese, le "petit pays" : portraits de pays dans les revues du Touring Club d'Italie et de France
Olivier LUGON & François VALLOTTON : Élargir le regard via le multimédia : les différentes déclinaisons du "portrait de pays" au sein de la stratégie audiovisuelle des Éditions Rencontre (1962-1972)

Après-midi
Donata MENEGHELLI : Les villes invisibles de Sophie Calle : entre Suite vénitienne et Souvenirs de Berlin-Est
Bruno GOOSSE : Waterloo n'est pas à Waterloo

Soirée
Présentation de la revue Gradalis, avec Sébastien CASSIN (À propos des Séjours Rocheux), Sophie LÉCOLE SOLNYCHKINE et Pauline NADRIGNY


Lundi 8 juillet
Matin
Anne SIGAUD : Les Archives de la Planète d'Albert Kahn : l'autochrome et le film au service de la conceptualisation et de la promotion de la nation (1909-1932)
David MARTENS : "Villes Mondes" (France Culture). Portraits urbains polyphoniques et radiophonie littéraire [enregistrement audio en ligne sur Canal U, chaîne La forge numérique | MRSH de l'université de Caen Normandie et sur le site Radio France, rubrique France Culture]

Après-midi
Sophie LÉCOLE SOLNYCHKINE : Portraitures élémentaires. Séjourner aux marges du monde
Benjamin THOMAS : Flandres (2006, Bruno Dumont) : topologies sensibles


Mardi 9 juillet
Matin
Sarah LABELLE : Figurations de la "ville intelligente" : motifs de l'agir ingénieur
Julia BONACCORSI : Veiller, surveiller : défigurations de la ville

Après-midi
Hécate VERGOPOULOS : Les portraits sinistres de ville
Sophie de PAILLETTE : "Portraits identitaires de territoires"

Soirée
Portrait sonore (restitution), par Joachim GLAUDE


Mercredi 10 juillet
Matin
Patrick BARRÈS : La ville rouge de Michael Matthys : portrait de ville, une logique du fragmentaire [texte lu par Sophie LÉCOLE SOLNYCHKINE]

Conclusions

Après-midi
DÉPARTS


RÉSUMÉS & BIO-BIBLIOGRAPHIES :

Patrick BARRÈS : La ville rouge de Michael Matthys : portrait de ville, une logique du fragmentaire
Dans son album La ville rouge (2009), Michael Matthys réunit des images de la ville de Charleroi, conçues à partir du relevé cinématographique et de l'empreinte photographique d'espaces-tiers, et réalisées avec du sang de bœuf issu des abattoirs de Gilly et suivant les développements d'un dessin d'esquisse. Nous interrogerons les relations entre ces fragments-mondes, attachés à la viscosité du rouge sang, à la versatilité du trait et à une représentation en défaut, et les éclats de réalité d'un milieu urbain identifié comme le "pays noir".

Patrick Barrès est Professeur en arts appliqués, arts plastiques à l'université Toulouse – Jean Jaurès, Directeur du LARA-SEPPIA (Laboratoire de Recherche en Audiovisuel – Savoirs, Praxis et Poïétiques en Art), responsable de l'axe de recherche "Poïétiques du Cinéma d'animation", responsable du Master "Motion design & Cinéma d'animation" de l'ISCID (Institut Supérieur Couleur Image Design). Artiste plasticien. Auteur de textes critiques sur les arts visuels, le cinéma et les pratiques du site (architecture, paysage, land art).
Sélection de publications
Expériences du lieu, paysage, architecture, design, Archibooks, 2008.
Gradalis. Carnets de Topoïétique : Limitis, hodologies de la frontière, Éditions Passage(s), n°1, 2016; n°2, 2019 / avec Sophie Lécole Solnychkine).

Julia BONACCORSI : Veiller, surveiller : défigurations de la ville
Le propos portera sur des modalités de représentation visuelle de l'espace urbain qui relèvent de projets documentaires spécifiques, non culturels, artistiques ou touristiques : il s'agit des productions photographiques ou filmiques générées par exemple par l'enregistrement de dysfonctionnements urbains par les usagers de la ville via des applications mobiles, par des opérations militantes de collecte photographique de dispositifs anti-sdf, ou encore par les dispositifs d'enregistrement et de surveillance. La réflexion portera sur les médiations documentaires et esthétiques qui instruisent les sens politiques ou critiques de ces anti-portraits de la ville, à partir d'une analyse ethno-sémiotique des énonciations visuelles, des dispositifs et des processus de publicisation. Les statuts glissants de ces images (prise de note, preuve, témoignage), leur auctorialité ambiguë, leur dimension éphémère, les modalités singulières de leur visionnage, constitueront les principaux axes d'exploration de plusieurs cas contemporains de défigurations de la ville.

Julia Bonaccorsi est professeure en sciences de l'information et de la communication à l'université Lyon 2 et membre d'ELICO, EA 4147. Ses recherches portent sur les dimensions sociales et symboliques des modes d'intelligibilité et représentations de l'urbain, comme la visualisation de données et la photographie.
Publications
"Les Observatoires photographiques ou la production d'un regard public sur le paysage", in Tardy Cécile (éd.), Les médiations documentaires des patrimoines, avec Anne Jarrigeon, L'Harmattan, 2014.
"Le sens collectif de l'écran dans la ville", Interfaces Numériques, 5, 2016.
Territoires. Enquête communicationnelle, avec Sarah Cordonnier, EAC, 2019 (à paraître).
"L'agir documentaire, une politique du détail. À partir du cas de #SoyonsHumains", Communication & Langages, 2019 (à paraître).

Sébastien CASSIN : Présentation de la revue Gradalis — À propos des Séjours Rocheux
Contribuer à la revue Gradalis fut pour moi l'occasion de rassembler une variété d'expériences pyrénéennes et d'en faire le récit sensible. Dans le cadre instauré par la revue, ces expériences furent articulées à la manière d'une errance qui, venant du nord, s'est progressivement faufilée entre les monts — vers la frontière —, et ce afin d'en exhumer les caractères minéraux particuliers. Au plus près du terrain, j'ai cherché à exprimer la variété des manières dont on fréquente ses ressources minérales, depuis la rencontre des roches qui au-dedans structurent la montagne jusqu’à l'investissement de celles qui font cabanes et que l'on habite. La montagne est un lieu de fascination : on y trouve une forme de splendeur qui n'a pas lieu dans la ville. Simplement, et à force d'épier les monts, on en arrive à comprendre pourquoi telle roche affleure là plutôt qu'ailleurs; pourquoi telle fente a lézardé celle-ci; et pourquoi l'érosion a mordu cette face plutôt qu'une autre. Aussi, il faut se prendre au jeu de la montagne afin de surprendre le comportement qu'adopte spontanément la matière en son milieu.

Sébastien Cassin est designer en conception d'espace, et doctorant en design à l'université Toulouse - Jean Jaurès, membre du LARA-SEPPIA. Ses recherches portent sur la prise en compte d'une poétique paysagère dans les pratiques de conception d'espace.

Alexandre GALAND : L'enregistrement de terrain, pour des portraits sonores de "mondes inconnaissables"
La pratique de l'enregistrement de terrain rend sensible à une série de sons discrets, voire inaudibles pour l'oreille humaine, émis par les entités qui habitent un lieu. En nous invitant à cette reconnaissance de la multiplicité des êtres et des formes de vie, ces captations sonores sont de précieux guides dans l'attention nécessaire aux territoires qu'imposent les "crises" écologiques en cours. Cet exposé se propose d'inviter à quelques "promenades en des mondes inconnaissables" (d'après l'expression de l'éthologue Jakob von Uexküll), qui seraient autant de portraits de "pays" réanimés.

Docteur en Histoire, art et archéologie, Alexandre Galand est collaborateur scientifique de l'université de Liège.
Publications
Field Recording. L'usage sonore du monde en 100 albums, Éditions Le mot et le reste, 2012.
Monstres et merveilles. Cabinets de curiosités à travers le temps, Album illustré par Delphine Jacquot, Seuil, 2018.
The Flemish Primitives VI. The Bernard van Orley Group, Catalogue scientifique des œuvres peintes de l'artiste Bernard van Orley, Éditions Brepols, 2013.

Bruno GOOSSE : Waterloo n'est pas à Waterloo
Waterloo est le nom d'une petite ville en périphérie de Bruxelles. Ce nom est connu dans le monde comme celui d'une bataille. Il est tellement connu qu'il est devenu un nom commun. C'est aussi le nom d'un champ. Mais ce champ n'est pas situé à Waterloo. C'est la contingence de la localisation du quartier général du vainqueur de la bataille qui a donné son nom au champ. Cette variabilité du toponyme proche d'une délocalisation a-t-elle favorisé l'utilisation du nom propre comme nom commun ? Derrière cette question anodine se profile une géographie fluide dont la conférence envisage de dresser le portrait.

Bruno Goosse est artiste et professeur à l'Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles. Son travail porte sur la manière dont le texte, notamment juridique, et ses montages fictionnels, conditionnent notre rapport au réel, à l'image et à l'art. Ses recherches sont rendues publiques sous forme d'expositions, de livres, et de films.
Publications
Classement diagonal, Éditions la lettre volée, Bruxelles, 2018.
Around Exit, Éditions La Part de l'Œil, Bruxelles, 2014.
Co-direction avec Jean Arnaud, Document, fiction et droit en art contemporain, PUP/ArBA, Marseille et Bruxelles, 2015.
Et dirigé le volume 30 de La Part de l'Œil: Arts plastiques/cinéma. Mikhaïl Bakhtine et les arts, Éditions La Part de l'Œil, Bruxelles, 2016/17.

Sophie LÉCOLE SOLNYCHKINE : Portraitures élémentaires. Séjourner aux marges du monde
Cette communication propose de s'intéresser à la question du portrait de pays en la croisant à celle des imaginaires matériologiques. Il s'agira de travailler sur deux plans de références croisés : d'abord celui de la représentation — de la qualité particulière de représentation qu'est l'image cinématographique —, pour y investiguer la manière dont s'y développent des portraits de territoires qui ont ceci de particulier qu'ils se situent aux marges de la terre et du monde humain, là où l'efficacité de nos outils de préhension du monde s'efface, restituant le monde à sa seule présence élémentaire. Les deux films que nous étudierons ont en commun le fait de fabriquer des images de "territoires" au contact de la matière aqueuse : océan liquide pour Léviathan (Lucien Castaing-Taylor, Verena Paravel, 2012), gels et neige pour Ága (Milko Lazarov, 2018). Dans ces deux films, le recouvrement de la terre par les eaux rend malaisée la lecture du territoire (qui pourtant ne cesse d'être là), et demande alors de revenir à la question du portait, pour la reconsidérer. Il faut passer là à un second plan de référence, celui de l'investissement des qualités métaphoriques de la matière, notamment de leur usage par la philosophie pour incarner des idées, dont elles exprimeraient, comme figuralement, certaines propriétés que les mots peineraient à dire. Dès lors, c'est à formuler une proposition de définition liquide du portrait que nous nous emploierons.

Laurence LE GUEN : De "Children of all Lands Stories" à la collection "Enfants du monde", offrir un regard sur l'Autre en littérature jeunesse
Le portrait de pays phototextuel a une réalité effective en littérature jeunesse, avec une grande variété de publications. Ces ouvrages sont régulièrement publiés dans des périodes où le livre pour enfants est perçu comme le moteur d'un nouvel humanisme pacifiste. Les ouvrages qui fleurissent aux États-Unis comme en France après les deux Guerres Mondiales portent tous en eux le même message d'espoir, transmettre la conviction que le monde, dans sa diversité et sa complexité, est un: le nôtre, notre monde à tous. Cette communication croisera les ouvrages de la série des années 1920 "Children of all Land Stories", de la photographe américaine Madeline Brandeis, avec ceux de la collection "Enfants du monde" portés par les photographies de Dominique Darbois, pour montrer comment photographies et textes s'allient pour offrir au jeune lecteur un autre regard sur l'Autre et promouvoir ainsi la paix entre les peuples.

Laurence Le Guen, doctorante à l'université de Rennes 2, Cellam, mène des recherches sur le livre pour enfants illustré par la photographie en France et aux États-Unis. Elle a publié notamment "Sac à Tout de Séverine, récit-photo en 1903", dans la revue Contemporary French Civilization. Elle assure le commissariat de l'exposition "Ergy Landau à livres ouverts". Elle est par ailleurs auteur de livres pour enfants et membre de l'Afreloce, qui regroupe les chercheurs en littérature jeunesse.

Olivier LUGON & François VALLOTTON : Élargir le regard via le multimédia : les différentes déclinaisons du "portrait de pays" au sein de la stratégie audiovisuelle des Éditions Rencontre (1962-1972)
En 1962, les Éditions Rencontre lancent une collection de livres illustrés consacrée au voyage: l'Atlas des Voyages, dirigée par Charles-Henri Favrod. Chez l'éditeur lausannois cependant, un tel projet encyclopédique sur les pays du monde dépasse rapidement le seul domaine de l'album imprimé pour s'étendre à d'autres supports et d'autres médias, du "livre de diapositives" (la Bibliovision) à l'encyclopédie sur fiches (l'Encyclopédie du monde actuel, EDMA) et bientôt au film (la Communauté d'action pour le développement de l'information audiovisuelle, CADIA). Pour l'entreprise, le "portrait de pays" participe ainsi à une dynamique plus large de diversification de ses activités éditoriales en direction du champ de l'"audiovisuel" et à un nouveau déploiement multimédiatique du modèle encyclopédique.

Olivier Lugon est historien de la photographie, professeur à l'université de Lausanne. Spécialiste de la photographie du XXe siècle, de l'histoire de la scénographie d'exposition et de la projection, il a notamment publié Le Style documentaire : d'August Sander à Walker Evans (Macula, 2001) et prépare un ouvrage sur Nicolas Bouvier iconographe, à paraître en 2019. En 2017, il a été co-commissaire de l'exposition Diapositive : histoire de la photographie projetée au Musée de l'Élysée, Lausanne. Avec Christian Joschke, il codirige la revue Transbordeur : photographie, histoire, société chez Macula.

François Vallotton est professeur ordinaire d'histoire contemporaine à l'université de Lausanne où il enseigne plus spécialement l'histoire des médias. Auteur de nombreuses contributions dans le domaine de l'histoire culturelle et intellectuelle, il a notamment consacré sa thèse à l'histoire de l'édition suisse francophone. Il a aussi développé de nombreux projets d'enseignement et de recherche portant sur l'histoire de la radio et de la télévision dans une perspective suisse mais également transnationale. Cofondateur du Centre interdisciplinaire des Sciences historiques de la culture à l'université de Lausanne.

David MARTENS : "Villes Mondes" (France Culture). Portraits urbains polyphoniques et radiophonie littéraire
Entre 2013 et 2016, France Culture programme, le dimanche en deuxième partie d'après-midi, une émission permettant à ses auditeurs et à ses auditrices de découvrir de nombreuses villes de par le monde. "Villes-mondes" se présente comme une série de "voyages" d'une cinquantaine de minutes "au cœur des villes avec leurs créateurs, artistes, écrivains…". Revêtant, sur un plan générique, la forme du portrait, l'émission fait le pari de la découverte sonore en combinant des ambiances sonores des cités avec le discours de ceux qui y vivent, qu'ils soient français ou locaux. Il s'agira à l'occasion de cet exposé de dresser le portrait-robot de l'émission en rendant compte des procédés et des modalités à travers lesquels elle façonne le visage des villes qu'elle présente, ainsi qu'en analysant les valeurs qui sous-tendent la ligne éditoriale de la série.

Danièle MÉAUX : Le territoire comme il est habité. À propos de réalisations photographiques et filmiques de Raymond Depardon
De novembre 2004 à février 2010, Depardon sillonne la France à bord d'une fourgonnette et collecte des vues des "zones grises" du territoire, de ses aménagements ordinaires et vernaculaires. Un certain nombre de ces vues ont été rassemblées dans l'ouvrage La France de Raymond Depardon et exposées à la BnF du 30 septembre 2010 au 9 janvier 2011. Ce sont les traces laissées par les hommes au sein des paysages qui retiennent alors l'attention du photographe. C'est une nouvelle approche du pays qu'il propose, en 2016, dans le film Les Habitants. Si le parcours du photographe tient encore de la dérive, un autre dispositif s'est substitué à la chambre photographique : Depardon visite le territoire avec une caravane, au sein de laquelle il filme des échanges entre personnes. Ce sont dès lors les dialogues, les intonations, les accents… qui témoignent des modes de vie accrochés aux lieux. La démarche de Depardon se rapproche de celle de l'ethnologue. Elle illustre une propension — lisible chez d'autres photographes contemporains — dont on se propose d'interroger ici les formes et les enjeux.

Spécialiste de la photographie contemporaine, Danièle Méaux est professeur des universités en esthétique et sciences de l'art.
Publications
La Photographie et le temps, PUP, 1997.
Voyages de photographes, PUSE, 2009.
Géo-photographies. Une approche renouvelée du territoire, Filigranes, 2015.
Enquêtes. Nouvelles formes de photographie documentaire, Filigranes, mars 2019.
Elle dirige la revue Focales.

Donata MENEGHELLI : Les villes invisibles de Sophie Calle : entre Suite vénitienne et Souvenirs de Berlin-Est
Sophie Calle est un figure très significative dans l'art contemporain, son travail est difficile à classer car il relève au même temps de l'art conceptuel, de l'art narratif, de la photographie et de l'installation audiovisuelle, de l'autofiction, du récit photo, tout en ayant une dimension performative. Dans beaucoup de ses installations/ouvrages, l'espace géographique et urbain, les lieux, les pays et le voyage jouent un rôle capital (qu'on songe, par exemple, à L'Erouv de Jérusalem, au Japon et à la transsibérienne dans Douleur exquise ou aux États-Unis dans son longue métrage No Sex Last Night), même si les modalités de représentation qu'elle choisit sont très souvent déroutantes, notamment en raison des rapports complexes qu'elle établie entre mots et images. Cette communication abordera ces enjeux à partir de deux ouvrages qui ont la particularité d'être centrés respectivement sur deux villes que l'on peut considérer à certains égards antithétiques : d'une part, Venise, la ville historique, touristique, magique, romantique, ville d'art par excellence, toujours exposée, connue et visitée par tout le monde, mille fois reproduite et écrite; d'autre part, Berlin-Est, une ville qui n'en est même pas une (pas avant 1949 et depuis 1990, en tout cas), synonyme de grisaille, d'architecture staliniste, de laideur, de vide, au moins dans la perception et le sens communs. Dans cet exposé, on comparera les diverses stratégies employées par Sophie Calle dans la représentation de ces deux villes, en interrogeant la façon dont elles jouent avec le seuil problématique entre le visible et l'invisible, les attentes (ce qui est prévisible, évident, culturellement donné) et l'inattendu, l'incertain, ou, encore, entre l'espace public et l'espace privé, la mémoire collective et l'expérience individuelle.

Donata Meneghelli est maître de conférence, HDR, de Littérature comparée et de Littérature et études visuelles à l'université de Bologne. Elle dirige la revue Scritture migranti. Elle s'intéresse notamment à la théorie et à l'histoire du roman, à l'intermédialité, à la théorie narrative, au rapports entre la littérature et la culture visuelle, à la littérature de la migration, à l'adaptation cinématographique et aux questions de la transfictionalité. Elle a écrit des essais sur Henry James, Joseph Conrad, Jean Rhys, Alain Robbe-Grillet, William Faulkner, Sophie Calle.
Publications
Una forma che include tutto. Henry James e la teoria del romanzo, Il Mulino, 1997.
Teorie del punto di vista, La nuova Italia, 1998.
Opere e vite, numéro monographique de la revue Inchiesta letteratura, Dedalo, 2000.
"What Can a Film Make of a Book ? Seeing Literature through Apocalypse Now and Barry Lyndon", Image [&] Narrative, 8, May 2004.
"Quadri senza cornici, cornici senza quadri : il romanzo nello specchio della pittura", in La cornice, sous la direction de F. Bertoni e M. Versari, CLUEB, 2006.
"Sophie Calle : tra fotografia e parola", in Guardare oltre, sous la direction de S. Albertazzi et F. Amigoni, Meltemi, 2007.
"La tension entre la forme et l’informe dans le roman du XXe siècle", Formules, 13, 2009.
"Le texte et son ombre ou le lecteur supplicié dans Projet pour une révolution à New York", Interférences littéraires, 6, mai 2011.
Storie proprio così. Il racconto nell’era della narratività totale, Morellini, 2012.
Senza fine. Sequel, prequel, altre continuazioni, Morellini, 2018.

Jean-Pierre MONTIER : Qu'est-ce, finalement, qu'un "pays" ? Rives, dérives de Pierre Loti au Japon
Le cas de Pierre Loti me semble intéressant pour cette raison que je ne suis pas certain qu'il ait réalisé des "portraits de pays". La quasi-totalité de son œuvre paraît pourtant relever de ce genre, et il a tous les attributs de l'écrivain ayant rapporté de divers continents des récits qui, oscillant entre fictions et choses vues, sont reçus par le public sous cet angle générique. Mais c'est la malléabilité ou la plasticité de l'idée même de "pays" qui, chez lui, sont significatives. Il y a des raisons historiques : à l'époque, pays voisine sémantiquement avec nation, empire, colonie, races. Il y a aussi des raisons tenant à sa posture : réaliser un portrait de pays requiert empathie et extraversion, or Loti est la plupart du temps dans l'introversion et la nostalgie. Peut-on faire le portrait d'un pays comme un voyage autour de sa chambre, en egocentrique? De quel "arrière-pays" (Bonnefoy) ce genre peut-il être aussi le lieu ?

Gyöngyi PAL : Les portraits du pays de bocage de Trassard
L'œuvre littéraire et photographique de Jean-Loup Trassard est centrée sur son lieu natal, la Mayenne, le bocage ou, plus précisément, l'entourage de sa maison. Une enfance campagnarde influence toute son œuvre d'écrivain et de photographe. Il est l'auteur entre autres d'une quinzaine de livres où sont juxtaposés des textes et des photographies, qu'il qualifie d'"ethnopoétiques", ayant "à la fois un souci ethnographique ou technique de vérité et en même temps les choses sont abordées sous l'angle poétique". Ses récits contournent et expérimentent la possibilité de description du territoire en mobilisant divers sens du lecteur : la vue, le toucher et l'ouïe, en mettant à l'épreuve les écarts possibles entre textes et photographies.

Gyöngyi Pal est maître de conférences à l'université de Kaposvár en Hongrie où elle enseigne l'esthétique de la photographie et la communication visuelle. Après sa thèse sur des écrivains photographes en 2010 à l'université Rennes 2 et à l'université de Szeged, elle a travaillé en tant qu'ingénieur de recherche sur le projet PHLIT, le site web et base de données de la photolittérature. Entre 2016-18, au cours d'un post-doctorat, elle a mis en œuvre le site MAFIA consacré à la photolittérature hongroise.

Marcela SCIBIORSKA : Des "livres de photographies pour tous". Stratégies éditoriales derrière les portraits de pays à la Guilde du Livre
La Guilde du Livre, club du livre édité à Lausanne entre 1936 et 1977 et chapeauté par Albert Mermoud, est aujourd'hui perçue comme pionnière au sein du champ de l'édition suisse en tant qu'une des premières maisons d'édition dans le monde francophone à proposer des ouvrages ornés d'illustrations de qualité à prix accessibles. Axé sur la démocratisation de la culture par le biais d'objets d'une haute qualité littéraire et technique, le club du livre connaît ses plus grands succès avec la parution de portraits de pays et de villes, fruits de collaborations entre des photographes et des écrivains renommés. Le mode de distribution des ouvrages de la collection, cherchant à se placer "en dehors de toute méthode commerciale ordinaire" et fortement lié à la parution périodique du Bulletin de la Guilde du Livre, contribue à la création d'une importante communauté de lecteurs autour de la maison d'édition. Cette communication se proposera d'examiner la correspondance entre divers acteurs de la collection "Albums photographiques", tels que l'éditeur, les photographes et les écrivains sollicités, afin de mettre en lumière les processus qui ont mené à l'élaboration de portraits de pays et de villes au sein de la Guilde du Livre. Elle visera à répondre à certaines questions qui se posent d'un point de vue macrotextuel, telles que: quel rôle les portraits de pays revêtent-ils dans le cadre d'une entreprise de démocratisation du "beau livre" annoncée dans le manifeste de la Guilde ? Quelles stratégies éditoriales ont-elles sous-tendu la création des portraits de pays, particulièrement au moment de la naissance du genre au sein de la maison d'édition ? Quelles évolutions le genre du portrait de pays et de villes subit-il au sein de la collection au regard du développement parallèle du tourisme et du marché du livre à cette époque ? Comment la Guilde du Livre entend-elle se démarquer dans ce contexte de ses collections concurrentes ?

Après avoir achevé sa thèse, intitulée "Les Albums de la Pléiade. Histoire et analyse discursive d'une collection patrimoniale", à la KU Leuven et la Sorbonne Université, Marcela Scibiorska effectue actuellement un post-doctorat à l'université de Lausanne, portant sur les portraits de pays et de villes dans la Guilde du Livre. Elle s'intéresse, plus largement, aux collections éditoriales d'un point de vue de leur hybridation générique et médiatique et de leur fonction publicitaire, ainsi qu'aux modes de patrimonialisation de la littérature.
Publications
Anne Reverseau et Marcela Scibiorska, "Usages du document dans Documents 34. La revue surréaliste comme lieu d'hybridation", dans La Licorne, vol. 109, 2014.
Marcela Scibiorska, ""Homme de son temps, et du nôtre". Les Albums de la Pléiade, un patrimoine littéraire vivant", dans Mémoires du livre / Studies in Book Culture, vol. 7, n°1, 2015.
Marcela Scibiorska, "La généricité composite d'une collection patrimoniale : les "Albums de la Pléiade"", dans Cahier voor Literatuurwetenschap, n°9, 2017.
Marcela Scibiorska, "L'auteur comme produit d'appel : les figures d'écrivains dans les "Albums de la Pléiade"", dans Nottingham French Studies, à paraître.

Anne SIGAUD : Les Archives de la Planète d'Albert Kahn : l'autochrome et le film au service de la conceptualisation et de la promotion de la nation (1909-1932)
Entre 1909 et 1932, le banquier français Albert Kahn (1860-1940) initie et finance un programme de captation visuelle du monde qu'il intitule Les Archives de la Planète et dont il confie la direction scientifique au professeur de géographie humaine Jean Brunhes (1869-1930). Dans un premier temps, les films et les autochromes produits dans ce cadre sont envisagés comme des matériaux scientifiques utiles à la construction disciplinaire d'une géographie politique qui réfléchit principalement sur la notion d'État-nation. Pendant la Première Guerre mondiale, la collection participe d'un mouvement général qui prend conscience de la valeur de l'image comme support de défense des intérêts nationaux et des liens sont noués avec les services de propagande de l'État. Le retour à la paix ne fait pas disparaître le sentiment d'urgence à défendre la place de la France dans le monde et à promouvoir un modèle républicain en cours de redéfinition, aussi la collection continue-t-elle à accompagner l'État dans son effort de rayonnement à l'international. C'est ce dernier point que nous proposons de développer dans la présente contribution, avec une recherche inédite consacrée aux relations entre les Archives de la Planète et la construction dans les années 1920 d'une politique de propagande touristique conçue comme un programme de représentation de la nation, à la réalisation duquel participent en s'interpénétrant initiatives privées et initiatives publiques.

Anne Sigaud, chargée de recherche au musée départemental Albert-Kahn, a été commissaire des expositions Clichés japonais : 1908-1930, le temps suspendu (2010) et La Mongolie entre deux ères : 1912-1913 (2012) puis a dirigé un projet pluriannuel de recherche sur la collection des Archives de la Planète pendant la Première Guerre mondiale. Elle est membre du consortium du projet ANR Ciné08-19 coordonné par Laurent Véray (université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle). Elle prépare une thèse de doctorat en histoire contemporaine intitulée "Les fondations d'Albert Kahn. Production et usage de l'information documentaire, entre intérêts publics et intérêts privés (1898-1940)".
Publications
Perlès Valérie & Sigaud Anne (dir.), Réalités (in)visibles. Autour d'Albert Kahn, les archives de la Grande Guerre, Paris, Bernard Chauveau, 2019, 285 p., à paraître (février).
Sigaud Anne, "Entre documentation et propagande : vocation et usage politique des Archives de la Planète", dans Perlès Valérie (dir.), Les Archives de la Planète, Liénart, 2019, à paraître (février).
Sigaud Anne, "The Archives of the Planet : Between Comopolitanism and Patriotism", dans Björli Trond & Jakobsen Kjetil (ed.), Cosmopolitics of Visual Memory, Londres, Intellect, 2019, à paraître.
Castro Teresa & Sigaud Anne, "Revisiting the Archives de la Planète's Films", dans Provenance and Early Cinema, Actes du 15e colloque international Domitor, Rochester (NY, 13-16 juin 2018), à paraître.

Benjamin THOMAS : Flandres (2006, Bruno Dumont) : topologies sensibles
Flandres (2006), le film de Bruno Dumont, s'il annonce une topologie, ne s'engage pas dans la délimitation d'un périmètre, ne se soucie pas des découpages administratifs actuels, ni même anciens, de la province de Flandre, que ce fût pour raviver un héritage riche et complexe à opposer aux simplistes fantasmes identitaires, ou pour nourrir ceux-ci. Rien n'est plus étranger à son projet. Et l'un des signes que l'espace dont il est question chez Dumont n'est pas un territoire au sens de ce que l'on délimite par des frontières pour réaffirmer un "lieu propre" (Certeau), tient au contraste entre les deux lignes de force du film. L'une d'elles nous emmène avec les personnages à la guerre, dans un Moyen-Orient sans nom, écho des guerres actuelles menées par l'Occident, voire survivance de la guerre d'Algérie. Là, en effet, c'est de territoire, qu'il est question, ô combien… Par contraste, les Flandres du film forment un espace sensible. Et ce que le cinéma fait passer d'elles dans le sensible, c'est leur qualité de lieux qui s'éprouvent. Un climat, des météores, des chemins, des bosquets, la plaine, des atmosphères, qui semblent offrir aux corps les formes mêmes de leurs affects: toute une "co-naissance" de corps et de leur "milieu d'existence" (Merleau-Ponty). Ce sont les modalités de cette singulière délinéation que nous aimerions examiner ici.

Benjamin Thomas, Maître de conférences (HDR) en études cinématographiques à l'université de Strasbourg.
Publications
Le Cinéma japonais d'aujourd'hui. Cadres incertains, PU de Rennes, 2009.
(dir.) Tourner le dos. Sur l'envers du personnage au cinéma, PU de Vincennes, 2013.
L'Attrait du vent, Yellow Now, 2016.
Fantômas de Louis Feuillade, Vendémaire, 2017.
Faire corps avec le monde. De l'espace cinématographique comme milieu, Circé, 2019.

Hécate VERGOPOULOS : Les portraits sinistres de ville
Depuis quelques temps, les territoires — et en particulier les villes — se voient valorisés non plus par l'évocation de leurs remarquables lieux culturels (les immanquables du tourisme), mais parce qu'ils sont sinistres ou sinistrés : la Nouvelle-Orléans accueille ainsi des Katrina tours qui montrent comment l'ouragan de 2005 a détruit la ville, de même qu'il est possible de se rendre dans les favelas de Rio de Janeiro ou les townships de Johannesburg pour y voir comment les pauvres vivent. Ces pratiques qui renvoient à ce que certains appellent le dark tourism sont plus anciennes qu'il n’y paraît. Déjà, au XXe siècle, alors que Paris devenait la capitale de la modernité, touristes et Parisiens se rendaient volontiers sur les lieux de crime ou à la morgue afin d'y observer le désastre de la vie urbaine. Ils étaient accompagnés, dans cette tâche, par une multitude de textes dans lesquels se jouaient quelque chose du portrait de la ville. Journalistes et écrivains, promeneurs, flâneurs, enquêteurs, observateurs ont en effet décrit Paris par là où elle péchait — ses marges —, que ce soit dans les colonnes de la presse, dans leur correspondance personnelle ou dans leurs récits et romans. Ces textes, qui ont finalement tourné en observables et en spectacles de curiosité des lieux et victimes de drames urbains, posent au fond une question simple : un portrait de ville peut-il être sinistre ? Ou encore : comment le portrait de territoire prend-il en charge sa part sinistre ? En apportant des éléments de réponse à ces questions, on pourra étudier plus avant ce que le portrait fait au territoire.


SOUTIENS :

Laboratoire de recherche MDRN | KU Leuven, Belgique
• Répertoire de la photolittérature ancienne et contemporaine (PHLIT) & Centre d'études des langues et littératures anciennes et modernes (CELLAM, EA 3206) | Université Rennes 2
• Laboratoire de recherche en audiovisuel - Savoirs, praxis et poïétiques en art (LARA-SEPPIA, EA 4154) | Université Toulouse - Jean Jaurès
ANR LITTéPUB
Musée départemental Albert-Kahn
• Projet FICTOGRAPH soutenu par la Maison des Sciences de l'Homme de Bretagne (MSHB)